M. le président. La séance est reprise.
Nous allons donc aborder la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au fonctionnement des conseils régionaux.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Assemblée nationale a adopté, lors de sa séance du 9 octobre dernier, une proposition de loi relative au fonctionnement des conseils régionaux, aujourd'hui soumise à votre examen.
Cette proposition de loi a recueilli un large accord, à l'issue d'un riche débat. Son adoption a traduit une volonté affirmée de favoriser un meilleur fonctionnement de l'institution régionale et une plus grande exigence démocratique, poussant à la clarté des engagements et des choix politiques.
Avant de revenir sur le fond de ce dispositif, je souhaite saluer la démarche et le travail accomplis. On ne peut que se féliciter, en effet, des conditions dans lesquelles le Parlement a fait jouer sa faculté d'initiative. C'est d'autant plus remarquable que la proposition de loi porte sur un sujet particulièrement important, touchant à nos institutions.
Le texte voté par l'Assemblée nationale est le fruit d'un travail et d'une concertation approfondis : il résulte de la proposition établie par le rapporteur de la commission des lois à partir de plusieurs propositions de loi déposées par Mme Aubert, MM. Ayrault, Mazeaud et Blanc.
La diversité des composantes politiques ainsi intéressées traduit le besoin d'apporter, de manière concrète et rapide, de réelles améliorations face aux difficultés rencontrées dans le fonctionnement des conseils régionaux, en particulier au moment de l'élection du président et du vote du budget.
Cette proposition de loi définit, vous le savez, deux dispositifs tendant, d'une part, à instaurer plus de clarté dans les candidatures soumises à l'assemblée régionale pour l'élection de son président et, d'autre part, à faciliter le vote du budget régional.
Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : chacun connaît la réalité de ces difficultés et le contexte, juridique et politique qui peut contribuer à les accroître, compte tenu du mode de scrutin régional.
Chacun connaît également les raisons qui ont conduit le Gouvernement à ne pas proposer la modification de ce mode de scrutin à quelques mois des élections portant sur le renouvellement des conseils régionaux.
Comme M. le ministre de l'intérieur l'a indiqué devant l'Assemblée nationale, la démocratie et la compréhension par les citoyens des règles du jeu ne s'accommodent pas de tels changements à la veille des échéances.
On ne peut pour autant se contenter de laisser perdurer, sans apporter les corrections nécessaires, les difficultés que j'évoquais il y a un instant. C'est la démarche qu'a souhaité effectuer l'Assemblée nationale et à laquelle le Gouvernement a souscrit.
Le texte qui vous est soumis comporte donc deux dispositifs reprenant les conclusions auxquelles la commission des lois de l'Assemblée nationale était parvenue, une disposition ayant par ailleurs été votée, sur la base d'un amendement, par harmonisation avec les règles prévues par le code général des collectivités territoriales pour les conseils municipaux et les conseils généraux.
Le premier dispositif concerne l'élection du président du conseil régional. L'objectif est celui d'une plus grande transparence quant au programme envisagé par le candidat à la présidence et à l'équipe sur laquelle il compte s'appuyer pour le réaliser.
La déclaration et la liste qui seront demandés aux candidats constitueront une formalité nécessaire, même si rien ne sera changé quant aux pouvoirs reconnus au président en matière de délégation, comme s'agissant des règles constitutives de la commission permanente et du bureau.
L'assemblée connaîtra d'emblée le programme proposé et l'équipe susceptible de le conduire.
Le second dispositif est certainement le plus important : c'est l'instauration d'une motion de défiance, susceptible d'être présentée lorsque la procédure budgétaire normale n'a pas permis de faire adopter le budget dans les délais prescrits par le code général des collectivités territoriales, c'est-à-dire en principe le 31 mars ou le 15 avril.
Plutôt que renvoyer systématiquement à la procédure de règlement du budget, par défaut, la proposition de loi rend désormais possible à l'exécutif régional de tenter une seconde chance, sauf à ce qu'une motion présentée et votée par la majorité absolue des membres composant le conseil régional fasse aboutir un autre budget.
Un tel mécanisme ne peut se comprendre que parce qu'il porte sur l'acte politiquement le plus important de la collectivité : le budget, préparé par le président, en fonction de ses options et de son programme, et voté par la seule assemblée délibérante.
Les mécanismes introduits ne visent nullement à limiter le libre jeu du débat politique au sein des assemblées locales ; tout au contraire tendent-ils à renforcer la capacité des collectivités régionales à s'administrer librement, par le biais de leurs conseils élus.
En effet, il n'est pas conforme au principe de la libre administration des collectivités et de la décentralisation que des risques croissants de blocage dans la prise de décisions aussi importantes que le vote du budget amènent finalement l'Etat à trancher.
Il est par ailleurs souhaitable que les régions disposent d'une stabilité suffisante pour agir conformément à leur vocation, en visant le long terme, l'aménagement et le développement de leur territoire.
Les règles envisagées placent donc chacun devant ses responsabilités, en subordonnant la motion de défiance à la constitution d'une majorité absolue, les signataires s'en faisant connaître, afin d'éviter toute manoeuvre dilatoire ou purement politicienne d'un groupe minoritaire.
Les prérogatives de l'exécutif régional sont préservées puisque c'est lui qui garde l'initiative de présenter un nouveau projet, même si le caractère exceptionnel de la situation paraît légitimer l'association du bureau à la prise de décision.
Le mécanisme présenté vise également l'efficacité et la rapidité en déroulant la procédure dans une série d'étapes encadrées dans des délais très courts.
La procédure devrait donc globalement se révéler plus rapide que la procédure actuelle de saisine de la chambre régionale des comptes par le préfet. Si elle peut apparaître complexe, elle présente, je le répète, le mérite essentiel de faire intervenir en priorité l'assemblée, de préférence au représentant de l'Etat et au juge financier.
La proposition de loi comporte, enfin, une disposition complémentaire, issue d'un amendement, précisant les conditions dans lesquelles un conseiller régional refusant de remplir ses missions peut être déclaré démissionnaire par le juge administratif.
L'article ainsi inséré dans le code général des collectivités territoriales transpose aux instances régionales les règles déjà prévues pour les conseils municipaux et les conseils généraux. C'est donc une mesure d'harmonisation contribuant à un meilleur fonctionnement des conseils régionaux.
Tels sont les objectifs de la proposition de loi qui vous est soumise, et je ne vous ai pas dissimulé l'approche positive que le Gouvernement avait réservée à cette dernière.
M. le ministre de l'intérieur avait exprimé devant l'Assemblée nationale une réserve ; je ne puis que la reprendre aujourd'hui. Le vote de la motion de défiance peut conduire à l'adoption d'un budget que l'exécutif battu sur son projet serait tenu de mettre en oeuvre.
Or, il n'est pas douteux que le président, qui a conduit avec le bureau la procédure jusqu'à son terme, a choisi d'engager sa responsabilité sur ce projet. Les conséquences d'un tel échec pourraient donc en être plus nettement tirées.
Il reste que le texte soumis à votre examen responsabilise les assemblées régionales et leur exécutif dans la procédure budgétaire et organise une plus grande transparence. Il répond aussi à l'exigence démocratique attachée au fonctionnement des assemblées délibérantes et renforce la continuité de l'action des collectivités, conformément à l'esprit de la décentralisation. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la régionalisation, pièce essentielle de la décentralisation, a présenté un certain nombre de caractéristiques particulières par rapport aux transferts de responsabilité en direction des conseils municipaux et des conseils généraux. C'était en effet la première fois que la transformation en collectivité territoriale de plein exercice d'une collectivité assez nouvelle dans notre droit - c'est la plus récente - était conditionnée par l'élection de son conseil délibérant au suffrage universel.
Les régions ont, jusqu'en 1986, continué à fonctionner, pendant trois ou quatre années, suivant l'ancien système, sous la forme d'une sorte de syndicat d'investissement interdépartemental, « inter-grandes villes », qui avait fait preuve d'une certaine inefficacité aux yeux de certains, d'une certaine efficacité aux yeux de beaucoup d'autres.
Ce dispositif permettait, dans les domaines qui pouvaient être considérés comme régionaux et qui, d'ailleurs, avaient été assez largement repris dans les compétences transférées par les lois de 1983, de mettre en place un système de discussion, d'harmonisation, qui n'était pas sans mérite.
Toujours est-il que la novation est intervenue en 1986, date à partir de laquelle les conseils régionaux ont été élus suivant les modalités d'une loi électorale nouvelle et inchangée depuis : proportionnelle départementale intégrale avec un seuil de 5 %.
Cela a abouti au fait que, dans un certain nombre de conseils régionaux, pratiquement depuis le début, il n'y a eu que des majorités relatives.
En conséquence, le fonctionnement des conseils régionaux en est assez largement imprégné. Il est dominé par cette double constatation : d'une part, comme au temps de républiques passées, certains groupes charnières exercent peut-être plus d'influence qu'ils ne représentent de voix, et quelquefois cela propulse certains de leurs membres à des niveaux de responsabilité qui ne semblaient pas envisageables au départ ; d'autre part, sur quelques options de fond, la cohérence des choix d'un vote à l'autre est parfois quelque peu réduite.
Il n'empêche que le système fonctionne, avec plus ou moins de difficultés, mais il fonctionne.
C'est d'ailleurs ce qu'avait été conduit à constater un groupe de travail du Sénat réuni à la demande de la commission des lois et dans lequel l'ensemble du Sénat était représenté.
Après plusieurs mois de travaux, de nombreuses auditions et pas mal d'échanges de vues internes, ce groupe de travail a fini par aboutir - à la fin de l'année 1995, voire au début de l'année 1996 - à la conclusion qu'il était impossible d'envisager un changement de mode de scrutin qui serait à la fois suffisamment consensuel et suffisamment efficace.
Il est vrai que les pistes à explorer sont extraordinairement diverses.
Le scrutin proportionnel dans une circonscription régionale aurait abouti, pour les très grandes régions, à un vote sur une liste unique de 213 candidats, donc presque trois fois plus que sur les listes pour les élections européennes, sachant que, pour ces dernières, nos concitoyens s'estiment déjà complètement dépossédés et éloignés de la réalité des choix.
Il aurait donc fallu prévoir d'éventuels découpages pour les grandes régions. Mais comment aurait-on pu expliquer qu'un département, petit ou moyen, d'une grande région soit découpé parce que la région est grande alors qu'un département petit ou moyen d'une région plus petite ne le serait pas ? Bref, le système était tellement inextricable qu'il n'a pas été proposé de le réformer, en tout cas pas au Sénat.
Il y a eu ensuite un changement de gouvernement. Le gouvernement précédent n'avait pas poussé l'affaire plus loin. Le nouveau gouvernement s'est déclaré, quant à lui, prêt à tenir compte d'un consensus, qui n'était d'ailleurs guère plus probable après le changement de majorité qu'avant. En conséquence, il n'a pas, lui non plus, engagé la réforme du mode de scrutin. Les élections se dérouleront donc selon le système actuel.
Certains prétendent que c'est épouvantable, que les régions sont bloquées et que les budgets peuvent ne pas être votés !
Mes chers collègues, il faut relativiser.
Voilà maintenant douze ans que les régions existent. Elles sont au nombre de vingt-deux en France métropolitaine. Cela implique le vote de 264 budgets, et même, compte tenu des décisions modificatives, trois fois 264 votes ! Or, cela a abouti, en définitive, à trois échecs. Deux se sont produits dans la même région - dus, selon le témoignage de certains présidents de régions recueillis lors du groupe de travail dont je parlais tout à l'heure, probablement plus à l'affrontement de deux hommes qu'à une confrontation politique majeure - et un, plus récemment, dans la région parisienne.
Avec trois cas sur trois fois 264 votes, on ne peut tout de même pas parler d'un blocage permanent et fondamental des régions !
Dans ces trois cas, le budget a été réglé par le préfet. Or, selon les auteurs des quatre propositions de loi qui ont été déposées à l'Assemblée nationale, c'est une mauvaise méthode que de faire régler par le préfet le budget d'une région.
Il est vrai que c'est assez contradictoire avec l'esprit de la décentralisation, encore que ce ne soit pas original. Lorsqu'on se trouve avec un conseil municipal bloqué, avec un conseil général bloqué, la procédure est la même et l'on applique le même système, avec l'instruction préalable par la chambre régionale des comptes - les délais sont donc relativement longs - et l'arrêt par le préfet d'un budget qui est identique à celui que propose la chambre régionale des comptes, voire modifié - cela s'est d'ailleurs produit, me semble-t-il - par des décisions motivées.
Il est vrai que le délai est assez long : si l'on part de la fin du mois de mars, on risque d'aboutir à la fin du mois de juin, ce qui fragilise quelque peu l'action des régions. C'est la première critique.
Il y en a deux autres, qui sont plus fondamentales. La première, c'est le fait que les budgets des régions ainsi arrêtés par le préfet sont des budgets fragilisés dans leurs objectifs, en particulier parce qu'il s'agit principalement de budgets d'investissement.
Si l'on peut concevoir qu'un préfet règle pratiquement ex nihilo un budget de fonctionnement dans la mesure où la continuation des actions engagées et la permanence des services font que la marge d'arbitrage est faible en matière d'investissement, en revanche, la marge est beaucoup plus grande et, par conséquent, le rôle du préfet peut être beaucoup plus déviant par rapport à la réalité de la vie régionale.
Il faut toutefois nuancer cette observation, car s'il s'agit certes, pour une grande part, de décisions d'investissement, ces décisions sont prises la plupart du temps suivant des procédures s'étalant dans le temps, avec arrêt de programme, délibération de programme, crédits de paiement délégués ou non.
Cette procédure est donc beaucoup moins arbitraire et au coup par coup qu'un budget d'investissement ne s'appliquant pas à des opérations de grande ampleur, comme celles dont sont censées s'occupper les régions, théoriquement exclusivement les régions. Mais, de région à région, les moeurs en matière d'aménagement du territoire et la conception même du rôle de la région dans l'aménagement du territoire peuvent varier, allant du financement des très grandes infrastructures plus ou moins surveillées jusqu'à la participation aux investissements dans la moindre commune, pour la moindre réalisation, en fonction d'articulations régionales parfois quelque peu surprenantes.
La deuxième critique de fond qui peut être faite en ce qui concerne ce budget d'investissement est, celle-là - je le reconnais - assez gênante.
Pour une bonne part, les budgets d'investissement sont engagés par les conseils régionaux en application de contrats de plan. Or le préfet de région, à qui va être dévolu le rôle d'arrêter le budget définitif, en a été le signataire pour le compte de l'Etat. Il se trouve donc être à la fois celui qui a signé pour une partie et celui qui exécute ou met en musique pour l'autre partie.
L'objection n'est pas sans intérêt, elle a un fond de vérité, même si l'on peut concevoir que la parole donnée engage tout le monde et qu'être le liquidateur d'une situation dans laquelle on a pris des responsabilités ne vaut pas a priori un procès en suspicion. En conséquence, même si l'objection est forte, elle n'est pas absolue.
Certains de nos collègues de l'Assemblée nationale - mais pas du Sénat, je le rappelle - siégeant sur divers bancs, ont pensé qu'il fallait essayer de mettre en place un mécanisme d'arbitrage, voire de passage en force des budgets régionaux pour le cas où les majorités relatives, plurielles et différentes, voire singulières, seraient en difficulté.
Leur démarche a abouti au dépôt de quatre propositions de loi.
Trois d'entre elles traitent en majeure partie de l'adoption du budget régional.
Trois d'entre elles traitent du président du conseil régional et sont animées par une idée dominante que je résume ainsi : en cas de difficulté d'adoption du budget, il faut mettre en place une procédure qui s'apparente à l'article 49-3 de notre Constitution, à la motion de défiance constructive bien connue chez nos voisins d'outre-Rhin aux règles applicables dans certaines collectivités territoriales à caractère particulier, telle l'Assemblée de Corse, où le dépôt d'une motion implique, si elle est adoptée, le renversement du président.
Voilà pour les propositions de loi de MM. Mazeaud et Pandraud, d'une part, de M. Ayrault et de Mme Aubert, d'autre part. Quant à nous, nous n'allons pas jusqu'à cette extrémité.
Par ailleurs, un autre de nos collègues députés, M. Jacques Blanc estime qu'après tout, dans tout cela, ce qui est important, c'est la permanence de l'exécutif et de son président. Par conséquent, il faut, selon lui, s'inspirer de la Constitution de la Ve République pour faire élire le président du conseil régional directement par l'ensemble des électeurs de la région, en dehors de l'élection du conseil.
C'est à partir de ce matériau disparate et relativement récent - si j'ai bien compris, les auteurs ont attendu de savoir si M. le Premier ministre actuel franchirait ou non le Rubicon d'une réforme du scrutin régional - que ces propositions ont vu le jour.
Ces propositions ont donc été déposées à la fin du mois de septembre. L'Assemblée nationale en a délibéré au début du mois d'octobre et a adopté un texte qui, par bien des aspects, est assez surprenant.
En effet, si ce dernier retient l'idée d'un budget alternatif, s'il retient l'idée d'une « adoption », assez complexe d'ailleurs, de ce budget alternatif et l'adoption sans vote du budget originel si la motion n'est pas votée, il a introduit par ailleurs toute une série de novations dans d'autres domaines et a totalement supprimé la responsabilité de l'exécutif. En effet, le président de région reste en place pour exécuter un budget qui peut être extraordinairement différent de celui sur lequel il avait travaillé et fait délibérer le conseil régional.
Quel est le déroulement de la procédure ? D'abord, il faut constater qu'à la date du 31 mars - on est obligé d'attendre cette date - il n'y a pas de budget. Il faut ensuite que le président de la région réfléchisse à un budget modifié par rapport à son budget originel, éventuellement modifié par des amendements qui ont été présentés en séance et qu'il retient. Il faut encore que le président du conseil régional fasse approuver ce budget par son bureau, instance qui jusqu'ici n'a jamais eu de pouvoir délibératif puisqu'il s'agit de « l'assemblée du président », des élus auxquels il a donné des délégations. De plus, si le bureau ne parvient pas à se mettre d'accord avec le président - car le bureau, lui aussi, a le pouvoir de reprendre certains amendements et d'en écarter d'autres que le président avait cru acceptables - si le bureau n'accepte pas la mouture en question, il faut saisir le préfet.
Certains de mes amis diraient que c'est comme autrefois quand il y avait une faillite : on prenait son chapeau et ses gants et on allait voir le président du tribunal de commerce ! On crée une situation comparable : le président est confronté à ses créanciers - si je puis dire - aux membres de son propre bureau, en fait - pour traiter d'un budget qui a pu être totalement modifié entre le moment où lui-même s'est engagé dans cette procédure et le moment présent. Le président, disais-je, est en quelque sorte en face de ses créanciers et, s'il n'est pas d'accord avec eux, il prend son chapeau et va voir non pas le président du tribunal de commerce, en l'espèce, mais le préfet de région.
En revanche, si le président du conseil régional se met d'accord avec son bureau, il soumet le projet de budget auquel il est parvenu. A ce moment-là, une motion de défiance peut être déposée, comportant un budget alternatif. Enfin, au bout d'un certain délai, assez bref d'ailleurs, le conseil régional tranche.
Si la motion alternative est adoptée, le budget y afférent est adopté. Le président reste en place, ses vice-présidents et son bureau aussi. Pourtant, les uns et les autres ont été battus. En conséquence, tous les battus restent en place pour continuer à travailler.
Le Sénat appréciera à sa juste valeur la logique d'un tel système !
Dans cette procédure un peu complexe, une chose est passée à la trappe, une autre est apparue.
Ce qui est passé à la trappe, c'est le rôle du comité économique et social régional. Dans notre système régional, ce dernier joue un rôle tout à fait original et constructif, qui est d'ailleurs salué par les présidents de région comme étant un apport positif pour le fonctionnement des régions.
Il a été obligatoirement consulté, de par la loi, par le président du conseil régional, qui lui a envoyé son projet de budget initial, sur lequel il est amené à délibérer et à formuler un certain nombre d'observations.
On peut concevoir - c'est d'ailleurs le cas actuellement - qu'il relève de la latitude et de la liberté normale d'une assemblée délibérante de modifier, par voie d'amendements, le projet initial. Mais on reste dans la logique du projet initial.
En revanche, sur un budget alternatif, certes proposé par la majorité absolue du conseil régional, mais qui, par définition, est alternatif par rapport à celui du président et procède donc d'un autre esprit, le comité économique et social régional ne serait pas amené à formuler des observations.
Il me semble pourtant que, sur un acte extraordinairement majeur, grave, solennel, qui, même s'il n'aboutit pas à renverser l'exécutif, constitue quand même un changement d'orientation pour la région, le comité économique et social régional devrait à tout le moins être consulté, pendant un délai qui ne serait pas nécessairement très long. La commission des lois vous proposera un amendement dans ce sens.
Ce qui est apparu, c'est, à l'article 4, une notion bizarre : le président serait obligé de demander l'approbation de ceux à qui il a donné des délégations sur ses initiatives, alors qu'ils dépendent exclusivement des décisions de délégations qu'il leur a données.
Cette idée curieuse de collégialité a été refusée par le Parlement à l'occasion de tous les votes qui ont été émis sur le fonctionnement des collectivités territoriales, que ce soit avant ou depuis la mise en place de la décentralisation.
On a toujours considéré, en effet, que l'exécutif, c'était le président ou le maire, suivant le cas, et que, ensuite, le reste de l'exécutif procédait de lui par voie de délégation. Or, là, tout à coup, la partie non pas subordonnée mais n'existant que par délégation de l'exécutif a un rôle officiel, se prononçant d'ailleurs dans des conditions dont on ne dit pas que ce sont des conditions de majorité. Il est seulement précisé qu'elle approuve, mais on ne sait pas très bien comment.
S'agit-il du système, bien connu dans l'histoire des Etats-Unis, du président Lincoln, qui, après avoir consulté son cabinet et constaté un vote de dix voix contre et d'une voix pour, la sienne, concluait que le « pour » l'avait emporté ? C'est une façon de concevoir les choses ! Apparemment, ce n'est pas franchement ce système que les auteurs de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale avaient à l'esprit !
Cette collégialité subite se retrouve à l'article 3, alors que la disposition ne figurait dans aucune des propositions de loi qui ont servi de base à la discussion de l'Assemblée nationale.
Cet article 3 mérite qu'on s'y attarde quelque peu. De quoi s'agit-il ? Avant chaque tour de l'élection du président - la procédure sera donc renouvelée tour après tour, s'il y a plusieurs tours - ce dernier doit déposer une déclaration écrite résumant les orientations générales de son action - cela pourrait être concevable, mais encore faudrait-il savoir qui en sera le dépositaire - et fournir la liste des personnes à qui il donnera délégation.
Il ne s'agit plus de l'élection d'un homme ; il s'agit de l'élection d'une planète et de ses satellites, couplés au nom, dit-on, de la transparence ! En commission, ce matin, certains ont dit qu'il se profilait derrière une telle disposition des arrière-pensées précises. Soit ! Mais si ces arrière-pensées sont de caractère contingent, je ne suis pas certain, la commission non plus d'ailleurs, qu'il soit tout à fait opportun de faire des lois de circonstance au gré des événements. Passons sur ce sujet...
La procédure est stupéfiante. En effet, selon les textes, c'est le président qui est dépositaire de l'exécutif, et les délégations qui émanent de lui, de sa volonté seule, sont révocables à tout moment.
Quelle sera la position d'un président d'exécutif élu nominalement sur une liste de personnes à qui il donnera délégation en leur demandant de respecter totalement, au nom de la bonne éducation et des bonnes habitudes, les engagements pris avant l'élection - tout au moins les annonces faites, car ce ne sont pas des engagements - quand il s'apercevra à l'usage que l'un de ses vice-présidents, pour des raisons variées - évolution personnelle sur les plans philosophique ou politique, ou simplement pour des raisons de caractère, voire d'état de santé - ne doit plus conserver la confiance qui lui a été accordée ? Cette personne peut même être amenée à démissionner, piégée par le cumul des mandats. En effet, le système actuel peut le contraindre à abandonner l'assemblée régionale dont il fait partie. J'en sais quelque chose, cela m'est arrivé !
Quid de la solidarité du système ? Quid aussi de sa régularité ?
De tradition républicaine constante, dans toutes nos assemblées, le rôle du doyen d'âge s'est toujours limité, après un discours d'usage, à être le maître de la police de la séance pendant laquelle est élu le président par un vote à bulletin secret et sans débat. Il n'a jamais eu le rôle de recevoir quoi que ce soit, encore moins de communiquer des documents à l'Assemblée, ce qui constitue déjà l'amorce du débat.
Dans le dispositif de l'Assemblée nationale, c'est pourtant bien à cette novation majeure du rôle du doyen d'âge que nous assistons.
Première observation d'ordre juridique global : quel serait le degré de survie au regard de la législation de degré supérieur ? Je n'en sais rien.
J'en viens à la liste des délégués. La loi précise qu'un président de conseil régional ne peut déléguer qu'à un vice-président membre de la commission permanente ou à d'autres membres du conseil régional en cas d'empêchement des vice-présidents. Fort bien !
L'ennui, c'est qu'au moment où l'on élit le président nul ne sait comment sera composée la commission permanente, ni le doyen d'âge, ni le conseil, puisque la première délibération qui suit l'élection du président a pour objet l'adoption du règlement intérieur qui fixe la composition de la commission permanente, le nombre de ses vice-présidents, etc.
Comment peut-on demander à quelqu'un de donner la liste des personnes à qui il donnera délégation, alors qu'il ne connaît pas le nombre de délégués possible, et qu'il sait encore moins qui sera élu, l'élection des délégués en question n'intervenant qu'après, quand la commission permanente sera elle-même désignée, soit par le système de l'élection proportionnelle, soit, dans certaines régions, par appel nominal, soit par simple affichage, comme cela se fait, ici ou là, après accord entre les groupes politiques ?
Très honnêtement, il semble curieux de voir la loi - imposer comme étant une formalité importante - au nom de la transparence, je veux bien ! - l'énumération d'une liste de personnes à qui on donnerait délégation avant même de savoir si elles pourraient seulement être élues aux postes pour lesquels on considère que cette délégation serait possible !
Monsieur le secrétaire d'Etat, cela semble être le fruit d'une incohérence intellectuelle. De plus, cela aboutira, à l'évidence, puisque plusieurs tours seront vraisemblablement nécessaires, à des difficultés internes au sein de chaque majorité relative potentielle, dans la mesure où la liste pourra changer d'un tour à l'autre, avec, par conséquent, des frustrations, des ambitions, des marchandages dont on n'a pas idée !
Vous me direz que certaines compositions de gouvernement se sont révélées, après une élection présidentielle, quelque peu différentes de ce que l'on attendait ! On a vu aussi, dans tel ou tel gouvernement, émerger parfois, à des postes à responsabilité, des personnalités inattendues, et constaté des sensibilités peut-être moins évidentes que ce que l'on aurait pu penser !
Mais, après tout, cela fait partie de la vie politique, et tout le monde s'en accommode, de la même manière que tout le monde s'accommode du système actuel de vote des budgets régionaux.
La commission des lois a donc estimé que, dans cette proposition de loi de l'Assemblée nationale, beaucoup de dispositions devaient être réformées.
La question qui se pose est de savoir s'il faut accepter le principe d'une modification du système d'adoption du budget des conseils régionaux et, si tel est le cas, comment il faut l'organiser. Tel a été l'objet du débat qui s'est engagé en commission ce matin, par conséquent un peu tardivement, peut-être, sur le plan calendaire, mais qui a été riche et profond.
Il en est ressorti que l'introduction d'une nouveauté de ce genre suscite une méfiance générale, sauf, bien entendu, chez les membres de la commission qui sont très proches de ceux qui, à l'Assemblée nationale, ont voté le texte en question dans l'enthousiasme, voire, dans une proportion moindre, de ceux qui l'ont voté avec une certaine résignation. (Rires.) M'exprimerais-je clairement ? Comme c'est curieux !
M. Guy Allouche. Commentaire abusif !
M. Paul Girod, rapporteur. Cette méfiance résulte - je dois le dire à M. le secrétaire d'Etat et au Sénat - des nombreuses auditions de présidents de région auxquelles j'ai procédé. Il n'a pas toujours été simple, d'ailleurs, de prendre rendez-vous avec nos collègues, qui sont fort occupés !
J'ai consulté neuf présidents de région, y compris la totalité de ceux qui ne partagent pas l'option politique qui est la mienne.
Tous m'ont dit qu'ils ne voulaient à aucun prix de ce texte : pour citer des noms, M. Rufenacht, ce qui pourrait peut-être vous étonner un peu, M. Savy, Mme Blandin, M. Blanc, M. Valade. Ils considèrent en effet que, si le système des conseils régionaux est imparfait, il fonctionne et permet néanmoins des arbitrages internes susceptibles d'arranger les choses.
Je sais que d'autres aspects globaux d'ordre politique sont évoqués ici ou là. Certains même m'ont dit qu'ils étaient plus faciles à régler dans un système juridique au sein duquel les acteurs n'étaient pas bloqués pour adopter les délibérations du conseil régional, et qu'il était plus facile d'éviter les difficultés sans la menace d'une sanction juridique derrière.
Je laisse à chacun la responsabilité de ses affirmations. Bien entendu, en tant que rapporteur, je n'ai pas d'opinion sur cet aspect du problème.
La commission des lois a essayé de reconstruire un texte qui tienne debout. Pour ce faire, elle a d'abord procédé à un nettoyage un peu formel. En effet, il est curieux qu'on commence, dans un texte législatif, par supprimer des articles de coordination. On se garde bien, habituellement, de faire la « toilette » d'un code avant de l'avoir modifié !
J'ai été, par conséquent, conduit à proposer à la commission trois amendements qui renvoient dans un article « balai » les dispositions de nettoyage qui se trouvent curieusement aux articles 1er, 2 et 5, si mes souvenirs sont exacts.
J'ai ensuite exprimé devant la commission des lois, qui a bien voulu me suivre, mon hostilité totale à l'article 3, celui qui prévoit cette procédure curieuse d'élection des présidents de conseil régional, déjà à moitié dépouillés de leurs pouvoirs, ce qui remet en question tout le droit de délégation, sur lequel repose, depuis toujours, le fonctionnement de nos assemblées.
Cela remet également en question le rôle du président d'âge. Lorsqu'on commence à toucher à quelque chose d'aussi fondamental, on risque d'aboutir, par voie de conséquence, comme une pelote que l'on dévide, à des résultats tout à fait inattendus.
J'ai, enfin, proposé à la commission, qui a bien voulu me suivre, de remettre de l'ordre dans la motion de défiance, qui ne recueille d'ailleurs pas un assentiment aussi large qu'on pourrait l'imaginer. Mais la commission a bien voulu se résigner à la voie que je lui ouvrais.
Cette motion peut être déposée par un tiers du conseil régional, et non pas par la moitié de ses membres. Sinon, cela reviendrait à dire qu'elle est adoptée pour ne jamais servir.
Par ailleurs, son adoption doit avoir lieu à la majorité absolue du conseil régional et elle doit aussi entraîner le remplacement du président. En effet, si on se met d'accord pour voter un contre-budget, on ne peut pas demander au président en place de l'exécuter. On se doit de désigner, à la majorité absolue, quelqu'un en qui on a confiance.
Bien entendu, dès lors, nous proposons de faire disparaître la consultation du bureau, qui n'est plus justifiée. D'ailleurs, je le rappelle, le bureau est composé du président et de ceux à qui il a donné délégation. Mais aucun texte n'oblige le président à donner délégation à qui que ce soit ! Le président peut même retirer leur délégation à tous les membres du bureau avant la réunion de celui-ci : il est alors seul pour discuter avec lui-même, ce qui, évidemment, facilite le débat ! Mais ce n'est pas forcément le genre de caricature qu'il est souhaitable de voir s'offrir à l'opinion publique ! (Sourires.)
En revanche, j'ai proposé à la commission, qui a, là encore, bien voulu me suivre, la réintroduction du comité économique et social dans la procédure, en lui accordant huit jours pour délibérer sur le budget alternatif et formuler ses observations. Cela me semble être le minimum de ce que l'on doit à cette institution originale de nos régions, qui n'est pas, à mon avis, suffisamment utilisée dans la réalité.
Reste le problème des délais.
Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale aboutit ipso facto à ce que l'on ne puisse enclencher la procédure que le 1er avril puisqu'il faut attendre l'expiration d'un délai qui court jusqu'au 31 mars. Je vous propose donc, mes chers collègues, d'avancer ce délai du 31 mars au 20 mars et de prévoir que, en cas de rejet par l'assemblée délibérante du budget préparé par le président, la procédure s'enclenche dès le lendemain du vote tendant au rejet. Il n'y a aucune raison d'attendre encore quelques jours.
J'indique au passage que, à la suite d'observations formulées par des présidents de conseils régionaux, je vous proposerai probablement de fixer au 30 avril, au lieu du 15 avril, la date d'adoption des budgets des années de renouvellement. Il apparaît en effet, à l'usage, que, si la discussion budgétaire se déroule entre l'élection du conseil régional et le 15 avril, les délais sont vraiment trop courts.
Je propose un délai malgré tout relativement réduit, de sorte qu'on puisse régler la question en moins de trente jours, ce qui semble à peu près compatible avec une bonne administration des régions. Il ne me paraît pas possible d'envisager qu'un président soit soumis à la loi de son opposition pour exécuter ce contre quoi il a combattu.
Voilà, mes chers collègues, très brièvement résumée, la position de la commission des lois. Bien sûr, on pourrait disserter longuement, en particulier sur ce passage d'un exécutif « incarné » à un exécutif pluriel ou collégial qui nous est proposé subrepticement, ainsi que sur ce système étrange d'élection des présidents de conseils régionaux, qui comporte, en outre, une modification du rôle du doyen d'âge, à propos de laquelle on n'a sûrement pas assez réfléchi.
Sous réserve d'un certain nombre d'amendements, la commission des lois vous proposera l'adoption de l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si j'en juge par l'insistance tout à fait légitime que M. le ministre des relations avec le Parlement a mise, au cours de divers entretiens et en conférence des présidents, pour que ce texte soit inscrit dans des délais relativement brefs, celui-ci revêt une certaine importance pour le Gouvernement.
Cette importance nous serait d'ailleurs sans doute plus clairement apparue - ne voyez, dans cette remarque, rien de désobligeant à votre égard, monsieur le secrétaire d'Etat - si M. le ministre de l'intérieur, puisque le sujet relève de sa responsabilité, avait été présent pour nous dire son sentiment sur des dispositions qui - notre rapporteur l'a dit avec la clarté et la compétence qui sont la marque de toutes ses interventions - posent tout de même quelques problèmes.
Il est, au demeurant, permis de se demander s'il ne s'agit pas d'un texte de circonstance. Peut être eût-il été intellectuellement honnête d'adopter, à l'égard de ces dispositions, la ligne de conduite que nous suivons lorsque nous est soumis un texte relatif à des élections et que de telles élections doivent se tenir dans un proche avenir. Ne sommes-nous pas à quelques mois des élections régionales ? Compte tenu du délai qui nous en sépare, il est envisageable d'apporter quelques modifications de détail à la législation actuelle ; on peut prévoir, par exemple, qu'un conseiller régional disparu est déclaré démissionnaire : ce n'est pas un problème d'importance nationale, et l'on peut essayer de le régler.
Mais convient-il, à quelques mois des élections régionales, de débattre sur des dispositions qui modifient fondamentalement, et dans des conditions techniques tout à fait contestables, à la fois la nature et le fonctionnement - les deux aspects sont liés - des assemblées régionales ?
Sans aller jusqu'à dire que vous avez eu recours à un truc, j'ai tout de même le sentiment que vous avez utilisé un procédé, celui de la proposition de loi, même si personne n'oserait douter que le dépôt de celle-ci a été spontané. Quoi qu'il en soit, le fait qu'il s'agisse d'une proposition de loi vous a privé de deux phases de procédure qui, si elles avaient pu être observées, vous auraient évité bien des erreurs.
Ce texte est un montage que je n'ose pas qualifier de juridique.
M. Josselin de Rohan. C'est un magma !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Si vous aviez pris vos responsabilités en recourant au procédé habituel du projet de loi, vous auriez évidemment recueilli l'avis du Conseil d'Etat, et je ne pense pas que, sur un certain nombre de points, celui-ci aurait pleinement avalisé ce qui nous est aujourd'hui soumis et qui a découlé des délibérations de l'Assemblée nationale.
Et puis, dans son intention, un tel texte était, me semble-t-il, digne d'un conseil des ministres. En évitant le passage au conseil des ministres, vous avez empêché le Président de la République d'émettre les remarques, voir les remontrances, qu'il peut, comme il en a le droit, juger bon de formuler sur des textes intéressant le fonctionnement de nos institutions.
Cela est regrettable, car le Président de la République aurait peut-être estimé nécessaire de vous dire, dans le cadre de ses prérogatives, ce que, après tout, il eût été normal qu'il vous dît.
Je m'interroge, en outre, sur la signification profonde de ce texte, et je m'en inquiète.
La démocratie doit fonctionner librement. Or, nous avons toujours tendance à encadrer plus étroitement lorsque nous pensons, à tort ou à raison, que tel ou tel aspect de la vie de nos institutions présente des défauts de fonctionnement. On a tout à l'heure démontré parfaitement que, sur un nombre substantiel de budgets régionaux, trois seulement n'avaient pu être votés. On ne peut donc en conclure que les régions ne fonctionnent pas !
Mais, au lieu de faire ce simple constat, on invente des procédures telles qu'on finit pas enserrer le jeu démocratique dans une sorte de carcan dont on se demande si, finalement, il ne se retourne pas contre ceux qui entendent l'imposer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne suis jamais passé dans cette assemblée pour un régionaliste farouche, mais les régions existent et elles sont ce qu'elles sont.
De même, la loi électorale est ce qu'elle est, et je ne suis jamais passé dans cette assemblée pour un partisan déterminé du scrutin proportionnel.
Quant au peuple, on ne peut pas en changer ! Le peuple est ce qu'il est, et il dira, à l'occasion de toutes les élections, ce qu'il entendra dire, que cela nous plaise ou non.
Je ne suis pas sûr qu'en prenant des précautions que l'on croit judicieuses on puisse parvenir, dans le contexte d'un certain nombre de résultats, à assurer contre vents et marées à la région la stabilité que nous souhaitons tous qu'elle connaisse. Car enfin, nous n'avons jamais eu, dans les douze ans qui viennent de s'écouler, le sentiment que le fonctionnement d'une région avait, à un moment quelconque, abouti à une sorte de crise susceptible de mettre en cause l'unité nationale !
Je sais que l'un de nos collègues, que j'aime bien, a songé à une élection du président de région au suffrage universel direct ! Je lui ai dit : « Jacques, tu serais peut-être duc de Languedoc, mais il y aurait un prince ou un comte d'Alsace, un duc d'Ile-de-France,...
M. Henri de Raincourt. Un duc de Bourgogne ! (Sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... mais oui, un duc de Bourgogne, et un duc de Bretagne ! (M. Josselin de Rohan sourit.)
M. Guy Allouche. Vive la République ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Bref, on les collectionnerait, et ce serait tout à fait pittoresque.
Je n'entrerai pas dans le détail de ce qui nous est proposé. M. Paul Girod a parfaitement analysé tous les dispositifs qui, à l'Assemblée nationale, dans un climat oecuménique, ont jailli des imaginations, notamment de celle de son rapporteur.
Vraiment, les bras m'en tombent ! On aboutit, lorsque tous ces dispositifs sont mis bout à bout, à une monstruosité juridique allant à l'encontre de tous les principes. D'ailleurs, on ne voit même pas comment, dans certaines circonstances, ils pourraient être mis en oeuvre.
Faut-il énumérer toutes les entorses au droit que fait apparaître ce texte ?
S'agissant de la modification de la nature de la région, je sais bien que l'on fait de la politique dans un conseil régional.
M. Hubert Haenel. Trop !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je me souviens de ce qu'écrivait Léon Blum, ce grand ancêtre, dans un de ses plus célèbres rapports au Conseil d'Etat, à propos d'activités qui étaient « teintées de service public ». Eh bien, la région est « teintée de politique », il ne faut pas se le dissimuler, mais elle demeure, en droit, une collectivité administrative. Ses actes sont placés sous le contrôle du juge administratif et ils doivent donc être rangés, de manière générale, dans le cadre de ce qui est placé sous tutelle. La tutelle est une des manifestations du caractère administratif de l'acte qu'effectue la région.
Or, voilà qu'on nous propose d'introduire dans le fonctionnement des conseils régionaux un mécanisme qui est purement politique. On dit que c'est un système à l'allemande. Cela figurait plutôt dans les cartons de la malheureuse IVe République : à l'époque, chaque fois qu'on essayait de réaliser une réforme institutionnelle, mais que celle-ci se heurtait aussi bien à la droite qu'à la gauche, on invoquait la notion de défiance constructive. Mais cela n'a jamais fonctionné, ni en Allemagne, ni ailleurs.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est dissuasif !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Par conséquent, on invente des procédures et on se demande si, de ce fait, il est nécessaire d'y recourir.
On vous a dit qu'il était aberrant d'imaginer que le président du conseil régional fournisse la liste des membres auxquels il donnera délégation. En tant que juriste - nous nous excusons de l'être ! - nous connaissons tous la technique de la délégation. La nature même de la délégation est qu'elle est...
M. Hubert Haenel. Intuitu personæ !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Effectivement, je vous remercie, cher ami ! Elle est également révocable à tout moment. Dès lors, comment le système de délégation qui a été inventé pourrait-il aboutir à une procédure satisfaisante ?
Enfin, le texte qui est issu des travaux de l'Assemblée nationale contient la plus grande des incohérences : le nouveau projet de budget établi par le président du conseil régional devra être soumis pour approbation au bureau du conseil régional.
Ce système aboutit - nous pouvons tous le constater - au comble de l'absurdité : si le projet de budget n'est pas approuvé, le président du conseil régional devra appliquer le budget qui vient d'être voté.
Quelle autorité demeurerait entre les mains d'un président du conseil régional si l'on adoptait un dispositif de ce genre ? Si tel devait être le cas, peut-être serait-il préférable que celui-ci soit élu au suffrage universel direct, plutôt que de voir son pouvoir à ce point affaibli.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les lois de circonstance sont toujours de mauvaises lois car, souvent, elles sont votées dans la précipitation. Je dois reconnaître que nous l'avons évité. Il arrive également qu'elles soient de nature à se retourner contre les intentions de ceux qui ont entendu les proposer. Pour ma part, je me suis rallié à la sagesse de la proposition de notre rapporteur, à mon corps défendant, certes, mais je n'en ai pas moins voté ce qu'il nous propose et je continuerai à le soutenir.
Il ne nous paraît pas utile de toucher à l'institution régionale telle qu'elle est. Elle est fragile. Nous qui représentons les communes, les départements, nous avons derrière nous des siècles d'histoire, des siècles de pratique.
La région est ce qu'elle est. Elle est souvent utile, je n'en disconviens pas, mais, dans le même temps, elle doit s'ancrer dans notre tradition. Je suis persuadé que certains de ceux qui sont ici font tout ce qui est en leur pouvoir pour que cet ancrage se produise et donne les meilleurs résultats possibles. Ces résultats - je m'en réjouis pour mes rapports avec la région d'Ile-de-France - sont extrêmement précieux pour l'action que nous menons.
Nous avons dit sincèrement ce que nous pensons. Je sais que M. le ministre chargé des relations avec le Parlement s'est quelque peu étonné du délai dont nous avons voulu disposer. Toutefois, après l'excellent rapport de M. Paul Girod, qui repose sur des consultations approfondies, et après avoir entendu, j'en suis sûr, tout ce que vous diront les membres de la Haute Assemblée qui souhaitent intervenir, vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le délai que nous vous avons réclamé - et que nous vous réclamerons peut-être encore - était absolument nécessaire.
En effet, le Sénat a le souci de ne pas accepter - je ne dirai pas des élucubrations, ce serait désagréable - mais à tout le moins des textes dont ni les principes ni les modalités ne correspondent à ce que nous souhaitons, c'est-à-dire assurer à la région la stabilité, que nous sommes tous ici unanimes à juger indispensable. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour le bon fonctionnement de la démocratie locale, il nous faut des collectivités locales efficaces. Les conseils régionaux ne relèvent pas, loin de là, de cette catégorie. Vous en conviendrez tous !
La réforme qui nous est proposée aujourd'hui n'est pas à la hauteur des problèmes. Au contraire, elle ajoute à la complexité et même, j'ose le dire, à certains dévoiements actuels que nous avons pu constater dans le fonctionnement de certains conseils régionaux.
Certes, une réforme de fond sur les conseils régionaux est nécessaire, mais elle doit concerner l'ensemble du dispositif de décentralisation, afin de le clarifier et de l'approfondir.
Quel est l'état des lieux, tel que j'ai pu le constater et, trop souvent, le déplorer depuis près de six ans, en tant que conseiller régional d'Alsace ?
La plupart des dysfonctionnements observés sont la conséquence non pas des règles de fonctionnement des conseils régionaux mais du mode de scrutin régional. C'est donc d'abord le mode de scrutin qu'il convient de réformer. Ensuite, nous examinerons les règles de fonctionnement.
Après les brillants exposés de M. Jacques Larché, président de la commission, et de M. Paul Girod, rapporteur, je vous indiquerai simplement ce que j'ai sur le coeur à propos, précisément, du mode de scrutin régional et de ses conséquences fâcheuses.
Pourquoi faut-il le réformer ? Parce que le mode de scrutin actuel et les pratiques qui s'ensuivent procèdent d'une conception de la démocratie que je qualifierai de dévoyée par le système de la proportionnelle intégrale.
M. Paul Masson. Très bien !
M. Hubert Haenel. Nos concitoyens ont le sentiment, lorsqu'ils élisent les conseils régionaux, qu'ils peuvent choisir en fonction des sensibilités les plus diverses ; puis, à peine leurs conseils régionaux élus, ils déchantent. Ils constatent et déplorent le spectacle désolant - je dis bien « désolant » - du fonctionnement des conseils régionaux. Ils imaginent aussi, d'ailleurs, ce qui se passe en coulisse.
Trop souvent, les minorités, les groupes que l'on peut qualifier de « marginaux » et les groupuscules mènent la danse, font et défont les décisions au prix de quelques attentions bien calculées et, de toute façon, au mépris de la démocratie. La situation est voisine de celle de la IVe République et de son Parlement tenu parfois par certains clans. Imaginez-vous une démocratie dans laquelle ce sont toujours les minorités qui arbitrent, au profit, bien entendu, des plus petits dénominateurs communs, bien éloignés de la notion que nous nous faisons de l'intérêt général ?
La démocratie, rythmée par des élections précédées d'un débat pluraliste, exige de celles et de ceux qui sollicitent les suffrages de leurs concitoyens la clarté et la transparence de ce qu'il est convenu d'appeler - on l'a trop souvent oublié - le pacte républicain : pourquoi se présente-t-on ? Sur quel projet ? Avec qui gouverne-t-on et pour quoi faire ?
Les Français exigent la clarté et le respect de ce pacte passé avec eux au moment des élections pour une durée déterminée : six ans.
Comment s'étonner alors devant le spectacle donné par le fonctionnement de certaines assemblées générales, qui succombent aux tentations de l'extrême droite ?
Si les conseils régionaux constituent un élément essentiel du dispositif de décentralisation, pourquoi les maintenir dans ce qui s'apparente à un statut de nain politique et administratif ? Si tel n'est pas le cas, alors faisons l'économie d'un étage qui vient se superposer aux communes, aux intercommunalités, aux pays, aux départements, que sais-je encore ! Il en résultera des dépenses en moins. Voilà des économies toutes trouvées ! Je ne plaide pas, à l'évidence, pour cette thèse.
En revanche, si les régions ont un sens - c'était l'option du général de Gaulle et c'est la mienne - il est urgent de les doter de compétences visibles et lisibles, d'une majorité claire et cohérente, d'un exécutif qui repose sur un socle démocratique capable de donner une impulsion et une réalité aux compétences régionales dans les domaines de l'aménagement du territoire et de la planification, des schémas régionaux, des transports collectifs, de la formation professionnelle et des lycées. C'est le minimum qu'exige la démocratie, dont on nous rebat si souvent les oreilles ces temps-ci.
Mais cette réforme, si nécessaire si l'on se place ne serait-ce que du point de vue du contribuable, de l'administré ou tout simplement du citoyen, n'aura pas lieu parce que, une fois de plus, la région est sacrifiée sur l'autel de certains intérêts partisans. Il s'agit d'une attitude incohérente et déconcertante de la part de tous ceux qui se réclament, d'une manière ou d'une autre, de la décentralisation et de l'Europe.
La construction européenne et la décentralisation constituent, à mes yeux, les chevaux de bataille de certains leaders bien placés sur l'échiquier politique. On les entend proclamer sans cesse la nécessaire clarification et l'indispensable approfondissement de la décentralisation, véritable point d'appui et levier d'une France moderne et en mouvement. Or, partout en Europe, le niveau intermédiaire de collectivité locale qui émerge entre les Etats de l'Union européenne est le niveau régional, que cela plaise ou non !
Dès lors, la France peut-elle rester, en Europe, le pays le plus mal « outillé » au sens du mécano institutionnel ? Telle est la vraie question !
Le débat est escamoté. En effet, ainsi réduit à un problème de calendrier - on invoque toujours le calendrier, ce n'est jamais le bon moment ! - arbre qui cache la forêt des bonnes questions, le véritable débat n'aura pas lieu avant les prochaines élections. D'ailleurs, il n'aura peut-être jamais lieu !
Quelle est la raison d'être des régions ?
Les conseils régionaux, en tout cas dans une région comme la mienne, expriment bien, me semble-t-il, la réalité et l'avenir d'une entité géographique, historique, économique et culturelle.
Veut-on ou non les voir émerger ? Je crains que non parce que les conseils régionaux risquent, aux yeux de certains, d'exprimer le minimum d'identité provinciale. Dans cette conception, il faut, bien sûr, les maintenir à tout prix dans une situation inférieure, de peur qu'émergent dans notre pays des forces locales et des équilibres territoriaux.
Quel rôle voulons-nous réserver aux régions ?
Dans les régions, le débat a lieu, le plus souvent, entre deux conceptions : région faible ou région forte. Mais le vrai débat n'est pas celui-là ! La place des régions ne peut être que la conséquence du rôle qu'on veut leur faire jouer, de la définition des fonctions qu'aucun autre niveau de collectivité locale ne peut remplir à leur place.
Je souhaite vous livrer quelques pistes qui plaident en faveur d'une réforme du mode de scrutin.
Les conseils régionaux ont vocation à devenir, dans le cadre d'un Etat « dégraissé » et recentré sur ses fonctions régaliennes, des lieux de cohérence, de coordination et de concertation avec les autres collectivités locales et l'Etat, pour aménager le territoire régional, planifier les équipements structurants, simplifier les procédures de décision, enfin, rendre plus lisibles la démocratie locale et la fiscalité : qui fait quoi et avec qui ; qui décide et qui paie ? Ainsi, le contribuable, l'administré ou tout simplement le citoyen s'y retrouveront et pourront exercer effectivement le contrôle et l'animation démocratiques.
Finalement, les conseils régionaux pourraient se voir retirer toute une série de compétences, sauf deux. Ils devraient être la réplique régionale du Commissariat général du Plan et de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale. Un point c'est tout. Leur vocation est non pas de gérer, mais d'assurer la cohérence des politiques de dimension régionale et de réfléchir sur les actions à mener.
Pourquoi ne parvenons-nous pas à réformer le mode de scrutin régional ? Il ne faut pas, nous dit-on la main sur le coeur, changer les règles du jeu six mois avant les élections. Allons donc ! Le débat ne date pas d'hier ; le problème se pose depuis 1986.
Les tentatives de réforme n'ont pas manqué face au spectacle souvent désolant qu'offraient certains conseils régionaux. Souvenez-vous des élections de certains présidents de conseils généraux en 1992 ! La même situation va se reproduire dans quelques mois. Quelle mascarade !
Les raisons essentielles, non avouées, de cette absence de réforme sont, me semble-t-il, tout autres. Elles sont de nature politicienne. Ne soyons donc pas surpris si les électeurs, désorientés, trompés, désespérés, en ont assez de la classe politique classique tout entière et se tournent vers l'extrême droite !
J'en arrive au calendrier des élections.
Les élections régionales auront lieu en même temps que les élections cantonales. Les Français risquent de ne plus rien comprendre. Le premier dimanche de mars, ils voteront, d'une part, pour des listes de candidats au conseil général selon un scrutin majoritaire à deux tours qu'ils connaissent bien et, d'autre part, pour des listes de candidats au conseil régional selon un scrutin à la proportionnelle intégrale à un seul tour.
Ainsi, au soir de ces élections, les conseils régionaux seront définitivement élus. L'affichage médiatisé des résultats, les commentaires et les interprétations de toutes sortes sur les scores du Front national et des groupuscules « médiatico-agissants » perturberont immanquablement le choix des électeurs pour le deuxième tour des cantonales.
Les élections régionales constituent également une sorte de sondage grandeur nature - s'il en est - alors que ceux-ci sont interdits. Quel curieux système ! Vous pouvez imaginer les coulisses des états-majors et des salles de presse ! D'aucuns tablent sans doute sur un défoulement des électeurs pour conserver leurs chances dans d'autres élections. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce bien responsable, monsieur le secrétaire d'Etat ?
En conclusion, on peut s'étonner qu'un gouvernement qui a donné à la France la grande réforme de la décentralisation n'aille pas aujourd'hui jusqu'au bout de celle-ci, en l'approfondissant et en la clarifiant.
Compte tenu de ces observations, la modification que vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, n'a, à mes yeux, aucun sens, sinon, d'accentuer encore un peu plus l'aspect « IVe République » du fonctionnement de trop nombreux conseils régionaux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce débat est réellement passionnant. Il était utile de donner du temps à la commission des lois pour lui permettre d'approfondir cette proposition de loi et, en fin de compte, de lever certaines ambiguïtés.
Il est clairement apparu qu'au fond les régions ne sont pas malades. Il est d'ailleurs assez paradoxal de constater que ce sont souvent les plus jacobins qui s'étonnent de voir, de temps en temps, un préfet administrer. Il n'y a rien d'infamant à ce que celui-ci intervienne de temps à autre pour résoudre des problèmes au nom de l'Etat afin de donner les moyens à l'institution régionale d'agir au service du public. Certes, cette situation ne doit pas se multiplier à l'excès, mais si nous nous référons aux douze dernières années, on ne peut tout de même pas prétendre qu'il y ait eu une trop grande tutelle des préfets sur les budgets régionaux !
M. Paul Masson. C'est le bon sens !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je le répète, les régions ne sont pas malades. La Bretagne et l'Alsace ont, certes, une identité régionale forte et ancienne, mais même les régions de création plus récente présentent toutes des taux d'adhésion de plus de 60 %. Ce taux est même de 66 % pour la région Poitou-Charentes. Ce n'était pas évident !
Les régions ont assumé leurs compétences en matière d'éducation et de formation. Elles ont recouru à des formules plus innovantes. Je pense notamment au capital-risque, qui a favorisé la création d'entreprises.
M. Henri de Raincourt. Ah, ça oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. Des initiatives importantes sont souvent prises par les régions en matière d'emploi, par exemple. Des groupements d'employeurs sont créés pour répondre aux problèmes d'emploi, de flexibilité et de souplesse.
Le succès des régions en matière de lycées est reconnu. Elles sont intervenues là où l'Etat n'agissait pas. Actuellement, 50 % des budgets régionaux sont consacrés à la matière grise, à la qualité du matériel mais aussi à la sécurité des lycéens. Lorsqu'on a découvert l'ampleur du problème de l'amiante, on a été bien content de trouver des régions dynamiques pour répondre à ces problèmes de sécurité des jeunes Français !
Souvenez-vous, par exemple, de la loi Giraud ou des lois quinquennales ! S'agissant du développement de l'apprentissage, 1996 a été une année record dans notre pays, grâce, notamment, à l'action des régions.
Je pourrais multiplier les exemples de réussite.
J'insisterai sur le succès très important de la contractualisation et, tout d'abord, celui de la contractualisation supra-régionale avec l'Etat. Le contrat de plan peut, certes, être modifié et amélioré, mais nous nous rendons bien compte que, dans notre pays, il faut défendre la cohérence nationale, sans laquelle notre pays serait fragile.
Il faut aussi valoriser l'initiative locale. Le contrat de plan permet de maintenir la cohérence nationale et de tenir compte des initiatives locales. C'est une bonne chose pour l'Etat et les régions. Les fonds structurels, à l'échelon européen, devraient être intégrés à ce type de dynamique.
Je citerai, ensuite, la contractualisation infra-régionale et le contrat de ville. L'Etat est heureux de pouvoir s'appuyer sur les régions. Certaines d'entre elles ont conclu des contrats de territoire, ou de terroir, qui viennent appuyer l'initiative communale, qui est très importante dans notre pays.
Après le succès d'une décentralisation voulue, l'Etat recourt aujourd'hui à une décentralisation qui semble quelquefois être une figure imposée. Quand il se heurte à des problèmes qu'il ne réussit pas à résoudre, il a tendance à se tourner vers les régions. Voyez le plan Université 2000 ! Comment peut-on faire face au développement de l'Université ? M. Allègre, m'a-t-on dit, chercherait à élaborer un plan Université 3000.
La SNCF incapable aujourd'hui de maîtriser ses dettes, même en les transférant dans une société extérieure, et de faire face aux difficultés auxquelles elle est confrontée, fait appel aux régions par le biais d'expérimentations. L'Etat s'associe aux régions dans le domaine des transports -, c'est le cas avec la SNCF, par exemple -, ou en matière de santé par le biais des agences régionales. Je pourrais parler aussi des déchets.
Je pourrais citer nombre d'exemples tendant à démontrer que la dimension régionale a apporté beaucoup dans notre pays, même si certains dysfonctionnements se sont produits qu'il convient de corriger.
Mais pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, voulez-vous verrouiller les régions, la démocratie locale ? Pourquoi voulez-vous laisser penser que le pouvoir doute de ses alliés ?
Le sénateur qui vous parle, monsieur le secrétaire d'Etat, a dirigé pendant six ans une région avec une majorité relative. En fin de compte, combien d'erreurs ont pu être évitées grâce au dialogue qu'il faut instaurer, grâce au temps que l'on prend pour observer et écouter ! Combien de discussions ont été nécessaires ! J'ai été élu par 25 voix sur 55. Mes dernières orientations budgétaires ont été votées par 31 voix sur 55. Le dialogue et la concertation sont donc possibles.
Je voudrais vraiment vous persuader que le budget des collectivités territoriales, contrairement à celui de l'Etat, n'est pas un rendez-vous annuel. Il se discute tous les jours. Quid des décisions modificatives que nous devons prendre plusieurs fois par an ? Quid de tous ces débats qui font du budget un acte permanent de la gestion ? Combien de fois par an faut-il revenir sur la formule qui est ainsi proposée ? Il ne faut pas jouer la force contre le dialogue ; ce serait une erreur majeure.
Nous devons voter le budget au mois de décembre, afin que les financements puissent être mis en place dès le 1er janvier. Puis, au cours du premier trimestre, les bases et les informations qui nous viennent de l'Etat conduisent à corriger certains éléments, notamment des taux ou des exonérations, et ce jusqu'à la fin du premier semestre. Le budget s'accompagne donc de rendez-vous légaux qui rendent le verrouillage qui nous est proposé difficile à appliquer.
Il faut aussi tenir compte du fait que le clivage partisan, disons-le clairement, n'est pas la règle quotidienne de fonctionnement des assemblées territoriales.
Le clivage urbain-rural vaut le clivage PS-PC ; le clivage, dans bien des régions, entre le pays vert, la ruralité, et le pays bleu, le littoral, est également important. Il peut aussi y avoir un clivage entre les générations, sur certains dossiers, sur les thèmes importants d'avenir, tels que l'agriculture biologique ou les routes. Vouloir en permanence ramener la gestion locale au clivage national revient à politiser le débat et à développer l'esprit partisan, alors qu'il faut, au contraire, valoriser les ententes.
Il ne faut pas transposer les problèmes nationaux à l'échelon local, pas plus qu'il ne faut transposer les problèmes locaux à l'échelon national.
Je prends un exemple concret, celui de l'autoroute Fontenay-le-Comte-Rochefort.
MM. Maurice Blin et Jean-Jacques Hyest. Ah !
M. Jean-Pierre Raffarin. Cette autoroute relie la Vendée à la Charente-Maritime. A La Rochelle, un débat a eu lieu à ce sujet. M. Crépeau y est favorable, mais son adjoint « vert » et son adjoint communiste y sont hostiles. S'ils se battent sur le terrain, ils n'en votent pas moins de la même manière à l'Assemblée nationale.
Pourquoi superposer les deux débats ? Pourquoi toujours verrouiller le débat démocratique ? Laissons M. Crépeau gérer les conflits avec les Verts dans son département et être à la tête du groupe charnière à l'Assemblée nationale au côté des Verts. Laissons un peu de souplesse ; tout le monde peut en avoir besoin, monsieur le secrétaire d'Etat. Ne verrouillons pas l'ensemble des systèmes. Ne cherchons pas à contraindre systématiquement nos alliés. Pourquoi les enfermer dans un accord qui les lie ? Pourquoi vouloir s'attaquer à la liberté de vote ? Pourquoi ne pas faire confiance aux collectivités territoriales ?
Monsieur le président, compte tenu de l'heure, je ne reprendrai pas les très bons arguments que M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur ont brillamment présentés.
Je pense, notamment, au débat sur le doyen d'âge. J'ai assisté au discours d'ouverture de la session du Parlement européen prononcé par M. Autant-Lara. Ce discours du doyen d'âge, affilié au Front national, a suscité un débat. On a bien vu les difficultés qui en sont résulté. Le rôle du doyen d'âge est d'organiser les débats et non de faire la police. Je conçois d'ailleurs mal que les propositions avancées ne soient pas suivies de débat.
Et puis, certains ont évoqué, à juste titre, le mandat impératif, la délégation révocable. Je passe sur ces différents points fondamentaux.
En conclusion, la démocratie s'éclaircit par les urnes ; la crainte du vote fragilise la démocratie. S'agissant du Front national, je crois que toutes ces manoeuvres donnent le sentiment à l'opinion qu'on veut chercher à éluder le véritable débat. Au fond, la vraie victoire s'obtient dans les urnes, grâce à la démocratie. Les manoeuvres nourrissent plutôt les rangs des politico-sceptiques. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)

5