M. le président. « Art. 1er. _ Le schéma national d'accueil des gens du voyage définit les conditions d'accueil des gens du voyage dans le cadre des grandes migrations traditionnelles.
« Dans le respect des orientations de la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire, le schéma national fixe la liste des terrains susceptibles d'être utilisés à cette fin et prévoit les aménagements nécessaires qui devront être réalisés sur ces terrains.
« Le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire créé par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire et la commission nationale consultative des gens du voyage sont associés à l'élaboration du projet de schéma national d'accueil des gens du voyage. Ils donnent leur avis sur ce projet. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 10, le Gouvernement propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 3 rectifié, M. Peyronnet et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le premier alinéa de l'article 28 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement est ainsi rédigé :
« Un schéma départemental prévoit les conditions d'accueil spécifiques des gens du voyage, en ce qui concerne le passage et le séjour, en y incluant, notamment, les conditions de stationnement de longue ou de courte durée sur des terrains publics ou privés ainsi que les conditions relatives à la scolarisation des enfants et à l'exercice d'activités économiques. Le schéma départemental prend en compte l'intégration dans la commune, l'environnement naturel et la proximité des équipements publics. Il prévoit, en outre, les conditions de l'accueil des grands rassemblements. Il est élaboré conjointement par l'Etat et le conseil général dans le délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi n° du relative aux conditions de séjour et de stationnement des gens du voyage. Il est créé un répertoire national d'accueil des gens du voyage constitué à partir de la synthèse des schémas départementaux. Celui-ci est publié par le Gouvernement, qui en vérifie la cohérence après consultation de la Commission nationale des gens du voyage. »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour présenter l'amendement n° 10.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Nombreux sont ceux qui, dans la discussion générale, ont surtout apporté des témoignages. Je leur en donne acte et leur donne l'assurance que les éléments qu'ils ont produits devant la Haute Assemblée seront autant de pièces qui s'ajouteront au dossier que nous constituons dans notre démarche concertée avec les grandes associations nationales, de manière à prendre en compte d'autres préoccupations que celles qui font l'objet de la présente proposition de loi. M. le rapporteur l'a dit avec raison tout à l'heure, cette proposition de loi n'a pas la prétention de résoudre tous les problèmes posés, même si, en l'état, le Gouvernement souhaite, effectivement, l'amender.
Ce qui ressort avant tout de la discussion générale, c'est que, trop souvent, la loi est violée, et personne, au Gouvernement, ne peut accepter que des situations illégales perdurent.
La difficulté tient au fait que ces violations de la loi, ou en tout cas sa non-application, incombent non seulement aux gens du voyage mais également à nombre de collectivités qui n'ont pas encore accepté d'appliquer la loi.
Comment voulez-vous que les pouvoirs publics aient l'autorité suffisante pour faire respecter la loi dans la mesure où d'autres autorités publiques ne l'appliquent pas ?
Plusieurs orateurs ont rappelé que, sept ans après la mise en oeuvre de la loi de 1990, seul un département sur deux s'était doté d'un schéma départemental en aires d'accueil de gens du voyage. Quant à M. Eckenspieller, il a souligné que moins de 30 % des communes soumises à cette obligation la satisfaisaient.
Il est, dès lors, inéluctable qu'il y ait des tensions, et les choses se passent bien comme on les a présentées : bien souvent, les gens du voyage, à défaut d'aire d'accueil, usont du droit constitutionnel que constitue la liberté d'aller et de venir, utilisent le rapport de forces que leur donne le nombre pour créer une situation face à laquelle les pouvoirs de police sont démunis.
Il faut sortir de ce cercle vicieux, où toutes les conditions sont effectivement réunies pour déboucher sur des blocages, des affrontements, des tensions. Nous ne devons pas avaliser les causes de ces tensions.
La présente proposition de loi peut donc être interprétée comme un signe de bonne volonté incitant déjà à appliquer davantage le texte existant, dont je suis le premier à reconnaître l'insuffisance.
M. le rapporteur a rappelé que l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 avait été adopté sans mon approbation. Ce n'est pas que je niais la réalité du problème, mais ladite loi était relative au droit au logement et n'avait donc pas vocation à cibler un public particulier, automatiquement considéré comme défavorisé. D'ailleurs, la description de certains véhicules ou de certaines attelages montre bien que nous n'avons pas seulement affaire à des populations défavorisées !
Par conséquent, c'est seulement le refus d'assimiler ces populations à des populations défavorisées qui avait conduit le Gouvernement à s'opposer à l'adoption de l'amendement qui est devenu l'article 28 de la loi de 1990.
Il faut dire aussi qu'à l'époque M. le préfet Delamon, qui avait été chargé d'une mission, devait produire des conclusions dont on espérait pouvoir tirer l'essence même d'un vrai projet de loi pouvant couvrir l'ensemble des problèmes posés. Or cette mission n'a pas eu de suite positive.
Cela étant, avec un peu de recul, il m'apparaît que l'article 28 de la loi de 1990, malgré ses insuffisances, a déjà permis de faire bouger un peu les choses.
Il faut, bien sûr, aller au-delà, et je souhaite que nous puissions, ensemble, amender quelque peu ce texte auquel vous avez consacré beaucoup de travail, de manière que, dans une étape nouvelle, soit affirmé davantage, dans l'esprit de l'article 28 de la loi de 1990, l'objectif qui consiste à disposer, dans le plus grand nombre possible de collectivités, d'aires d'accueil à l'échelle des besoins des populations concernées.
Chacun est en effet conscient, quelles que soient les appréciations qu'il peut porter sur le mode de vie choisi par les personnes en cause, que leur liberté de conserver ce mode de vie doit être respectée et qu'en tout état de cause il ne saurait y avoir de solution de force à des problèmes collectifs. C'est grâce à la concertation qu'il nous faut trouver le dispositif le plus approprié et, à partir de là, nous mobiliser pour progresser ensemble.
J'en viens à l'article 1er et à l'amendement du Gouvernement.
Sur d'autres dispositions, vous le verrez, le Gouvernement s'exprimera positivement ; mais tel ne pourra pas être le cas sur l'article 1er. En effet, il ne nous paraît pas possible de prévoir un schéma national de gestion des grandes migrations. L'échelon national est trop éloigné des réalités locales. De plus, on ne peut enfermer les grandes migrations dans des itinéraires obligatoires que devraient emprunter toutes les populations concernées.
A nos yeux, le niveau départemental est le plus approprié, même si, bien évidemment, dans certains secteurs, des harmonisations régionales sont sans doute nécessaires. Retenir le niveau national entraînerait beaucoup de rigidités et ne correspondrait pas à l'esprit qui doit prévaloir pour que puissent aboutir les solutions que nous souhaitons.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet, pour défendre l'amendement n° 3 rectifié.
M. Jean-Claude Peyronnet. J'ai dit l'essentiel dans mon intervention liminaire.
L'article 1er vise les grandes migrations, qui ne me parraissent pas être à proprement parler du ressort de l'aménagement du territoire, même s'il s'agit de prévoir des aires d'accueil.
Par ailleurs, comme M. le secrétaire d'Etat, j'estime que le niveau national n'est pas le niveau approprié.
En outre les propos de Mme Beaudeau ont conforté mon sentiment qu'il faut avoir une vue extrêmement précise du terrain. En effet, si, dans son département, il y a une forte demande de grandes unités - entendez pour des sédentaires et semi-sédentaires et non pour des grandes migrations - dans le mien, par exemple, la demande constante est celle de petites unités de quinze à vingt personnes.
Dans ma proposition, la synthèse des schémas départementaux constituerait le schéma national après avis de la commission nationale consultative. Quant à la création d'un répertoire national des gens du voyage, elle rejoint les préoccupations de la commission des lois. Enfin, dernière amélioration, nous fixons un délai de dix-huit mois pour l'élaboration de ces schémas.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 10 et 3 rectifié ?
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Sur un plan général, nous sommes tous frappés par le déséquilibre, visible sur le terrain, qui existe entre des nomades qu'il ne faut pas rendre prisonniers d'habitudes contraires à leurs traditions, des populations prisonnières du fait du non-respect de la loi et des élus prisonniers de situations devant lesquelles ils se sentent isolés, voire impuissants.
A écouter les différents intervenants, et notamment Mme Beaudeau, il m'est apparu avec encore plus de force que s'imposaient des schémas départementaux, élaborés sur le plan local, qui prennent en compte les besoins exprimés par la population tsigane et qui leur apportent une réponse réellement adaptée. Ainsi, dans certains départements, il conviendra de mettre en place de petites aires ; dans d'autres, il faudra peut-être prévoir des aires un peu plus importantes, dont la localisation dépendra non pas de l'histoire ou de la géographie, mais du souhait des Tsiganes d'y trouver un juste épanouissement.
M. Peyronnet s'est posé la question de savoir s'il fallait une loi nouvelle. Voyons la situation sur le terrain. Elle est très préoccupante. On a l'impression - bien que m'exprimant à titre personnel, je crois traduire le sentiment d'un grand nombre de maires - que le socle républicain, le « vivre ensemble », est aujourd'hui en train de se fissurer et que, paradoxalement, c'est peut-être ceux qui ne respectent pas les valeurs républicaines qui semblent être les « gagnants », que le vice est parfois mieux récompensé que la vertu.
Si l'on entre dans cette spirale, on s'aperçoit très vite que la loi se fait dans la rue et non pas devant les tribunaux. M. le secrétaire d'Etat vient de le dire, comme un certain nombre de maires ne satisfont pas aux obligations, laissant à d'autres le soin de le faire, les déséquilibres s'imbriquent les uns les autres et l'on en arrive à des situations explosives, ou proches de l'explosion.
Un Etat qui ne fixe pas les règles du jeu, que ce soit par voie réglementaire ou par voie législative, en établissant très clairement la responsabilité des uns et des autres, c'est comme un match de football sans arbitre. Je ne suis pas persuadé que le seul esprit sportif empêche longtemps les matches de finir en bataille de rue !
A un moment donné, il faut une règle, un arbitre, des responsabilités respectives bien définies, de manière à obtenir un juste équilibre entre prévention et traitement, entre insertion et sanction, entre droits et devoirs.
Aujourd'hui, probablement parce que l'on a peut-être un peu négligé cet équilibre en ne chargeant qu'un seul plateau de la balance, on se retrouve dans des situations qui nous imposent de prendre les problèmes à bras-le-corps.
Par ailleurs, lorsqu'une loi est votée, comment se fait-il que les délais d'application ne soient jamais respectés ? Je pourrais vous citer des dizaines d'exemples de loi qui, dix ou quinze ans après, ne sont toujours pas entrées en vigueur. A quoi sert alors le législateur ? A quoi sert celui qui doit appliquer la loi ?
Je dirai à Mme Beaudeau que la commission consultative a justement pour vocation d'associer la totalité des personnes concernées, les Tsiganes, les élus, les préfets, les polices, les juges, dans une réflexion commune pour étudier comment on peut répondre aux besoins exprimés par une offre en termes d'aires d'accueil, mais aussi de responsabilisation. Les élus font des efforts et, quarante-huit heures après l'inauguration des aménagements, tout est saccagé. L'argent public mérite d'être respecté, surtout lorsqu'il a été consacré à des structures qui sont saccagées par ceux-là mêmes auxquels elles sont destinées.
Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est la raison pour laquelle j'affirme que le besoin se fait sentir d'un engagement fort de la part de l'Etat.
Vous avez cru entendre le cri de détresse des élus. Il me semble que si l'Etat, avec raison, interpelle les élus en leur demandant pourquoi ils ne remplissent pas les obligations qui sont prévues par la loi, il faut aussi qu'il accepte d'entendre les maires qui demandent, en contrepartie de leur engagement, quelle garantie les pouvoirs publics peuvent donner qu'ils feront respecter la loi sur des terrains qui ne sont pas prévus pour engendrer l'illégalité.
Cette suspision, cette méfiance des élus est une réalité. Ils redoutent, s'il entreprennent une action, de ne pas être suivis par la justice et par les forces publiques.
Il y a également suspicion de la part des nomades, qui pensent que, s'ils ne s'installent pas de force dans une localité, parce qu'ils en ont besoin pour un problème familial, une fête ou un pèlerinage, les élus locaux et l'Etat ne leur offriront pas les aires dont ils estiment avoir besoin.
Ce climat de méfiance est aujourd'hui en train de monter dans notre pays ; il met à mal notre système démocratique et notre pacte républicain.
A cet égard, notre proposition de loi n'a qu'une seule qualité, la modestie. Je crois qu'ajourd'hui il faut se montrer modeste et, à l'évidence, il faut afficher clairement des objectifs. Quelle que soit la qualité d'une loi, son efficacité sur le terrain dépend de la volonté de ceux qui ont la responsabilité de l'appliquer, les élus.
Monsieur le secrétaire d'Etat, telle est la raison pour laquelle l'implication de l'Etat dans l'élaboration d'un schéma national est nécessaire. A partir du moment où les grands pèlerinages sont prévisibles, il importe de négocier. Tous les ans, d'ailleurs, le ministère de la défense et le ministère de l'intérieur négocient avec les gens du voyage, avant les grands pèlerinages, pour savoir sur quel aérodrome, sur quelle base militaire, sur quelle caserne ils pourront s'installer pour faire étape.
Pourquoi l'Etat s'implique-t-il dans les grands événements internationaux uniquement lorsqu'il s'agit d'événements sportifs ou d'événements mobilisant la jeunesse ? Pourquoi ne pas permettre aux élus de s'en remettre à l'appareil de l'Etat, de sorte que la population accepterait l'implantation de ces grands pèlerinages ?
Comment ne pas comprendre l'attitude des maires des communes de 1 500 habitants confrontés à l'arrivée de 40 000 personnes ? Il est évident que la réponse n'appartient ni à l'échelon communal ni à l'échelon départemental, mais à la coordination de toute la puissance de l'Etat. Elle seule peut apporter aux nomades, à la population et aux élus la garantie que les choses se passeront bien.
C'est la raison pour laquelle ce signe, qui est inséparable de l'obligation pour l'Etat de participer aux grandes migrations, doit aussi être accompagné par la volonté et l'obligation pour les élus locaux de s'impliquer dans les schémas départementaux. Ils sont en droit d'attendre que l'Etat poursuive sa réflexion quant aux politiques d'insertion, de scolarisation, de santé, d'accompagnement de la sédentarisation, notamment sous l'angle du logement. La responsabilisation des uns et des autres devrait déboucher sur une loi équilibrée, juste et efficace.
C'est pourquoi la commission est défavorable à ces amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 3 rectifié ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Tout en préférant son propre amendement, le Gouvernement considère toutefois que l'amendement n° 3 rectifié est plus proche de ses préoccupations que le texte initial de la commission.
M. le rapporteur vient de lancer un appel au Gouvernement pour qu'il se sente impliqué. En cette matière, il me semble que l'implication de l'Etat doit se traduire plutôt par une directive que par un schéma national.
En effet, si nous connaissons l'aboutissement de ce genre de migrations, le lieu du rassemblement, nous ne pouvons pas connaître d'une manière précise les itinéraires. Même s'il y a des habitudes, elles peuvent subir des modifications. Si nous figions les choses, nous en viendrions à assigner un itinéraire. Il me semble que, constitutionnellement, cela poserait quelques problèmes face au principe de la liberté de circulation.
M. Philippe de Gaulle. Et celle des citoyens ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. S'il s'agit d'une directive, l'approche est différente. Je crois m'être fait comprendre, je l'espère en tout cas.
C'est pourquoi je m'en remettrai à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 3 rectifié.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2