FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
POUR 1998
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi
de financement de la sécurité sociale pour 1998 (n° 108, 1997-1998), adopté
avec modifications par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture. (Rapport n°
119 [1997-1998].)
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, nous reprenons donc aujourd'hui le débat sur
la loi de financement de la sécurité sociale.
Au terme de notre discussion en première lecture, vous aviez adopté un texte
assez profondément modifié par rapport au projet du Gouvernement et à celui
qu'avait adopté l'Assemblée nationale. Je vous avais fait part de mes réserves
sur l'économie générale du dispositif auquel vous étiez parvenu.
L'Assemblée nationale a, pour l'essentiel, rétabli son texte initial. Elle a
souhaité engager dès 1998 la réforme d'ampleur du financement que nous lui
proposions en transférant les cotisations maladie vers la CSG.
Nos débats l'ont fait apparaître, la légitimité de cette substitution n'est,
au fond, contestée par personne. Chacun s'accorde à reconnaître les limites
d'un financement assis sur les seules cotisations, tant par rapport aux besoins
de financement de la sécurité sociale qu'en ce qui concerne l'équité de notre
système de prélèvement.
Faut-il attendre, progresser par petits pas, comme vous le proposez ? Je ne le
pense pas. Il faut avoir le courage d'engager cette réforme afin de pérenniser
véritablement notre système de sécurité sociale. La repousser serait pérenniser
les déséquilibres entre les prélèvements sur les revenus du travail et du
capital, priver les actifs d'une hausse du pouvoir d'achat nécessaire au
soutien de la croissance et fragiliser notre système de protection sociale, car
il ne s'appuierait pas sur une assiette de financement plus large et plus
dynamique.
L'Assemblée nationale a rétabli les mesures que vous aviez rejetées en matière
de politique familiale. Nous avons eu, sur ce sujet, au Sénat, un débat de fond
que je veux saluer de nouveau aujourd'hui.
La majorité sénatoriale a prétendu, dans certaines de ses composantes, qu'à
travers ces mesures nous nous attaquerions à la famille. Je veux répéter ici
que nous sommes tous d'accord pour considérer que la famille est la cellule de
base où l'enfant acquiert ses premiers repères, notamment affectifs, éducatifs,
et où il construit son avenir. Pour nous tous, si la décision de fonder une
famille et d'avoir des enfants est une démarche privée, il est normal, et
d'ailleurs conforme à notre système de protection sociale, que la collectivité
apporte son appui à ceux qui s'engagent dans cette voie.
Pour autant, je ne crois pas que ce soit rompre avec ce principe que
d'introduire plus de solidarité dans notre système d'aide aux familles. Je
rappelle d'ailleurs qu'avant même cette mesure plus de 40 % des prestations
familiales sont aujourd'hui attribuées sous condition de ressources.
Il s'agit de corriger un système où l'aide, à travers les prestations
familiales et le quotient familial, s'accroît aujourd'hui avec le revenu. La
redistribution se fait des plus pauvres vers les plus favorisés, ce qui,
évidemment, n'est pas souhaitable dans une période où tant de familles sont en
difficulté.
Alors que nous sommes confrontés à un déficit majeur, aux difficultés
grandissantes des familles modestes, introduire plus de solidarité, ce n'est
pas s'attaquer à la famille, c'est se donner les moyens d'une politique
ambitieuse au profit de celles qui ont le plus besoin de l'aide de la
collectivité. C'est d'ailleurs ce que le Gouvernement a fait depuis le mois de
juin en accordant plus de 10 milliards de francs aux familles modestes à
travers l'allocation de rentrée scolaire, l'allocation logement et le
dispositif d'accès aux cantines scolaires, par exemple.
Nos débats l'ont montré, la démarche retenue en ce qui concerne les
allocations familiales est le prolongement d'une évolution engagée dans le
milieu des années soixante-dix par la création de prestations sous condition de
ressources dont la dernière illustration a été la mise sous conditions de
ressources de l'allocation pour jeune enfant, décidée par M. Juppé en 1996.
Cette exigence de solidarité et de justice est d'ailleurs largement partagée.
Les associations familiales y adhèrent
(M. Alain Gournac s'exclame),
même si elles contestent les modalités qui
ont été choisies pour y parvenir. Elles souhaitent que nous empruntions la voie
d'une réforme fiscale ; elles proposent notamment la plafonnement du quotient
familial.
Le Gouvernement s'est engagé à aller avec elles jusqu'au bout de la réflexion
et de la concertation. Cette réflexion ne se limitera d'ailleurs pas aux aides
financières ; elle abordera la politique familiale dans sa globalité. Une
politique familiale ne se juge pas à l'aune de l'évolution de telle ou telle
prestation.
Les premières initiatives du Gouvernement s'inscrivent d'ailleurs dans cette
perspective. Favoriser l'insertion des jeunes à travers le plan emplois-jeunes,
accroître l'encadrement scolaire, engager un processus de réduction du temps de
travail qui permette aux familles de consacrer plus de temps à leur vie
ensemble, améliorer la situation du logement, voilà autant de mesures qui me
semblent être au coeur d'une vraie politique familiale !
Nous avions également débattu de manière approfondie de la politique de santé
et d'assurance maladie. La majorité sénatoriale avait adopté un taux de
croissance de 1,7 % pour les dépenses d'assurance maladie, se bornant ainsi à
reproduire le taux retenu en 1997. L'Assemblée nationale est revenue au taux de
2,2 %. Je vous le redis aujourd'hui, cela m'apparaît raisonnable et réaliste.
Nombre d'élus de tous bords, parmi lesquels des sénateurs, d'ailleurs, m'ont
fait part des difficultés rencontrées cette année par les hôpitaux, et
notamment par ceux dont ils ont plus particulièrement à connaître.
Notre système hospitalier doit évoluer, viser l'efficience, mieux s'adapter
aux besoins. Mais cela ne se fera pas sous la seule asphyxie budgétaire.
Il n'est pas possible non plus de restreindre aveuglément les dépenses
médicosociales, tant sont grands les besoins des handicapés et des personnes
âgées dépendantes dans notre pays.
Serait-il raisonnable, par ailleurs, de réduire les objectifs de la médecine
de ville, alors que nous ne sommes pas sûrs de tenir ceux qui ont été fixés
cette année ?
Cette divergence sur les chiffres me semble d'ailleurs renvoyer à un débat
plus profond : si personne ne conteste la nécessité de maîtriser les dépenses,
nous ne pensons pas que nous y parviendrons simplement en édictant des
objectifs comptables et en fixant des enveloppes de manière centralisée.
Notre système de santé n'est pas une machine à dépenser dont on pourrait à son
gré régler le débit. La maîtrise des dépenses suppose une démarche structurelle
: adaptation de notre tissu hospitalier - nous commençons à le faire -
réduction des surconsommations - nous y travaillons avec l'industrie
pharmaceutique et les médecins - modernisation des pratiques de la médecine de
ville.
Ces politiques, outils réels de la maîtrise, qui passent par une meilleure
répartition de l'information, par l'informatisation, par du travail en réseau
entre la médecine de ville et l'hôpital, nous sommes en train de les mettre en
place avec les syndicats médicaux.
Nous n'y parviendrons - c'est notre conviction - qu'en recherchant l'adhésion
et l'implication des professionnels de santé. Avec Bernard Kouchner, nous
revoyons actuellement l'ensemble des partenaires pour avancer sur ces
différentes pistes.
Lors de l'examen du texte issu des travaux de la Haute Assemblée, l'Assemblée
nationale est donc revenue à la démarche initiale proposée par le Gouvernement,
dont les lignes de force sont, comme je l'ai indiqué lors de la première
lecture, la volonté d'assurer la pérennité de notre système de protection
sociale en réduisant de 12 milliards de francs le déficit sur 1998 - objectif
d'ailleurs partagé par le Sénat - le souci d'engager ce redressement en
réformant profondément le système de financement de la protection sociale,
l'introduction de plus de solidarité et de justice dans notre système d'aide
aux familles et l'adoption d'un taux d'évolution des dépenses d'assurance
maladie qui permette à la fois de répondre aux besoins et d'engager les
réformes structurelles nécessaires à une maîtrise à long terme.
Nous allons donc reprendre la discussion sur la base d'un texte qui a le plein
d'agrément du Gouvernement. Voilà pourquoi je vous propose, mesdames, messieurs
les sénateurs, d'adopter ce texte, même si je doute que les deux semaines qui
se sont écoulées depuis la première lecture aient permis à la majorité
sénatoriale de se convaincre du bien-fondé de notre politique de réforme et de
solidarité.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
1998, qui revient devant votre assemblée en nouvelle lecture, n'est guère
différent - Mme Martine Aubry vient de le dire - de celui que vous avez examiné
en première lecture il y a quelques jours.
M. Alain Gournac.
Malheureusement !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
On peut dire cela. Pour ma part, je pense le
contraire, monsieur le sénateur.
Une des différences porte sur la taxe de santé publique sur le tabac, et je
crois nécessaire d'apporter quelques éclaircissements sur ce seul sujet.
L'objectif poursuivi par le Gouvernement en créant cette taxe était double :
certes, contribuer, à hauteur de 1,4 milliard de francs, au redressement des
comptes de la sécurité sociale, mais, surtout, améliorer la lutte contre le
tabagisme en obtenant une augmentation importante du prix des tabacs et
cigarettes et en augmentant les crédits de la prévention.
Comme l'a indiqué M. Dominique Strauss-Kahn lors de la nouvelle lecture de ce
texte à l'Assemblée nationale, les fabricants de tabac sont tentés par une
guerre des prix, dont l'effet serait totalement contraire à nos objectifs de
santé publique - objectifs que partage la Haute Assemblée - à savoir la
diminution de la consommation.
Lors de l'examen du texte en première lecture, j'avais donc annoncé - vous
vous en souvenez sans doute - que, si de nouvelles dispositions fiscales
adaptées et garantissant une véritable hausse des prix du tabac, y compris le
tabac à rouler - vous y étiez très attentifs - était trouvée, le Gouvernement
renoncerait à la taxe de santé publique sur les tabacs.
Les nouvelles dispositions de taxation qui seront proposées dans le projet de
finances permettront d'augmenter le prix de vente des cigarettes, plus
particulièrement des cigarettes blondes et des tabacs à rouler les moins chers,
ce qui répond à nos objectifs de santé publique, en particulier vis-à-vis des
jeunes.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Nous vous l'avions bien dit !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Vous l'aviez dit, mais je vous l'avais promis avant
!
Ces dispositions visent également à décourager les fabricants d'augmenter le
nombre de cigarettes par paquet, ce qui est, à l'évidence, une manoeuvre de
contournement du système actuel de taxation des tabacs. Ces nouvelles
dispositions fiscales seront applicables dès le 1er janvier prochain. Elles
consistent à porter le minimum de perception à 500 francs pour les cigarettes
et à 230 francs pour les tabacs à rouler. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une
augmentation de plus de 50 %.
Dans le même temps, des mesures seront prises en matière de prix de vente. Les
cigarettes étant conditionnées en paquets de plus en plus grands, de vingt-cinq
ou trente unités, le prix à l'unité baisse et la consommation augmente. C'est
pourquoi, désormais, le prix sera fixé pour mille cigarettes, comme dans la
plupart des pays européens.
Enfin, afin d'éviter toute tentation de diminuer le prix de vente, le droit de
consommation sera gelé en 1998. Néanmoins, pour garantir à la sécurité sociale
une recette portée à 1,4 milliard de francs, et non 1,3 milliard de francs, la
part de ce droit qui lui sera versée atteindra 9,1 %, au lieu de 6,39 % ; un
amendement en ce sens sera présenté lors de la nouvelle lecture du projet de
loi de finances. Donc, la sécurité sociale - je sais que c'est un de vos
arguments - y gagnera.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
C'est contraire à la
loi organique ! Mais je m'en expliquerai dans un instant.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
J'en suis sûr ! C'est pourquoi je prenais les devants
!
(Sourires.)
Nous vous proposons donc d'adopter le texte issu des travaux de
l'Assemblée nationale ; il s'inscrit dans le cadre de cette réforme et
aboutira, comme la version initiale de l'article 5, à un rendement de 1,4
milliard de francs provenant de la fiscalité des tabacs.
Je ne doute pas que cette mesure satisfasse la commission des finances du
Sénat, qui considérait que le dispositif initial compliquait inutilement la
fiscalité du tabac, puisqu'il ajoutait deux taxes aux trois existantes. « Il
serait plus simple, estimait-elle, de relever la fraction des droits de
consommation sur les tabacs affectée à la CNAM », ce que nous faisons.
Je vous rappelle enfin l'engagement du Gouvernement de porter les crédits en
faveur de la lutte contre le tabagisme de 20 millions à 50 millions de francs
au sein du Fonds national de prévention, d'éducation et d'information à la
santé. La majorité sénatoriale me paraît donc mal fondée à critiquer ce
dispositif introduit en nouvelle lecture : il épouse très fidèlement les
caractéristiques de celui qu'elle a elle-même voté lors de la discussion du
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, à savoir
l'affectation à la Caisse nationale de l'assurance maladie, la CNAM, d'une
fraction des droits de consommation sur les tabacs. En outre, le montant de
cette fraction était inscrit dans la loi de finances de l'année.
A cette époque, elle a eu sans doute la volonté d'aller dans la même
direction, c'est-à-dire de diminuer la consommation du tabac chez les plus
jeunes, dans un souci de santé publique. Je ne pense pas qu'il en soit
différemment aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M.
Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez soumis à l'examen
du Parlement un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui appelle
de notre part bien des objections de fond. Certes, nous l'avons dit dès le
début, nous en approuvons l'objectif, puisqu'il s'agit d'abaisser de 33
milliards de francs à 12 milliards de francs le déficit prévisionnel de la
sécurité sociale. Nous n'approuvons cependant ni la méthode, qui consiste à
remettre en cause certains principes fondateurs de la sécurité sociale et à
augmenter encore les prélèvements qui pèsent sur l'activité économique, ni les
risques que vous prenez en vous lançant dans l'aventure du basculement massif
des cotisations maladie sur la CSG, ce qui va entraîner pour de nombreux
Français, et pas nécessairement les mieux lotis, des discriminations
importantes en raison des modalités de ce basculement.
En dépit de ces objections, nous avons adopté un projet qui retient l'objectif
poursuivi - la réduction à 12 milliards de francs du déficit pour 1998 - mais
avec des méthodes différentes de celles qui nous étaient proposées, en
maîtrisant davantage l'évolution des prélèvements et celles des dépenses, sans
menacer l'activité économique, sans remettre en cause le droit à la sécurité
sociale.
Comme il était prévisible, mes chers collègues, la commission mixte paritaire,
réunie le mercredi 19 novembre, a révélé la profondeur des divergences de vues
entre l'Assemblée nationale et le Sénat, ou, plus exactement, compte tenu des
amendements qui ont été votés, en ce qui concerne les points les plus
importants, entre les représentants des groupes socialistes et les
représentants de tous les autres groupes des deux assemblées.
La commission mixte paritaire n'a donc pu parvenir à un accord, et je voudrais
aborder trois points essentiels à la place de mon ami Charles Descours,
rapporteur, qui n'a pu se libérer ce matin de ses obligations.
Tout d'abord, en nouvelle lecture, le mardi 25 novembre, l'Assemblée nationale
a supprimé tous les éléments importants de l'alternative proposée par le
Sénat.
Ainsi, elle a rétabli le basculement massif des cotisations maladie sur la CSG
sans retenir ni l'argumentation du Sénat, ni celle des nombreuses organisations
professionnelles qui continuent à nous écrire pour nous démontrer qu'aucune
mesure compensatrice ne permet à ce jour d'assurer la neutralité de ce
basculement. J'en veux pour preuve, madame la ministre, une lettre en date du
19 novembre 1997 de l'Union des professions artisanales, qui nous indique qu'au
regard des taux annoncés devant la représentation nationale le basculement de
la cotisation maladie vers la CSG se traduira par une perte financière pour
tous les non-salariés dont les revenus professionnels seront supérieurs à 165
000 francs nets annuels. Nous sommes donc loin des 235 000 francs que vous nous
aviez annoncés en première lecture.
L'Assemblée nationale a également rétabli la mise sous condition de ressources
des allocations familiales et la diminution de l'AGED, l'allocation de garde
d'enfant à domicile.
Elle n'a écouté, s'agissant de la politique familiale, ni les justes
observations des parlementaires communistes, ni celles de la majorité
sénatoriale. Elle n'a pas davantage écouté l'avis unanime des organisations
familiales, patronales et syndicales qui se sont exprimées au conseil
d'administration de la CNAF, la Caisse nationale d'allocations familiales.
Enfin, elle n'a pas plus écouté l'avertissement solennel de M. Jean-Paul
Probst, président de la CNAF, qui nous dit que procéder à une réforme
structurelle de la politique familiale du seul fait du déficit de la branche
famille alors que les causes de ce déficit ne font pas l'objet d'une analyse
objective ne lui paraît pas une bonne décision.
M. Alain Gournac.
Il a raison !
M. Jean-Pierre Fourcade
président de la commission des affaires sociales.
Il rappelle que, si un
réexamen d'ensemble de la politique familiale doit être envisagé prochainement,
« cette réforme est menée à contretemps ; une telle réflexion générale devant
précéder et non suivre des mesures structurelles sur lesquelles il sera
impossible de revenir ».
M. Alain Gournac.
Il a parfaitement raison !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
L'histoire de la
protection sociale retiendra que la mesure la plus importante a été décidée
contre l'avis unanime de tous les syndicats et de tous les partis politiques, à
l'exception du vôtre, madame la ministre. Mais j'aurai tout à l'heure
l'occasion de m'expliquer davantage sur le plafonnement des allocations
familiales.
L'Assemblée nationale a par ailleurs rétabli l'ONDAM, l'objectif national de
dépenses de l'assurance maladie, au niveau proposé par le Gouvernement, ce qui
nous paraît psychologiquement dangereux et annonciateur de comportements moins
responsables qu'en 1997, tant pour la médecine de ville que pour la médecine
hospitalière.
Nous savons, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que nombre
d'établissements hospitaliers connaissent des difficultés et que la préparation
des budgets pose problème à bien des conseils d'administration, mais tout de
même ! La différence entre un taux de croissance de 1,7 %, celui que nous
proposions, et un taux de croissance de 2,2 %, celui que vous proposez,
c'est-à-dire 0,5 % de la masse, ne peut être considérée comme étant à la mesure
des problèmes rencontrés en matière de restructuration de nos établissements
hospitaliers. Ce qui est important, c'est la mise en place des outils
d'accréditation et de vérification. Il nous a semblé que, jusqu'à la mise en
place de ces outils, il valait mieux s'en tenir à un ONDAM aussi faible que
possible. L'écart entre nous est de 0,5 point, c'est-à-dire de 3 milliards de
francs !
Vous le savez, madame la ministre, l'injonction d'emprunter faite à la Caisse
nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, a
beaucoup ému le Sénat. Je ne résiste pas à la tentation...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ne résistez pas !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... de citer la lettre
qui nous a été adressée par une personne particulièrement autorisée, puisqu'il
s'agit du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Ce
dernier affirme que « d'après les prévisions effectuées par les services de la
Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire de la CNRACL, cette
disposition n'est pas nécessaire, puisque les réserves de cette caisse de
retraite devraient s'élever à 1,5 milliard de francs en fin d'exercice si,
comme les années précédentes (...), le calendrier de versement des acomptes est
aménagé ».
C'est donc uniquement un souci en quelque sorte de tranquillité budgétaire qui
vous a poussée à réécrire cette autorisation d'emprunt et nous estimons, au
Sénat, comme particulièrement nocif, et même ridicule sur le plan des finances
publiques, à une époque où l'on se plaît à révérer les rapports de la Cour des
comptes, d'obliger une caisse qui est structurellement excédentaire à emprunter
pour permettre à la caisse de retraite de la SNCF ou à celle des mineurs de
toucher à temps leurs différents acomptes de surcompensation.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Le même directeur
général poursuit d'ailleurs en disant que l'incitation de recourir à des
avances de trésorerie lui paraît « difficilement défendable dans le cas d'une
institution de retraite largement excédentaire » et d'autant moins justifiée
que l'on sait que le Gouvernement, en concertation avec les élus locaux,
examinera en 1998 le problème de fond du financement des retraites du personnel
hospitalier et du personnel municipal. En effet, comme chacun ne le sait pas,
les deux catégories de personnels sont traitées par la même caisse.
J'en arrive au deuxième point de mon exposé. Si l'on peut admettre que
l'Assemblée nationale ait supprimé les principaux points de l'alternative
sénatoriale, il est plus difficile de comprendre que, sur les autres articles,
elle n'ait retenu aucun des apports du Sénat.
M. Alain Gournac.
C'est du sectarisme !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
L'Assemblée nationale
est même allée jusqu'à supprimer des modifications de précision ou celles qui
prévoyaient le dépôt de rapports par le Gouvernement. Pourquoi supprimer un
rapport sur la situation des régimes spéciaux de sécurité sociale,...
M. Alain Gournac.
Du sectarisme !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... sur le bilan du
basculement d'une fraction des cotisations maladie sur la CSG résultant de la
loi de financement pour 1997 ou sur la distribution des médicaments
remboursables ? Voilà trois sujets importants sur lesquels, mes chers
collègues, la représentation nationale a le droit d'être informée. Les
suppressions décidées par nos collègues de l'Assemblée nationale maintiendront
donc l'opacité.
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Jean Chérioux.
C'est de l'acharnement !
M. Alain Gournac.
Pas thérapeutique !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Non, ce n'est pas de
l'acharnement thérapeutique, mes chers collègues, c'est de l'acharnement
idéologique !
(Sourires.)
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Oh ! C'est la première fois qu'on me le dit !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Il ne faut pas me
provoquer, monsieur le secrétaire d'Etat !
(Nouveaux sourires.)
M. Claude Estier.
De quel côté, l'acharnement idéologique ?
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
J'y arrive !
Sur le fond, l'Assemblée nationale a aussi supprimé d'utiles apports du Sénat
tels que l'amendement adopté sur l'initiative de notre collègue Jean Chérioux,
relatif au régime des cultes...
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas gentil !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... ou celui qui
permettait aux personnes qui assurent la garde d'un enfant à domicile de
bénéficier d'une formation.
Elle a également supprimé l'assouplissement du barème de la taxe sur les
dépenses promotionnelles des laboratoires, alors que la modification du Sénat
était neutre, ou enfin la disposition concernant l'opposabilité des objectifs
régionaux de dépenses des cliniques privées, qui était de bon sens et qui
s'intégrait dans la révision à la baisse de l'ONDAM pour 1998.
L'Assemblée nationale a également supprimé les deux articles que le Sénat
avait adoptés en faveur des jeunes avocats et des jeunes agriculteurs, afin que
ces derniers ne soient pas pénalisés par le basculement des cotisations maladie
sur la CSG.
On pourrait penser sur ce point que l'Assemblée nationale a pris le parti de
n'accepter aucune mesure en faveur d'une quelconque profession. Je reconnais
qu'en effet, dans ce genre de mécanisme, à partir du moment où l'on commence à
céder à tel ou tel, on risque de dénaturer le dispositif.
Or, mes chers collègues, l'Assemblée nationale s'est crue obligée de faire un
geste en direction d'une catégorie sociale, et devinez laquelle : il s'agit non
pas des jeunes avocats ni des jeunes agriculteurs, mais des exploitants de
casinos !
(Sourires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Elle l'a fait à l'unanimité
!
M. Alain Gournac.
C'est vraiment exceptionnel !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sosciales.
Les exploitants de
casinos ? Voilà des gens qui sont à la fois victimes de la crise et dans une
situation conjoncturelle tout à fait nationale !
L'Assemblée nationale a donc préféré les tenanciers de casinos aux jeunes
avocats et aux jeunes agriculteurs. La population jugera !
M. Alain Gournac.
C'est important, les casinos !
(Rires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
L'Assemblée nationale a adopté
cette mesure à l'unanimité !
M. Claude Estier.
Vos amis l'ont également votée, monsieur Fourcade !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Ce n'est pas une
raison. Et je trouve que se préoccuper du sort des casinos est bien
caractéristique d'un ressort idéologique tout à fait particulier !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Ce n'est pas de l'acharnement idéologique, puisque la
gauche et la droite confondues ont voté cette disposition !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Si, c'est bien
idéologique, pour des raisons que chacun comprend.
Troisième point : n'ayant rien retenu des apports du Sénat et n'ayant apporté,
sur son initiative, aucune autre modification à son texte initial que celle en
faveur des casinos, l'Assemblée nationale a, en revanche, accepté deux
amendements du Gouvernement d'une exceptionnelle importance.
Le premier amendement, dont M. Kouchner vient de parler, relève
malheureusement du vieux conflit qui oppose les financiers à ceux qui
s'occupent de santé publique, je veux parler du tabac. En effet, le
Gouvernement avait proposé un mécanisme de taxe de santé publique sur le tabac,
et c'était l'un des rares points qui avait suscité l'agrément de tout le
Parlement - Assemblée nationale et Sénat - mais, évidemment, la SEITA et les
fonctionnaires de Bercy n'étaient pas d'accord et, comme chacun sait, leur
volonté s'impose au Parlement quel que soit le régime politique !
Le Gouvernement a donc proposé, en nouvelle lecture, un amendement défendu par
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui supprime la
taxe de santé publique et prévoit une modification de la loi de finances afin
de permettre de corriger le déficit.
Que nous reste-t-il, mes chers collègues ?
Tout d'abord, je constate, madame la ministre, que le texte que vous nous
proposez ce matin prévoit pour 1998 un déficit de la sécurité sociale non pas
de 12 milliards de francs mais de 13,4 milliards de francs puisque la
disposition adoptée par l'Assemblée nationale augmente le déficit de 1,4
milliard de francs.
Il nous reste la promesse de M. Strauss-Kahn que le Gouvernement déposera un
amendement au projet de loi de finances pour augmenter le prélèvement réalisé
au profit de la CNAM sur les droits de consommation.
Je trouve tout à fait condamnable et tout à fait contraire à la loi organique
cette sorte de vote arraché du projet de loi de financement de la sécurité
sociale contre la promesse que, demain, on rasera gratis. Il est évident que
c'est l'une des causes pour lesquelles le Conseil constitutionnel pourrait
annuler ce texte.
En matière de tabac, même si techniquement la solution proposée par M.
Strauss-Kahn est meilleure et a pour objectif de rétablir davantage d'égalité
entre les fabricants français de tabac et les fabricants étrangers, à tout le
moins, un texte initial aurait dû figurer dans le projet de loi de financement
de la sécurité sociale.
Je réprouve donc formellement la technique employée par le Gouvernement, qui a
pour résultat, je le répète, d'augmenter de 1,4 milliard de francs le déficit
de la sécurité sociale, et ce par le dépôt d'un amendement en nouvelle lecture,
devant l'Assemblée nationale.
J'ai entendu tout à l'heure M. le secrétaire d'Etat indiquer que le prix moyen
des cigarettes et du tabac à rouler augmenterait de manière significative,
comme nous l'avions souhaité, mais aucun élément, sauf une promesse, ne peut
nous le garantir.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est signé !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Nous attendons des
explications. Je trouve tout à fait contraire à la loi organique qui a suivi la
révision constitutionnelle de renvoyer un système de financement d'un texte à
l'autre. C'est une erreur grave, et cette erreur, nous la ferons sanctionner
par le Conseil constitutionnel !
Le second amendement, beaucoup plus grave, concerne l'évolution des
prestations familiales.
Lorsque la majorité sénatoriale a dénoncé les atteintes graves portées par le
gouvernement actuel à la politique familiale, qui subit quatre mesures, et non
pas une seule, vous avez, madame la ministre, souligné avec beaucoup de vigueur
combien les précédents gouvernements étaient eux-mêmes coupables, puisqu'ils
avaient été « condamnés » par le Conseil d'Etat en raison de la revalorisation
insuffisante des prestations familiales en 1995.
De fait, la Caisse nationale d'allocations familiales avait provisionné une
somme de 650 millions de francs en 1997 pour faire face aux conséquences de
cette décision du Conseil d'Etat de mars 1997.
Reste à régler ce que l'on appelle l'effet de base, c'est-à-dire les
conséquences de cette régularisation pour les exercices suivants. Le
Gouvernement l'a évaluée à 3,5 milliards de francs pour 1996, 1997 et 1998. La
commission des affaires sociales du Sénat l'évalue à 2 milliards de francs, car
elle estime que le Gouvernement a surévalué le coût de cette revalorisation. De
toute manière, cela devait se traduire par une augmentation des sommes versées
aux familles par la caisse.
Comment, en effet, le Gouvernement a-t-il résolu ce problème ? Il l'a fait par
un amendement de séance à l'Assemblée nationale, déposé dans la nuit du mardi
25 novembre dernier, lors de l'examen du texte en nouvelle lecture. Cet
amendement, qui n'a pas été examiné par la commission compétente de l'Assemblée
nationale, fige législativement la base de calcul des prestations familiales
pour 1996 et supprime donc l'effet de base pour les années suivantes.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je tire de cet
amendement et de cette expérience nocturne deux constatations.
D'abord, lors de la discussion en première lecture du texte par l'Assemblée
nationale et le Sénat, le Gouvernement avait supposé acquise cette validation,
bien qu'elle ne figure pas dans le projet de loi. Et nous avons longuement
discuté des dépenses de prestations familiales en supposant votée une mesure
qui ne l'était pas ! Il a fallu rattraper l'affaire en nouvelle lecture à
l'Assemblée nationale, et ce sans que sa commission saisie au fond en ait été
informée. Nous avons donc discuté dans le vide !
L'écart entre l'évaluation du Gouvernement, 3,5 milliards de francs, et la
nôtre, 2 milliards de francs, aurait pu donner lieu à un véritable débat.
Ensuite, je constate que le gouvernement actuel, après avoir accablé ses
prédécesseurs et leur avoir donné le drapeau de l'« anti-familialisme », se
garde bien de réparer leur « erreur » et en profite pour réaliser une nouvelle
économie pour 1998.
Je note d'ailleurs avec amusement que le rapporteur de la commission des
affaires culturelles à l'Assemblée nationale, qui n'avait donc pas examiné
l'amendement, a « salué » à titre personnel les explications du ministre, et a
considéré que c'était « à l'honneur du gouvernement actuel d'honorer les dettes
laissées par son prédécesseur ».
Il me semble qu'il s'est trompé de bonne foi parce que l'objet de l'amendement
est non pas d'honorer cette « dette » mais de râper la base de départ et de
réaliser cette économie de 2 milliards de francs.
Cette malheureuse affaire montre qu'il ne faut jamais donner des leçons de
morale...
M. Alain Gournac.
Il ne vaut mieux pas !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... avant d'examiner
dans le détail les problèmes qui se posent, surtout si l'on est décidé à ne pas
tenir compte de la jurisprudence du Conseil d'Etat.
Cette nouvelle économie confirme donc que la branche famille est la variable
d'ajustement du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.
C'est pourquoi le texte voté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture,
assorti de ces deux amendements ravageurs votés dans la nuit, est pour la
commission des affaires sociales encore moins satisfaisant que celui qu'elle
avait adopté en première lecture.
L'essentiel demeure toutefois la suppression de l'universalité des allocations
familiales - je distingue bien entre les allocations familiales et les
prestations familiales, dont la plupart sont soumises à plafond de ressources -
à nouveau acceptée par l'Assemblée nationale.
C'est la raison pour laquelle, tout à l'heure, je vous demanderai, mes chers
collègues, de vous opposer solennellement à cette mesure extrêmement grave,
tout à fait contraire à nos traditions depuis 1945 est dénoncée comme telle par
le conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales, en
vous proposant d'accepter une motion tendant à opposer l'exception
d'irrecevabilité à l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998, tellement cette mesure, confirmée par l'Assemblée nationale
et aggravée par l'amendement nocturne de rectification des bases, nous paraît
contraire au socle fondateur de notre sécurité sociale.
(Applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après avoir
écouté l'excellent propos de M. Fourcade, à mon tour de vous dire, au nom de la
commission des finances, que le projet de loi de financement de la sécurité
sociale, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, est consternant.
Aucune des dispositions adoptées en première lecture par le Sénat n'a trouvé
grâce aux yeux des députés. Cette absence totale de dialogue entre nos deux
assemblées intervient précisément au moment où j'entendais M. le ministre de
l'économie et des finances dire hier sur un plateau de télévision qu'aucune
réforme des sociétés ne saurait jamais progresser sans dialogue.
Eh bien, cette absence totale de dialogue m'amène à penser qu'il est bien
inutile de chercher à rétablir le texte du Sénat en nouvelle lecture. La seule
attitude logique semble donc de voter la motion tendant à opposer l'exception
d'irrecevabilité, comme nous le propose M. le président de la commission des
affaires sociales.
Toutefois, ce retour au texte de l'Assemblée nationale a procuré à la
commission des finances une légère satisfaction sur un point, qui fait
d'ailleurs apparaître une divergence d'approche mineure avec nos amis de la
commission des affaires sociales.
L'Assemblée nationale a renoncé à créer la nouvelle taxe spécifique sur les
tabacs affectée à l'assurance maladie. Elle a admis, comme je l'avais fait en
première lecture, qu'il est plus simple de relever la fraction du droit de
consommation sur les tabacs qui a été affectée à la CNAM l'an dernier.
Cette modification ne pourra toutefois désormais plus intervenir qu'en
nouvelle lecture du projet de loi de finances, alors qu'elle aurait pu avoir
lieu dès l'examen de la première partie du projet de budget au Sénat, si la
recommandation de la commission des finances avait été suivie.
M. le président de la commission des affaires sociales a raison de dire que le
déficit final est momentanément accru.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Il n'est pas
momentanément accru aux termes du texte actuel !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Quoi qu'il en soit, je suis heureux, madame la
ministre, que le Gouvernement ait finalement entendu la voix du bons sens. Lors
du débat en première lecture, vous aviez indiqué que vous n'aviez pas
suffisamment confiance en votre collègue en charge du budget pour procéder de
la sorte. Je me félicite que votre confiance ait pu être raffermie dans
l'intervalle.
Néanmoins, ces péripéties et ces difficultés de coordination démontrent bien
le caractère - comment dire ? - improvisé du projet de loi de financement
présenté par le Gouvernement. Nous en avions déjà eu une illustration avec les
500 millions de francs qui ont été ajoutés en catastrophe au BAPSA pour
compenser la hausse de la CSG aux retraités agricoles. Nous en aurons bientôt
une nouvelle illustration, avec la disposition du projet de loi de finances
rectificative qui allège la cotisation de solidarité payée par les
fonctionnaires afin de compenser la hausse de la CSG pour les plus bas
traitements.
Pour en revenir à la fiscalité des tabacs, le seul tort de la commission des
finances est donc d'avoir eu raison trop tôt.
Permettez-moi d'avoir la faiblesse de penser que la commission des finances a
eu également raison sur d'autres points, sur lesquels elle n'a pourtant pas été
suivie. Je pense notamment à ses positions sur les cotisations d'accidents du
travail ou sur les excédents de constribution sociale de solidarité des
sociétés, la CSSS.
Je regrette tout particulièrement de ne pas avoir été entendu lorsque la
commission des finances proposait de précariser la taxe de 6 % sur la
prévoyance complémentaire, en préconisant son extinction à compter de 1999.
En effet, je le répète, cette taxe est absurde dans son principe puisqu'elle
aboutit à asseoir une contribution sociale sur des dépenses de protection
sociale. Par ailleurs, elle est vraisemblablement inconstitutionnelle, car son
assiette est définie par voie de simple circulaire ministérielle, en violation
de l'article 34 de la Constitution qui fait obligation au législateur de fixer
« l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute
nature ».
La commission des affaires sociales avait d'ailleurs exprimé l'an dernier les
plus vives réserves à l'égard de cette taxe lorsque le gouvernement de M. Juppé
avait demandé au Parlement l'autorisation de la créer par ordonnance.
Néanmoins, le rapporteur de la commission des affaires sociales a invoqué à
l'encontre de l'amendement de la commission des finances la règle dite de «
l'annualité budgétaire ». Or, la seule contrainte de recevabilité résultant de
l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale est que toute disposition
figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale doit affecter
directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base.
L'amendement de suppression présenté par la commission des finances satisfait
pleinement cette condition de recevabilité.
Si j'insiste sur ce point et si je récuse l'interprétation qui a été faite du
champ de la loi de financement de la sécurité sociale, c'est parce que, si
cette interprétation devait être confirmée, elle constituerait une restriction
fâcheuse et dénuée de tout fondement juridique de la recevabilité des
amendements parlementaires sur ce projet de loi.
Je voudrais également revenir sur l'objectif national des dépenses d'assurance
maladie, dont le président de la commission des affaires sociales a parlé voilà
quelques instants.
La position de rigueur que la commission des finances avait adoptée, je vous
le rappelle, était de se caler sur l'inflation - 1,3 % en 1998 - comme nous
nous étions calés sur l'inflation à 1,7 % en 1997.
Cette position de rigueur n'a pas été comprise. Je suis pourtant convaincu que
c'est la seule qui soit responsable. Cette position est d'ailleurs confortée,
peut-être anecdotiquement, par le dossier paru dans un hebdomadaire, dont je ne
citerai pas le titre mais qui est politiquement proche du Gouvernement, sur ce
qu'il appelle le « gâchis dans les hôpitaux ».
Ce dossier, qui n'est pas une simple enquête journalistique, se fonde sur 220
lettres d'observations définitives des chambres régionales des comptes,
c'est-à-dire sur des documents publics, élaborés selon une procédure de
vérification minutieuse et contradictoire qui les rend irréfutables. Ce dossier
vous le connaissez, il a été publié récemment sous le titre : « Hôpitaux : un
gâchis de 20 milliards. »
Les chambres régionales des comptes illustrent par des cas concrets la réalité
d'un gaspillage hospitalier qui peut seulement être pressenti par une approche
macro-économique et qui a déjà été souligné par tous les rapports, tous les
contrôles qui ont été faits, que ce soit ceux de l'inspection générale des
affaires sociales, l'IGAS, de la CNAM, de la Cour des comptes, voire de la
Mutualité française.
Le constat est effarant : mépris des procédures de marché public, dérive du
secteur privé à l'hôpital, sous-utilisation chronique des équipements,
opérations immobilières hasardeuses. Ce sont donc de 20 milliards de francs à
50 milliards de francs qui sont perdus en purs gaspillages.
Au regard de ces faits avérés, je crois que la position irréaliste et
irresponsable est non pas celle que nous avons défendue au nom de la commission
des finances ou de la commission des affaires sociales - à savoir un taux de
progression de 1,3 % à 1,7 % pour l'ONDAM - mais bien celle du Gouvernement qui
entraîne, pour 1998, une majoration de 0,5 point de la croissance de cet
objectif national des dépenses d'assurance maladie.
Le relâchement envisagé sera un très mauvais message adressé aux
professionnels de santé, et je voudrais vous mettre en garde, madame la
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, car l'opinion publique évolue sur ces
sujets, et elle n'est pas si naïve que vous semblez le croire.
Le chantage au rationnement des soins comme justification de l'immobilisme n'a
pas paru crédible l'an dernier. Le chantage à l'étranglement financier des
hôpitaux, dont M. le secrétaire d'Etat a parlé avec beaucoup d'éloquence, ne
sera pas compris non plus.
Chacun sait bien qu'à côté des services débordés mis en avant - toujours les
mêmes d'ailleurs - il existe une multitude d'établissements sous-utilisés qui
cherchent à justifier leur existence par une activité dépourvue de véritable
motif médical. Le cas d'une certaine maternité d'une certaine ville du centre
de la France, dont je ne citerai pas le nom parce que chacun l'a en tête, me
semble l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire.
D'une façon générale, ce qui me paraît grave dans ce projet de loi de
financement de la sécurité sociale, c'est le manque de lucidité.
J'en prendrai comme illustration la question des régimes spéciaux de retraite.
Non seulement le Gouvernement et sa majorité ne veulent rien faire en la
matière, mais ils ne veulent même pas savoir. Comme l'a souligné M. Jean-Pierre
Fourcade, la suppression du rapport demandé par le Sénat est révélatrice à cet
égard. Cette politique de l'autruche s'inscrit d'ailleurs dans la continuité de
l'annulation de l'étude qui avait été commandée sur ce sujet par l'Office
parlementaire d'évaluation des politique publiques.
Il y a un même manque de lucidité en ce qui concerne la CNRACL, la Caisse
nationale de retraite des agents des collectivités locales. La fuite dans
l'emprunt, que la commission des finances a dénoncée, est une grave erreur, et
nos collègues sénateurs du groupe socialiste savent d'ailleurs bien que cette
voie est une impasse. Je suis convaincu que, dans les années à venir, le
Gouvernement et sa majorité auront à rendre compte de cette erreur devant tous
les élus locaux. En tout cas, pour sa part, le Sénat aura pris date.
Il y a enfin un manque de lucidité en ce qui concerne la CADES, la Caisse
d'amortissement de la dette sociale. Je regrette que l'Assemblée nationale
n'ait pas cru bon de conserver l'amendement modeste de la commission des
finances du Sénat tendant à inscrire dans la loi la date exacte du terme de
l'existence de cette caisse et à prévoir sa dissolution et la dévolution de son
patrimoine à l'Etat. La portée de cette proposition était certes symbolique,
mais elle était politiquement importante pour bien marquer, devant nos
concitoyens, d'une part, le caractère provisoire de la CADES et, d'autre part,
le caractère exceptionnel de sa réouverture. Il n'est pas responsable de
traiter de manière anodine une mesure si lourde de conséquences. Je vous
rappelle que 230 milliards de francs sont en jeu.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, le projet de loi
de financement de la sécurité sociale issu des travaux de l'Assemblée nationale
paraît à la commission des finances du Sénat devoir être rejeté.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le débat sur la loi de financement de la sécurité sociale a
montré notre attachement collectif à notre système de protection sociale et
notre perception commune que sa pérennisation implique impérativement de
réduire son déficit chronique. Enfin, nous avons été unanimes dans
l'affirmation de l'importance de la famille comme structure de base de notre
société.
Certes, les débats ont fait apparaître des divergences profondes quant aux
moyens à mettre en oeuvre, mais nul ne peut douter, sauf à se livrer à des
manoeuvres politiciennes, de la sincérité des convictions ainsi affichées.
Le projet de loi élaboré par le Gouvernement est un projet ambitieux, qui
prépare l'avenir en tenant compte des difficultés présentes dues
essentiellement à la crise économique, de l'état actuel de notre système de
soins hospitaliers, ainsi que de la réalité des conditions de vie de la
majorité des familles.
Ce projet ambitieux allie la nécessité des réformes à entreprendre ou à
poursuivre à la volonté de développer la solidarité et la justice sociale.
Le premier objectif de ce projet de loi de financement est de réduire des deux
tiers le déficit initialement prévu pour le régime général en 1998.
Ce déficit a donc été fixé à 12 milliards de francs mais, pour que ce
redressement perdure, le Gouvernement souhaite modifier profondément le mode de
financement, dont chacun s'accorde, ici comme ailleurs, à dire qu'il est
aujourd'hui inadapté.
En effet, dans un contexte où la part des salaires dans la valeur ajoutée est
en diminution constante, il n'est plus possible de concentrer trop
exclusivement le financement de notre protection sociale sur les revenus
salariaux.
Dans un double souci d'efficacité et de justice sociale, le Gouvernement nous
a proposé d'élargir de façon pérenne la base du financement par un basculement
quasi intégral des cotisations maladie des actifs salariés et retraités vers la
CSG et de rééquilibrer les prélèvements entre les revenus du travail et les
revenus du capital.
Dans le même temps, ce basculement redistribuera environ 1,1 % de pouvoir
d'achat vers l'ensemble des salariés.
Cette réforme constitue une étape essentielle, mais, vous l'avez rappelé,
madame la ministre, la question de l'assiette des cotisations patronales reste
posée et fera l'objet de propositions dès la prochaine loi de financement.
Sur l'ensemble de ce premier volet déterminant pour l'avenir de notre système
social, la majorité sénatoriale s'est opposée au projet du Gouvernement.
Ce faisant, elle privait l'ensemble des salariés d'une augmentation de leur
pouvoir d'achat. Si elle avait été suivie par l'Assemblée nationale, cette
disposition aurait en effet eu des conséquences négatives sur la croissance et
sur l'emploi.
La maîtrise des dépenses constitue le deuxième axe de cette loi de
financement.
L'approche du Gouvernement n'a pas été seulement comptable : en fixant la
progression de l'ONDAM à 2,2 %, le Gouvernement a marqué qu'il était attentif
aux besoins de la population, soucieux d'assurer à tous l'accès à des soins de
qualité et décidé à améliorer l'efficience de notre système de santé.
Personne ne nie la nécessité de réformer l'hôpital, d'adapter ses activités et
ses missions aux nouveaux besoins et attentes de nos concitoyens.
Un encadrement draconien serait un frein à ces évolutions nécessaires. Chacun
a pu le mesurer au cours des dernières années, particulièrement l'an
dernier.
Il ne s'agit pas de dépenser plus pour un résultat identique. Il s'agit de
donner les moyens au secteur hospitalier et à la médecine de ville de s'adapter
aux réalités d'aujourd'hui. Cette évolution ne peut se décréter. Elle ne se
fera pas de façon technocratique ou autoritaire. Il y faudra le dialogue, la
concertation avec l'ensemble des professionnels concernés mais aussi avec les
élus et les usagers.
Il y faudra aussi de la pédagogie et de la persuasion, tant ce sujet est
sensible.
Ce deuxième volet n'a pas davantage trouvé grâce aux yeux de la majorité
sénatoriale, qui a souhaité réduire fortement la progression de l'ONDAM au
risque de retarder la mise en place d'une véritable et durable maîtrise des
dépenses de santé.
Le troisième pilier du dispositif gouvernemental concerne la branche famille,
dont le déficit s'est dangereusement accru ces dernières années du fait de
l'application, sans nouveau financement, de la loi famille de 1994.
Il faut à nouveau rappeler que, de 1993 à 1997, les prestations familiales ont
été insuffisamment augmentées, alors que, dans le même temps, des avantages
importants et injustifiés étaient concédés à la minorité des familles les plus
aisées.
Le Gouvernement a souhaité rééquilibrer les aides familiales en direction des
familles les plus modestes ou en difficulté. C'est pourquoi il a mis
immédiatement en place un plan qui a apporté plus de dix milliards de francs
aux familles ; il leur a ainsi assuré un rattrapage.
Dans un deuxième temps, il a souhaité que la branche famille revienne à
l'équilibre, en proposant le plafonnement des allocations familiales et en
limitant les aides à la garde des enfants à domicile.
Je ne reviendrai pas sur ce débat, tout ayant été dit lors de la discussion
consécutive à la déclaration du Gouvernement sur la politique familiale et lors
de l'examen, en première lecture, du projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
Une fois encore, la majorité du Sénat s'est opposée violemment au projet
gouvernemental. Rejetant les dispositifs de plafonnement et de limitation, elle
n'a pas hésité, pour équilibrer le budget, à accroître la CSG de 0,1 % et à
grever d'autant le budget des familles qu'elle prétend défendre.
Dès lors, c'est un véritable contre-projet qu'elle a élaboré.
Au choix du Gouvernement de pérenniser et de renforcer notre système de
protection sociale, de marquer sa volonté de le faire évoluer vers plus
d'efficacité, d'introduire plus de solidarité dans la redistribution aux
familles, le Sénat a préféré l'immobilisme et ses risques et a défendu les
intérêts d'une minorité de familles. En agissant ainsi, il a oublié que nos
concitoyens ont, le 1er juin dernier, choisi le changement pour plus de
justice.
Dans ces conditions, l'économie globale ayant été détruite, il n'est pas
étonnant que l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, ait rétabli
l'essentiel du texte, sans reprendre, bien entendu, tout ou partie des
amendements du Sénat. C'est pourquoi la majorité sénatoriale propose
aujourd'hui une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité dont je
dirai quelques mots.
Au nom de la commission des affaires sociales, le président-rapporteur
conteste la procédure utilisée pour deux amendements présentés par le
Gouvernement, en séance, sans examen de la commission compétente.
Le premier concerne la suppression de la taxe de santé publique sur les
tabacs, suppression qui « aggraverait dans l'immédiat le déficit initialement
fixé à 12 milliards ». Il est vrai que les sénateurs ont montré, en première
lecture, leur ferme détermination à lutter contre le tabagisme et que leur
inquiétude paraît, dès lors, légitime.
En ce domaine, il apparaît cependant que la hausse des prix au public a des
effets très dissuasifs mais que la fixation d'une taxe n'aboutit pas
automatiquement au résultat escompté, les fabriquants se livrant sans vergogne
à une guerre des prix, ainsi que l'a rappelé M. Oudin.
C'est la raison pour laquelle, conformément à ce qu'il avait indiqué lors des
débats en première lecture, le Gouvernement a proposé un dispositif différent,
qui répond mieux aux objectifs de santé publique, en particulier à l'égard des
jeunes, objectifs que nous partageons tous et sur lequels nous serons
vigilants.
Le Gouvernement a d'ailleurs précisé que les mesures seraent prises en matière
de prix de vente.
Cet amendement n'a donc pas été présenté à la « sauvette » ; le moyen répond
bien à la volonté sénatoriale.
Cette disposition accroît-elle le déficit immédiat de la
sécurité sociale ?
Je ne le crois pas, puisque les prévisions de recettes provenant des impôts et
taxes affectées, qui ne sont pas individualisés, restent fixés comme dans le
projet initial, à savoir à 403 milliards de francs.
Simplement, la somme de 1,3 milliard de francs ou de 1,4 milliard de francs
proviendra de l'affectation non de la taxe de santé publique, mais d'une partie
plus grande du droit de consommation.
L'essentiel reste que la lutte contre le tabagisme soit effectivement
accrue.
Le second amendement est relatif à la non-revalorisation rétroactive de la
base mensuelle des allocations familiales.
Le Sénat s'en émeut, mais un peu tard ! Pourquoi n'a-t-il pas protesté au
moment où ces revalorisations auraient dû, selon la loi, intervenir ? A
l'époque, la majorité sénatoriale était pourtant en adéquation avec la majorité
gouvernementale en place et disposait sans conteste des moyens nécessaires pour
imposer ses vues. Le Sénat ne l'a pas fait. Il paraît quelque peu inconvenant,
aujourd'hui, qu'il s'indigne vertueusement, oubliant ainsi ses propres
responsabilités !
En réalité, l'opposition du Sénat au projet de loi de financement de la
sécurité sociale tient essentiellement à son opposition résolue à l'article 19,
qui prévoit la mise sous conditions de ressources des allocations
familiales.
La majorité sénatoriale déclare que c'est une question de principe. Sa
position, que l'on pourrait juger légitime, aurait eu plus de crédit si, dans
le même temps, elle ne s'était arc-boutée de toutes ses forces contrte la
limitation des avantages de l'AGED pour 30 000 familles aisées.
En cela, elle est surtout apparue comme défendant les intérêts d'une minorité
de privilégiés !
Dans la motion qui nous sera soumise tout à l'heure, seules les allocations
familiales sont évidemment visées, et on en revient au seul principe :
l'article 19 serait contraire à la Constitution.
Il remettrait « en cause le principe ancien et constant de l'universalité des
allocations familiales, selon lequel ces dernières constituent un droit attaché
à l'enfant, du seul fait de son existence, et que ce droit est identique pour
tous quels que soient les revenus de leurs parents ».
A l'appui de cette thèse, il est fait référence au préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946, à l'ordonnance de 1945, et à deux décrets-lois
des 12 novembre 1938 et du 29 juillet 1939.
J'ai relu ces deux derniers textes. C'est peu dire qu'ils ont beaucoup
vieilli.
En effet, le décret-loi de 1939 est un texte circonstanciel, motivé
exclusivement par une baisse exceptionnelle de la natalité.
Contrairement à ce qui est couramment affirmé, il n'instituait pas les
allocations familiales pour toutes les familles ; il les instituait pour les
seuls actifs, une prestation dite d'assistance étant prévue pour les inactifs
dépourvus de ressource. Le texte de l'époque précise bien : « les pères actifs
» et « les pères inactifs ».
Par ailleurs, pour des raisons exclusivement natalistes, ce texte supprimait
l'allocation familiale alors versée pour le premier enfant, disposition qui,
depuis, n'a jamais été rétablie.
Il faut rappeler aussi que la politique familiale définie par ce texte
comportait une série de mesures allant de la tutelle des enfants naturels à «
la répression des pratiques abortives, et plus généralement à la répression des
vices et la lutte contre les fléaux qui constituent autant de dangers pour
l'avenir de la race », toutes mesures qui ont heureusement été corrigées par
des lois plus récentes.
Cela relativise le caractère d'universalité, voire d'infaillibilité que l'on
veut accorder à ce texte.
Quant au préambule de la Constitution, il serait dommage, voire dangereux, de
le réduire au seul versement des allocations familiales. Ces dernières
d'ailleurs ne sont pas visées explicitement. Car, si tel était le cas, l'enfant
unique n'aurait pas dû être privé de ce droit. Le préambule a en réalité une
portée beaucoup plus large et, par là, beaucoup plus forte.
C'est la garantie par la nation qu'aucun enfant ne sera abandonné. C'est ainsi
qu'en cas de défaillance des parents, pour quelque raison que ce soit, la
nation se substitue à eux et prend totalement en charge l'enfant. C'est
l'affirmation que chaque enfant a droit à l'éducation, au logement, aux soins,
à la culture...
Peut-on affirmer aujourd'hui que tous les enfants ont également accès à tous
ces droits ?
En théorie, oui ! Mais nous savons bien que, dans les faits, les inégalités
subsistent en fonction notamment du niveau de ressources des parents. Nous ne
pouvons pas nous satisfaire de cette situation.
Il est indispensable de remettre en forme notre politique familiale pour aller
vers cet idéal fixé par notre Constitution.
Le Gouvernement s'y est engagé. Il s'est exprimé avec force sur ce sujet en
indiquant que la politique familiale relevait de toutes les politiques, y
compris la réduction du temps de travail et la fiscalité ou le développement
des modes de garde des enfants.
Sur ce point précis, je souhaite qu'un oubli soit réparé. Il s'agit des
crèches parentales, qui ne sont pas citées dans le rapport annexé au projet de
loi de financement.
Je vous demande en conséquence, madame la ministre, de préciser que ces
crèches parentales ne seront pas exclues de l'aide au développement des divers
modes d'accueil des enfants.
En conclusion, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les
socialistes sont persuadés que le projet de loi de financement, tel qu'il a été
adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, va dans le bon sens et
qu'il prépare des réformes profondes pour lesquelles les socialistes seront
d'ailleurs à vos côtés.
Bien entendu, dans ces conditions, nous ne voterons par la motion tendant à
opposer l'exception d'irrecevabilité qui sera présentée dans quelques
instants.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, aujourd'hui, nous avons à discuter de nouveau du projet de loi
de financement de la sécurité sociale.
Lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, nos collègues sont
revenus, pour l'essentiel, au texte qu'ils avaient adopté en première lecture,
balayant ainsi le contre-projet de la droite sénatoriale. Nous avons échappé à
l'aggravation que représentait, pour la France, un plan Juppé
bis.
En effet, il est urgent de rompre avec une politique qui a méprisé les besoins
les plus criants.
L'actualité nous rappelle que des actions fortes doivent être menées pour
lutter, par exemple, contre le saturnisme ou l'amiante, pour ne citer que ces
fléaux qui n'étaient pas pris en compte jusqu'ici.
Plus globalement, il est nécessaire d'améliorer la santé publique dans le
domaine des soins comme de la prévention, et de réduire les inégalités. Le
Gouvernement affirme sa volonté de le faire. Pour ce qui nous concerne, pour
sûr, nous y travaillerons.
Pour asseoir son efficacité et réussir sa restructuration, notre système de
soins est en quête de moyens tant financiers que démocratiques. A la démarche
autoritaire et rigide des ordonnances du plan Juppé, qui ont véritablement
démantelé notre secteur hospitalier,...
M. Jean Chérioux.
C'est l'apocalypse que vous êtes en train de nous décrire !
Mme Nicole Borvo.
... et sur proposition du Gouvernement, les députés ont préféré consolider le
rôle de l'hôpital en s'appuyant sur des outils nouveaux, les SROS, mais aussi
en assurant à l'ONDAM une progression sensible.
Je dis tout de suite que nous la jugeons insuffisante eu égard aux énormes
difficultés accumulées. Le groupe communiste républicain et citoyen attend
beaucoup de la tenue des Etats généraux de la santé, à l'occasion desquels nous
estimons que tous les acteurs doivent se concerter et que doivent être arrêtées
des décisions importantes servant de base à l'élaboration de la prochaine loi
de financement, qui doit rompre avec les logiques antérieures.
Concernant le volet familles, fer de lance de votre bataille, messieurs de la
droite sénatoriale, je tiens à rappeler qu'en aucun cas vous ne pouvez vous
ériger comme leur défenseur privilégié. Permettez-moi d'insister sur le fait
que c'est vous qui, en décidant d'appliquer en 1991 le taux de 1,1 % de CSG à
la branche famille, avez parallèlement permis l'allégement des cotisations
patronales !
A notre sens, le problème du déficit de la branche famille réside
principalement dans son mode de financement. En réduisant la contribution
patronale de la branche famille, vous avez fini par remettre en cause les
principes mêmes de son fonctionnement.
N'est-ce pas M. Juppé qui, en mettant sous conditions de ressources
l'allocation pour jeune enfant, a ouvert cette voie dangereuse que vous
dénoncez aujourd'hui ?
N'avait-il pas l'intention d'aller au-delà, en fiscalisant les prestations
familiales ?
Sur la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, notre
position n'a pas varié : nous y sommes hostiles. Grâce à l'attitude positive et
constructive du groupe communiste à l'Assemblée nationale, l'amendement
précisant que cette mise sous conditions de ressources était provisoire a pu
être adopté. Nous en prenons acte.
Cet apport non négligeable, combiné à vos engagements, madame la ministre, de
remettre à plat la politique familiale en 1998 et de ne pas étendre cette mise
sous conditions à d'autres prestations - notamment de santé - nous ont permis
d'avancer dans le débat.
De plus, ces garanties données nous permettent de penser que le versement
d'allocations familiales dès le premier enfant, appelé de nos voeux devant
cette assemblée, sera rapidement envisagé. Nous souhaitons, vous le savez, une
révision de l'assiette des cotisations patronales en fonction de la valeur
ajoutée et de la masse salariale.
J'espère que ces questions seront effectivement mises à plat pour 1998.
Enfin, pour en terminer avec les prestations familiales, j'entends faire le
point sur les insuffisantes revalorisations.
En effet, la loi impose une revalorisation de ces prestations alignée sur les
prix hors tabac.
A deux reprises, en 1993 et en 1995, le gouvernement Juppé est passé outre
cette obligation et a été, à ce titre, sanctionné par le Conseil d'Etat.
L'absence de revalorisation, ou la modération de celle-ci, a entraîné des
pertes considérables pour les familles, surtout pour celles qui étaient déjà en
difficulté. On estime à 6 milliards de francs le montant des arriérés, et à 1,8
milliard de francs le manque à gagner annuel.
Lors de la nouvelle lecture, sur proposition du Gouvernement, a été validée
par amendement la revalorisation rétroactive des allocations familiales pour
1995. Le coût de cette mesure s'élève à 550 millions de francs, mais le « coup
de pouce » consenti au titre de 1995 n'aura aucun impact sur le montant des
allocations des années suivantes, ni sur celles de l'année 1993. Cette mesure a
le désavantage d'effacer la dette de l'Etat. Ce n'est pas acceptable.
Nous souhaitons que ce rattrapage soit total. Certes, celui qui est proposé
par le Gouvernement a pour objet de tenter de remédier à la situation laissée
par la droite, mais le Gouvernement doit en tirer toutes les conséquences et ne
pas faire la même chose que la droite !
M. Jean Chérioux.
C'est pourtant ce qu'il fait !
Mme Nicole Borvo.
Vous êtes mal placé pour le critiquer ! Je vous dis qu'il ne doit pas faire la
même chose !
M. Guy Fischer.
Vous parlez trop vite, monsieur Chérioux ! On verra !
Mme Nicole Borvo.
Les prestations familiales doivent être revalorisées comme il se doit : c'est
justice, en particulier pour les familles populaires, qui sont favorables à une
reprise de la consommation.
S'agissant du financement de notre protection sociale, j'ai largement eu
l'occasion de l'affirmer devant vous : le groupe communiste républicain et
citoyen est très soucieux d'assurer un financement durable qui permet de
répondre à tous les besoins des Français.
A l'Assemblée nationale, le basculement permanent des cotisations sociales
vers la CSG a été rétabli, ce qui conduit à une fiscalisation de la sécurité
sociale et n'entraîne pas nécessairement un gain de pouvoir d'achat ; la
manifestation récente des retraités en témoigne. Nous continuons à dénoncer un
tel basculement.
Ces dernières années, les revenus des ménages, des retraités ont été
lourdement mis à contribution. Tous attendaient du Gouvernement des mesures
favorables ou plus équitables. Bien sûr, nous notons comme positive l'avancée
du Gouvernement qui tend à élargir l'assiette de la CSG à certains revenus
financiers. Toutefois, nous déplorons que le Gouvernement se soit arrêté en
chemin, excluant du champ d'application de la CSG les revenus financiers du
capital, les « vrais », c'est-à-dire ceux des entreprises, banques et
assurances. Tant que cette option ne sera pas choisie, aucun financement
suffisant et durable ne sera dégagé pour équilibrer le budget de la sécurité
sociale.
Les réserves que j'ai eu l'occasion de formuler tout au long de ce débat, et
que je continue de formuler, sur le projet en général, sur le financement de la
sécurité sociale en particulier, auraient conduit notre groupe à s'abstenir.
Elles n'ont toutefois strictement rien en commun avec les motivations
développées par la droite sénatoriale. Pour nous, le débat n'est pas clos ;
d'importants chantiers sont ouverts, auxquels nous entendons participer
positivement.
Quant à la droite, n'ayant obtenu satisfaction ni sur le volet familles ni sur
le financement, et encore moins sur les économies à réaliser sur les dépenses
de santé - qui constitue le fond de sa politique - elle s'abrite derrière
l'article 44, alinéa 2, pour opposer au texte du Gouvernement une exception
d'irrecevabilité. Cette attitude met fin à toute possibilité de débat alors que
les choix que nous devons faire sont cruciaux nous la condamnons. J'aurai
l'occasion plus tard d'expliquer pourquoi le groupe communiste républicain et
citoyen ne peut voter la motion présentée par la commission.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, permettez-moi, à l'occasion de cette discussion générale,
d'aborder un point plus particulier.
En effet, M. le président de la commission des affaires sociales vient de
dénoncer, à juste titre, l'archarnement de l'Assemblée nationale contre le
texte que nous avions voté et son refus de tout dialogue, même sur des points
de caractère plutôt technique.
C'est ainsi qu'elle a supprimé la disposition relative au régime d'assurance
vieillesse des ministres des cultes, que le Sénat avait insérée, sur mon
initiative, à l'article 13. Cela est très regrettable et se traduira, comme je
l'ai dit lors de la première lecture, par une très lourde augmentation des
charges des communautés religieuses à la suite de la très forte augmentation
des cotisations supportées par leurs membres. Et pourtant, lorsque la réforme
de la CAMAVIC, la caisse mutuelle d'assurance vieillesse des cultes, a été
négociée, il avait été prévu que celle-ci interviendrait conjointement avec
celle du régime d'assurance maladie des ministres des cultes géré par la CAMAC,
et dont le montant des cotisations est supérieur à celui du régime général.
Il est regrettable que l'Assemblée nationale n'ait pas accepté cette mesure,
qui était une simple mesure d'équité. Elle a en quelque sorte refusé le
dialogue, non pas le dialogue des carmélites
(Sourires),
mais avec les
ministres des cultes.
M. Claude Estier.
Excellent !
M. Jean Chérioux.
Il faut bien mettre de temps en temps un peu de gaieté dans nos débats,
monsieur Estier !
Je sais bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous aviez dit, lors du débat
en première lecture, que, d'après vous, les ministres des cultes étaient
d'accord sur le texte que vous soumettiez. Ce que je propose concerne plutôt,
je le répète, les communautés religieuses que les ministres des cultes
eux-mêmes. Je sais bien que vous vous intéressez plus, monsieur le secrétaire
d'Etat, au ministre des cultes qu'aux communautés religieuses, mais il est bon
de ne pas oublier ces communautés importantes, qui ont besoin de vivre.
C'est la raison pour laquelle il serait souhaitable que, à l'occasion d'une
dernière lecture, l'esprit inspire l'Assemblée nationale...
M. Claude Estier.
Le Saint-Esprit !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
L'esprit avec un « E », n'est-ce-pas !
M. Jean Chérioux.
... et qu'elle revienne sur son refus de dialogue.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité