M. le président. « Art. 62 ter . - L'article L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une durée des services en Algérie d'au moins dix-huit mois est reconnue équivalente à la participation aux actions de feu et de combat exigée au deuxième alinéa ci-dessus. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Le premier, n° II-127, présenté par M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, vise à rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour un alinéa à insérer dans l'article L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre :
« Une durée des services en Afrique du Nord d'au moins quinze mois est reconnue équivalente à la participation à une des actions de feu et de combat exigées au deuxième alinéa ci-dessus. Cette période doit avoir été accomplie entre le 31 octobre 1954 et le 2 juillet 1962 pour l'Algérie, le 1er juin 1953 et le 2 mars 1956 pour le Maroc, le 1er janvier 1952 et le 20 mars 1956 pour la Tunisie. »
Le deuxième, n° II-53, présenté par MM. Pastor, Chabroux, Bony, Garcia, Mazars, Piras et les membres du groupe socialiste et apparentés, et le troisième, n° II-128, déposé par M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, sont identiques.
Tous deux tendent à rédiger comme suit le texte proposé par l'article 62 ter pour un alinéa à insérer dans l'article L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre :
« Une durée des services en Afrique du Nord d'au moins dix-huit mois est reconnue équivalente à la participation à une des actions de feu et de combat exigées au deuxième alinéa ci-dessus. Cette période doit avoir été accomplie entre le 31 octobre 1954 et le 2 juillet 1962 pour l'Algérie, le 1er juin 1953 et le 2 mars 1956 pour le Maroc, le 1er janvier 1952 et le 20 mars 1956 pour la Tunisie. »
La parole est à Pagès, pour défendre l'amendement n° II-127.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je défendrai également l'amendement n° II-128 rectifié.
Ces deux amendements visent à étendre aux opérations s'étant déroulées en Tunisie et au Maroc les conditions d'attribution de la carte du combattant. L'amendement n° II-127 prévoit pour cela une durée de service d'au moins quinze mois, car, d'après une étude réalisée par les organisations, telle est la durée moyenne de présence en guerre.
L'amendement n° II-128, quant à lui, se limite à une durée de dix-huit mois.
Ces amendements font référence à l'Afrique du Nord, avec des dates différentes pour l'Algérie, pour le Maroc et pour la Tunisie. Leur adoption permettrait de régler vraiment le cas de nos compatriotes ayant combattu sur les deux fronts dans des conditions assez similaires.
Par conséquent, si M. le secrétaire d'Etat invoquait l'article 40 de la Constitution sur l'amendement n° II-127 - je souhaite, bien sûr, qu'il ne le fasse pas ! - je maintiendrais alors l'amendement n° II-128, qui, au moins, réglerait la question du territoire.
M. le président. La parole est à M. Pastor, pour défendre l'amendement n° II-53.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en préambule et indépendamment des diverses dispositions positives prises à l'égard des anciens combattants qui marquent, me semble-t-il, un tournant dans ce domaine, je tiens à saluer le courage de M. le secrétaire d'Etat, qui a réservé aux événements d'Algérie le qualificatif de « guerre ».
L'amendement n° II-53, que j'ai déposé avec mon collègue Gilbert Chabroux et mes amis du groupe socialiste, tend à compléter l'amendement n° II-77 adopté par l'Assemblée nationale, qui visait à introduire à l'article L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre une modification permettant la reconnaissance de la qualité d'ancien combattant pour une durée de services en Algérie d'au moins dix-huit mois, reconnue équivalente à la participation aux actions de feu et de combat exigée jusqu'alors.
La période concernée par ces événements va de 1954 à 1962. Or, l'histoire, les faits, les troubles et les morts nous conduisent à resituer l'action dans le contexte général d'Afrique du Nord du moment. Nous ne pouvons, bien sûr, pas ignorer, monsieur le secrétaire d'Etat, la période antérieure allant de 1952 à 1954, en Tunisie et au Maroc, où les premiers troubles furent les prémices d'une « guerre » beaucoup plus longue.
Permettez-moi, à l'occasion de cet amendement, de procéder à quelques rappels historiques.
Les processus qui ont conduit à l'indépendance de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie ont des racines différentes.
Quand la revendication nationaliste émerge après la guerre, à la fin des années quarante, la Tunisie est sous protectorat français. C'est le cas également du Maroc, avec toutefois une particularité de coprotectorat espagnol, au nord du territoire notamment. Quant à l'Algérie, c'est une colonie, c'est-à-dire qu'elle est partie intégrante du territoire français, dont elle constitue trois départements.
Si, avant la présence française, la Tunisie et le Maroc ont constitué des nations, cela n'a jamais été le cas de l'Algérie. Seule l'Algérie a connu un processus long - huit ans de conflit - vers l'indépendance, marqué par un engagement militaire considérable et des pertes humaines très importantes.
Même si, entre ces trois Etats, les données historiques peuvent donc être différentes, les unités militaires françaises, elles, ont été engagées dans ces combats en Tunisie, au Maroc et en Algérie.
En Tunisie, au lendemain de l'arrestation du leader nationaliste Habib Bourguiba, le 18 janvier 1952, une « résistance » armée est entrée en action. De nombreux combats se sont déroulés pendant plus de deux ans, notamment dans les montagnes tunisiennes. A la tête des troupes françaises, le général Garbay tenta alors d'imposer une solution militaire.
Au Maroc, la déposition et l'enlèvement, le 20 août 1953, par une conjuration de militaires et de hauts fonctionnaires français associés à des notables marocains, du sultan Sidi Mohammed Ben Youssef ouvre une période de vingt-sept mois de combats jusqu'au retour du sultan en novembre 1955.
Dans les six mois suivant l'enlèvement, des attentats et des actes de feu ont lieu à Casablanca, à Rabat et à Meknès.
Après les attentats du 1er novembre 1954 en Algérie, une armée dite « de libération » se forme dans le Rif marocain, peut être coordonnée d'ailleurs avec celle du FLN algérien. Les troupes françaises, dont celles qui sont engagées en Algérie, sont alors amenées à intervenir au Maroc.
En Algérie, après le début de l'insurrection armée, le 1er novembre 1954 - soixante-dix attentats dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre - et surtout à partir de la promulgation de l'état d'urgence le 3 avril 1955, les combats sont engagés entre le FLN et l'armée française.
Je vous prie d'excuser ce petit rappel, qui a pour objet de préciser qu'une véritable coordination dans l'acte militaire a existé pendant ces périodes-là.
La concordance des temps est évidente : en 1952, en 1953 et en 1954, des affrontements armés commencent entre les forces nationalistes et les forces françaises sur les trois territoires. L'histoire des trois processus d'indépendance est très imbriquée des deux côtés.
Symbolique de cette imbrication est l'épisode de l'enlèvement par l'armée française de Ben Bella et de trois dirigeants nationalistes algériens, le 22 octobre 1956, alors qu'ils revenaient d'un sommet secret au Maroc.
Cette réalité historique, que je viens de rappeler trop sommairement, nous oblige à ne pas dissocier les événements qui ont agité successivement ces trois pays de 1952 jusqu'en 1962, avec l'intervention des troupes françaises.
Toutes ces raisons ont conduit mes collègues et moi-même à déposer cet amendement n° II-53, qui vise à faire reconnaître que cette guerre d'Algérie, que vous avez vous-même évoquée à l'occasion de l'assemblée de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, à Saint-Etienne, monsieur le secrétaire d'Etat, concerne non pas seulement l'Algérie, mais aussi à la fois la Tunisie et le Maroc.
Par cet amendement, il s'agit d'accorder aux anciens combattants non pas un privilège - ils n'ont pas l'habitude d'en demander - mais une juste reconnaissance et une compensation qui leur sont dues et qui doivent leur être assurées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s II-127, II-53 et II-128 ?
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je crois qu'il n'y a pas de différence entre les combattants de Tunisie, du Maroc ou d'Algérie, dès lors qu'ils répondent aux conditions requises. Je tiens d'ailleurs ces renseignements du secrétariat d'Etat.
Je crois qu'il faut s'assurer qu'aucun soldat ayant stationné en Tunisie ou au Maroc n'a été oublié : c'est là l'essentiel !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces trois amendements ?
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. La conclusion de mon propos sera toujours ce redoutable article 40 de la Constitution ! Je ne veux en effet pas aller au-delà des décisions prises à l'Assemblée nationale.
En revanche, je suis tout à fait conscient de la réalité des combats qui sont intervenus en Tunisie et au Maroc.
Il me paraît, sous réserve d'inventaire, qu'il s'agissait de combats au cours desquels le contact était recherché. Il s'agissait dans la quasi-totalité des cas d'opérations de feu dans des unités combattantes qui ont été recensées telles quelles par le ministère de la défense ; dès lors, les soldats qui devaient obtenir la carte d'ancien combattant l'ont obtenue. Des exemples dans ma propre famille existent de bénéficiaires de cartes d'ancien combattant délivrées pour des opérations exclusivement réalisées sur le sol tunisien.
La guerre d'Algérie présente un caractère un peu différent, me semble-t-il.
Néanmoins, je m'engage, comme je l'ai dit, à traiter le cas des soldats qui, ayant passé quelques mois, le cas échéant, sur le territoire tunisien ou marocain et s'étant ensuite rendus en Algérie sans y rester dix-huit mois, totalisent une présence au Maroc ou en Tunisie puis en Algérie d'au moins dix-huit mois.
Je vais donc étudier la possibilité pour le Gouvernement de déposer, lors de la réunion de la commission mixte paritaire, un amendement prenant en compte cette situation. Si cela se révélait impossible, je remettrai alors sur le métier mon ouvrage dès le début de l'année 1998 - je m'y engage - afin de trouver une réponse appropriée à cette question.
Pour le reste, je vais examiner la spécificité des unités combattantes sur le sol tunisien ou marocain. Si des discordances subsistent vraiment, nous trouverons, dans des délais rapides, une solution honorable.
Mais pour l'instant, j'invoque l'article 40 de la Constitution sur ces trois amendements.
M. le président. Monsieur le rapporteur spécial, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial. Il l'est, monsieur le président.
M. le président. L'article 40 étant applicable, les amendements n°s II-127, II-53 et II-128 ne sont pas recevables.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 62 ter.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(L'article 62 ter est adopté.)
Article additionnel après l'article 62 ter