CONVENTION ET PROTOCOLE CONCERNANT LA CRÉATION D'UN OFFICE EUROPÉEN DE POLICE

Adoption de deux projets de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 363, 1996-1997), autorisant la ratification de la convention sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne portant création d'un office européen de police (ensemble une annexe et quatre déclarations [Rapports n° 430 (1996-1997)], et n° 24 (1997-1998) et du projet de loi (n° 364 1996-1997), autorisant la ratification du protocole établi sur la base de l'article K. 3 du traité de l'Union européenne concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention portant création d'un office européen de police. [Rapports n° 430 (1996-1997) et n° 24 (1997-1998)].
La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion générale commune de ces deux projets de loi.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui au vote de votre Haute Assemblée deux projets de loi relatifs à l'office européen de police Europol. Le premier autorise la ratification de la convention portant création d'Europol, signée le 26 juillet 1995 à Bruxelles. Le second autorise la ratification du protocole concernant l'interprétation à titre préjudiciel de la convention portant création d'un office européen de police, signé à Bruxelles le 24 juillet 1996.
La convention portant création d'Europol constitue une étape importante du développement de la coopération policière entre les Etats membres de l'Union européenne. Motivés par le souci de faire face aux nouvelles formes de criminalité internationale, les Etats membres ont inscrit dès 1992 à Maastricht, dans le traité sur l'Union européenne, la création d'une structure commune compte tenu de l'urgence de lutter contre les trafics internationaux de drogue. Un premier élément de cette structure commune, l'unité drogue Europol, a été mis sur pied dès 1993.
Mais ce n'est qu'en juillet 1995 qu'un accord a pu être trouvé, sous la présidence française de l'Union, sur le texte qui vous est soumis aujourd'hui. Et c'est avec l'entrée en vigueur de la convention Europol que se concrétisera la volonté des Etats membres d'approfondir leur coopération policière.
Ce texte vous est soumis plus de deux ans après sa signature. Cela tient au fait qu'un accord n'avait pu être trouvé, en juillet 1995, sur l'étendue des compétences de la Cour de justice des Communautés pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation de la convention. Le Royaume-Uni refusait, en effet, toute attribution de compétence à la Cour. Une solution de compromis ne se dessina qu'en juillet 1996. Par la suite, certains Etats membres firent de la ratification du protocole ainsi adopté une condition de la ratification de la convention. Malgré l'urgence de la ratification, soulignée en décembre 1996 par la France et l'Allemagne, la procédure fut interrompue par la dissolution de l'Assemblée nationale. Elle se conclut aujourd'hui.
Europol est, pour l'essentiel, une structure intergouvernementale de collecte, d'analyse et d'échange d'informations entre les services répressifs des Etats membres.
Le maintien du caractère intergouvernemental d'Europol est garanti par la répartition des rôles entre les agents de l'office et les officiers de liaison, qui représentent leur unité nationale au sein de l'office.
Surtout, Europol, placé sous l'autorité de son directeur, fonctionnera sous le contrôle de son conseil d'administration, composé d'un représentant de chaque Etat membre.
Enfin, tout différend relatif à l'interprétation ou à l'application de la convention doit, dans un premier temps, être examiné au sein du Conseil statuant à l'unanimité, en vue de parvenir à une solution.
Outre la mise en commun d'informations collectées par les services répressifs des Etats membres, l'apport le plus novateur d'Europol est la notion d'analyse criminelle à l'échelon européen. Les analystes de l'office traiteront les informations ainsi réunies de façon à améliorer l'efficacité des enquêtes qui s'étendent au-delà des frontières nationales. L'analyse permettra des rapprochements et des recoupements entre des informations émanant de l'ensemble de l'Union, dans les domaines couverts par Europol : la prévention de la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants, de matières nucléaires et radioactives, les filières d'immigration clandestine, la traite des êtres humains, le trafic des véhicules volés.
Les résultats de ces analyses seront mis à la disposition des services répressifs nationaux. Ceux-ci disposeront ainsi de toutes les informations leur permettant de démanteler, en coopération avec les polices d'autres Etats membres, des filières internationales de trafic de stupéfiants ou d'immigration clandestine.
Le rôle d'Europol dans le développement de la coopération policière a été consolidé par le traité d'Amsterdam. Ce traité prévoit que le Conseil doit, dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur, encourager la coopération par l'intermédiaire d'Europol. Dans le cadre de cette coopération, Europol doit, de son côté, apporter son appui à la mise en oeuvre d'enquêtes et d'actions opérationnelles menées par des équipes conjointes des Etats membres. Il faudra dans le même délai permettre à Europol de demander aux autorités compétentes des Etats membres de coordonner leurs enquêtes dans des affaires précises.
Le Conseil devra en outre favoriser l'établissement de contacts entre magistrats et enquêteurs spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée, en étroite coopération avec Europol, et instaurer un réseau de recherche, de documentation et de statistiques sur la criminalité transfrontière.
Europol est donc ainsi appelé à se développer et à accroître progressivement son rôle de coordination de la coopération policière tout en conservant - j'insiste sur ce point car il est très important - son caractère intergouvernemental.
En tant que système d'information, Europol devait faire l'objet de mesures de protection des données à caractère personnel et de dispositions spécifiques relatives à l'accès des particuliers aux données les concernant. C'est l'objet d'un titre entier de la convention - le titre IV - relatif au traitement de l'information.
La convention prévoit que les Etats membres doivent adopter, avant son entrée en vigueur, les règles de droit interne garantissant un niveau de protection des données correspondant au moins à la convention du Conseil de l'Europe du 28 janvier 1981. La transmission de données à caractère personnel ne peut commencer qu'une fois ces règles entrées en vigueur.
Par ailleurs, comme vous le savez, les législations nationales dans cette matière sont harmonisées par la directive communautaire 95/46 du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
Des dispositions détaillées prévoient et encadrent le droit d'accès des particuliers aux données les concernant, ainsi que les conditions d'effacement et de rectification de ces données. Les procédures prévues par la convention Europol assurent aux particuliers, qui peuvent choisir la législation applicable à leur demande d'accès, un accès assez large aux données les concernant, tout en garantissant la protection des intérêts d'ordre public et de sécurité publique des Etats membres.
Les opérations relatives aux données à caractère personnel sont placées sous le double contrôle des autorités nationales - en France, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL - et d'une autorité de contrôle commune.
L'ensemble de ces dispositions est cohérent avec l'établissement d'un espace de liberté, de sécurité et de justice dont le traité d'Amsterdam fait un objectif de l'Union européenne. La coopération policière dans le cadre d'Europol trouve naturellement sa place dans ce projet.
La convention Europol ne serait néanmoins pas complète sans le protocole dont il vous est aujourd'hui demandé d'autoriser la ratification.
Le protocole concernant l'interprétation à titre préjudiciel de la convention portant création d'un Office européen de police, signé à Bruxelles le 24 juillet 1996, prévoit les conditions dans lesquelles la Cour de justice des Communautés européennes sera amenée à statuer sur l'interprétation de la convention portant création d'Europol.
La convention elle-même prévoit d'ores et déjà que les différends entre Etats membres portant sur son interprétation ou son application, après avoir été examinés par le Conseil, font l'objet d'un règlement suivant des modalités définies d'un commun accord par les Etats parties à ces différends.
A l'exception du Royaume-Uni, tous les Etats membres sont convenus que, dans ce cas, ils soumettront systématiquement le différend en cause à la Cour de justice.
Le protocole permet aux Etats parties à la convention de reconnaître la compétence de la Cour de justice pour statuer à titre préjudiciel sur les questions d'interprétation de la convention.
Les Etats qui le souhaitent peuvent déclarer que toutes leurs juridictions nationales ont la faculté de saisir la Cour de justice. Ils peuvent aussi indiquer que seules les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne ont la faculté de saisir la Cour.
Les Etats parties peuvent en outre prévoir que les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel, lorsqu'une question d'interprétation de la convention est soulevée devant elles, sont tenues de saisir la Cour de justice.
Enfin, les Etats membres qui ne reconnaissent pas la compétence de la Cour de justice peuvent cependant intervenir dans les affaires qui lui seraient soumises.
Le Gouvernement français a retenu la formule selon laquelle seules les juridictions suprêmes ont la possibilité de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel. Cette solution permet d'obtenir une plus grande cohérence dans l'interprétation de la convention, tout en autorisant un filtrage des questions d'interprétation les plus importantes par les juridictions suprêmes.
L'extension du contrôle en interprétation de la Cour de justice constitue une garantie de voir respecter, dans le cadre de l'application de la convention Europol, les droits fondamentaux de la personne humaine dont la Cour de justice des Communautés européennes a reconnu depuis de longues années qu'ils font partie des principes généraux du droit communautaire.
Compte tenu de l'importance de ces deux accords pour le développement de la coopération policière dans l'Europe des citoyens, je vous demande d'approuver les deux projets de loi qui vous sont aujourd'hui soumis.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appellent la convention portant création d'Europol, signée le 26 juillet 1995 à Bruxelles, et le protocole concernant l'interprétation à titre préjudiciel de la convention portant création d'un office européen de police, signé à Bruxelles le 24 juillet 1996, qui font l'objet des deux projets de loi aujourd'hui proposés à votre approbation. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grandes formes de criminalité, en particulier le trafic de drogue, ont su tisser des réseaux qui ignorent les frontières et échappent ainsi plus aisément aux investigations policières. Dans ce domaine aussi, la logique de « mondialisation » est à l'oeuvre, mais d'une manière fort préoccupante. En effet les démocraties apparaissent souvent démunies face au défi que soulève le développement de la criminalité internationale. Le renforcement de la coopération apparaît aujourd'hui comme une nécessité et une priorité, même s'il doit, bien sûr, s'inscrire dans le cadre de quelques grands principes.
Quels sont ces principes ? D'une part, le respect des prérogatives nationales dans un domaine qui intéresse au premier chef les compétences régaliennes des Etats, d'autre part, le respect des droits et libertés des citoyens. A cet égard, la création d'Europol, sur laquelle la Haute Assemblée est aujourd'hui invitée à se prononcer, satisfait à cette double préoccupation.
L'Office européen de police n'est pas cette « police fédérale européenne » appelée de ses voeux par le chancelier Kohl sur le modèle du FBI. Son profil est plus modeste et à mon goût peut-être trop modeste. En effet, Europol a pour principale vocation de favoriser l'échange d'informations entre Etats membres et de procéder à l'analyse de ces informations. Il ne dispose pas de compétences opérationnelles, les pouvoirs d'enquête demeurant du strict ressort des Etats membres.
En outre, l'organisme est régi par les principes de la coopération intergouvernementale.
D'abord, parce que si Europol dispose de ses propres agents placés sous l'autorité d'un directeur, il comprend également des officiers de liaison désignés par chacun des Etats membres pour représenter leurs intérêts respectifs.
Ensuite, parce que l'organisation d'Europol est placée sous la double tutelle du Conseil de l'union européenne et du conseil administratif d'Europol, dont les décisions sont, pour l'essentiel, prises à l'unanimité.
Enfin, parce que la compétence de la Cour de justice des Communautés européennes apparaît très encadrée. En effet, s'agissant de l'interprétation de la convention à titre préjudiciel, le dispositif retenu apparaît très souple : d'une part, la reconnaissance de la compétence de la Cour est facultative, d'autre part, selon le choix des Etats signataires, la saisine de la Cour de justice peut être ouverte à toutes les juridictions nationales ou réservée seulement au juridictions suprêmes. La France a opté pour cette dernière solution, ce qui permettra peut-être de limiter le nombre des questions préjudicielles aux seules questions de principe.
Ainsi la création d'Europol répond non seulement au respect du principe de la coopération intergouvernementale, mais aussi au respect des droits et libertés des citoyens. En effet, l'accord réalise un équilibre satisfaisant entre la confidentialité des informations transmises par les Etats à Europol et la protection des personnes.
S'agissant du droit d'accès aux informations, je relèverai cependant que la solution retenue s'écarte de la formule proposée par la présidence française au moment des négociations sur Europol.
En effet, Europol répond directement au requérant même dans les pays qui, comme la France, prévoient, en principe, le relais d'une autorité indépendante. Par ailleurs, toute personne désireuse d'accéder aux informations la concernant peut formuler sa demande dans l'Etat membre de son choix, et le droit à vérification s'exerce alors dans les conditions prévues par le droit national du pays dans lequel la demande a été formulée.
Il est clair ainsi que le souci de placer les citoyens des Etats membres d'Europol dans une situation d'égalité quant à l'accès aux données le concernant a primé sur la prise en compte des spécificités nationales. Toutefois, les clauses de sauvegarde obtenues par la France devraient en principe limiter les possibles inconvénients liés à ce système.
Dans ses grandes lignes, la convention Europol a su conjurer les soupçons qui pesaient, à l'origine, sur l'initiative allemande, et je crois qu'il faut saluer à cet égard le rôle joué dans les négociations par le gouvernement français de l'époque.
En fait, dans la situation actuelle, ce sont les insuffisances de la coopération policière, plutôt que ses excès, qu'il convient de regretter. De plus, il importe d'insister de nouveau sur l'insuffisance de la coopération judiciaire. En effet, la coopération policière se heurtera, à un moment ou à un autre, aux divergences des politiques de répression entre les Etat membres.
Pour conclure, Europol peut constituer une étape décisive dans le renforcement de la coopération policière entre les quinze Etats membres de l'Union européenne. C'est pourquoi, comme notre collègue Paul Masson, je souhaite que la participation de la France au sein de cette instance soit à la mesure de l'enjeu que représente pour notre pays la lutte contre la grande criminalité. C'est dans cet esprit que notre commission des affaires étrangères vous invite, mes chers collègues, à adopter les deux présents projets de loi. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.) M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Paul Masson, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie, pour avis, des deux projets de loi concernant la ratification de la convention portant création d'un office européen de police, Europol, et du protocole fixant les compétences de la Cour de justice des Communautés européennes, au regard de cette convention.
L'un et l'autre de ces deux textes ont été examinés au fond par la commission des affaires étrangères. Je ne reprendrai pas, ici, la présentation exhaustive des structures et des règles de fonctionnement, parfaitement analysées et exposées par notre excellent collègue, M. Nicolas About ; ses observations sont les nôtres, notamment s'agissant de l'accès direct aux données qu'il a fort opportunément évoqué.
Notre commission a, en revanche, analysé l'incidence de ces structures nouvelles et les procédures qu'elles impliquent sur le droit des Etats et des personnes. Elle m'a confié le mandat d'en livrer les observations et les conclusions à l'occasion de ce débat.
Les conceptions, très opposées, conduisirent dès le départ à des contradictions majeures dans l'approche du système. Ces contradictions furent difficiles à réduire. Le traité est le résultat d'une habile synthèse entre les thèses contraires d'une police à vocation fédérale, telle qu'elle était espérée par les Allemands et les Néerlandais, et d'un système d'information et de coopération mutuelles, tel que le souhaitaient les Français et les Britanniques.
Une patiente négociation, conduite dans la phase finale, sous la présidence française, a produit cette synthèse. Telle qu'elle, elle me paraît correspondre au double souci, sans doute partagé par tous ici, d'efficacité dans la coordination des efforts des polices nationales dans leur lutte difficile contre les trafics de drogue et le terrorisme et du respect du droit interne de chacun des Etats, dans la recherche, la poursuite et la répression de cette délinquance.
Dans leur ensemble, ces structures et ces règles garantissent le droit des Etats et des personnes ; c'est pourquoi elles n'appellent, de notre part, aucune objection d'ordre juridique.
En revanche, je voudrais me permettre, monsieur le ministre, à l'occasion de cette séance de ratification, d'appeler l'attention du Gouvernement sur trois points.
Observons, d'abord, que les mécanismes de contrôle institués par la convention, satisfaisants d'un point de vue théorique, pourraient, en pratique, se révéler inefficaces si les Etats n'exercent pas, à cet égard, toute la vigilance nécessaire.
Le directeur d'Europol est, certes, responsable devant le conseil d'administration. Mais que représente ce conseil, composé de personnalités désignées par tous les Etats membres et présidé, tous les six mois, par le représentant du pays assurant la présidence du conseil ? Que représente ce conseil d'administration en face des énormes pouvoirs concentrés entre les mains d'un haut fonctionnaire ayant, de par l'article 29 du traité, la responsabilité générale d'exécution des tâches, confiées à Europol, d'administration et de gestion ainsi que « d'élaboration et d'exécution adéquate des décisions des conseils » ?
Rien ne garantit que ce conseil sera en mesure d'assurer le contrôle effectif et le suivi permanent d'un système complexe, nécessairement technique, par essence secret et tout d'exécution.
On sait, par ailleurs, que les « analyses » produites par des spécialistes induiront progressivement leur propre logique dans ce système.
Une présidence tournante, des rencontres périodiques espacées, un ordre du jour préparé par le directeur, des résolutions élaborées dans le sérail : chacun connaît ces systèmes à l'abri desquels se développent bien des facilités. En France, nous avons de célèbres exemples de dérapages à cet égard.
La compétence d'Europol ira croissant ; l'article 2, paragraphe 2, de la convention est tout à fait clair à cet égard. Dans quelques années, n'en doutons pas, ces orientations seront déterminantes pour les polices nationales. N'est-il pas imprudent d'avoir conçu un système théoriquement parfait mais peu pratique et surtout inefficace ? Une police nationale est, en principe, tenue en main par un ministre responsable devant ses pairs, le Parlement et l'opinion. Qu'en sera-t-il dans quelques années d'Europol ? Où sera le ministre responsable ?
J'en viens à ma deuxième observation. Europol évoluera dans le cadre rénové de l'Union européenne, à partir d'un article K. 2, paragraphe 2 B, du traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre dernier.
Aux termes de cet article, « dans les cinq ans suivant la date d'entrée en vigueur du texte, le Conseil devra arrêter des mesures destinées à permettre à Europol de demander aux autorités compétentes des Etats membres de mener et de coordonner leurs enquêtes dans des affaires précises ».
Savez-vous, monsieur le ministre, ce que veulent dire les termes « demander aux Etats » tels qu'ils figurent dans la version française du traité ? Faut-il comprendre « demander » dans le sens d'« inviter » ou dans celui de « prescrire » ?
Une simple invitation n'empiéterait évidemment pas sur la souveraineté des Etats : les autorités nationales compétentes seraient libres de donner ou de ne pas donner suite. Mais une prescription impérative, à laquelle les polices nationales devraient déférer, impliquerait un véritable pouvoir hiérarchique sur ces polices. Là, nous aurions encore un sérieux problème constitutionnel.
Personnellement, j'incline à penser que la seconde interprétation est la bonne et qu'il faut donc voir, dans cette « demande », une injonction. Pourquoi le traité d'Amsterdam aurait-il stipulé que le Conseil devra, dans les cinq ans, arrêter des mesures spécifiques pour définir des modalités auxquelles les Etats ne seraient pas tenus de déférer ? On voit très bien, en revanche, pourquoi il faudra définir des modalités permettant à Europol d'indiquer des orientations auxquelles les polices des Etats membres devront se plier.
Cette considération m'amène à ma troisième réflexion.
L'influence de la France est faible dans Europol. La direction et la structure dirigeante provisoire d'Europol ne comportent aucun Français, bien que la contribution française représente 18 % du budget d'Europol. Le Luxembourg, pour sa part, dispose d'un poste d'ajoint avec une contribution financière de 0,2 %.
En 1995, l'équipe de direction était composée d'un Belge, d'un Luxembourgeois, d'un Italien et d'un Britanique, sous l'autorité d'un Allemand. Les quatre premiers analystes recrutés pour l'élaboration du système informatique étaient britanniques et néerlandais. Cette équipe provisoire est toujours en place. Dans quelques mois, elle sera renouvelée. Le coordonnateur allemand sera vraisemblablement reconduit. La France aura-t-elle un poste d'ajoint ? Rien n'est moins sûr.
Notre timidité relative devant les problèmes de coopération internationale en matière de sécurité et de police est bien connue. Je rejoins là le débat précédent, monsieur le ministre. Nous ne sommes guère, intellectuellement, préparés à une réflexion commune sur ces thèmes essentiels. Assurés, à juste titre, de l'efficacité de nos polices, nous sommes toujours un peu réticents, pour ne pas dire mal à l'aise, face au développement de ces machines de coopération internationale que certains, chez nous, comparent volontiers à des « usines à gaz ».
D'autres n'ont pas cette timidité. Evoquons simplement ici le cas des Pays-Bas, qui exercent d'ores et déjà une influence décisive au sein d'Europol, dont le siège est installé à La Haye, une influence que nos amis néerlandais font tout pour accroître : ils veulent également installer l'autorité de contrôle commune d'Europol à La Haye ; ils en revendiquent la présidence et aussi celle de son comité d'appel. Si nous cédions à cette amicale pression, l'ensemble du système Europol passerait, peu ou prou, sous le contrôle des Pays-Bas.
Cette attitude, qui a été dénoncée avec force par notre collègue Alex Turk, représentant du Sénat à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, et siégeant, à ce titre, comme membre de l'autorité de contrôle commun Schengen, n'est-elle pas de nature à susciter quelques inquiétudes, surtout s'agissant d'un pays dont la politique, en matière de stupéfiants, se développe si fortement en marge des positions européennes, notamment allemandes et françaises ?
Telles sont, monsieur le ministre, les réflexions que m'inspire ce traité. Etant mandaté par la commission des lois, j'indique que cette dernière s'associera à l'avis de la commission des affaires étrangères pour proposer sa ratification, ainsi que celle du protocole établi sur la base de l'article K. 3 du traité de l'Union européenne.
Pour conclure, je formulerai un voeu : que, dans cette affaire-là aussi, le Parlement soit plus associé qu'il ne l'est à l'appréciation de l'évolution des choses, eu égard aux risques que font nécessairement naître ces systèmes communs où, en définitive, la responsabilité politique est toujours diluée et où le dispositif technique a quelquefois tendance à s'autogérer, pour ne pas dire à s'emballer tout seul. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Europol s'inscrit dans le cadre du troisième pilier de l'Union européenne, fondé sur une coopération intergouvernementale, où les décisions sont prises à l'unanimité des Etats membres.
Ce dispositif n'aurait pas de compétences opérationnelles et serait chargé de recueillir et de rediffuser auprès des polices des Etats membres des données relatives à certaines formes de criminalité.
Europol vient donc parachever l'Europe des polices officiellement instituée avec les accords de Schengen.
Je tiens à rappeler que la sécurité et les problèmes de police touchent aux pouvoirs régaliens des Etats. En conséquence, la France doit veiller à conserver la plénitude de ses compétences et à éviter toute dérive de type supranational.
Nous contestons la volonté de certains pays - je pense notamment à l'Allemagne et aux Pays-Bas - de doter Europol de compétences opérationnelles et de lui conférer une certaine indépendance tout en l'intégrant au cadre institutionnel communautaire.
Si la coopération européenne en matière de lutte contre la criminalité internationale ne peut que rencontrer l'adhésion de chacun, elle ne doit pas se faire au prix de la maîtrise nationale, au mépris du contrôle populaire.
En effet, sous des formules et des déclarations d'intention qui se veulent rassurantes à propos de la collaboration des polices pour lutter contre le terrorisme et toutes sortes de trafics, il y a, dans des domaines beaucoup plus vastes, des risques d'instauration de l'arbitraire, en matière de fichage, de surveillance et de répression policière, voire de renforcement des dispositifs judiciaires et administratifs de contrôle social.
Des dérives risquent de se faire jour quant aux contrôles d'identité et au droit d'asile.
Nous redoutons un engrenage policier dont les conséquences seraient graves, dangereuses pour le régime de nos libertés et des droits de l'homme.
La constitution d'un fichier mal contrôlé, l'évaluation et l'exploitation centralisée des informations, la coopération des enquêtes et des recherches, telles qu'elles sont prévues avec Europol, nous apparaissent, en l'état, difficilement conciliables avec le respect des libertés publiques.
Il est, en revanche, notable que les dispositions du traité de Maastricht ne font nullement référence à une politique sociale de prévention de la criminalité et de la délinquance.
Au-delà de la dénonciation de la montée des gangs ou de la flambée des trafics en tous genres, il s'agirait d'engager une réflexion sur l'utilisation de la police au profit de la protection des personnes et des biens.
A partir de la lutte contre le terrorisme, les trafics de stupéfiants et autres graves infractions pénales, toutes les conventions et accords élaborés l'ont été systématiquement à l'écart des gouvernements, des Etats et des populations.
Toutes ces réflexions et réserves amèneront les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen à s'abstenir sur le projet de loi portant création d'un office européen de police et, par voie de conséquence, sur le projet de loi concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, de cette convention par la Cour de justice des Communautés européennes.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai brièvement aux observations qui ont été formulées.
J'ai bien noté la position du groupe communiste républicain et citoyen : elle traduit une certaine philosophie de la construction européenne. A mon sens, celle-ci ne pourra se faire qu'à travers la coopération entre les Etats. C'est ce qui conduit aujourd'hui le Gouvernement à proposer la ratification de cette convention et de ce protocole.
L'enjeu est important puisqu'il s'agit tout simplement d'assurer une meilleure coordination entre les Etats membres dans la lutte contre la criminalité, notamment contre le trafic de drogue.
Ce que M. le rapporteur semble regretter, quant à lui, c'est l'insuffissance plutôt que les excès de la coopération policière. Je peux simplement lui répondre que les compétences d'Europol, certes limitativement énumérées, sont évolutives aux termes mêmes de la convention. On peut espérer que, une fois le traité d'Amsterdam entré en vigueur, le Conseil va encourager le développement de la coopération policière à travers Europol. J'ai donc la conviction qu'on pourra ainsi progressivement combler les insuffisances tout en gardant la maîtrise de ces évolutions.
M. Masson a insisté sur le risque de voir Europol échapper au ministre responsable. Je n'y crois guère, je l'avoue, au regard du même principe de coopération mais aussi en raison du maintien de la structure intergouvernementale d'Europol. On peut compter sur la vigilance du conseil d'administration et sur celle des représentants des Etats membres, dont la France.
M. Masson s'est aussi ému de la présence insuffisante de la France dans Europol. Bien sûr, à l'origine, notre souhait était évidemment de voir un compatriote nommé au poste de directeur. C'est finalement, on le sait, le candidat allemand qui l'a emporté.
Nous espérons cependant être en mesure de présenter une bonne candidature lorsque la structure définitive sera mise en place. Une bonne candidature, cela signifie, en l'occurrence, une personne ayant les compétences requises, y compris des compétences linguistiques, ainsi qu'une pratique des relations internationales.
Enfin, monsieur Masson, vous avez exprimé la crainte d'une trop grande influence des Pays-Bas, liée notamment à l'installation du siège d'Europol à La Haye. Je m'en tirerai, si vous le voulez bien, par une boutade : en suivant votre logique, du fait de l'installation d'Interpol à Lyon, on pourrait craindre une trop grande influence française dans cet organisme. Or je ne pense pas que ce soit le cas.
M. Paul Masson, rapporteur pour avis. Mais il n'y a pas de trafic particulier à Lyon !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. En conclusion, je dirai, après M. le rapporteur, que, en votant ce texte, vous entérinerez une étape décisive dans un processus qui devra se poursuivre selon l'esprit de coopération intergouvernementale, esprit qui a présidé à la naissance d'Europol. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées de l'Union centriste. - M. le rapporteur applaudit également.) M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.

CONVENTION PORTANT CRÉATION D'UN OFFICE
EUROPÉEN DE POLICE

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 363.
« Article unique . - Est autorisée la ratification de la convention sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne portant création d'un office européen de police (ensemble une annexe et quatre déclarations), faite à Bruxelles le 26 juillet 1995 et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

PROTOCOLE CONCERNANT LA CONVENTION
PORTANT CRÉATION D'UN OFFICE EUROPÉEN DE POLICE

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 364.
« Article unique. - Est autorisée la ratification du protocole établi sur la base de l'article K. 3 du traité sur l'Union européenne concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention portant création d'un office européen de police, signé à Bruxelles le 24 juillet 1996, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(Le projet de loi est adopté.)

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