M. le président. « Art. 28. - Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés les titres de perception émis par l'Etat jusqu'au 30 octobre 1996 pour tous les fonds de concours des sociétés concessionnaires d'autoroutes au titre des charges de fonctionnement de la gendarmerie en service sur le réseau et des frais de contrôle par l'Etat, dans la mesure où ils seraient contestés pour un motif tiré de l'illégalité des décrets ayant approuvé les articles correspondants des cahiers des charges annexés aux conventions passées entre l'Etat et lesdites sociétés.
« Sous la même réserve, les sommes perçues par l'Etat sur le fondement des titres de perception mentionnés au premier alinéa ne peuvent donner lieu à un remboursement fondé sur l'illégalité des décrets approuvant les articles correspondants des cahiers des charges. »
Par amendement n° 15, M. Lambert, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je prie par avance la Haute Assemblée de bien vouloir excuser la longueur de mon propos. J'espère que je ne serai pas importun, mais je serai grave.
L'article 28 tend à valider l'ensemble des titres de perception et des versements relatifs aux fonds de concours des sociétés concessionnaires d'autoroutes au titre des charges de fonctionnement de la gendarmerie et des frais de contrôle de l'Etat.
Ce dispositif est injustifié sur le plan juridique, inopportun sur le plan économique et inacceptable sur le plan politique. Il témoigne de graves dysfonctionnements de l'appareil d'Etat dans la gestion du secteur autoroutier, dysfonctionnements auxquels il nous faut remédier collectivement.
S'agissant tout d'abord du plan juridique, les dispositions des cahiers des charges des sociétés d'autoroutes obligent ces dernières à contribuer, par voie de fonds de concours, d'une part, aux dépenses relatives au financement des charges de fonctionnement de la gendarmerie en service sur le réseau autoroutier et, d'autre part, aux dépenses de contrôle incombant à l'Etat concernant les travaux réalisés sur les autoroutes.
Le Conseil d'Etat a annulé les décrets qui approuvaient les dispositions des cahiers des charges des sociétés ASF et SANEF prévoyant la prise en charge par les sociétés concessionnaires d'autoroutes des dépenses de gendarmerie et des frais de contrôle de l'Etat. Dans le premier cas, il a estimé que ces dépenses, régaliennes par excellence, devraient être financées par le contribuable et non par l'usager. Dans le second cas, s'il n'a pas contesté le principe du fonds de concours, le fait que la fixation forfaitaire de ce dernier ne tienne pas compte du coût réel des frais de contrôle ne lui a pas semblé satisfaisant.
Pour faire face aux conséquences budgétaires de cet arrêt, les deux gouvernements qui viennent de se succéder ont mis au point une double riposte : la validation qui vous est ici proposée et, auparavant, l'instauration d'une redevance domaniale en remplacement des deux fonds de concours.
Pour justifier le validation proposée, le gouvernement actuel avance, outre l'enjeu financier, trois motifs : le caractère d'intérêt général des dépenses financées par cette contribution, la modification a posteriori de l'équilibre financier des sociétés concessionnaires d'autoroutes en cas de remboursement et, enfin, l'enrichissement sans cause pour les sociétés que constituerait le remboursement. Or, ces arguments ne sont pas convaincants et aucun n'est assez fort pour justifier une telle validation.
L'enjeu financier est certes important : il est de 3 milliards de francs, si toutes les sociétés réclamaient le remboursement. Mais il existe neuf sociétés, et seules trois d'entre elles ont formulé cette demande. De plus, le Conseil constitutionnel ne considère pas qu'un enjeu financier suffise à justifier une validation. Enfin, ces sociétés sont publiques pour la plupart, et leurs intérêts financiers se confondent largement avec ceux de l'Etat.
En ce qui concerne le caractère d'intérêt général des dépenses financées par ces fonds de concours, il est pour le moins paradoxal de s'appuyer sur ce principe. A cet égard, l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 octobre 1996 est explicite et affirme clairement que les sociétés concessionnaires d'autoroutes n'ont pas à participer auxdites dépenses de la gendarmerie par le biais de fonds de concours.
Le Gouvernement a également fait remarquer que le remboursement des contributions aux sociétés concessionnaires d'autoroutes modifierait a posteriori leur équilibre financier.
Cet argument est partiellement justifié : les fonds de concours figurent dans les concessions et sont donc pris en compte dans l'équilibre de celles-ci. Cependant, ces concessions ne constituent pas des contrats équilibrés puisque l'Etat dicte en réalité ses conditions, s'agissant notamment des tarifs et des investissements.
Enfin, le Gouvernement affirme que, si les sociétés concessionnaires obtenaient le remboursement des sommes demandées, elles ne pourraient pas les rétrocéder aux usagers sur lesquelles elles les ont répercutées, et il estime, en conséquence, qu'il y aurait enrichissement sans cause.
Il est vrai que les sociétés ne pourront rembourser les sommes en cause aux usagers qui ont été lésés. Mais cet argument aboutirait à considérer que l'Etat ne doit jamais être sanctionné pour les fautes qu'il commet lorsque ces dernières sont partiellement irréparables ! Voilà une conception de l'Etat de droit qui ferait frémir les juristes !
Je considère donc que l'intérêt général n'est pas démontré dans le cas de cette validation.
A la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat, le gouvernement précédent a adopté le 31 mai 1997 un décret instaurant une redevance due par les sociétés concessionnaires d'autoroutes pour occupation du domaine public, afin de remplacer le fonds de concours annulé. Je voudrais ajouter, bien que cela dépasse le cadre de cet article et que cela touche un acte du gouvernement précédent, qu'une telle mesure ne me paraît pas acceptable, et ce pour plusieurs raisons.
D'une part, cette disposition vise clairement à faire obstacle aux effets de l'arrêt du Conseil d'Etat et à compenser la perte de recettes qui en est résultée. Il s'agit donc ni plus ni moins d'une sorte de « faux nez » des fonds de concours.
D'autre part, la base légale de cette redevance est très contestable.
Lorsque l'Etat recourt à un concessionnaire pour mettre en chantier une autoroute, c'est ce dernier qui constitue le domaine public en procédant à l'acquisition des terrains, qui aménage ce domaine public et qui ouvre au public ledit domaine et l'exploite. Dans le cas précis, il n'y a d'autre occupation que celle qui est faite au nom de l'Etat, et les recettes tirées constituent non pas un bénéfice d'exploitation mais le remboursement et la rémunération des capitaux investis.
Le gouvernement précédent avait envisagé la création d'une taxe au lieu de la redevance finalement décidée. Cette taxe figurait dans l'avant-projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, mais elle était absente du projet définitif.
Cette hésitation montre que la règle de droit a été mise au service d'un prélèvement qui conserve le même objet et dont le Conseil d'Etat a contesté qu'il puisse être financé autrement que par un impôt général.
J'en tire une double conclusion : ou bien cette redevance est en réalité une taxe, et le Parlement aurait dû se prononcer sur elle en application de l'article 34 de la Constitution ; ou bien il s'agit vraiment d'une redevance, mais, ayant en réalité le même objet que le fonds de concours, elle risque la même sanction.
Je tenais à expliquer mon point de vue sur cette redevance pour montrer que je me situe non pas dans un débat partisan, mais dans un débat qui met en cause le dysfonctionnement grave de l'Etat.
Ensuite, je voudrais expliquer brièvement pourquoi cette validation n'est pas opportune sur le plan économique.
Elle n'est pas opportune parce que les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont été victimes de décisions de gestion très erronées de l'Etat, qui ont contribué à leur créer des difficultés pour accomplir leur mission de financement du réseau. Aujourd'hui, nous dit-on, certaines d'entre elles ne peuvent plus construire de nouvelles autoroutes, notamment parce que des charges multiples sans lien avec ce métier leur ont été imposées.
A cet égard, les fonds de concours « gendarmes » et « frais de contrôle » ne sont qu'un avatar d'une très longue série de décisions qui ont mis à mal la capacité de financement des concessionnaires.
Ces erreurs ont été dénoncées par la Cour des comptes, par le Conseil d'Etat et par la commission des finances, bien avant que j'en sois le rapporteur général.
Ainsi, dans les années quatre-vingt, la commission des finances et la Cour des comptes ont dénoncé une politique de sous-revalorisation des tarifs, qui a créé, pour les sociétés, un manque à gagner considérable. Il reste à chiffrer aujourd'hui le nombre des kilomètres non réalisés du fait de cette politique.
Moi-même, depuis que je suis rapporteur général, je me suis inquiété du développement des prélèvements sur les sociétés d'autoroutes, considérant que ces charges leur créaient un endettement qu'elles ne peuvent rembourser. A l'occasion du doublement de la taxe d'aménagement du territoire, en 1995, j'ai écrit dans mon rapport qu'il ne serait pas possible d'aller au-delà. Je péchais sans doute par excès d'optimisme, on était déjà allé trop loin.
C'est pourquoi il me semble opportun de rendre aux sociétés les charges que la haute juridiction financière, la Cour des comptes, et la Cour suprême de l'ordre administratif, le Conseil d'Etat, considèrent comme indues. Ces sommes n'auraient jamais dû servir à autre chose qu'à construire et à entretenir le réseau, ce qui est la mission de base du péage. Ces sommes, les sociétés d'autoroutes en ont aujourd'hui besoin. Gageons, d'ailleurs, que demain, dans le cadre des appels d'offres européens, l'Etat devra subventionner la réalisation des sections qui auraient pu être ouvertes s'il avait bien géré le secteur concédé. L'Etat devra, de toute façon, payer. Il aurait pu le faire proprement, selon des principes de saine gestion et sans occasionner de retards au schéma directeur.
Enfin, je voudrais achever mon propos sur une conclusion plus politique, au sens propre du terme, mais surtout pas partisane. Cette validation, je pèse chacun de mes mots, est l'exemple type de l'absolution des dysfonctionnements de l'Etat, du quitus donné à l'irresponsabilité, que le gouvernement en place, quel qu'il soit, se croit de son devoir de porter.
or la mauvaise gestion et le contrôle défectueux du système autoroutier sont dénoncés depuis longtemps par de hautes autorités. Mais, sûr de l'impunité, l'Etat n'a jamais rien fait pour y remédier !
Cette validation faisait-elle partie du programme de Lionel Jospin ? Non, à l'évidence, et pour cause : elle figurait déjà dans le DDOEF présenté par son prédécesseur. Le ministre en charge de la défendre aurait tout aussi bien pu être votre prédécesseur, monsieur Sautter.
Si l'Etat n'était pas systématiquement absous de ses fautes de gestion, peut-être en commettrait-il moins. S'il se sentait sous la surveillance d'une représentation nationale vigilante, peut-être se croirait-il enfin obligé d'assumer sa mission, comme elle lui a été confiée.
Si l'Etat s'était cru passible de sanctions pour la mauvaise gestion du système autoroutier, alors celui-ci aurait été bien géré, en tout cas mieux qu'il ne l'a été. Au lieu de passer outre, comme il tente de nouveau aujourd'hui de le faire, il aurait suivi les recommandations de la Cour des comptes, et peut-être aussi celles de la commission des finances du Sénat. Le système autoroutier concédé s'en serait mieux porté.
C'est pourquoi je demande aujourd'hui solennellement au Sénat d'apporter sa contribution à un meilleur fonctionnement de l'Etat, plutôt que d'admettre une fois de plus ses dysfonctionnements, contribuant ainsi à les faire perdurer.
MM. Jacques Habert et Michel Caldaguès. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, vous avez plaidé avec éloquence, au risque d'aller un peu au-delà du sujet.
Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 30 octobre 1996, a annulé des dispositions relatives au fonds de concours « gendarmerie » et aux frais de contrôle technique, c'est-à-dire des modes de financement de dépenses relatives à la sécurité sur les autoroutes.
Le Gouvernement a proposé un article, en se fondant sur des arguments que vous n'estimez pas suffisants, mais que je rappelle. Je citerai, d'abord, le caractère d'intérêt général de ces dépenses de sécurité ; ensuite, le fait que, si l'on remboursait aux sociétés concessionnaires les sommes correspondantes, cela modifierait a posteriori leur équilibre financier et constituerait pour elles un enrichissement sans cause. Enfin, cet article permet d'éviter tout contentieux portant sur des sommes importantes, puisque l'enjeu total est estimé à 2,4 milliards de francs, et non pas, d'ailleurs, à 3 milliards de francs.
Monsieur le rapporteur général, vous vous êtes, certes, exprimé au nom de la commission des finances, mais presque aussi au nom du Conseil d'Etat. Or le Conseil d'Etat, qui avait annulé le précédent dispositif des fonds de concours, a émis un avis favorable sur le texte du Gouvernement, c'est-à-dire qu'il s'est déclaré favorable aux nouvelles redevances qui ont remplacé les fonds de concours.
Voilà pourquoi l'article proposé dans ce projet de loi de finances rectificative est justifié.
Partant de cette mauvaise procédure de financement des dépenses de sécurité, vous la généralisez à l'ensemble de la gestion des sociétés concessionnaires d'autoroutes. C'est un débat plus vaste, que je ne souhaite pas ouvrir maintenant.
C'est un fait que nous avons trouvé des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans une situation financière préoccupante. Il importera de définir les responsabilités en la matière et de trouver pour l'avenir - c'est ce à quoi s'attachent le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, d'un côté, le ministère de l'équipement, des transports et du logement, de l'autre - des modalités plus saines de financement des autoroutes. Il convient de rappeler que le schéma directeur autoroutier, M. le rapporteur général y a fait allusion, comprend des autoroutes qui ont un rôle important à jouer en termes d'aménagement du territoire, mais qui ne peuvent être financées par certaines sociétés d'autoroutes compte tenu de leur situation financière.
Sans donc renoncer aux projets d'autoroutes qui ont une utilité véritable pour l'équilibre de notre pays, il convient de trouver de meilleures modalités financières.
Nous aurons l'occasion de débattre à nouveau du financement des autoroutes concédées. Dans l'intervalle, je vous invite à voter l'article 28 et donc à rejeter l'amendement de suppression pour lequel M. le rapporteur général a plaidé.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15.
M. René Régnault. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Ce débat ne manque pas d'intérêt. L'explication étayée de M. le rapporteur général est, finalement, assez éclairante. Je me suis même demandé, monsieur le rapporteur général, si vous n'aviez pas à l'esprit, en toile de fond, au-delà de l'article en question et au-delà de l'amendement, un certain plan autoroutier, fortement médiatisé, mais moins fortement financé...
Si tel est le cas, je peux comprendre vos préoccupations. Dès lors, en effet, tout serait bon pour garantir aux sociétés autoroutières certains moyens leur permettant d'assumer une responsabilité qui leur a été confiée, mais sans les moyens correspondants.
Mais j'en reviens à l'objet de l'amendement. Je vous ai écouté, monsieur le secrétaire d'Etat, et je constate que cette situation n'est pas inédite. Mais il arrive un moment où le Gouvernement comme le Parlement doivent statuer.
Vous avez pris la précaution, ce que je trouve tout à fait honorable, car ce n'était pas obligatoire, après avoir entendu l'avis du Conseil d'Etat, d'étudier avec lui quelles dispositions pouvaient constituer une solution satisfaisante.
Vous avez demandé un avis au Conseil d'Etat, la validité de la disposition ne fait donc aucun doute : l'autorité qui nous conduit à légiférer ce soir, elle-même consultée, a indiqué que la mesure était satisfaisante.
M. Michel Caldaguès. Elle ne se prononce pas sur le fond !
M. Philippe Marini. Il ne s'agit pas de la même formation !
M. René Régnault. Monsieur Marini, chacun ses connaissances et ses compétences ! C'est ce que j'ai compris et ce que tout un chacun pourrait comprendre, même hors de cette enceinte.
Voilà pourquoi nous pensons que cette disposition est bonne et pourquoi l'amendement de la commission ne peut pas être accepté.
A un moment donné, monsieur le rapporteur général, j'ai eu l'impression d'assister à une séance d'autoflagellation. Il ne s'agit pas d'être excessif, il s'agit simplement d'aborder une question à la fois, et de lui apporter la réponse qui convient. Voilà pourquoi je reste étonné non seulement par cet amendement, mais aussi par la teneur et la densité des propos que vous avez tenus, ont un peu dépassé l'objet du débat.
Pour notre part, nous en restons à la question posée et nous aimerions adopter les dispositions proposées par le Gouvernement. Nous nous opposerons donc à l'amendement de suppression.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. L'amendement n° 15 de la commission des finances a un poids de 3 milliards de francs !
M. le rapporteur général propose de ne pas valider des recettes perçues par l'Etat au titre des fonds de concours auprès des sociétés concessionnaires d'autoroutes au motif que ces sociétés seraient aujourd'hui dans une situation financière critique. Au surplus, ces sommes correspondent à des charges indues imposées par l'Etat pour le fonctionnement de la gendarmerie et des frais de contrôle sur ces autoroutes.
Nous nous devons, à l'examen de cet amendement, de rappeler nos positions fondamentales.
Même s'il convient de réfléchir à la réalisation d'un certain nombre de liaisons routières, et ce dans un objectif général d'aménagement du territoire, nous ne pouvons manquer de rappeler que le schéma autoroutier adopté dans le courant des années 1986-1988 pour développer ces infrastructures soulevait un certain nombre de questions.
Ce schéma autoroutier, de par la masse et la charge des investissements qu'il devait mobiliser, portait en germe les conditions d'un alourdissement significatif de l'endettement des sociétés concessionnaires, au moment même où cet endettement continuait de supporter des coûts particulièrement élevés au titre des intérêts.
Il est un autre problème, celui de la conception même de l'aménagement du territoire qui ressort de ce choix du schéma autoroutier, mais qui est contestable par certains côtés.
Nous avons eu l'occasion de souligner que de tels choix ne tendaient pas toujours de manière aussi positive que possible à répondre aux exigences d'un développement équilibré de l'ensemble du territoire, à l'inverse d'autres formules, notamment le développement du transport ferroviaire.
Pour ce qui nous concerne, s'il y a lieu de modifier une partie du schéma autoroutier dans ce pays, nous estimons nécessaire de réfléchir et d'agir en faveur de l'allégement des contraintes financières liées au remboursement des emprunts de ces sociétés concessionnaires.
Si des mesures doivent être prises, elles doivent, à notre sens, porter sur cet aspect particulier de la situation.
Il serait donc positif que nous puissions connaître plus précisément la nature et le coût des dettes des sociétés autoroutières qui montrent, d'une certaine manière, que le choix de confier au secteur privé les investissements d'infrastructures n'est pas toujours le plus adapté.
En tout état de cause, nous ne voterons pas cet amendement n° 15, qui nous éloigne des véritables solutions aux problèmes posés, et nous appuierons le Gouvernement sur ce dossier.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Notre rapporteur général a, comme à son habitude, mis le doigt, de façon tout à fait opportune, là où cela fait vraiment mal, et cela fait vraiment mal parce qu'il s'agit de 3 milliards de francs, parce qu'il s'agit d'une question de principes.
En termes simples, de quoi s'agit-il ? De confirmer, au terme de longs contentieux et contrairement aux décisions des juridictions administratives, que les dépenses de sécurité, qui sont au coeur des responsabilités de l'Etat, de ses attributions régaliennes, sont bien à la charge des sociétés d'autoroutes. Reprenez-moi si je n'ai pas bien compris, mais je crois qu'il s'agit exactement de cela sur le plan des principes.
D'abord, on fait intervenir le Parlement comme une sorte de « super-pompier » pour tâcher d'éteindre cet incendie de 3 milliards de francs.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est le SAMU !
M. Philippe Marini. C'est en effet le SAMU de la mauvaise gestion de l'Etat, mauvaise gestion qui n'est pas spécialement l'apanage du gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'Etat, mais qui est le résumé de toutes sortes de mauvaises habitudes...
M. René Régnault. Vous ne disiez rien il y a quelques mois !
M. Philippe Marini. ... perdurant depuis des lustres. C'est, en fait, une question de système.
Et voilà que l'on demande au Parlement d'atténuer les conséquences du système en foulant aux pieds le droit !
Bien entendu, le Gouvernement requiert l'avis des formations administratives du Conseil d'Etat. Mais ce ne sont que les formations administratives, ce n'est pas la section du contentieux, je me permets de le rappeler à notre collègue M. Régnault !
M. René Régnault. Merci !
M. Philippe Marini. Depuis deux cents ans, constamment, les formations administratives ont pu émettre un avis dans le cadre de la procédure de préparation d'une loi et la section du contentieux adopter des solutions juridiques reflétant des principes opposés. C'est là un beau sujet d'école.
Il y a aussi la continuité des positions du Sénat, que M. le rapporteur général a eu raison de rappeler. Il a d'ailleurs cité, dans son rapport écrit, ce qu'écrivait, en 1991, l'excellent rapporteur spécial des routes, M. Paul Loridant.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Absolument !
M. Philippe Marini. Cela figure dans le rapport, et il me semble tout à fait apportun de relire le paragraphe suivant : « Votre commission peut ainsi prouver qu'elle s'est constamment souciée, sous de nombreux gouvernements, d'une gestion du système autoroutier uniquement tendue vers sa capacité à financer le schéma directeur. Cela n'a pas été le cas des gouvernements, qui ont, dans les années quatre-vingt, obéré les marges des sociétés par une politique tarifaire démagogique et qui, dans les années quatre-vingt-dix, ont utilisé les marges d'augmentation de tarifs plus raisonnables au financement de charges sans lien avec l'exploitation des autoroutes. »
Certes, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est une situation dont vous héritez, et c'est un héritage d'origines très diverses, j'allais dire plus que pluriel (Sourires). Mais sans doute serait-il bon que, à partir de situations de ce genre, on réfléchisse à ce que doivent être les missions de l'Etat.
Si la mission de l'Etat n'est pas d'assurer la sécurité sur les autoroutes, alors à quoi sert l'Etat, et à quoi servent les budgets que nous votons ?
M. René Régnault. Alors, il ne faut pas de concessionnaires !
M. Philippe Marini. C'est une question de principe : qu'est-ce qui doit être à la charge de l'Etat et qu'est-ce qui ne doit pas l'être ? C'est un sujet que je livre à vos méditations, mes chers collègues.
La commission a tout à fait opportunément mis le doigt sur cette plaie, qui résulte d'une mauvaise gestion d'un mauvais système par une succession de gouvernants qui, effectivement, voient les nécessités à court terme et perdent complètement de vue la cohérence de leur action.
M. René Ballayer. Très bien !
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Je veux simplement livrer au Sénat trois réflexions que m'inspire la position du Gouvernement.
Tout d'abord M. le secrétaire d'Etat, rejoint en cela par M. Régnault, a tiré argument du fait que le texte avait été approuvé par le Conseil d'Etat. Si, chaque fois que le Conseil d'Etat donne un avis favorable, cela engage le Parlement, il n'y a plus qu'à supprimer le pouvoir législatif ! C'est ma première réflexion.
M. René Régnault. Ce n'est pas la question !
M. Michel Caldaguès. Ensuite, il y a, bien sûr, cette masse de 3 milliards de francs qui plane sur cette discussion, et qui est très encombrante, mais on ne peut tout de même pas se dispenser, pour autant, d'évoquer les principes ! Si l'on ne peut gagner contre l'Etat, devant le Conseil d'Etat, que lorsqu'il n'y a pas d'enjeu, et que, lorsqu'il y a un enjeu, on ne peut pas gagner parce que cette victoire est corrigée par le pouvoir législatif, où allons-nous ? Et que devient le Conseil d'Etat ? Cette question me laisse quelque peu perplexe.
Enfin, puisque la validation est valable jusqu'à la date de l'arrêt du Conseil d'Etat, il y aura donc deux sortes de concessions autoroutières : les anciennes, qui, grâce à la validation, feront supporter aux concessionnaires des dépenses régaliennes, et des nouvelles, qui ne le pourront plus en raison de la décision du Conseil d'Etat. Nous sommes là dans une confusion totale, sur le plan des principes, et c'est cette confusion que j'ai à l'esprit au moment d'émettre mon vote.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. M. Caldaguès a bien résumé le problème : nous sommes au coeur de la mission du Parlement, à savoir le consentement à l'impôt et le contrôle.
Mes chers collègues, on a tout fait pour éviter que vous n'ayez à statuer sur ce cas. On a tout essayé, y compris en envisageant de créer une redevance, pour éviter d'avoir à passer devant vous. Mais, aujourd'hui, on est acculé à le faire.
Surtout, dites non ! Les Français ne veulent plus de ces dysfonctionnements ! Ils n'acceptent plus de payer avec leurs impôts le produit de ces gaspillages. Ils ne veulent plus de Crédit Lyonnais, qui a tant coûté au pays ! Ils ne veulent plus de Comptoir des entrepreneurs, dont on ne connaît toujours pas les responsables ! Ils ne veulent plus de GAN, dont nous reparlerons ! Ils ne veulent plus de sociétés autoroutières dont on leur a dit qu'elles n'avaient plus les moyens de réaliser des autoroutes alors qu'on leur apprend aujourd'hui qu'on veut leur prélever 3 milliards de francs supplémentaires !
Mes chers collègues, nous sommes là au coeur d'un dysfonctionnement invraisemblable de l'appareil de l'Etat. Nous sommes là au coeur des risques que court notre pays s'il en reste là. Notre pays est aujourd'hui engagé dans une concurrence internationale très vive et il a encore toutes ses chances de gagner. Mais, pour cela, il faut impérativement que l'Etat...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... S'assainisse !
M. Alain Lambert, rapporteur général. ... Oui, s'assainisse - vous avez bien raison, monsieur le président - et se fixe au moins un fonctionnement qui soit digne, respectueux des Français et des contributions qu'on leur demande.
S'agissant des autoroutes, que penser du fait que ce sont les mêmes services qui prennent en compte les programmes qui sont arrêtés, qui fixent les calendriers et qui découvrent au dernier instant que les opérateurs qu'ils ont choisis n'ont pas les moyens de financer - alors qu'ils les contrôlent ?
Et on vous avoue, aujourd'hui, que ces opérateurs, qui n'ont pas les moyens de financer les équipements autoroutiers qu'ils ont programmés eux-mêmes, envisagent de vous demander de valider un impôt de 3 milliards de francs !
C'est une folie, ce qui se passe dans ce pays ! Je ne voudrais pas être désagréable envers les gouvernements, quels qu'ils soient, mais ils font parfois preuve d'un zèle pour couvrir les insuffisances de l'appareil d'Etat qui devient inquiétant pour le pays.
S'il est un endroit, en France, où l'on n'acceptera plus jamais ces pratiques, c'est au Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Caldaguès. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. M. le rapporteur général et certains orateurs ont extrapolé à partir d'un problème qui est assez simple et qui ne justifie pas, en tout cas, de tels développements.
Le Conseil d'Etat a rejeté le fait que les sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui participent normalement à la couverture d'une partie des charges de sécurité, le fassent par le biais de fonds de concours. Il a donc été proposé qu'elles le fassent pas le biais d'une redevance.
Il n'y a pas de prélèvement supplémentaire sur les sociétés d'autoroutes. On pratique simplement une espèce de pontage : on instaure une redevance là où il y avait un fonds de concours.
Ce problème de « tuyauterie » entre les sociétés d'autoroutes et l'Etat ne me paraît pas devoir faire l'objet de tant de développements. En particulier, je ne vois pas le lien entre ce qui est en cause, à savoir la contribution des sociétés d'autoroutes aux charges de sécurité, qu'elles trouvent tout à fait normale, et les extrapolations de M. le rapporteur général.
L'Etat, en matière de concession d'autoroutes, a, certes une responsabilité, mais il n'est pas le seul. Ce qui est en cause, depuis quelques années - je n'en fais pas une question politicienne - c'est le fait que l'on veuille faire financer des autoroutes non rentables, c'est-à-dire sans perspectives de trafic suffisantes, par des sociétés concessionnaires d'autoroutes qui, elles, exploitent des autoroutes rentables.
Je veux bien que s'ouvre, un jour, un grand débat sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Mais, aujourd'hui, le débat est beaucoup plus simple : le Conseil d'Etat n'a pas accepté une certaine forme de transfert des charges de sécurité des sociétés concessionnaires vers l'Etat, à savoir les fonds de concours, mais il accepte les redevances. Tel est le seul objet de l'article en question.
Nous aurons, un jour, l'occasion, je l'espère, de juger de l'ensemble du système des concessions d'autoroute. Des fautes, s'il y en a eu, on pourra alors en trouver, mais sans doute de bien des côtés.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Le problème qui vient d'être soulevé par M. le rapporteur général et qui a été repris par nombre d'intervenants est extrêmement important.
Il met en cause - ce n'est pas la première fois - la gestion de l'Etat, qui a, bien sûr, des répercussions sur le contribuable, que l'on sollicite, à un moment ou à un autre, pour payer les erreurs qui ont été commises.
C'est la raison pour laquelle je demande que le Sénat se prononce sur cet amendement par scrutin public. Ainsi, chacun pourra se déterminer sur cette affaire extrêmement grave et, ce faisant, prendre ses responsabilités, afin que, demain, de tels faits ne se renouvellent point et qu'enfin les gouvernements, quels qu'ils soient, prennent les dispositions nécessaires pour pouvoir réparer les erreurs commises. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 64:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 316159 |
Pour l'adoption | 219 |
Contre | 97 |
En conséquence, l'article 28 est supprimé.
Article 29