M. le président. « Art. 14. _ I. _ L'article 222-22 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les agressions sexuelles sont commises à l'étranger contre un mineur par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et les dispositions de la seconde phrase de l'article 113-8 ne sont pas applicables. »
« II. _ Le dernier alinéa de l'article 227-26 du code pénal est supprimé.
« III. _ Il est inséré, après l'article 227-27 du code pénal, un article 227-27-1 ainsi rédigé :
« Art. 227-27-1 . _ Dans le cas où les infractions prévues par les articles 227-22, 227-23 ou 227-25 à 227-27 sont commises à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et les dispositions de la seconde phrase de l'article 113-8 ne sont pas applicables. »
Par amendement n° 34, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose :
« I. Dans le texte présenté par le I de l'article 14 pour compléter l'article 222-22 du code pénal, de supprimer les mots : "ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français".
« II. Dans le texte proposé par le III de l'article 14 pour l'article 227-27-1 du code pénal, de supprimer les mots : "ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Nous abordons maintenant le problème de la répression des agressions sexuelles commises à l'étranger - le tourisme sexuel, pour reprendre le langage commun.
Ce débat très important avait été ouvert - le Sénat voudra bien s'en souvenir - en 1994, lors de la discussion du projet de loi sur la peine incompressible de trente ans, que j'avais eu l'honneur de rapporter. A l'époque, nous avions demandé que cette question ne soit pas examinée à cette occasion, estimant qu'une réflexion plus approfondie était nécessaire.
Le temps ayant creusé son sillon, la commission des lois a examiné la proposition et elle a exprimé son accord - le développement du tourisme sexuel est, en effet, effrayant par certains côtés - sur le fait qu'il soit bien précisé que les délits commis à l'étranger seront réprimés, même lorsque la législation du pays où ils sont commis ne prévoit pas ce type de répression.
Toutefois, la commission des lois a fait remarquer que le désir de réprimer ce genre d'activité coupable a été étendu non seulement aux Français, mais également aux personnes qui résident habituellement en France.
A cet égard, elle a soulevé une objection, dans la mesure où il n'existe pas de définition pénale de la notion de résidence habituelle en France. Par ailleurs, c'est créer une innovation tout à fait particulière, puisque les dispositions générales concernant l'application de la loi pénale française pour les crimes et délits commis à l'étranger, c'est-à-dire les articles 113-6 et 113-7 du code pénal, ne font pas un sort particulier aux personnes résidant habituellement en France.
L'article 14, en visant également ces simples résidents, risques d'entraîner de nombreuses difficultés d'application, s'agissant surtout d'une innovation pénale. En effet, ce renversement de la situation, sans exiger qu'il y ait une loi pénale répressive dans le pays où le fait sera commis, donnera probablement lieu à de nombreuses difficultés en matière d'établissement de la preuve. C'est la raison pour laquelle - ceux qui étaient présents en 1994 s'en souviennent - la commission et son rapporteur, à l'époque, avaient demandé beaucoup de prudence sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je voudrais intervenir quelque peu longuement sur cet amendement, parce que j'attache une particulière importance au texte présenté par le Gouvernement. J'espère convaincre M. le rapporteur ainsi que le Sénat de la nécessité de maintenir le texte.
Le Gouvernement propose d'étendre la territorialité de la loi française pour les infractions de nature sexuelle commises à l'étranger sur des enfants à l'encontre des étrangers qui résident habituellement en France.
Je crois que c'est là une impérieuse nécessité. Je vais tâcher de vous convaincre en vous donnant un exemple précis. Un groupe de personnes résidant en France a l'habitude de passer ses vacances dans des pays d'Extrême-Orient pour s'y livrer à des faits de tourisme sexuel sur des mineurs. La preuve de ces faits a été rapportée devant les tribunaux. Est-il dès lors normal que ne soient poursuivies et condamnées que les personnes de ce groupe qui sont de nationalité française, et non celles qui sont de nationalité étrangère ?
Ce n'est malheureusement pas un cas d'école. La presse s'est fait l'écho de procès en cours concernant de tels faits. Il a par ailleurs été signalé à la Chancellerie, dans des procédures similaires, le cas d'un ressortissant allemand qui s'est définitivement installé en France et qui commet régulièrement de tels actes depuis plusieurs années. Ces faits ont été démontrés dans la procédure, mais seuls des Français ont été renvoyés devant le tribunal puisque la loi française, en l'état de notre droit, ne s'applique pas à ce ressortissant allemand.
Evidemment, les faits ont été dénoncés aux autorités judiciaires allemandes, mais celles-ci n'y ont pas donné suite parce que des poursuites nécessiteraient une procédure d'extradition.
Si notre loi n'est pas modifiée, cet étranger continuera encore de profiter de la misère des enfants du tiers monde avec la certitude de demeurer impuni.
Je ne voudrais pas que la France devienne ainsi la base arrière des pervers sexuels étrangers, une sorte d'enclave de non-droit leur permettant, entre deux séjours dans des pays où ils peuvent satisfaire leur vice, de se reposer tranquillement.
Une telle situation n'est pas tolérable. C'est pourquoi le Gouvernement, qui s'y est d'ailleurs engagé avec ses partenaires européens, vous demande d'étendre les règles de l'extraterritorialité aux étrangers résidant de manière habituelle sur notre territoire.
Vous objectez, monsieur le rapporteur, que cette notion, nouvelle en droit pénal, serait difficile à appliquer. Je ne crois pas que ce soit exact. La notion de résidence habituelle d'un étranger existe en effet déjà dans notre droit et elle a des conséquences en droit pénal, depuis de longues années d'ailleurs.
Elle apparaît dans l'ordonnance de 1945 sur les étrangers en matière d'interdiction du territoire et elle figure désormais dans l'article 131-30 du nouveau code pénal adopté par le Sénat en juillet 1992 et modifié en août 1993. Un étranger qui réside habituellement en France depuis dix ans ne peut ainsi faire l'objet d'une peine d'interdiction du territoire, sauf décision spécialement motivée de la juridiction.
Ce concept de résidence habituelle n'est donc pas nouveau. C'est certes une question de fait, mais elle n'a, à ma connaissance, jamais soulevé de difficulté particulière d'application.
Il n'y a donc pas, à mes yeux, de raison juridique de refuser cette modification de notre droit. Il existe, au contraire, toutes les raisons, au regard de l'équité, de l'efficacité et de la cohérence de la répression, de suivre le texte du Gouvernement.
Je vous demande en conséquence avec, vous l'avez noté, une particulière conviction de ne pas adopter cet amendement, à moins que mes explications ne conduisent la commission à le retirer.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Madame le garde des sceaux, vos arguments m'ont convaincu. Je crois par ailleurs pouvoir dire, que sur ce banc, ma conviction est partagée. Toutefois, je relève que la notion de « résident habituel » est assez gênante alors que celle de « titulaire d'une carte de séjour » est très claire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour les Allemands, cela n'aurait pas suffit !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je reconnais tout de même que, devant l'intérêt de cette législation, que nous avons souligné en commission et que j'avais rappelé, en son nom au début de mes explications, il vaut mieux ne pas prendre le plus petit risque et tomber dans l'incohérence, que vous avez signalée, de ces cas où la France deviendrait une base de départ pour des groupes qui comprendraient à la fois des ressortissants et des résidents parmi lesquels seuls les premiers seraient condamnés, tandis que les autres échapperaient à toute sanction uniquement parce qu'ils n'auraient pas la qualité de Français.
A la vérité, il faudra peut-être approfondir notre réflexion sur ce sujet. En particulier, ne faudrait-il pas, par cohérence, avoir le même dispositif en cas de crime ? Mais, pour l'heure, la commission retire son amendement.
M. le président. L'amendement n° 34 est retiré.
Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
Article additionnel après l'article 14