M. le président. Je suis saisi par M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des finances sur la proposition de résolution de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires (n° 159, 1997-1998). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Borvo, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo. Mes chers collègues, dans un pays qui compte actuellement plus de trois millions de chômeurs et sept millions de personnes précarisées, et où les politiques publiques menées depuis des décennies ont surtout consisté à exonérer le patronat de ses charges et n'ont pas permis de résorber ce fléau, au contraire, est-il concevable de mettre en cause a priori la politique décidée par la majorité actuelle ?
Pour ce qui me concerne, je me référerai à l'une des propositions essentielles de la déclaration commune du parti socialiste et du parti communiste - parties prenantes de la majorité plurielle actuelle - du 29 avril dernier qui était la relance de la croissance par celle de l'emploi et des salaires passant par la réduction du temps de travail à trente-cinq heures sans baisse de salaire.
Transformant sa promesse de campagne en un avant-projet de loi-cadre, d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail, le Gouvernement, dès l'annonce de cette décision lors de la conférence sur l'emploi du 10 octobre dernier, s'est attiré les foudres tant du CNPF que de l'opposition parlementaire.
Avant même la fin des derniers arbitrages et la présentation du projet de loi en conseil des ministres - donc, toujours a priori - la volonté du Gouvernement d'impulser le passage d'ici à l'an 2000 de la durée légale du travail à trente-cinq heures pour les entreprises de plus de vingt salariés, les autres ayant jusqu'à 2002 pour s'adapter à la législation, s'est heurtée au blocage et à la radicalisation des « barons » de l'avenue Pierre-Ier-de-Serbie.
Conçue comme un levier pour la création d'emplois et pour l'amélioration des conditions de travail et de vie des salariés - ce qui est tout de même intéressant - répondant ainsi à des attentes fortes de la population, ce choix de réduction du temps de travail a été rejeté a priori , au mépris de l'aspiration des Français, notamment des salariés, qui, depuis le changement de majorité, ont confirmé à 69 % leur attachement à ce passage aux trente-cinq heures.
Alors que la réussite de cette loi passe par une relance des négociations collectives, une véritable croisade contre les trente-cinq heures, d'une part, et contre la concertation, d'autre part, a été entreprise dans le seul but de la faire échouer. Les patrons français ont montré, une fois de plus, non seulement qu'ils n'entendaient pas s'impliquer dans la lutte contre le chômage, mais qu'ils se considéraient toujours comme des patrons de droit divin ; plus de concertation !
Depuis la démission de M. Jean Gandois, les déclarations péremptoires du nouvel homme fort du CNPF, M. Ernest-Antoine Seillière de Laborde, n'ont cessé de se succéder.
Des armes telles que l'abandon du paritarisme ou l'arrêt de toutes négociations collectives sont inadmissibles en démocratie.
Tous les moyens sont bons - organisation durant toute cette semaine de réunions baptisées « états généraux » au sein de chaque région ; création d'une « association croissance-emploi », qui n'est, en fait, qu'une émanation du CNPF - pour alerter les Français sur le danger que représenteraient les trente-cinq heures.
Le but de cette mobilisation est clair : détourner la future loi de son objet. Cette voie est dangereuse et les salariés ont bien raison d'être vigilants. Les trente-cinq heures ne doivent en aucun cas servir d'alibi pour une fuite en avant dans une flexibilité accrue, voire une annualisation du temps de travail, une augmentation des heures supplémentaires, une dégradation des conditions de travail ou une politique salariale plus restrictive. En effet, c'est bien cet objectif-là que les patrons se sont fixé.
Les trente-cinq heures, ce n'est pas seulement un vieux slogan lancé en 1981, c'est véritablement une alternative par rapport aux politiques publiques menées jusqu'alors pour l'emploi.
Relayant l'hostilité du CNPF à l'égard de la réduction du temps de travail, messieurs de la majorité sénatoriale, vous montrez quels vont vos propres choix, mais, évidemment, nous n'en doutions pas. Il est néanmoins préoccupant que vous usiez d'artifices.
Ainsi, vous vous inquiétez des conséquences tant économiques que financières, budgétaires et sociales, et vous demandez une enquête a priori, en quelque sorte une enquête sur l'opportunité de la politique voulue par la majorité du pays.
Mme Dinah Derycke. Très bien !
Mme Nicole Borvo. C'est incroyable !
Nous refusons de nous inscrire dans une telle démarche dont l'opportunité nous échappe, mais pas l'opportunisme !
M. Guy Allouche. Très bien dit !
Mme Nicole Borvo. Deux raisons principales motivent la présentation par notre groupe de cette motion tendant à opposer la question préalable sur cette proposition de résolution.
Attaché à la démocratie, au fonctionnement des institutions et au rôle des commissions d'enquête parlementaire, le groupe communiste républicain et citoyen ne peut cautionner la démarche de la droite par rapport aux trente-cinq heures.
Cette demande est une simple manoeuvre politicienne. Vous entendez une fois de plus vous opposer à un projet du Gouvernement avant même qu'il ne vous soit soumis. Lors de l'examen prochain du projet de loi, les commissions saisies puis les parlementaires en séance publique auront tout loisir d'analyser les dispositions incriminées, d'en évaluer les incidences sur l'économie ; c'est leur rôle !
Dans votre rapport, monsieur Marini, vous admettez qu'« il est paradoxal d'enquêter sur les conséquences d'un fait - la réduction du temps de travail - qui n'a pas encore eu lieu ». Toutefois vous admettez la recevabilité de la proposition en qualifiant cet événement futur de « certain » !
M. Philippe Marini, rapporteur. Oui !
Mme Nicole Borvo. Ainsi, vous permettez à la majorité sénatoriale de passer outre la volonté populaire !
Notre second grief porte sur les arguments que vous avancez pour marteler le coût des trente-cinq heures. Il s'agit d'arguments mensongers.
Vous agitez les risques de délocalisation d'activités, de fuite des investisseurs étrangers ou d'atteinte au niveau de vie des salariés. Il est bien que vous vous en préoccupiez.
Messieurs, vous le savez bien, lorsqu'un chef d'entreprise décide de délocaliser son activité, quand c'est possible, ce qui suppose que la nature même de l'activité s'y prête, d'autres considérations entrent en jeu, notamment la présence d'infrastructures et la qualification de la main-d'oeuvre.
De plus, l'actualité confirme que loin d'être découragés par les coûts salariaux ou par la perspective du passage aux trente-cinq heures, les investisseurs étrangers continuent, lorsqu'ils le jugent utile, de choisir la France pour s'implanter. A cet égard, le groupe Toyota, qui a été cité par mon collègue, est un bon exemple.
M. Philippe Marini, rapporteur. Tout va bien !
Mme Nicole Borvo. Vous vous souciez des retombées de la réduction du temps de travail sur les salaires. Extraordinaire ! Toutefois, vous ne prônez pas l'augmentation des salaires. Vous vous accommodez, en revanche, très bien des heures supplémentaires qui, bien sûr, coûtent moins cher au patronat.
Par ailleurs, l'argument principal que vous véhiculez contre la réduction du temps de travail et qui concerne l'accroissement des coûts de production nuisible à la compétitivité des entreprises ne trompe personne.
Les entreprises françaises affichent une bonne santé financière. On nous en rebat les oreilles chaque jour. Au nom de la compétitivité par la baisse des coûts salariaux, fer de lance du patronat, vous refusez les trente-cinq heures sans perte de salaire. Que dire de l'accroissement fantastique de la productivité du travail ? Encore une fois, il ne doit profiter, selon vous, qu'au patronat !
Il est temps de percevoir les salaires et les cotisations non comme des charges, mais comme des dépenses utiles, les seules charges qui pèsent réellement sur l'entreprise étant les charges financières, celles qui sont représentées par les prélèvements du capital, notamment les dividendes et les sursalaires des dirigeants.
Or, jamais ces prélèvements n'ont été aussi importants. De 1980 à 1996, la part des prélèvements financiers sur la valeur ajoutée est passée de 18 % à 26 %, alors que, dans le même temps, la part des salaires dans les richesses produites a régressé, atteignant en 1996 un niveau inférieur à 1970.
Parlons un peu de l'Europe, si vous le voulez bien, mes chers collègues.
L'un des arguments développés à l'envi par M. le rapporteur consiste à laisser penser que la mise en oeuvre des trente-cinq heures pèserait sur notre compétitivité et remettrait en question notre participation à la construction européenne.
Sur ce point, plusieurs observations s'imposent.
Même si l'on peut dire que ce genre d'arguments est du même tonneau que ceux que développaient en 1936 les ancêtres de M. Seillière de Laborde et les vôtres, monsieur le rapporteur, quand on leur parlait des congés payés,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Mes ancêtres... en 1936...
Mme Nicole Borvo. ... on ne peut les balayer d'un revers de main et on se doit donc d'en parler.
Sur la compétitivité, relevons simplement que, contrairement à tous les mensonges entendus, les coûts salariaux actuels de notre pays sont, toutes choses égales par ailleurs, tout à fait compétitifs - hélas ! pour les salariés - dans la médiocrité des rémunérations moyennes. Nous sommes nettement devancés par les Pays-Bas, l'Allemagne ou la Belgique, par exemple, et ne parlons pas du Luxembourg.
Ne vous êtes-vous jamais demandé, monsieur Marini, et vous aussi, mes chers collègues qui avez cosigné cette proposition de résolution, s'il n'y avait pas une corrélation entre ce mouvement à la baisse sur les salaires et la situation de l'emploi, des comptes sociaux et de l'Etat ?
Il est temps d'inverser la tendance. Les trente-cinq heures hebdomadaires doivent servir à cela !
J'observe d'ailleurs que d'autres futurs membres de l'Union économique et monétaire envisagent aussi le passage aux trente-cinq heures. C'est vrai pour l'Italie, c'est vrai pour de nombreux secteurs d'activité en Allemagne, et je ne parle pas des pays où la durée moyenne du travail approche d'ores et déjà trente-cinq heures.
Vous nous dites aussi que les trente-cinq heures nous mettront en difficulté pour respecter le pacte de stabilité budgétaire mis en oeuvre à l'occasion de la phase située entre l'entrée dans l'euro et la disparition des monnaies nationales. Tiens donc !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est un pacte qui vous gêne !
Mme Nicole Borvo. Ainsi, ce fameux pacte de stabilité consisterait à réduire les dépenses publiques les plus utiles - vous l'avez montré au moment de la discussion budgétaire - à diminuer les prélèvements obligatoires pour nos compatriotes les plus aisés et pour les entreprises, et à laisser la grande majorité des salariés dans l'attente des progrès de l'Europe sociale. Cela vous va bien.
M. Philippe Marini, rapporteur. L'Europe sociale, c'est vous qui parlez de la faire !
Mme Nicole Borvo. Ne prenez pas vos désirs pour des réalités, mes chers collègues. L'austérité et le partage de la richesse créée en faveur des plus riches, on a assez donné !
Aujourd'hui, votre modèle libéral n'a pas bonne presse, le capitalisme est ressenti négativement par la majorité du peuple (M. Duffour fait un signe d'assentiment.)...
M. Philippe Marini, rapporteur. Le communisme aussi !
Mme Nicole Borvo. ... et vous y êtes bien pour quelque chose.
Il est grand temps de changer de façon de penser et de faire en matière de politique de l'emploi et en matière de politiques publiques.
Dois-je vous rappeler que la cure d'austérité de la loi de finances initiale de 1997, dont M. Arthuis pourrait nous parler abondamment, se serait traduite, sans mesures particulières, par un déficit nous éloignant des critères de convergence que vous vous plaisez à rappeler chaque fois que possible ?
Et il faudrait poursuivre dans cette voie ?
La vérité, c'est que votre discours européen est une sorte de faux-semblant pour dissimuler vos véritables arguments, qui, sur un plan idéologique, sont aussi vieux que le capitalisme et sentent le XIXe siècle.
Cela fait des décennies que vous défendez de manière systématique le capital contre le travail, ce travail dont vous ne pouvez cependant vous passer parce que, sans lui, le capital ne sert à rien.
C'est d'ailleurs uniquement parce que vous voulez protéger le capital et sa rémunération...
M. José Balarello. Karl Marx !
Mme Nicole Borvo. ... - vous l'avez montré lors de la discussion budgétaire - que vous tentez, de manière pathétique et peu partagée par l'opinion publique, de nous faire prendre les trente-cinq heures pour le mal absolu, ce qu'il ne faudrait en aucun cas faire.
La mise en place des trente-cinq heures sera l'occasion de créer des centaines de milliers d'emplois mais, surtout, de modifier profondément la politique de l'emploi qui a été menée jusqu'à présent, d'en revoir le financement afin d'inverser les exigences patronales d'un coût du travail toujours plus bas et de s'attaquer, enfin, à la croissance financière.
Messieurs de la majorité sénatoriale, c'est ce débat que vous entendez éviter en vous abritant derrière vos doutes justifiant une commission d'enquête.
Pour toutes les raisons évoquées précédemment et parce que nous n'entendons pas nous laisser duper par le jeu de la droite sénatoriale, nous vous proposons, mes ches collègues, d'adopter cette motion sur laquelle je demande un scrutin public. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, contre la motion.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 8 novembre 1993, j'ai été, avec Jean-Pierre Fourcade, de ceux qui avaient signé et déposé deux amendements identiques portant nécessité, dans le cadre de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, d'ouvrir la possibilité d'adapter le temps de travail en fonction des situations des entreprises et de leurs particularités.
Nous avions eu ici un débat particulièrement long et approfondi sur ce sujet. La loi quinquennale, que l'on oublie de citer mais qui est un bon texte de référence, a ouvert la voie à l'expérimentation qui, elle-même, a débouché sur la proposition de loi Robien, laquelle a démontré aujourd'hui son efficacité mais aussi ses limites.
M. Guy Allouche. Et son coût !
M. Josselin de Rohan. La vôtre coûtera encore plus cher !
M. Gérard Larcher. Monsieur Allouche, je voudrais rappeler deux moments du débat de l'époque.
Tout d'abord, Mme Dieulangard, qui justifiait, quatre ans à l'avance, la nécessité d'une commission d'enquête, déclarait ceci, s'agissant de la réduction et de l'adaptation du temps de travail : « Il est manifeste que la bonne volonté ne suffit pas. Personne, dans cet hémicycle, n'a de solution toute prête. Nous devons tous avoir l'honnêteté de le reconnaître. Au demeurant, nos concitoyens le savent et n'attendent de nous ni solution miracle ni conte de fées. Notre société attend des réponses acceptables et efficaces à ce cancer qui la ronge. Vouloir apporter une réponse dans la précipitation et sans réflexion suffisante sur les conséquences exactes du dispositif proposé serait une faute. »
M. Josselin de Rohan. Voilà !
M. Gérard Larcher. Ainsi, déjà en 1993, notre collègue soulevait un certain nombre d'interrogations que nous nous posons aujourd'hui.
M. Guy Allouche. Elle avait raison !
M. Gérard Larcher. Aujourd'hui, la commission d'enquête que nous souhaitons créer viserait à analyser les conséquences pour notre économie du projet de loi qui vient d'être adopté en conseil des ministres.
J'en viens au second moment du débat que je veux rappeler. Manifestement, dans la majorité d'aujourd'hui, les analyses viennent de chemins bien différents, car Mme Demessine, aujourd'hui secrétaire d'Etat, déclarait dans ce même débat, en défendant un amendement : « Le groupe communiste propose d'abaisser la durée légale hebdomadaire du travail à trente-cinq heures, sans réduction de salaire. »
Voilà quelques problématiques qui sont posées : charges salariales, adaptation aux entreprises, nécessité d'une réflexion préalable...
Je pense, pour ma part, que la commission d'enquête est nécessaire. Elle l'est parce que, malgré l'évocation sympathique et chaleureuse de 1936, nous ne sommes plus en 1936. Aujourd'hui, nos frontières sont ouvertes, nous vivons dans l'Union européenne ; il y a une Organisation mondiale du commerce ; les barrières douanières et la ligne Maginot ne sont plus la réponse aux indépendances, car nous sommes tous devenus interdépendants.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Gérard Larcher. Je peux moi aussi évoquer des souvenirs chaleureux : ainsi, en 1936, Léo Lagrange disait ceci : « Le temps des loisirs s'ouvre, et c'est nécessaire. Il faut réfléchir, par rapport à l'adaptation du temps de travail, à une nouvelle organisation de la société. »
M. Guy Allouche. C'est encore vrai aujourd'hui !
M. Gérard Larcher. C'est important ! Mais quelles seront les conséquences de cette décision dans une économie mondialisée, alors que nous sommes confrontés à des problèmes de coût du travail ? Cela mérite à mon avis la réflexion de la commission d'enquête. Cela paraît d'autant plus nécessaire si l'on se souvient du rapport de Jean Arthuis sur les délocalisations.
Par ailleurs, quelles seraient les conséquences d'une loi-cadre rigide comme seuls les Français savent en faire, alors que d'autres pays ont imaginé des systèmes flexibles permettant de répondre à la fois à l'adaptation du temps de travail et à la diversité des besoins des entreprises ? Nous allons encore inventer un « machin » rigide, alors que nous avons besoin d'imagination. Pour éviter les délocalisations, méfions-nous de ces grandes constructions...
M. Jacques Machet. Tout à fait !
M. Gérard Larcher. ... qui, par leur rigidité même, engagent un certain nombre d'entreprises dont les capitaux, n'en déplaise à Mme Borvo, sont aujourd'hui partagés sur le plan international, à quitter notre pays. Dans le domaine de l'automobile que vous avez évoqué, monsieur Allouche, les capitaux sont partagés : par exemple, en termes d'équipements automobiles, le constructeur est non plus uniquement Philips, mais Philips-Mannesmann. Par conséquent, ces capitaux partagés n'hésiteront pas à se délocaliser si, demain, les coûts de production sont insupportables dans une économie mondialisée. (MM. Machet et Balarello applaudissent.)
Mes chers collègues, militant de l'adaptation du temps de travail, j'ai pu mesurer, notamment dans un certain nombre d'entreprises de ma commune - je pense encore à des entreprises en équipement automobile qui, tout en instaurant une durée de travail hebdomadaire de trente-deux heures, ont relevé le défi de la productivité et sont aujourd'hui, dans le domaine de l'autoradio, par exemple, plus compétitives que des entreprises installées à Singapour - ce que cette adaptation du temps du travail, bien appliquée, apportait, la réalité de la vie de ceux qui travaillent, la compatibilité de la qualité du travail et de la qualité de vie professionnelle, la nécessité pour une entreprise d'avoir des coûts de production permettant de répondre au défi mondial dans la qualité.
La commission d'enquête me paraît donc nécessaire pour éclairer le débat. Dire qu'il est inutile que la représentation nationale éclaire en amont un grand débat, c'est une fois de plus abandonner les droits du Parlement.
M. Philippe François. Bravo !
M. Gérard Larcher. Voilà pourquoi j'engage résolument mes collègues à rejeter la motion tendant à opposer la question préalable présentée par le groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Je commencerai par un mot personnel, si vous le permettez.
Dans un amalgame, Mme Borvo a évoqué mes ancêtres. Chacun doit être fier de ses ancêtres. L'un de mes grands-pères a été instituteur avant de faire une carrière administrative. L'autre est parti de rien pour créer sa propre entreprise qui, à un moment donné, fut importante. Je referme la parenthèse. Nous sommes tous riches de nos diversités.
Monsieur Allouche, cher collègue, vous m'avez demandé ce que j'aurais fait en 1936 si j'avais été sénateur. Je peux vous le dire : j'aurais été solidaire de la majorité sénatoriale qui, vous le savez, a mis fin, peu de temps après, à l'expérience du Front populaire.
Par ailleurs, j'aurais bien sûr tout fait pour éviter à notre pays l'affaiblissement, la perte de ses valeurs (M. Allouche rit) et le désarmement au moment de la montée des périls. (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Guy Allouche. Inouï !
M. Philippe Marini, rapporteur. Ecoutez, que chacun soit authentique avec les valeurs qu'il porte !
M. Guy Allouche. C'est inouï !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous avez des valeurs. Ce sont les valeurs de la gauche, mais ce ne sont pas celles de la France. La France est autre chose, et vous n'en avez pas le monopole, même aujourd'hui, alors que, très démocratiquement nos concitoyens vous ont confié la conduite de l'action du Gouvernement.
Monsieur Allouche vous avez parlé d'une loi-cadre et vous vous êtes livré à un discours sur la souplesse, auquel nous souscrivons à 100 %.
Toutefois, mon cher collègue, vous mesurez bien la contradiction existant entre ce discours et le texte approuvé hier par le conseil des ministres !
M. Philippe François. Sans souplesse !
M. Philippe Marini, rapporteur. Si un ancien président d'une organisation que je ne citerai pas a réagi avec dépit, en utilisant des propos qui ont probablement dépassé sa pensée du moment, c'est très probablement parce qu'il s'est senti trompé, parce qu'il a eu le sentiment d'être dans un système de négociation et de souplesse et d'aboutir à autre chose, c'est-à-dire à des négociations dirigées vers un objectif d'ores et déjà décidé.
M. Guy Allouche. Ah, il est fort, Jospin !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faut savoir percer les apparences et voir la réalité !
M. Guy Allouche. Gandois est un petit garçon à côté de lui !
M. Philippe Marini, rapporteur. Tel est le rôle qui sera bien entendu imparti à la commission d'enquête.
Cher collègue, vous avez évoqué le rôle de l'opposition. Comment ne pas souscrire à vos propos ? Nous exerçons les droits de l'opposition,...
M. Guy Allouche. Et nous alors ?
M. Philippe Marini, rapporteur. ... et c'est vrai à tous les niveaux.
J'imagine que, si les groupes de la minorité sénatoriale ont des idées judicieuses pour la création, dans le respect du règlement, de bonnes commissions,...
M. Michel Duffour. Chiche !
M. Guy Allouche. Vous êtes juges de nos bonnes idées !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... tous ensemble, nous examinerons vos propositions et y réfléchirons concrètement.
Toutefois, il ne faut pas engager un débat qui, pour le moment, n'est pas noué ! Sans doute sommes-nous, les uns et les autres, un peu trop intervenus sur le fond du sujet. Mais ces contributions montrent que cette commission d'enquête aura un rôle tout à fait essentiel, à condition bien sûr que, les uns et les autres, nous jouions le jeu - mais je n'en doute pas un instant ! -, que, d'un côté comme de l'autre, nous ne partions pas, dans cette affaire, avec des raisonnements tout faits et que la commission d'enquête fasse son travail dans la transparence et très objectivement.
M. Guy Allouche. Donnez l'exemple !
M. Philippe Marini, rapporteur. A-t-on peur de la transparence ? A-t-on peur de la réalité des choses ? A-t-on peur du déroulement des faits économiques et de la compétition ?
M. Guy Allouche. Laissez d'abord faire le débat parlementaire !
M. Philippe Marini, rapporteur. Votre raisonnement me semble frileux.
Au demeurant, la procédure de la commission d'enquête permet de braquer le projecteur sur les travaux du Sénat,...
M. Gérard Larcher. Absolument !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... ce qui est utile, opportun et bon pour l'institution !
MM. Philippe François et Gérard Larcher. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur. Qu'auriez-vous dit si nous avions simplement défendu l'idée de la création d'une commission spéciale pour examiner les dispositions de ce texte, lorsque ce dernier aura été déposé ? Vous auriez approuvé la création de cette commission spéciale, qui aurait exercé les mêmes pouvoirs que la commission d'enquête. Simplement, elle n'aurait pas eu autant de temps pour travailler, car elle n'aurait pu être constituée qu'à partir du dépôt effectif du projet de loi.
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur. Or, il s'agit bien de questions fondamentales nécessitant des investigations très approfondies.
Mes chers collègues, c'est bien pour l'ensemble de ces raisons que la commission émet un avis défavorable sur la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard Larcher. Le rapporteur a raison, comme toujours !
M. Philippe François. Toujours !
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Je dirai à M. Larcher, dont on connaît la fougue, que, pour la loi quinquennale, l'application était immédiate, ce qui justifiait donc une commission d'enquête. En revanche, la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires ne prendra effet que dans deux ans. Voilà une première différence, monsieur Larcher !
M. Gérard Larcher. C'était un amendement parlementaire !
M. Guy Allouche. S'agissant de Blum et de 1936, vous n'allez quand même pas nous dire aujourd'hui que ce sont les quarante heures qui ont affaibli la France en 1939 !
M. Gérard Larcher. Je n'ai jamais dit ça !
M. Guy Allouche. Alors, c'est M. Marini qui l'a dit !
M. Michel Duffour. Oui, c'est M. Marini !
M. Philippe Marini, rapporteur. Relisez mes propos, je n'ai rien dit de tel !
M. Guy Allouche. Alors ça, je ne peux pas le laisser passer ! Personne ne peut croire un instant que ce sont les quarante heures et les congés payés qui ont été la cause de la guerre de 1939 !
J'en viens aux délocalisations, monsieur Larcher.
Les Français vont à l'étranger. Quand il s'agit de développer des pays qui en ont besoin, c'est très bien !
Mais n'oublions pas aussi que les trente-cinq heures n'empêcheront pas les entreprises étrangères de venir en France. Nous avons en effet une main-d'oeuvre hors pair, une main-d'oeuvre de haut de gamme, très compétente, et ce sont ces gains de productivité et le travail de ces salariés qui permettront les créations d'emploi.
M. Gérard Larcher. C'est ce que j'ai dit !
M. Guy Allouche. Enfin, M. Marini a déclaré qu'il appartiendrait au Sénat de juger des bonnes idées de la minorité ; nous souhaiterions, quant à nous, que la minorité ait « un droit de tirage » pour mettre en place une commission d'enquête. Mais il n'appartient en tout cas pas à la droite sénatoriale de dire qu'elle accepte ceci parce que c'est bon, et qu'elle rejette cela parce que ce n'est pas bon ! Monsieur Marini, trouvez d'autres arguments, s'il vous plaît !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par la commission.
Je rappelle que son adoption aurait pour effet d'entraîner le rejet des conclusions de la commission des lois sur la proposition de résolution.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission, l'autre, du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 58:
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 31816096 |
Contre | 222 |
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)