M. le président. Par amendement n° 58, Mme Dusseau propose d'insérer, après l'article 10, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa de l'article 21 de la même ordonnance, après les mots : "aide directe ou indirecte" sont insérés les mots : "et à but lucratif". »
Cet amendement est-il soutenu ?...
Par amendement n° 88 par MM. Duffour, Pagès, Derian, Mme Beaudeau, M. Bécart, Mmes Bidard-Reydet, Borvo, MM. Fischer, Lefèbvre, Mme Luc, MM. Minetti, Ralite, Renar, Mme Terrade et M. Vergès proposent d'insérer, après l'article 10, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le premier alinéa du I de l'article 21 bis de la même ordonnance, les mots : ", que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction," sont supprimés.
« II. - Le I de l'article 21 bis de la même ordonnance est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« ...° D'un condamné étranger titulaire d'une rente d'accident de travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;
« ...° D'un condamné étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. »
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Notre amendement tend à modifier l'article 21 bis de l'ordonnance de 1945.
Cet article précise les catégories de personnes « condamnées » pour lesquelles « le tribunal ne peut prononcer que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction l'interdiction du territoire français ».
Il s'agit des parents d'enfants français, du conjoint de Français, de l'étranger résidant régulièrement en France depuis plus de quinze ans et de l'étranger résidant habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans.
Il se trouve, par ailleurs, que ces catégories de personnes sont protégées contre l'expulsion par l'article 25 de la même ordonnance.
Donc, dans la pratique, ces dispositions, quelque peu contradictoires, ont créé des situations paradoxales et inhumaines que nous connaissons tous : les intéressés ne sont ni régularisables, car sous le coup d'une condamnation, ni expulsables, car protégés.
Pour remédier à cette situation, notre proposition est simple : il convient de préciser au premier alinéa du paragraphe I de l'article 21 bis, que « le tribunal ne peut prononcer l'interdiction du territoire français... »
De plus, nous proposons d'allonger la liste des catégories à l'égard desquelles il ne peut y avoir d'interdiction de territoire : il s'agit du condamné titulaire d'une rente d'accident de travail ou de maladie professionnelle et du condamné étranger malade, qui figurent d'ailleurs également dans la liste des personnes protégées de l'expulsion à l'article 25.
Je précise que l'interdiction du territoire ne se justifie pas ; nous la considérons comme une double peine.
En effet, l'étranger condamné doit purger sa peine. Point ! Pourquoi lui infliger une interdiction du territoire, alors qu'il a toute sa vie, sa famille, son histoire en France, ce qui lui vaut, par ailleurs, d'être protégé par l'article 25 ?
C'est tout le sens, et je dirai le bon sens, de l'amendement que nous proposons.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je demande que l'amendement n° 73, à l'article 33, fasse l'objet d'une discussion commune avec le présent amendement n° 88.
M. le président. Mon cher collègue, cela n'est pas possible. L'amendement n° 73 sera appelé avec l'article 33.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 88 ?
M. Paul Masson, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. M. Fischer a fait appel au bon sens et c'est sur le terrain du bon sens que je vais me placer pour lui répondre.
La grande distinction est entre le citoyen français, l'étranger en situation régulière et l'étranger en situation irrégulière.
Vous le comprendrez aisément, il me semble qu'un citoyen français a des devoirs particuliers vis-à-vis de la République : non seulement il doit acquitter l'impôt - c'est vrai aussi pour l'étranger en situation régulière - mais, en outre, il doit participer à la défense du pays et il est responsable, à travers lui-même, en tant que citoyen et, au-delà, à travers ses enfants, de la pérennité de la France. On ne peut donc pas demander la même chose à un étranger qui peut être de passage et qui n'a pas les mêmes devoirs vis-à-vis de la France.
Par conséquent, si cet étranger, premièrement, commet des délits ou des crimes très graves, deuxièmement, n'a pas d'attaches familiales suffisantes, il est assez normal qu'il puisse être invité à regagner son pays.
Je ne parlerai pas de « double peine » car, encore une fois, nous ne raisonnons pas sur des choses semblables. Un étranger qui sollicite l'hospitalité de la République, qui se trouve sur son territoire et qui commet des crimes de sang - cela peut arriver ; certains des dossiers qui m'arrivent sont quelquefois extrêmement graves avec des situations, je dois vous le dire, très difficiles - à mon sens, cet étranger ne peut pas être absolument protégé. Je ne pense pas que cela soit juste.
Vous proposez de supprimer la peine d'interdiction judiciaire du territoire à deux catégories d'étrangers : d'une part, aux accidentés du travail dont le taux d'incapacité permanent est égal ou supérieur à 20 %, d'autre part, aux étrangers malades qui ne pourraient pas être renvoyés dans leur pays sans préjudices graves. Pour ce dernier cas, je suis tout à fait d'accord avec vous. D'ailleurs, l'article 13 du projet de loi prévoit déjà ce cas.
J'ajoute que la décision d'interdiction judiciaire du territoire doit être spécialement motivée par le juge, non seulement au regard de l'infraction commise, ce qui est déjà le cas, mais également eu égard à la situation familiale.
Je me place donc sur le terrain d'un certain bon sens. Mais la discussion est ouverte.
Parler de double peine est une formulation quelque peu polémique ; c'est nier le fait national, la citoyenneté ainsi que la responsabilité d'un citoyen vis-à-vis de son pays.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 88.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'article 21 bis de l'ordonnance de 1945 que proposent de modifier nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen dispose : « Le tribunal ne peut prononcer que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction » - il n'est pas question là de la situation familiale - « l'interdiction du territoire français prévue par les articles 19, 21, 27 et 33 à l'encontre :... »
Or, notre amendement n° 73 concerne précisément l'article 33, qui stipule : « Le tribunal ne peut prononcer que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction... » - et là, en effet, à travers un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale, il a été ajouté : « et de la situation personnelle et familiale de l'étranger condamné ».
Le moins que l'on puisse dire - j'attire l'attention du Gouvernement sur ce point - c'est qu'il faudrait bien qu'il y ait une coordination exacte entre l'article 21 bis et l'article 33. Il s'agit dans les deux cas de l'interdiction prononcée par les tribunaux, l'article 21 bis renvoyant à l'article 33. Or c'est seulement à l'article 33 que vous parlez de la situation familiale, ce qui, je le dis tout de suite, ne nous satisfait pas.
En effet, avant la loi Pasqua et jusqu'en 1993, l'interdiction du territoire par les tribunaux ne pouvait être appliquée à tous ceux qui ont des liens très étroits avec la France. Pour les autres, ce n'est pas une double peine. Pour celui qui vient de l'étranger, qui n'a aucune attache avec la France et qui commet des actes graves, il n'y a aucune raison de ne pas l'interdire du territoire. Mais celui qui a des liens étroits - vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, et M. Gouzes l'a écrit dans son rapport - ne doit pas pouvoir être interdit du territoire. Or, il le peut depuis que la loi Pasqua a prévu que les magistrats peuvent l'ordonner « par une disposition spécialement motivée ».
Les juges d'instruction, pour mettre les gens en prison, cochent des cases de documents préparés à cet effet et la décision est ainsi spécialement motivée ! Si les tribunaux veulent le faire, évidemment, ils motivent leur décision. Or, jusqu'à maintenant, il leur était interdit de le faire.
Par conséquent, lorsque vous ajoutez - permettez-moi de vous le dire car le problème est le même à l'article 21 bis et à l'article 33 - « et en vertu de la situation personnelle et familiale de l'étranger », c'est évident puisque toutes les catégories énumérées à l'article 33 concernent des gens dont la situation personnelle et familiale est telle qu'ils sont protégés.
J'ajoute que ce n'est pas la gravité de l'infraction qui devrait être le critère, au pire, ce devrait être l'importance de la condamnation. En effet, on peut être condamné d'une manière légère pour une infraction qui est grave mais à laquelle on n'a pris qu'une petite participation.
Le texte que nous critiquons, ce n'est donc pas le vôtre, monsieur le ministre, mais celui de l'ancienne majorité ; il n'est pas acceptable, je le répète, car il permet aux tribunaux d'interdire du territoire des gens qui ne seraient condamnés que très légèrement et qui auraient des liens très étroits avec la France.
Dans la discussion générale, l'exemple que j'ai cité des jeunes - ou des moins jeunes - qui n'auraient jamais connu un autre pays que le nôtre, qui ne parleraient que notre langue, qui ne seraient jamais allés dans le pays où l'on voudrait les expulser, à supposer, d'ailleurs, que ce pays accepte de les recevoir, n'est pas un cas d'école ; on l'observe tous les jours.
Alors, monsieur le ministre, je me permets de me rallier à l'amendement n° 88, pour le moins à son paragraphe I. Tout à l'heure, je défendrai mon amendement n° 73 afin d'inscrire, dans l'article 33, que l'interdiction de séjour n'est pas applicable aux personnes protégées. Une coordination devra ensuite intervenir avec l'article 21 bis, coordination dont je constate qu'elle n'a été faite ni par vos prédécesseurs, ni lors de l'élaboration de ce projet de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 88, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 10 bis