CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA RÉDUCTION DE LA DURÉE
DU TRAVAIL À TRENTE-CINQ HEURES
Discussion des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 159,
1997-1998) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur la proposition
de résolution (n° 75, 1997-1998) de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt,
Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis tendant à créer une commission
d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la
durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires. [Avis (n° 163,
1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, mes chers
collègues, le sujet dont nous allons débattre est évidemment un sujet crucial,
crucial pour l'opinion publique et crucial pour le devenir de nos entreprises :
chacun sait qu'il s'agit d'un débat essentiel, engagé, dans des conditions
peut-être un peu surprenantes à certains égards, par la conférence nationale
sur l'emploi, les salaires et le temps de travail, qui s'est tenue le 10
octobre dernier.
Je rappellerai en quelques mots le contexte dans lequel s'inscrit la
proposition de résolution que nous allons examiner et dont les auteurs sont MM.
Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean
Arthuis.
Ce contexte, nous en sommes tous imprégnés, puisqu'il fait l'objet de
l'actualité la plus évidente. Le conseil des ministres n'a-t-il pas adopté
hier, 10 décembre, un projet de loi qui, nous a-t-on dit, devrait être soumis
au Parlement au cours du premier trimestre 1998 ?
M. Claude Estier.
Vous auriez pu attendre !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il semble assez naturel, mon cher collègue, que l'on se
préoccupe des sujets qui vont être traités prochainement par les assemblées
pour que l'on puisse disposer d'un maximum d'éléments d'information de la façon
la plus démocratique, la plus transparente et la plus pluraliste possible.
Nous en viendrons tout à l'heure, si vous le voulez bien, aux questions de
procédure.
M. Claude Estier.
Comptez sur nous !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je m'efforcerai d'apporter, au nom de la commission des
finances, tous les éléments d'appréciation nécessaires au vote de nos
collègues.
M. Guy Allouche.
Arguments fallacieux !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Non, arguments de procédure.
La commission des finances, commission saisie au fond, a fait son travail ; le
rapport que vous avez entre les mains le prouve, et nous allons discuter, comme
il faut le faire en semblable circonstance, à la fois de la procédure et du
fond,...
M. Raymond Courrière.
Procédure politicienne !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... de la recevabilité et de l'opportunité de cette demande
de création de commission d'enquête.
M. Guy Allouche.
Prenez patience !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
M. le Premier ministre a annoncé, dans son exposé initial,
mais aussi à plusieurs reprises à l'occasion de différentes prestations, qu'il
n'était pas concevable que la diminution du temps de travail s'accompagne d'une
baisse de rémunération des salariés. Il a ajouté qu'il n'était pas non plus
concevable que la compétitivité des entreprises s'en trouve réduite.
Il a ainsi marqué les limites de la démarche dans laquelle nous nous apprêtons
à nous engager. Cette démarche ne doit être ni antisociale ni antiéconomique.
Chacun conviendra qu'elle mérite un examen particulièrement attentif.
Nous savons bien que, au-delà de la discussion sur le temps de travail à
proprement parler, doit s'engager un dialogue sur le salaire minimum. Comment
celui-ci s'ajustera-t-il à ce mouvement ? Peut-on imaginer de réévaluer le taux
horaire du SMIC de plus de 11 % ?
Une discussion sur le statut et sur la rémunération des heures supplémentaires
ainsi que sur l'impact qu'auront les mesures qui nous sont annoncées pour la
fonction publique devra également être engagée. Ce sont autant de sujets de
fond tout à fait essentiels qui sont au coeur de nos préoccupations de
législateurs, puisque l'on nous annonce un projet de loi pour le début de
l'année 1998.
Nous avons aussi entendu s'exprimer les partenaires sociaux, notamment à la
suite de l'épisode de la conférence nationale du 10 octobre dernier. Je serai
très allusif en ce qui concerne les représentants des entreprises, car leurs
propos publics ont été clamés haut et fort.
M. Raymond Courrière.
Ce sont des appels à la guerre civile !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je serai plus précis en ce qui concerne d'autres groupements
et d'autres institutions.
La Caisse nationale d'assurance maladie, la Caisse nationale des allocations
familiales, la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs non
salariés et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale ont réagi, et
elles ont exprimé des avis dubitatifs sinon défavorables.
Les responsables des syndicats de salariés, la CFTC, la CGT, Force ouvrière, à
partir d'analyses différentes, ont aussi eu une approche critique de la volonté
gouvernementale sur ce point.
J'ai lu, notamment, qu'il pouvait en résulter des risques graves pour le
financement de la sécurité sociale. C'est M. Marc Blondel qui a souligné que
l'avant-projet ne prévoyait qu'une compensation partielle, pour la sécurité
sociale, des pertes de recettes dues aux exonérations, contrairement à
l'obligation faite à l'Etat par la loi Veil du 25 juillet 1994 de compenser
intégralement, auprès de la sécurité sociale, toutes les nouvelles mesures
d'exonérations de cotisations sociales.
On conviendra que ce contexte, très présent dans le débat public aujourd'hui,
et les réserves ou les critiques émanant de représentants très divers des
partenaires sociaux rendent tout à fait opportune la proposition de nos
collègues ; nous devons au moins considérer, en introduction, qu'il s'agit
d'une bonne question et qu'il faut savoir y répondre.
Je passerai très rapidement sur des déclarations un peu contradictoires que
l'on a aussi enregistrées au sein même du Gouvernement. Beaucoup avant moi ont
abondamment cité le secrétaire d'Etat au commerce extérieur, M. Jacques
Dondoux, qui, en voyage à Albi le 24 novembre dernier, déclarait « ne pas être
certain que le passage aux trente-cinq heures créera beaucoup d'emplois ».
M. Guy Allouche.
Il aurait mieux fait de se taire !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je ne saurais, mon cher collègue, porter une appréciation de
fond ou de méthode sur son propos.
M. Guy Allouche.
Moi, je la porte !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Vous nous avez dit que votre majorité était plurielle ! Elle
manifeste ainsi son pluralisme, et le propos de M. Dondoux est aussi
respectable que bien d'autres.
M. Guy Allouche.
Il ne manquait pas d'être singulier !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Bref, nous avons là, je le répète, toutes sortes d'éléments
qui nous conduisent à examiner avec intérêt la question posée par nos
collègues.
Par souci d'objectivité, le rapport que j'ai l'honneur de vous présenter
comporte, pages 6, 7 et 8, le dispositif, tel que nous en avons connaissance,
de l'avant-projet de loi du Gouvernement.
Nous indiquons ce dont il est question et nous précisions en particulier, pour
ce qui est de l'aide à la réduction négociée du temps de travail, que son coût
budgétaire, tel qu'il est prévu dans le projet de loi de finances initial pour
1998, s'établit à 3 milliards de francs.
Nous rappelons donc les conditions de cette aide et sa dégressivité sur une
période de cinq ans.
Parvenant au coeur de mon propos, je souhaite à présent évoquer, comme je me
dois de le faire devant vous, mes chers collègues, la recevabilité de la
proposition, avant d'en venir à son opportunité.
La recevabilité s'apprécie par rapport à deux textes, qui font partie de notre
droit public.
Tout d'abord, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au
fonctionnement des assemblées parlementaires dispose : « Les commissions
d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des
faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises
nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a
créées. »
Ensuite, l'article 11 du règlement du Sénat prévoit que la proposition de
création d'une commission d'enquête « doit déterminer avec précision soit les
faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises
nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion ».
Bien sûr, il est fait référence à l'existence éventuelle de poursuites
judiciaires : s'il y a poursuites judiciaires, il ne saurait être question de
créer une commission d'enquête.
M. Claude Estier.
Mais quel sont les faits, ici ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je vous en prie, laissez-moi poursuivre mon propos, mon cher
collègue. J'en viens à ce point.
La commission d'enquête que M. Maurice Blin et plusieurs de ses collègues
proposent de créer aurait pour objet de « recueillir des informations sur les
conséquences de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures
hebdomadaires ».
M. Raymond Courrière.
Mais c'est une décision qui relève du Parlement !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il est manifeste que cette proposition ne concerne pas la
gestion d'une entreprise nationale ou d'un service public précisément désignés.
Cet objet possible de la commission d'enquête n'existe pas, en l'occurrence.
Nous ne pouvons, pour conclure à la recevabilité de la proposition, que nous
placer sur le terrain des faits, ainsi que l'avez opportunément rappelé,
monsieur Estier.
M. Claude Estier.
Eh bien, quels faits ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Des conséquences sont-elles des faits ? Certainement pas !
Mais il est des faits que nous connaissons, les uns et les autres,...
Mme Nicole Borvo.
Lesquels ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... et je vais vous en citer deux.
Le premier est l'adoption par le conseil des ministres, hier, d'un projet de
loi.
(Rires et exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
C'est bien un fait ! Si l'adoption d'un projet de loi par le conseil des
ministres n'est pas un fait, j'aimerais que l'on m'explique ce que l'on doit
entendre par le mot « fait » !
M. Claude Estier.
Vous pourriez créer une commission d'enquête toutes les semaines, alors !
M. le président.
Pardonnez-moi de vous interrompre, monsieur Marini, mais je dois rappeler à
nos collègues que le rapporteur dispose d'un temps de parole de vingt minutes.
Plusieurs d'entre vous sont inscrits dans la discussion générale, et ceux qui
le souhaitent peuvent encore s'inscrire. Chacun pourra donc répondre tout à
l'heure à M. le rapporteur. En attendant, laissez-le s'exprimer.
M. Raymond Courrière.
Alors, qu'il dise des choses sérieuses ! Ce qu'il dit n'est pas crédible !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Le premier fait, donc, c'est l'adoption d'un projet de loi
par le conseil des ministres.
Le second fait, c'est la tenue de la conférence nationale du 10 octobre.
Il faut que nous sachions - c'est bien la démarche de nos collègues - sur
quelles bases, sur la foi de quelles analyses, de quels éléments
d'appréciation, ces faits ont pu survenir.
M. Raymond Courrière.
Le ministre vous le dira ! Il suffit de l'interroger !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
On peut donc, selon l'analyse de la commission des finances,
considérer la proposition comme tout à fait recevable, d'autant que nous avons
été saisis d'un projet de loi de finances pour 1998 qui comportait bien 3
milliards de francs de crédits destinés à alimenter les dispositifs
d'incitation à la baisse du temps de travail. Si cela n'est pas un fait,
qu'est-ce qu'un fait ?
Certes, le Sénat a rejeté cette disposition, mais la rumeur publique vous a
sans doute déjà rapporté - et vous n'en avez sûrement pas été étonnés - que la
commission mixte paritaire, réunie hier après-midi, avait échoué. Dès lors, il
est vraisemblable que les 3 milliards de francs en question seront rétablis.
(Heureusement ! sur les travées socialistes.)
Nous avons donc, en vérité, affaire à un enchaînement de faits, qui sont
des faits politiques mais qui n'en sont pas moins des faits.
M. Raymond Courrière.
Les commissions d'enquête n'ont pas à remettre en cause les décisions du
Parlement.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
En conséquence, au nom de la commission des finances, me
fondant sur un précédent qui a été créé voilà quelques instants, ainsi que sur
celui de la commission d'enquête chargée d'examiner les conditions
d'élaboration de la politique énergétique de la France,...
M. Raymond Courrière.
Mais cela n'a rien à voir !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... à la suite de la décision du Gouvernement de fermer
Superphénix, et en vertu de l'analyse que je viens d'exposer, je conclus à la
recevabilité de la présente proposition de résolution.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Quant à l'opportunité de la création de cette commission,
elle est évidente.
M. Raymond Courrière.
Elle est politicienne !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il faut examiner les choses à temps pour pouvoir faire du bon
travail législatif lorsque le projet de loi nous sera soumis.
M. Claude Estier.
Ça, c'est évident !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il faut que les fonctionnaires dépendant des ministres
concernés puissent s'exprimer en toute liberté devant le Parlement.
M. Raymond Courrière.
Ce ne sont pas les fonctionnaires qui décident !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La commission d'enquête a des pouvoirs particuliers lui
permettant d'auditionner les personnalités dont le témoignage lui semble
utile.
M. Guy Allouche.
Mais ça, on le sait très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La procédure de la commission d'enquête facilitera ainsi le
travail parlementaire.
Sur le fond, de quoi va-t-on parler ?
M. Raymond Courrière.
De politique politicienne !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La réduction du temps de travail va supposer des efforts qui
ne peuvent être le fait que de trois partenaires.
Il s'agit d'abord des salariés. Vont-ils devoir consentir à une diminution de
leur rémunération ?
(Mme Borvo s'exclame.)
C'est une question que je pose ! Il faudra y apporter une réponse.
Il s'agit ensuite des entreprises. Comment vont-elles s'organiser ? Comment
va-t-on naviguer entre l'antisocial et l'anti-économique ?
Enfin, l'Etat, troisième partenaire, va devoir engager des dépenses
importantes pour accompagner ce mouvement. Il a prévu 3 milliards de francs
pour 1998, mais c'est très peu par rapport aux dizaines de milliards de francs
qui risquent de grever les budgets futurs, à un moment où nous devrons
appliquer - et je crois savoir que telle est bien la volonté de l'actuelle
majorité - le pacte de stabilité européen, car il nous faudra non seulement
avoir atteint 3 % du produit intérieur brut, mais rester à ce niveau, et faire
encore décroître l'endettement de notre pays.
Il va donc, naturellement, nous falloir parler de la contribution de l'Etat et
du poids de cette mesure sur les finances publiques.
Il va nous falloir aussi évoquer les gains de productivité dans les
entreprises.
Les grandes entreprises manufacturières sont adaptées à ce type de
raisonnement. D'ailleurs, nombre de grandes entreprises ont déjà institué les
trente-cinq heures hebdomadaires. Mais, s'agissant des entreprises de services,
des petites et moyennes entreprises et de toutes celles qui sont le plus
soumises à la compétition internationale, comment vont-elles s'adapter à un
mécanisme qui sera, nous dit-on, contraignant ?
M. Raymond Courrière.
Il sera contractuel !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
On parle même d'un couperet qui tombera à une certaine date,
sans que l'on sache d'ailleurs exactement quel sera finalement le vrai seuil
pour la première comme pour la seconde phase.
M. Claude Estier.
Ce n'est pas une enquête, c'est un procès que vous faites !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est une enquête qui sera menée objectivement par une
commission pluraliste, dans laquelle siégeront naturellement des membres de
votre groupe, monsieur Estier.
S'agissant d'une décision aussi importante, qui conditionne sans doute le
climat social et la compétitivité de nos entreprises,...
M. Raymond Courrière.
Vous voulez créer un climat de guerre civile !
M. Philippe Marini,
rapporteur
... il convient de s'entourer du maximum d'éléments
d'information et d'effectuer une étude très approfondie. Pour cela, le
Parlement doit disposer d'amples pouvoirs.
En fait, cette proposition vise à valoriser le rôle du Parlement, du Sénat en
particulier,...
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur
... dans un débat aussi essentiel dont nous ne pouvons pas
être absents et qui ne doit pas être un affrontement entre des intérêts
corporatistes.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est nous qui exprimons l'intérêt général
(Vives
protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.),
et c'est le rôle du Parlement, dans toute sa
diversité, d'étudier de manière approfondie ce qui constitue un vrai sujet de
société.
M. Raymond Courrière.
Le peuple a voté !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Quelles sont les conséquences qui vont devoir être élucidées
par la commission d'enquête ?
Elles sont de trois ordres, et je propose qu'on le précise explicitement en
amendant la proposition de résolution : elles sont financières, économiques et
sociales.
M. Raymond Courrière.
Et politiciennes !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Sur le plan financier, il s'agit d'évaluer l'impact de cette
mesure sur les finances publiques, notamment au regard des exigences issues du
pacte de stabilité budgétaire que vous avez conclu à Amsterdam, ou auquel vous
avez souscrit, vous aussi, à Amsterdam.
En deuxième lieu, cette réforme aura des conséquences économiques.
La réduction de la durée du temps de travail aura, nous le savons, des
incidences sur la compétitivité de nos entreprises. Il faut évaluer l'effet des
trente-cinq heures sur la croissance, sur le climat psychologique dans le monde
des affaires et sur le niveau de l'emploi.
Cette mesure de partage créera-t-elle ou non de l'emploi ? Même M. Dondoux
n'en est pas persuadé !
M. Alain Gournac.
Personne ne l'est !
M. Guy Allouche.
C'est Mme Aubry qui est ministre de l'emploi !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Permettez-nous d'exercer le doute systématique et de faire
fonctionner nos esprits critiques, dans le respect le plus entier du pluralisme
de notre assemblée.
M. Raymond Courrière.
Vous devez respecter le suffrage universel !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Enfin, en troisième lieu, cette réforme aura des conséquences
sociales, car elle est engagée dans le contexte d'une crise que l'on a
créée...
M. Raymond Courrière.
C'est vous qui l'avez créée !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... dans les relations entre l'Etat et les entreprises.
Si l'on impose une telle mesure à la quasi-totalité des entreprises, que
reste-t-il de la négociation interprofessionnelle ? Que reste-t-il de la
négociation de branche ? Que reste-t-il de la négociation d'entreprise ?
M. Raymond Courrière.
Vous voulez essayer de l'empêcher !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
L'influence d'une telle législation sur le climat social, sur
les conditions du déroulement du dialogue social, représente aussi un enjeu
tout à fait crucial. Il serait dans ces conditions pour le moins étrange que le
Sénat soit absent du débat.
Mes chers collègues, pour l'ensemble de ces raisons, en vous priant de me
pardonner d'avoir un peu dépassé le temps de parole qui m'était imparti, je
conclus, au nom de la commission des finances, d'abord, à la recevabilité et,
ensuite, à l'opportunité de cette proposition de résolution.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. Raymond Courrière.
C'était la voix du CNPF !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Bohl,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, mes chers collègues, la compétence de la
commission des lois se limite à l'examen juridique de conformité de la
proposition de résolution.
M. Raymond Courrière.
Conformité tirée par les cheveux !
M. André Bohl,
rapporteur pour avis.
L'opportunité de la constitution de la commission
d'enquête relève de l'appréciation de la commission saisie au fond.
La commission des lois s'est réunie hier matin pour examiner ce dossier. Elle
a constaté que, s'il existait des faits déterminés, la procédure de
consultation du Gouvernement sur l'existence éventuelle de procédures
judiciaires était sans objet.
En revanche, selon l'exposé des motifs, la commission d'enquête aurait pour
objet d'examiner l'impact de la transposition de la réduction de la durée du
travail à la fonction publique d'Etat, donc à tous les services publics, à la
fonction publique territoriale, au secteur hospitalier et à toutes les
entreprises nationales, ainsi que les incidences budgétaires et financières
pour l'Etat. Il ne fait pas de doute que ces matières relèvent bien d'une
commission d'enquête.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois estime que la
proposition de résolution n'est pas contraire à l'ordonnance du 17 novembre
1958.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, mes chers collègues, au travers des travaux
d'investigation qu'elles accomplissent, les commissions d'enquête constituent
incontestablement un moyen pour le Parlement de contrôler la politique du
Gouvernement.
Elles participent, avec d'autres procédés - questions d'actualité au
Gouvernement, questions écrites, questions orales, avec ou sans débat - au
contrôle de l'exécutif. C'est l'une des prérogatives du Parlement, et nous y
sommes favorables.
Au passage, je remercie notre collègue Gérard Larcher d'avoir rappelé le
rapport que nous avons fait ensemble. Effectivement, nous demeurons toujours
très favorables à ces commissions d'enquête...
M. Alain Gournac.
Ah ?
M. Guy Allouche.
... car elles font partie du nécessaire contrôle de l'action gouvernementale
et, chaque fois que cela se révélera utile, nous approuverons évidemment une
telle démarche.
M. Gérard Larcher.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Elles représentent un moyen de revaloriser le rôle du Parlement, dans le cadre
de nos institutions.
Il s'agit d'un outil utile et précieux, mais qu'il faut savoir manier avec
précaution et modération,...
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Guy Allouche.
... avec, à l'esprit, le souci d'approfondir les règles démocratiques qui
s'appliquent au Parlement.
Il conviendrait même de renforcer le rôle des commissions d'enquête en
accordant un « droit de tirage » à la minorité. En aucun cas la mise en place
de commissions d'enquête ne saurait être l'apanage de la seule majorité
(M. Alain Gournac s'exclame).
Mon ami et collègue Michel Dreyfus-Schmidt
ne cesse de dire, depuis de très nombreuses années, que la minorité sénatoriale
doit pouvoir, elle aussi, exercer ce droit.
Mes chers collègues, c'est si évident que je ne résiste pas au plaisir de vous
lire ce qu'un éminent homme politique a répondu au Premier ministre actuel lors
du débat consécutif à sa déclaration de politique générale, le 19 juin
dernier.
Cet homme politique éminent,...
M. Raymond Courrière.
Pas si éminent que cela !
M. Guy Allouche.
... disait ceci : « N'oublions pas, en effet, que la qualité d'une démocratie
s'évalue tant à l'aune de la vertu qu'on y pratique qu'à celle du respect qu'on
porte à la minorité. » Cet homme n'est autre que M. Philippe Séguin ! Il
offrirait aussi le droit que doit avoir toute minorité !
Toutefois, il ne faudrait pas que ce procédé soit employé à d'autres fins que
celles auxquelles il est normalement destiné.
Or l'usage qu'en fait la majorité sénatoriale permet de penser qu'elle a
choisi de s'en servir comme d'un outil d'affichage purement politique contre
l'action du Gouvernement.
M. Alain Gournac.
Pas de procès d'intention !
M. Guy Allouche.
Il suffit de s'appuyer sur les faits.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Depuis 1994, à ma connaissance, aucune commission d'enquête n'a vu le jour.
M. Claude Estier.
Et voilà !
M. Guy Allouche.
A titre de comparaison, j'indiquerai que, entre 1991 et 1993, neuf commissions
d'enquête et de contrôle ont été créées au Sénat. Comment justifier ce
déséquilibre manifeste ?
Il suffit également de constater les demandes en rafale de création de
commission d'enquête que le Sénat a approuvées ou doit examiner aujourd'hui et
qui sont relatives à l'énergie, aux grands projets d'infrastructures
terrestres...
M. Alain Gournac.
C'est important !
M. Guy Allouche.
... à la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures
hebdomadaires...
M. Alain Gournac.
C'est important !
M. Guy Allouche.
... à la régularisation des étrangers en situation irrégulière.
M. Alain Gournac.
C'est très important !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, je vais vous faire deux
suggestions, et je souhaite que vous les reteniez.
La première, c'est que vous mettiez en place, chaque semaine, des commissions
d'enquête sur chacun des projets de loi adoptés en conseil des ministres.
M. Claude Estier.
Absolument !
M. Raymond Courrière.
Eh oui !
M. Guy Allouche.
Et si cela ne suffit pas, je vous engage à mettre en place une commission
d'enquête tendant à examiner les conditions dans lesquelles un Premier ministre
démocratiquement élu applique avec fermeté et respect le programme sur lequel
il a été élu par les Français.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Je vous engage à mettre en place ces commissions.
M. Alain Gournac.
Merci du conseil !
M. Guy Allouche.
Il est vrai, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous êtes
tellement habitués à suivre un gouvernement qui ne respecte pas les engagements
qu'il a pris...
M. Raymond Courrière.
Le respect des promesses vous paraît suspect !
M. Guy Allouche.
Qu'attendez-vous, au juste, de ces commissions d'enquête, dont vous gelez la
mise en place lorsque vos amis politiques se trouvent aux responsabilités ?
Voulez-vous vous faire le relais des critiques d'une organisation patronale sur
le projet du Gouvernement de porter la durée hebdomadaire du travail à
trente-cinq heures ? Souhaitez-vous continuer à maintenir autour de
l'immigration irrégulière les discours parfois extrémistes qui ont été tenus
?
La Haute Assemblée finira par perdre la sagesse dont elle se réclame -
d'autant que, depuis 1991, les auditions organisées dans le cadre d'une
commission d'enquête sont publiques - surtout s'il est manifeste que des «
coups » politiques sont camouflés sous l'appellation de commissions
d'enquête.
La majorité sénatoriale aurait pu échapper au reprochede partialité dans
l'application des prérogatives du Parlement si elle avait utilisé une procédure
plus simple, celle qui permet, depuis 1996, aux commissions permanentes de
demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent d'exercer les
prérogatives qui sont attribuées aux commissions d'enquête pour une mission
déterminée.
Je souhaite, chers collègues, vous rappeler ce que je disais à cette même
tribune du Sénat, le 3 octobre 1996, à l'occasion de la révision du règlement
de notre assemblée tendant à étendre aux commissions permanentes les
prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Pardonnez-moi de me citer :
« A propos de cette nouvelle extension, je ne parviens pas à me débarrasser
d'une certaine suspicion. Je crains que ces commissions d'enquête n'instruisent
le procès du Gouvernement en place, surtout lorsque ce sera un gouvernement de
gauche. J'espère que nous n'assisterons pas à une pratique sélective de ces
nouveaux pouvoirs accordés aux commissions permanentes et spéciales, car une
règle n'est effective que lorsqu'elle s'applique invariablement. C'est un
principe fondateur de notre démocratie et nos concitoyens sont particulièrement
attentifs à son respect. » Voilà ce que je vous disais il y a à peine un an.
M. Raymond Courrière.
C'était bien dit !
M. Guy Allouche.
Je ne pensais pas être si bon devin ni voir cette prédiction d'hier se
réaliser aujourd'hui.
En mettant en place des commissions d'enquête seulement lorsque la gauche est
au pouvoir, la droite sénatoriale ne justifie-t-elle pas que lesdites
commissions sont d'abord un moyen pour la minorité de contrôler l'action du
Gouvernement ? Pourquoi donc la droite sénatoriale s'arroge-t-elle, et à elle
seule, un droit qu'elle refuse en d'autres temps à la minorité sénatoriale ?
Je souhaite également mettre en évidence l'incohérence de la majorité
sénatoriale. Comment pouvez-vous vous plaindre de la surcharge législative, de
l'encombrement de nos travaux parlementaires, de la session unique, même - dont
on connaît aujourd'hui le succès plus que mitigé ?
M. Josselin de Rohan.
Travaillons trente-cinq heures !
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
Nous constatons tous que nous faisons plus mal en neuf mois ce que l'on ne
faisait déjà pas bien en six mois et deux sessions.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Pas plus mal !
M. Raymond Courrière.
Pas mieux non plus !
M. Guy Allouche.
Comment pouvez-vous dire cela ?
Mes chers collègues, ces commissions d'enquête vont-elles se réunir le lundi
et le vendredi ? En effet, si elles doivent se tenir, comme cela ne peut
manquer d'être le cas, les mardi, mercredi et jeudi,...
M. Alain Gournac.
On trouvera une solution !
M. Guy Allouche.
... qu'en sera-t-il de la séance publique ? Demandez à notre collègue M. Hamel
ce qu'il en pense ! Nous connaissons tous déjà sa réponse, puisque, à chaque
fois, il ne manque pas...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ne faites pas parler les absents !
M. Alain Gournac.
Cela tombe mal, il n'est pas là !
M. Guy Allouche.
Vous lui transmettrez mon message ! Il vous dira ce qu'il pense de ces
méthodes de travail !
Quant à l'objet des commissions d'enquête, je vous rappelle que l'article 6 de
l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires dispose, dans son deuxième alinéa, comme l'a rappelé notre
collègue André Bohl, au nom de la commission des lois : « Les commissions
d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information... sur des
faits déterminés... »
M. Marini a essayé, mais avec beaucoup de difficulté,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Oh !
M. Guy Allouche.
... de nous démontrer ces faits déterminés. Mais je tiens à lui rappeler
qu'une commission d'enquête ne l'emporte pas sur la loi.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Guy Allouche.
C'est le Parlement souverain qui décide !
M. Claude Estier.
Absolument !
M. Alain Gournac.
Personne ne dit le contraire !
M. Guy Allouche.
Par conséquent, n'essayez pas de faire passer une commission d'enquête avant
que la loi ait été votée et qu'elle ait été appliquée.
M. Claude Estier.
Oui, attendez que le Parlement délibère !
M. Alain Gournac.
En quoi cela vous gêne-t-il ?
M. le président.
Monsieur Gournac, dois-je vous inscrire dans la discussion générale ?
M. Alain Gournac.
Peut-être, après tout !
M. le président.
Vous avez cette possibilité ! Par conséquent, il est inutile d'interrompre
sans arrêt l'orateur.
Poursuivez, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur Marini, vous voulez déjà enquêter sur des conséquences de faits qui
n'existent pas encore ! Le projet de loi a seulement été adopté hier en conseil
des ministres.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est un fait !
M. Guy Allouche.
Il sera soumis au Parlement au cours du premier trimestre 1998. Par
conséquent, on est dans le virtuel ! Où sont les faits déterminés ?
Quant au secteur public, j'y reviendrai pour dire que, là aussi, vous faites
fausse route. Vous voulez enquêter sur ce qui n'existe pas. Vous allez créer
une commission d'enquête non pas pour nous informer, pour vous informer ou
encore pour tirer des conclusions - ce qui est impossible à l'heure actuelle,
et pour cause - mais pour justifier un rapport dont on devine, à l'heure où je
parle, qu'il est déjà prêt, qu'il est déjà pensé,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Cela m'étonnerait !
M. Guy Allouche.
... qu'il est déjà rédigé dans l'esprit de M. Marini. Sachez, mon cher
collègue, que nous nous réjouissons, et j'insiste sur ce terme, d'apprendre que
vous vous faites le relais du CNPF !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je n'ai même pas cité cette organisation.
M. Guy Allouche.
D'un point de vue politique, je me dois de vous dire que c'est une aubaine
pour nous. Les masques sont enfin tombés et la grande majorité des Français
savent désormais - en fait, il ne s'agit que d'une confirmation - qui vous
représentez et quels intérêts vous défendez.
Tout comme moi, vous êtes jeune, monsieur Marini...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Encore un peu !
M. Guy Allouche.
... mais à vous entendre je me disais que vous aviez déjà votre place au
Parlement en 1936, lorsque le gouvernement de Léon Blum a proposé les quarante
heures et les congés payés !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Vous tenez aujourd'hui le même langage, et, pour ce faire, vous vous
posez en défenseur de l'intérêt général. Incontestablement, je reconnais que,
dans ce domaine, vous ne manquez pas d'assurance.
M. Raymond Courrière.
Ni de continuité !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, que prévoit le projet de loi sur les trente-cinq heures
qui a été, je le répète, adopté seulement hier en conseil de ministres ? Il
tend à engager notre pays vers une durée légale, mais non réelle, de
trente-cinq heures de travail par la voie de la concertation et de la
négociation au plus près de la réalité, à savoir au sein de l'entreprise, ce
qui est indispensable pour redynamiser celle-ci, créer des emplois et redonner
tout son sens et toute sa signification au dialogue social, dont l'absence est
toujours source de difficultés, de conflits et donc de menaces pour la survie
de l'entreprise.
Le projet de loi se limite à inciter à engager des négociations, en prévoyant
des aides substantielles pour favoriser le passage progressif aux trente-cinq
heures. Il fixe, par ailleurs, à deux ans la durée des négociations.
Mes chers collègues, où est donc la contrainte tant décriée par certains ? Il
s'agit d'une loi-cadre, d'une loi d'orientation ; ce n'est qu'au terme de deux
années de négociations au sein même des entreprises, et non par branches -
j'insiste sur ce point - qu'une autre loi fixera la nouvelle durée légale, en
se fondant sur les enseignements qui seront tirés de ces négociations.
Cette loi s'appliquera, dans une première phase, au 1er janvier 2000 et, dans
une seconde phase, au 1er janvier 2002.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Ce projet de loi comporte une partie défensive tendant à attribuer des aides
pour maintenir les emplois et donc éviter les licenciements. Nous savons tous
ici que tel est le premier objectif de ce texte, avant même qu'il soit question
de création d'emplois.
Mais ce projet de loi comprend également une partie offensive visant à
permettre la création d'emplois.
Vous savez très bien aussi que le Gouvernement de Lionel Jospin n'a pas abrogé
la loi de Robien. Faut-il vous rappeler, mes chers collègues, que le CNPF
s'était déjà opposé à cette loi, qui est pourtant d'essence libérale et qui a
permis de conclure à ce jour plus de 1 500 accords ?
Patrons et salariés, nous le savons tous, ont intérêt à négocier et à
instaurer dans les meilleurs délais cette réduction du temps de travail, tout
simplement pour bénéficier des aides prévues. Il n'y aura donc pas de charges
supplémentaires.
Ces négociations permettront de trouver les meilleures solutions aux problèmes
qui se posent au sein de l'entreprise, tels que l'annualisation du temps de
travail, la souplesse nécessaire de la durée hebdomadaire, pour tenir compte du
caractère saisonnier de certaines activités, une nouvelle définition des
conditions de travail, l'amélioration des gains de productivité, lesquels
déboucheront sur des créations d'emplois, sans oublier la question du salaire
et du paiement des heures suppplémentaires. Le simple fait de renouer le
dialogue entre les partenaires sociaux aplanira bien des difficultés.
N'oublions pas, mes chers collègues, que nombre d'entreprises, et non des
moindres, sont déjà passées aux trente-cinq heures. Certaines d'entre elles en
sont déjà à trente-deux heures, avec la semaine de quatre jours.
Toutes ces négociations permettront, nous le constaterons très vite, de mettre
un terme à la campagne mensongère du CNPF.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer les propos tenus par Mme Notat,
voilà seulement trois jours, sur une antenne périphérique.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Moi, j'ai cité M. Blondel.
M. Guy Allouche.
A chacun ses auteurs ! Personnellement, je ne contredis pas M. Blondel.
A la question qui lui était posée, Mme Notat a répondu : « Le patronat, dans
cette bataille pour les trente-cinq heures, part en guerre. D'abord, c'est une
mauvaise guerre et, en plus, il la mène avec de très mauvais arguments. Alors,
franchement, il est temps qu'il se ressaisisse ; il est temps que ce patronat
nous dise si véritablement il est attaché à l'intérêt des entreprises, s'il est
attaché au développement économique, s'il est attaché au développement de
l'emploi. Bref, s'il ne veut pas se mettre sur la touche par rapport au terrain
de jeu des problèmes de la société et des mutations françaises, il serait temps
qu'il nous dise ce qu'il faut faire pour créer de l'emploi. »
A la question : « Madame, ne craignez-vous pas que les trente-cinq heures
alourdissent le coût du travail ? », Mme Notat répond : « Voilà l'argument
massue, qui est un argument mensonger. C'est un argument mensonger, car il part
du principe que la loi, qui n'est pas encore là mais qui devrait sortir des
décisions de la conférence du 10 octobre, est une loi qui passe tout de suite
aux trente-cinq heures, de manière uniforme, de manière standard, sans l'aide
de l'Etat. Tout le monde serait dans le même moule ! Ce n'est pas vrai. Le
patronat ment, et il le sait, parce qu'on ignore ce que sera cette loi au 1er
janvier de l'an 2000. »
Oui, le CNPF mène actuellement une campagne mensongère. Bien des chefs
d'entreprise - nous avons hier encore entendu certains d'entre eux s'exprimer -
n'hésitent pas à dire que les propos tenus actuellement sont outranciers...
M. Raymond Courrière.
C'est certain !
M. Guy Allouche.
... et que certains feraient mieux de s'occuper de leur entreprise, plutôt que
de se lancer dans une guérilla politique contre un gouvernement
démocratiquement élu et qui ne fait que respecter un engagement pris devant le
peuple.
La frilosité congénitale d'une partie du patronat français est légendaire.
Elle est même connue bien au-delà des frontières.
Ces jours-ci, deux démentis ont été apportés à l'attitude du patronat
français.
Je prends l'exemple de l'implantation de Toyota dans ma région. Pensez-vous
que les Japonais soient sourds, aveugles, absurdes et inintelligents au point
de venir investir des milliards dans un pays où tant de menaces pèseraient sur
les entreprises ?
Voilà deux mois, un autre constructeur automobile, allemand cette fois, a
implanté une usine en Lorraine. Croyez-vous que cette entreprise soit, elle
aussi, aveugle et sourde ?
La France est le quatrième pays au monde pour l'implantation d'entreprises
étrangères. Si la situation était celle que vous décrivez, relayant ainsi les
arguments du patronat français, pensez-vous que ces entreprises viendraient
s'installer dans notre pays ? Vous faites un mauvais procès au Gouvernement
!
Depuis plus de vingt ans, le CNPF ne cesse de demander toujours plus
d'avantages - sa devise, pour reprendre le titre d'un ouvrage célèbre, pourrait
être : « Toujours plus » - sans jamais rien donner en contrepartie.
Je m'adresse à la droite sénatoriale : mes chers collègues, en janvier 1996,
le Président de la République, M. Jacques Chirac, déclarait publiquement qu'il
en voulait au CNPF, qui demande toujours plus sans jamais rien donner en
contrepartie.
Le CNPF, après avoir été hostile à la loi de Robien, est aujourd'hui opposé à
la loi sur les trente-cinq heures. Bref, nous connaissons la musique ! Nous
avons même entendu récemment l'ancien président du CNPF affirmer que son
organisation aurait été bernée. Pourtant, les intentions du Gouvernement n'ont
jamais été aussi claires : elles ont été affirmées lors de la campagne
électorale et pendant les quatre mois de négociations qui ont abouti à la
conférence du 10 octobre dernier.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Campagne électorale oui, concertation, non !
M. Guy Allouche.
Mais, mes chers collègues, n'est-ce pas d'abord la droite qui a été bernée en
1986 lorsque M. Gattaz, au nom du CNPF, avait demandé au Gouvernement de M.
Chirac de supprimer l'autorisation administrative de licenciement avec, pour
contrepartie, la création de 400 000 emplois ? Vous avez supprimé
l'autorisation administrative de licenciement, mais que sont devenus les 400
000 emplois ? Dans quelles branches ont-ils été créés ?
Qui donc a été berné ?
Tirant la leçon de cette expérience, le gouvernement actuel veut engager un
dialogue franc avec le CNPF...
M. Alain Gournac.
Ils sont gonflés !
M. Guy Allouche.
... et l'inviter à la table des négociations, car il y a sa place.
Le CNPF, nous le savons, ne se soucie pas de la défense de l'emploi ni de la
lutte contre le chômage. Si tel était le cas, nous nous en serions aperçus
depuis longtemps !
Son principal souci, c'est la défense de ses intérêts, lesquels, nous le
savons, ne coïncident pas toujours avec ceux de l'économie française.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
L'emploi, contre les entreprises !
M. Guy Allouche.
Il est temps que le CNPF prenne sa part dans la lutte contre l'exclusion
sociale et le chômage.
Mes chers collègues, ayons l'humilité de reconnaître que toutes les voies qui
ont été empruntées depuis vingt ans pour lutter contre le chômage étaient des
impasses. Nous avons tous échoué. Une nouvelle voie s'ouvre à nous, celle de la
réduction du temps de travail,...
M. Alain Gournac.
Il faut l'étudier avant !
M. Guy Allouche.
... qui a commencé à faire ses preuves dans quelques pays voisins et dans
nombre d'entreprises françaises avant même l'entrée en vigueur de la loi de
Robien.
Alors, engageons-nous dans cette voie ! Les trente-cinq heures constituent un
moyen de lutter contre le chômage. C'est non seulement le sens de l'histoire
mais aussi le début d'un processus !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Sens de l'histoire ? Voilà qui nous rappelle de mauvais
souvenirs...
M. Guy Allouche.
Oui, c'est le sens de l'histoire, monsieur Marini.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
...
Le Capital
de Karl Marx !
M. Guy Allouche.
Comme l'année 1936, où le sens de l'histoire avait abouti aux changements que
l'on sait, les années 1997 et 1998 marqueront une date dans l'histoire sociale
de notre pays. Il faudra peut-être du temps pour parvenir aux trente-cinq
heures réelles, mais, pour l'instant, nous nous dirigeons vers les trente-cinq
heures légales.
Venons-en à la fonction publique, monsieur Marini - puisque vous y avez fait
allusion dans votre intervention. J'ai dit que les trente-cinq heures étaient
un moyen de lutter contre le chômage mais aussi contre la précarité. Or, dans
le secteur public, où est le chômage ? Où est la précarité ? Dans ce secteur,
vous le savez, les horaires sont variés et variables : ils peuvent passer de
six heures pour un professeur agrégé à dix-huit heures, voire à vingt et une
heures ou vingt-sept heures ; dans les hôpitaux et dans la police, les horaires
ne sont pas les mêmes. Vous savez très bien que la situation est différente
dans le secteur public.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Vous l'expliquerez aux syndicats ! C'est votre problème !
M. Guy Allouche.
Mais le Premier ministre n'a rien écarté. Il entend engager, le moment venu,
des négociations avec les partenaires sociaux de la fonction publique, qu'il
s'agisse de la fonction publique d'Etat, de la fonction publique territoriale
ou de la fonction publique hospitalière, afin de voir comment il sera possible,
dans ces secteurs, de s'engager vers les trente-cinq heures.
Mais l'urgence, monsieur Marini, commande de s'occuper d'abord du secteur
privé. Et tel est l'objet des discussions.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous voulez mettre en place
cette commission d'enquête. Vous obtiendrez satisfaction. Mais ne comptez pas
sur nous pour approuver une telle démarche. Nous sommes hostiles non pas au
principe même des commissions d'enquête mais à cette commission-là et à celle
qu'il nous sera proposé de créer pour procéder à un examen approfondi des
procédures en vigueur en matière de régularisation des étrangers en situation
irrégulière sur le territoire français et pour en évaluer les conséquences
économiques et financières. Nous ne voulons pas, par notre vote, cautionner ce
qui pourrait être un coup politique.
Encore une fois, je le répète, libre à vous d'enquêter sur du virtuel, mais ne
comptez pas sur nous !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, mes chers collègues, je n'ai nul besoin de rappeler le
souci constant du Sénat d'éviter des décisions hâtives sur les textes qui nous
sont soumis.
Notre appréciation doit être particulièrement méticuleuse sur un sujet dont
l'incidence économique et sociale sera majeure.
Compte tenu des délais qui manquent souvent aux commissions permanentes, comme
le souligne l'excellent rapport de M. Marini, pour examiner dans leurs moindres
détails les incidences de textes aussi importants que ceux qui vont nous être
soumis en matière de législation sur la durée du travail, il semble opportun
d'élargir le temps d'étude dont disposera la commission saisie au fond par un
temps d'enquête mis à profit par une commission spécifique.
Le caractère exceptionnel d'une modification aussi significative de la durée
légale du travail justifie cette démarche exceptionnelle. Je crois,
personnellement, que la commission des affaires sociales, dont plusieurs
membres appartenant à tous les groupes, feront partie de cette commission
d'enquête, ne pourra que recevoir avec satisfaction les éclairages apportés par
celle-ci.
C'est pourquoi il n'y a lieu que de se féliciter de la proposition de
résolution de nos collègues MM. Blin, de Raincourt, de Rohan, Souvet et
Arthuis.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains
et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable