M. le président. La parole est à M. Le Jeune, auteur de la question n° 80, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Edouard Le Jeune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun d'entre nous se souvient de la dramatique collision qui est intervenue le 8 septembre 1997, en Dordogne, au cours de laquelle un train express régional a percuté de plein fouet, à plus de 120 kilomètres-heure, la citerne d'un camion bloqué sur un passage à niveau et transportant une très grande quantité de carburant, avec pour triste bilan treize morts et une quarantaine de blessés.
A l'heure actuelle, la France compte encore 17 800 passages à niveau. Or, de l'avis général, ces points de jonction entre la route et le rail sont bien trop nombreux et doivent en tout état de cause disparaître.
Certes, les décès consécutifs aux collisions ferroviaires - une soixantaine par an en moyenne - ne représentent que 0,7 % du total des tués sur la route, mais les conséquences de ces chocs sont toujours dramatiques. Ils impliquent pour l'essentiel des voitures particulières - 67 % - mais n'épargnent pas les poids lourds et les deux roues.
On compte, en moyenne, un décès tous les six jours sur un passage à niveau et d'innombrables incidents moins graves. En outre, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les passages à niveau munis de quatre demi-barrières sont plus « accidentogènes » que ceux qui ont deux demi-barrières.
Ces accidents sont dus aux infrastructures alentour et au comportement des usagers.
Un passage à niveau situé à proximité immédiate d'une intersection routière pouvant créer des bouchons augmente le risque d'immobilisation d'un véhicule sur les voies. A certains endroits, la signalisation est déficiente ; à d'autres, le passage est construit juste après un virage - tel était le cas pour le très grave accident auquel j'ai fait allusion tout à l'heure.
Quant aux conducteurs, certains ne respectent pas le feu rouge annonçant la fermeture imminente des barrières, et d'autres s'avancent sur le passage à niveau avant la réouverture complète des barrières.
La SNCF a pris l'engagement de ne plus construire de nouveaux passages à niveau et, surtout, d'en faire disparaître 500 par an, remplacés par des ouvrages d'art, ponts ou passages souterrains.
Outre le fait que ces solutions de remplacement coûtent cher - entre 15 millions et 30 millions de francs à chaque substitution - au rythme actuel, il faudra attendre trente-cinq ans avant que l'ensemble des passages à niveau aient été remplacés.
A la vérité, le problème des passages à niveau résulte de leur nature mi-rail mi-route. Il serait donc bon d'aboutir à un plan d'action commun associant à la fois la SNCF et les collectivités en cause, à savoir l'Etat, les départements et, quelquefois, les communes.
Cette action commune devrait s'articuler autour de quatre priorités.
Premièrement : établir un plan d'urgence visant à répertorier et à supprimer les passages les plus dangereux existant encore à l'heure actuelle.
Deuxièmement : repenser le financement, car, comme je l'indiquais tout à l'heure, la suppression d'un passage à niveau coûte entre 15 millions et 30 millions de francs et, de ce point de vue, la SNCF, le ministère des transports et les collectivités territoriales devraient pouvoir s'entendre sur un partage des coûts.
Troisièmement : renforcer la signalisation. Les directions départementales de l'équipement devraient pouvoir assurer un meilleur entretien des panneaux de signalisation avancée. Par ailleurs, l'aspect de ces panneaux devrait être amélioré pour accroître leur impact visuel.
Quatrièmement : développer la formation des conducteurs. En effet, le franchissement d'un passage à niveau, sous tous ses aspects, devrait être systématiquement abordé lors de l'apprentissage de base de la conduite.
En terminant, je livre à la réflexion des ingénieurs des centres d'études et de recherches de la SNCF, dont nul n'ignore la très grande compétence, les suggestions faites dans le courrier des lecteurs d'un grand quotidien de l'ouest de la France, le 12 décembre 1997.
Un compatriote du Morbihan, à la suite d'une collision entre un TGV et un poids lourd en Mayenne, s'exprime ainsi : « On sait se rendre sur la lune, mais on ne sait pas arrêter un TGV en cas d'obstacle sur la voie. Avec tous les moyens dont on dispose - radars, détecteurs d'obstacles, caméras. etc. - c'est un non-sens. »
Un autre compatriote, du Calvados, lui, déclare : « Puisque 80 % des voitures accidentées proviennent de conducteurs ayant délibérément franchi en chicane un passage à niveau fermé, il faut mettre deux barrières de chaque côté.
« Par ailleurs, pour qu'une voiture ne soit pas prise au piège devant une double barrière qui se ferme, il faudrait laisser, entre la ligne du train et les barrières, un espace assez grand pour qu'un camion puisse y stationner le nez contre la barrière sans qu'il y ait collision avec le train qui arrive. »
Monsieur le ministre, la vie de plusieurs centaines de nos compatriotes est en jeu. Aussi, j'ose espérer que le Gouvernement procédera à un examen plus qu'attentif de ce problème. Cela permettra d'éviter que nos successeurs dans cette assemblée n'aient à l'aborder de nouveau dans trente-cinq ans !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, le drame de Port-Sainte-Foy - je m'étais immédiatement rendu sur les lieux avec le président Gallois - a rappelé, une fois encore, les graves problèmes de sécurité liés au croisement entre trafics ferroviaire et routier.
Depuis de nombreuses années, des efforts considérables sont consentis par la SNCF, par les collectivités territoriales et par l'Etat pour améliorer la sécurité des passages à niveau et poursuivre leur suppression - nous en supprimons 400 à 500 par an - car tel est bien l'objectif.
Selon les statistiques, le nombre des collisions aux passages à niveau a ainsi baissé d'un tiers en dix ans ; mais il reste, j'en suis pleinement conscient, encore trop important.
Indépendamment de l'enquête judiciaire diligentée par le procureur de la République, qui établira les responsabilités dans cet accident, j'ai immédiatement désigné une commission d'enquête technique et administrative afin d'en analyser les circonstances et les éventuelles causes techniques. Cette commission vient de me remettre son rapport, qui fait actuellement l'objet d'un examen très attentif par mes services.
Il est important, à ce stade, de rappeler que le transport ferroviaire est l'un des modes de transport les plus sûrs et que, dans la plupart des cas, les améliorations de la sécurité aux passages à niveau sont à rechercher dans l'aménagement routier de ces intersections et, vous l'avez dit, monsieur le sénateur, dans le comportement des usagers.
C'est pourquoi un certain nombre d'études et d'expérimentations vont être menées très rapidement de façon à faire évoluer le comportement de l'usager de la route - j'ai bien entendu votre suggestion pertinente relative à la formation des conducteurs - et à améliorer l'équipement et la « perception » des passages à niveau, comme vous le proposez également à juste titre.
Dans le même temps, il appartiendra à la SNCF, à RFF, aux collectivités locales et à l'Etat de se mobiliser pour mettre en place les conditions d'une amélioration globale de la sécurité des passages à niveau et pour supprimer les plus dangereux d'entre eux en définissant des priorités.
Il faut être conscient que cette action nécessitera un effort financier durable et soutenu de la part des différents partenaires concernés puisqu'il en coûtera environ 200 milliards de francs.
Afin d'engager cette politique, qui devra concerner, dans un premier temps, les passages à niveau les plus dangereux, une enveloppe de 50 millions de francs sera réservée à cet effet dans la programmation 1998 du fonds d'investissements des transports terrestres et des voies navigables que je présenterai prochainement au comité de gestion de ce fonds.
Si j'ai conscience du caractère limité de la somme, cela va néanmoins dans le sens du souhait de plus grande sécurité que vous avez émis, monsieur le sénateur.
M. Edouard Le Jeune. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Le Jeune.
M. Edouard Le Jeune. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Nos points de vue se réjoignent ; mais comment pourrait-il en être autrement ?
Les vies humaines n'ont pas de prix, vous le savez. Il faut toujours rechercher plus de sécurité dans tous les domaines, et je sais que c'est l'une de vos préoccupations majeures.
Vous venez d'indiquer qu'il fallait tendre à plus de sécurité en mer, ainsi que vous l'aviez annoncé, le 31 décembre dernier, à Camaret, où nous assistions ensemble au service célébré pour les disparus en mer du chalutier Toul-an-Trez, à plus de sécurité sur les routes, à plus de sécurité dans les transports ferroviaire et aérien.
Beaucoup a déjà été fait, vous venez de le dire et je le sais. Mais il reste encore beaucoup à faire. La dépense à engager, à savoir 200 milliards de francs, est énorme. En tout état de cause, le Gouvernement, lors des arbitrages financiers, devra respecter les priorités et surseoir aux dépenses de prestige. Ministre combatif, nous savons pouvoir compter sur vous.
POLITIQUE DE LA SNCF EN HAUTE-SAVOIE