M. le président. M. Franck Sérusclat attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur sa volonté de mettre en oeuvre une politique globale de prévention en matière d'alcool au volant, mais aussi d'accidents liés aux médicaments.
Ces derniers sont nombreux et meurtriers, dans la mesure où les Français figurent parmi les plus grands consommateurs de psychotropes et détiennent le triste record pour les médicaments antidépresseurs.
Cette consommation, alliée à celle de l'alcool, entraîne une polytoxicomanie qui a des conséquences importantes sur la vigilance au volant jusqu'à être à l'origine d'accidents mortels.
Ne devrait-il pas être envisagé de mener une grande campagne d'information et de prévention, à l'instar de celles qui ont été réalisées dans les pays nordiques, afin que nos concitoyens soient réellement conscients des dangers qu'ils font courir aux autres, mais également à eux-mêmes ?
Par ailleurs, il semble indispensable d'accentuer la formation des médecins qui prescrivent ces médicaments et n'informent pas assez leurs patients des dangers encourus.
Enfin, une modification du conditionnement des produits neuroleptiques avec une mise en garde claire et forte pourrait également s'avérer une mesure efficace.
Il demande au secrétaire d'Etat à la santé s'il compte prochainement engager une politique dans ces directions, afin de continuer à faire baisser le nombre d'accidents de la circulation. (N° 34.)
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Permettez-moi tout d'abord, monsieur le secrétaire d'Etat, même si je le fais avec retard, de vous faire part du plaisir qui est le mien de vous voir en ces lieux et à cette fonction.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. C'est un plaisir partagé, monsieur le sénateur.
M. Franck Sérusclat. Un enfant a été victime d'un accident mortel, à Lyon, dans des conditions d'autant plus dramatiques que la conductrice présentait un taux d'alcoolémie élevé et était sous l'effet de psychotropes.
Que peut-on faire pour prévenir ces situations dramatiques, dues notamment à l'abus de psychotropes ? C'est très fréquent dans notre pays, qui détient le record de la consommation de ces médicaments ? Quand elle s'allie à l'abus d'alcool, cette consommation crée des situations encore plus délicates et dangereuses, pour les uns et les autres.
Envisagez-vous de mener une campagne d'information, comme cela s'est pratiqué dans les pays nordiques ? Toutefois, l'impact de ces campagnes est à mon avis passager.
Envisagez-vous, par ailleurs, de faire des efforts dans le domaine de la formation des médecins ? Je fais référence ici à ce médecin coordonnateur de la sécurité routière, depuis déjà longtemps en poste à Strasbourg. Il semble, en effet, à la lecture du compte rendu de l'entretien qu'il a accordé au Bulletin de l'ordre des médecins, posséder une connaissance à la fois précise et précieuse de ces situations.
Les études de ce spécialiste accordent une importance particulière à une formation des médecins qui concernerait non seulement les psychotropes, mais aussi les conséquences du vieillissement sur la faculté de conduire.
Il convient de mentionner aussi le rapport du professeur Edouard Zarifian, qui apporte peut-être quelques éléments que vous pourriez utiliser.
Bref, en dehors des messages insistants que vous adressez aux automobilistes, pensez-vous engager des actions dans des domaines aussi variés que la formation des médecins ou le conditionnement des produits pharmaceutiques afin d'attirer l'attention des praticiens et des consommateurs sur ces risques et de réduire les dangers ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, j'ai au moins autant le plaisir à m'adresser à vous que vous en avez eu à me découvrir sur ce banc !
Monsieur Sérusclat, votre question est à la fois très précise et extrêmement large.
Précisément, je vous répondrai par l'affirmative : oui, nous avons légiféré en ce qui concerne l'alcool au volant, et un certain nombre de dispositifs contraignants ainsi que des efforts en matière de formation et d'information ont été déployés dans notre pays.
On pourrait se contenter de cela. Pourtant, au regard du nombre des accidents de voiture, ce travail reste insuffisant.
Mais, vous avez eu tout à fait raison de le souligner, à cela s'ajoutent le problème posé par la prise de médicaments psychotropes, voire le problème posé par la consommation d'alcool liée à celle de psychotropes.
Que peut-on faire ? On peut d'abord informer.
On peut déclencher, et nous entendons le faire, des campagnes afin de sensibiliser l'opinion publique au danger de la consommation des psychotropes lorsque l'on prend le volant.
On peut apposer sur les boîtes de médicaments, à l'usage des pharmaciens et des médecins, mais bien entendu aussi du public, un pictogramme, c'est-à-dire un petit dessin figuratif rappelant à l'usager les dangers de ce médicament lorsqu'il conduit. L'image d'un homme au volant barrée d'un trait rouge est actuellement à l'étude.
On peut également faire campagne par le biais du Comité français d'éducation, qui vient d'engager une campagne contre l'alcoolisme.
Cependant, pourquoi consomme-t-on tant de psychotropes dans notre pays et que peut-on faire ?
Il convient sur ce sujet, d'informer d'abord, bien entendu, les médecins.
Pour cela, il faut changer profondément la formation médicale, à commencer par la formation médicale continue qui, comme nous l'avons rappelé lors d'une discussion récente, est bloquée. Nous avons donc perdu du temps. Même si la formation médicale continue fonctionnait à nouveau, ce ne serait pas suffisant. Il faut aussi changer la formation initiale des médecins, il faut revoir et moderniser de façon extraordinaire l'information, l'éducation et l'apprentissage en ce qui concerne les médicaments afin que nous soyons en possession de tout le savoir immédiatement. Cela veut dire qu'il faut recourir à l'informatisation.
Sont nécessaires non seulement la formation initiale et la formation continue, mais aussi l'informatisation des cabinets médicaux.
S'agissant du mélange des médicaments et de ses effets, le recours à Intranet ou Internet serait utile. La réflexion a commencé depuis de longues années. Mais les résultats ne sont pas du tout satisfaisants.
J'ai écouté avec plaisir le ministre de l'éducation, M. Allègre, nous annoncer son plan d'informatique dans les écoles. Mais cela m'a fait prendre conscience du fait que les enfants des médecins sauront se servir d'ordinateurs avant que le plan d'informatisation médical soit terminé.
Les effets indésirables des différents médicaments pris ensemble doivent être connus et toujours actualisés. Seule l'informatisation permettra d'y parvenir.
Mais votre question porte, beaucoup plus largement encore, sur la nécessité des réformes.
Lorsqu'un médecin ne peut consacrer à ses patients que dix ou quinze minutes, et que ceux-ci présentent des pathologies, certes précises, mais peut-être somatiques, résultant du chômage, de considérations familiales, de l'angoisse de l'avenir, la tentation est forte de prescrire un psychotrope supplémentaire.
Sur ce point, monsieur Sérusclat, les chiffres que vous avez cités sont exacts, ils ont d'ailleurs été relevés par M. Zarifian : en France, on consomme trois ou quatre fois plus de psychotropes que dans les pays environnants. Nous détenons, là aussi, le record du monde.
Or nous ne changerons ces habitudes néfastes qu'en changeant notre système en profondeur.
Je vous réponds donc très précisément, monsieur le sénateur : oui à une campagne d'information, oui aux pictogrammes, oui à l'information des médecins. Nous prendrons tout cela en charge.
Toutefois, s'agissant du médicament et de la surconsommation, il faut demander au Comité économique du médicament de nous faire des propositions. Je l'ai dit en présence de Mme Martine Aubry, ici même, au moment de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En outre, nous devons, je crois, envisager une façon différente de prendre en charge le patient. Je pense aux médecins référents qui ont signé l'avenant à la convention et deviennent ainsi un peu plus le centre du dispositif.
Tout cela doit être réalisé en même temps et dans des perspectives à court, à moyen et à long terme pour que cesse cette consommation. Cela profiterait à notre budget - 10 % des hospitalisations comportent des effet médicamenteux indésirables - et éviterait près de la moitié des accidents - 9 000 morts par an - dus à la consommation d'alcool jointe parfois à celle de médicaments.
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Je remercie M. le secrétaire d'Etat des informations qu'il vient de me donner avec son enthousiasme habituel, certain que je suis que l'avenir lui donnera raison.
Qu'il me permette cependant d'insister tout d'abord sur l'importance réelle de la formation initiale. En effet, le « mythe Internet » - pardonnez-moi d'employer ce terme - finit par brouiller les pistes, finit par faire croire que l'informatique apporte des solutions dans tous les domaines. En fait, il ne faut pas oublier qu'une formation initiale forte est nécessaire.
Par ailleurs, que pensez-vous de l'intérêt que pourraient avoir également les conférences de consensus, telles que Philippe Lazar les avait proposées ? Que pensez-vous d'une action très forte pour éviter ce laxisme dans la prescription - car il y a bien laxisme dans la prescription - que vous venez vous-même d'évoquer ?
Au cours de cette formation initiale, il faut aussi inciter les médecins à prescrire raisonnablement, et non pas à prescrire pour donner satisfaction aux patients.
Ne pourriez-vous pas suggérer - mais peut-être n'avez-vous pas étudié cette disposition dans son détail - la création de médecins coordonnateurs de la sécurité sociale dans un milieu hospitalier donné, comme il en existe à Strasbourg ? Une telle disposition me paraît significative. Mais ne l'ayant découverte que ce matin, mon appréciation résulte peut-être d'une analyse trop rapide. Quoi qu'il en soit, je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre réponse.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est par pure courtoisie que je vous l'accorde, car le Gouvernement ne peut reprendre la parole.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur le sénateur, l'expérience de Strasbourg est très intéressante. Il en existe une autre qui a été menée dans le département de la Savoie et qui consiste à remettre aux pharmaciens un document explicite soulignant les effets dangereux de certains médicaments sur la conduite automobile.
Ces expériences sont intéressantes et il faut en tenir compte.
S'agissant des conférences de consensus et de l'expérience de Philippe Lazar, vous avez tout à fait raison. Il faut que ces conférences de consensus soient connues des médecins. A cette fin, le recours à Internet n'est pas magique. Mais, pour ce qui est des interactions médicamenteuses et de leur mise au point permanente au sein de l'Agence du médicament, c'est un bel instrument qui n'existe pas.
Enfin, je partage complètement votre sentiment sur la nécessité de la remise à plat - comme on dit - des études initiales, qui ne sont plus adaptées aux temps.
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