CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA RÉGULARISATION DES ÉTRANGERS
EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 432,
1996-1997) de M. José Balarello, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale, sur la proposition de résolution (n° 411, 1996-1997)
de M. Henri de Raincourt et des membres du groupe des Républicains et
Indépendants, apparenté et rattachés administrativement tendant à créer une
commission d'enquête pour procéder à un examen approfondi des procédures en
vigueur en matière de régularisation des étrangers en situation irrégulière sur
le territoire français et pour en évaluer les conséquences économiques et
financières.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, mes chers collègues, la commission des lois, dans sa séance du 24
septembre 1997, a adopté une proposition de résolution tendant à créer une
commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les
régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1er
juillet 1997.
Je me permets de rappeler les termes de l'article unique de la proposition de
résolution adoptée par la commission, car nos collègues du groupe communiste
républicain et citoyen font référence, dans la motion qu'ils ont déposée et qui
va être examinée tout à l'heure, au texte de la proposition de résolution
initiale :
« En application de l'article 11 du règlement du Sénat, il est créé une
commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les
régularisations d'étrangers en situation irrégulière, opérées depuis le 1er
juillet 1997.
« Cette commission d'enquête est composée de vingt et un membres. »
La commission des lois a examiné tout d'abord la recevabilité de la
proposition qui lui a été soumise, puis l'opportunité de la création d'une
commission d'enquête sur le sujet visé.
La commission des lois a conclu à la recevabilité de la proposition de
résolution.
Je rappelle les termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 6 de
l'ordonnance de 1958, modifiés par la loi du 20 juillet 1991 :
« Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments
d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services
publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à
l'assemblée qui les a créées.
« Il ne peut être créé de commissions d'enquête sur des faits ayant donné lieu
à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en
cours... »
Dans le cas présent, la constitution de cette commission d'enquête était
souhaitée afin de recueillir des informations et d'éclairer le Sénat, ainsi que
l'opinion publique, sur la régularisation importante et rapide d'étrangers en
situation irrégulière. Elle entre parfaitement dans le cadre législatif.
Cette commission aura pour objet d'examiner les méthodes employées par
l'administration ainsi que les critères qu'elle retient pour procéder, ou non,
aux régularisations. De même, elle permettra d'évaluer le nombre exact de
titres de séjour délivrés et la répartition par catégorie d'étrangers et par
département, afin d'apprécier les conséquences de ces opérations de
régularisation.
Aussi la commission des lois estime que la proposition de résolution n° 411
est conforme aux dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 sans qu'il
soit nécessaire d'interroger le Gouvernement sur l'existence de poursuites
judiciaires.
Sur la question de l'opportunité, à la majorité, la commission des lois a
répondu affirmativement.
L'exposé des motifs de la proposition de résolution indique que la France met
en place les mesures nécessaires pour garantir aux étrangers qui vivent sur son
territoire dans le respect des lois la meilleure intégration possible. Il
souligne la nécessité de poursuivre cet accueil dans les conditions les plus
favorables tout en préservant l'identité nationale de la France, ce qui suppose
une législation rigoureuse et clairement appliquée.
En effet, l'immigration fait partie de l'histoire de notre pays et a, en un
siècle, provoqué un accroissement bénéfique de la population, cet accroissement
étant de 10 millions d'habitants. A aucun moment, jusqu'à ce jour, ce brassage
n'a cependant menacé la cohésion de notre pays, l'intégration des jeunes, en
particulier par l'école, s'étant faite rapidement et sans difficulté.
Cependant, depuis vingt ans, les conditions économiques et sociales ainsi que
le développement des communications, tant en France que dans le monde, ont
changé les données du problème et rendu inéluctable un contrôle des flux
migratoires.
La maîtrise de l'immigration apparaît d'autant plus impérieuse qu'elle
s'inscrit également dans le cadre d'une coopération avec nos partenaires
européens, concrétisée par l'accord de Schengen du 14 juin 1985 et la
convention d'application du 19 juin 1990.
Tel est, mes chers collègues, l'esprit dans lequel est proposée la
constitution d'une commission d'enquête sur les conditions de régularisation
d'étrangers en situation irrégulière en France.
La commission des lois souligne que la commission d'enquête ne doit pas être
constituée dans un esprit polémique et qu'elle correspond au pouvoir de
contrôle dont le Parlement est investi.
Le problème des régularisations a pris une dimension politique, nous le savons
tous, à la suite de l'occupation par une centaine de « sans-papiers » de
l'église Saint-Bernard.
La loi Debré a pu régler quelques situations difficiles. Le nouveau
gouvernement a souhaité aller plus loin en prenant, le 24 juin 1997, une
circulaire relative au réexamen de la situation de certaines catégories
d'étrangers en situation irrégulière.
Le nombre des demandes de régularisation sera sans doute supérieur aux
prévisions du Gouvernement puisque, selon quelques informations, ce sont
environ 150 000 requêtes qui ont été déposées à la clôture du délai pour le
dépôt des demandes, soit le 1er novembre 1997.
Quant au nombre des régularisations, il pourrait en définitive se révéler plus
important que celui qu'avait envisagé le Gouvernement, ce qui ne constituerait
pas une surprise puisque les années 1981 et 1982 avaient vu la régularisation
de 133 000 étrangers.
En tout état de cause, il paraît légitime de s'assurer des conditions
d'application de la circulaire, d'autant que certaines informations laissent
percevoir des différences d'interprétation entre les départements, c'est-à-dire
entre les services préfectoraux.
Il appartiendra à la commission d'enquête de vérifier si les conditions de
régularisation sont bien conformes à la loi ou, le cas échéant, à la
circulaire, à moins qu'il n'y ait une anticipation administrative du projet de
loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit
d'asile, examiné en ce moment par le Parlement.
Comme l'a indiqué M. le président de la commission des lois, la commission
d'enquête ne peut avoir pour finalité de procéder à une étude d'ensemble sur
l'immigration, encore moins sur l'immigration clandestine, par définition
difficile à appréhender.
La commission d'enquête adoptera donc une démarche pragmatique et elle se
trouvera tout naturellement conduite à effectuer des investigations sur place
dans les services départementaux, pour y recueillir des informations
pratiques.
La proposition de résolution initiale prévoyait que la commission d'enquête
évaluerait les conséquences économiques et financières des régularisations. La
commission des lois a estimé que la commission d'enquête aurait évidemment
cette mission et qu'il n'était donc pas nécessaire de l'indiquer expressément
dans le texte de la résolution.
Les investigations porteront non seulement sur les régularisations déjà
opérées, mais également sur celles qui seront accordées pendant la durée
d'existence de cette commission d'enquête. Elles ne se limiteront pas à
l'application de la circulaire du 24 juin 1997, des régularisations pouvant
être décidées, comme cela a été conseillé aux préfets, dans le cadre plus
général fixé par l'avis du Conseil d'Etat du 22 août 1996.
En outre, une étude des législations des pays autres membres de l'Union
européenne et de leurs pratiques en la matière pourra être utilement entreprise
par la commission d'enquête.
Au cours des débats, le groupe socialiste et le groupe communiste républicain
et citoyen se sont montrés favorables, d'une manière générale, au principe du
contrôle de l'exécutif avec « un droit de tirage » accordé à l'opposition ;
c'est ce qu'a confirmé, d'ailleurs, notre collègue Guy Allouche ce matin.
Toutefois, la tonalité de l'exposé des motifs de la proposition de résolution
les a conduits à voter contre la consitution de la commission d'enquête
proposée.
La commission des lois, dans sa majorité, a cependant estimé opportune la
création de cette commission d'enquête, qui entre dans le cadre du pouvoir de
contrôle du Sénat.
Telles sont les raisons pour lesquelles, monsieur le président, mes chers
collègues, la commission des lois a adopté cette proposition de résolution,
qu'elle soumet au vote du Sénat.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le rapporteur, cette commission d'enquête que vous proposez de mettre
en place tend à étudier les conditions dans lesquelles s'opère la
régularisation de ceux qui sont appelés les « irréguliers » sur notre
territoire ; vous vous appuyez sur la circulaire ministérielle de M.
Chevènement du 24 juin 1997.
Cette circulaire a été publiée à peine cinq jours après que son objet a été
évoqué par le Premier ministre. Je vous donne lecture d'un extrait de la
déclaration de politique générale prononcée le 19 juin 1997 par le Premier
ministre :
« La France, vieux pays d'intégration républicaine, s'est construite par
sédimentation, creuset donnant naissance à un alliage d'autant plus fort que
ses composants étaient divers et nombreux. C'est pourquoi le droit du sol est
consubstantiel à la nation française. Rien n'est plus étranger à la France que
le discours xénophobe et raciste. La France doit définir une politique
d'immigration ferme et digne, sans renier ses valeurs, sans compromettre son
équilibre social.
« L'immigration est une réalité économique, sociale et humaine qu'il faut
organiser, contrôler et maîtriser au mieux en affirmant les intérêts de la
nation et en respectant les droits de la personne. Une politique d'intégration
républicaine, déterminée et généreuse, propre à recueillir l'assentiment de nos
concitoyens, sera mise en oeuvre. La république accueille ses hôtes selon ses
lois, qui doivent être claires et précises. L'immigration irrégulière et le
travail clandestin - dont je sais qu'il n'est pas le seul fait des étrangers -
seront combattus sans défaillance parce que l'un et l'autre compromettent
l'intégration et parce qu'ils sont contraires à la dignité des immigrés.
« La politique de coopération avec les Etats d'immigration prendra en compte
l'objectif de la maîtrise des flux migratoires.
« La législation sur la nationalité, le droit des étrangers et l'immigration,
rendue complexe et parfois incohérente par trop de modifications successives,
fera l'objet d'un réexamen d'ensemble. »
M. Jean-Pierre Schosteck.
Je ne sais pas si cela va arranger les choses !
M. Guy Allouche.
« Une mission interministérielle, réunissant autour de M. Patrick Weil des
représentants des ministères de l'intérieur, de l'emploi et de la solidarité,
et de la justice, présentera ses conclusions d'ici à deux mois. Un projet de
loi sera présenté à la prochaine session du Parlement. »
M. Jean-Pierre Schosteck.
Hélas !
M. Guy Allouche.
C'est ainsi !
Je poursuis ma lecture : « Sans attendre, le Gouvernement a décidé de mettre
fin à certaines situations inextricables, qui résultent des contradictions de
la législation en vigueur. Des instructions seront données aux préfets, dans
les prochains jours, pour qu'ils procèdent, sur le fondement de critères
précis, à un examen attentif et personnel de ces situations. »
Voilà ce que disait M. Lionel Jospin, le 19 juin dernier.
La circulaire de M. Chevènement est justifiée par la nécessité de sortir de la
situation absurde des étrangers que la loi actuelle ne permet pas d'expulser,
sans pour autant leur donner le droit à la régularisation. Cela explique la
rapidité qui a présidé à son élaboration.
Elle est fondée sur des critères précis, définis avant les élections
législatives conséquence - faut-il le rappeler ? - de la dissolution prononcée
par le Président de la République. Elle repose sur les critères déterminés par
le collège des médiateurs et complétés par l'avis de la Commission nationale
consultative des droits de l'homme.
Elle tire également les conséquences des dispositions de la convention
européenne des droits de l'homme, que la France a signée.
Les catégories d'étrangers concernées sont les suivantes : les conjoints de
Français ; les conjoints d'étrangers en situation régulière, sous certaines
conditions ; les conjoints de réfugiés statutaires ; les enfants d'étrangers en
situation régulière entrés en France hors regroupement familial ; les étrangers
malades lorsqu'ils sont atteints d'une pathologie grave ; les étudiants en
cours d'études supérieures ; les personnes n'ayant pas le statut de réfugié
politique et qui pourraient néanmoins courir des risques vitaux en cas de
retour dans leur pays d'origine ; les familles étrangères constituées de longue
date en France ; enfin, les étrangers sans charge de famille régularisables, à
titre exceptionnel.
Telles étaient les catégories définies avant même la dissolution opérée par M.
le Président de la République.
Les deux dernières catégories - plus difficiles à délimiter - dépendront de
l'appréciation subjective des préfets. C'est peut-être à celles-ci que M.
Christian Bonnet faisait allusion en commission des lois lorsqu'il soulignait
que la circulaire pouvait se prêter à des différences d'appréciation suivant
les départements.
Il faut avoir à l'esprit que le ministre de l'intérieur a été interpellé à de
nombreuses reprises et de manière insistante sur les conséquences de la
circulaire du 24 juin 1997, au moyen de questions d'actualité au Gouvernement,
de questions écrites, de questions orales sans débat et à l'occasion
d'auditions sur le budget de son ministère.
Dans ces occasions, le ministre de l'intérieur a rappelé un certain nombre de
points.
En premier lieu, la circulaire n'a pas créé l'immigration irrégulière ; cette
situation préexistait à son élaboration. En revanche, elle tend à régler le cas
des étrangers irrégularisables et inexpulsables du fait de la législation
antérieure.
En deuxième lieu, s'agissant du délai de la procédure, des directives ont été
données pour que les demandeurs puissent bénéficier d'un entretien
personnalisé. Mais, quoi qu'il en soit, le processus de réexamen s'achèvera le
30 avril 1998.
En troisième lieu, tous les étrangers qui ne seront pas régularisés
retourneront dans leur pays. Une commission interministérielle a été mise en
place afin de déterminer les conditions de retour conformes à la dignité et de
réfléchir à une politique de codéveloppement avec les pays d'immigration.
Enfin, en quatrième lieu, cette insistance manifeste de la droite sur un tel
sujet apporte de l'eau au moulin de l'extrême droite et témoigne de la crise
d'identité qu'elle traverse aujourd'hui.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Guy Allouche.
En réponse à une question écrite posée par notre collègue Alex Türk, qui lui
demandait le nombre d'étrangers régularisés et le sort des personnes qui
n'auront pu bénéficier de cette régularisation, le ministre de l'intérieur a
précisé plusieurs points dans sa réponse publiée au
Journal officiel
des
questions écrites du Sénat du 4 décembre 1997, jour de l'examen à l'Assemblée
nationale du projet de loi relatif aux étrangers.
Premièrement, le Gouvernement entend non pas procéder à une régularisation
systématique de tous les étrangers séjournant irrégulièrement en France, mais
remédier à des situations individuelles inextricables ou humainement
difficiles.
Deuxièmement, à la date du 31 octobre, le nombre de ressortissants étrangers
ayant déposé une demande de régularisation de leur situation administrative
était de l'ordre de 150 000.
Troisièmement, le nombre de personnes qui auraient pu bénéficier d'une
admission exceptionnelle au séjour à cette même date était de l'ordre de 5
000.
Quatrièmement, à ce chiffre, il convient d'ajouter près de 12 600 récépissés
de demande de titre de séjour qui doivent normalement déboucher sur la
délivrance d'un titre de séjour, une centaine d'autorisations provisoires de
séjour et un millier de bénéficiaires du regroupement familial sur place.
Cinquièmement, lorsque la délivrance d'un titre de séjour ne sera pas
possible, au vu des dossiers des intéressés, les représentants de l'Etat dans
les départements prendront à leur encontre une décision motivée de refus de
séjour suivie d'une invitation à quitter le territoire.
Enfin, sixièmement, les ressortissants étrangers dont l'admission
exceptionnelle au séjour aura été refusée pourront bénéficier du programme
d'aide à la réinsertion dans leur pays, mis en oeuvre par l'Office des
migrations internationales, l'OMI.
Mes chers collègues, la création d'une commission d'enquête sur les
régularisations est inopportune - je dis bien : « inopportune » - car le
processus mis en place par la circulaire ne s'achèvera que le 30 avril 1998.
Pourquoi demander la création d'une commission d'enquête sur les
régularisations alors que la transparence est totale.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oh !
M. Guy Allouche.
Oui, elle est totale, mon cher collègue ! Le ministre répond aussi bien aux
questions écrites qu'aux questions orales qui sont posées sur ce point précis
!
D'ailleurs, je vous invite, mon cher collègue, vous qui représentez le
département des Hauts-de-Seine, à consulter le préfet, comme je l'ai fait
moi-même dans mon département du Nord ; il vous communiquera les chiffres
précis.
Les travaux de la commission d'enquête sur le terrain constitueront un doublon
par rapport à la mission du ministère de l'intérieur qui recueille les données
mensuelles enregistrées par les préfectures.
Tous les dossiers établis dans le cadre de cette procédure seront remis à
l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure, l'IHESI. D'ailleurs,
ils serviront de base à des travaux de recherche sur l'origine et les causes de
l'immigration.
La référence à l'examen des conséquences économiques de la procédure de
régularisation risque, une nouvelle fois, d'accréditer l'idée fausse
qu'immigration égale chômage, thème récurrent de la droite extrême.
Sur le plan budgétaire, on peut attendre un équilibre entre les droits versés
à l'OMI par les personnes régularisées et l'aide au retour qui sera versée aux
personnes qui auront vu leur dossier rejeté car elles ne répondaient pas aux
critères définis par la circulaire.
La transparence étant complète, la création de cette commission d'enquête
permet de supposer qu'il s'agit, là aussi, d'une opération politique. En effet,
le champ d'investigation de cette commission est limitée à la « circulaire
Chevènement » et ne s'étend pas aux procédures de régularisation antérieures.
Or cette dernière circulaire a pour objet - dois-je le rappeler une fois de
plus ? - de résoudre la situation inextricable d'étrangers non régularisables
et non expulsables du fait des lois « Pasqua-Debré ».
Enfin, cette opération politique risque de se retourner contre ses auteurs,
car elle représentera, en réalité, ce que l'on pourrait appeler le « relevé des
compteurs » de la gestion des gouvernements précédents, les gouvernements
Balladur et Juppé, lesquels se sont pourtant targués - nous avons tous à
l'esprit une certaine formule que je vous rappellerai dans un instant - d'avoir
mené une politique radicale de lutte contre l'immigration clandestine. Mes
chers collègues, que nous sommes loin de la fameuse expression : « immigration
zéro » !
On voit l'effet de la lutte que vous avez menée ! En effet, comme l'a dit M.
Chevènement à plusieurs reprises, s'il nous faut régulariser aujourd'hui ceux
que l'on appelle des irréguliers - il ne s'agit en aucun cas de clandestins
car, vous en conviendrez, les clandestins ne se montrent pas à la télévision
-...
M. Gérard César.
Si !
M. Guy Allouche.
... c'est qu'ils étaient déjà là !
Ils sont entrés irrégulièrement, voilà quelques années, malgré les lois Pasqua
puis les lois Debré ! Je précise que je ne m'en réjouis pas.
M. Gérard César.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Autant je suis partisan d'accueillir avec toute la dignité requise les
personnes qui sont appelées à venir sur notre sol dans des conditions
régulières et conformes à la loi, autant je n'accepte pas que cette loi soit
violée et que se trouvent sur notre sol des personnes qui n'ont pas vocation à
y être.
Telle est donc la situation actuelle.
Si des dossiers doivent être examinés, ce sont ceux des étrangers en situation
irrégulière qui étaient présents sur notre territoire avant le 1er juin 1997,
date à laquelle le Gouvernement de M. Lionel Jospin est entré en fonction.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez rédigé un rapport pour lequel je vous
félicite car il est tout à fait conforme au débat intéressant que nous avons eu
en commission des lois, et je vous en remercie. Je me souviens d'ailleurs que
M. le président de la commission des lois avait demandé que cette commission
d'enquête ne soit pas créée tout de suite car elle risquait, selon lui, de
prendre fin avant même que l'opération de régularisation soit achevée.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
J'ai été
entendu !
M. Guy Allouche.
Mais comme toujours, monsieur le président de la commission. Quand le bon sens
s'exprime, pourquoi ne pas l'entendre ? En disant cela, je suis sincère.
M. Charles Pasqua.
Méfiez-vous des Grecs !
M. Guy Allouche.
Ai-je la tête et l'âme d'un Grec, monsieur Pasqua ? Je ne vois d'ailleurs rien
là de désobligeant ?
M. Charles Pasqua.
Ce n'est pas de vous que je parlais. Je faisais simplement allusion à votre
argumentation.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
C'était à moi que M. Pasqua s'adressait.
M. Guy Allouche.
Soit !
M. le rapporteur a fait état de ce qui s'est passé en 1981 et en 1982, et je
crois l'avoir entendu parler de 133 000 régularisations. Ces étrangers étaient
là aussi avant notre arrivée au pouvoir. Le hasard fait que, deux fois de
suite, nous avons eu à régulariser des situations qui ne sont pas de notre
fait.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Quelle fatalité !
M. Guy Allouche.
Je ne vous accuse pas ! Nous n'allons pas nous livrer à ce petit jeu. Je ne
peux pourtant pas m'empêcher de vous dire que c'est la deuxième fois que nous
avons à régulariser la situation de ceux à qui vous prétendiez interdire
l'accès au territoire français.
Cent cinquante mille dossiers ont été déposés ; mais j'ai la conviction qu'un
plus grand nombre de personnes sont concernées sur le sol français.
C'est ainsi que dans mon département, le Nord, où le nombre d'étrangers en
situation irrégulière est assez important, certains n'ont pas déposé leur
dossier pour la simple raison qu'ils ne remplissent pas les critères requis.
Ils sont pourtant bien sur notre territoire.
Voilà la situation que nous avons effectivement à traiter aujourd'hui.
Ma conviction est que tous ces étrangers ne seront pas régularisés. Certains
seront invités à quitter notre territoire...
M. Henri de Raincourt.
Par une lettre ?
M. Guy Allouche.
... non pas dans des charters, non pas dans des conditions humaines mais dans
le respect de la personne.
M. Henri de Raincourt.
Donc par une lettre !
M. Charles Pasqua.
Vous visez Mme Cresson ? Ce n'est pas très convenable !
M. Guy Allouche.
Elle n'a fait qu'en imiter d'autres, monsieur Pasqua, et vous montrer la voie,
à vous et à M. Debré !
Les étrangers en situation irrégulière mais irrégularisables seront invités,
disais-je, à quitter le territoire. Nous verrons à ce moment-là comment
faire.
Mes chers collègues, nous estimons que cette commission d'enquête est
inopportune. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre la proposition
de résolution.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'été 1996,
avec son cortège de manifestations des sans-papiers, a révélé à l'opinion
publique que des hommes et des femmes étaient voués à une « sous-vie » en
France ou bien contraints à un retour forcé dans leur pays, qu'ils y aient des
attaches ou non, qu'ils y soient menacés ou non.
Ce mouvement nous a appris que l'on pouvait avoir été un immigré en règle et
basculer d'un seul coup dans l'illégalité. Pourquoi ? Parce que les lois ont
changé.
C'est ainsi que les lois dites Pasqua et Méhaignerie sur l'immigration et sur
la nationalité sont apparues sous leur vrai visage : celui de véritables
machines à fabriquer des clandestins, celui d'armes destinées à fragiliser les
étrangers installés dans notre pays.
Les sans-papiers sont bel et bien le fruit des politiques menées
successivement depuis 1974 en matière d'immigration.
M. Charles Pasqua.
Y compris quand vous étiez au Gouvernement !
M. Pierre Lefebvre.
En sortant de l'ombre et en revendiquant des papiers pour tous, ils ont lancé
un pavé dans la mare du consensus politique qui prévalait depuis des années sur
l'idée que l'« immigration zéro » était possible et nécessaire.
La lutte des sans-papiers a reçu le soutien d'une grande part de la population
et les nombreuses actions menées autour d'eux ont montré que le regard sur
l'immigration a commencé à changer, que le voile de certaines contrevérités a
commencé à se déchirer.
Les sans-papiers ont exprimé clairement leur refus d'être désignés comme des
boucs émissaires, comme des clandestins, comme des immigrés illégaux.
La focalisation artificielle sur le thème de l'immigration dédouane les
responsables politiques de la crise, du chômage et de l'insécurité, autant de
problèmes irrésolus.
Dans les quartiers défavorisés, les relations humaines sont devenues
difficiles, voire inexistantes, et il est plus facile de désigner son voisin
comme responsable de ses malheurs que le pouvoir lointain.
La crise envenime les rapports entre populations française et population
immigrée. Mais, en faisant porter la responsabilité de la situation à cette
dernière, on se trompe d'adversaire.
La droite et l'extrême droite entretiennent savamment le racisme et la
xénophobie pour mieux diviser les plus pauvres. Or, les Français, comme les
immigrés, sont victimes des mêmes choix politiques dans notre société où domine
l'argent.
Autrefois, l'intégration se faisait par l'école, le travail, le syndicalisme,
le mouvement ouvrier ou le service militaire. Dans ma région, le Nord -
Pas-de-Calais, l'intégration réussie de la communauté polonaise est un
témoignage éclatant.
M. Charles Pasqua.
C'est vrai !
M. Pierre Lefebvre.
Aujourd'hui, avec la crise, les facteurs d'intégration ne fonctionnent plus et
l'exclusion gagne du terrain.
A la suite des manifestations des sans-papiers, a été adoptée la loi « Debré »
qui était censée remédier aux lacunes des lois dites Pasqua et Méhaignerie mais
qui, en fait, a non pas inversé la logique des lois précédentes, mais l'a, sans
aucun doute, renforcée. Elle a d'ailleurs été, chacun doit s'en souvenir ici,
accueillie par de nombreuses protestations et manifestations dans les rues de
Paris, notamment tout près du Sénat.
Pour notre part, nous avons, à l'époque, combattu et rejeté cette nouvelle loi
d'exception à l'égard des étrangers. En séance publique, mon ami M. Robert
Pagès avait dénoncé les dispositions de ce texte qui persistaient « à pratiquer
des amalgames entre demandeurs d'asile et immigrés clandestins, entre étrangers
en situation régulière et ceux qui ne le sont pas, entre terroristes et
immigrés, entre délinquants et immigrés provoquant la suspicion, alimentant des
préjugés racistes et xénophobes à leur encontre, ceux-là même que développe
depuis des années le Front national ».
Depuis les dernières grandes manifestations contre la loi « Debré », il s'est
produit un événement dans notre pays : des élections législatives anticipées se
sont déroulées marquées par la victoire de la gauche. D'aucuns avancent l'idée
selon laquelle les manifestations des sans-papiers contre la loi « Debré »
auraient quelque responsabilité dans l'échec de la droite à ces élections.
Ce changement de majorité a fait naître chez les sans-papiers un grand espoir
de voir leur situation administrative et humaine prise en considération.
C'est ainsi que la circulaire du 24 juin 1997 du ministère de l'intérieur
devait corriger la loi « Debré » et permettre la régularisation des
sans-papiers. Des dizaines de milliers d'immigrés - 140 000 demandes environ
ont été officiellement recensées - sont donc allés se déclarer à leur
préfecture, condition indispensable à leur régularisation.
Ne faudrait-il pas d'ailleurs considérer le dépôt d'une demande à la
préfecture comme la preuve d'une volonté d'intégration ?
Au 1er novembre, date de clôture du dépôt des demandes de régularisations,
seules 10 000 personnes sur les 140 000 immigrés demandeurs ont obtenu des
papiers ; on parle de 60 000 à 90 000 refus. On est donc très loin des
centaines de milliers de candidats à la régularisation prédits par la droite et
les renseignements généraux.
La France n'atteindra certainement pas les quelque 200 000 régularisations
effectuées récemment par l'Italie, le Portugal ou la Grande-Bretagne, ni les
132 000 régularisations intervenues entre 1981 et 1983.
C'est dire combien nous jugeons démagogiques, scandaleuses et sources de
xénophobie les motivations de la droite sénatoriale pour demander la
constitution d'une commission d'enquête sur les régularisations.
Permettez-moi de vous lire les termes de l'exposé des motifs, qui sont
outrageants pour les immigrés mais aussi pour tous ceux qui ont à coeur de
défendre un tant soit peu ce qui touche à l'humain :
« Une telle opération est une invitation à l'immigration clandestine. Seront
tentés de venir en France non seulement les étrangers depuis leur pays
d'origine, mais aussi ceux résidant sur le territoire européen. Le nombre de
demandes de régularisation est estimé d'ores et déjà à 100 000. »
« Considérant cet état de fait, mesure-t-on consciemment et de façon
responsable l'impact aux yeux du monde de la démarche entreprise ? Peut-on
accepter et concevoir d'encourager le non-respect des lois ? »
« De plus, la France a le devoir de réduire ses déficits publics. »
M. Philippe François.
C'est vrai !
M. Pierre Lefebvre.
« Or, a-t-on évalué les conséquences économiques et financières qui
découleront de ce mouvement de régularisation ? »
Le raz-de-marée des régularisations n'aura pas lieu. Il faut arrêter ce
discours, qui alimente tous les excès, surtout sur un sujet aussi sensible que
celui de l'immigration.
En fait, avec cette demande de création de commission d'enquête sur les
procédures de régularisation, les sénateurs de la majorité sénatoriale tentent,
après l'éclatement de la droite à la suite de son échec cuisant du mois de juin
dernier, de revenir sur la scène politique en agitant le spectre de
l'immigration cher à M. Le Pen.
Or, en l'état actuel, on ne peut que regretter les conditions restrictives
contenues dans la circulaire, la lenteur du processus de régularisation ainsi
que l'arbitraire dont font preuve les préfectures.
Les moyens matériels et humains mis à disposition pour effectuer les
régularisations restent insuffisants, ce qui a pour effet de ralentir le
traitement des dossiers.
De plus, la visite médicale de l'Office des migrations internationales, l'OMI,
imposée par l'administration aux immigrés qui demandent leur régularisation,
est facturée 1 050 francs, ce qui, comparé au tarif conventionné d'une visite
médicale de 110 francs, est totalement exorbitant et constitue, avec les taxes
consulaires de 1 300 francs environ, un obstacle sérieux à la régularisation
d'une population souvent en situation de précarité extrême.
D'autre part, pour réussir le processus de régularisation entamé par le
Gouvernement, un moratoire sur les reconduites à la frontière nous semble
indispensable.
Par ailleurs, souvent débordées, les préfectures adoptent des méthodes
dissuasives. C'est ainsi, par exemple, qu'à Paris les dossiers sont
invariablement et souvent plusieurs fois renvoyés à l'expéditeur. A Bobigny,
l'administration convoque les candidats à plusieurs reprises en leur demandant
des documents différents à chaque fois. De façon générale, il est difficile
pour les étrangers de fournir tous les justificatifs demandés.
Les militants dénoncent les difficultés et les incohérences de
l'administration. Les dossiers sont traités de façon inégale selon les
préfectures. C'est ainsi qu'à Paris les critères sont plus sévères qu'ailleurs.
De surcroît, les erreurs sont fréquentes à propos de la date d'entrée en France
des demandeurs.
En dépit des consignes du ministère, certaines préfectures sont plus sévères
que d'autres ; certaines régularisent des célibataires, d'autres non.
Pour notre part, nous souhaitons que la circulaire soit appliquée de manière
souple, dans des délais raisonnables, pour permettre à tous ceux et à toutes
celles qui ont osé sortir de l'ombre de s'intégrer au grand jour dans notre
société.
Il faut sortir les irréguliers de l'irrégularité, les clandestins de la
clandestinité, sans quoi on alimente le travail clandestin et les employeurs de
main-d'oeuvre clandestine.
Or, à l'heure actuelle, s'agissant des régularisations, le compte n'y est
pas.
D'ailleurs, la pétition lancée par des artistes et des personnalités diverses
atteste des regrets ainsi que de l'inquiétude de certains quant à la procédure
de régularisation engagée par le Gouvernement et soulève de réelles questions :
quid
des étrangers qui ne seront pas régularisés ? Resteront-ils en
France, en se tapissant dans l'ombre, craignant à tout instant un contrôle de
police ? Seront-ils expulsés ? Certainement !
Plus qu'un règlement comptable, les sans-papiers demandent un geste politique
de la part du Gouvernement.
Pour notre part, nous estimons, au-delà de la polémique sur les chiffres,
qu'une autre politique de l'immigration est possible.
Il faut penser l'immigration autrement et considérer l'étranger comme
quelqu'un qui, par sa culture et sa différence, apporte à la France.
D'ailleurs, un rapport de l'INED, l'Institut national d'études démographiques
montre chiffres à l'appui, que, depuis près d'un siècle l'immigration et
l'accueil des étrangers fondent l'identité de la France.
Contrairement à certaines idées trop répandues et fausses, les immigrés
tendent à être des contributeurs nets au budget de l'Etat et des organismes de
sécurité sociale.
Ainsi, ils paient plus d'impôts et de cotisations qu'ils ne reçoivent
d'avantages en transferts sociaux de toutes sortes.
Quant aux immigrés clandestins, du fait de leur situation illégale, ils ne
reçoivent pas les transferts sociaux auxquels ont droit les immigrés en
situation régulière.
En conséquence, quoi qu'en disent ceux qui brandissent sans cesse
l'épouvantail de l'immigration clandestine, cette dernière ne peut être rendue
responsable du déficit des comptes sociaux.
De plus, il faut que cesse l'amalgame entre travail clandestin et
immigration.
En effet, le travail illégal ne concerne qu'une minorité des 1 500 000
immigrés actifs.
Parmi les personnes exploitées dans le travail illégal, 15 % sont des immigrés
dits clandestins, environ 40 % des immigrés réguliers, le reste concerne des
Français.
Il nous appartient de combattre le travail illégal et de réprimer les
organisateurs de filières d'immigration dont le chiffre d'affaires explose à
l'échelle mondiale.
Les travailleurs clandestins, exploités par des employeurs peu scrupuleux,
véritables esclavagistes des temps modernes, doivent être considérés comme des
victimes, et non comme des délinquants.
M. Philippe François.
On pourrait ouvrir des goulags !
M. Pierre Lefebvre.
Je vous laisse la responsabilité de vos propos, mon cher collègue !
La France doit avoir une politique de coopération ouverte sur le monde,
notamment avec les pays anciennement colonisés, au lieu de maintenir des bases
militaires pour protéger des régimes corrompus.
Il faut favoriser un nouveau type de relations internationales, en remplaçant
la mondialisation de la France et de l'affairisme par la mondialisation des
coopérations ayant pour objet le codéveloppement des peuples.
Cela implique, notamment, d'annuler la dette qui étrangle ces pays et de taxer
les mouvements de capitaux et de devises.
Cela suppose également des échanges réciproques de personnes entre pays, sans
ingérence ni spoliation : il peut s'agir de l'envoi de salariés français -
ouvriers, techniciens, cadres - et, réciproquement, de l'accueil d'étrangers
afin de les former pour donner à leur pays les moyens de devenir autonomes, en
considérant ces femmes et ces hommes comme étant capables de prendre leur
destin en main.
Un tel type de collaboration contribuerait à combattre le chômage à la fois
ici et là-bas car, tant que la misère et la répression séviront dans ces pays
l'immigration se poursuivra.
Or, ces pays dits pauvres sont, en réalité, dotés de richesses insoupçonnées,
mais brisées par la loi du marché international dictée par le fonds monétaire
international. Il nous revient donc de construire un nouvel ordre économique
international.
Telle est notre conception d'une politique d'immigration généreuse,
respectueuse des droits de l'homme et solidaire des pays d'où viennent les
migrants.
Notre démarche se situe donc totalement à l'opposé de celle de la droite qui,
en proposant cette commission d'enquête contre les régularisations, tente de
rassurer son électorat, sensible aux thèses xénophobes et à celles de l'extrême
droite.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, solidaires des
sans-papiers et attentifs au bon déroulement des régularisations, s'opposent
vivement à la création de cette commission d'enquête qui a bel et bien pour
objet de rejeter « l'autre », de rejeter celui qui est différent.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste, républicain et
citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua.
Je n'avais pas envisagé d'intervenir dans cette discussion. Le débat sur la
politique de l'immigration aura lieu dans notre assemblée lorsqu'elle aura à
examiner le projet de loi présenté par le Gouvernement et défendu par M.
Chevènement. A cette occasion, nous aurons le loisir de comparer nos positions
respectives.
Ce qui est en cause cet après-midi - c'est du moins ce que j'avais cru
comprendre, mais la parole est bien entendu libre dans notre assemblée, et vous
venez d'en apporter la démonstration, monsieur Lefebvre - c'est l'examen d'une
proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur
les conditions de régularisation des étrangers actuellement en situation
irrégulière sur le territoire français. C'est bien de cela qu'il est question
!
Chacun d'entre nous peut, bien sûr, présenter une batterie d'arguments afin
d'expliquer pour quelles raisons tant d'étrangers sont entrés clandestinement
dans notre pays et pourquoi les conséquences de cette immigration posent
problème.
Mais il est deux choses qu'il ne faut pas confondre et, je le regrette, dans
votre intervention, mon cher collègue, vous avez donné l'impression - c'est en
tout cas mon sentiment - de les mêler.
Il y a des étrangers qui sont entrés régulièrement sur notre sol. Dès lors,
ils ont exactement les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous ceux qui sont
sur notre territoire, qu'ils soient français ou pas. Toute tentative de
discrimination ou toute démarche xénophobe à leur égard ne peut qu'être
condamnée.
Puis il y a ceux qui entrent, ou sont entrés de manière irrégulière sur notre
territoire. J'avais eu l'occasion, en ma qualité de ministre de l'intérieur, en
1993, de même qu'en 1986, de dire que nous ne pouvions considérer comme un
crime le fait que les étrangers qui n'ont pas dans leur pays des conditions de
vie normales essaient de les trouver ailleurs. Il n'en reste pas moins que
notre situation économique ne nous permet pas d'accueillir tous ceux qui le
voudraient.
J'ajouterai - et c'est un sujet dont nous aurons l'occasion de débattre lors
de l'examen de la modification du code de la nationalité - qu'il est un
principe dont nous ne pouvons pas accepter la mise en cause : celui de la
souveraineté nationale. C'est à la France et aux Français de décider par
eux-mêmes du nombre et de la qualité des étrangers qu'ils souhaitent accueillir
sur leur sol. Nous ne devons pas nous laisser imposer par tel ou tel le choix
de s'installer dans notre pays.
Je ne me lancerai pas dans des comparaisons en recherchant combien d'immigrés
ont été régularisés en 1982, ou pourquoi on régularise la situation d'autres
immigrés actuellement. Cependant, il faut noter que - et c'est un fait contesté
par personne chaque fois que l'on régularise un grand nombre d'étrangers en
situation irrégulière, cela incite - le ministre de l'intérieur qui est
actuellement en fonction le sait bien - d'autres étrangers à essayer d'entrer
irrégulièrement sur notre territoire, avec l'espoir de voir leur situation
régularisée un jour. Le débat de fond, nous l'aurons !
Je voudrais ajouter quelques mots à la suite des propos tenus tout à l'heure
par M. Allouche - je n'étais pas dans l'hémicycle, mais je les ai entendus dans
mon bureau.
Ce qui me surprend et me choque dans vos propos, monsieur Allouche, c'est la
contestation du principe même de la création de commissions d'enquête.
M. Guy Allouche.
Mais non !
M. Raymond Courrière.
La création de commissions d'enquête politiciennes !
M. Charles Pasqua.
Mais si, monsieur Allouche ! En effet, les commissions d'enquête, les
commissions de contrôle et les missions d'information sont un élément capital
du contrôle du Gouvernement par le Parlement. Vous n'avez pas à vous formaliser
de la création de ces commissions d'enquête. En d'autres temps, vous les avez
souhaitées.
J'ajouterai - et je l'avais déjà dit à mes propres amis lorsque j'étais au
gouvernement - que le Gouvernement lui-même serait parfois bien inspiré en ne
voyant pas d'un mauvais oeil la création de commissions d'enquête. En effet,
elles permettent souvent d'obtenir des représentants ou des dirigeants de
l'administration, qui s'expriment sous la foi du serment, des renseignements
qu'autrement on ne nous donne pas.
La question qui se pose et à laquelle vous-même êtes incapable de répondre
parce que vous ne le savez pas, pas plus que moi, est la suivante : combien
d'immigrés actuellement en situation irrégulière le Gouvernement va-t-il
régulariser ?
M. Raymond Courrière.
Tous ceux qui répondent aux critères retenus !
M. Guy Allouche.
Un certain nombre !
M. Charles Pasqua.
« Un certain nombre », ce n'est pas un chiffre ! Alors, combien ? Quels sont
les critères de cette régularisation ? Quant à ceux qui ne seront pas
régularisés, que va-t-on en faire ?
M. Guy Allouche.
Réponse le 30 avril !
M. Charles Pasqua.
Je répète : quant à ceux qui ne seront pas régularisés, que va-t-on en faire
?
Voilà les les questions qui se posent.
Enfin, puisque vous avez tout de même ouvert le débat général sur
l'immigration irrégulière, vous savez aussi bien que moi que le problème auquel
est confrontée la France, à l'heure actuelle, ce n'est pas la situation des
étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière, qui
souhaiteraient s'intégrer dans la société française, ce que notre société a
toujours été capable d'assumer c'est la présence sur notre sol d'étrangers,
qu'ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière - et dans ce
dernier cas, c'est pire - qui refusent l'application des lois de la République
et qui s'opposent aux principes démocratiques. Le véritable problème auquel
nous sommes confrontés, c'est celui-là, plus que tout autre !
M. Guy Allouche.
Il faut que la loi passe !
M. Charles Pasqua.
C'est à ce problème-là qu'il faudra apporter une réponse si l'on veut mettre
fin à la situation actuelle.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable