RECRUTEMENT EXCEPTIONNEL
DE MAGISTRATS DE L'ORDRE JUDICIAIRE
Adoption d'un projet de loi organique
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique (n° 206,
1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, portant recrutement exceptionnel
de magistrats de l'ordre judiciaire et modifiant les conditions de recrutement
des conseillers de cour d'appel en service extraordinaire. [Rapport n° 216
(1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Mesdames, messieurs les
sénateurs, j'ai présenté, le 29 octobre dernier, les grands axes de la réforme
de la justice que j'ai engagée.
La réussite de cette indispensable réforme passe par une augmentation des
moyens qui lui sont alloués et par une meilleure utilisation des ressources
ainsi dégagées pour moderniser l'institution judiciaire.
La nécessité de donner à la justice les moyens nécessaires à son
fonctionnement fait aujourd'hui l'objet d'un consensus auquel je suis
particulièrement sensible.
A l'occasion du débat budgétaire, la Haute Assemblée a bien voulu souligner,
par un vote unanime, l'effort budgétaire réel consenti en faveur du ministère
de la justice en 1998. Je rappelle que, dans le contexte actuel de réduction du
déficit public, ce bon budget, en hausse de 4 %, venait se cumuler avec la
sortie intégrale du « gel » budgétaire imposé en 1997 par le précédent
gouvernement. Je remercie donc encore une fois le Sénat de son vote unanime sur
mon budget.
Le 22 janvier prochain, nous aurons un débat plus approfondi sur les
orientations de la justice, qui s'étalera sur les trois années à venir.
Je sais combien votre assemblée a toujours manifesté le souci d'apporter sa
contribution à la réflexion sur les indispensables évolutions de l'institution
judiciaire. Les rapports de MM. Haenel et Arthuis, d'une part, de MM. Jolibois
et Fauchon, d'autre part, constituent en ce sens des documents de référence.
Ces deux rapports, pour ne citer qu'eux, insistent particulièrement sur la
nécessité, que je partage entièrement, d'améliorer en tout premier lieu le
fonctionnement quotidien des juridictions.
Ainsi, la mission d'information chargée d'évaluer les moyens de la justice,
constituée sur l'initiative de M. le président Larché, présidée par M. Jolibois
et dont M. Fauchon était le rapporteur, avait déjà fait, en 1996, le constat de
l'asphyxie des juridictions.
En arrivant dans ce ministère, malgré les promesses de tous mes prédécesseurs
de réduire les délais de jugement, j'ai pu, moi aussi, constater que, en dépit
des efforts des magistrats et des fonctionnaires, les délais de traitement des
affaires par les juridictions sont souvent excessifs, et que l'importance des
stocks d'affaires à juger rend difficile la résorption des retards.
C'est ainsi, par exemple, que, dans une chambre sociale de cour d'appel qui
compte plus de 6 500 affaires en stock, les magistrats doivent fixer des dates
de plaidoirie au-delà de l'an 2000, c'est-à-dire que les justiciables reçoivent
aujourd'hui des convocations pour dans quatre ans. L'Etat vient même d'être
condamné par le tribunal de grande instance de Paris à verser des dommages et
intérêts en raison du trop long délai imposé à un justiciable - pour
licenciement abusif - devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Dans votre rapport « Quels moyens pour quelle justice ? », vous avez formulé
des propositions qui reposent sur des axes rejoignant pour beaucoup mes
orientations : réforme pragmatique de la carte judiciaire, amélioration du
fonctionnement interne des juridictions, modernisation des procédures...
Les réformes que j'engage ne pourront naturellement produire leurs effets qu'à
moyen terme. Or je souhaite que les choix budgétaires du Gouvernement
produisent au plus tôt leurs effets positifs pour les justiciables et pour tous
ceux qui travaillent dans les juridictions.
Dans l'immédiat, je me situe dans une approche très « réaliste », ainsi que
vous l'avez souligné dans votre rapport, monsieur le rapporteur. J'ai décidé
d'avancer rapidement, dans le cadre de mesures d'urgence, pour renforcer les
juridictions à la fois en fonctionnaires des greffes et en magistrats, afin que
les réponses de la justice s'effectuent dans des délais raisonnables.
Actuellement, 216 postes budgétaires de magistrats, soit près de 3,5 % de
l'effectif budgétaire, sont vacants. S'ajoutent à ce chiffre les 70 emplois qui
viennent d'être créés au budget pour 1998. La crédibilité de nouvelles demandes
de création d'emplois par le ministère de la justice impose de pourvoir ceux
dont il dispose déjà.
Ainsi que je l'avais annoncé dans ma communication du 29 octobre 1997, afin de
répondre aux situations des juridictions les plus en difficulté, j'ai décidé de
traiter prioritairement cette question d'effectifs de magistrats, en même temps
que celle des effectifs de fonctionnaires. Il s'agit là d'un signe important en
direction de tous les personnels de justice.
En ce qui concerne les fonctionnaires de greffe, la sortie du « gel »
budgétaire en 1997 ainsi que le bon budget que vous avez voté pour 1998 vont
produire rapidement leurs effets dans les juridictions.
C'est ainsi que 44 greffiers en chef et 240 greffiers seront recrutés en 1998,
que 545 nouveaux agents de catégorie C issus des listes supplémentaires de
concours ont commencé à être affectés depuis le début de l'année, et que 230
nouveaux assistants de justice viendront aider les magistrats dans la
préparation de leurs décisions.
Il faut aussi accélérer l'arrivée de nouveaux magistrats. Les concours
exceptionnels que je vous propose doivent répondre à deux critères : la qualité
du recrutement et la rapidité de l'arrivée en juridiction.
Aujourd'hui, le rapport de M. Fauchon le rappelle, il existe quatre modes de
recrutement habituels. Mais, hélas ! ils ne permettent pas de répondre à ce
besoin urgent.
Ainsi, le recrutement ordinaire par l'Ecole nationale de la magistrature est
assorti d'un délai d'environ trois ans et sept mois et un concours ouvert en
1998 ne permet l'affectation de magistrats en juridiction qu'en septembre
2001.
De plus, les autres modes de recrutement ordinaires sont insuffisants pour
remédier au déficit exceptionnel que nous avons à affronter.
Quant au recrutement sur titres, nous savons bien que le nombre de magistrats
recrutés de cette manière n'excède pas une vingtaine par an.
De même, le détachement judiciaire, ouvert aux membres des corps issus de
l'Ecole nationale d'administration ainsi qu'aux professeurs et maîtres de
conférences des universités, est encore trop méconnu. J'ai sur ce point, en
liaison avec mes collègues de l'éducation nationale et de la fonction publique,
engagé une information et des démarches qui devraient bientôt produire leurs
effets.
Par ailleurs, la procédure actuelle de recrutement des conseillers de cour
d'appel en service extraordinaire, trop contraignante, n'a pas permis jusqu'à
présent de donner à ce mode de recrutement une ampleur suffisante.
Tout cela pour rappeler que, bien que nous ayons quatre modes de recrutement
habituels, nous n'arrivons cependant pas à pourvoir tous les postes vacants.
C'est la raison pour laquelle je vous présente un projet de loi organique qui a
un double objet : d'une part, ouvrir le recrutement exceptionnel de magistrats
de l'ordre judiciaire par concours et, d'autre part, rendre plus efficace la
procédure de recrutement des conseillers de cour d'appel en service
extraordinaire.
Je veux revenir un instant, maintenant, sur les deux concours exceptionnels de
magistrats.
Ce projet a pour objet d'autoriser, en 1998 et 1999, un recrutement de cent
magistrats par an par trois concours exceptionnels : le premier, de cinquante
magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire ; le deuxième, de
quarante conseillers de cour d'appel du second grade ; le troisième, de dix
conseillers de cour d'appel du premier groupe du premier grade.
Ces magistrats, si vous permettez que le concours de 1998 soit lancé très
rapidement, seront recrutés dans le courant du second semestre 1998 et pourront
arriver en juridiction dès juillet 1999, c'est-à-dire que nous aurons gagné un
an et demi. Nous ouvrirons le concours dès le début de 1998 et, après la
période de recrutement et de formation, les cent nouveaux magistrats seront en
juridiction dès juillet 1999. Je vous rappelle le délai de trois ans et sept
mois par l'intermédiaire de l'Ecole nationale de la magistrature.
Ce recrutement s'adressera à des candidats titulaires d'un diplôme du niveau
de la maîtrise, satisfaisant à une condition d'âge et justifiant d'une
expérience professionnelle d'une durée variable selon le niveau hiérarchique de
nomination.
En ce qui concerne le concours institué pour le recrutement de magistrats du
second grade, une réduction de la durée d'activité professionnelle est
instituée au bénéfice des membres des professions judiciaires et des agents de
l'Etat, en raison, pour les premiers, de leur connaissance du monde judiciaire
et, pour les seconds, de leur culture de service public.
Les concours exceptionnels précédemment organisés en 1981, en 1983 et en 1991
ont été marqués par une forte sélectivité - on comptait en effet un admis pour
quatorze candidats en 1991 - ce qui est l'un des signes d'un recrutement de
qualité.
La qualité de ce recrutement sera garantie par le caractère fortement
juridique des épreuves des concours. Je sais, mesdames, messieurs les
sénateurs, que vous êtes particulièrement attachés à cette garantie de
qualité.
La qualité de ce recrutement sera également garantie par la formation qui sera
dispensée aux candidats admis et qui sera centrée sur l'adaptation aux
fonctions et l'éthique du magistrat. Cette formation, d'une durée de six mois
avant l'entrée en fonctions, n'aura pas un caractère probatoire. Tel était déjà
le cas lors des précédents concours exceptionnels. A cette formation initiale
s'ajoutera une formation continue obligatoire d'une durée de deux mois pendant
les quatre premières années de fonctions.
Ce recrutement permettra, en outre, d'ouvrir le corps judiciaire à des
personnes venant d'horizons professionnels variés, telles que les professions
judiciaires, en particulier les avocats, les agents de l'Etat et les cadres du
secteur privé, y compris à des niveaux de responsabilité.
Je tiens cependant à rappeler que le recrutement par la voie classique des
concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature - qui représente 84 %
des magistrats actuellement en fonctions - est et demeurera le mode d'accès
principal à la magistrature. La qualité des magistrats qui sortent de l'ENM est
unanimement reconnue. J'entends à cet égard augmenter dans les années à venir
le nombre des postes offerts à ces concours.
M. Robert Badinter.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'en viens maintenant aux conseillers de cour d'appel
en service extraordinaire. C'est le deuxième projet de loi organique que je
soumets à votre approbation.
Il est nécessaire, me semble-t-il, d'optimiser le recrutement des conseillers
de cour d'appel en service extraordinaire.
Une première évaluation réalisée en liaison avec les chefs de cour fait
aparaître que cette voie de recrutement est particulièrement intéressante ;
elle permet d'apporter aux juridictions du second degré les plus en difficulté
un appui appréciable. Toutefois, la procédure actuelle de recrutement se révèle
trop lourde s'agissant de nominations pour une durée limitée de candidats
justifiant d'une expérience professionnelle importante.
C'est pourquoi ce projet apporte quatre modifications au système existant.
Le nombre maximal de conseillers de cour d'appel en service extraordinaire
susceptibles d'être recrutés d'ici au 31 décembre 1999 serait porté de trente à
cinquante.
La durée d'exercice de leurs fonctions passerait de cinq à dix ans.
Le recrutement de ces magistrats dans les cours d'appel de Paris et Versailles
serait également rendu possible.
Le caractère probatoire de la période de formation est supprimé, l'expérience
professionnelle importante requise des candidats étant de nature à permettre de
vérifier leur aptitude générale à l'exercice de fonctions judiciaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte n'a pas la prétention de régler
l'ensemble des problèmes auxquels la justice est aujourd'hui confrontée, bien
entendu. Ces problèmes appellent des réformes profondes dont nous débattrons le
22 janvier prochain. Ce texte néanmoins, j'en suis persuadée, contribuera à
apporter aux juridictions un renfort rapide et de qualité en magistrats,
renfort indispensable compte tenu de l'augmentation des contentieux et de la
durée de leurs délais de traitement.
Il s'agit donc d'un premier pas. Nos concitoyens ont droit à ce que les
jugements et les arrêts soient rendus dans des délais raisonnables.
L'accélération du recrutement de magistrats constitue l'un des moyens de
répondre mieux à leurs attentes.
Je souhaite que le texte que je vous propose aujourd'hui nous permette
ensemble de concrétiser rapidement l'objectif que, je sais, nous partageons,
celui de l'amélioration du fonctionnement quotidien du service public de la
justice, gage indispensable de sa modernisation.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, je me bornerai à quelques
brèves observations à l'égard d'un projet de loi organique dont le caractère
technique est évident, nous l'avons tous compris, et qui, je le dis d'emblée,
répond bien aux préoccupations de la commission des lois. Celle-ci, en effet,
essaie de maintenir une pression à travers différents rapports et les prises de
conscience qu'elle a un peu provoquées sur cette question des moyens ordinaires
de la justice, qui passionne peu les grands médias nationaux et alimente peu
les grands débats de politique, mais qui intéresse énormément nos régions, nos
provinces et nos département.
Je salue d'ailleurs au passage les Normands qui sont présents dans cette
salle, sachant que la Normandie est particulièrement attentive aux problèmes
juridiques en vertu de traditions qui sont séculaires.
Il ne s'agit pas ici de débattre, d'une manière générale et philosophique, en
quelque sorte, du recrutement, de la formation des juges et moins encore de
leur statut. Il s'agit simplement de réaliser, en deux ans, un recrutement
accéléré et important : 100 magistrats par an destinés à faire face à une
situation de vacance qui est véritablement, on peut bien le dire, déplorable et
même surprenante puisqu'elle porte, ainsi que vous l'avez dit, madame la
ministre, sur 216 postes, et que l'on aboutirait, semble-t-il, à un nombre
encore plus élevé de postes si l'on ne prenait pas rapidement des mesures.
Vous avez expliqué les raisons de ces retards dus à la durée des études et au
fait qu'il ne suffit pas de créer des postes dans un budget pour que, le
lendemain, on ait des résultats concrets sur le terrain. Il existe un décalage
d'au moins trois ans et demi. Il faudra pourvoir 306 postes de magistrats en
1998 alors que l'Ecole nationale de la magistrature ne fournira que 145
magistrats, soit moins de la moitié, et que le recrutement latéral, qu'il
serait peut-être bon d'encourager - nous nous sommes d'ailleurs interrogés sur
le faible rendement de ce recrutement - ne permettra d'en remplir qu'une
trentaine, auxquels ne pourront s'ajouter que vingt-six conseillers de cour
d'appel en service extraordinaire. En fin d'année, le déficit serait donc d'une
centaine de postes.
La commission approuve tout à fait ces mesures de recrutement par concours
exceptionnel.
Elle approuve aussi la proposition de réserver certains de ces postes aux
cours d'appel dans lesquelles une dramatique carence se fait sentir. Cette
mesure touche pratiquement la moitié des postes pour lesquels vous prévoyez un
recrutement. Dix magistrats du premier groupe du premier grade seraient même
recrutés directement. Entre parenthèses, je ferai remarquer qu'en matière de
grade il vaut mieux se situer dans le premier plutôt que dans le second et
qu'en matière de groupe il vaut mieux être dans le second plutôt que dans le
premier. On met un certain temps à s'habituer à cette gymnastique de
vocabulaire entre les grades et les groupes, mais on finit par s'y faire !
(Sourires.)
Il s'agit, vous l'avez dit, madame la ministre, de répondre à la
situation critique de certaines cours d'appel. Certains de nos collègues ont
cru souhaitable d'aller encore plus loin en augmentant le nombre de ces postes
du premier grade. Nous évoquerons ce point tout à l'heure à l'occasion de l'un
des amendements.
La commission approuve également tout à fait les conditions de recrutement
proposées : les conditions de diplôme, qui sont communes à tous les niveaux
hiérarchiques, et les conditions d'âge, qui tiennent compte de ces différents
niveaux, ce qui me paraît logique.
Certes, les modulations de l'âge de recrutement selon le niveau hiérarchique
sont un peu compliquées, mais il est normal de tenir compte de la sensibilité
des professionnels de la magistrature qui pourraient ne pas accepter facilement
de voir de tout jeunes gens arriver à des niveaux égaux ou supérieurs au leur.
Il y a un équilibre à respecter.
Nous approuvons aussi l'exigence d'expérience professionnelle.
D'une manière générale, nous croyons beaucoup à la valeur de l'expérience ;
elle est de moins en moins considérée dans les sociétés modernes, mais le Sénat
reste fidèle à l'idée que c'est une garantie de capacité au moins égale à
beaucoup d'autres, notamment à celle que procure la formation théorique.
On admet que cette expérience ne soit pas nécessairement d'ordre juridique. Il
eût été souhaitable de ne prendre en compte que l'expérience acquise dans les
domaines juridiques, mais il semble qu'il faille élargir le recrutement, en
contrôlant par concours les connaissances juridiques des candidats.
Nous approuvons donc le système du concours, concours très sérieux, fondé non
pas sur les titres et travaux antérieurs des candidats, ce qui est une approche
incertaine, mais sur le niveau actuel de leurs connaissances, de leur
formation, de leur culture juridique et de leurs capacités d'analyse.
Ce concours comporte un écrit qui se compose lui-même d'une consultation,
d'une note de synthèse et d'une composition. Cet écrit est suivi d'un oral - la
capacité d'expression orale a aussi son importance - portant notamment sur un
domaine choisi par le candidat entre le droit social, le droit commercial, la
procédure civile et la procédure pénale. Tout cela nous semble opportun.
Nous espérons naturellement que ces concours seront mis en oeuvre avec la
rigueur voulue. Nous sommes d'ailleurs convaincus que, hélas ! pour des raisons
qu'il n'est pas nécessaire de développer, les candidats seront nombreux, ce qui
permettra d'opérer une sélection satisfaisante.
Enfin, nous sommes favorables à une formation rémunérée, à condition qu'elle
soit brève et ne soit pas probatoire, la décision de recrutement étant déjà
prise.
Il est prévu une formation théorique d'un mois à l'école et cinq mois de stage
en juridiction. Au cours de ce dernier, les intéressés commenceront à rendre
des services du type de ceux que rendent les assistants de justice ; ils ne
seront pas de simples spectateurs.
A cela s'ajoute une formation permanente de deux mois, répartie, selon ce que
nous avons compris du projet de décret d'application, sur les quatre premières
années d'exercice et non pas par an. Notre collègue M. Dreyfus-Schmidt, qui
s'inquiétait à ce sujet, peut être tout à fait rassuré.
Je n'ai rien à ajouter sur ces points qui concernent les principaux articles
du projet de loi.
S'agissant des conseillers de cour d'appel en service extraordinaire, dont le
Sénat a contribué à la création, à la demande de l'un de vos prédécesseurs, par
la loi de 1995, nous croyons bon effectivement d'en porter le nombre de 30 à
50. Il nous semble opportun également d'en prévoir le recrutement direct au
second groupe du premier grade. Ce processus est assez exceptionnel, il faut
bien le dire, mais nous sommes conscients des carences qu'il faut absolument
combler. Je pense aux cours d'appel de Paris et de Versailles, qui ont déjà été
mentionnées.
Nous approuvons l'allongement de la durée d'exercice des fonctions de ces
conseillers. Le projet de loi avait allongé cette durée de cinq à huit ans.
L'Assemblée nationale l'a portée à dix ans. Cette disposition est destinée à
favoriser une liaison entre la vie professionnelle et la retraite sans hiatus.
En effet, que deviendraient les intéressés s'ils cessaient de remplir leur
fonction un an ou deux ans avant la retraite ? Cette mesure me paraît tout à
fait logique et raisonnable.
Bien sûr, nous acquiesçons au caractère non probatoire du stage : on ne peut
pas demander en effet à des personnes pourvues d'une telle expérience
professionnelle et se soumettant à une sélection d'avoir ensuite à subir, à un
âge qui n'est plus celui de l'étudiant, l'épreuve d'un stage de formation dont
le résultat pourrait ne pas être positif. Par conséquent, ce stage n'est pas
obligatoire, mais il est prescrit dans un grand nombre de cas, et il est tout à
fait normal que ceux qui le subissent le fassent dans des conditions de
sécurité.
Il y a aussi - j'ai remarqué que vous ne les avez pas mentionnés, madame la
ministre, j'ignore pourquoi - les magistrats exerçant à titre temporaire.
Il s'agit d'une forme très originale de recrutement de magistrats qui
s'adresse à des personnes parvenues à la fin de leur vie professionnelle.
On peut penser - cette pensée sera celle de l'assemblée générale des cours
d'appel, approuvée par les commissions d'avancement ; nous avons donc des
garanties - on peut penser, dis-je, qu'un certain nombre de personnes ayant
passé une partie de leur vie à « ferrailler » dans la situation d'avocat
choisiront, disons à l'anglaise - en Angleterre, c'est ainsi que sont retenus
un certain nombre de magistrats - de passer à la situation de juge. Nous
croyons qu'il y a là une ressource importante de recrutement.
Nous avons déjà évoqué les voyages que nous avons effectués en Angleterre, au
cours desquels nous avons étudié ces juridictions qui, depuis Henri II, qui fut
d'ailleurs souverain de Normandie, d'Anjou et d'Aquitaine, pratiquent cette
justice de magistrats de cour, où les quatre cinquième des magistrats
proviennent de la société civile.
Ce système fonctionne tellement bien que l'on n'en parle pas. En tout cas, il
permet au Royaume-Uni de traiter une grande partie du contentieux de masse.
Par conséquent, nous sommes attentifs à la situation de ces magistrats à titre
temporaire. Dans leur cas, le stage est non pas facultatif mais obligatoire.
Eux subissent donc un stage probatoire.
Là encore, il s'agit de personnes confirmées professionnellement, qui ont été
sélectionnées par l'assemblée générale des cours d'appel, admises par la
commission d'avancement et qui présentent donc toutes les garanties
nécessaires. Leur imposer un stage probatoire alors qu'elles ont passé l'âge de
ce genre d'exercice, même pour deux mois à Bordeaux, me semble vexant et
décourageant.
Par conséquent, si l'on veut qu'il y ait des candidats, ce qui me paraît
souhaitable, nous proposons d'étendre le raisonnement que vous avez appliqué
aux conseillers de la cour d'appel à ces magistrats. Dans ce domaine comme dans
beaucoup d'autres, nous verrons après quelques années d'exercice. Ce que l'on
peut dire, dès maintenant, c'est que ces modalités un peu neuves de recrutement
n'ont donné lieu à aucun d'abus, puisque l'on constate plutôt une carence et
une insuffisance. Nous pouvons prendre, je crois, un peu plus de risques. C'est
ce qui justifie la proposition d'insertion d'un article additionnel présentée
par la commission.
Je ne voudrais pas, par une réflexion plus générale, madame le garde des
sceaux, anticiper sur le débat que nous devrons avoir, en principe à la fin de
ce mois, sur les problèmes généraux de la justice, et dont je vous remercie
d'avoir pris l'initiative.
Je formulerai simplement et brièvement quatre observations qui sont le
résultat des réflexions de notre commission. Je me permets de dire - mais là je
me tourne moins vers vous, madame le garde des sceaux, que vers ceux qui sont à
vos côtés - que peut-être on aurait pu s'apercevoir de tout cela un peu plus
tôt. Nous nous réjouissons de ce que, en arrivant à la Chancellerie, vous vous
soyez interrogée sur l'existence de postes dotés financièrement et non pourvus
en titulaires. Les services de la Chancellerie auraient peut-être pu accomplir
un certain effort de prévision. Mais peut-être est-ce du côté du ministère de
l'économie et des finances - M. Gélard nous en dira sans doute quelques mots
tout à l'heure - que l'on peut trouver une explication à un certain
malthusianisme dans l'organisation des concours passés. C'est là une question
sur laquelle je me permets d'attirer respectueusement votre attention.
Par ailleurs, nous nous sommes demandé si l'on ne pouvait pas accélérer le
processus. Vous avez envisagé un concours : les candidatures devront être
déposées avant cet été ; les écrits auront lieu en septembre ou en octobre, les
oraux en novembre, puis interviendront les cinq mois de stage. Les candidats
admis commenceront à être utiles dès qu'ils seront affectés quelque part. A mon
avis, on saura les rendre utiles. Ne pourrait-on pas anticiper le concours en
bousculant un peu les habitudes ? Que faisons-nous en ce moment sinon bousculer
les habitudes pour répondre à une demande pressante et à une situation
quasiment dramatique dans un trop grand nombre de juridictions ?
Ne pourrait-on pas gagner un peu de temps ? Je vous pose la question. La
réponse ne dépend pas de moi ; elle dépend de vos services.
Il ne s'agit pas, je le rappelle après vous, de bousculer l'équilibre général
du recrutement des magistrats. Nous avons fait un calcul sur vingt ans, de
l'année 1980 à l'année 2000, qui intègre donc les deux années de ce recrutement
exceptionnel. Au terme de ce parcours, selon nos chiffres, 76,25 % des
magistrats seraient sortis de l'ENM et pratiquement 9 % issus de concours
exceptionnels, ce qui reste donc très minoritaire. Par ailleurs, il y aurait 1
% de conseillers en cours d'appel en service extraordinaire - c'est également
très minoritaire - et 14 % issus du recrutement général.
Ces proportions démontrent que le principe du recrutement normal des
magistrats par l'Ecole nationale de la magistrature - sur lequel on pourra
faire en d'autres temps de plus amples réflexions, le débat n'est pas clos -
est parfaitement respecté, bien que l'on puisse avoir le sentiment,
qu'exprimera peut-être M. Badinter, l'un des plus qualifiés d'entre nous, que
le recrutement latéral n'a pas les effets qu'on pourrait en attendre.
Certes, nécessité fait loi, mais je crois assez profondément que, dans les
périodes de mutations sociales et culturelles que nous vivons, l'apport dans un
corps de fonctionnaires quels qu'ils soient, et spécialement de fonctionnaires
de responsabilité, d'un certain nombre d'éléments provenant d'un milieu
différent, ayant acquis une expérience différente, ne peut être qu'un
enrichissement. Il n'est pas mauvais que les magistrats sortis de l'Ecole
nationale de la magistrature aient à côté d'eux, de temps en temps, des gens
qui ont une autre vue de la vie sociale, qui ont peut-être été de l'autre côté
de la barrière et qui apporteront donc un avis complémentaire par rapport à
celui des professionnels, ce qui, finalement, améliorera, me semble-t-il, la
capacité de juger de ceux-ci.
Je conclurai en disant que ce projet de loi est réaliste. Nous l'apprécions
vivement à ce titre, parce que nous sommes convaincus qu'il faut aborder les
problèmes des moyens de la justice avec moins de dogmatisme et plus de
réalisme.
Nous vous remercions, madame la ministre, d'avoir si rapidement pris
conscience de la nécessité d'être attentif aux problèmes de la justie
quoditienne et, sous le signe de ce souci d'efficacité, la commission vous
apporte son soutien et propose à notre assemblée de voter le projet de loi,
sous réserve de l'adoption de l'article additionnel dont j'ai parlé tout à
l'heure, mais qui ne fait en réalité que compléter le texte sur un point
particulier.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, madame le ministre, je voudrais joindre mes compliments
à ceux que M. le rapporteur vient de formuler voilà un instant.
Nous avons sur d'autres textes, vous et un certain nombre d'entre nous, des
divergences d'appréciation profondes. Mais nous ne pouvons qu'apprécier la
manière dont vous avez pris en main la gestion de votre ministère en ce qui
concerne l'administration de la justice et la vitesse avec laquelle vous vous
êtes résolue à vous engager dans un processus de rattrapage, au moins partiel,
des difficultés d'effectifs que ce ministère connaît.
Je ne sais d'ailleurs pas quelle en est exactement l'origine. Tout à l'heure,
en commission des lois, lors d'une discussion, l'un de nos collègues faisait
valoir que la baisse du nombre d'admis à l'Ecole nationale de la magistrature
que l'on constate depuis quelques années est probablement l'une des
explications aux difficultés devant lesquelles nous nous trouvons, et j'ai cru
comprendre qu'il avait le sentiment que, dans cette affaire, le ministère des
finances n'était pas totalement innocent, lequel préférerait en définitive que
l'on procède de temps en temps à des recrutements exceptionnels, du style de
celui que vous nous proposez aujourd'hui. En effet, pour des raisons de
financement à la fois des études et des retraites, cela lui reviendrait en
définitive moins cher.
Je ne puis affirmer que cette analyse est exacte mais, connaissant un peu le
ministère des finances, j'incline à penser qu'elle n'est pas fausse.
Quoi qu'il en soit, face à un système qui connaissait une crise profonde, vous
nous proposez - et nous vous approuvons - une solution qui consiste à permettre
le recrutement exceptionnel de deux cents magistrats sur deux ans. Je ne suis
pas sûr que cela suffira, mais au moins aurons-nous ainsi fait un pas important
dans la bonne direction, et la célérité de la démarche mérite d'être saluée.
Cela dit, madame le ministre, nous sommes un certain nombre à penser qu'il ne
faut pas que le gros bosquet cache une forêt. Le gros bosquet, c'est le
problème des cours d'appel, qui sont, c'est vrai, totalement engorgées, au
point que la plupart d'entre elles éprouvent beaucoup de difficultés à traiter
les affaires qui leur sont soumises.
Mais les représentants des départements que nous sommes ont parfois une vue un
peu différente des choses. Je ne suis pas sûr que la situation soit la même sur
tout l'Hexagone et je doute que le taux de 3 % - même si ce taux ne tient pas
compte des magistrats mis à disposition - de postes vacants puisse être admis
comme juste partout. Bien sûr, nous sommes les sénateurs de la République tout
entière, mais nous observons la réalité telle qu'elle se présente dans les
départements au sein desquels nous avons été élus.
Pour prendre l'exemple d'un département que nous sommes, en cet instant, au
moins deux à bien connaître dans cet hémicycle, je dirai que, dans le ressort
de notre cour d'appel, le taux de vacances est de 16 %. Et j'ajoute que ce taux
est de 21 % dans un des tribunaux de grande instance à la rentrée solennelle
desquels nous avons eu l'occasion d'assister, ce qui a conduit ce tribunal à
abandonner quasiment un tribunal satellite !
Pour résoudre un tel problème, on pourrait proposer une solution caricaturale
: elle consisterait à laisser en l'état les vacances de postes dans les
tribunaux de grande instance, ce qui réduirait le nombre des jugements et donc
celui des appels ; ainsi les cours d'appel seraient désengorgées par le bas !
Je sais bien, madame le garde des sceaux, que tel n'est pas votre raisonnement.
De toute façon, les conseils de prud'hommes et les tribunaux de commerce
continueraient d'alimenter encore largement les cours d'appel !
Ce que je veux essentiellement vous dire, madame le garde des sceaux, c'est
que vous ne pouvez pas, au moment où vous vous efforcez à juste titre
d'apporter une solution aux difficultés des juridictions, traiter exclusivement
le problème des cours d'appel : il faut que vous preniez aussi en compte cette
grande misère des tribunaux de terrain qui, à l'heure actuelle, dans certaines
régions, se trouvent véritablement en déshérence. Leur situation exige de leurs
magistrats des efforts inouïs, qu'ils ne peuvent pas assumer dans la durée
comme ils le souhaiteraient.
C'est pourquoi ces magistrats estiment, non pas à titre syndical, mais en tant
que responsables de l'administration de la justice, que, parmi les postes de
conseiller de cour d'appel que vous envisagez d'ouvrir, certains pourraient
être occupés grâce à une promotion de juges du deuxième grade déjà inscrits au
tableau et qui sont sur des listes d'attente.
Dès lors, ne serait-il pas possible, madame le garde des sceaux, de prévoir -
le surcoût serait minime - qu'une part du recrutement que vous envisagez
aujourd'hui sera dirigée vers les tribunaux de base, afin qu'il y ait moins de
vacances de poste de vice-président de tribunal pour enfants ou de
procureur-adjoint ? Se posent, en effet, au niveau des juridictions de
proximité, au moins autant de problèmes qu'au niveau des juridictions
d'appel.
J'espère, madame le garde des sceaux, que vous voudrez bien accepter une
légère modification de votre texte pour faire en sorte qu'on puisse, dans ce
domaine-là aussi, faire un petit pas en avant. Il serait, j'en suis convaincu,
très apprécié des juridictions de terrain.
(Applaudissements sur les travées
du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous
statuons en urgence - et, pour une fois, personne ne le conteste.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
et M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
L'urgence n'est pas déclarée !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je veux dire qu'il s'agit d'un problème urgent et que tout le monde en est
d'accord.
Tout le monde ne crie-t-il pas, en effet, à la grande misère de nos tribunaux,
à l'insuffisance du nombre des magistrats ? Il y a effectivement de quoi être
scandalisé, mais vous, madame le garde des sceaux, n'êtes absolument pour rien
dans cette situation, qui remonte en fait à 1986.
On observe en effet que, alors que le nombre des candidats à l'Ecole nationale
de la magistrature augmente régulièrement, il y a eu de moins en moins de
postes mis au concours.
En 1981, on comptait 210 admis au concours ; en 1982, 320 ; en 1983 et en
1984, 230 ; en 1985, 215 et en 1986, 245. Il faut rendre hommage à Robert
Badinter, ici présent, car, ensuite, on n'a plus jamais atteint le chiffre de
200 : en 1993, on est même tombé même à 100 admis, pour remonter légèrement à
110 en 1994, puis à 145 en 1995 et en 1996.
Tout le monde est en tout cas d'accord pour vous demander d'établir, année par
année, concernant le nombre nécessaire de magistrats, des prévisions -
gouverner, c'est prévoir - et des mouvements semblables à ceux auxquels on
procède dans l'enseignement, où c'est autrement compliqué compte tenu du nombre
des fonctionnaires de l'éducation nationale.
Il y a donc urgence, mais ne confondons pas urgence et précipitation. Je
conçois qu'on souhaite voir un texte aux dimensions modestes adopté conforme.
Mais nous savons d'expérience que, même pour des textes importants, la navette
entre les deux assemblées peut aller extrêmement vite ; tout peut se faire dans
une seule journée ! En commission, tout à l'heure, il a été rappelé que, par
exemple, au mois de décembre, c'est quelques heures après qu'une certaine
motion proposant un référendum et présentée par la majorité sénatoriale eut été
adoptée ici que l'Assemblée nationale s'en est trouvée saisie.
Je veux croire qu'on peut aller presque aussi vite s'agissant de ce texte,
même si le Sénat estime devoir retenir quelques amendements et, en particulier,
celui que nous lui proposerons.
A notre sens - tout le monde n'est pas de cet avis - il n'y a pas de justice
possible sans juge. On aura beau rechercher tous les procédés possibles -
conciliation, médiation, transaction - rien ne remplacera jamais le juge pour
trancher les différends entre les citoyens. C'est pourquoi il faut que les
magistrats soient en nombre suffisant.
Vous allez donc, madame le garde des sceaux, ouvrir deux concours
exceptionnels. Certains membres de l'opposition, à l'Assemblée nationale, vous
ont objecté : « Mais vous les ouvrez à tous les "bac + 4", même s'ils
ne sont pas juristes ! »
D'autres députés de l'opposition leur ont répondu que, à partir du moment où
le concours portait sur des matières juridiques et qu'il était organisé sous la
responsabilité de professeurs de droit, il n'était pas indispensable que seuls
des diplômés en droit puissent s'y présenter.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
L'opposition a bien le droit d'être plurielle, elle aussi !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je veux bien admettre ce raisonnement mais, dès lors, je ne comprends pas très
bien pourquoi une ancienneté d'activité professionnelle serait nécessaire ;
après tout des chômeurs, diplômés en droit ou non, pourraient parfaitement se
présenter à ce concours et y être reçus.
J'observe d'ailleurs que, si une ancienneté professionnelle est exigée, on ne
précise pas dans quelles professions ; c'est une vieille habitude ! J'entends
bien que, du moment que les candidats réussissent un concours difficile, cela
n'a pas d'importance. Mais, alors, pourquoi demander que les candidats aient
exercé une activité professionnelle ? Nous aurions pu proposer de supprimer
purement et simplement cette référence à une activité professionnelle, mais
nous avons, je l'avoue, été pris de court.
S'agissant du premier concours, celui qui concerne les juridictions autres que
les cours d'appel, il est proposé que tous les candidats aient exercé pendant
dix ans une activité professionnelle. Cette durée est limitée à huit ans pour
les personnes mentionnées au 2° du premier alinéa de l'article 17 de
l'ordonnance n°s 58-1270 du 22 décembre 1958. Il s'agit, en l'espèce, des «
fonctionnaires régis par les titres Ier, II, III et IV du statut général des
fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales, des militaires et
autres agents de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics justifiant, au 1er janvier de l'année du concours, de
quatre ans de service en ces qualités ».
Il est étonnant qu'une ancienneté moins grande soit requise pour la totalité
des fonctionnaires, quelles que soient leurs fonctions et même s'ils ne sont
pas juristes.
Il est compréhensible qu'on exige des juristes une activité professionnelle
moins longue - le projet fait référence aux avocats, aux avocats au Conseil
d'Etat et à la Cour de cassation, aux avoués, aux notaires, aux huissiers de
justice et aux greffiers des tribunaux de commerce - mais on ne voit pas
pourquoi il devrait en aller de même pour les fonctionnaires de l'Etat et des
collectivités locales ainsi que pour les militaires qui n'ont pas eu de
formation juridique.
Par ailleurs, les candidats doivent être âgés de trente-cinq à quarante-cinq
ans. Dans la mesure où l'institution de la maîtrise de droit en quatre ans
remonte aux années soixante, tous ceux qui ont aujourd'hui entre trente-cinq
ans et quarante-cinq ans et exercent l'une des professions juridiques
mentionnées à l'article 1er ont nécessairement une maîtrise de droit. S'ils
n'étaient pas titulaires de cette maîtrise, après tout, il ne serait pas
choquant qu'on leur demande une ancienneté de dix ans. Voilà pourquoi nous
proposons que ne soit exigée qu'une activité professionnelle de huit ans pour
tous les titulaires d'une maîtrise de droit.
En effet, rien ne paraît justifier que, par exemple, un chef d'entreprise ou
un juriste d'entreprise, titulaires d'une maîtrise de droit, ne puissent
bénéficier de la condition des huit ans d'ancienneté.
En tant que président de l'association pour la gestion des assistants de
sénateurs, je me dois d'évoquer aussi le cas d'assistants parlementaires, par
hypothèse titulaires d'une maîtrise de droit, qui, malgré une solide
expérience, ne pourraient prétendre se porter candidats à ce concours parce
qu'ils ne seraient ni fonctionnaires ni membres d'une profession judiciaire.
Prenons encore l'exemple de tel jeune brillant député ayant l'âge requis et se
trouvant battu aux élections - la durée du mandat sénatorial est telle qu'on
atteint l'âge de quarante-cinq ans et huit ans d'ancienneté professionnelle
avec un seul mandat ! - qui aurait une maîtrise de droit quasiment, qui aurait
éventuellement siégé à la commission des lois de l'Assemblée nationale, mais
qui, lui non plus, ne pourrait concourir parce qu'il ne serait ni fonctionnaire
ni membre d'une profession judiciaire.
Je suis sûr, madame le garde des sceaux, que, comme la commission des lois du
Sénat, vous estimerez notre amendement fondé.
En tout cas, l'adoption de cet amendement et d'un ou deux autres - notamment
celui qui a été déposé par notre rapporteur - ne retardera guère que de
quelques jours, au maximum, l'adoption définitive de ce texte. Ainsi, dès
l'automne prochain, le premier concours pourra avoir lieu.
(Applaudissements sur les travées socialistes et du RDSE. - M. le rapporteur
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le mouvement
de grève national des avocats du mois de novembre dernier a mis en lumière, une
fois de plus, le manque cruel de moyens qui affecte la justice, ainsi que le
mécontentement des justiciables.
C'est dans ce contexte qu'ont été annoncées par le garde des sceaux des
mesures d'urgence prévoyant le recrutement exceptionnel de magistrats, ce plan
d'urgence ayant pour objet de remédier à l'engorgement chronique que
connaissent certaines juridictions.
Je l'avais déjà souligné lors du débat budgétaire relatif aux crédits de la
justice, nos juridictions sont confrontées à une augmentation importante du
contentieux, qui a plus que triplé ces vingt dernières années, le nombre des
affaires civiles étant passé de 200 000 à 650 000 dans les tribunaux et de 63
000 à 215 000 dans les cours d'appel.
Dans le même temps, le nombre des magistrats - il est passé à 6 000 - n'a que
peu augmenté.
Certes, parmi les ministères, celui de la justice, avec un budget en
augmentation de 4 % pour 1998, bénéficie de la plus forte progression,
l'outre-mer mis à part, ce qui montre la volonté du Gouvernement de faire de la
justice l'une des priorités de la nation et nous satisfait profondément.
Cependant, le retard accumulé depuis des années en la matière est tel que
l'ambitieux budget de 1998 permettra difficilement de le combler pleinement.
Aussi l'adoption d'un plan d'urgence paraît-elle nécessaire, et c'est pourquoi,
bien évidemment, nous voterons le présent projet de loi organique, qui appelle
toutefois quelques remarques.
Tout d'abord, comme cela a été souligné à l'Assemblée nationale, on peut
regretter que les dispositions qu'il contient n'aient pas été intégrées dans
une réforme plus globale de la justice, réforme dont les principes seront
débattus par le Parlement dès demain à l'Assemblée nationale et le 22 janvier
prochain ici-même.
Quant au principe même de ce plan d'urgence, il met en évidence l'insuffisance
récurrente de la gestion prévisionnelle des besoins, insuffisance à laquelle
l'actuel gouvernement a commencé de s'attaquer.
Il ne faudrait pas cependant que le recours aux recrutements exceptionnels
devienne un élément de la gestion courante des besoins en matière de
justice.
Par ailleurs, si l'élargissement du recrutement des magistrats aux autres
couches sociales et aux autres secteurs de la vie professionnelle par
l'ouverture des concours aux diplômés d'instituts d'études politiques ou aux
normaliens peut être considéré comme un élément positif, source
d'enrichissement, il ne suffit pas.
On l'a dit à plusieurs reprises, ici comme en commission, il convient de mener
une politique de recrutement sur le long terme impliquant l'augmentation des
places offertes aux concours d'entrée à l'Ecole nationale de la
magistrature.
En effet, il ne faudrait pas que l'accès à la magistrature par l'ENM, qui doit
demeurer le droit commun, devienne une exception.
C'est d'autant plus vrai que la durée de formation dispensée aux nouveaux
recrutés sera plus courte que celle des auditeurs de l'ENM et pourra sembler
insuffisante, quand bien même on estimerait que les admis auront une expérience
riche et une formation juridique de base solide.
Eu égard à la technicité requise par l'exercice de la profession de magistrat
ainsi qu'à la durée normale de la formation à l'ENM, qui est de deux ans et
demi, nos inquiétudes sont, me semble-t-il, légitimes.
Nous devons donc accorder une attention toute particulière à la formation des
nouveaux magistrats et, plus largement, comme l'a d'ailleurs souligné Mme le
garde des sceaux à l'Assemblée nationale, nous devons rapidement nous pencher
sur le rôle de l'ENM et sur le recrutement par la troisième voie.
Enfin, si nous sommes conscients de l'intérêt que peuvent représenter les
recrutements latéraux pour la résorption des retards accumulés dans le
traitement des dossiers, nous sommes également conscients que leurs effets ne
se feront sentir, en pratique, qu'au bout de dix-huit voire de vingt-quatre
mois, car il faut le temps d'organiser les concours.
A cet égard, je m'associe bien entendu aux souhaits exprimés en commission des
lois quant à la nécessité de réduire, autant que faire se peut, les délais
d'organisation de ces concours. Il semble que la bonne volonté dans ce domaine
serait de nature à faire avancer les choses.
Au-delà de ces observations, les sénateurs du groupe communiste républicain et
citoyen soutiennent bien évidemment le présent projet de loi organique, madame
le ministre, et ils le voteront.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes. - M. le président de la commission des
lois et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Pour une fois que vous parlez raisonnablement, cela mérite
d'être souligné !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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