CONVENTION EUROPÉENNE SUR LA RECONNAISSANCE DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES NON GOUVERNEMENTALES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 338, 1996-1997)
autorisant la ratification de la convention européenne sur la reconnaissance de
la personnalité juridique des organisations internationales non
gouvernementales. [Rapport n° 380 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des
affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, les relations internationales connaissent,
depuis 1945, une catégorie d'acteurs, nouvelle et très active, les
organisations internationales non gouvernementales, les OING. Mais celles-ci ne
disposent d'aucune existence juridique internationale.
Leur rôle s'est pourtant affirmé en tant que source d'une grande partie du
droit international, agent d'intervention humanitaire, promoteur des droits de
l'homme et de la démocratie, et comme précieux auxiliaire du développement
économique et social. La charte des Nations unies y fait référence dans son
article 71 qui invite le Conseil économique et social à recevoir leurs
conseils. D'autres institutions internationales ont aménagé des espaces de
concertation avec les OING sous la forme de ce qu'on appelle improprement des
statuts consultatifs.
Mais aucune législation internationale ne définit leurs contours ni leurs
règles de fonctionnement par rapport aux autres participants à la scène
mondiale : aucun texte normatif ne régit en particulier leurs relations avec
les Etats ou les institutions intergouvernementales.
Au début des années quatre-vingt, le Conseil de l'Europe a entrepris de
combler cette lacune. La convention du 24 avril 1986 organisant la
reconnaissance de la personnalité juridique des organisations internationales
non gouvernementales est venue, en effet, apporter la première base d'un droit
international pour cette catégorie d'acteurs.
Ce document normatif, qui est soumis à votre ratification, mesdames et
messieurs les sénateurs, était déjà âgé de plus de dix ans lorsque le
Gouvernement français l'a signé le 4 juillet 1996.
Ce délai s'explique tout d'abord par le fait que ce texte, en apportant un
certain nombre de réponses à des questions de droit, soulevait aussi des
questions très politiques : qui sont exactement ces OING ? Comment cerner leur
représentativité ? Comment tenir à l'écart celles dont les intentions
contreviennent aux règles fondamentales de la vie internationale
institutionnalisée ? Ces questions étaient si largement partagées qu'à ce jour
seuls sept pays ont choisi de ratifier cet instrument : la Grande-Bretagne, la
Belgique, la Suisse, la Grèce, le Portugal, l'Autriche et la Slovénie.
Le Gouvernement français a longtemps préconisé une voie alternative qui lui
semblait préférable : définir au sein de l'Union européenne un statut que
l'OING pourrait choisir. Ainsi, de même qu'il existe un statut de groupement
européen d'intérêt économique, un statut d'association européenne aurait été
créé.
La Commission européenne a adopté en 1987 une directive proposant un tel
statut. Mais les Quinze n'ont pu à ce jour se mettre d'accord sur son adoption.
Au demeurant, s'il s'agit d'une toute autre approche que celle qui est
développée par le Conseil de l'Europe, les deux voies ne sont pas
incompatibles. Pour définir une base de droit international, le Conseil de
l'Europe est certainement aujourd'hui un cadre plus indiqué, et ses textes ont
plus d'une fois été repris dans d'autres institutions internationales.
Par ailleurs, certaines préoccupations se sont exprimées quant au risque que
des organismes illicites n'utilisent cette convention pour développer leurs
activités en Europe : les sectes religieuses, les mafias, voire les mouvements
politiques subversifs. Nous avons donc observé les conséquences que la
ratification a pu avoir de ce point de vue ! dans les sept Etats devenus
parties à cette convention. Nous constatons, hélas, que ces organismes
illicites se passent le plus souvent de structures juridiques pour agir, ou
bien se font enregistrer dans un paradis fiscal. De plus, ces dix dernières
années ont vu se développer une efficace coopération policière et judiciaire en
Europe pour ce qui touche à ces trois types d'activité subversives.
C'est donc avec sérénité que je puis vous assurer, mesdames, messieurs les
sénateurs, que cette convention ne favorisera en rien les entreprises illicites
qui chercheraient à se camoufler sous l'appellation d'OING.
Le Gouvernement s'est également préoccupé des éventuelles conséquences de
l'adoption de ce texte sur la fiscalité. Mais cette inquiétude a, elle aussi,
été vite dissipée, le principe de territorialité étant déterminant en matière
fiscale.
En outre, le Gouvernement français a pris toutes les précautions
nécessaires.
Toutes ces raisons, qui ont retardé la ratification, sont aujourd'hui
clairement écartées et rien ne s'oppose plus à celle-ci. Mais un autre argument
nous fait considérer qu'il est urgent et essentiel que la France réjoigne
désormais les grands pays européens qui ont déjà ratifié ce texte.
Depuis 1990, en effet, les Etats issus de l'ex-Union soviétique reviennent peu
à peu à une vie démocratique et ont adhéré nombreux au Conseil de l'Europe. La
liberté d'association y avait été, durant quarante-cinq ans, presque totalement
interdite. Nons constatons que, formellement admise désormais, elle peine
encore à s'y épanouir. Or nous avons la conviction que la vie associative est
le terreau où la démocratie s'enracine en profondeur.
L'étude que le Conseil national de la vie associative a demandé, voilà un an,
au ministère des affaires étrangères d'effectuer sur les pratiques qui font
obstacle à la constitution et au fonctionnement des associations, fondations et
syndicats dans l'ensemble de l'Europe, a démontré que très souvent en Europe
centrale, orientale et balte la pratique administrative restreint une liberté
que la plupart des nouvelles constitutions ont pourtant reconnue.
Les associations et fondations françaises qui souhaitent travailler ailleurs
en Europe subissent des restrictions et, souvent, vivent en pratique sous un
régime de précarité. En ratifiant cette convention - que seule, parmi les
anciens pays communistes, la Slovénie a reconnue - la France entend relancer le
mouvement des adhésions et permettre ainsi à nos associations humanitaires,
mais aussi patronales et culturelles, d'être protégées par un minimum de droits
lorsqu'elles exportent leurs compétences.
Cette convention, très simple dans sa rédaction, établit en effet que les
Etats qui l'auront ratifiée devront admettre que des organisations
internationales non gouvernementales, créées dans un autre Etat contractant,
pourront, sans aucune formalité supplémentaire, exercer leurs activités chez
eux, y bénéficiant d'une reconnaissance automatique de leur personnalité et des
droits qui lui sont attachés dans le pays d'origine.
Cest une chose que, pour notre part, nous admettons déjà. Il existe, en effet,
une jurisprudence française qui permet aux OING étrangères d'acquérir des
biens, de recruter des personnels, de procéder à des transactions et d'ester en
justice sur notre sol sans être obligées d'accomplir une quelconque formalité.
De ce point de vue, la convention ne fera que clarifier et stabiliser la
jurisprudence.
Les réticences de la France à ratifier, nous dit-on de différentes parts, ont
eu un effet fâcheux sur un certain nombre de pays européens. Notre geste
devrait relancer le mouvement de ratification. Mais, au-delà, nous entendons
mettre en chantier rapidement la négociation d'un protocole additionnel à cette
convention.
Le projet de déclaration interprétative, que j'ai déjà mentionné, a été soumis
au service juridique du Conseil de l'Europe qui lui a réservé un accueil
favorable, cette déclaration ayant le mérite d'éclaircir un certain nombre de
points importants. Le principe a été arrêté d'un séminaire placé sous l'égide
du Conseil de l'Europe et du Gouvernement français destiné à amorcer la
rédaction de ce qui devrait devenir un protocol additionnel. Sa date a été
fixée aux 8 et 9 décembre 1997. Ainsi se complètera - du moins peut-on
l'espérer - au niveau de l'Europe des quarante, cette base de droit qui faisait
jusque-là défaut aux organisations internationales non gouvernementales et que
la convention soumise à votre ratification a commencé de fonder.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, M. Alain Juppé, alors
Premier ministre, s'était engagé devant le Conseil national de la vie
associative le 16 janvier 1996 à faire en sorte que la convention du 24 avril
1986 fût ratifiée par la France dans les meilleurs délais. Le nouveau
gouvernement, pour toutes les raisons que je viens de vous exposer, a décidé de
reprendre cet engagement à son compte et vous invite à approuver le projet de
loi de ratification qui vous est soumis.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention
européenne sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations
internationales non gouvernementales qui fait l'objet du projet de loi
aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Plasait,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la convention européenne sur la reconnaissance de la personnalité
juridique des organisations internationales non gouvernementales a un objectif
louable. Elle vise, en effet, à encourager l'action des ONG en leur permettant
de bénéficier, dans tous les pays signataires, de la reconnaissance de la
personnalité juridique qui leur a été accordée dans leur propre pays. De la
sorte, le texte du Conseil de l'Europe les dispense des formalités parfois
contraignantes auxquelles sont assujetties les organisations qui souhaitent,
comme c'est la vocation de la plupart d'entre elles, s'installer dans plusieurs
pays.
Cependant, les ONG constituent une véritable nébuleuse et, dans ce maquis, se
dissimulent parfois des organisations dont l'honorabilité apparaît sujette à
caution. C'est pourquoi il est indispensable que la reconnaissance de la
personnalité juridique de ces organisations soit entourée de garde-fous. A cet
égard, il faut en convenir, les garanties apportées par la convention du
Conseil de l'Europe ne paraissent pas entièrement satisfaisantes.
A mon avis, la convention encourt deux reproches principaux.
D'une part, d'inspiration libérale, le texte du Conseil de l'Europe pourrait
avoir pour effet paradoxal, en France, de placer les ONG étrangères dans une
position plus favorable que les associations nationales en les exemptant des
procédures auxquelles sont soumises les associations de droit français. Je
citerai à titre d'exemple l'autorisation administrative préalable simple pour
toute association désireuse de recevoir une libéralité.
Cette situation est d'autant moins acceptable que la convention ne définit pas
de façon suffisamment précise la catégorie des ONG appelées à bénéficier du
dispositif de la convention. C'est là mon second reproche. La convention
requiert en effet que les ONG aient un « but non lucratif d'utilité
internationale ». mais cette notion elle-même paraît trop extensive.
Sans doute convient-il de mentionner deux verrous apportés par l'accord à la
reconnaissance systématique de la personnalité juridique des ONG hors des pays
où elles ont leur siège.
Premier verrou, qui découle d'ailleurs plus de l'interprétation donnée par le
rapport explicatif du Conseil de l'Europe que de la lettre, plutôt obscure, du
texte : les ONG peuvent se voir appliquer les restrictions ou les procédures
prévues pour les associations nationales quand un « intérêt public essentiel »
le justifie.
Second verrou : l'application de la convention peut être écartée pour des
motifs d'ordre public.
Pour moi, cependant, la garantie la plus convaincante repose sur la
déclaration interprétative dont notre Gouvernement accompagnera le dépôt des
instruments de ratification de la convention. Cette déclaration, dont le texte
a été communiqué à la commission des affaires étrangères, précise en
particulier le sens que les autorités françaises donneront au critère de « but
non lucratif d'utilité internationale ».
De même, par le biais de la notion « d'intérêt public essentiel » mentionnée à
l'article 2 de la convention et interprétée par notre Gouvernement de façon
plutôt extensive, les pouvoirs publics entendent appliquer aux ONG étrangères,
pour l'exercice de leur capacité juridique, les mêmes règles ou procédures que
celles auxquelles sont soumises les associations françaises.
En résumé, la convention aura pour seul effet de dispenser les ONG étrangères
de constituer une nouvelle entité en droit interne. Mais, pour exercer une
capacité juridique, c'est-à-dire pour bénéficier de libéralités, pour ester en
justice ou pour solliciter des subventions, l'ONG sera soumise au contrôle de
l'administration qui exercera son pouvoir d'appréciation.
Dans ces conditions, même si le texte ne présente pas toute la rigueur
nécessaire sur le plan du droit, la déclaration interprétative du Gouvernement
offre les assurances nécessaires.
En outre, il me paraît important d'encourager l'action de certaines ONG
françaises dont le dévouement et l'efficacité ont su susciter, bien au-delà de
nos frontières, l'estime et l'admiration. C'est pourquoi la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose d'adopter
le présent projet de loi.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée la ratification de la convention
européenne sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations
internationales non gouvernementales, faite à Strasbourg le 24 avril 1986 et
signée par la France le 4 juillet 1996, et dont le texte est annexé à la
présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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