ACCORDS RELATIFS AU RÈGLEMENT DÉFINITIF
DES CRÉANCES ENTRE LA FRANCE
ET LA RUSSIE ANTÉRIEURES AU 9 MAI 1945
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 104, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de
Russie relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France
et la Russie antérieures au 9 mai 1945 sous forme de mémorandum d'accord et de
l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de
la Fédération de Russie sur le règlement définitif des créances réciproques
financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945. [Rapport n° 150
(1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole et à M. le secrétaire d'Etat.
M. Charles Josselin,
secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie.
Monsieur le
président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la France
et la Russie ont signé, le 26 novembre 1996, un accord relatif au paiement par
la Fédération de Russie d'une somme de 400 millions de dollars, en règlement
définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au
9 mai 1945. Un accord complémentaire a été signé le 27 mai 1997.
Ces accords revêtent un caractère historique que je voudrais souligner. Ils
apurent, en effet, un contentieux vieux de quatre-vingts ans, né de la
répudiation, par Lénine, des dettes de la Russie tsariste.
En janvier 1918, au lendemain de la révolution russe, les autorités
soviétiques décidaient unilatéralement de l'annulation, sans indemnité, de tous
les emprunts étrangers contractés pour le développement de la Russie. Ainsi se
trouvaient brutalement dépossédés d'une large partie de leur épargne plus d'un
million et demi de ménages français.
Il en fut de même de nos compatriotes qui possédaient des biens en Europe
orientale et qui furent victimes des suites de la révolution russe de 1917 et
des annexions opérées par l'URSS entre 1939 et 1945.
Des tentatives avaient été faites depuis longtemps pour essayer de régler ces
contentieux ; elles étaient toutes restées infructueuses et l'on pouvait
craindre qu'aucune solution ne soit jamais trouvée.
En 1992, les autorités françaises ont saisi l'occasion du changement de régime
en Russie pour relancer la négociation.
Aussi le traité de base des relations franco-russes du 7 février 1992
contient-il l'engagement de la Fédération de Russie de régler les contentieux
soulevés par la France.
De longues et difficiles discussions furent ensuite menées. Elles permirent
d'aboutir à la signature des accords des 26 novembre 1996 et 27 mai 1997.
Aux termes de ces accords, la Russie s'engage à verser à la France 400
millions de dollars, en huit versements de 50 millions de dollars chacun. Les
premiers versements sont intervenus cette année.
Le Gouvernement français considère que le paiement par la Russie de 400
millions de dollars constitue le meilleur résultat que l'on pouvait espérer. En
effet, comme vous le savez, la situation budgétaire de l'Etat russe est
particulièrement tendue du fait d'une collecte fiscale très médiocre.
Par ailleurs, il eût été illusoire de remettre à plus tard la signature d'un
accord avec la Russie, dans l'espoir que ce délai permette d'augmenter les
sommes versées à la France. En outre, la France ne pouvait prendre l'initiative
d'interrompre les négociations avec la Russie et de courir le risque de
supprimer toute chance de conclure un accord. Le dossier eût alors été classé,
probablement pour toujours.
Avant la signature de l'accord du 26 novembre 1996, les associations de
porteurs de titres russes et de victimes de spoliations ont été consultées par
MM. Arthuis et de Charette, alors respectivement ministre de l'économie et des
finances et ministre des affaires étrangères. Les représentants de ces
associations, auxquels les termes généraux de l'accord ont alors été soumis, ne
se sont pas opposés à sa signature.
La France a donc signé avec la Russie, le 26 novembre 1996, un accord apurant
le célèbre contentieux financier franco-russe.
Nous devons maintenant nous attacher à organiser, dans les meilleurs délais
possibles, l'indemnisation si longtemps attendue par les porteurs de titres
russes et les autres bénéficiaires français des accords, en utilisant, pour ce
faire, la somme versée par la Russie.
Il s'agit d'une opération difficile à mener sur le plan technique. Elle porte,
en effet, sur des créances anciennes, diverses de nature, ou sur des
spoliations dont l'évaluation est, par essence, complexe. Plusieurs centaines
de milliers de Français sont probablement concernés.
Le recensement prendra nécessairement un peu de temps, les Français doivent le
comprendre. Ils peuvent compter, en retour, sur la détermination du
Gouvernement de mener à bien cette opération le plus rapidement possible, dans
la transparence et l'équité.
J'ajoute que le Gouvernement s'en est donné les moyens.
La commission présidée par M. Jean-Claude Paye, conseiller d'Etat, constituée,
pour éclairer les choix du Gouvernement en la matière, a débuté ses travaux dès
le mois de juillet, c'est-à-dire dès que furent scellés les accords avec la
Russie et une fois les élections législatives passées, le Parlement étant
représenté en son sein.
Je souhaite insister sur le fait que les travaux de la commission sont menés
dans la plus grande transparence, conformément au mandat que le Gouvernement
lui a donné. Chaque partie prenante dans ce dossier complexe doit pouvoir
exprimer son point de vue. D'ores et déjà, chacune des associations de porteurs
de titres russes et de victimes de spoliations a été entendue. Les réseaux
financiers ont, par ailleurs, comme il se doit, été consultés.
Sur ce fondement , la commission vient d'adresser au Gouvernement ses
propositions pour l'organisation du recensement. Elles sont actuellement à
l'étude.
Dès à présent, je suis en mesure de vous confirmer que le recensement des
titres russes et des spoliations débutera dans les tout premiers mois de 1998.
Il sera précédé d'une large campagne d'information à destination du public ;
chacun sera informé précisément de ses droits et des formalités, au demeurant
légères, à accomplir. Le Gouvernement agira, là encore, dans la transparence la
plus complète.
Le recensement sera d'une durée raisonnable, afin de ne pas prolonger les
délais. Ses résultats permettront d'arrêter, sur le fondement des propositions
de la commission présidée par M. Paye et en association avec le Parlement, les
modalités précises d'indemnisation, permettant ainsi le paiement des ayants
droit.
Ainsi, nous pourrons alors clore définitivement, et dans les meilleures
conditions, un chapitre difficile et passionné des relations franco-russes et
de l'histoire de notre pays.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appellent le
mémorandum d'accord du 26 novembre 1996 et l'accord du 27 mai 1997 entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de
Russie qui font l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre
approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Estier,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, comme cela vient d'être rappelé, nous avons à nous prononcer à
propos d'une vieille histoire qui a beaucoup défrayé la chronique pendant
plusieurs dizaines d'années. Le projet de loi qui nous est soumis est, en
effet, l'aboutissement d'un long contentieux bilatéral, dû à la répudiation, en
janvier 1918, par Lénine, des dettes du gouvernement impérial. L'oukase alors
pris par les autorités soviétiques annulait, sans indemnité, tous les emprunts
souscrits par des porteurs étrangers pour participer au financement du
développement russe.
Ce projet de loi tend à autoriser l'approbation de deux accords conclus en
novembre 1996 et mai 1997. Le premier a pour objet de définir dans ses grandes
lignes les principes de l'indemnisation offerte par la Russie au titre du
gouvernement impérial russe et des annexions effectuées par l'URSS aux dépens
de propriétaires français en Europe centrale et orientale, entre 1939 et 1945.
Sur le processus des emprunts russes comme sur celui des indemnisations de
porteurs français, je vous renvoie, pour plus de détails, à mon rapport écrit.
J'analyserai seulement ici les accords du 26 novembre 1996 et du 27 mai
1997.
Le mémorandum franco-russe du 26 novembre 1996 a été le préalable à l'adoption
de l'accord sur le règlement définitif des créances réciproques signé le 27 mai
1997. Il définit les grands principes sur lesquels s'appuiera le versement par
la Russie de 400 millions de dollars destinés à apurer un contentieux vieux de
quatre-vingts ans. Il engage la Russie à effectuer huit versements de 50
millions de dollars chacun, répartis sur quatre années : 1997, 1998, 1999 et
2000.
Les deux premiers versements, de 291 millions de francs puis de 315 millions
de francs, ont été effectués respectivement en juin puis en août 1997. Le
prochain versement devrait intervenir en février 1998.
Les emprunts russes représentaient, en 1914, quelque 11 milliards de francs,
soit la moitié de la rente française, et les investissements directs français
en Russie s'élevaient, à la même date, à 2,24 milliards de francs. Ces divers
avoirs auraient été évalués, en francs d'aujourd'hui, à 235 milliards de
francs, ce qui veut dire que les 400 millions de dollars versés par la Russie
ne constituent qu'une indemnisation et non un remboursement des créances de nos
compatriotes. D'où, d'ailleurs, le mécontentement des associations de porteurs,
dont chacun de nous a été informé par un courrier abondant et, parfois, quelque
peu menaçant.
L'accord du 27 mai 1997 complète le mémorandum en précisant certaines de ses
stipulations. Il invite chaque partie à lever toutes les restrictions à l'accès
à ses marchés financiers. Rappelons, en effet, que le placement de toute
nouvelle émission d'actions ou d'obligations par l'URSS, puis par la Russie,
était interdit en France depuis 1918. Le règlement du contentieux des emprunts
russes permet donc de mettre fin à la fermeture des marchés financiers français
aux titres originaires de Russie.
D'autres dispositions, que je détaille dans le rapport écrit, visent à assurer
le caractère définitif du règlement des créances réciproques visées par cet
accord. Il s'agit, notamment, pour la Russie, des revendications relatives à
l'or remis par la Russie à l'Allemagne en vertu du traité de Brest-Litovsk,
puis remis par l'Allemagne à la France en application du traité de Versailles.
« L'or de Brest-Litovsk » avait toujours été considéré par la France comme un
aspect des réparations allemandes, sans référence à son origine russe.
Contrairement aux revendications exprimées par certaines associations de
porteurs d'emprunts russes, cet or avait été reçu par la France non pas en vue
de l'indemnisation des porteurs d'emprunts russes, mais au titre des
réparations exigées de l'Allemagne après la guerre de 1914-1918.
Les créances auxquelles la France renonce sont donc les emprunts russes ainsi
que les intérêts et actifs situés sur le territoire de l'Empire russe et de ses
successeurs dont les propriétaires ont été dépossédés par les mesures de
nationalisation d'abord, en 1918, puis entre 1939 et 1945.
Dès l'achèvement des versements russes, c'est-à-dire en l'an 2000, la France
considérera ces créances comme non avenues.
La date d'entrée en vigueur de l'accord du 27 mai 1997 appelle un commentaire
particulier. L'article 8 se réfère, en effet, à l'entrée en vigueur de cet
accord dès sa signature, avant l'achèvement des procédures parlementaires de
ratification. Cette stipulation relativement inhabituelle est due à une demande
russe et vise à éviter que la Douma ne puisse, dans un contexte politique
régulièrement tendu entre l'exécutif et la Chambre, rejeter ou remettre en
cause l'accord du 27 mai 1997. Cette modalité d'entrée en vigueur immédiate a
permis de garantir le caractère définitif de l'accord et la partie russe a pu
procéder au paiement de la première échéance prévue dans les quinze jours qui
ont suivi la signature de l'accord du 27 mai 1997. On doit donc se féliciter de
cette rapidité, qui, je crois, manifeste le souci sincère et réel de la Russie
actuelle de mettre fin à ce vieux contentieux.
Si, donc, les porteurs français n'ont pas, à ce jour, ressenti les effets de
l'entrée en vigueur immédiate de cet accord, on ne peut invoquer que des
raisons strictement nationales. En effet, bien des aspects des modalités de
l'indemnisation des ayants droit demeurent, à ce jour, pendants. Ce travail de
réflexion, comme vient de le confirmer M. le secrétaire d'Etat, est en cours
actuellement au sein de la commission de suivi du mémorandum d'accord instituée
le 12 février 1997 et présidée par M. Jean-Claude Paye, qui doit faire des
propositions prochainement au Gouvernement.
Je voudrais dire encore quelques mots, pour être complet, de l'arrière-plan
historique qui, même si cela peut aujourd'hui paraître surprenant, caractérise
le succès extraordinaire de ces emprunts russes en France ainsi que les
négociations entreprises, dès 1919, en vue de l'indemnisation des porteurs.
A la fin du xixe siècle, l'économie russe, qui était fondée sur une production
agricole d'un type quasiféodal et sur l'exploitation de quelques ressources
naturelles, ne laissait qu'une place très marginale à l'épargne. La recherche
de capitaux allait tout naturellement inciter la Russie à se tourner vers la
France, pays à l'épargne très abondante et dont les rentiers cherchaient des
placements sûrs. Or, à la fin des années 1880, les occasions d'investissement
de capitaux dans les rentes françaises étaient rares et limitées. Le succès des
emprunts russes auprès de 1,5 million d'épargnants français s'explique par
divers facteurs, à commencer par une exceptionnelle rentabilité. C'était ce que
l'on appelait, à l'époque, un placement sûr de père de famille !
Cependant, le facteur politique a joué un rôle fondamental dans ce succès
exceptionnel. L'émission des emprunts était, en effet, liée à l'alliance
franco-russe et à l'accueil enthousiaste réservé par les Français à une
puissance qui, face à une diplomatie allemande de plus en plus agressive,
pouvait nous conduire à une revanche victorieuse. Dans l'esprit des
souscripteurs, n'étaient donc pas absentes les préoccupations patriotiques.
Aider la Russie à développer son économie, c'était aider notre plus puissant
allié face à l'Allemagne.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien ! Utile rappel !
M. Claude Estier,
rapporteur.
Pourtant, dès les événements de 1905, la France était au
courant, ou aurait dû l'être, de l'attitude négative des révolutionnaires
russes à l'égard des investisseurs étrangers. Les rapports des agents
consulaires de France à Moscou, Odessa, Varsovie, Karkov et Bakou signalaient,
dès cette époque, les dangers auxquels étaient exposés les commerçants et les
industriels français en Russie.
Le 11 décembre 1906, l'écrivain Maxime Gorki annonçait, dans
l'Humanité
: « Lorsque le pouvoir sera dans les mains du peuple, on lui rappellera les
banquiers de France qui ont aidé les Romanov à lutter contre la liberté, le
droit, la vérité, et à maintenir ainsi leur autorité barbare. »
Il semble donc bien que les Français aient refusé de voir en face une réalité
à laquelle, il est vrai, la presse française faisait relativement peu écho.
En dépit du succès que représente la signature des accords qui nous sont
soumis, une question demeure posée : le règlement de ce contentieux vieux de
quatre-vingts ans suffira-t-il à conjurer le souvenir de la spoliation dans
l'inconscient collectif français ? Suffira-t-il à instaurer une véritable
confiance à l'égard de notre partenaire russe et à mettre fin à la timidité des
investisseurs français sur le marché russe, timidité fréquemment déplorée par
les autorités russes ?
En conclusion, il est clair que le projet de loi qui nous est soumis n'épuise
pas toutes les questions soulevées par l'indemnisation des porteurs d'emprunts
et des sinistrés français.
La commission présidée par M. Jean-Claude Paye doit remettre prochainement ses
propositions au Gouvernement. Les modalités de détermination des garanties
susceptibles d'être indemnisées, font je crois, encore débat. Convient-il de
retenir le critère d'héritage ou bien vaut-il mieux indemniser tous les
porteurs en vertu du principe qu'en matière mobilière « possession vaut titre »
? Cette dernière solution présenterait l'intérêt d'éviter des complications
liées à la reconstitution de la provenance de titres réputés depuis si
longtemps sans valeur et dont certains, et je connais des cas, ont été
récupérés dans des brocantes !
Les difficultés soulevées par le règlement des créances de l'Empire russe
relèvent donc désormais de décisions purement nationales. La partie russe, pour
sa part, a montré sa bonne foi en s'acquittant de son premier versement dans
les quinze jours qui ont suivi la signature de l'accord de mai 1996. Les
accords de novembre 1996 et de mai 1997 ne posent donc en eux-mêmes, aucun
problème.
Le sort des porteurs d'emprunts russes et des Français dépossédés sera
déterminé par le texte, loi ou décret - vous nous le direz, monsieur le
secrétaire d'Etat - qui tirera les conséquences des engagements souscrits par
les deux parties en vertu des deux accords qui nous sont soumis.
Au moment où la Russie connait des difficultés économiques et budgétaires
importantes, on peut se féliciter de l'attitude qu'elle a prise dans cette
affaire. On peut saluer le geste qu'a accompli notre partenaire pour apurer ce
contentieux vieux de quatre-vingts ans et pour faire la preuve de sa volonté de
retrouver la confiance des investisseurs français.
je conclus donc, comme l'a fait la commission des affaires étrangères du
Sénat, à l'adoption du présent projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui tend à autoriser l'approbation du
mémorandum franco-russe du 26 novembre 1996 et de l'accord sur le règlement
définitif des créances réciproques, signé le 27 mai 1997.
Ces textes prévoient le versement par la Russie à la France de 400 millions de
dollars entre 1997 et 2000. Cette somme, qui représente environ 2 milliards de
francs, est destinée aux porteurs d'emprunts ainsi qu'aux individus ou sociétés
ayant eu des biens confisqués par Moscou lors de la Révolution d'octobre 1917
ou de la Seconde Guerre mondiale.
Le groupe des Républicains et Indépendants ne peut que se féliciter qu'un
résultat ait, enfin, été obtenu dans le long contentieux historique né du refus
du pouvoir révolutionnaire d'honorer les dettes de la Russie tsariste.
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le secrétaire d'Etat, est
en effet le résultat de longues et difficiles démarches auprès des autorités
russes.
Cependant, nous ne pouvons être satisfaits du montant de l'indemnisation, non
plus que des zones d'ombre que laisse subsister ce texte.
Considérons, tout d'abord, le montant de l'indemnisation.
Les 400 millions de dollars obtenus par la France ne représentent qu'environ 1
% des divers avoirs, évalués par notre rapporteur, en francs d'aujourd'hui, à
235 milliards de francs.
Ce taux d'indemnisation peut paraître dérisoire, alors que les banques réunies
au sein du Club de Londres semblent obtenir de meilleures conditions
lorsqu'elles négocient avec la Russie le remboursement ou le rééchelonnement de
sa dette.
Il faut également rappeler que l'accord entre la Russie et le Royaume-Uni du
15 juillet 1986 a permis l'indemnisation des porteurs britanniques pour 1,6 %
de la valeur actualisée des titres.
Nous connaissons les difficultés économiques et budgétaires importantes de la
Russie et nous sommes également parfaitement conscients de la nécessité de
ménager la nouvelle démocratie russe, qui a su engager de courageuses
réformes.
Compte tenu du contexte économique et diplomatique, l'accord qui a été obtenu
était probablement le moins mauvais possible, mais certainement pas le meilleur
que l'on eût pu souhaiter. Il a, certes, le mérite d'exister.
Le sens des responsabilités ne doit pas nous conduire à négliger la déception
des porteurs de titres russes, qui ont aujourd'hui le sentiment d'être un peu
sacrifiés sur l'autel de la diplomatie et de la raison économique.
Le Gouvernement nous semble leur devoir un effort d'explication et
d'attention, que nous souhaiterions voir accompagné d'un geste concret qui
montrerait que l'Etat n'oublie pas les petits porteurs.
Et c'est là le second point que je souhaite aborder.
Le Gouvernement ne considère pas comme une dette de la France envers la Russie
les 47 tonnes d'or remises par Moscou à l'Allemagne, en application du traité
de Brest-Litovsk, puis par l'Allemagne à la France, au titre du traité de
Versailles et des réparations de guerre. Il ne reconnaît, par conséquent, aucun
droit des épargnants sur cette somme.
Sans entrer dans la controverse juridique et historique qui se développe
actuellement pour savoir si les 47 tonnes d'or correspondent à une dette ou à
des dommages de guerre, je considère que le Gouvernement devrait se placer sur
un plan humain et verser la contrepartie de cet or aux petits porteurs,
d'autant que l'Etat dispose d'un stock d'or oisif de 3 000 tonnes, d'une valeur
de 162,4 milliards de francs, sans aucune utilité monétaire et dont il peut se
défaire à tout moment. Je précise que cet or n'appartient ni à la Banque de
France ni à la Banque centrale européenne ; pour reprendre les propos de M. le
rapporteur, l'Etat, maintenant, est maître de son action.
C'est pourquoi, sur l'initiative du président Henri de Raincourt et de notre
collègue Joël Bourdin, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, au nom
du groupe des Républicains et Indépendants, que l'Etat vende sur le marché 47
tonnes d'or et en affecte le produit aux petits porteurs.
Il s'agirait là d'un geste de justice et de reconnaissance à l'égard de ceux
dont les aînés ont été spoliés.
Enfin, le Gouvernement ferait également preuve de sa considération pour nos
concitoyens en accélérant le processus d'indemnisation.
La « commission de suivi », présidée par M. Jean-Claude Paye, doit présenter
des propositions en vue de déterminer les modalités de recensement,
d'évaluation et d'indemnisation des créances.
A ce sujet, je souhaite m'associer aux remarques formulées par mon collègue
Jean Clouet lors de l'examen du projet de loi en commission. Il a notamment
relevé que le champ d'application des accords de 1996 et 1997 concernait non
seulement les emprunts russes mais aussi les actifs réels et, parmi ceux-ci,
les biens industriels dont les propriétaires ont été dépossédés en 1918 et
pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il convient donc de s'interroger sur la part qui reviendrait aux porteurs
d'emprunts sur les 400 millions de dollars qui devraient être versés entre 1997
et 2000.
Le groupe des Républicains et Indépendants veillera à ce que l'indemnisation
profite à ceux qui en ont légitimement le droit.
En ce qui concerne les délais, le recensement ne débutera qu'en janvier 1998,
ce qui ne nous semble pas très rapide.
Il ne faudrait pas qu'à la déception relative au montant de l'indemnisation
s'en ajoute une autre à l'égard de l'Etat français, suspecté de vouloir tirer
quelque profit des sommes versées par la Russie.
Là encore, il nous semble que le Gouvernement ferait un geste honorable soit
en versant rapidement un acompte aux porteurs d'emprunts, soit en plaçant les
sommes au profit des ayants droit.
Lors de l'examen du présent projet de loi par l'Assemblée nationale, le 20
novembre dernier, M. le secrétaire d'Etat à la coopération a indiqué que cette
dernière éventualité était à l'étude. Après trois semaines de réflexion,
peut-être pourra-t-il nous donner aujourd'hui sa position.
Le groupe des Républicains et Indépendants, qui, depuis des années, soutient
les porteurs de titres russes, sera très attentif aux réponses du
Gouvernement.
Il approuvera avec la même vigilance ce projet de loi, tout en soulignant le
faible montant de l'indemnisation et les incertitudes pesant sur les conditions
et les délais de son versement.
En terminant, je réitère, monsieur le secrétaire d'Etat, notre demande d'un
règlement urgent de la question relative aux 47 tonnes d'or.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on
me permettra, tout d'abord, de remercier M. Estier de son excellent rapport.
Dans son rappel historique, il a notamment souligné que c'était un sincère
patriotisme français qui avait poussé tous les épargnants français - nos
grands-pères ! - à la fin du XIXe siècle à souscrire très largement à l'emprunt
russe. En cela ; il a eu tout à fait raison.
N'oublions pas qu'à cette époque la République française était soumise à la
pression de l'Empire allemand, allié à l'empire austro-hongrois des Habsbourg,
alliance qui allait bientôt conduire à la Triple Alliance, de toute évidence
dirigée contre la France.
C'est à ce moment-là, à partir de 1891, que nous avons été très heureux de
nous rapprocher des Russes, en nous efforçant de réaliser, enfin, une alliance
solide. J'ajoute qu'à l'époque les Anglais n'étaient pas non plus nos amis, en
raison des questions africaines - bientôt, en 1898, allait survenir l'affaire
de Fachoda, avec Kitchener devant Marchand.
Nous n'avions donc alors d'autre allié, d'autre ami en Europe que la Russie,
la Russie des tsars, la Russie d'Alexandre III, qui reçut à Paris un accueil
triomphal : le pont qu'on a baptisé en son honneur date de cette époque.
Il y a donc eu des raisons patriotiques qu'il était bon de souligner.
Je m'écarte un peu de l'appréciation de M. Estier selon laquelle les «
bourgeois français », comme il a dit, en fait les épargnants, auraient dû se
méfier puisque les révolutionnaires russes avaient prévenu de ce qu'ils
feraient dès qu'ils prendraient le pouvoir.
Pour étayer son argumentation, il a cité l'article du 11 décembre 1906 de
Maxime Gorki dans
l'Humanité.
Il me permettra de lui dire qu'à l'époque
c'était tout de même un organe très confidentiel - je ne sais d'ailleurs pas
dans quelle mesure il l'est devenu moins après !
En réalité, pratiquement personne n'avait lu cet article. De toute façon, ce
n'est pas sur ces menaces ainsi proférées que pouvait se faire l'opinion
française. A l'époque, la grande presse française n'en avait jamais fait état.
Personne ne pensait que pût exister ce que vous avez appelé, monsieur Estier, «
l'autorité barbare des Romanov »...
M. Emmanuel Hamel.
C'est Gorki qui parle !
M. Jacques Habert.
Bien sûr !
M. Claude Estier,
rapporteur.
A l'époque,
l'Humanité
n'était pas un journal
confidentiel, monsieur Habert, c'était
l'Humanité
de Jaurès !
M. Jacques Habert.
C'est vrai, c'était
l'Humanité
du parti socialiste et non pas encore
celle du parti communiste, j'en suis d'accord avec vous. Mais, ce n'était pas
un journal des plus lus !
Aujourd'hui, c'est une querelle inutile, bien que - on le voit - la question
soulève encore un certain nombre de passions parce qu'elle reste présente.
Pour en revenir aux emprunts russes, nous avons tous entendu les regrets de
nos familles à cet égard.
Quoi qu'il en soit, nous arrivons aujourd'hui à une solution. Il faut en
féliciter le gouvernement actuel ainsi que le précédent, car tout a été négocié
par M. Juppé, tout d'abord lorsqu'il est devenu ministre des affaires
étrangères dans le gouvernement Balladur, puis lorsqu'il était Premier
ministre.
Les signatures sont intervenues extrêmement rapidement : le 26 novembre 1996 a
été signé le mémorandum franco-russe, complété par un accord le 27 mai 1997.
Remarquez la date ! Il était temps de le signer ! Depuis, l'accord a été mis en
oeuvre.
Le plus extraordinaire, parce que l'on n'a jamais vu cela pour aucune
convention - combien de fois sommes-nous montés à la tribune pour déplorer
qu'une convention signée parfois cinq ans ou dix ans auparavant n'ait pas été
ratifiée ! - c'est que non seulement la ratification est intervenue, mais, qui
plus est, les Russes ont tenu à payer immédiatement une partie de ce
remboursement en déposant 400 millions de francs - jugez du peu ! - à
destination de la France.
Je dirai même qu'il s'agit presque d'une hâte suspecte : on nous a expliqué
qu'il ne fallait pas soumettre de ratification à la Douma et que l'on comptait
sur le Parlement français pour ratifier rapidement !
Nous allons, bien sûr, ratifier cet accord, mais, tout de même, tous les
porteurs d'actions russes - M. Plasait s'en est fait l'écho, et je l'en
remercie - émettent, à juste titre, un certain nombre de réserves ! Nous avons
reçu un grand nombre d'entre eux, nous avons reçu une abondante
correspondance.
Il est dit que les 47 tonnes d'or versées aux Allemands lors du traité de
Brest-Litovsk et récupérées ensuite par le gouvernement français en 1918
étaient en partie destinées à dédommager les porteurs d'emprunts russes. Tel
n'a pas été le cas.
Par conséquent, tous les porteurs de titres se demandent s'il est normal que
l'Etat français règle ses propres dettes vis-à-vis de la Russie avec l'argent
qui leur est destiné.
Bref, monsieur le secrétaire d'Etat, il y a là un problème. Nous connaissons
votre équité et nous savons à quel point vous êtes raisonnable. Il n'y a pas de
doute qu'il faut indemniser davantage les porteurs d'actions, et les indemniser
tout de suite. Puisqu'il y a de l'argent, il serait légitime qu'ils aient leur
part.
Vous êtes en train de faire un recensement avez-vous dit. Hâtez-vous de le
faire et définissez ce qu'est un porteur d'emprunts russes - M. le rapporteur a
dit que l'on achetait maintenant ces titres à la brocante. C'est là un problème
qu'il faut se hâter de régler.
Le Gouvernement doit faire preuve d'une bonne volonté manifeste vis-à-vis de
tous ces porteurs d'emprunts russes, héritiers de Français patriotes qui se
sont sacrifiés, à l'époque, dans un esprit national qu'il convient maintenant
de reconnaître et de récompenser.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
Sénat est appelé aujourd'hui à examiner un projet de loi qui met un terme à
l'un des plus lourds contentieux que la France ait jamais connu et qui
handicapait à l'évidence nos relations bilatérales avec l'un de nos plus
importants partenaires, la Russie.
Les accords du 26 novembre 1996 et du 27 mai 1997 entre la France et la Russie
doivent avoir pour conséquence de régler les créances réciproques entre les
deux pays antérieures au 9 mai 1945.
Je ne reviendrai pas sur le volet historique, très important pour la parfaite
compréhension de l'enjeu dont il s'agit, car M. le rapporteur vient de le
développer excellement.
Je tiens cependant à rappeler le travail accompli depuis 1992 par les
autorités françaises et russes pour mener à bien la recherche d'une solution
équitable à ce dossier. On ne redira jamais assez à quel point les
interventions du Président de la République, de M. Edmond Alphandéry, alors
ministre de l'économie, et de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des
finances à l'époque, furent décisives en vue de la signature de l'accord du
mois de novembre 1996. Ils n'ont pas ménagé leurs efforts pour que à chaque
rencontre avec les autorités russes, le sujet soit abordé et pour que les
conditions d'un accord équitable soient trouvées. Je tenais, à cet instant, à
les remercier au nom de mon groupe pour leur opiniâtreté à défendre les
intérêts des porteurs français d'emprunts russes.
Comment, d'ailleurs, ne pas rappeler également le rôle majeur qu'a joué notre
Haute Assemblée dans ce dossier en intervenant auprès des gouvernements
successifs afin que la voix des porteurs de titres soit entendue ? Je partage,
à ce titre, le jugement porté par M. le rapporteur sur le caractère remarquable
des accords de 1996 et de 1997.
En effet, ces accords sont l'illustration de la volonté de la France et de la
Russie de relancer leurs relations bilatérales qui, si elles ont toujours été
très fortes, n'en étaient pas moins entachées par ce très ancien et lancinant
contentieux.
L'analyse du mémorandum franco-russe du 26 novembre 1996 et de l'accord
intervenu le 27 mai 1997 entre les deux Etats ne doit pas occulter les réelles
difficultés auxquelles est confrontée la Russie. Ainsi, la situation économique
de la Fédération est mauvaise : la récession sévit, l'Etat est endetté, les
salaires sont impayés, l'investissement productif décline.
Chacun connaît ici la crise sociale dans laquelle se débat ce pays, avec une
économie souterraine et un marché noir qui prennent des proportions jamais
constatées jusqu'à présent. Cette société est également marquée par les
soixante-dix dernières années de son histoire, dont les séquelles
catastrophiques se font cruellement sentir.
La crise est aussi politique, puisque le pouvoir exécutif russe, actuellement
en délicatesse avec la Douma, a demandé que l'accord du 27 mai 1997 entre en
vigueur dès sa signature, c'est-à-dire avant sa ratification.
La partie russe y tenait absolument seul le respect de cette condition pouvant
garantir, selon elle, le caractère définitif de l'accord. Le pouvoir exécutif
russe voulait donc absolument éviter que cet accord ne soit soumis à
l'approbation de la Douma, un rejet étant effectivement à craindre, compte tenu
de la situation budgétaire extrêmement tendue de la Fédération.
La France a accepté cette entrée en vigueur immédiate, afin d'obtenir sans
délai le versement de l'indemnité russe. On se convainc que c'est une sage
précaution lorsqu'on prend connaissance des revendications et des déclarations
les plus récentes des parlementaires russes, qui craignent que l'accord de 1997
n'ouvre la voie à de nombreuses vagues de revendications d'individus spoliés à
un moment ou à un autre de l'histoire.
En réponse à l'accord franco-russe, les parlementaires russes ont également
invoqué la mémoire des 20 millions de Soviétiques morts pour libérer l'Europe
et la France pendant la Seconde Guerre mondiale.
En dépit de tout cela, la Russie manifeste, à l'évidence, sa volonté de tenir
ses promesses. L'accord prévoit qu'une somme de 400 millions de dollars sera
acquittée d'ici à l'an 2000, en huit versements semestriels.
Or, le 11 juin 1997, ce sont 291 millions de francs qui ont été versés par la
Russie à la France sur un compte d'attente de l'agence centrale des comptables
du Trésor, puis 315 millions de francs le 1er août 1997.
Ces sommes seront déposées, à compter du 1er janvier 1998, sur le compte
d'affectation spéciale créé par la loi de finances pour 1998 et dont le montant
est estimé à 1,212 milliard de francs. On sait que le prochain versement russe,
d'une somme équivalant aux deux premiers, aura lieu au mois de février
prochain.
Reconnaissons ici les efforts de la Russie et sa volonté de respecter la
parole donnée. Pour sa part, le Gouvernement est responsable du respect de
l'échéance de paiement de l'Etat français vis-à-vis des petits porteurs de
notre pays. Peut-on espérer, d'ici à la fin de l'année 1997, les premiers
versements à ces petits porteurs, alors que la Russie a déjà versé 600 millions
de francs ? Quel engagement le Gouvernement peut-il prendre devant le Sénat à
ce sujet ?
Les membres de cette assemblée ont été alertés par les associations
représentant les porteurs français d'emprunts russes. Les demandes et remarques
qu'elles ont exprimées nous semblent, pour certaines, devoir être prises en
compte. Même si elles ne se sont pas opposées au texte du mémorandum puisque,
au mois de novembre 1996, à l'occasion d'une rencontre avec le Gouvernement, il
leur avait bien été précisé que, si une seule d'entre elles élevait une
objection fondamentale quant au montant de 400 millions de dollars
d'indemnisation, l'accord ne serait pas signé, il faut constater que ce montant
correspond à environ 1 % des sommes dues.
Toutefois, rapprocher la faiblesse de ce montant des conditions
d'indemnisation en apparence plus favorables obtenues par les autres Etats ne
semble pas justifié. On sait que le cas britannique est différent, car le
Royaume-Uni a vendu l'or des Etats baltes en dépôt à la Banque d'Angleterre et
versé une partie du produit de cette vente à l'URSS en 1968, alors que jamais
l'annexion des Etats baltes n'avait été reconnue. Le Royaume-Uni a d'ailleurs
dû rembourser ces derniers en 1991. En outre, on a découvert des avoirs
impériaux bloqués sur des comptes d'une banque anglaise, et ils ont été
restitués à l'URSS en 1986. Les porteurs anglais ont été indemnisés à hauteur
d'environ 50 % de la valeur faciale des titres.
Pour ce qui concerne la revendication exprimée par certaines associations et
tendant à ce que l'« or de Brest-Litovsk » soit utilisé au titre des
dédommagements, les autorités françaises ont toujours légitimement considéré
que cet or constituait un élément des réparations allemandes à l'égard de notre
pays. Cet or n'avait pas été reçu par la France pour indemniser les porteurs
d'emprunts russes, et, ne peut donc être ajouté aux 400 millions de dollars
prévus.
D'autres réclamations émises par les associations méritent d'être
examinées.
Ainsi, il peut paraître paradoxal que la Russie ait remboursé aux banquiers du
Club de Londres la totalité de ce qui leur était dû, sous forme de titres
amortissables sur vingt-cinq ans. Rien ne semble pouvoir justifier un tel
traitement discriminatoire, et il aurait été souhaitable que les porteurs
français bénéficient de modalités de remboursement équivalentes.
Nous avons, par ailleurs, pris bonne note du fait que M. le secrétaire d'Etat
à la coopération et à la francophonie n'a pas émis d'objection, lors d'une
déclaration à l'Assemblée nationale, à ce que la cotation des emprunts russes
puisse reprendre.
Le Gouvernement vient d'annoncer qu'un projet de loi précisant les modalités
d'indemnisation des porteurs d'emprunts russes serait déposé prochainement sur
le bureau des assemblées. Au vu des difficultés existantes, il semble que ce
soit là le minimum que l'on puisse faire.
En effet, de nombreuses questions restent en suspens et, en attendant les
prochaines propositions de la commission de suivi, il convient de s'interroger
d'ores et déjà sur l'identité et la nature de la structure à qui sera confié le
recensement, sur le délai qui lui sera octroyé pour procéder à ce recensement,
sur le sort à réserver aux personnes morales et privées dépossédées de leurs
biens autres que les porteurs d'emprunts russes, sur la nature des porteurs à
indemniser et, enfin, sur le barème d'indemnisation à mettre en place : autant
d'interrogations importantes qui démontrent que l'accord franco-russe, objet du
présent projet de loi, marque le commencement d'un long chemin qui doit amener
à l'indemnisation dans les meilleures conditions possibles de nos
compatriotes.
Enfin, un dernier point nous tient particulièrement à coeur.
Alors que notre Haute Assemblée vient d'achever, en première lecture, l'examen
du projet de loi de finances pour 1998, avec son cortège d'augmentations des
prélèvements obligatoires, nous demandons avec force au Gouvernement de
s'engager solennellement à ce que les sommes remboursées soient totalement
exonérées de tout impôt.
En conclusion, le groupe du Rassemblement pour la République approuve avec
force les dispositions de ces accords et veillera à ce qu'elles soient
appliquées dans l'intérêt des Français porteurs d'emprunts russes, oubliés
pendant de trop longues années.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
après les propos de M. le rapporteur et des autres intervenants, je serai
extrêmement bref.
Mon âge me permet d'affirmer que je connais personnellement le peuple russe,
notamment à travers son armée, depuis 1946, soit depuis plus d'un
demi-siècle.
Fils de mon père et petit-fils de mon grand-père, je n'oublierai jamais - et
je suis heureux que certains collègues l'aient évoquée - la contribution de la
Russie, par son action armée à l'est de l'Allemagne, à nos victoires de 1918 et
de 1945. Pour m'être rendu à plusieurs reprises en Russie, je tiens à exprimer
publiquement ma sympathie pour le peuple russe, dont je sais ce qu'il a
souffert depuis 1917.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes propos ne seront pas du tout l'expression
d'une critique à l'adresse du gouvernement actuel, puisque ces accords ont été
signés avant qu'il ne soit en place. Cependant, il n'est pas normal, quelles
que soient les difficultés que rencontre actuellement le gouvernement russe à
faire face aux problèmes économiques, sociaux et politiques qui sont les siens,
que vous nous proposiez, sans nous annoncer de développements ultérieurs, un
accord qui n'aboutit, en fait, ainsi que l'ont démontré avec tout leur talent
nos collègues Bernard Plasait, Serge Vinçon et Jacques Habert, qu'à indemniser
à hauteur de seulement 1 % de la valeur de leurs créances les détenteurs
français d'emprunts russes.
Toutefois, nous attendions depuis fort longtemps un geste, de la part du
gouvernement russe, et cet accord constitue le début du commencement d'une
indemnisation. Il s'agit donc d'un pas en avant significatif, que je salue,
mais le gouvernement français doit se sentir interpellé par le nombre des
porteurs d'emprunts russes.
Comme le rappelait M. Habert, beaucoup de nos parents et de nos grands-parents
qui ont souscrit à ces titres avant 1914 avaient le sentiment d'accomplir un
acte patriotique, de renforcer la puissance économique, et donc militaire, d'un
peuple qui faisait contrepoids à la puissance germanique.
Cela étant, le parlementaire que je suis a été blessé par le ton d'un
paragraphe de la lettre que nous avons tous reçue. Sur ce point, je m'associe
entièrement, comme en d'autres occasions, aux propos de M. Estier, qui faisait
sans doute allusion à cette phrase désagréable représentant une forme de
pression : « Nous vous surveillerons, monsieur le parlementaire ».
(M. le rapporteur opine.)
Je n'aime pas ces pressions, même si je ne suis pas rééligible et si je
parle en citoyen libre, mais est-il normal, monsieur le secrétaire d'Etat, que
les Français et les Belges aient tant attendu ce début de solution, alors que
les porteurs d'emprunts russes britanniques, canadiens ou américains ont déjà
été depuis longtemps en partie remboursés ? Pourquoi notre diplomatie est-elle
si faible et pourquoi le Gouvernement attend-il si longtemps avant de défendre
les intérêts de certains de nos concitoyens ?
Je veux donc considérer cet accord, que je salue et dont je reconnais la
valeur, comme un geste symbolique de la part de la Russie, comme un premier
pas, et je vous demande de faire en sorte que ce problème soit traité,
maintenant et dans l'avenir, d'une manière plus équitable puisque,
actuellement, il ne s'agit que du début du commencement d'un règlement. Il
faudra en effet aller plus loin dans la voie d'une indemnisation équitable des
héritiers de ceux qui, voilà plus d'un demi-siècle, ont souscrit à ces emprunts
pour conforter un peuple qui était l'allié de la France face à la menace
germanique.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Charles Josselin,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Charles Josselin,
secrétaire d'Etat.
Je vais m'efforcer de répondre le plus complètement et
le plus brièvement possible aux différentes questions qui m'ont été posées.
Je voudrais d'abord dire à M. le rapporteur combien j'ai apprécié la qualité
du travail qu'il a fourni et l'intérêt des références historiques qu'il a
citées. Celles-ci ont permis de mettre en perspective un dossier pour lequel,
monsieur Hamel, s'applique entièrement le concept de continuité de l'Etat. En
effet, le gouvernement d'aujourd'hui doit respecter les engagements pris par le
gouvernement d'hier, à charge pour lui de les mettre, en quelque sorte, « en
musique ».
M. Emmanuel Hamel.
J'ai regretté la faiblesse de notre Etat, même s'il était dirigé par un autre
gouvernement que le vôtre.
M. Charles Josselin,
secrétaire d'Etat.
J'ai entendu les regrets exprimés à propos du montant
de l'indemnisation, aussi bien par vous-même, monsieur Hamel, que par M.
Plasait.
J'observe simplement que le gouvernement précédent a estimé qu'il s'agissait
du meilleur accord possible, compte tenu du temps qu'il avait fallu pour
engager les discussions, mais surtout pour obtenir un début d'engagement.
Comme cela a été rappelé, un premier versement de 100 millions de dollars,
soit 600 millions de francs, représentant le quart de la somme totale, a été
effectué. Cette somme a été déposée sur un compte spécial du Trésor, afin de
garantir qu'elle serait bien en totalité affectée à la seule indemnisation des
porteurs d'emprunts russes.
En ce qui concerne l'abondement éventuel de ce capital par les intérêts qu'il
serait susceptible de produire, j'ai indiqué à la tribune de l'Assemblée
nationale que la question était à l'étude. Elle n'est pas encore tranchée, et
vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie prenne une part non négligeable à la
réflexion en cours sur ce point.
Il en va de même pour le problème de la fiscalisation de l'indemnisation. J'ai
pris note de la demande formulée à cet égard par certains d'entre vous, et
j'aurais tendance, à titre personnel, à la trouver fondée, mais je ne peux
m'engager au nom du Gouvernement, car cette question est elle aussi en cours
d'examen.
Par ailleurs, une comparaison a été établie avec les indemnisations
intervenues en faveur des porteurs d'emprunts russes d'autres pays.
En ce qui concerne le Canada, le problème a en effet été réglé dès les années
cinquante. Il s'agissait d'indemniser une société productrice de nickel, et
c'est donc un accord presque ponctuel qui a été conclu entre le gouvernement
soviétique de l'époque et cette entreprise, qui liait d'ailleurs la poursuite
de ses activités en URSS au règlement du contentieux. Ce cas était donc bien
particulier, ce qui rend difficile toute comparaison.
S'agissant de la Grande-Bretagne, vous parlez de 4 000 porteurs, de 4 000
porteurs seulement pourrait-on dire, par rapport au 1,5 million de titres
partagés entre plusieurs centaines de milliers de porteurs en France.
Seul un recensement nous permettra de savoir avec précision ce qu'il est
advenu de ces emprunts russes. Certains d'entre vous ont évoqué la présence de
titres chez des brocanteurs ! C'est dire combien le travail d'évaluation sera
considérable. Mais la commission de Paye s'y emploie avec diligence.
S'agissant plus précisément de la Grande-Bretagne, je rappelle que l'accord
sur les spoliations a effectivement été conclu au mois de janvier 1968, et que
la Grande-Bretagne a utilisé l'or des Etats baltes, qui était en dépôt à la
Banque d'Angleterre, pour financer l'indemnisation.
La France, quant à elle, a toujours refusé un tel expédient, n'ayant pas
reconnu l'annexion des Etats baltes par la Russie soviétique. Elle a attendu
que ces derniers recouvrent leur autonomie pour leur restituer l'or qui leur
appartenait.
La Grande-Bretagne disposait par ailleurs - d'avoirs russes bloqués dans les
comptes de la banque Barings sur lesquels elle a pu prélever le montant de
l'indemnisation. Le règlement des contentieux soviéto-britanniques n'a de ce
fait rien coûté au budget soviétique. Vous conviendrez que c'est un élément
fondamental, la France ne disposant pas de tels avoirs.
Pour ce qui est de l'or remis à la France par l'amiral Koltchak, celui-ci
avait été acquis en 1919, au moment de la guerre civile russe. Il avait
immédiatement fait l'objet d'une transaction commerciale classique et
parfaitement régulière. Sa vente date donc de près de quatre-vingts ans.
Quant à l'or de Brest-Litovsk, la France l'avait reçu de l'Allemagne en
application directe du traité de Versailles et nous l'avons revendu dans les
années qui ont suivi.
Je rappelle que la France n'a jamais reconnu les revendications soviétiques ou
russes sur l'or de Koltchak, pas plus que sur l'or de Brest-Litovsk.
S'agissant des cotations des emprunts russes, je confirme les propos que j'ai
tenus à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement ne pose pas d'objection à ce que
la cotation des titres russes puisse reprendre, même si cette éventualité n'est
envisageable que dans la mesure où l'information des porteurs sera parfaite sur
les conditions d'indemnisation des titres. Nous n'en sommes pas encore tout à
fait là, mais, dès que ces conditions seront remplies, la cotation pourra
reprendre.
En ce qui concerne les conditions de l'ouverture des marchés financiers
français, puisque la Russie honore à bonne date les engagements qu'elle a
souscrits, en retour, la France respecte sa parole et lève l'interdiction des
placements d'actions et d'obligations russes qu'elle appliquait depuis près de
quatre-vingts ans.
Telles sont les quelques observations que je souhaitais présenter à la suite
de vos différentes interventions. Je crois avoir répondu aux questions qui ont
été soulevées.
Je peux faire mienne l'insatisfaction de certains quant au montant du
règlement des créances par la Russie. Il a cependant été considéré que c'était
le meilleur accord possible à un moment donné, compte tenu de l'ensemble des
contraintes auxquelles j'ai fait allusion.
Il nous reste maintenant à mettre en oeuvre avec la plus grande équité cette
indemnisation. Un projet de loi sera présenté au Parlement au début de l'année
prochaine, fixant le délai de forclusion pour les demandes d'indemnisation.
Ensuite, un autre texte bouclera définitivement ce dossier, mettant ainsi fin à
une histoire vieille de plus de quatre-vingts ans.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. -
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de
Russie relatif au règlement définitif des créances réciproques entre la France
et la Russie antérieures au 9 mai 1945 sous forme de mémorandum d'accord, signé
à Paris le 26 novembre 1996 et de l'accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le
règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues
antérieurement au 9 mai 1945, signé à Paris le 27 mai 1997, dont les textes
sont annexés à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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