M. le président. Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur l'insuffisance et l'injustice des conditions d'attribution des pensions de réversion - cumul, plafond, âge.
Elle lui fait remarquer que les bénéficiaires de ce droit, généralement des femmes, doivent vivre avec la seule pension de réversion de leur conjoint(e) décédé(e) et que si, pour le régime général, le taux de réversion est de 54 %, il demeure toujours fixé à 50 % dans la fonction publique et dans la plupart des régimes spéciaux.
Elle lui fait remarquer également que le passage à cinquante-cinq ans de l'ouverture des droits de réversion de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, et de l'Association des régimes de retraite complémentaire, l'ARRCO, crée une situation financière de plus en plus difficile pour les bénéficiaires entre cinquante et cinquante-cinq ans.
Elle lui demande quelles mesures elle envisage pour fixer à cinquante ans le bénéfice de la pension de réversion avec, dans l'immédiat, un passage du taux à 60 % et, à plus long terme à 75 % de la retraite du conjoint(e) décédé(e).
Elle lui demande, enfin, quelles mesures elle envisage pour réparer l'injustice due au non-cumul de la pension de réversion et d'une retraite professionnelle, en permettant désormais le cumul des deux. (N° 18.)
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, le mardi 25 novembre prochain, à l'appel de l'Union confédérale des retraités et de nombreuses autres associations de retraités, les personnes retraitées manifesteront à Paris et en province pour une amélioration du système de pension, notamment l'augmentation significative des pensions inférieures au SMIC, l'indexation des pensions du régime général sur les salaires et le retour aux dix meilleures années pour le calcul des pensions, comme cela existait avant l'entrée en vigueur de la réforme des retraites instituée par Mme Simone Veil.
Vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, les demandes des retraités sont justifiées. L'augmentation des retraites et pensions ne suit même plus l'augmentation des prix relevée par l'INSEE et, de 1992 à 1997, les prélèvements de la caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, sont passés de 2,5 % à 6,7 %, et ceux de l'association des régimes de retraites complémentaires, l'ARRCO, et de l'association générale des institutions de retraite, l'AGIRC, de 3,7 % à 7,7 %.
A ces demandes de revalorisation forfaitaire de 1 000 francs mensuels, de remise en cause de la CSG et de la CRDS, d'abrogation de la réduction de la décote fiscale, s'ajoutent le passage à 75 % de la pension de réversion du conjoint et, dans l'immédiat, le passage à 60 % sans clause restrictive de cumul ou de condition d'âge.
Cette demande se justifie pleinement compte tenu de l'insuffisance du montant des retraites. En effet, le taux de 54 % représente une ressource insuffisante. Même une pension de réversion à 54 % d'une pension pleine de 6 500 francs ne laisse que 3 400 francs au conjoint survivant.
Aujourd'hui, les bénéficiaires de ce droit - généralement des femmes - se voient contraints de survivre dans des conditions qui vont jusqu'au dénuement.
En outre, l'article L. 353-1 du code de la sécurité sociale impose certaines conditions, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat : le conjoint survivant a droit à la réversion si ses ressources personnelles ne dépassent pas annuellement 2 080 fois le SMIC horaire, soit environ 79 000 francs, si la durée du mariage a été supérieure à deux ans et s'il a atteint l'âge de cinquante-cinq ans. Cette dernière condition crée une situation financière très difficile pour les veuves ayant entre cinquante et cinquante-cinq ans. Le cumul avec d'autres retraites de base se révèle impossible dans de nombreux cas.
Vous le savez aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, si, pour le régime général de la sécurité sociale, le taux de réversion est de 54 %, il est toujours de 50 % dans la fonction publique et dans la plupart des régimes spéciaux.
J'en viens à ma question, monsieur le secrétaire d'Etat : que comptez-vous décider en matière de pensions et de retraites en général, de pensions de réversion en particulier ?
Plus précisément, que répondez-vous à la demande insistante de la Fédération des associations des veuves civiles, la FAVEC, qui propose de porter immédiatement le taux de la pension de réversion à 60 % ?
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, ce sont quatre millions de personnes, veuves ou veufs, qui attendent votre réponse.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Madame le sénateur, vous avez bien voulu appeler l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité - elle vous prie d'excuser son absence et m'a chargé de répondre à sa place - sur les conditions d'attribution des pensions de réversion et, plus largement, sur la situation des personnes veuves.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'énoncé de votre question.
En ce qui concerne les différences de conditions d'attribution des pensions de réversion selon les régimes de retraite, il convient d'indiquer que, si les taux sont effectivement parfois moindres dans les régimes spéciaux - ce n'est toutefois pas toujours le cas - que dans le régime général, les autres conditions d'attribution y sont, en revanche, plus larges : les pensions de réversion y sont attribuées sans condition d'âge et sans condition de ressources.
Par ailleurs, dans les régimes spéciaux, la pension de réversion peut être cumulée avec une pension de droit direct.
Ces différences dans les conditions de service des pensions de réversion s'expliquent, évidemment, par la situation et l'histoire propres de chaque régime. En conséquence, parler d'injustice, madame le sénateur, n'est peut être pas approprié concernant cette diversité dans les conditions d'attribution, les unes étant plus favorables dans les régimes spéciaux, les autres dans le régime général. Je reconnais qu'il y a là une inégalité !
S'agissant maintenant du niveau des pensions de réversion, je ne pense pas, madame le sénateur, que l'on puisse le considérer comme insuffisant. En effet, alors que la pension de réversion était réservée à l'origine, dans le régime général et les régimes alignés, aux seules personnes ne disposant d'aucun droit propre, des possibilités de cumul ont progressivement été introduites, permettant ainsi d'augmenter le montant de ressources des personnes bénéficiaires. C'est ainsi qu'il est possible de cumuler la pension de retraite du survivant avec la pension principale du décédé dans la limite de 52 % de leur somme ou de 73 % du montant maximum de la pension vieillesse servie par le régime général, il est vrai liquidée de soixante-cinq ans, c'est-à-dire de 5 007 francs au 1er janvier 1997, la limite la plus favorable étant retenue dans tous les cas.
Par ailleurs, je vous rappelle, madame le sénateur, que le relèvement à 54 % du taux de la pension de réversion a représenté, pour le seul régime général d'assurance vieillesse, un coût annuel de 600 millions de francs. Cette remarque n'est pas une excuse, mais elle traduit une réalité, un coût quelque peu lourd !...
Si le Gouvernement est, bien entendu, très sensible, comme vous l'imaginez, à la situation des veuves, les contraintes de financement des régimes de retraite, comme nous l'avons rappelé récemment, ici même, à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, interdisent aujourd'hui une augmentation significative du taux des pensions de réversion.
Pour les personnes de moins de cinquante-cinq ans, sur lesquelles vous attirez mon attention, il est tout à fait exact que leur situation mérite grandement considération. Néanmoins, je rappelle que les pensions de réversion sont servies sans condition d'âge dans l'ensemble des régimes spéciaux de retraite.
Pour les ressortissants du régime général, une allocation veuvage est servie normalement pendant une période de trois ans, ce qui permet de compenser le choc lié au décès du conjoint. Néanmoins, des dispositions spécifiques sont d'ores et déjà prévues en cas de veuvage au cours de la cinquantième année ou au-delà, qui permettent de maintenir l'allocation jusqu'au bénéfice de la pension de réversion.
Quant aux prestations servies par les régimes complémentaires, les règles appliquées par ces derniers sont librement négociées, arrêtées et révisées par les partenaires sociaux.
Les pouvoirs publics ne peuvent, comme vous le savez, ni intervenir dans le fonctionnement de ces organismes de droit privé, ni modifier ou interpréter les règles régissant les régimes de retraite complémentaire qu'ils mettent en oeuvre.
Je sais que ma réponse ne vous satisfera pas entièrement, madame le sénateur. Cependant - ce sera ma conclusion - les conditions actuelles d'attribution des pensions de réversion et de l'assurance veuvage me paraissent de nature à préserver convenablement - pas plus, je le reconnais - la situation des veuves.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous avez apportées.
Dans ma question, j'avais d'abord rappelé globalement les demandes des confédérations syndicales et des associations de retraités, la plate-forme de leurs revendications pour la manifestation de samedi prochain. J'avais ensuite évoqué la possibilité d'une augmentation du taux de la pension de réversion.
Si l'on se réfère au passé, les retraités ont effectivement été échaudés.
En 1981, durant la campagne électorale, le candidat victorieux à la présidence de la République avait annoncé que le taux de pension de réversion serait porté à 60 % en dix ans, c'est-à-dire qu'il augmenterait de deux points tous les deux ans. Or on s'est arrêté à 54 %, taux qui n'a d'ailleurs été atteint qu'en 1995 seulement. Mme Veil, elle aussi, avait promis de porter le taux à 60 %.
Deux années se sont écoulées sans qu'il y ait de nouvelle majoration. A ce rythme-là, les 60 % ne pourraient être atteints qu'en 2020 !
Il serait bon que le Gouvernement examine cette question. Je connais certes le coût de la mesure, mais je pense qu'il est possible d'apporter une réponse positive.
Comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, de nombreuses veuves âgées de cinquante ans à cinquante-cinq ans n'ont que l'assurance veuvage. Or vous savez bien que le montant de celle-ci est peu élevée.
Pourtant les salariés ont accepté une importante retenue sur salaire. Mais leurs versements sont allés dans le pot commun de la sécurité sociale. La FAVEC n'a d'ailleurs pas abandonné sa revendication : les sommes retenues sur les feuilles de paie doivent être reversées aux veuves.
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