M. le président. « Art. 24. _ Le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 précitée est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« La qualité de réfugié est reconnue par l'office à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ainsi qu'à toute personne sur laquelle le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu'adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1950 ou qui répond aux définitions de l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
« Toutes les personnes visées à l'alinéa précédent sont régies par les dispositions applicables aux réfugiés en vertu de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 précitée. »
Par amendement n° 31, M. Masson, au nom de la commission des lois, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Le texte gouvernemental de l'article 24 a pour objet de créer un statut de réfugié spécifique pour les combattants de la liberté. Nous sommes là au coeur d'un problème qui mérite une certaine attention.
Je rappelle que les dispositions concernées sont déjà inscrites à la fois dans le préambule de la Constitution, depuis longtemps, et dans l'article 53-1 de la Constitution, introduit à l'occasion d'une révision constitutionnelle provoquée par le Gouvernement, faisant suite à une décision du Conseil constitutionnel selon laquelle certaines dispositions de la loi du 24 août 1993, telles qu'elles avaient été adoptées par le Parlement, étaient anticonstitutionnelles.
Nous avons tenu congrès à Versailles pour une infime histoire de Schengen et c'est à ce moment-là que nous avons repris dans la Constitution, et non dans son préambule, les dispositions relatives aux combattants de la liberté.
Dans l'esprit du législateur, et depuis longtemps, la France est libre d'accueillir chez elle les réfugiés qu'elle veut. C'est un pouvoir de souveraineté absolue, respecté par le droit français tout au long de son histoire.
Le préambule de la Constitution ne faisait que reconnaître une pratique constante des responsables de la France au temps non seulement de la République, mais aussi des rois. C'est l'un des fondements peut-être les plus légitimes de notre identité nationale que de nous accorder le droit de reconnaître ceux qui sont des amis de la France ou qui ont combattu pour la France, quels que soient leur nationalité et leur statut extérieur. La Constitution, dans son article 53-1, a confirmé cela.
Quel besoin le Gouvernement éprouve-t-il aujourd'hui d'introduire dans la loi usuelle, celle que nous pratiquons tous les jours, une disposition qui est déjà dans la Constitution sans y ajouter quoi que ce soit qui pourrait laisser penser qu'on en précise les procédures ? On ne peut pas préciser les procédures puisque, précisément, c'est une prérogative de la souveraineté nationale. Dès lors qu'on précise les procédures, on restreint ce qui est depuis toujours le droit de la France et de ses gouvernements, et on réduit par là l'espèce de solennité qu'on a donné volontairement au traitement de cas qui restent exceptionnels.
Permettez-moi d'évoquer les premiers combattants de la liberté de notre génération, les combattants de l'armée républicaine espagnole, qui n'ont, pour certains, jamais demandé le statut de réfugiés, mais qui ont été considérés par la France comme des protégés en tant que combattants de la liberté et à qui on a donné un statut sans avoir pour autant engagé une procédure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils ont fait l'objet d'une rétention administrative d'abord !
M. Paul Masson, rapporteur. D'autres ont suivi, rares, dont l'accueil n'a relevé d'aucune procédure.
Aujourd'hui, on veut préciser les choses dans une loi. C'est en fait un affichage, qui n'est pas sans conséquences. En effet, qui dit loi ordinaire dit décision du Gouvernement, et qui dit décision du Gouvernement dit contentieux.
Bien entendu, il y aura une procédure d'appel, c'est tout à fait normal puisque nous sommes dans le droit ordinaire. Cela signifie que des personnes ayant formulé une demande au titre de combattant de la liberté en excipant d'un certain nombre de références historiques, récentes ou lointaines, qui ne sont pas toujours faciles à contrôler - je ne citerai pas d'exemples mais chacun les a présents à l'esprit -, ces personnes, dis-je, après avoir constaté que les instances chargées d'instruire leur dossier, car il y aura un dossier sous la forme habituelle propre à l'administration française, n'auront pas honoré leur demande feront appel de cette décision.
Bien entendu, tout cela se fera non pas dans la discrétion que requiert l'application de ce principe constitutionnel, mais sous l'oeil malicieux de ceux qui pourront observer que la France, son gouvernement et ses ministres ont des attitudes différentes selon que l'on est censé avoir combattu pour la liberté dans un pays donné ou dans un autre ou qui pourront constater que tel combattant de la liberté qui avait présenté une demande se trouve aujourd'hui dans l'opposition nationale alors qu'il était membre du gouvernement ou allié de ce gouvernement et que, demain, il se trouvera de nouveau au sein du gouvernement après avoir appartenu à l'opposition nationale...
M. Claude Estier. Cela arrive !
M. Paul Masson, rapporteur. Bref, sans prolonger mes commentaires, je dirai que cet article 24 me semble non seulement inutile, mais éminemment dangereux parce qu'il banalise le titre de combattant de la liberté, qui, dans notre esprit, doit conserver son caractère sacré, exceptionnel, rare et précieux, qui doit garder toute sa pureté et dont l'attribution ne supporterait pas, à mon sens, de dépendre de procédures, aussi normales fussent-elles.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous suggère d'adopter l'amendement n° 31 que vous propose la commission des lois.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il s'agit d'un grand débat, et M. le rapporteur a eu raison de le souligner.
La tradition républicaine confère en effet au droit d'asile une valeur sacrée.
Ainsi, le Préambule de la Constitution de 1946 dispose que : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République. »
Cela me paraît relever du meilleur de notre tradition. C'est à ce titre que la France pratique l'asile depuis des siècles, naturellement depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Nous tenons particulièrement à ce que cette notion d'asile, assortie de toute la force souhaitable, soit inscrite dans la loi.
Pour clarifier totalement les choses, le Gouvernement avait d'ailleurs souhaité que l'ensemble des dispositions relatives à l'asile soient regroupées dans une grande loi.
Après avoir inscrit le droit d'asile dans la Constitution, la France en a curieusement donné, depuis 1952, une interprétation restrictive : en effet, n'ont pu bénéficier du droit d'asile que les hommes et les femmes qui ont pu apporter la preuve qu'ils étaient persécutés par leur Etat au titre de leur action en faveur de la liberté.
Or, la marche du temps a fait évoluer les choses. Avec les événements qui se déroulent actuellement sur le territoire de la République algérienne, nous assistons à l'explosion de persécutions qui ne sont pas le fait de l'Etat lui-même mais le fait de forces obscurantistes, fanatiques et violentes. Cela pose naturellement un problème.
A la suite du débat intervenu sur une certaine interprétation de la loi Pasqua, le droit d'asile a été reconnu par le Conseil constitutionnel comme un principe de valeur constitutionnelle, que nous étions tenus de respecter.
Il faut donc bien faire figurer dans la loi cet élément, qui se distingue de la Convention de Genève telle que nous l'appliquons.
En effet, jusqu'alors, nous avions fondé le droit d'asile sur cette seule convention, telle que l'interprétaient les tribunaux français.
Nous ne faisons donc qu'inscrire dans la loi une extension reconnue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Il est clair que la situation d'un homme ou d'une femme persécutés en raison de leur action en faveur de la liberté doit répondre à des critères bien précis. Il ne s'agit pas de quelqu'un qui lutte pour une liberté individuelle ; il s'agit du combat pour la liberté républicaine, qui lie à la fois la liberté individuelle et la liberté démocratique, c'est-à-dire le combat pour un régime démocratique, un régime de souveraineté populaire ; il s'agit de quelqu'un qui prend une position claire sur un sujet aussi déterminant.
A cet égard, on peut se demander si le fait de donner asile sur le territoire de la République à un opposant iranien célèbre, à la fin des années soixante-dix, relevait bien de cette conception du droit d'asile. Le Gouvernement ne le pense pas.
Il en va différemment de tel pianiste persécuté en Amérique latine par un régime de dictature et qui aurait dû pouvoir bénéficier de ce droit d'asile.
Dans le système que nous mettons en oeuvre, nous n'avons pas voulu faire de doublon, nous n'avons pas voulu inventer une procédure nouvelle distincte de celle qui existe pour celles et ceux qui se réclament de la Convention de Genève. Il appartiendra aux demandeurs d'être explicites et de dire s'ils se réclament de la Convention de Genève telle qu'elle est interprétée ou du droit constitutionnel français tel qu'il est formalisé.
J'ajoute - mais j'anticipe là sur la notion d'asile territorial - que, dans un certain nombre de cas, une personne qui aurait à craindre pour sa vie, dans la mesure où cela serait compatible avec les intérêts de notre pays, pourrait également se voir accueillie sur notre sol.
Je pense, monsieur le rapporteur, que nous ne devons pas avoir une interprétation frileuse et restrictive du droit d'asile, même si nous devons naturellement l'appliquer dans le souci des intérêts de notre pays.
Je me suis aperçu que, dans ma galerie de portraits, tout à l'heure, j'avais omis le grand homme d'Etat qu'était Colbert.
Monsieur Masson, Colbert acceptait de faire venir en France - il est même allé en chercher à l'étranger - un grand nombre de spécialistes éminents dans des domaines manufacturiers comme le tissage, par exemple. Il a été l'artisan d'une politique d'immigration utile au pays.
MM. Serge Vinçon et Jean Chérioux. Oui, utile !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Naturellement, le Gouvernement a à l'esprit cette considération d'utilité pour notre pays. Nous jugeons une politique à l'aune des intérêts de notre pays, c'est bien la moindre des choses !
Et, puisque Colbert a aussi fait planter des forêts - M. Vinçon me le faisait observer - je dirai qu'il faudrait tout de même que le bûcheron apprenne à retenir son bras ! (Sourires. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu).
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 73:
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 218 |
Contre | 98 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 24 est supprimé.
Article 25