M. le président. M. Christian Demuynck attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les conséquences des régularisations d'étrangers en situation irrégulière prévues par la circulaire du 24 juin 1997.
Peu avant la parution de ce texte, le Gouvernement avançait le nombre de 10 000 à 40 000 étrangers qui pouvaient être concernés par cette mesure. Mais, le 27 septembre dernier, le ministre de l'intérieur déclarait que 110 000 étrangers avaient déjà demandé à être régularisés.
Cette circulaire et l'annonce de la modification des lois Pasqua et Debré vont conforter à l'étranger l'idée que la France est à nouveau ouverte à une immigration non maîtrisée. Elles vont inévitablement avoir pour conséquence une hausse de l'immigration irrégulière et un développement des réseaux d'acheminement des clandestins.
Enfin, elles provoqueront un afflux supplémentaire de demandes de logements et d'emplois. On peut légitimement se demander comment notre pays sera en mesure de répondre à de nouveaux besoins locatifs et comment sera supporté socialement et économiquement un surcroît de candidats sur le marché du travail.
Il lui demande, d'une part, si le Gouvernement a fait une étude détaillée sur les répercussions de ces régularisations en matière sociale, de logement, d'emploi, et s'il est prévu d'aider les collectivités qui devront supporter les décisions du Gouvernement en accueillant de nouveaux immigrés.
Il lui demande, d'autre part, s'il peut lui communiquer le nombre exact de dossiers déjà traités ainsi que le pourcentage de réponses positives. (N° 6 rect.)
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, l'une des premières décisions du Gouvernement a été de rédiger la circulaire du 24 juin 1997 destinée à régulariser certaines catégories d'étrangers en situation irrégulière. C'est d'ailleurs jusqu'au 1er novembre que les bénéficiaires pourront déposer leur demande.
Monsieur le ministre, lors de la traditionnelle réunion avec les préfets que vous avez tenue place Beauvau à la veille de la publication de cette circulaire, le nombre annoncé de dossiers susceptibles d'être soumis aux préfectures était de 10 000 à 40 000. Mais, le 25 septembre dernier, vous disiez à la presse que 110 000 étrangers avaient déjà déposé leur demande. Ces chiffres sont bien la preuve, s'il en était besoin, de l'importance de l'immigration clandestine dans notre pays ! La mise en place de ces régularisations et l'annonce de la modification des lois Pasqua et Debré ont très certainement contribué à favoriser l'arrivée de clandestins et à développer les réseaux d'acheminement. Elles vont inévitablement conforter à l'étranger l'idée que la France est à nouveau ouverte à une immigration non maîtrisée et qu'il sera plus facile d'y obtenir des papiers.
Chaque fois qu'un nouvel arrivant s'installe dans notre pays se pose un problème de coût pour notre société : ou bien il a recours au travail clandestin, avec toutes les répercussions économiques que nous connaissons, ou bien il se retrouve à terme sur le marché du travail, ce qui aggrave encore davantage la situation de l'emploi.
On peut légitimement se demander non seulement comment notre pays pourra supporter, socialement et économiquement, un surcroît de candidats au travail, mais aussi comment il pourra être en mesure de répondre à de nouveaux besoins locatifs.
Enfin, les collectivités locales sont elles aussi en première ligne dans l'accueil de nouveaux étrangers, qui n'hésitent pas à s'adresser aux centres communaux d'action sociale pour demander des aides financières dès qu'ils sont régularisés.
Monsieur le ministre, pouvez-vous me préciser si le Gouvernement a fait une étude détaillée sur les répercussions de ces régularisations dans le domaine social, ainsi que dans les domaines du logement et de l'emploi, et s'il est prévu d'aider les collectivités qui devront assumer les décisions du Gouvernement, et donc accueillir de nouveaux immigrés ?
Pouvez-vous également nous communiquer le nombre exact de dossiers qui ont déjà été traités conformément à la circulaire du 24 juin, ainsi que le pourcentage de réponses positives ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, il n'est absolument pas exact que le Gouvernement ait jamais avancé un chiffre. Par le biais de la circulaire que j'ai signée le 24 juin 1997, il a défini des critères à partir desquels un certain nombre de réexamens sont actuellement effectués.
A l'heure qu'il est, environ dix mille cartes de séjour temporaires ont été délivrées à des étrangers qui se trouvaient dans des situations ni régularisables ni susceptibles d'entraîner une reconduction à la frontière. Je pense en particulier au cas de conjoints de Français ou d'étrangers ou d'apatrides en situation régulière, et au cas de parents d'enfants français.
De telles situations ne pouvaient pas se prolonger. Vous devriez objectivement, monsieur le sénateur, reconnaître ce fait. Il fallait donc y mettre un terme.
C'est ce que j'ai fait, répondant à l'appel du Premier ministre, qui demandait qu'il soit mis fin à ces situations inextricables et insupportables.
C'est ainsi que, le 24 juin 1997, j'ai signé une circulaire qui définit une procédure. Cette dernière se déroule d'une manière régulière. Des moyens ont été accordés aux préfectures, au sein desquelles les services des étrangers ont fort à faire pour répondre aux demandes de réexamen. Il est prévu que chaque étranger en situation irrégulière puisse être entendu.
Je pense que nous devrions être en mesure d'examiner toutes les demandes avant le 30 avril 1998. Cette durée est plutôt courte par rapport à des expériences comparables conduites soit en France, soit dans des pays voisins.
Pour en terminer sur la circulaire, j'ajoute que le nombre de refus est actuellement légèrement inférieur à celui des acceptations. Il n'y a naturellement pas de pourcentage significatif. Aucun ne saurait d'ailleurs avoir une valeur indicative puisque ce réexamen se fait sur la base de critères au demeurant difficilement contestables.
Je voudrais attirer votre attention, monsieur le sénateur, sur le fait que la France a signé la Convention européenne des droits de l'homme, qui reconnaît, dans son article 8, « le droit de vivre en famille ».
Que faisons-nous d'autre que tirer toutes les conséquences de ce fait ?
Que faisons-nous d'autre que restaurer le droit d'asile en France pour des étrangers qui combattent dans leur pays pour y défendre nos valeurs - les valeurs républicaines - et pour y construire un Etat de droit ?
Que faisons-nous d'autre que manifester une simple humanité en ne renvoyant pas des étrangers qui sont atteints de pathologies graves et qui doivent être soignés ?
Le but que vise le Gouvernement est de faire en sorte qu'il soit mis un terme à ces situations regrettables. Naturellement, ceux qui ne seront pas régularisés auront vocation à retourner dans leur pays d'origine, que ce soit tout à fait clair ! Je n'ai pas besoin de m'en expliquer davantage, je l'ai fait suffisamment en d'autres lieux.
Par ailleurs, le projet de loi sur l'entrée et le séjour des étrangers, qui sera vraisemblablement soumis à l'examen de votre commission des lois, vise aussi, entre autres, à lutter contre l'immigration irrégulière, et cela de plusieurs façons.
D'abord, il précise les catégories d'étrangers qui ont vocation à séjourner en France. Il s'agit, par exemple, des réfugiés politiques bénéficiaires du droit d'asile constitutionnel ou territorial. Il s'agit encore des familles et des proches des étrangers, qui pourront bénéficier d'une carte de séjour « situation personnelle et familiale ». Notre but est bien de stabiliser les immigrés qui sont installés en France de longue date et qui ont vocation d'ailleurs, s'ils le désirent, à s'intégrer, et non de les déstabiliser.
Parmi les étrangers qui ont vocation à séjourner en France figurent aussi les étudiants, les scientifiques, les investisseurs. J'entendais la plus haute autorité de l'Etat citer récemment tel pays en exemple - l'Australie pour ne pas le nommer - qui avait su mener, en direction des pays du Sud-Est asiatique, une politique d'accueil des étudiants, à tel point que les redevances versées par ces derniers étaient devenues le deuxième poste positif de la balance des paiements de l'Australie ! Sans parler évidemment des bénéfices que l'Australie recueille du fait que ses universités sont un rendez-vous pour les étudiants de toute cette partie du monde.
La France a un rôle analogue à jouer, me semble-t-il. Il est regrettable que le nombre d'étudiants d'origine africaine ait baissé, en France, de 20 000 entre 1992 et 1996. Cela n'est nullement souhaitable. La France devrait, au contraire, se montrer accueillante pour ces pays de l'espace francophone, dont les élites ne doivent pas être dirigées vers le Canada ou les Etats-Unis.
Le projet de loi aggrave considérablement les sanctions pénales, qu'il s'agisse des peines d'amende ou de prison, à l'encontre des personnes qui, « en bande organisée », facilitent l'entrée et, souvent, l'exploitation dans des conditions inhumaines d'étrangers en situation irrégulière.
Enfin, il vise à rendre effective la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, par un allongement de la durée possible de la rétention - douze jours - pour les personnes qui, en introduisant le doute sur leur identité et donc leur nationalité, par exemple en détruisant des documents de voyage, cherchent à faire obstacle à cette reconduite.
Les personnes qui seront régularisées sont, je le rappelle, des personnes actuellement présentes en France. Par conséquent, votre question n'a pas d'objet, monsieur le sénateur.
La régularisation ne provoquera aucun afflux supplémentaire de demandes de logement et d'emploi.
Les statistiques sont rendues publiques au début de chaque mois. J'agis donc en totale transparence. C'est au début du mois de novembre prochain que vous disposerez des chiffres relatifs à l'ensemble de ces demandes, puisque le délai de clôture intervient, je le rappelle, le 31 octobre.
M. Christian Demuynck. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, vous m'avez indiqué que vous n'aviez jamais prononcé de chiffre. J'ai ici des articles de presse...
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas la même chose !
M. Christian Demuynck. ... montrant, me semble-t-il, que le nombre de régularisations a évolué dans le temps.
Le débat d'aujourd'hui, à l'occasion d'une question orale, est relativement court. Mais je vous rappelle que j'ai demandé, avec un de mes collègues de la Seine-Saint-Denis, M. Abrioux, à vous rencontrer depuis la parution de la circulaire que vous avez bien voulu signer. Or malheureusement, à ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse de votre part. Nous aurions bien aimé débattre de ces questions avec vous-même, ou avec la personne de votre cabinet que vous auriez bien voulu désigner, car le département de la Seine-Saint-Denis est confronté de plein fouet au problème de l'immigration.
Lorsque vous dites que ma question n'a pas d'objet, je me dois de vous contredire, monsieur le ministre. Elle en a un, et il est même très important ! Il est le suivant : en Seine-Saint-Denis, nous ne parvenons déjà pas à loger d'une manière convenable les immigrés qui sont en situation régulière. Nous allons donc ajouter la misère à la misère, et ce sont les centres communaux d'action sociale qui vont être obligés de gérer le problème !
Monsieur le ministre, vous ne m'avez pas répondu lorsque je vous ai interrogé sur le coût de cette immigration supplémentaire régularisée. Les étrangers qui se trouvent actuellement en situation irrégulière ont plutôt tendance à ne rien demander, hormis l'inscription de leurs enfants dans les écoles. Or, une fois qu'ils seront régularisés, ils feront sans aucun doute valoir leurs droits, et cela représentera un coût pour la société.
C'est à cette question que j'aurais souhaité vous entendre répondre, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. En principe, je ne peux pas vous la donner, monsieur le ministre. En effet, il n'est pas prévu que le Gouvernement reprenne la parole.
Et puis, une audience ayant été sollicitée...
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Elle est accordée !
M. Christian Demuynck. C'est formidable !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Un de mes collaborateurs vous recevra, monsieur le sénateur.
M. le président. Nous en resterons donc là !
Messieurs les ministres, permettez-moi de vous rappeler à nouveau la règle : le parlementaire dispose de trois minutes pour développer sa question, puis d'un temps de parole qui ne peut excéder deux minutes pour répondre au Gouvernement. En théorie, il n'est pas prévu de limite de temps pour la réponse du Gouvernement, mais nous souhaitons que celle-ci soit brève, d'autant plus que dix-huit questions sont inscrites à l'ordre du jour de cette matinée !

DIFFICULTÉS D'INDEMNISATION

RENCONTRÉES PAR CERTAINES VICTIMES D'ATTENTAT M. le président. M. Gilbert Chabroux attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les difficultés d'indemnisation rencontrées par certaines victimes d'attentat.