M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Ma question s'adressait à Mme le ministre de la culture, mais je comprends fort bien les raisons de son absence aujourd'hui. Cette question est plutôt liée à l'actualité, même si elle porte sur un problème de fond.
Aujourd'hui se tient à Hanoï la semaine de la francophonie, manifestation majeure de l'expression française et, par conséquent, de sa littérature.
Hier, ou ces tout derniers jours, ont été attribués nos grands prix littéraires, et le nombre des oeuvres témoigne de la grande vitalité de nos auteurs.
A travers tout le territoire se sont multipliées les initiatives en faveur de la lecture. L'exemple du département que j'ai l'honneur de représenter ici, où une bourgade de 185 habitants attire entre 10 000 et 15 000 personnes autour d'une journée centrée sur le livre, témoigne par son succès de l'appétit de nos concitoyens.
Et pourtant...
Les grands écrivains sont, paraît-il, des martyrs qui ne meurent pas. A tout le moins le seront-ils tant que vivra l'édition.
Or, l'édition est en crise, née d'une crise de civilisation sûrement, d'une crise de culture, mais aussi des menaces qui pèsent sur l'idée même du droit d'auteur.
Trop longtemps, le cadre de la propriété intellectuelle a ignoré l'essor et le renouvellement des techniques de diffusion, ce qui entraîne l'obsolescence de la défense collective initiée dans cette enceinte par Victor Hugo.
Il importe, dès lors, de renforcer la protection des droits fondamentaux reconnus aux auteurs depuis 1793 par le droit français.
Or le droit d'auteur, tel qu'il est conçu en France, n'a cessé d'être mis en péril sur le plan patrimonial, mais aussi sur le plan moral. Comment notre société pourrait-elle se priver de l'édition d'ouvrages de qualité en ne protégeant pas complètement ceux qui en sont les auteurs ? Comment ne pourrait-elle pas voir dans la diffusion parcellisée de leur pensée une atteinte à leur droit moral ?
Il faut bien reconnaître que la photocopie et d'autres techniques plus récentes mettent en cause le contrôle des violations de ce droit. La loi du 3 janvier 1995, qui a été adoptée, me semble-t-il, à une assez large majorité, a arrêté le principe de la gestion collective du droit de reproduction par la reprographie ainsi que celui de la cession automatique du droit de reproduction à des sociétés de perception et de répartition ayant reçu l'agrément du ministre de la culture.
Si la gestion collective s'est imposée pour renforcer la notion de défense collective, encore faut-il se donner l'ambition et les moyens de la mettre en oeuvre. Or force est de constater que le droit peine à rattraper la technique.
La crise de l'édition française trouvera sa solution dans la stricte application de la loi de 1995 : la photocopie, forme technique du plagiat moderne, mais aussi le prêt anarchique tuent le livre. C'est cette mort silencieuse que perçoivent les auteurs et les éditeurs.
Comme toujours dans notre pays, la solution est à portée de main : dans l'application rigoureuse de la loi.
La question que je veux poser au Gouvernement est donc la suivante : à une époque où l'on parle beaucoup de la réalité de la vie intellectuelle en France, aura-t-il le courage d'aller jusqu'au bout des décisions que le législateur a prises ?
Fera-t-il en outre de la Haute Assemblée, qui a toujours été au coeur de la défense de notre littérature, le haut lieu de cette entreprise ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, le Gouvernement fait une priorité de la défense et de la promotion du livre et de l'écrit en général. Ces actions passent d'abord par l'enseignement ainsi que par le réseau des librairies et celui des bibliothèques, mais aussi par les nouvelles technologies. Bien entendu, celles-ci doivent venir s'ajouter au livre et à la presse, non les supplanter. Elles doivent être conçues comme une chance supplémentaire, non comme une façon de remplacer le support traditionnel qu'est le livre.
Il est essentiel de protéger et de soutenir la création. L'Etat continuera donc à apporter son aide aux auteurs et aux éditeurs, particulièrement dans des disciplines telles que les sciences humaines ou la poésie, où les livres se vendent un peu plus difficilement.
Le système du droit d'auteur doit être protégé car ce droit constitue une ressource indispensable au renouvellement de la création. Sur ce point, la position du Gouvernement a été clairement et fermement définie par Mme la ministre de la culture et de la communication dans la présentation de la politique du livre et de la culture qu'elle a faite au conseil des ministres du 8 octobre dernier.
Pour remédier aux méfaits économiques et intellectuels de ce que l'on appelle le « photocopillage », l'application de la loi du 3 janvier 1995 sera résolument poursuivie.
Quant à la question du droit de prêt, elle fait se confronter deux soucis également légitimes : d'une part, celui des créateurs de voir respecter leurs droits et, d'autre part, celui des professionnels des bibliothèques, attentifs à ce que ne soit pas remis en cause l'essor de la lecture publique.
Le Gouvernement a décidé d'aborder cette question de façon sereine et méthodique, de susciter une large concertation et de lancer une mission de réflexion, de médiation et de conciliation associant tous les professionnels concernés.
Vous avez évoqué Victor Hugo, monsieur le sénateur. La France peut en effet être fière de se trouver à l'origine de l'idée même de droit d'auteur. Notre pays défend aujourd'hui, face aux conceptions anglo-saxonnes, une idée originale et élevée de ce droit, qui vise à préserver le droit moral de l'auteur.
Fidèle à sa tradition, notre pays saura concilier droit de la création et liberté d'accès au savoir. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Paul Girod applaudit également.)
CONFLIT DES ROUTIERS