M. le président. La parole est à Mme Dieulangard, auteur de la question n° 78, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Madame la ministre, la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution a marqué la volonté des pouvoirs publics de rationaliser les procédures d'exécution afin d'améliorer l'efficacité de la justice.
Parmi les mesures relatives aux modalités de l'exécution forcée, la loi prévoit, dans son article 32, que les frais engagés sont « à la charge du débiteur ». Il s'agit là d'une disposition légitime : comment pourrait-on justifier, en effet, qu'un créancier doive supporter les frais d'une procédure visant à faire respecter un droit ?
Parmi ces frais figurent ceux qui sont induits par le recours aux huissiers de justice.
Un décret du 12 décembre 1996 est venu fixer les nouveaux tarifs de cette profession qui, il est vrai, n'avaient pas été revalorisés depuis 1967. Or, à la lecture de l'article 10 de ce décret, le législateur peut s'interroger sur ce qui a inspiré le pouvoir réglementaire lorsqu'il a déterminé une nouvelle répartition des frais d'huissiers, supportés désormais par les deux parties.
Cet article prévoit en effet que, lorsque les huissiers recouvrent ou encaissent des sommes dues par un débiteur, il leur est alloué, en sus d'un droit pesant sur le débiteur, un droit proportionnel dégressif à la charge du créancier, et ce alors même qu'ils interviennent en vertu d'un titre exécutoire. Le décret indique les pourcentages dégressifs selon les sommes recouvrées.
Madame la ministre, le Gouvernement que vous représentez n'est pas à l'origine de cette mesure, mais je souhaite attirer votre attention sur ses incidences concrètes.
Ainsi, ce nouveau mode de rétribution a pour conséquence première de renchérir le coût de l'accès à la justice alors même que le citoyen hésite souvent à faire valoir ses droits devant le juge tant les obstacles sont nombreux.
Cette disposition s'applique également aux personnes qui bénéficient de l'aide juridictionnelle, alors que la précarité de leur situation justifie l'intervention de la solidarité de la collectivité.
Elle a, bien entendu, un effet dissuasif sur les personnes qui ont des créances relativement modestes à recouvrer, et je pense tout particulièrement ici à un grand nombre de femmes qui entendent obtenir le versement de leur pension alimentaire.
Madame la ministre, vous êtes particulièrement attachée à l'amélioration des relations entre les Français et ce service public singulièrement sensible qu'est la justice. Vous souhaitez combattre une crise de confiance qui prend notamment ses racines dans la lenteur, la complexité et le coût des procédures.
Dans cette entreprise, ne serait-il pas opportun de revoir le mode de calcul de la tarification des prestations fournies par les huissiers de justice ?
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie, madame la sénateur, d'appeler mon attention sur la question des tarifs des huissiers de justice en matière civile et commerciale, qui suscite, vous l'avez souligné, et on le comprend, beaucoup de réactions.
Je précise tout d'abord que l'institution par l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 du droit proportionnel du tarif des huissiers de justice découle de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, qui a revalorisé les titres exécutoires et renforcé le rôle de l'huissier de justice dans les procédures d'exécution.
Je rappelle par ailleurs que ce droit proportionnel, qui existait déjà pour partie dans le système tarifaire antérieur, est, d'une part, plafonné et, d'autre part, incompatible avec la perception d'honoraires libres.
La question relative à la compatibilité de l'article 10 avec l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 a été soumise au Conseil d'Etat, et il appartiendra à cette haute juridiction de se prononcer.
Je suis, bien entendu consciente des difficultés pratiques et juridiques que la mise en oeuvre de ce droit a pu engendrer. Je peux ainsi vous annoncer qu'à ma demande des travaux ont d'ores et déjà été engagés en vue de modifier le champ d'application de l'article 10 selon les types de créances et en fonction de la mission donnée à l'huissier.
C'est ainsi qu'un texte est en cours de rédaction afin de faire disparaître les dispositions les plus critiquées. Seront ainsi notamment revus les droits dus par les créanciers pour des sommes relatives à la vie quotidienne, comme les créances alimentaires, auxquelles vous avez fait allusion, ou les créances prud'homales. Un décret en ce sens devrait pouvoir être publié d'ici à trois mois.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je vous remercie, madame la ministre, car les perspectives de réforme que vous venez d'ouvrir devraient permettre de corriger les anomalies évidentes et un certain nombre d'injustices, sans mauvais jeu de mots, engendrées par le régime de tarification défini en 1996.
Surtout, elles laissent envisager que l'accès au service public de la justice sera facilité, notamment pour les personnes qui bien que dans leur bon droit hésitaient jusqu'alors à engager des procédures trop coûteuses au regard de leur résultat prévisible, ces procédures étant d'autant plus coûteuses qu'en France les frais d'avocat ne sont pas compris dans les dépens.
Je crois par ailleurs que, si l'on peut à la rigueur admettre un renchérissement de la procédure dès lors que le procès est évité, on peut difficilement l'accepter dans l'hypothèse où le procès a eu lieu.
L'exécution d'une décision peut atteindre un coût exorbitant, et cela totalement indépendamment de la difficulté du recouvrement puisque le droit perçu est déterminé en fonction de la somme à recouvrer et non pas en fonction de la difficulté de l'exécution.
Je vous remercie donc, madame la ministre, de l'attention que vous portez à ce problème.
SITUATION DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE
DE TOULOUSE