M. le président. La parole est à Mme Borvo, auteur de la question n° 94 adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le secrétaire d'Etat, je suppose que vous allez me répondre à la place de M. Allègre.
La question de l'avenir du Muséum national d'histoire naturelle, et plus particulièrement du devenir du musée de l'Homme, se pose.
Les personnels et la direction des institutions concernées sont à l'origine d'un important projet de rénovation du musée de l'Homme qui a été publié en juin 1996 et qui a été soutenu non seulement par de très nombreux scientifiques français et intellectuels de l'Hexagone, je suis heureux de le souligner, mais aussi par des scientifiques du Japon, des Etats-Unis, du Sénégal, d'Indonésie, pour ne citer que quelques exemples. Des hommes publics, comme Nelson Mandela, se sont également exprimés à ce sujet.
Tous voient en ce projet, d'un coût d'environ 400 millions de francs, une continuation de l'oeuvre importante et utile accomplie depuis longtemps par le musée de l'Homme, l'une des très rares structures au monde associant étroitement les arts, les sciences humaines et les sciences de la vie. En effet, les recherches menées par les laboratoires de préhistoire, d'anthropologie biologique et d'ethnologie ne peuvent pas être isolées de celles des vingt-trois autres laboratoires du Muséum.
Cette coopération a d'ailleurs fortement contribué à la découverte fondamentale, au moyen notamment de la génétique des populations, d'une même communauté d'individus qui, au travers de l'histoire, a peuplé la Terre, démontrant par là même l'unité fondamentale du genre humain. En ces temps de recrudescence du racisme, il est bon de le rappeler.
Tout cela permet de continuer auprès du public, notamment auprès des enfants, le travail pédagogique qui contribue à faire reculer l'ignorance et les idées les plus rétrogrades, car une vulgarisation de haut niveau ne peut se concevoir sans une recherche de haut niveau.
Cette recherche nécessairement pluridisciplinaire est restée la ligne directrice du Muséum national d'histoire naturelle, dont le musée de l'Homme est une des composantes depuis sa création et, avant lui, c'était l'idée maîtresse de Buffon.
Sachant cela, il n'est pas étonnant que le musée de l'Homme ait été un haut lieu où la résistance au nazisme s'est manifestée sous l'Occupation.
Les mêmes intellectuels s'inquiètent du projet d'un futur Musée de l'homme, des arts et des civilisations, plus connu sous le nom de « musée des Arts premiers », appellation plaquée sur la notion moderne de beaux-arts qui est étrangère à ces cultures.
Loin des querelles partisanes et parisiennes, il s'agit de montrer qu'on ne saurait réduire l'humanité africaine, océanienne, etc., à des productions artistiques, aussi fortes qu'elles puissent être. La présentation dans une optique essentiellement esthétisante de ce que l'Occident a classé en chefs-d'oeuvre de ces « arts premiers » serait manifestement trahir les civilisations qui les ont produits. La situation est à cet égard radicalement différente de celle des grands arts historiques européens, dont le contexte général n'est évidemment pas complètement inconnu du public. Bien entendu, la dimension artistique n'est pas niée, pourvu que la mission scientifique du musée soit retenue.
Aussi je souhaite vous poser la question suivante, monsieur le secrétaire d'Etat : quels sont les projets du Gouvernement pour faire en sorte que la salle aménagée au Louvre et le nouveau Musée de l'homme, des arts et des civilisations soient dotés des dimensions scientifiques et de communication sur la diversité des cultures qui conviennent de nos jours et pour que le musée de l'Homme dispose des moyens de se redéployer et ainsi de continuer d'être l'un des tout premiers musées d'anthropologie et de sciences humaines dans le monde ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Je vous prie d'excuser M. Claude Allègre, qui est retenu par des obligations.
Il m'a demandé de vous dire d'emblée qu'il n'a jamais été question, dans une quelconque déclaration officielle, d'un démantèlement du musée de l'Homme et du Muséum national d'histoire naturelle.
Ce dossier a fait l'objet de nombreuses rumeurs et l'irrationalité l'a emporté trop souvent sur le bon sens et sur ce qui devrait être la bonne approche méthodologique des problèmes. C'est pourquoi M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie vous remercie de lui donner, par mon truchement, l'occasion de vous faire connaître clairement la position de son ministère sur les nombreuses questions que soulève la création d'une nouvelle structure appelée, vous l'avez dit, « musée des Arts premiers ».
Vous le savez, le précédent gouvernement, conformément à la volonté du Président de la République, s'est engagé autour de la création d'une nouvelle structure muséographique. Cette volonté a été concrétisée et officiellement validée par une réunion des ministres du précédent gouvernement en mai 1997. Ce texte est, pour le moment, le seul texte d'engagement sur ce dossier.
Outre cet engagement, la continuité de l'Etat nous impose de considérer ce dossier avec attention. Toutefois, un changement de gouvernement est également intervenu. C'est pourquoi, afin d'affirmer ou de réaffirmer les positions précédentes, le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, ainsi que sa collègue Mme Trautmann, ont demandé à M. le Premier ministre d'organiser une nouvelle réunion des ministres sur ce sujet.
M. Allègre a fait savoir également que, pour préparer avec toute la rigueur nécessaire les décisions qui devront être prises à cette occasion, il fallait mettre à plat ce dossier et l'aborder avec de nouvelles méthodes.
Que faut-il entendre par « nouvelles méthodes » ? Il s'agit, pour l'essentiel, d'aborder ce dossier qui concerne de très près un établissement de recherche et d'enseignement supérieur, en respectant le principe d'autonomie d'établissement, principe qui a été la règle sur laquelle M. Allègre a travaillé lorsqu'il collaborait avec M. Lionel Jospin, alors chargé de l'éducation nationale.
Toute la politique de l'enseignement supérieur repose sur un principe de contractualisation. Il n'y a pas de raison d'y faire exception aujourd'hui ; il n'y a pas de raison de traiter ce dossier avec autoritarisme comme a pu le faire le précédent gouvernement, ce qui a contribué à créer le climat d'inquiétude et d'hostilité que vous évoquez dans votre question.
J'ajoute - c'est une remarque personnelle - que M. Allègre étant un scientifique de renom, il n'y a pas de raison qu'il remette en cause, par un démantèlement insidieux, des structures de recherche et un établissement, le musée de l'Homme, dont vous avez rappelé l'histoire glorieuse et la spécificité scientifique.
La dimension scientifique du projet, le respect des institutions existantes et des hommes qui y travaillent seront les lignes de conduite du ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. De toute façon, si ce nouveau musée n'avait pas de dimension scientifique, il n'y aurait pas de raison qu'il intéresse l'éducation nationale.
L'éducation nationale est donc prête à réfléchir à un projet de qualité, intégrant toutes les possibilités de diffusion au public liées aux nouvelles technologies, ouvert à la recherche dans les disciplines concernées par les civilisations, marquant le souci d'avoir une dimension internationale, innovant en matière de présentation d'objets qu'il importe de savoir expliquer et faire parler, bref, un Musée des arts, de l'homme et des civilisations, dont notre pays pourrait tirer un grand rayonnement.
C'est la raison pour laquelle Catherine Trautmann et Claude Allègre ont confié une mission à M. Maurice Godelier, qui, en tant que directeur du projet scientifique, examinera tous les aspects concernant la recherche et l'enseignement supérieur. Il sera chargé de veiller à ce que la dimension scientifique du futur musée soit correctement menée et respecte les institutions existantes.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je vous remercie de m'avoir entendue, me semble-t-il, monsieur le secrétaire d'Etat.
Je souhaite insister sur la nécessité d'engager un dialogue sérieux avec l'équipe du musée de l'Homme, dont le projet de rénovation ouvre des perspectives réalistes. Il serait évidemment tout à fait utile de s'y référer.
La rénovation du musée de l'Homme est essentielle pour que, face à un déferlement télévisuel d'images exotiques, plus au moins authentiques, choisies pour leur valeur esthétique ou leur caractère insolite, on puisse trouver, en un lieu garant d'une certaine authenticité, des films et des documents ethnographiques concernant la vie et les coutumes de sociétés qui ont été exposées à tant de manipulations.
Il s'agit de garder, pour les générations nouvelles, les témoignages, les documents, les images et les informations les plus riches et surtout les plus complètes possible sur la vie et la culture des sociétés traditionnelles et actuelles.
Il s'agit également de sauvegarder et de développer les recherches biomédicales et de sciences humaines qui s'y poursuivent sur les populations actuelles du monde entier.
Par conséquent, il s'agit d'une question très importante. Aussi je souhaite que le problème du coût ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre d'un tel projet.

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