M. le président. La parole est à M. Souvet, auteur de la question n° 143, adressée à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, j'ai voulu que cette question soit posée loin de l'effervescence médiatique.
Lorsque l'usine Toyota prévue à Valenciennes sera prête à fonctionner, ce sont 2 000 emplois qui seront créés. On me dira que Toyota aurait pu choisir un autre pays européen ou se contenter d'agrandir le site britannique de Burnaston. J'en conviens.
Mais ce choix de la France par le constructeur japonais n'est pas un hasard. Certes, on peut avancer le « cadeau » qui est fait à une région dans laquelle le chômage est endémique à un haut niveau. J'explique bien cette réaction.
Mais ce choix est dû plus prosaïquement, tout d'abord, au montant des subventions publiques - la région de Valenciennes est classée en zone 1 - mais surtout au fait que la France représente, avec deux millions d'immatriculations par an, le marché le plus important de l'Union européenne, après l'Allemagne.
La part de Toyota en France atteint aujourd'hui à peine 1 % de ce marché. En s'attirant une reconnaissance citoyenne à moindre prix, Toyota peut espérer accroître de façon significative cette part du marché.
Il est peut-être plus grave d'avoir choisi la France qu'on ne le pense. En effet, on officialisera comme constructeur national un concurrent étranger sur le plan commercial. Ce concurrent installera un réseau commercial sur notre sol. Or, monsieur le ministre, vous n'ignorez pas que, actuellement, du fait des difficultés que connaissent Renault et PSA, de nombreuses concessions sont en péril. Elles seront rachetées à bas prix et Toyota bénéficiera alors, sans y mettre le prix, d'un réseau bien installé par les constructeurs français.
Le modèle fabriqué, en l'occurrence la FVN, se situera dans le segment des petites voitures, à savoir le marché favori des Européens. Or ce segment, comme d'ailleurs l'ensemble du marché automobile, n'est pas, loin s'en faut, extensible. Chaque part de marché supplémentaire signifiera nécessairement un recul des ventes des constructeurs français et européens. Ce dernier se traduira par des jours de chômage supplémentaires ou par des plans sociaux de la construction automobile. Un journal paru ce matin dans le pays de Montbéliard pose la question suivante, à la veille de la réunion du comité central d'entreprise : Peugeot a-t-il encore besoin du centre de production de Sochaux, ou va-t-on annoncer sa fermeture ?
Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, que la vente des voitures en France a reculé de 20 % en 1997 et que certains centres de production ont travaillé, durant toute cette année noire, moins de trente heures par semaine. Souffrez que j'ajoute aussi que, lors de crises de la métallurgie par exemple, voilà vingt ou trente ans, les constructeurs français ont été invités à délocaliser une partie de leur production sur les sites en difficulté, ce qui, bien sûr, a eu une incidence sur leurs coûts.
Il est logique que des fonds communautaires, des subventions nationales favorisent l'implantation d'unités industrielles françaises ou communautaires dans des secteurs qui ne connaissent pas de surcapacité. Il est cependant pour le moins risqué d'introduire un concurrent direct dans un secteur très vulnérable.
« Toyota ne peut pas se contenter de sa part de marché actuelle en Europe »: voilà ce que déclarait récemment au journal Les Echos M. Shinji Safkai, directeur général en charge de la stratégie internationale de Toyota. Entre 1985 et 1996, sa production hors Japon est passée de 136 000 véhicules à 1,3 million.
M. Hiroshi Okuda, le président de Toyota, révèle aussi les objectifs offensifs du groupe : vendre plus de voitures que Ford, le numéro deux mondial, et ainsi talonner General Motors.
M. Lempereur, directeur des ventes de Toyota France, fait état des « moyens illimités venant du Japon » afin d'atteindre en France l'objectif de 100 000 ventes annuelles et de 6 % de part de marché le plus vite possible.
Notre appareil de production est vulnérable car beaucoup de salariés chez les Européens totalisent, et c'est tout à leur honneur, de nombreuses années de service au sein de l'appareil de production.
Le concurrent nippon, lui, fort logiquement, ne procédera qu'à l'embauche d'un personnel jeune. Ses coûts ne seront donc pas obérés par ce type de charges sociales, par des salaires plus confortables dus à l'ancienneté ; sa compétitivité s'en trouvera accrue et la concurrence en sera d'autant plus difficile.
De plus, les normes de production sur ce site seront calquées sur celles qui sont préconisées au Japon par Toyota. Ces normes de production, donc la productivité de l'appareil, ne sont plus à la portée d'ouvriers ayant atteint la cinquantaine, mais il faut cependant bien les employer !
J'ai entendu Mme le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle déclarer que nous devions nous mettre à fabriquer comme les Japonais. « Il doit y avoir un problème, disait Mme le ministre, puisque les voitures japonaises sont livrées en quelques jours, alors que les clients français attendent parfois quelques semaines ».
Je partage ce point de vue, à une nuance près : j'aimerais savoir si l'ensemble des ministres sont prêts à accepter une législation à la japonaise qui permettrait d'atteindre les mêmes résultats.
Est-on prêt, par exemple, à embarquer des véhicules sans destination précise et à les transformer sur le bateau avec des monteurs qui ont pris place avec les voitures pour les rendre conformes à la commande qui arrive sur le bateau, sans destination, sans contrôle de la durée et des conditions de travail, sans autre objectif que de vendre, la fin justifiant les moyens ?
En conséquence, monsieur le ministre, à l'occasion de ce qu'il conviendra, je le crains, de baptiser sur le long terme de « victoire à la Pyrrhus », ne pensez-vous pas que la Communauté européenne pourrait être plus sélective quant à l'octroi des subventions à des groupes extra-communautaires dans des secteurs frappés par une surproduction européenne notable, à l'heure où les quotas seront bientôt totalement supprimés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, nous sommes tous deux élus du pays de Montbéliard et je partage, vous le savez, vos préoccupations.
Je pense comme vous que l'industrie automobile européenne - notamment française - est soumise à de fortes contraintes dans un contexte de capacité de production manifestement excédentaire et de concurrence exacerbée au sein de l'Union européenne. Par conséquent, c'est vrai, les autorités nationales et communautaires doivent rester vigilantes.
Toutefois, il me semble que l'implantation de Toyota dans le nord de la France mérite une présentation un peu plus nuancée que le tableau pessimiste, presque apocalyptique, que vous venez d'en dresser.
Cette implantation dans le Hainaut français va effectivement, qui peut le nier, aviver la concurrence à laquelle sont confrontés nos deux constructeurs nationaux. Cependant, il n'y a pas lieu, à mon sens, de concevoir des alarmes excessives ; ils ne le font d'ailleurs pas eux-mêmes.
Qui pourrait, sur les travées de l'opposition, s'opposer au principe même de la concurrence ? C'est elle qui fait progresser l'économie depuis longtemps dans le cadre du marché !
L'accroissement continu des parts de marché de nos constructeurs dans le reste de l'Europe montre qu'ils restent compétitifs et qu'ils sont capables de relever ce défi. Pour ma part, j'ai d'ailleurs toute confiance en eux. Par ailleurs, le marché français, qui demeure leur principal débouché, possède des réserves de croissance substantielles, en particulier après le point bas historique atteint en 1997. Au demeurant, depuis le dernier trimestre de l'an dernier, la demande d'automobiles se redresse, comme l'ensemble de l'économie.
Interrogeons-nous sur les causes du marasme actuel : les aides qui ont été accordées, sous forme de primes à l'automobile, par les gouvernements de MM. Juppé et Balladur ont eu pour effet un accroissement des carnets de commandes, suivi ensuite d'une très profonde dépression. Il faudra, à l'avenir, tirer les leçons de ce genre de procédés et ne pas les renouveler.
A plus long terme, la généralisation du second véhicule, le développement des marchés de « niches » et une accélération du renouvellement du parc - dont l'âge moyen a augmenté au cours de ces dernières années - pourraient donner un coup de fouet salutaire.
Je crois comme vous que l'industrie automobile française n'échappera pas - et elle n'y échappe d'ailleurs pas ! - à un effort d'adaptation permanent et extraordinairement important. Cela passera, c'est certain, par une amélioration de la qualité et de la vitesse de production, et par une réduction des coûts. Reste à savoir comment nous y parviendrons.
Il faudra aussi remédier à un autre problème structurel, que vous connaissez comme moi, à savoir la pyramide des âges, très particulière dans ce secteur. La réduction du temps de travail pourrait, sous des formes adaptées, constituer la réponse qu'attendent nos constructeurs.
En tout état de cause, la décision de créer une nouvelle unité de production en Europe étant prise - et elle appartient entièrement au constructeur japonais - il est bien évident que nous avons tout intérêt à ce que cette implantation se fasse chez nous plutôt que chez nos de ses voisins. A cet égard, on peut considérer qu'elle contribue à corriger un état de fait préjudiciable : la France n'a, jusqu'à présent, accueilli aucune implantation de groupe japonais, bien que les implantations se soient multipliées en Europe depuis 1985.
Cette décision aura des effets bénéfiques pour les équipementiers, dont profiteront d'abord - c'est d'ailleurs bien l'esprit des accords passés avec Toyota - nos constructeurs nationaux. En termes d'aménagement du territoire, cette implantation sera également bénéfique.
En second lieu, vous avez évoqué les aides publiques européennes.
Je veux, pour ma part, combattre l'idée selon laquelle cette implantation s'expliquerait principalement par le montant des aides publiques promises. Or cette idée apparaît implicitement dans votre question.
Je ne citerai pas de chiffres en l'état actuel du dossier, puisqu'il fait encore l'objet de négociations avec Bruxelles ; mais je puis d'ores et déjà dire que le niveau des différentes aides publiques, qu'elles soient d'origine communautaire ou nationale, est faible en proportion du coût total de l'investissement - il est de l'ordre de 4 % à 5 % - et qu'il est en tout cas beaucoup plus faible que celui dont ont bénéficié d'autres projets comparables, qui ont pu atteindre jusqu'à 15 % de l'investissement. Je crois très sincèrement que ce montant d'aides publiques n'a pas été un critère discriminant entre les différents sites envisagés en Europe et en France.
Quoi qu'il en soit, les Japonais « ne font pas de cadeaux », et notre pays doit ce succès à la qualité de sa main-d'oeuvre et de ses infrastructures, à l'implication de ses élus et à son engagement sans faille dans la construction européenne, en particulier en faveur de l'euro.
En vérité, la Commission européenne se montre très sélective dans sa politique d'aide et elle limite strictement les soutiens apportés par les pouvoirs publics nationaux. La situation de l'industrie automobile en Europe l'a en effet conduite à mettre en place dès 1989 un encadrement communautaire spécifique et elle a adopté cette année un dispositif encore plus sévère qui s'appliquera à partir du 1er janvier 1998 aux constructeurs et aux équipementiers de premier rang.
La France a approuvé ce durcissement. La Commission veillera à ce que les aides soient réellement nécessaires et strictement proportionnées à des handicaps locaux, pour éviter toute distorsion de concurrence. Elle vérifiera aussi, et c'est essentiel, qu'elles ne contribuent pas à accroître les déséquilibres entre offre et demande qui existent sur certains segments du marché européen.
Je pense pour ma part, monsieur le sénateur, que notre industrie automobile nationale devra améliorer sa compétitivité. J'ai d'ailleurs toute confiance en elle sur ce point, et je pense, comme vous j'en suis sûr, qu'elle saura répondre aux défis que vous évoquiez.
Enfin, vous avez cité un journal du pays de Montbéliard. Je puis vous indiquer à cet égard que le groupe Peugeot y restera, bien entendu, et que le centre de production de Sochaux, qui est le berceau de cette entreprise, y demeurera implanté. Cela suppose des adaptations, mais celles-ci ne peuvent évidemment pas consister à adopter des législations - ou une absence de législation - à la japonaise. Nous avons notre propre modèle social, et c'est dans ce contexte qu'il convient d'évoluer.
Il est toutefois un point, et j'en terminerai par là, à propos duquel nous devons tous rester très vigilants, à savoir la suite à donner aux accords passés entre la CEE et le Japon, ainsi que leur continuité. Croyez que le Gouvernement y veille !
M. Louis Souvet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la réponse que vous avez bien voulu me donner.
Vous l'avez rappelé, vous représentez comme moi une région où la construction automobile est l'unique industrie depuis la naissance de ce mode de transport. En effet, toute l'économie du pays de Montbéliard est fondée sur la construction automobile et, actuellement, vous ne pouvez l'ignorer, les personnels sont extrêmement inquiets.
Vous dites que vous avez conscience des fortes contraintes qui pèsent sur cette industrie mais que vous voulez en dresser un tableau plus nuancé, puisque j'en aurais, paraît-il, brossé une image apocalyptique, ce que je ne pense pas. J'ai dit simplement que si l'entreprise Toyota vient, comme elle l'a prévu, construire 200 000 véhicules, 100 000 la première année puis 200 000 la deuxième année, il faudra bien les écouler, ce qui se traduira par des pertes de parts de marché.
On ne peut pas s'opposer à la concurrence, dites-vous, mais cette concurrence ne se fait pas à armes égales dans ce cas ! En effet, un constructeur va embaucher des jeunes de vingt à vingt-cinq ans, alors que l'autre devra bien supporter, et vous y avez fait allusion, une pyramide des âges dans laquelle les personnes ayant entre quarante-cinq et cinquante ans sont les plus nombreuses ; ces dernières n'ont pas les mêmes performances physiques et ne peuvent évidemment pas avoir la même rentabilité au travail que des jeunes ! Et je ne parle pas ici des méthodes japonaises, auxquelles j'ai fait allusion tout à l'heure.
La concurrence est d'autant moins égale que Toyota va bénéficier de primes pour l'installation au moment où, vous ne pouvez l'ignorer, Peugeot a dépensé 8 milliards de francs pour moderniser son centre de production de Sochaux, sans aucune aide.
Vous dites par ailleurs que nous avons atteint le point historiquement le plus bas en 1997. On peut s'interroger : les constructeurs français n'iront-ils pas plus bas encore ? Je ne suis pas d'un naturel optimiste, c'est vrai, mais rien ne permet de dire que ce palier historique ne sera pas dépassé !
Je ne nie pas l'effet d'accélération induit par les primes Balladur et Juppé, mais il ne faut quand même pas oublier la volonté de sécuriser et de moderniser notre parc automobile. Cela a tout de même permis de mettre à la casse de nombreux véhicules qui étaient dangereux ! C'est la raison pour laquelle nous nous félicitons aujourd'hui d'avoir fait ce que nous avons fait.
On passera, dites-vous, par une amélioration de la qualité et par une réduction des coûts. Cela entraînera-t-il la fermeture de certains centres ? On peut très sérieusement s'interroger sur ce point. Ainsi, actuellement, un centre comme celui de Sochaux-Montbéliard, dont l'effectif était naguère de 42 000 personnes, ne compte plus aujourd'hui que 19 000 personnes. Doit-on aller beaucoup plus loin encore ? La tentation sera très forte pour certains fabricants !
Je me demande, à cet égard, ce qui va être annoncé au prochain comité central d'entreprise de Peugeot ! Je crois qu'il y a effectivement là de très graves dangers.
Vous dites qu'il est préférable que la concurrence s'implante chez nous plutôt que chez nos voisins. Ce n'est pas du tout l'avis des constructeurs que j'ai entendus sur ce sujet !
Enfin, quand vous dites que les aides publiques ne sont pas supérieures à 4 ou 5 %, je crois que vous en oubliez quelques-unes, parce que à la prime d'aménagement du territoire il faut ajouter les aides des collectivités locales et les exonérations de taxe professionnelle. Tout cela s'additionne, vous le savez fort bien, pour atteindre 17 %. Je ne vois d'ailleurs pas les Japonais se contenter d'un taux de 5 % alors qu'ils peuvent partout ailleurs obtenir 17 % !
Vous dites aussi que Peugeot restera sur le centre de production de Sochaux. J'en accepte l'augure, et je le souhaite évidemment personnellement, mais je m'interroge surtout actuellement sur le bien-fondé des aides que nous apportons aux constructeurs étrangers qui viennent s'installer dans un secteur qui est déjà en surcapacité évidente.
M. le président. Mes chers collègues, toute une série de questions sont maintenant adressées à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement, dont je salue la présence au banc du Gouvernement. Or celui-ci a ce matin d'autres obligations devant l'Assemblée nationale. Par conséquent, je vous demande de respecter le plus rigoureusement possible les temps de parole qui vous sont impartis, afin que M. Gayssot puisse répondre à chacun.
SÉCURITÉ DES LIGNES SNCF