M. le président. Par amendement, n° 73 rectifié, M. Gélard et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 14, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. Il est inséré, après l'article 227-27 du code pénal, un article 227-27-2 ainsi rédigé :
« Art. 227-27-2. - Est punie de 50 000 francs d'amende l'installation ou l'exploitation d'un établissement dont l'activité principale, apparente ou non, est d'offrir à titre gratuit ou onéreux des biens ou services à caractère pornographique dans une zone située à moins de cent mètres d'un établissement d'enseignement maternel, primaire ou secondaire, d'un établissement social, médico-social, d'animation culturelle ou de loisir pour la jeunesse ou d'une aire de jeux accueillant habituellement des mineurs.
« Les établissements offrant à titre gratuit ou onéreux des biens ou services à caractère pornographique, existant avant l'installation de l'un des établissements ou lieux mentionnés à l'alinéa précédant disposent d'un délai d'un an, à compter de cette installation, pour cesser d'offrir ces biens ou services ».
« II. Les établissements offrant à titre gratuit ou onéreux des biens ou services à caractère pornographique, existant avant la date de publication de la présente loi et tombant sous le coup de l'article 227-27-2 du code pénal disposent d'un délai d'un an, à compter de cette date, pour cesser d'offrir ces biens ou services. »
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je reprends ici un amendement qui a connu un sort malheureux à l'Assemblée nationale, en raison, me semble-t-il, d'une mauvaise entente sur le fond entre son auteur et le Gouvernement.
Il existe actuellement une législation bien connue qui interdit aux débits de boissons de s'implanter à moins de cent mètres d'un établissement scolaire ainsi que, pour mémoire, d'un cimetière ou d'une église. Le but n'est naturellement pas d'interdire les débits de boissons, mais il est d'épargner aux élèves la vue choquante d'un ivrogne sortant d'un tel établissement ou tentant d'y pénétrer.
Il en est de même en ce qui concerne les sex-shops et autres établissements vendant des produits pornographiques. Nous nous trouvons à l'heure actuelle devant un vide juridique à cet égard. Une loi de 1987 prévoit bien une législation concernant les publications interdites à l'affichage et à la vente aux mineurs.
Nous allons examiner, dans la suite de cette discussion, des dispositions analogues en ce qui concerne les supports audiovisuels. Mais il ne faut pas oublier que la pornographie ne se résume pas à de l'écrit ou à de l'audiovisuel. Cela peut être aussi une multitude d'objets mis en exposition, en vitrine, et cela peut être encore des incitations. D'où le dépôt de cet amendement.
Cet amendement a été rectifié pour tenir compte des critiques légitimes de certains de nos collègues qui estimaient qu'une distance de trois cents mètres, comme cela avait été proposé à l'Assemblée nationale, risquait d'aboutir à l'interdiction totale des sex-shops dans un certain nombre de villes. Nous avons, en toute raison, accepté de ramener cette distance à cent mètres.
Notre but n'est naturellement pas d'interdire les sex-shops et autres boutiques spécialisées dans la vente d'objets érotiques ou de livres et de supports audiovisuels ; il est d'éviter que, près des établissements scolaires, ne se rassemblent un certain nombre de personnes qui auraient pour intention non pas de fréquenter l'endroit, mais d'y attirer des jeunes.
C'est la raison pour laquelle sur cet amendement, auquel notre groupe tient particulièrement, je demanderai au Sénat de se prononcer par scrutin public.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. A partir du moment où la distance a été réduite de trois cents mètres à cent mètres et que l'amendement a été rectifié en conséquence, la commission y est favorable.
Je voudrais seulement ajouter à ce qu'a dit l'auteur de cet amendement que nous avons fait un travail complémentaire parce que, en commission - cela mérite d'être porté à la connaissance de nos collègues ici présents - nous nous sommes posé la question de l'accès des mineurs aux sex-shops.
A cet égard, nous avons découvert avec une certaine surprise qu'il n'existait pas de texte interdisant l'accès des mineurs aux sex-shops à la différence de ce qui existe, en vertu du décret du 15 mai 1992, pour l'accès aux salles de cinéma projetant des films X.
Au début, nous faisions un lien entre ce que demandait notre collègue M. Gélard et le problème de l'accès des mineurs. Par conséquent, je pense, madame le garde des sceaux, que cette question, qui peut être réglée par décret, pourrait être revue de manière à mettre en place un dispositif cohérent.
Si cet amendement est intégré dans la loi un jour, il faut évidemment qu'il y ait cohérence des règles applicables quant à l'accès aux lieux et quant au périmètre protégé.
La commission est donc favorable à l'amendement n° 73 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement n° 73 rectifié, de même que les amendements n°s 74 et 75, reprend les textes qui avaient été présentés par le précédent gouvernement et qui concernaient les sex-shops.
A la réflexion, ces dispositions paraissent juridiquement inutiles en raison de l'existence de l'article 99 de la loi du 30 juillet 1987 qui réprime de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 francs d'amende « le fait d'établir à moins de cent mètres d'un établissement maternel, primaire ou secondaire, un établissement dont l'activité principale est la vente et la mise à disposition du public de publications dont la vente aux mineurs est prohibée. »
Par conséquent, il me semble que ce texte nous permet déjà de répondre à la préoccupation exprimée par M. Gélard.
M. Alain Gournac. Cela ne suffit pas !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Pour toutes ces raisons, je souhaiterais que le Sénat n'adopte pas l'amendement n° 73 rectifié.
En ce qui concerne la préoccupation relative à l'accès aux sex-shops exprimée par M. le rapporteur, je suis tout à fait disposée, dans le cadre du décret, à examiner ce problème.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 73 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole, contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Qui fait l'ange fait la bête !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Qui est l'ange ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je veux dire qu'il faut vouloir ce qu'on ne peut pas empêcher. Or la question qui se pose est de savoir si ce genre d'établissements pousse aux crimes et aux délits que nous voulons tous éviter et réprimer, ou au contraire, il les évite. On peut, - on doit, me semble-t-il - en discuter à l'occasion d'un débat beaucoup plus large que celui-ci.
Il est vrai qu'il existe - j'allais employer le même argument que Mme le garde des sceaux, sans m'être concerté avec elle - cet article 99. Mais me direz-vous peut-être : cet article, qui prévoit une peine non pas de 50 000 francs, comme vous le proposez, mais de 200 000 francs d'amende, ne vise que les publications. Et vous qui avez l'air de bien connaître les sex-shops, mon cher collègue, vous ne pouvez certainement pas citer l'exemple d'un seul d'entre eux qui ne vende pas de publications interdites aux mineurs. C'est évident ! C'est leur fonds de commerce numéro un !
Sans doute y a-t-il d'autres produits. Un article du projet de loi que nous sommes en train d'examiner vise d'ailleurs à en interdire la vente aux mineurs. En prévoyant explicitement les cassettes et les publications, on couvre déjà bon nombre de productions.
Votre amendement tel qu'il nous a été soumis en commission prévoyait par ailleurs trois cents mètres.
M. Patrice Gélard. Ce n'est plus le cas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A ce moment-là, il présentait une différence importante avec la loi de 1987, qui indique cent mètres.
Le fait que, à la demande de M. le rapporteur, vous ayez ramené cette distance de trois cents mètres à cent mètres, sans, d'ailleurs, me semble-t-il, que M. le rapporteur se soit référé à la loi de 1987, vide votre amendement de sa substance.
Nous devrons revoir tout cela. Vous nous avez donné, à tous, l'occasion d'examiner la législation, et nous constatons qu'aucun texte général n'interdit l'entrée des sex-shops aux mineurs.
M. Charles Jolibois, rapporteur. C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour cela, il faut des arrêtés préfectoraux. Y en a-t-il dans tous les départements ? Je n'en sais rien ! Il nous faudrait, là encore, étudier la question de près.
Je m'étais demandé en commission s'il ne faudrait pas, en tout cas, préserver les droits acquis. Certains m'ont répondu que cela favoriserait par trop ceux qui sont déjà installés en interdisant la concurrence. D'autres m'ont fait remarquer que, sur tel ou tel boulevard de certains quartiers spécialisés de Paris, cela reviendrait à fermer de très nombreux établissements.
Voilà qui mérite en tout cas qu'on étudie la question de manière plus approfondie. Je reverrais aucun inconvénient à ce qu'un texte interdise l'entrée des sex-shops aux mineurs, ce que vous ne demandez d'ailleurs pas.
La disposition que vous proposez n'allant pas assez loin et faisant double emploi avec un texte existant, nous ne voterons pas cet amendement.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je reconnais, une fois de plus, les talents d'avocat de M. Dreyfus-Schmidt, mais il ne m'a pas convaincu dans ce domaine.
La législation actuellement en vigueur est notoirement insuffisante. Il n'était même pas question jusqu'à présent des cassettes audiovisuelles. Heureusement, nous allons aborder ce sujet. Mais des objets à caractère pornographique et bien d'autres éléments incitant à la pornographie ne sont toujours pas visés.
En fait, le véritable problème n'est pas là. Il convient d'éviter qu'à proximité d'un établissement scolaire ne se trouve un lieu rassemblant éventuellement des pervers et d'autres de ce type. Je ne veux pas dire, loin de moi cette idée, qu'il n'y a que des pervers dans les sex-shops ! Des personnes très bien fréquentent ce type d'établissement, ne serait-ce que pour se cultiver. (Sourires.) Mais il n'empêche que ces établissements peuvent poser problème s'ils se trouvent à proximité d'un établissement scolaire. Telle est la raison pour laquelle je maintiens mon amendement. Il s'agit du même problème que celui qui se pose pour les cafés.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Je constate que mes collègues ont une expérience des sex-shops sur laquelle je ne m'étendrai pas ; c'est le mot d'ailleurs qui convient ! (Nouveaux sourires.)
Si cet amendement était adopté, il aurait pour conséquence, dans un certain nombre de villes, la suppression totale des sex-shops. Sans être spécialement favorable à ces établissements, où je n'ai d'ailleurs jamais mis les pieds, je crois que faire l'amalgame entre sex-shops et la perversion, agression sexuelle ou viol est extrêmement grave.
Je me rappelle le cas d'un pays, pas très loin de nous, qui, dans un temps pas si lointain, avait, au nom de la morale, interdit totalement un certain nombre de magazines, de lieux, etc. et où l'on a assisté, « en compensation », à une importation massive de magazines non-pornographiques présentant des lingeries féminines sur lesquels les hommes se rabattaient, faute d'autre chose. Car, quand on se met à fantasmer, mon cher collègue, on fantasme sur tout !
Nous ne sommes pas là pour réglementer les fantasmes, qui sont d'ailleurs inévitables. Une société sans fantasmes serait singulièrement triste et de surcroît impossible à mettre en oeuvre, l'humain et le fantasme étant heureusement liés.
Quand je lis : « à moins de 100 mètres d'un établissement d'enseignement maternel, primaire ou secondaire », je suis d'accord. C'est la suite qui m'inquiète, à savoir : « d'un établissement social, médico-social, d'animation culturelle ou de loisir pour la jeunesse ou d'une aire de jeux ». Je ne crois pas, en effet, qu'il subsiste dans nos villes un seul endroit ne correspondant pas à ce type de définition !
M. Alain Journac. Il s'agit uniquement des lieux destinés aux enfants.
Mme Joëlle Dusseau. Cet amendement aboutira donc inéluctablement à l'interdiction des sex-shops, ce qui me paraît être une erreur.
M. Nicolas About. Nous pensons à la jeunesse !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 73 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos. (Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 11:
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 316159 |
Pour l'adoption | 219 |
Contre | 97 |
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 14.
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