RÉGIME LOCAL D'ASSURANCE MALADIE
DES DÉPARTEMENTS DU BAS-RHIN,
DU HAUT-RHIN ET DE LA MOSELLE
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 33,
1997-1998) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires
sociales, sur la proposition de loi (n° 410, 1996-1997) de MM. Daniel Hoeffel,
André Bohl, Daniel Eckenspieller, Francis Grignon, Hubert Haenel, Roger
Hesling, Roger Husson, Jean-Louis Lorrain, Joseph Ostermann, Mme Gisèle Printz,
MM. Jean-Marie Rausch et Philippe Richert relative au régime local d'assurance
maladie des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi
relative au régime local d'assurance maladie des départements du Bas-Rhin, du
Haut-Rhin et de la Moselle, de notre collègue M. Daniel Hoeffel, a été signée
par tous les sénateurs de ces départements, quelle que soit leur famille
politique. C'est dire l'intérêt que nous y attachons tous. Elle vise à
permettre aux retraités ayant cotisé parfois toute leur vie au régime local
d'assurance maladie mais ne résidant pas en Alsace-Moselle de continuer à
bénéficier de ce régime. J'espère qu'elle permettra de résoudre définitivement
et de façon consensuelle ce problème, vécu comme une injustice par les
intéressés.
Elle est aussi l'occasion d'une remise en ordre législative afin d'intégrer
plus logiquement les régimes locaux de protection sociale.
Avant d'aller plus avant, permettez-moi de rappeler, chers collègues, les
principales caractéristiques du régime local d'assurance maladie.
Le régime local d'assurance maladie est complémentaire du régime général, qui
s'applique en Alsace-Moselle comme partout ailleurs en France. Son origine
remonte à 1884, quand l'Alsace-Moselle était allemande. Ce régime -
l'équivalent du régime général actuel - a été maintenu en vigueur jusqu'en
1945, alors qu'il n'existait pas de législation aussi protectrice dans le reste
de la France. Puis il a été fondu dans le régime général, lors de la création
de ce dernier en 1945. Cependant, un régime local complémentaire obligatoire,
dépendant du régime général, a été maintenu à titre provisoire afin d'éviter
une rupture trop brutale avec le haut niveau de protection antérieure. Puis, de
provisoire, il est devenu définitif. L'attachement des Alsaciens et des
Mosellans à leur régime local a conduit, en effet, à sa pérennisation par une
loi du 31 décembre 1991.
Les conditions de cette pérennisation, en raison des difficultés financières
que connaissait alors le régime, avaient d'ailleurs fait l'objet d'une mission
d'information effectuée en février 1992 par une délégation de la commission des
affaires sociales du Sénat ; celle-ci avait notamment suggéré d'octroyer au
régime une véritable autonomie de gestion, ce qui a été fait.
Depuis 1995, le régime local d'assurance maladie est géré par une instance de
gestion, qui fixe les taux de cotisation, assure l'équilibre financier du
régime et en définit les prestations.
Actuellement, le régime local compte 1,4 million de bénéficiaires directs qui
travaillent en Alsace-Moselle, même s'ils n'y résident pas, ou qui y résident
sans y travailler ; la proportion des retraités est évaluée entre un cinquième
et un sixième des effectifs. Avec les ayants droit, ce sont environ 2,2
millions de personnes qui bénéficient du régime. Le taux de la cotisation
supplémentaire, prélevée sur les rémunérations ou les pensions de vieillesse,
est de 1,8 % pour les actifs et de 1 % pour les retraités. Il n'y a pas de
cotisation patronale.
Les prestations du régime local complètent celles du régime général et portent
actuellement le taux de remboursement des dépenses d'hospitalisation à 100 %
dès le premier jour, grâce à la prise en charge du forfait journalier, et celui
des prestations de médecine ambulatoire à 90 %.
Le régime local - ce point est important - est aujourd'hui excédentaire, et
c'est dans ce conteste qu'il faut replacer la proposition de loi.
Jusqu'à 1986, les retraités qui, après avoir cotisé au régime local
d'assurance maladie pour avoir résidé en Alsace-Moselle ou pour y avoir
travaillé, prenaient leur retraite hors des trois départements continuaient à
bénéficier des prestations du régime local.
Toutefois, en 1986, une circulaire du ministre des affaires sociales a rappelé
la règle de la territorialité posée par un décret de 1981, selon laquelle les
assurés sont rattachés à leur caisse de résidence : dès lors, le régime local
ne pouvait plus s'appliquer aux retraités, préretraités et chômeurs qui
quittaient la région. Les droits acquis au cours de la période d'activité
professionnelle salariée, parfois pendant plus de quarante ans, n'étaient donc
désormais plus pris en compte.
Naturellement, les réactions ont été vives.
Le contentieux devant les tribunaux est très rapidement devenu abondant ; il
a, en outre, donné lieu à des décisions contradictoires entraînant des
inégalités entre retraités, que ceux-ci, évidemment, vivent très mal. Des
associations de défense des retraités hors région, plus ou moins virulentes, se
sont créées et ont interpellé tous les élus des trois départements. La presse
s'est emparée de l'affaire.
Cependant, par deux fois, en 1994 puis en 1996, la Cour de cassation a jugé
que les retraités hors région n'avaient pas droit aux prestations du régime
local. Dès lors, s'il devait y avoir une solution, celle-ci ne pouvait être que
politique et législative.
L'instance de gestion du régime local a donc mis à l'étude des propositions de
solution, en accord avec la direction de la sécurité sociale et en concertation
avec le cabinet de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires
sociales, puis avec celui de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité, ainsi qu'avec le vôtre, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque vous
avez bien voulu nous entendre.
Un premier texte, issu de ces concertations, avait été déposé par le
gouvernement de M. Alain Juppé en avril 1997 et intégré au projet de loi
portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, mais il n'a pas
été examiné en raison de la dissolution. C'est ce texte qui est repris par la
proposition de loi de notre collègue et ami Daniel Hoeffel.
La question des bénéficiaires hors région - les retraités ne sont pas les
seuls concernés - n'est pas simple à résoudre car il faut fixer dans la loi de
nombreuses dispositions, à commencer par la liste des bénéficiaires du régime
qui, jusqu'à présent, n'y figuraient pas, tout simplement parce que, en 1945,
le régime devait être provisoire. Sa pérennisation, en 1991, a bien évidemment
changé les données.
La proposition de loi tente donc de répondre à plusieurs types de problème,
essentiellement d'ordre juridique et financier.
Tout d'abord, s'agissant d'un régime obligatoire, la règle doit être l'égalité
des assujettis. Cette égalité est actuellement fondée sur le principe de
territorialité, mais ce principe est à l'origine de l'inégalité entre retraités
restés sur place et retraités hors région. Il y a donc là une première
contradiction à résoudre.
Il y en a d'autres : ouvrir un droit à prestations après quelques temps de
cotisation, droit qui pourrait être exercé hors région - tel est l'objet de la
proposition de loi - éventuellement à titre rétroactif, créerait d'autres types
d'inégalité. Par exemple, il viendrait en concurrence avec le secteur
mutualiste alors que, s'agissant d'un régime obligatoire, il s'imposerait au
détriment des mutuelles. De plus, si un droit d'option entre mutuelle et régime
local devait être reconnu, il irait à l'encontre du principe d'égalité,
puisqu'il ne pourrait être reconnu que pour les retraités hors région.
Enfin, la rétroactivité associée au caractère obligatoire du régime serait
contraire à la liberté de choix : certains retraités hors région pourraient
parfaitement ne pas souhaiter être bénéficiaires du régime local et lui
préférer le régime mutualiste auquel ils ont déjà souscrit.
Tout projet de réforme doit donc, d'une façon ou d'une autre, tenir compte de
la règle de la territorialité et éviter l'affiliation obligatoire à titre
rétroactif.
On voit, par ailleurs, que ces choix ne sont pas neutres au regard de
l'équilibre économique du régime local, voire de l'équilibre des régimes
mutualistes.
Actuellement, il suffit d'avoir cotisé au régime local pendant trois mois au
cours de sa vie active pour avoir droit aux prestations durant sa retraite. Si
cette durée était retenue pour ouvrir le droit à prestations aux retraités hors
région, leur nombre serait tel que le régime serait, malgré ses excédents
actuels, très rapidement en cessation de paiement.
Ainsi, les retraités hors région ayant cotisé au moins trois mois au régime au
cours de leur vie active seraient plus de 143 000, soit, avec les ayants droit,
205 000 bénéficiaires, ce qui représenterait une charge supplémentaire pour le
régime de 442 millions de francs, somme à mettre en regard des 1 972 millions
de francs de dépenses et des 2 118 millions de francs de recettes en 1995.
L'excédent cumulé étant de 818 millions, l'équilibre serait rompu en un peu
moins de deux ans.
Cette situation serait encore aggravée par le vieillissement général de la
population : on compte 30 000 nouveaux retraités chaque année, nombre qui
pourrait passer à 60 000 en 2005.
En revanche, si la durée exigée de cotisations durant la vie active était non
pas de trois mois, mais de cinq ans, le nombre des retraités hors région pris
en charge serait d'un peu plus de 53 000, les ayants droit portant ce nombre à
76 000. La charge supplémentaire pour le régime serait de 164 millions de
francs.
Dans mon rapport écrit, vous trouverez un tableau plus précis recensant
différentes hypothèses. Je vous en citerai une dernière, celle vers laquelle le
régime s'orienterait si la proposition de loi était votée.
Il s'agit d'ajouter une condition supplémentaire permettant de répondre aux
deux principes de territorialité et de non-rétroactivité, et qui consiste à
prévoir une continuité d'affiliation. Dans ce cas, seuls les retraités ayant
cotisé au régime local les cinq années qui ont précédé leur départ en retraite
pourraient bénéficier du régime. Le nombre de retraités hors région est dans
cette hypothèse évalué à environ 16 000, ce qui porterait le nombre des
bénéficiaires, avec les ayants droit, à 23 000 environ. La charge nouvelle
s'élèverait à 50 millions de francs et serait davantage compatible avec les
possibilités financières du régime. Ce chiffre tient compte des cotisations
nouvelles perçues par le régime, car tous les retraités, dans ou hors région,
seraient assujettis à une cotisation qui passerait à cette occasion de 1 % à
1,2 %. Actuellement, les retraités hors région ayant obtenu une décision
favorable ne cotisent pas.
La proposition de loi préparée en concertation avec l'instance de gestion du
régime local d'assurance maladie, qui vous est aujourd'hui présentée, tient
compte de ces différentes contraintes.
Elle énumère la liste des catégories d'assurés sociaux relevant du régime
général des salariés auxquelles le régime local d'assurance maladie est
applicable.
Elle assouplit le principe de territorialité en n'exigeant plus une condition
stricte de résidence pour percevoir les prestations, mais en subordonnant, pour
certaines catégories, le versement des prestations à une durée d'affiliation
continue. Des dispositions sont prévues pour permettre la réintégration des
exclus, d'autres pour les futurs retraités.
En conséquence, bien que ne résidant plus dans l'un des trois départements
d'Alsace-Moselle, les pensionnés de vieillesse ayant cotisé au cours de leur
vie active, les titulaires de pensions d'invalidité et de rentes d'accidents du
travail, les titulaires d'allocations de chômage et de préretraite, les anciens
chômeurs ayant quitté l'un des trois départements pour retrouver du travail et
les titulaires d'un avantage vieillesse qui étaient ayants droit d'un
bénéficiaire du régime - je pense notamment aux veuves - pourront tous
bénéficier du régime local, dans des conditions fixées par un décret en Conseil
d'Etat.
Toutefois, par dérogation au caractère obligatoire du régime local, les
personnes actuellement exclues, si elles veulent réintégrer le régime, devront
en faire la demande. Par ailleurs, la durée d'affiliation continue au régime
local précédant le départ en retraite ou la cessation d'activité devrait être
fixée par le décret à vingt trimestres, soit cinq ans, ainsi que je l'ai dit
tout à l'heure. Cette durée concernera également, indirectement, les
bénéficiaires de pensions de réversion et les ayants droit.
Les modifications apportées à ce dispositif par la commission des affaires
sociales - je tiens d'ailleurs à remercier solennellement le président de la
commission des affaires sociales, M. Fourcade, qui a toujours témoigné d'une
grande bienveillance à l'égard des demandes formulées par nos départements -
portent surtout sur des points de détail. Il s'agit essentiellement de
coordination.
Mais la commission vous propose aussi deux modifications plus substantielles,
mes chers collègues.
Tout d'abord, elle vous demande de supprimer le 3° de l'article L. 325-1 du
code de la sécurité sociale créé par l'article 4 de la proposition de loi. En
effet, le 3° ouvre le bénéfice du régime local d'assurance maladie aux salariés
bénéficiaires du régime qui, après avoir perdu leur emploi et s'être inscrits
comme demandeurs d'emploi, retrouveraient du travail dans une entreprise hors
région ; ils emporteraient en quelque sorte leur régime avec eux.
Tout en trouvant le système généreux, la commission a néanmoins considéré
qu'il posait de nombreux problèmes : le dispositif serait complexe pour
l'employeur, qui devrait accomplir des formalités spécifiques pour un seul
salarié ; il irait, en outre, à l'encontre du principe de territorialité que la
proposition de loi ne remet pas en cause ; il semble, enfin, difficilement
conciliable avec la protection complémentaire qui pourrait être prévue dans le
cadre conventionnel. Les mutuelles n'apprécieraient certainement pas. Pour
toutes ces raisons, la commission a souhaité supprimer ces dispositions.
Par ailleurs, la commission souhaite rappeler l'autonomie du régime, en
mentionnant que les cotisations sont déterminées par l'instance de gestion.
Ces deux modifications ont été présentées en accord avec l'instance de gestion
qui les a elle-même examinées avec les services techniques des ministères
concernés.
Au terme de ces explications et de ces observations, la commission des
affaires sociales vous invite, mes chers collègues, à adopter la proposition de
loi de nos collègues alsaciens et mosellans dans le texte qu'elle vous suggère.
La proposition de loi répond en effet à la demande des retraités hors région -
cela concerne donc l'ensemble des sénateurs - et corrige une inégalité
manifeste, sans remettre en cause l'équilibre du régime, qui - il faut le
souligner - continuera à s'autofinancer.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé, auprès du ministre de l'emploi et de la
solidarité.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la
proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise rejoint, je le sais, les
préoccupations de tous les sénateurs du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la
Moselle, quelle que soit d'ailleurs leur famille politique, comme l'a souligné
M. le rapporteur. Dois-je ajouter, monsieur le président, qu'elle intéresse
aussi vos collègues députés des départements concernés qui nous ont plusieurs
fois entretenus à ce propos ? Bref, voilà un sujet qui suscite compréhension et
unanimité.
Comme l'a rappelé excellemment le rapporteur, M. Jean-Louis Lorrain, le régime
local d'assurance maladie des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la
Moselle est un régime obligatoire, complémentaire du régime général, et géré,
depuis la loi du 25 juillet 1994 - il l'est d'ailleurs de façon remarquable,
ainsi que me le faisait remarquer à l'instant M. le président de la commission
- par une instance locale dotée d'un conseil d'administration. Il assure à ses
bénéficiaires, après intervention du régime général, un haut niveau de
protection sociale à travers la prise en charge du ticket modérateur - 100 %
pour les frais hospitaliers et 90 % pour les frais de soins ambulatoires -
ainsi que la couverture complète du forfait journalier.
Ce régime est actuellement réservé aux assurés sociaux du régime général qui
résident ou qui travaillent dans l'un des trois départements visés, en
contrepartie d'une cotisation supplémentaire prélevée sur leur salaire ou leur
retraite et dont le taux est décidé par le conseil d'administration de
l'instance gestionnaire.
Mais cette règle de la territorialité excluait du régime local d'assurance
maladie des retraités qui, bien qu'ils eussent cotisé au régime local pendant
leur vie professionnelle, prenaient leur retraite dans un autre département.
Cette règle, il faut le reconnaître, était difficilement défendable.
Conscients de ces problèmes, Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité
et moi-même ne pouvons donc que nous réjouir d'examiner cet après-midi des
dispositions visant à réparer cette injustice et à rétablir dans leurs droits
les personnes pouvant justifier d'un lien certain avec le régime local
d'assurance maladie.
A ce propos, permettez-moi de saluer le travail des parlementaires qui, en
concertation avec l'instance de gestion du régime local et les services du
ministère de l'emploi et de la solidarité, nous proposent des mesures que vient
de vous exposer M. le rapporteur.
Ces dispositions concernent tout d'abord les mères de familles, qui sont
actuellement exclues du fait du mode d'acquisition de leurs droits à
pension.
Elles visent par ailleurs trois catégories de personnes qui, bien que ne
résidant pas dans l'un des trois départements couverts par le régime, pourront
faire valoir leurs droits. Il s'agit des retraités qui ont cotisé par le passé
au régime sous réserve de remplir des conditions fixées par un décret en
Conseil d'Etat, des titulaires de pensions d'invalidité et de rentes
d'accidents du travail et enfin, des titulaires d'allocations de chômage et de
préretraite, dès lors qu'ils étaient affiliés au régime local avant le début de
versement de ces allocations.
Bien sûr, il faudra organiser cette réforme afin d'assurer - vous le comprenez
bien, mesdames, messieurs les sénateurs - la pérennité financière du régime.
C'est pourquoi un décret en Conseil d'Etat, qui ira dans le sens de
l'efficacité et de la justice défendues par les élus des trois départements
concernés, complétera le dispositif.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi présentée ce jour apportera, si elle est adoptée, une issue
favorable au combat que livrent, depuis plus de dix ans pour certains, les
retraités résidant hors région, afin d'être réintégrés dans le régime local
d'assurance maladie des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la
Moselle.
La signature de ce texte par l'ensemble des sénateurs des trois départements,
quelle que soit leur famille politique, marque une volonté forte et unanime de
mettre un terme à cette situation qui est qualifiée d'« injuste » par les
principaux intéressés et qui perturbe depuis trop longtemps les affaires
locales.
Le soutien unanime apporté à ce texte par l'ensemble des parlementaires de la
Haute Assemblée souligne aussi un certain attachement au droit local qui, outre
la sécurité sociale, comprend des dispositions applicables dans de nombreux
autres domaines comme la vie associative, les cultes, le droit communal ou
l'organisation judiciaire.
Pour la plupart des élus ou citoyens d'Alsace - Moselle que nous sommes, ces
règles provenant du droit allemand et du droit français en vigueur en 1871 et
maintenues pendant la période allemande régissent notre quotidien depuis notre
plus jeune âge.
Si le droit local peut être contraignant dans certains domaines, il semble que
les règles se rapportant à l'assurance maladie soient plus avantageuses que
celles du droit général. Mais, au-delà de l'intérêt que le régime local peut
susciter chez certains, la volonté d'affiliation à ce régime montre avant tout
un réel attachement. Ce dernier a d'ailleurs conduit, en 1991, à la
pérennisation du régime local d'assurance maladie, qui n'avait été institué en
1946 qu'à titre transitoire.
La particularité de ce régime est simple : un surplus de cotisation permet un
surplus de prestations sociales. Ce système a ainsi fonctionné depuis sa
création pour tous les actifs résidant ou travaillant dans les trois
départements ainsi que pour les retraités qui, durant leur carrière
professionnelle, s'étaient acquittés du surplus de cotisation, et ce même s'ils
décidaient de quitter la région une fois l'heure de la retraite venue.
C'est en 1986 que M. Philippe Séguin, alors ministre des affaires sociales et
de l'emploi, signa une circulaire rappelant la règle de territorialité stricte
rattachant les assurés à leur caisse de résidence. Cette circulaire
s'imposait-elle à l'époque ? Elle a en tout cas déclenché des tempêtes de
protestations non seulement chez les retraités, mais aussi chez les
préretraités ou les anciens chômeurs ayant quitté l'un des trois
départements.
Ces protestations étaient légitimes, nous semble-t-il, surtout au regard de
ceux qui, après avoir cotisé pendant quarante ans, se sont retrouvés exclus de
« leur » régime.
Par deux fois, la Cour de cassation a confirmé le non-droit aux prestations du
régime local pour les retraités hors région.
Ces décisions ont alors conduit à de vastes concertations entre les
parlementaires et les instances locales en charge des affaires de sécurité
sociale, afin de trouver une solution à ce problème complexe. Un compromis a pu
être trouvé. Il a donné naissance à un premier texte qui fut déposé en avril
dernier par le précédent gouvernement dans le cadre du projet de loi portant
diverses dispositions d'ordre économique et financier.
Si la dissolution de l'Assemblée nationale a contribué prématurément à un
changement de majorité ainsi qu'à la mise en place d'un nouveau gouvernement,
elle a toutefois empêché l'examen de ce texte.
Notre combat ne s'est pas arrêté pour autant. La présente proposition de loi
reprend ainsi le texte déposé en avril dernier et pourra donner une base légale
au compromis élaboré par les parlementaires et les instances concernées.
Ce compromis tient compte des difficultés d'ordres juridique et financier que
pourrait poser l'extension du régime local. Il prévoit notamment trois séries
de dispositions.
Tout d'abord, il vise à assujettir les retraités hors région à une cotisation
supplémentaire sur leur assurance vieillesse ; les caisses primaires hors
région seraient alors remboursées sur les prestations allouées à titre
complémentaire par l'instance régionale de gestion du régime local, comme c'est
actuellement le cas pour les actifs.
Ensuite, le compromis tend à fixer une durée d'affiliation continue de cinq
ans avant le départ en retraite ou la cessation d'activité afin de bénéficier
du régime local.
Enfin, il a pour objet de rendre facultative l'affiliation au régime local
pour les intéressés afin de ne pas concurrencer le secteur mutualiste, auquel
certains ont souscrit depuis quelques années.
Ces diverses mesures tendent non seulement à assouplir le principe de
territorialité stricte mais aussi à préserver l'équilibre économique du régime
local, qui continuera à s'autofinancer. De plus, en subordonnant pour certaines
catégories le versement des prestations à une durée d'affiliation continue,
elles visent à retirer au dispositif tout caractère rétroactif, générateur
d'inégalités.
Il est aujourd'hui nécessaire de régler par la voie législative une situation
kafkaïenne vécue par des milliers de personnes, tels les retraités, les
titulaires de pensions d'invalidité et de rentes d'accidents du travail, les
titulaires d'allocations de chômage et de préretraite ou les anciens chômeurs
ayant quitté l'un des trois départements pour retrouver du travail.
Pour eux, pour leurs ayants droit, pour les élus et les citoyens d'Alsace -
Moselle et des départements frontaliers, le groupe socialiste votera cette
proposition de loi qui, sans remettre en cause l'équilibre financier du régime
local d'assurance maladie, corrigera une inégalité flagrante.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
qu'il me soit permis ici de remercier et de féliciter notre éminent collègue,
Daniel Hoeffel : à travers une proposition de loi à laquelle ses collègues
alsaciens et mosellans se sont unanimement associés, il a posé, pour le voir
résolu je l'espère, un problème qui, depuis de longues années, blesse le sens
de la justice de plus de vingt mille de nos compatriotes et lèse ces derniers
sur le plan matériel.
L'excellent rapport de notre collègue Jean-Louis Lorrain est suffisamment
explicite pour qu'il n'y ait à revenir ici ni sur l'objet ni sur l'architecture
du texte qui nous est soumis.
Je voudrais cependant, parce que cela me paraît important, souligner ici dans
quel état d'esprit il nous arrive, souvent, de revendiquer et de défendre -
parfois âprement, - des spécificités qui sont propres aux départements du
Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.
Ces spécificités touchent à bien des domaines : la protection sociale, qui
nous occupe aujourd'hui, le statut du clergé, les cultes, l'enseignement, le
droit des associations, la faillite civile, la chasse, l'apprentissage,
l'artisanat, le régime foncier, le droit communal... et encore cette
énumération n'est-elle pas exhaustive.
Si nous sommes attachés à ces spécificités, ce n'est en aucune manière pour
nous singulariser, ni pour cultiver une nostalgie un peu passéiste, mais parce
que nous pensons que, si elles ont été sauvegardées, par-delà le temps et
par-delà les régimes politiques, c'est en raison du réel intérêt qu'elles
présentaient pour nos populations.
Il fallait bien que puissent être dégagés de la gangue qu'a laissée notre
histoire tourmentée, ici ou là, des éléments plus précieux, qui méritent d'être
pérennisés.
Cela n'enlève rien, bien au contraire, à l'attachement que les Alsaciens et
les Mosellans portent à la patrie, ni à leur fidélité aux valeurs et aux lois
fondamentales de la République.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui concerne tous ceux et
toutes celles qui ont travaillé dans nos trois départements pendant au moins
cinq ans.
Cotisant au régime local d'assurance maladie à un taux supérieur au taux
général, ils ont acquis ainsi des droits à une indemnisation en rapport avec le
montant de leur cotisation.
Il s'agit non pas d'un droit acquis, au sens où on l'entend généralement,
c'est-à-dire d'un droit consenti gratuitement puis pérennisé, mais bien d'un
droit pour lequel ils ont payé le juste prix.
Les hasards de la vie ont pu les conduire hors de nos départements, à la suite
de changements familiaux ou professionnels, ou tout simplement parce qu'ils ont
choisi de vivre leur retraite sous d'autres cieux dans notre hexagone.
Il y a aussi ceux, fort nombreux, qui, domiciliés dans des départements
limitrophes des nôtres, y sont venus tous les jours de leur vie de labeur,
parce que c'est là qu'ils avaient trouvé un emploi.
Tous ceux-là ont cotisé au régime local ; tous ceux-là doivent pouvoir
continuer de s'en prévaloir.
L'instance de gestion a calculé très scrupuleusement l'incidence financière
qu'aurait l'approbation du texte qui nous est soumis, et ce à court, à moyen et
à long terme. L'équilibre du régime concerné ne s'en trouve en aucune manière
mis en danger.
Par ailleurs, des seuils ont été fixés afin que seuls ceux envers qui une
dette significative a été contractée soient les bénéficiaires des dispositions
que nous nous apprêtons à voter.
L'adoption de la présente proposition de loi constituera l'aboutissement d'un
long combat mené par des hommes et des femmes qui se sont sentis spoliés,
combat auquel se sont associés, avec pugnacité, en maintes circonstances, la
plupart des parlementaires de nos trois départements.
Leur combat était un combat pour l'équité. Il est aussi le nôtre. C'est
pourquoi, comme mes collègues du groupe du Rassemblement pour la République,
c'est avec beaucoup de détermination que je voterai la proposition de loi qui
nous est soumise.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
cette proposition de loi n'est pas intéressante pour les seuls parlementaires
du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : elle l'est également pour ceux
d'autres départements, en particulier lorsqu'y habitent des personnes qui ont
travaillé toute leur vie dans l'un des départements d'Alsace-Moselle avant d'en
partir et de perdre de ce fait des droits qu'ils n'auraient jamais dû perdre,
tandis que ceux qui, au contraire, avaient travaillé toute leur vie en dehors
de ces départements ont gagné, au bout de trois mois de résidence, des droits
que les premiers avaient perdus.
J'interviens à cette tribune pour deux raisons.
La première est que, dès le 30 mars 1995, c'est-à-dire bien avant avril 1997,
date du dépôt du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique
et financier de M. Juppé, j'avais adressé une question écrite à Mme le ministre
d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville de l'époque,
Mme Simone Veil.
Dans cette question, je décrivais ce que je considérais comme une injustice,
et je proposais même une solution : « La solution équitable serait sans doute
de n'admettre au remboursement majoré que ceux qui auraient cotisé à une caisse
d'Alsace-Moselle pendant un certain temps - cinq ans, dix ans, quinze ans - dès
lors qu'ils n'y auraient pas fait toute leur carrière et qu'ils y prennent ou
non leur retraite. »
Mais j'ajoutais - et c'est la seconde raison pour laquelle je suis monté à
cette tribune, moi qui ne suis pas parlementaire du Bas-Rhin, du Haut-Rhin ou
de la Moselle - qu'une autre solution « consisterait à étendre à l'ensemble du
pays le régime dont bénéficient seules l'Alsace et la Moselle ». Mais on ne
nous l'a jamais proposé !
C'est d'ailleurs un reproche amical que je fais souvent dans cette enceinte à
nos collègues d'Alsace et de Moselle : encore tout à l'heure, notre collègue M.
Eckenspieller ne nous a-t-il pas fait part de son attachement au droit local,
qu'il nous a dépeint sous tous ses contours ? Même si certains de ces contours
ne provoquent pas notre envie, d'autres la provoquent, et j'ai souvent dit
qu'il ne faudrait pas faire regretter aux habitants du Territoire de Belfort,
par exemple, que, leur ville ait résisté en 1870-1871.
(Sourires.)
Pourquoi, dans ces conditions, ne pas nous proposer, lorsque
vous demandez à bénéficier des avantages d'une nouvelle législation, d'étendre
à l'ensemble du pays des avantages que vos départements ont seils et auxquels
vous vous dites, à juste titre, attachés ?
Si j'ai tenu à m'exprimer aujourd'hui sur ce point, monsieur le secrétaire
d'Etat, c'est qu'il n'est pas trop tard, me semble-t-il, pour que vous pensiez
vous-même qu'il faut faire profiter l'ensemble de nos concitoyens de ce
merveilleux régime de sécurité sociale des départements d'Alsace et de
Moselle.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er