M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant la santé et la solidarité.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis maintenant dix ans que je rapporte, au nom de la commission des finances, le budget des affaires sociales et de la santé, j'ai vu la dénomination du ministère varier au gré de l'imagination sémantique des gouvernements et la présentation des crédits opérer de nombreuses métamorphoses.
Depuis 1996, ces crédits étaient présentés en deux fascicules distincts, intitulés respectivement « Santé publique et services communs » et « Action sociale et solidarité ». Pour le budget de 1998, ils n'en forment plus qu'un : ce nouveau fascicule intègre, en outre, l'ancien fascicule « Ville et intégration » ainsi que les crédits consacrés à l'action sociale en faveur des rapatriés et ceux de la mission interministérielle à la lutte contre la drogue et la toxicomanie, qui étaient antérieurement inscrits au budget du Premier ministre.
Pour ma part, j'approuve d'autant plus ce regroupement des crédits du ministère de la santé, de la solidarité et de la ville que je l'avais appelé de mes voeux l'an dernier. Toutefois, ces modifications de présentation incessantes obscurcissent considérablement l'analyse. Je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, que vos services eux-mêmes seraient bien en peine de retracer, à structure constante, l'évolution des crédits des affaires sociales et de la santé sur les dix dernières années. Je veux donc espérer que la présentation retenue cette année sera conservée pour les exercices à venir et que le budget de la santé, de la solidarité et de la famille trouvera enfin le minimum de stabilité nécessaire à sa lisibilité, j'allais dire à son efficacité.
L'ensemble formé par les crédits ainsi regroupés s'élève, pour 1998, à 73,1 milliards de francs, soit une progression, à structure constante, de 2,6 % par rapport à 1997. Il s'agit principalement d'un budget d'intervention, les dépenses du titre IV en constituant près de 90 %. Celles-ci, qui augmentent de 3,3 %, expliquent l'essentiel de la hausse du budget, les moyens des services étant stabilisés et les dépenses en capital étant en diminution de 11,8 %. Cela étant, dans le budget global, les dépenses en capital sont toujours les grandes sacrifiées.
Dans sa nouvelle conformation, le projet de budget est désormais composé de sept agrégats de volumes très différents, deux d'entre eux représentant à eux seuls plus de 80 % des crédits : il s'agit des dépenses en faveur des personnes handicapées et des personnes âgées, qui représentent 40,9 % du total, et des dépenses de lutte contre l'exclusion, qui en représentent 40,3 %. En clair, le premier de ces agrégats correspond pour l'essentiel à l'allocation aux adultes handicapés et aux centres d'aide par le travail, tandis que le second correspond au revenu minimum d'insertion.
Viennent ensuite trois agrégats représentant chacun entre 5 % et 7 % du total des crédits. Tout d'abord, il s'agit des dépenses d'administration générale, des interventions sanitaires et de l'agrégat dénommé « Développement de la vie sociale », qui fait quelque peu figure de fourre-tout. Il s'agit ensuite de dépenses qui apparaissent plus symboliques : ce sont, en effet, des crédits consacrés à la ville, qui représentent 1 % du total, et des crédits consacrés à l'intégration qui, eux, en représentent seulement 0,6 %.
Sans entrer dans le détail des crédits, je voudrais formuler quelques observations que m'inspirent ce projet de budget. Pour le reste, je me permets de vous renvoyer à mon rapport écrit, ainsi qu'aux excellents rapports de la commission des affaires sociales.
Tout d'abord, je dois constater la persistance d'évolutions mal maîtrisées.
En 1998, comme les années précédentes, les augmentations de crédits les plus importantes en volume du budget de la santé, de la solidarité et de la ville résulteront de la croissance « anarchique » - disons plutôt très forte, peu maîtrisée - des dépenses sociales obligatoires.
Les crédits consacrés au RMI progresseront, en 1998, à un rythme de 4,5 %. Ce rythme peut, certes, paraître modéré par rapport aux premières années de mise en place du dispositif et s'inscrit en retrait par rapport à celui de 1997, où il était de 5,3 %. Néanmoins, compte tenu de la masse des crédits correspondants, ce taux d'augmentation correspond à une dépense supplémentaire non négligeable de 1,097 milliard de francs.
Par ailleurs, du fait des recoupements entre la population concernée par le RMI et celle qui est concernée par l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, il est admis que les dépenses consacrées à ces deux types de prestations sont, pour une large part, substituables. Ce n'est pas moi qui l'affirme, mais d'éminentes organisations comme la Cour des comptes ou l'Inspection générale des affaires sociales. Or, les crédits consacrés à l'AAH sont également en augmentation sensible en 1998 - 4,6 % - pour atteindre 23,389 milliards de francs, soit un supplément de crédits de 1,129 milliard de francs par rapport à 1997.
Les efforts, qui correspondaient à une réelle volonté, faits pour contenir les dépenses relatives à l'AAH ne produisent toujours pas les effets espérés. Le nouveau barème d'incapacité fixé par la loi de finances pour 1994 n'a modifié qu'à la marge les décisions des COTOREP, les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel. La proportion des allocations attribuées au titre d'une inaptitude à exercer une activité professionnelle est restée supérieure à 37 %, alors qu'il s'agissait de baisser ce taux.
Dans son récent rapport sur les minima sociaux, le Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts s'étonne du peu d'informations disponibles sur les bénéficiaires de l'AAH et s'interroge sur l'interférence possible entre la situation du marché du travail et les décisions d'attribution de l'allocation. Il relève notamment une sur-représentation inexpliquée de la classe d'âge des cinquante-cinq à cinquante-neuf ans dans la population des bénéficiaires de l'AAH. Ce phénomène laisse à penser que l'allocation est utilisée comme une « mesure d'âge » dans les plans sociaux des entreprises, ce qui est, à l'évidence, une déviation de ses objectifs.
Je me félicite de notre convergence de vue sur ce sujet, madame le ministre, et j'attends avec impatience les résultats de la mission conjointe que vous avez confié à l'IGAS et à l'IGF, l'Inspection générale des finances, sur le fonctionnement des COTOREP.
Je souhaite par ailleurs que la Cour des comptes examine à nouveau la question, comme elle l'avait excellement fait en 1993. Vous ne m'en voudrez pas de citer souvent la Cour des comptes, qui est un soutien permanent du Parlement. Nous avons d'ailleurs souhaité l'extension de son rôle avec la loi de juillet 1994.
Un autre poste de dépenses en progression sensible est celui des crédits consacrés aux centres d'aide par le travail, qui s'élèvent, en 1998, à 6 milliards de francs, soit une augmentation de 3,3 % par rapport à 1997.
La création de 2 000 places supplémentaires vise à résorber le stock des jeunes adultes handicapés maintenus dans des établissements d'éducation spéciale en application de l'article 22 de la loi du 13 janvier 1989 portant diverses mesures d'ordre social, dit « amendement Creton ». Selon vos services, madame le ministre, le nombre de places encore nécessaires serait de 10 000 pour les trois prochaines années.
Voilà dix ans, je me le rappelle, alors que les CAT comptaient 63 000 places - on en dénombre actuellement 87 000 - on nous disait qu'on allait créer 2 000 places supplémentaires par an, car les besoins étaient au total de 15 000 places supplémentaires. Aujourd'hui, il faut encore 10 000 places !
Partant de ces constats et de ces chiffres, la commission des finances souhaite que cette évaluation des besoins fasse l'objet d'une programmation pluriannuelle en bonne et due forme, qui seule permettra un véritable suivi en cours d'exécution et une évaluation au terme de la période fixée.
Ma deuxième observation portera sur l'augmentation des dépenses de santé.
Les crédits d'interventions sanitaires enregistrent la plus forte progression de votre projet de budget pour 1998, leur augmentation de 10,3 % les portant à 3,7 milliards de francs. Cet agrégat était déjà en augmentation de 8,5 % en 1997.
Cette croissance rapide des dépenses budgétaires liées à la santé s'accompagne - cela a fait l'objet d'un débat lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale - de ce que la commission des finances qualifie de relâchement de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie présenté par le Gouvernement à l'occasion de ce projet de loi de financement, que nous avons à nouveau abordé ce matin. La progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie sera de 2,2 %. Nous aurions préféré que l'augmentation reste soit au taux de 1997, soit au taux de l'inflation. Quoi qu'il en soit, cela représentera, en 1998, 613,6 milliards de francs.
Une partie de l'augmentation des crédits d'interventions sanitaires s'explique par la montée en puissance de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, dont la dotation est portée à 37,3 millions de francs pour 1998 - soit une augmentation de 43,4 %, mais c'est une institution jeune - ainsi que par la création des deux agences de veille et de sécurité sanitaire instituées par la proposition de loi de la commission des affaires sociales et pour lesquelles une dotation de 80 millions de francs est prévue en 1998.
Par ailleurs, les dotations des quatre autres établissements nationaux à caractère sanitaire que sont l'Agence du médicament, l'Agence française du sang, l'Office de protection contre les rayonnements ionisants et l'Etablissement français des greffes sont toutes présentées en augmentation pour 1998, alors qu'elles étaient stables ou en diminution en 1997.
Au total, l'ensemble des subventions aux établissements nationaux à caractère sanitaire augmente de 52,8 % en 1998, pour atteindre 296,2 millions de francs.
Les établissements nationaux intervenant en matière de santé publique se sont multipliés depuis le début des années quatre-vingt-dix. Cette politique de démembrement, poursuivie par vos prédécesseurs, des compétences du ministère de la santé obéit, c'est vrai, à une logique de spécialisation, mais constitue également un palliatif à la faiblesse chronique des moyens humains de ses services centraux. Elle appelle peut-être aussi des précautions de méthode.
A cet égard, je voudrais simplement rappeler les critiques formulées par l'Inspection générale des affaires sociales dans son dernier rapport public sur ces délégations de gestion. Elle estime que leurs objectifs sont flous, leurs financements opaques et la tutelle insuffisante. Ce sont, madame le ministre, les termes que vous avez repris tout à l'heure au titre de l'emploi dans certains passages de votre discours.
Le dernier rapport public de la Cour des comptes nous montre également les risques de cette technique de délégation de gestion appliquée à la politique d'intégration des populations immigrées. Les errements du fonds d'action social, de la SONACOTRA et de l'Office des migrations internationales doivent vous inciter, madame le ministre, à rester très vigilante à l'égard des nombreux organismes et agences qui exercent les compétences de votre administration dans le domaine sanitaire et dont, nous le savons, il est parfois difficile d'exercer la maîtrise et la tutelle.
La vive progression des dépenses d'interventions sanitaires résulte également de la création d'un fonds d'aide à l'adaptation des établissements hospitaliers, doté de 500 millions de francs.
Ce fonds d'équipement a son pendant dans le fonds d'accompagnement social pour la modernisation des hôpitaux, prévu par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, qui sera financé par l'assurance maladie à hauteur de 300 millions de francs.
Il s'ajoute également au fonds pour l'emploi hospitalier, qui a été créé en 1994, et qui est alimenté d'environ 400 millions de francs par an. Rien que pour la restructuration hospitalière, nous voilà donc face à trois fonds, dotés respectivement de 500 millions de francs, 300 millions de francs et 400 millions de francs, soit 1,2 milliard de francs.
La multiplication de fonds spécifiques placés en dehors de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie n'apparaît pas de bonne méthode, au moins pour la commission des finances, et comporte un risque sérieux de dérapage financier. Nous en prenons acte pour l'avenir et nous ne manquerons pas d'en débattre lors de l'examen des prochains projets de budget.
Chacun sait qu'une restructuration génère d'abord des coûts avant de permettre de réaliser des économies. C'est pourquoi il importe que les restructurations hospitalières soient financées d'abord par un redéploiement des moyens existants au sein des nouvelles enveloppes régionales plutôt que par des moyens budgétaires supplémentaires. Ce principe de rigueur et de cohérence est d'autant plus justifié que l'offre d'équipements hospitaliers reste globalement excédentaire et qu'elle génère sa propre demande de soins.
Au nom de la commission des finances, je vous demande donc, madame le ministre, de veiller au moins à ce que les opérations qui bénéficieront des concours de ce fonds soient soigneusement sélectionnées parmi celles qui généreront le plus rapidement des économies de fonctionnement substantielles.
Je voudrais conclure mon propos en soulignant la nécessité d'organiser enfin la politique de lutte contre le cancer.
En effet, le budget de la santé ne comporte pratiquement pas de moyens spécifiquement consacrés à la politique de lutte contre le cancer.
Les crédits consacrés à la politique de lutte contre l'alcoolisme et la tabagie, d'un montant de 185 millions de francs, n'y contribuent qu'indirectement. Les crédits destinés à la protection et à la veille sanitaires, d'un montant respectif de 324,5 et 115,2 millions de francs, n'y contribuent que très marginalement.
Les seuls crédits spécifiques s'élèvent à 3,5 millions de francs destinés au suivi du programme national de dépistage du cancer du sein et à 3 millions de francs destinés au financement des registres des cancers. Par ailleurs, d'après les informations que j'ai pu obtenir, deux emplois seulement de la direction générale de la santé sont affectés au suivi de cette politique.
J'estime que cette modestie des crédits budgétaires est révélatrice de l'inorganisation de la politique de lutte contre le cancer, laquelle ne souffre pas la comparaison avec la politique de lutte contre le sida.
Il convient pourtant de rappeler que le cancer demeure la deuxième cause de mortalité après les maladies cardio-vasculaires, avec 28 % des décès, et la première cause de mortalité prématurée, avec 37 % des décès avant soixante-cinq ans. Les succès enregistrés depuis l'apparition des premières chimiothérapies, il y a trente ans, sont toujours limités à certaines formes de cancer spécifiques, tandis que la mortalité par cancer du poumon continue de progresser.
Une étude extrêmement intéressante de l'Institut national d'études démographiques, intitulé : « Les trois révolutions de la mortalité depuis 1945 », fait d'ailleurs apparaître que toutes les causes de mortalité ont diminué, sauf une, cancers et tumeurs diverses, qui, elle, reste stable, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat.
Or, l'inorganisation de la politique de lutte contre le cancer est observable à tous les niveaux : prévention et dépistage, soins, recherche clinique et fondamentale.
J'ai auditionné de nombreuses personnalités faisant autorité en matière de cancérologie, et je formulerai prochainement un certain nombre de propositions pour améliorer - bien entendu, sous l'angle budgétaire et financier - la cohérence et l'efficacité de la politique de lutte contre le cancer.
Pour ce qui relève de votre compétence, monsieur le secrétaire d'Etat, je crois qu'il serait bon que vous prêtiez une oreille attentive au Conseil national du cancer, qui a fait de l'excellent travail depuis son installation en 1995. Il se plaint d'une chose : de ne pas être écouté. Vous seul pouvez donner l'impulsion nécessaire pour fédérer les efforts de la multitude des intervenants dans le domaine de la politique de lutte contre le cancer. J'estime d'ailleurs que vos services devraient se réorganiser en conséquence, comme ils ont su le faire avec un certain succès, je dois le reconnaître, pour la lutte contre le sida.
Sous réserve de ces observations, la commission des finances vous proposera deux amendements d'ajustement des crédits de la santé, de la solidarité et de la ville pour contribuer à l'effort de maîtrise des dépenses du budget de l'Etat, dont nous venons de parler il y a un instant à propos de l'emploi.
C'est dans ces conditions, et dans ces conditions seulement, que nous pourrons alors adopter cette partie des crédits de votre ministère. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certains travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Louis Boyer, rapporteur pour avis.
M. Louis Boyer, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la santé. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si la progression des crédits de la santé pour 1998, telle qu'elle est affichée par le Gouvernement, est importante - environ 10 % - elle n'est en réalité que de 1,44 % si l'on ne tient pas compte de trois projets importants : les agences de sécurité sanitaire, le fonds pour l'investissement hospitalier et la réintégration, dans le budget de la santé, de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.
Cette faiblesse des crédits de la santé est regrettable : le fait que les dépenses consacrées à la santé par l'Etat représentent moins d'un quart de point de son budget ne correspond pas aux attentes des Français.
En effet, la politique de prévention et de sécurité sanitaire constitue, au même titre que la justice ou la sécurité, une des missions régaliennes, et donc prioritaires, de l'Etat.
La santé aurait donc dû bénéficier de redéploiements plus importants en sa faveur.
En outre, l'examen du budget de la santé pour 1998 laisse le sentiment qu'il a été conçu sans ligne directrice, sans grande cohérence.
Tous les aspects positifs de ce budget, qui traduisent la volonté de renforcer et d'améliorer les interventions publiques dans le domaine de la santé, sont en effet contrebalancés par des lacunes importantes. Nous en examinerons trois : la provision réalisée par le Gouvernement pour financer la réforme de la veille et de la sécurité sanitaires, le renforcement des moyens de la lutte contre la toxicomanie et la mise en place d'un fonds de modernisation des hôpitaux.
Je commencerai par la sécurité et la veille sanitaires.
Parmi les points positifs de ce budget, la commission des affaires sociales a particulièrement apprécié que le Gouvernement ait provisionné des crédits à hauteur de 80 millions de francs pour financer la création de deux agences de sécurité sanitaire et l'institut de veille sanitaire prévus par la proposition de loi adoptée par le Sénat.
En effet, cette provision constitue la preuve, si besoin en était, que le Gouvernement compte respecter les délais qu'il s'était fixés et prévoit d'installer les agences sanitaires et l'institut de veille sanitaire dès cette année. Cela ne l'a pas empêché de prévoir des dotations en hausse pour les agences existantes.
Ayant souligné à de nombreuses reprises l'urgence et la nécessité d'une réforme de l'administration sanitaire afin de renforcer la sécurité sanitaire des actes et des produits ainsi que la veille sanitaire, la commission des affaires sociales ne peut que se réjouir des intentions et des actes du Gouvernement.
Cependant, la cohérence de cette politique est remise en cause par la baisse globale des crédits de la veille sanitaire. Ainsi, alors que celle-ci est censée constituer une priorité du Gouvernement, les crédits des observatoires régionaux de la santé, qui sont appelés à jouer un rôle majeur dans le nouveau dispositif de veille et de surveillance de l'état de santé de la population, sont simplement reconduits pour 1998.
Les crédits destinés aux registres de pathologies subissent un sort identique : ils sont simplement reconduits pour 1998.
Enfin, les crédits du contrôle sanitaire de l'environnement, qu'ils soient destinés aux dépenses non déconcentrées ou aux dépenses déconcentrées, régressent respectivement de 15 % et 13 %.
Autre point positif du projet de budget de la santé pour 1998 : le renforcement des moyens destinés à la lutte contre la toxicomanie. Ainsi, la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, dont les crédits étaient auparavant rattachés au Premier ministre, voit sa dotation progresser de 65 millions de francs, pour s'établir à 294 millions de francs.
Les autres crédits de la lutte contre la toxicomanie progressent eux aussi, mais dans une moindre mesure : ils représentent désormais 757 millions de francs et permettront de financer un nouveau plan triennal de lutte.
A cet égard, la commission des affaires sociales estime que le bilan du plan triennal de lutte contre la toxicomanie 1993-1996, relayé par la plan gouvernemental du 14 septembre 1995, est très positif. Ce plan a en effet permis de bien structurer le volet préventif de la lutte contre la toxicomanie et de diversifier les modes de prise en charge sanitaire.
Je voudrais maintenant évoquer la lutte contre le sida, dont les crédits sont stabilisés pour 1998. Vous le savez, le nombre de cas de sida nouvellement déclarés baisse de manière importante depuis deux ans. En outre, le succès rencontré par les trithérapies a aussi contribué à diminuer fortement l'incidence de la mortalité par le sida et à changer les conditions de vie des personnes qui en sont atteintes.
Le poids respectif de cette épidémie dans les différentes populations montre que celle des usagers de drogues est de loin la plus touchée : quatre cents fois plus que la population hétérosexuelle et cinq fois plus que la population homosexuelle. Cela confirme la nécessité de mener parallèlement les actions de lutte contre la toxicomanie et les actions de lutte contre le sida.
Toutefois, si l'évolution des crédits de la lutte contre la toxicomanie témoigne de la volonté du Gouvernement de diminuer l'incidence de cette dépendance, toutes les dépendances ne bénéficient pas de la même priorité.
La commission des affaires sociales a ainsi fermement critiqué le très faible volume des interventions publiques contre le tabagisme et l'alcoolisme.
A dire vrai, cette critique est constante, et je la formule depuis de nombreuses années. Il nous paraît, de surcroît, assez choquant que l'Etat délègue entièrement la politique de lutte contre le tabagisme à une structure associative, le CNCT - Comité national de lutte contre le tabagisme -, qui a, en 1997, absorbé 90 % des crédits budgétaires affectés à cette lutte.
A contrario, il nous semble que les crédits destinés à financer l'évaluation de la loi Evin sont très importants. Or on ne saurait privilégier l'évaluation par rapport à l'action, surtout lorsque cette dernière est dotée de moyens aussi faibles.
La création du fonds d'investissement pour la moderniation des hôpitaux laisse perplexe. Le principe est bon : mieux vaut, en effet, cibler les interventions de l'Etat sur des opérations d'adaptation du tissu hospitalier plutôt que de subventionner des investissements hospitaliers en tant que tels.
Cependant, la mise en oeuvre laisse à désirer. Ce fonds est en effet seulement doté de 500 millions de francs en autorisations de programme et de 150 millions de francs en crédits de paiement. Ces faibles montants constituent un assez bon indicateur du nombre d'opérations de restructuration qui seront entreprises en 1998. Comme l'a indiqué notre collègue Charles Descours dans son rapport sur l'assurance maladie, la moderniation du tissu hospitalier est en effet reportée à 1999, lorsque les nouveaux schémas régionaux d'organisation sanitaire et sociale auront été élaborés.
En outre, nous ne connaissons pas les modalités d'attribution des aides du fonds. Compte tenu de l'importance des enjeux de la modernisation du tissu hospitalier, les aides du fonds seront sollicitées par de nombreux établissements. La commission des affaires sociales examinera les conditions dans lesquelles elles seront attribuées avec beaucoup de vigilance.
Puisque nous évoquons ici la politique hospitalière, je voudrais regretter la baisse très importante des crédits destinés aux interventions sanitaires en direction des publics prioritaires. En effet, alors que le Gouvernement affirme que la lutte contre l'exclusion constitue une priorité, les aides accordées aux hôpitaux qui mettent en place des structures d'accueil pour prendre en charge, sur un plan tant social que médical, les personnes les plus démunies seront réduites, cette année, de 40 %.
Je ne voudrais pas achever mon propos sans évoquer l'action du ministère de la santé en matière de démographie médicale et d'orientation des médecins spécialistes dans les hôpitaux publics. Je dénonce depuis de nombreuses années, à l'occasion de chaque débat budgétaire, les menaces de sous-médicalisation de l'hôpital public, notamment dans les petits établissements et dans certaines disciplines. Il est urgent de réviser le statut et les carrières des praticiens hospitaliers afin de rendre plus attractive la carrière à l'hôpital public.
En conclusion, je dirai que le budget de la santé, qui ne bénéficie pas de redéploiements suffisants et réalise de surcroît des économies mal ciblées, ne permet aujourd'hui qu'un saupoudrage des moyens.
Pour toutes les raisons que j'ai énoncées, la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable quant à l'adoption des crédits de la santé. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux, rapporteur pour avis.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour les affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de budget que nous examinons aujourd'hui mérite une attention particulière car, s'il est un domaine où les besoins sont immenses, c'est bien celui de l'action sociale.
Au 31 décembre 1996, la France a franchi le seuil symbolique du million de titulaires du revenu minimum d'insertion. Compte tenu des ayants droit, ce sont maintenant près de deux millions de personnes en situation de détresse sociale qui sont protégées par ce qui avait été conçu, à l'origine, comme un ultime filet de sécurité, et dont le coût a plus que quadruplé depuis sa création.
En dessous du filet, il y a encore la cohorte des errants et des sans-abri : ceux qui sont tombés un jour dans la spirale de l'exclusion, pour n'en plus sortir, hélas !
Ainsi, le Secours catholique a récemment diffusé une étude qui montre que le nombre de situations de grande pauvreté qui sont prises en charge par cet organisme a augmenté de 10 % en 1996. Signe d'un désarroi des services publics : dans 60 % des cas, les personnes en difficulté ont été orientées vers le Secours catholique par les services sociaux publics eux-mêmes, qui ne pouvaient plus trouver de réponse appropriée.
Autre symbole de la dureté des temps : les sommes consacrées à l'allocation aux adultes handicapés augmentent de plus de 5 % cette année parce que les handicapés ont de plus en plus de difficultés à trouver un travail et à entrer dans la vie active, et aussi, ne l'oublions pas, parce que les victimes du sida bénéficient de cette allocation. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne connais pas le chiffre exact des bénéficiaires de cette allocation atteint par cette maladie. Pourriez-vous me le communiquer ? Mais peut-être est-il confidentiel ?
Il est symptomatique que si, l'on raisonne à frontière inchangée sur les crédits consacrés à l'action sociale et à la solidarité, en dehors de la politique de la ville, de la santé publique et des moyens des services, la hausse apparente de 2,6 % des crédits, qui passent de 61,4 milliards à 63 milliards de francs, est absorbée par des ajustements automatiques. Il s'agit des besoins constatés en termes d'effectifs et de valorisation des prestations, sur le revenu minimum d'insertion et sur l'allocation aux adultes handicapés.
Tel est, au fond, le paradoxe auquel toute politique sociale est aujourd'hui confrontée : les besoins en termes de solidarité et d'action sociale sont aujourd'hui immenses, mais la marge de manoeuvre qui est laissée à l'action volontariste des pouvoirs publics se réduit en raison de l'inertie des dispositifs en place.
Selon quel critère former alors notre jugement sur ce projet de budget, sinon en vérifiant s'il se donne bien les moyens de restaurer une marge de manoeuvre en faveur de l'insertion et de la solidarité ?
L'objectif doit être non plus de dépenser plus, comme en période d'inflation,...
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Très bien !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. ... en constatant passivement l'augmentation des effectifs de titulaires de minima sociaux, mais de dépenser mieux, en permettant à notre appareil social de protéger aussi bien et à meilleur coût, sans réduire le champ des bénéficiaires de prestations.
Il est toujours tentant de juger un budget en fonction de l'augmentation arithmétique de ses crédits ; en matière d'action sociale, les besoins sont tels que nous sommes sûrs que nous serons toujours en deçà de ce qui est nécessaire. C'est pourquoi nous devons juger à partir d'une approche qualitative.
Le Gouvernement est-il à la hauteur de cette exigence qualitative ? Je dois malheureusement dire que la commission des affaires sociales a été déçue par les orientations retenues ainsi que, et peut-être surtout, par leurs conséquences.
Tout d'abord, le « I » du RMI, c'est-à-dire le volet insertion, est en panne : alors que les départements consomment près de 98 % des crédits obligatoirement consacrés à l'insertion, seul un titulaire du RMI sur deux est bénéficiaire d'un contrat d'insertion. Encore ne s'agit-il souvent que d'un simple engagement à chercher un emploi, à effectuer des démarches administratives de base, voire à se soigner.
Le dispositif ne réussit pas à créer des parcours d'insertion durable au bénéfice de certains publics marginalisés, pour lesquels le RMI fonctionne sans doute comme une « trappe à pauvreté » ; n'oublions pas que la moitié des allocataires du RMI le sont depuis deux ans au moins. Il faut donc retrouver les voies d'une véritable réinsertion par un accompagnement social approprié et renforcé.
Toutefois, cet effort supplémentaire ne trouvera de sens que si la légitimité du dispositif est garantie par une lutte soutenue contre les risques de fraude, qui démoralisent ceux qui ont choisi la voie du travail et de l'insertion.
Or si les gouvernements précédents ont fait des progrès considérables pour renforcer l'automaticité des contrôles informatisés et imposer de nouveaux objectifs aux contrôles personnalisés sur pièces et sur place, un seuil semble aujourd'hui atteint. Il devient de plus en plus coûteux d'effectuer des croisements avec les données relatives aux travailleurs en activité ou contenues dans certaines déclarations fiscales ou parafiscales. Il est pour le moins paradoxal de détecter aujourd'hui plus rapidement un bénéficiaire du RMI qui décroche un stage de formation que celui qui reprend une activité rémunérée. Compte tenu de l'importance fondamentale de la gestion au quotidien, sur le terrain, des personnels des caisses d'allocation familiale, il faut maintenant franchir une nouvelle étape et instituer une formule qui puisse inciter la branche famille à mettre en oeuvre de meilleurs contrôles en matière de lutte contre la fraude au RMI.
Mais notre plus grande déception est apparue à la lecture des mesures prévues en matière d'hébergement d'urgence et de lutte contre l'exclusion.
Les précédents gouvernements avaient, sur ce point, consenti un très réel effort, auquel vous avez finalement implicitement rendu hommage, madame la ministre, dans votre lettre aux préfets du 30 octobre dernier, puisque vous y indiquiez : « Pour l'essentiel, les besoins d'accueil d'urgence sont aujourd'hui couverts. » Même si l'exclusion provoque aujourd'hui des dommages à un rythme plus lent, ils n'en sont pas moins inexorables.
Ne court-on pas un risque à ne pas consolider les digues si difficilement remises à niveau depuis quatre ans ? S'agissant des centres d'hébergement et de réadaptation sociale, les CHRS, les besoins sont encore énormes - j'ai eu l'occasion de recevoir les représentants des associations chargées de gérer ces centres - de l'ordre de 2 000 à 3 000 places, pour rendre plus humains des asiles de nuit dont l'ambiance inquiète les sans-abri plus souvent qu'elle ne les rassure, en raison de l'insécurité qui y règne. Là, ce sont des familles à la rue auxquelles il faut fournir non plus des locaux collectifs, mais des pièces individualisées, où une mère peut veiller sur ses enfants. Aussi est-il sans doute dommage, en termes d'efficacité et d'aide à la réinsertion, d'avoir réduit cette année de 1 000 à 500 le nombre de places nouvelles en CHRS.
Autre sujet d'étonnement au regard des masses considérables de ce budget : la révision à la baisse de 24 millions de francs des crédits de l'action sociale, ramenés de 573 millions à 549 millions de francs. Ces sommes sont pourtant consacrées soit aux dispositifs nouveaux de secours d'urgence en faveur des populations les plus fragiles, tels que les « SAMU sociaux », soit aux fonds d'aide aux jeunes, financés avec les départements, au profit des jeunes en situation d'errance qui n'ont pas droit au RMI parce qu'ils ont moins de vingt-cinq ans.
Comment peut-on se résoudre à pratiquer des économies au détriment de populations qui méritent chacune autant d'attention ? Comment imaginer que l'Etat choisisse de réduire ses efforts pour ceux qui sont les plus fragiles et les plus exposés dans notre société, ceux qui sans doute ne sont pas assez armés pour s'insérer à travers les mécanismes classiques du contrat emploi-solidarité ou des nouveaux contrats emploi-jeunes ?
Cet infléchissement est finalement d'autant moins compréhensible que le Gouvernement a bénéficié, pour la préparation de ce budget, de l'arrivée à échéance du calendrier d'indemnisation des rapatriés prévu par la loi de 1987, qui a représenté mécaniquement une économie : vous avez, en effet, bénéficié, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, d'une économie de 3,5 milliards de francs par rapport à l'année dernière !
S'agissant des dépenses d'aide sociale des départements, la commission des affaires sociales a pris acte de la hausse de près de 4 % de ces dépenses en 1996, en constatant que cette hausse était toujours deux fois supérieure à l'inflation et qu'il serait prématuré de voir dans la moindre croissance de cette année le signe d'un renversement de tendance durable.
Aussi est-il surprenant qu'il ne nous soit pas proposé, maintenant que les dispositions techniques ont pu être mises au point au cours de l'année écoulée, d'instaurer un taux directeur opposable à l'évolution des dépenses dans le secteur social et médico-social.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Très bien !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. La commission des affaires sociales a adopté deux amendements en ce sens - nous les examinerons tout à l'heure - afin de stopper une procédure de tarification et de prise en charge des dépenses sociales qui conduit, dans les conditions actuelles, inéluctablement à un dérapage de plus en plus insupportable des finances locales.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Ça c'est vrai !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Le taux directeur opposable que nous envisageons d'instaurer est non pas une fin en soi, je vous l'accorde, mais un levier qui permettrait de retrouver une cohérence entre les arbitrages salariaux dans le secteur parapublic et le financement des dépenses médico-sociales, ainsi que de relever le défi que pose la lourdeur des effets du glissement vieillesse-technicité dans certains établissements.
En définitive, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la commission des affaires sociales a émis deux regrets.
Tout d'abord, elle a déploré que, dans la conjoncture actuelle, votre projet de budget ne témoigne pas d'une générosité particulière à l'égard des plus démunis.
Ensuite, elle a regretté que, malgré les avertissements que nous avions déjà lancés l'année dernière dans cet hémicycle...
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ce n'était pas nous !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Il est vrai qu'ils étaient adressés à vos prédécesseurs, mais vous n'êtes pas sans savoir ce qui a été dit. Cela prouve, à l'évidence, l'objectivité de mon propos.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. On en est sûr !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. La commission a regretté, dis-je, que, malgré les avertissements lancés l'année dernière, votre projet de budget ne comporte pas les mesures nécessaires en vue d'assurer une plus grande maîtrise des dépenses et une meilleure efficacité du système d'action sociale. C'est pourquoi la majorité de la commission des affaires sociales a décidé d'émettre un avis défavorable sur l'adoption des crédits relatifs à l'action sociale et à la solidarité. ( Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE. )
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 19 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Autain.
M. François Autain. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le budget que vous nous proposez atteint un montant de 3,6 milliards de francs et progresse de 10,4 %. Nous ne savons pas si, pour la majorité sénatoriale, votre tort est de faire progresser trop vite ces dépenses - c'est ce que peut faire croire la conclusion d'ensemble de M. le rapporteur pour avis, pour la santé - ou si, au contraire, ces dépenses ne progressent pas assez.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, et M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Absolument !
M. François Autain. C'est ce que nous laissent penser ses commentaires !
Pour ma part, et les membres de mon groupe partagent cet avis, cette progression me satisfait parce qu'elle marque l'intérêt retrouvé que porte l'Etat à la considération de notre système de santé publique.
Pour mieux comprendre les priorités que vous avez retenues, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je me demande si le meilleur moyen ne consisterait à procéder à un examen attentif des conclusions de la Conférence nationale de santé. En d'autres termes, je m'interroge et je vous interroge donc pour savoir si, réflexions faites, le rapport de la Conférence ne trouverait pas aussi bien sinon mieux sa place dans la discussion budgétaire que dans celle de la loi de financement de la sécurité sociale. Il s'agit d'un avis très personnel, mais nous pourrons en débattre.
Quelle que soit la réponse à cette question, les trois priorités de votre budget sont claires : la sécurité sanitaire, l'adaptation des hôpitaux aux besoins de la population et la prévention des risques sanitaires.
La commission elle-même a salué, comme je le fais moi-même maintenant, les crédits inscrits pour financer la mise en oeuvre de la réforme de la sécurité sanitaire actuellement débattue par le Parlement. Vous confirmez ainsi, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, l'urgence que vous attachez à la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif qui, rendons-lui cet hommage, a été engagé par notre Haute Assemblée, mais qui, nous devons également vous rendre cet hommage, a été repris par le Gouvernement dès son installation.
Vous nous direz ce qu'il faut penser des baisses de crédits constatées par la commission dans certains chapitres de la veille sanitaire. Je note, pour ma part, que les crédits des observatoires régionaux de la santé sont maintenus et je suis sûr qu'au total la veille sanitaire sort renforcée de ce projet de budget.
Je regrette que la commission des affaires sociales, saisie pour avis, en recommandant le rejet de votre projet de budget, compromette ainsi la mise en oeuvre d'une réforme dont elle a pourtant été l'initiatrice. Je suis sûr, d'ailleurs, qu'elle déplore avec moi un tel choix dicté par une logique de cohérence budgétaire qui, jusque-là, a souvent échappé aux rapporteurs pour avis de tous les budgets que nous avons examinés et continuera d'ailleurs de ne pas les satisfaire.
La deuxième priorité de votre projet de budget concerne l'adaptation des hôpitaux aux besoins de la population.
Vous avez fort bien expliqué, à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, que la restructuration des hôpitaux ne pouvait réussir que dans un cadre budgétaire réaliste pour les établissements. A poser un garrot sur les budgets des établissements, comme le faisait le précédent gouvernement, on n'arrive sûrement à rien !
Votre démarche est tout autre.
D'abord, elle tend à inscrire l'action des agences régionales de l'hospitalisation dans un cadre démocratique, par l'élaboration concertée de schémas régionaux d'organisation sanitaire.
Ensuite, elle vise à offrir aux hôpitaux les moyens nécessaires à leur mise en oeuvre par un taux réaliste de progression de leur budget.
Enfin, elle a pour objet de créer un fonds d'aide à la modernisation hospitalière destiné à permettre d'accorder un appui significatif à quelques opérations lourdes et d'ajuster, au cas par cas, la réponse du tissu hospitalier aux besoins de la population. Ce fonds complètera celui qui a été institué par le projet de loi de financement de la sécurité sociale chargé, pour ce qui le concerne, de couvrir le volet social des restructurations.
Ainsi disposez-vous désormais des instruments propres à mettre en oeuvre une véritable restructuration et à sortir d'une logique purement comptable fondée sur un discours incantatoire.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, il n'y aura pas de restructuration hospitalière réussie sans l'adhésion du corps médical hospitalier. Sur ce point, je souscris à ce que disait M. le rapporteur voilà un instant : il n'y aura pas d'adhésion des praticiens hospitaliers sans une amélioration sensible de leurs statuts et de leurs conditions de travail. Ce sujet est capital pour l'hôpital, donc pour la santé de nos concitoyens. Je vous demande d'en faire l'une de vos priorités.
La troisième orientation de votre budget porte sur la prévention et la réduction des risques.
Vous avez souligné l'importance des crédits des programmes régionaux de santé publique et du Centre français d'éducation pour la santé.
Vous avez également souligné, la commission l'a reconnu, les efforts importants engagés en matière de lutte contre la toxicomanie. Ce programme passe, notamment, par un renforcement du dispositif spécialisé de soins aux toxicomanes et par le développement ou la création de réseaux toxicomanie-ville-hôpital.
Par ailleurs, vous avez dégagé un budget supplémentaire, afin de financer un plan triennal destiné à protéger les plus jeunes face aux drogues, notamment les nouvelles drogues comme l'ecstasy.
Certes, comme l'a fait remarquer M. le rapporteur pour avis, pour la santé, les crédits de la lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme, ainsi que ceux de la lutte contre le sida enregistrent des progressions moins significatives.
Toutefois, je remarque - j'ai pris la peine de relire le rapport de l'année dernière - qu'il regrettait alors que le Gouvernement de M. Juppé ait réduit ces mêmes crédits. Je constate que, cette année au moins, nous enregistrons une amélioration. Même si elle peut être considérée comme insuffisante, elle existe.
Je suis d'accord sur un point, avec M. le rapporteur pour avis : le comité national de lutte contre le tabagisme est le principal bénéficiaire des crédits. Beaucoup d'argent est consacré par ce comité aux actions en justice. Pourriez-vous nous préciser, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le contenu qualitatif de son action ?
Je note que, s'agissant des autres fléaux sanitaires, vous souhaitez améliorer le dépistage de certaines maladies transmissibles, au premier rang desquelles figure l'hépatite C.
Je note aussi l'effort particulier que vous envisagez d'entreprendre en faveur du dépistage du saturnisme et de l'identification des immeubles à risque.
Voilà donc, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, rapidement évoquées, les grandes lignes du budget de la santé pour 1998.
Je souhaite aborder maintenant un point particulier : la révision, prochaine désormais, des lois bioéthiques.
Si le calendrier prévu par le législateur est respecté, c'est en 1999 que cette révision devra être soumise aux deux assemblées du Parlement. Les premières lois ont montré l'intérêt de cette réflexion quinquennale, qui permet de dégager, sur des points essentiels pour l'avenir de la science et le progrès de la santé publique, un consensus propre à garantir l'adhésion de l'opinion publique et la légitimité de la démarche scientifique.
Il reste que ce coup d'essai législatif - appelons-le ainsi - a montré ses limites. Les lois votées en 1994 ont souvent posé des interdictions dans des domaines hier jugés comme futuristes et aujourd'hui investis par les scientifiques.
Le consensus, c'est aussi, trop souvent, le compromis. A cet égard, le compromis trouvé sur les prélèvements d'organes pose, en pratique, de nombreux problèmes.
Enfin, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, certaines dispositions de la loi n'ont pas reçu, faute d'avoir été parfaitement réalistes, leurs décrets d'application, loin s'en faut.
Il me paraît donc souhaitable que, dès maintenant, soit mis en chantier un programme de révision de ces lois qui permette, en amont, d'y associer pleinement le Parlement. Cette association, qui prendra la forme qui vous paraîtra la plus souhaitable, devrait être envisagée dans les meilleurs délais et permettre ainsi de dégager les lignes de force de la révision. C'est sur ces bases qu'il reviendrait alors au Gouvernement, et à lui seul, de définir le contenu des nouvelles lois.
Ce travail préparatoire, engagé longtemps à l'avance, permettrait de répondre à toutes les questions, même celles qui sont complexes, et de trouver ainsi des réponses claires et adaptées à la réalité.
Je souhaite que vous réfléchissiez à cette méthode et que, très vite, nous puissions préciser, ensemble, son calendrier.
Telles sont les remarques que je voulais formuler sur votre projet de budget pour 1998. Puisque la commission des affaires sociales n'a pas été mise en position de le faire, qu'elle sache que le groupe socialiste votera, pour sa part, le projet de budget que vous nous soumettez et permettra ainsi la mise en oeuvre de la réforme de la sécurité sanitaire qu'elle a elle-même voulue. Ainsi, grâce à nous, ces efforts n'auront-ils pas été vains ! (Applaudissement sur les travées socialistes.)

5