PRESTATION COMPENSATOIRE
EN CAS DE DIVORCE

Discussion des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 20, 1997-1998) de M. Daniel Hoeffel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur :
- la proposition de loi (n° 151, 1996-1997) de M. Nicolas About tendant à modifier les propositions du code civil relatives à la prestation compensatoire en cas de divorce ;
- la proposition de loi (n° 400, 1996-1997) de MM. Robert Pagès, Michel Duffour, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Guy Fischer, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade relative à l'attribution de la prestation compensatoire en cas de divorce.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, en remplacement de M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je dois d'abord excuser notre collègue M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois sur les propositions de loi que nous examinons, car il ne peut, hélas ! être parmi nous.
La commission des lois s'est interrogée sur l'opportunité de l'adoption, par le Sénat, d'une proposition de loi relative à la prestation compensatoire en matière de divorce. On pouvait effectivement se demander s'il n'était pas plus logique d'attendre qu'une réforme plus globale de la loi sur le divorce puisse être engagée. La commission a toutefois estimé que le législateur ne pouvait ignorer plus longtemps certaines conséquences négatives des dispositions relatives à la prestation compensatoire en matière de divorce qui figurent aujourd'hui dans le code civil.
En 1986, le Sénat avait abordé cette question à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi issue de l'Assemblée nationale qui ne l'a pas, jusqu'à présent, inscrite à son ordre du jour pour une deuxième lecture. Il nous a donc semblé que les difficultés constatées après vingt ans d'application de cet aspect de la loi de 1975 justifiaient que le législateur intervienne sans attendre une réforme globale de la procédure de divorce.
Depuis la loi de 1975 portant réforme du divorce, la pension alimentaire entre époux a été remplacée par une prestation compensatoire, même si certains regrettent cette modification. La pension alimentaire ne subsiste que dans les cas de divorce pour abandon du domicile conjugal. Selon l'article 270 du code civil, la prestation compensatoire a pour objet de « compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans la rupture de la vie commune !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En principe, cette prestation revêt, en vertu de l'article 273 du code civil, un caractère forfaitaire. Le législateur a prévu comme moyen de paiement principal le versement d'un capital. Toutefois, l'article 276 du code civil prévoit, à titre subsidiaire, que la prestation compensatoire peut prendre la forme d'une rente. En fait, cette modalité subsidiaire est devenue la règle, les magistrats optant dans la plupart des cas pour un versement périodique sans référence à un capital et dont la durée n'est pas toujours fixée.
Cette préférence pour la rente s'explique sans doute par les habitudes des juges et des parties, par la composition des patrimoines, mais également par des considérations fiscales. En cas de versement d'un capital en effet, l'imposition est celle des mutations à titre gratuit. Ainsi, au-delà d'une franchise de 330 000 francs, les droits progressent de 5 à 40 %.
Par ailleurs, l'une des caractéristiques de la prestation compensatoire est d'être très difficilement révisable. L'article 273 du code civil prévoit qu'elle ne peut être révisée que si l'absence de révision devait avoir pour l'un des conjoints des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
A l'heure actuelle, les juges modulent souvent le montant et la durée de la prestation en fonction de la durée du mariage, de l'âge des conjoints et de leurs perspectives professionnelles, mais ces précautions ne suffisent pas à éviter certaines situations difficiles quand interviennent des changements importants dans la situation de l'une ou l'autre des parties. En effet, les juges appliquent l'article 272 du code civil, mais un certain nombre de choses n'ont pas été prévues, dont il convient de tenir compte aujourd'hui.
Les propositions de loi déposées, d'une part, par M. About et, d'autre part, par M. Pagès et plusieurs de ses collègues, visaient toutes deux à permettre l'assouplissement des conditions de révision de la prestation compensatoire lorsqu'elle prend la forme d'une rente. La proposition de loi de M. About tendait, en outre, à limiter à dix ans la durée de la rente et à supprimer le report de la charge de la rente sur les héritiers du débiteur.
Au cours de sa réunion du 8 octobre 1997, la commission des lois, sur le rapport de M. Hoeffel, a adopté un texte composé de quatre articles.
L'article 1er prévoit l'assouplissement des modalités de révision de la rente, cette dernière pouvant être révisée « en cas de changement substantiel dans les ressources ou les besoins des parties ».
L'article 2 dispose que le juge fixe la durée de la rente. La commission a estimé préférable de ne pas déterminer dans la loi un plafond pour cette durée et d'en laisser la libre appréciation au juge.
L'article 3 tend à faciliter le versement de la prestation compensatoire sous forme d'un capital, en atténuant ses conséquences fiscales par le doublement de l'abattement prévu par le code général des impôts pour les droits de mutation à titre gratuit.
Enfin, l'article 4 prévoit l'application de ces nouvelles dispositions aux rentes en cours. Naturellement, les demandes de révision éventuelles ne vaudront que pour les arrérages futurs de la rente et ne sauraient remettre en cause les versements effectués antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.
La commission a décidé de maintenir la transmission de la dette aux héritiers, telle qu'elle est prévue à l'article 276-2 du code civil, car elle est conforme au droit commun. Dès lors que l'on facilite la possibilité de révision, il convient de maintenir cette règle commune qui figure dans la loi de 1975.
La commission a été saisie d'un certain nombre d'amendements qui émanent, notamment, du Gouvernement. Ceux qui visent à améliorer les propositions de la commission des lois seront accueillis favorablement. S'agissant des autres, nous aurons l'occasion d'en débattre. L'examen des articles permettra de vérifier la concordance entre la position du Gouvernement et celle de la commission. (Applaudissements sur le bancs des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat a souhaité inscrire à son ordre du jour la proposition de loi de M. Nicolas About et celle de M. Robert Pagès, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, qui tendent à permettre de réviser la prestation compensatoire allouée en cas de divorce.
Dans son principe, cette initiative recueille mon approbation.
En effet, nul ne conteste que des aménagements doivent être apportés au dispositif en vigueur en raison de l'évolution, depuis 1975, de la situation économique et sociale. Par ailleurs, cette réforme peut être conduite en marge de la réflexion d'ensemble que j'ai décidé d'engager concernant le droit de la famille.
Mais la marge de manoeuvre est étroite, car il ne saurait être question de remettre en cause la philosophie de la réforme de 1975, et la commission des lois du Sénat est d'ailleurs la première à en convenir.
C'est dans cet esprit qu'elle propose une adaptation sur trois points du dispositif en vigueur.
Le premier concerne la possibilité de réviser la prestation compensatoire versée sous forme de rente en cas de changement substantiel dans les besoins et les ressources des parties.
Le deuxième a trait à la fixation de la durée de la rente en considération de critères caractérisant la situation particulière du couple.
Le troisième consiste à aménager la fiscalité applicable à la prestation allouée en capital.
Cependant, je ne suis pas certaine que ces modifications apportent toutes les réponses nécessaires à l'adaptation du régime de la prestation compensatoire qui, il est vrai, est attendue, plus de vingt ans après le vote de la loi du 11 juillet 1975.
C'est pourquoi le Gouvernement vous propose d'adopter une démarche quelque peu différente.
Il faut en effet, à mes yeux, répondre à un double objectif : d'abord, privilégier et faciliter le paiement de la prestation compensatoire au moment même du prononcé du divorce,...
M. Nicolas About. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et, ensuite, circonscrire la faculté nouvelle de révision de celle-ci aux situations les plus graves.
Je souhaite maintenant m'expliquer sur ce point.
Comme l'a fort justement souligné la commission, les principes qui ont guidé le législateur de 1975 dans l'instauration de la prestation compensatoire ont été battus en brèche dans les faits.
L'idée de départ, pourtant, était excellente : il s'agissait de mettre fin au mécanisme des pensions alimentaires entre époux divorcés, dont les conséquences néfastes étaient avérées.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. La possibilité de prendre en compte l'attribution des torts pour l'allocation et la révision des pensions alimentaires a en effet généré un contentieux important, exacerbant les passions et laissant aux époux le sentiment de ne pouvoir clore définitivement une union qui s'est soldée par un échec.
A notre époque où les difficultés économiques et sociales influent fortement sur la situation des couples qui se défont et où se développent les familles recomposées, il est plus que jamais nécessaire de régler, dans toute la mesure possible, bien entendu, les effets pécuniaires du divorce au moment de son prononcé.
La prestation compensatoire répond à cet objectif, puisque, aux termes de l'article 270 du code civil, elle vise à compenser la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des ex-époux.
De là découlent un certain nombre de règles auxquelles la prestation est soumise : son fondement est indemnitaire, elle est forfaitaire, elle n'est pas révisable et elle est en principe attribuée sous forme de capital.
Cependant, la majorité des couples ne disposent pas de biens suffisants pour permettre le versement d'un capital, et en auraient-ils que l'opération est dissuasive sur le plan fiscal.
Aussi le législateur de 1975 a-t-il dû prévoir que, à titre subsidiaire, le débiteur de la prestation pouvait s'en acquitter sous forme de rente. Dans un souci de réalisme, le législateur a été conduit à opérer un certain rapprochement entre la prestation compensatoire et les anciennes pensions alimentaires.
C'est ainsi que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins du créancier et les ressources du débiteur, c'est l'article 271 du code civil. Elle est indexée « comme en matière de pension alimentaire » et peut varier par périodes successives suivant l'évolution probable des ressources et des besoins des intéressés, c'est l'article 276-1. Elle peut, dans les divorces sur requête conjointe, est révisée en cas de changement imprévu dans la situation des époux, dès lors que ces derniers en ont prévu la possibilité, c'est l'article 279. Elle peut également, dans les autres divorces où elle est susceptible d'être allouée, être révisée si le maintien de son montant initial devait avoir pour l'un des conjoints des conséquences d'une exceptionnelle gravité, c'est l'article 273. Enfin, elle ne peut bénéficier à l'époux aux torts exclusifs duquel le divorce est prononcé, c'est l'article 280-1.
Ce sont autant de caractéristiques qui, vous en conviendrez, empruntent à la pension alimentaire.
La pratique elle-même a d'ailleurs accentué la ressemblance en s'écartant à certains égards de l'esprit de la loi de 1975.
Ainsi, la démarche n'a pas toujours été faite de rechercher si l'allocation d'un capital était possible.
La prestation compensatoire sous forme de rente a été privilégiée. En 1994, parmi les prestations compensatoires, 60,3 % prenaient la forme d'une rente, près de 4 % celle d'une rente ajoutée à un capital et seulement 20 % celle d'un capital pur.
Enfin, si le législateur de 1975 n'a pas entendu exclure les rentes viagères, leur usage devait, dans son esprit, rester limité afin de ne pas faire perdurer les effets patrimoniaux du divorce. Or nombreuses ont été, au lendemain de la réforme, les rentes à vie. En 1994, celles-ci représentaient encore près de 31 %.
Aussi n'est-il pas surprenant que les conjoints eux-mêmes aient vu dans la rente une simple pension alimentaire soumise, dans leur esprit, aux fluctuations des besoins et des ressources de chacun d'eux.
C'est pourquoi la jurisprudence de la Cour de cassation, faisant une stricte interprétation de l'article 273 du code civil, n'a généralement pas été comprise par les intéressés.
La perte d'un emploi, la mise à la retraite, la maladie, le remariage de l'époux créancier avec un conjoint fortuné ne constituent pas nécessairement des événements impliquant que le maintien de la prestation initiale aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité. D'où un taux de rejet des demandes de révision atteignant près de 54 %. Telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
Lorsqu'un décalage entre les attentes du corps social et les dispositions d'un texte de loi se développe de cette façon, il est temps de s'interroger - c'est ce que vous avez fait - sinon sur la pérennité même de celles-ci, du moins sur les adaptations dont elles pourraient faire l'objet.
Depuis un certain nombre d'années, plusieurs propositions de loi ont été déposées tendant à réformer plus ou moins en profondeur le dispositif de 1975. Celles dont nous discutons aujourd'hui entendent s'inscrire dans une démarche à la fois ponctuelle et mesurée.
Je crains néanmoins que les propositions formulées ne permettent ni d'encadrer suffisamment le mécanisme de révision proposé ni, d'une manière plus générale, de tendre réellement à apurer les relations financières des époux au moment où ils se séparent.
La commission des lois souhaite permettre désormais la révision de la prestation compensatoire en cas de changement substantiel dans les ressources ou les besoins des parties et entend modifier en ce sens l'article 273 du code civil.
Si l'assouplissement de l'accès à la révision ainsi proposé est de nature à permettre au juge de mieux individualiser la situation des couples, je crains cependant que la formulation retenue ne soit à l'origine de plus de questions que de réponses.
Le qualificatif « substantiel » me semble en effet impropre à préserver la révision de la prestation compensatoire des errances qu'ont connues les anciennes pensions alimentaires.
Il est probable que l'on discute sans fin sur ce qu'est ou non un changement financier « substantiel ». Est-ce une diminution de 30 %, de 50 % ou de 70 % des ressources ? A l'inverse, quel niveau d'augmentation de salaire retenir ? Qu'en est-il du remariage ? Voilà autant d'interrogations propres à engendrer l'insécurité juridique.
Un écueil doit être évité : celui de laisser penser que le principe actuel est désormais renversé et que la révision redevient la règle. Tout débiteur voyant ses ressources varier à la baisse aussi peu que ce soit trouve sa charge trop lourde et souhaite la voir alléger. Actuellement, et malgré les termes extrêmement restrictifs de l'article 273 du code civil, le taux d'appel des débiteurs insatisfaits atteint 60 %, ce qui constitue un record.
Qu'en sera-t-il alors demain avec la rédaction retenue par la commission des lois ?
Contrairement à ce qui est suggéré dans le rapport de la commission, la révision de la prestation compensatoire ne doit à mon avis pas cesser d'être une exception. Ce sont les situations les plus graves qu'il convient de prendre en compte.
C'est pourquoi le Gouvernement a déposé un amendement tendant à circonscrire plus clairement la faculté de révision désormais ouverte. Celle-ci doit être subordonnée à un changement non seulement important, mais encore imprévu dans la situation financière respective des parties, et sa mise en oeuvre doit rester exceptionnelle.
Ce triple critère que je vous propose d'introduire dans la nouvelle rédaction de l'article 273 du code civil me paraît plus à même de prévenir les querelles d'interprétation et les divergences jurisprudentielles que la formulation retenue par la commission des lois.
Je crois également nécessaire d'être plus directif que la commission dans la fixation de la durée de la rente lorsque la prestation compensatrice emprunte cette forme.
La commission s'est longuement interrogée sur la question de la transmissibilité de la charge de cette rente aux héritiers du débiteur. Je le comprends, et j'ai moi-même beaucoup hésité.
Le principe, en droit français, est que les dettes se transmettent aux ayants droit du défunt, sauf lorsqu'elles ont un caractère personnel. Tel était le cas de la pension alimentaire.
Le fondement indemnitaire de la prestation compensatoire milite pour la solution inverse.
Néanmoins, le propre de la prestation compensatoire est de remédier à la disparité que la rupture provoque dans les conditions de vie respectives des époux, considération proprement personnelle à ces derniers.
C'est pourquoi il m'apparaît en définitive que le caractère au maximum viager de la rente devrait en principe prévaloir, même si, dans un souci d'individualisation des situations, il semble opportun de laisser au juge et aux époux, en cas de divorce par requête conjointe, la faculté d'en décider autrement.
Le Gouvernement vous propose de modifier en ce sens l'article 2 de la proposition de loi.
J'en viens maintenant aux mesures complémentaires qu'il me paraît souhaitable d'insérer dans le texte afin de conforter l'objectif du législateur de 1975 de mettre un terme au contentieux pécuniaire de l'après-divorce entre époux.
A dire vrai, je me suis longuement interrogée sur l'ampleur que devaient revêtir ces mesures.
La logique de la réforme de 1975 devrait conduire à imposer un règlement d'ensemble de tous les problèmes financiers entre époux au moment du divorce. Je pense à la liquidation du régime matrimonial qui n'est opérée à cette date que dans la procédure sur requête conjointe. Je pense également au sort des donations et autres avantages pécuniaires, qui n'est pas davantage figé lors de la rupture du lien matrimonial.
Mais une telle réforme implique une véritable refonte de pans entiers de notre droit patrimonial de la famille et ne peut à l'évidence se faire sans un examen approfondi qui retarderait d'autant les modifications dont le régime de la prestation compensatoire - je suis d'accord avec vous sur le principe - doit faire l'objet.
Le Gouvernement, vous le savez, a décidé d'entreprendre une réflexion générale sur les adaptations que l'évolution de la famille nécessite dans notre droit. Une mission vient d'être confiée par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité et par moi-même à Mme Irène Théry, sociologue du droit, spécialiste de la famille et de la vie privée. Son rapport, les travaux menés par la commission présidée par le professeur Hauser, constituée dans le cadre du groupement d'intérêt public « Recherche Droit et Justice », et la mise en place de groupes de travail plus spécialisés permettront de mettre en oeuvre des réformes d'ensemble.
Mais, dans l'immédiat, il m'apparaît que peuvent être détachés de cette réflexion d'ensemble un certain nombre d'aménagements propres à conforter le caractère forfaitaire de la prestation compensatoire voulu par le législateur de 1975.
Les dispositions qu'il vous est proposé d'introduire forment un tout cohérent destiné à faciliter le versement de la prestation en capital et, lorsque cette modalité de paiement n'est pas praticable, à limiter dans toute la mesure du possible la durée de la rente.
C'est ainsi que je crois tout d'abord nécessaire de prévoir que, lorsque le juge entend écarter le paiement en capital, il lui appartient de motiver spécialement sa décision.
Dans la même optique, le débiteur de la rente doit pouvoir en demander à tout moment la capitalisation.
Enfin, il paraît souhaitable d'assouplir les formes que peut présenter le versement en capital afin de le rendre plus attractif.
S'agissant du versement de la prestation compensatoire sous forme de rente, le principe du caractère temporaire de celle-ci me paraît devoir être affirmé.
Certes, un tel principe ne saurait être absolu et le juge doit avoir la latitude d'en disposer autrement. Mais si son choix se porte sur une rente viagère, sa décision devra faire l'objet d'une motivation spéciale.
Enfin, et dans le souci de diversifier les modalités de versement, la rente doit pouvoir faire l'objet, comme le réclament les praticiens, d'un terme extinctif, tel que la mise à la retraite du débiteur, ou d'une condition résolutoire, comme le remariage du créancier.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions qui me paraissent utilement compléter la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui tout en respectant les préoccupations qui ont animé ses auteurs.
Parce que ces aménagements participent du souci de rechercher, dans l'intérêt même des parties, un équilibre entre la possibilité nouvelle de révision de la prestation compensatoire et l'objectif essentiel de ne pas ressuciter le contentieux pécuniaire entre époux, le Sénat, je pense, ne restera pas insensible à la démarche du Gouvernement.
En proposant une réforme de la prestation compensatoire, le Sénat a montré sa préoccupation d'adapter un aspect essentiel de notre droit de la famille aux réalités économiques et sociales contemporaines et d'aider nos concitoyens à surmonter cette épreuve que constitue toujours l'échec d'une vie matrimoniale.
Cette préoccupation, je la partage pleinement : elle constitue, je le rappelle, l'un des axes essentiels de mon plan de réforme de la justice.
Aujourd'hui, les propositions de MM. les sénateurs About et Pagès, que la commission des lois a synthétisées avec la qualité qu'on lui connaît, vont nous permettre de franchir une première étape. D'autres étapes viendront. J'espère que nous les poursuivrons ensemble. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. About applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je constate d'emblée avec beaucoup de satisfaction que le Gouvernement n'est pas insensible aux préoccupations du Parlement... Voilà des problèmes qui se posent depuis vingt-trois ans.
Le Sénat avait déjà examiné en première lecture, il y a plus de dix ans, une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, sur l'initiative de notre ami Jean-Pierre Michel. Mais ce texte n'ayant jamais été inscrit à l'ordre du jour pour une deuxième lecture, nous n'avons donc jamais eu à l'examiner de nouveau. Il convient par conséquent de se féliciter des initiatives de nos collègues Robert Pagès et Nicolas About, grâce auxquelles le problème de la prestation compensatoire en matière de divorce se retrouve posé devant le Parlement.
Si la perspective d'une réforme d'ensemble est satisfaisante, vous avez néanmoins raison, madame la garde des sceaux, de ne pas nous demander d'attendre, pour traiter de la prestation compensatoire, la fin de la réflexion générale qui a été engagée. En effet, comme le rappelait tout à l'heure Guy Allouche, le mieux est l'ennemi du bien. C'est donc maintenant qu'il faut prendre des mesures simples pour éviter des situations souvent extrêmement pénibles.
Je suis parfaitement d'accord avec nombre de vos réflexions, madame la garde des sceaux, et en particulier avec votre analyse de l'évolution de la situation avant 1975 et depuis 1975, comme avec celle des textes. En revanche, je ne partage pas votre sévérité envers le système de la pension alimentaire, qui avait une qualité rare : une parfaite souplesse.
Ce système permettrait en effet de revenir à tout moment devant le juge, dès lors qu'était intervenue une modification dans les besoins de l'un ou dans les possibilités de l'autre.
Le fondement juridique de la pension était l'engagement pris, l'article 212 du code civil stipulant que « les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance ». L'un des deux époux, dès lors qu'il avait rompu le contrat, devait une pension alimentaire si l'autre en avait besoin.
Ce système était tout à fait acceptable à la réserve près que, dès lors qu'il y avait faute, aucune pension alimentaire n'était plus octroyée, et ce même si l'époux se trouvait dans le besoin, ce qui était chèrement payer un manquement au contrat !
Bien sûr, il fallait revenir devant le juge, qui appréciait s'il y avait ou non une modification suffisante des besoins ou des possibilités - il le faisait même si le terme « substantielle » ne figurait pas dans le texte - pour que la pension soit elle-même modifiée ou non dans un sens ou dans l'autre. C'était parfait.
Or, en 1975, est intervenu le changement de législation, la prestation compensatoire remplaçant le plus souvent la pension alimentaire sur un fondement nouveau : régler le problème une fois pour toutes, tout en veillant à éviter que ne s'instaure du fait du divorce une trop grande disparité dans les conditions de vie des époux.
Si l'idée était bonne, elle est malheureusement impossible à mettre en pratique : on ne peut en effet pas régler les problèmes une fois pour toutes, d'autant plus que, en raison du développement du chômage, certaines personnes tenues au versement d'une prestation compensatoire n'arrivent plus à payer cette dernière, alors que d'autres, qui ne perçoivent pas ou plus de prestation compensatoire, ne parviennent plus à vivre faute de trouver du travail. La situation économique a, à l'évidence, joué un grand rôle dans l'échec, aujourd'hui patent, de la prestation compensatoire.
Madame le garde des sceaux, vous avez dit vous-même que l'on avait voulu supprimer la pension alimentaire au profit d'un autre système, mais que, finalement, la logique reprenant ses droits, on en était revenu à quelque chose qui ressemblait beaucoup à la pension alimentaire. Règler les questions une fois pour toutes n'est possible qu'en prévoyant l'évolution des choses : or il n'est pas possible de tout prévoir !
La loi prévoit que la règle, en matière de prestation compensatoire, est le versement d'un capital mais nombreux sont ceux qui n'ont pas la possibilité de verser un capital !
J'ai lu dans les motifs de l'un de vos amendements, madame le garde des sceaux, que le paiement en capital doit rester la règle. Mais, vous l'avez parfaitement dit, la règle, en pratique, c'est, au contraire, une rente. C'est dans la logique des choses !
Notre ami Jean-Pierre Michel avait fait observer que, si l'on capitalisait les rentes telles qu'elles sont ordonnées et payées, on atteignait des sommes d'une importance extraordinaire, et qu'il fallait donc fixer le montant du capital, dans tous les cas, de manière que les débirentiers ne finissent pas par payer infiniment trop. Mais la prestation compensatoire n'est pas révisable.
Ce qui est tout de même incroyable, alors que le but est de compenser les disparités de revenus résultant de la dissolution du mariage, c'est que le résultat, en cas de modifications importantes de la situation de chacun des époux, peut être une disparité inversée de ce qu'elle était au moment du divorce : ainsi l'époux qui avait largement les moyens de donner de l'argent à son ex-conjoint pour lui maintenir son niveau de vie peut, au bout d'un certain temps, se trouver dans l'impossibilité de le faire, alors que l'ex-conjoint, au contraire, s'est entre-temps, par remariage ou autrement, fait une situation florissante. Ainsi, ce dernier continue à toucher des fonds de quelqu'un qui en a beaucoup moins que lui ! Il n'est évidemment pas pensable de laisser perdurer cette situation !
C'est tellement vrai que l'on porte atteinte au principe - qui est qu'il n'y a pas possibilité de révision, que la prestation compensatoire est forfaitaire - en cas d'« exceptionnelle gravité ». On en est ainsi revenu à la notion de pension alimentaire, elle, révisable.
Seulement, la jurisprudence - elle n'est pas en cause, elle a appliqué les textes - a constaté qu'une « exceptionnelle gravité » est, c'est l'évidence, extrêmement rare. Dans la plupart des cas, elle refuse donc toute révision. D'où des situations extrêmement pénibles.
Tout le monde est d'accord ici pour dire qu'il faut rendre la révision plus facile.
Certains font valoir qu'il en résultera un travail accru pour les magistrats, comme c'était le cas avec la possibilité de réviser les pensions alimentaires, travail que le système de la rente était censé alléger. Certes, mais ce n'est pas là une bonne manière de voir les choses. Ce qu'il faut, bien entendu, c'est qu'il y ait une justice ; et la justice, c'est que la prestation compensatoire, si on la garde - je ne sais d'ailleurs pas pourquoi on s'escrime à vouloir la garder, mais on verra cela plus tard, dans le cadre de la réforme générale - puisse être révisée lorsque c'est nécessaire.
Autre problème : cette prestation doit-elle être transmissible aux héritiers ? Il serait normal qu'une dette soit transmissible. Oui, sauf si l'on considère qu'une prestation compensatoire révisable est assimilable à une pension alimentaire !
La pension alimentaire présentait en effet l'avantage de disparaître avec le décès, avec, bien entendu, pour le survivant, la possibilité de demander une aide alimentaire à ceux qui y sont tenus par la loi.
Sur ce point, je suis en désaccord avec la commission. En effet, cela me choque que l'on puisse demander aux enfants, particulièrement s'ils sont d'un autre lit, ou à la veuve de continuer à payer. J'aimerais mieux que l'on s'en remette au système ancien, c'est-à-dire à l'aide alimentaire, qui ne peut être demandée qu'aux uns et pas aux autres, et seulement si l'intéressé est dans le besoin. Car c'est un faux problème, je le répète, de dire que, du moment où c'est une dette, il y a prestation compensatoire, il y a dette à laquelle tout héritier est tenu. Il suffit que la loi dise, en l'espèce, le contraire.
Car, comme vous le savez très bien, cette prestation compensatoire est redevenue, en vérité - elle ne peut pas être autre chose - une pension alimentaire - c'est une pension alimentaire déguisée - ne vous arrêtez pas aux termes « prestation compensatoire » et considérez qu'il n'est pas normal, finalement, que son paiement soit transmissible et donc payable par les héritiers, quels qu'ils soient et dans tous les cas.
Il est bon que cette discussion s'ouvre. J'espère qu'elle se poursuivra rapidement devant l'Assemblée nationale. En effet, s'il reste un important travail parlementaire à faire pour peaufiner les nouveaux textes, il y a aussi urgence, et je suis obligé de constater que c'est parce que le Parlement peut dorénavant inscrire à son ordre du jour des propositions de loi qu'il y a maintenant cet espoir de voir rapidement apportées les solutions indispensables à des problèmes qui se posent depuis trop longtemps. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à l'heure où les autorités des Yvelines, autour du préfet, rendent hommage à Claude Erignac, je souhaite, en tant que parlementaire de ce département, m'associer très officiellement, du haut de cette tribune, à cet hommage.
J'en viens à notre sujet.
Lorsqu'une loi est mauvaise, il ne faut pas hésiter à la réformer, ses intentions premières fussent-elles parfaitement louables.
Dans un souci d'équité, le législateur de 1975 avait souhaité pallier la disparité de revenus que pouvait engendrer un divorce entre deux époux en instaurant une prestation compensatoire.
Comme son nom l'indique, cette prestation versée par le conjoint le plus fortuné à son ex-époux devait servir à compenser autant que possible le préjudice financier que pouvait constituer pour le conjoint le plus démuni la rupture de la vie commune.
Le juge, au regard d'un certain nombre de critères - l'âge, la situation professionnelle, la durée du mariage, etc. - devait s'ériger en prophète pour fixer le montant de cette indemnité forfaitaire, en évaluant les ressources et les besoins des ex-époux « dans un avenir prévisible ». La tâche ne semblait pas alors trop ardue puisqu'il suffisait de tenir compte de l'évolution normale d'une carrière professionnelle qui ne présentait guère de surprises, il y a vingt ans.
La situation, aujourd'hui, a bien changé. L'instabilité qui règne sur le monde du travail ne permet plus de prédire avec justesse ce que l'avenir réserve à deux personnes qui se séparent. Et il n'est pas rare de voir se produire, avec la montée du chômage dans toutes les catégories sociales, les véritables retournements de situation dont parlait M. Dreyfus-Schmidt à l'instant, où le conjoint qui semblait pourtant le mieux armé financièrement au moment du divorce tombe dans une grave précarité. Cette précarité ne l'exempte pourtant pas de continuer à payer une rente à son ex-conjoint beaucoup mieux loti que lui. Devant une telle instabilité socio-économique, la rigidité qu'impose la loi de 1975 en matière de prestation compensatoire est devenue obsolète. Pis, elle est devenue, à son corps défendant, source d'injustices sociales.
Cette rigidité n'a pas échappé à la vigilance de la commission des lois, qui a souhaité, sur l'une de mes propositions ; introduire plus de souplesse. C'est dans cet esprit que je reprendrai les trois grands axes de la réforme qu'il me paraît urgent de réaliser : l'assouplissement des modalités de révision de la rente, sa limitation dans le temps, son intransmissibilité aux héritiers.
Premier axe, donc, l'assouplissement des modalités de révision.
Comme l'a rappelé M. le rapporteur, le principe même de la prestation compensatoire était de régler une fois pour toutes les différends pécuniaires entre les ex-époux, afin de limiter dans le temps les effets néfastes du divorce.
La règle générale était d'instaurer entre le débiteur et le créancier un versement en capital. A titre exceptionnel, la prestation pouvait prendre la forme d'une rente. La pratique judiciaire - vous l'avez rappelé, madame le ministre - a, hélas ! détourné la lois de 1975 puisque le versement sous forme de rente ou sous une forme qui peut s'apparenter à une pension alimentaire est devenu la règle générale - plus de 80 % des cas - et le capital, l'exception - seulement 20 % des cas.
Comment expliquer cette dérive ?
D'abord, par des dispositions fiscales aberrantes qui privilégient, aujourd'hui, le versement d'une rente plutôt que d'un capital ; la rente est déductible, chaque année, du revenu du débirentier, alors que le versement en capital, même en trois annuités, est soumis à la même imposition que les donations. Je m'inscris donc très clairement en faveur des mesures fiscales proposées par la commission des lois, et qui consistent à doubler l'abattement fiscal lorsque la prestation est versée en capital, même si cette disposition est peut-être encore insuffisante.
La deuxième explication à cette dérive - je crains, hélas ! que les facilités fiscales annoncées ne fassent qu'en atténuer les effets sans les régler totalement - c'est la précarité des capitaux personnels, qu'il est bien difficile, en cette période de chômage, de mobiliser lors du prononcé du divorce, divorce qui - faut-il le rappeler ? - est toujours source d'appauvrissement pour le couple qui se sépare.
Souvent mal informé des conséquences d'un tel choix, l'époux débiteur, quand on lui offre le choix, opte pour le versement d'une rente à son ex-conjoint, pensant ainsi préserver son capital dans l'hypothèse d'une nouvelle installation, voire d'un remariage.
La troisième explication à cette dérive, c'est peut-être, de la part de certains, la volonté de punir à vie l'un des époux en établissant des liens financiers avec son ex-époux. Divorcer serait-il donc devenu un crime si grave pour se voir infliger non pas une peine de sûreté de trente ans, non pas la perpétuité, mais la transmissibilité de la peine ?
La quatrième explication réside sans doute dans la confusion, dans l'esprit des juges, entre la prestation compensatoire et la pension alimentaire. A partir du moment où le versement de la rente est devenu la règle, l'étalement dans le temps des effets du divorce a peu à peu fait perdre à la prestation compensatoire son caractère indemnitaire pour prendre une dimension alimentaire.
Cette assimilation de la prestation à la pension alimentaire était l'un des écueils tant redoutés de la loi de 1975. Il n'a malheureusement pas pu être évité, tant les juges, habitués au régime de la pension alimentaire, tendaient à y faire référence dans le calcul de la prestation.
A partir du moment où la prestation compensatoire prend une dimension alimentaire, il devient difficile de rester inflexible sur le chapitre de la révision.
Cessons de croire que le versement d'un capital et le versement d'échéances étalées dans le temps sont équivalents. Le temps introduit des changements importants dans la situation initiale des époux, qui sont difficilement prévisibles pour un juge. La réalité, nous le savons, dépasse souvent la fiction.
C'est, par exemple, le cas d'un retraité dont les ressources ont chuté et qui doit continuer à verser une prestation - équivalant à 49 % de ses revenus - à son ex-épouse pourtant remariée avec un P-DG ! Ce type de situations est monnaie courante, et pourtant elles ne relèvent pas, comme on l'a dit, du critère d'« exceptionnelle gravité », qui permettrait d'ouvrir une procédure en révision.
Une importante baisse des revenus due au chômage, à une maladie ou à un départ à la retraite ne constitue pas une cause suffisante pour une demande en révision. Pis, il existe des disparités d'appréciation entre les juges pour juger du degré de gravité recevable pour une révision : ainsi, le chômage est apparu tantôt comme insuffisant, tantôt comme recevable, suivant les tribunaux. A tel point qu'une spécialiste du droit de la famille a récemment qualifié de « loterie judiciaire » les procédures en révision des prestations compensatoires.
Soyons clairs : l'étroitesse des critères de révision, qui devait mettre fin, dans l'esprit de 1975, au contentieux entre les ex-époux, est devenue, avec le temps, source d'injustices et de nouvelles rancoeurs. Au lieu de régler définitivement les effets néfastes du divorce, la rente compensatoire n'a fait que les prolonger, en remplaçant des liens affectifs rompus par des liens financiers perpétuels et indénouables. A la lumière de ces exemples, il me paraît urgent d'ouvrir les possibilités de révision de la rente, et ce dans les deux cas de figure suivants.
Premier cas de figure, en cas de changement « négatif », lorsque la rente devient difficile à honorer pour le débiteur, pour cause de baisse substantielle de son niveau de vie. C'est le cas, notamment, du chômage ou d'un départ à la retraite. Nous devons en effet considérer que, si le mariage avait perduré, le conjoint aurait de toute façon connu une baisse de revenus, si son époux s'était retrouvé au chômage ou à la retraite.
Second cas de figure, en cas de changement positif, lorsque la prestation compensatoire n'est plus nécessaire pour le créancier, en raison d'une élévation importante de ses revenus. C'est notamment le cas lorsque survient un héritage ou un remariage.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas toujours !
M. Nicolas About. Mais c'est possible !
J'irai même plus loin : je m'inscris en faveur d'une suppression automatique de la prestation compensatoire en cas de remariage ou de concubinage notoire du créancier.
A partir du moment où le créancier contracte une nouvelle union, le lien de solidarité qui existait entre lui et son ex-conjoint tombe, ou, plutôt, il est transféré à son nouveau conjoint ou concubin qui assume désormais la charge du ménage.
M. Dreyfus-Schmidt évoquait tout à l'heure les articles 212, 213 et suivants du code civil ; je rappelle que, aux termes de l'article 214, « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives ». Ainsi, le nouveau contrat de mariage entraînera des obligations pour le nouveau conjoint et devrait donc lever celles du précédent.
Il faut, en effet, éviter à tout prix ces situations invraisemblables où, par exemple, une femme qui a divorcé deux fois et se remarie cumule les deux prestations compensatoires de ses ex-maris, malgré une situation financière devenue très confortable et de nouveaux liens de solidarité tissés. C'est cela qui est important.
Dans notre code civil, les pensions alimentaires deviennent caduques dès qu'il y a remariage ou concubinage de l'époux bénéficiaire. A partir du moment où la prestation compensatoire prend, dans la pratique - tout le monde l'a rappelé - une dimension alimentaire, on doit accepter qu'elle s'éteigne dans les mêmes conditions que la pension alimentaire. La rente compensatoire doit donc s'éteindre dès l'instant où l'époux créancier se remet en ménage.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Nicolas About. J'en viens à la limitation de la durée de la rente.
Je rappelais à l'instant comment le législateur de 1975, en donnant la possibilité au juge de transformer le capital en rente, sans guère lui laisser la possibilité de la réviser, n'avait fait que perpétuer des liens d'ordre financier entre les ex-époux. Après tout, il n'est pas choquant de penser que subsiste entre deux personnes qui ont partagé de nombreuses années de leur vie, qui ont eu ensemble des enfants, un devoir moral d'assistance. Un divorce ne peut effacer d'un trait de plume une histoire passée, vécue en commun. Personne ne conteste ici le bien-fondé de la prestation compensatoire, correspondant à l'ancien devoir de secours du code Napoléon.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pourquoi la limiter ?
M. Nicolas About. Ce qui est plus choquant, c'est de voir se prolonger des versements, parfois à vie. Un capital versé une fois pour toutes, dès le prononcé du divorce, pourrait pourtant permettre à l'époux créancier de prendre une certaine autonomie financière par rapport à son ex-conjoint. Il devrait également permettre à l'époux débiteur de tourner la page. Il faut souligner ici le caractère vexatoire que peuvent représenter pour le débirentier des versements indemnitaires perpétuels, surtout lorsque leur montant est faible. Au bout d'un certain temps, il finit par les vivre comme une sanction financière qui lui est infligée par la justice, alors qu'il n'est pas coupable. Rappelons en effet que le régime des prestations compensatoires est valable, y compris pour les divorces les plus neutres, par consentement mutuel ou sur requête conjointe. Il arrive même que ce soit celui qui ne voulait pas le divorce qui soit contraint de payer ! C'est le cas le plus fréquent. Arrêtons cette condamnation absurde, en revenant au système du capital ou, à défaut, en limitant le plus possible la durée de versement de la rente.
J'avais, pour ma part, proposé de limiter à dix ans la durée de versement de la rente, sauf si cette limitation devait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour le créancier. Je voulais en effet que la loi n'oublie pas le cas particulier des vieux époux, pour qui l'arrêt des versements aurait pu avoir des conséquences fâcheuses.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Nicolas About. Ma proposition n'a pas été retenue par la commission qui a préféré laisser au juge - on a vu ce qu'il a fait de la loi de 1975 ! - la libre appréciation de cette durée.
Je crains, pour ma part, qu'une telle liberté ne crée de nouveau des disparités d'appréciation d'un tribunal à l'autre, et des ruptures d'égalité entre les justiciables.
Pour y remédier, il me paraît important de fixer une borne symbolique que le juge pourra toujours reculer si, à l'expiration de cette période, la suppression de la prestation devait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Je défendrai tout à l'heure un amendement en ce sens, en proposant une durée maximale égale à deux fois celle du mariage.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela dépend de l'âge des enfants !
M. Nicolas About. Le troisième aspect de mon propos portera sur l'intransmissibilité de la rente aux héritiers.
En ne fixant aucune limite temporelle à la rente compensatoire, le législateur de 1975 a commis une double erreur : ...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah non !
M. Nicolas About. ... non seulement il a « condamné à perpétuité » l'un des époux à subvenir aux besoins de l'autre, mais, en plus, il a en quelque sorte hypothéqué son avenir et celui de ses enfants. Par une disposition parfaitement aberrante, il a en effet inscrit dans le code civil le principe de la transmissibilité de la charge aux héritiers.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'était logique.
M. Nicolas About. Autrement dit, si l'époux débiteur vient à décéder, la charge de la rente se transmet à ses héritiers, c'est-à-dire à son nouveau conjoint et aux éventuels enfants issus de son second mariage, alors même que ceux-ci n'ont aucun lien de parenté avec le créancier. Le seul moyen dont disposent les héritiers pour échapper à cette obligation consiste alors à refuser purement et simplement la sucession.
Cette disposition me semble particulièrement injuste. De nombreuses femmes remariées se voient ainsi contraintes, alors qu'elles viennent de perdre leur mari et qu'elles doivent continuer à élever leurs enfants, de payer une rente à la première femme de leur mari, alors qu'elles ne sont en rien responsables des liens de ce premier mariage, auxquels le divorce a, en principe, mis un terme définitif.
M. Robert Pagès. C'est exact !
M. Nicolas About. D'autres sont obligées de rependre une activité professionnelle pour payer une prestation à la première épouse qui, elle, n'a jamais travaillé ! Tout se passe, en droit français, comme dans les dynasties chinoises, où la seconde épouse devait respect et assistance à la première du nom, selon une hiérarchie très codifiée.
La commission n'a pas jugé bon de revenir sur la transmissibilité de la rente et je le regrette. Je ne pense pas pour ma part que ce principe soit « conforme au droit commun », ou bien, s'il l'est, changeons le droit commun. C'est après tout le rôle du législateur.
Au contraire, je pense que la rente compensatoire n'est pas une dette comme les autres : elle découle de liens affectifs passés qui s'éteignent à la mort de celui qui les a contractés. Contrairement à ce que dispose la loi - et, je le répète, lorsque la loi n'est plus adaptée à la réalité de notre temps, il faut la changer - il s'agit non pas d'une dette d'ordre patrimonial, mais bien d'une dette à caractère personnel, correspondant à l'ancien devoir de secours entre les ex-époux, qui ne saurait échoir à leurs héritiers.
Contraindre un nouveau conjoint ou des enfants issus d'un second mariage à refuser la succession de leur père constitue une mesure inégalitaire qui ne trouve aucun fondement valable. On ne peut, je le rappelle, faire porter la charge de la rente à des individus que rien ne lie au créancier. Imaginez la charge financière qu'aurait représentée une rente compensatoire versée à Jeanne Calment, dernière doyenne de l'humanité, par les héritiers de son ex-mari et vous comprendrez qu'on ne peut faire ainsi porter le poids d'une rente à toute une descendance, sous prétexte qu'un aïeul a contracté des liens matrimoniaux par le passé.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Elle avait vendu en viager !
M. Nicolas About. En achetant en viager, on prend un risque : on cherche à tirer un bénéfice de cette transaction. Ce n'est pas le cas pour une prestation compensatoire. On ne peut donc assimiler prestation compensatoire et rente viagère !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, mais sur la forme, c'est comparable puisque la prestation compensatoire c'est le versement d'un capital.
M. Nicolas About. Certes, mais ce n'est pas une rente.
J'irai plus loin dans mon raisonnement, pour montrer l'absurdité à laquelle nous conduit le principe de la transmissibilité de la rente.
Admettons que des ayants cause refusent la succession du défunt à cause de cette rente alimentaire. Puisque la loi part du principe que le devoir de secours à l'égard de l'ex-conjoint ne s'éteint pas à la mort du débiteur, pourquoi l'Etat, qui reprend la succession, refuserait-il d'assumer le paiement de la rente ? C'est vrai que l'Etat n'est jamais débiteur !
Par un dispositif qui n'incite guère les héritiers à reprendre la succession, l'Etat peut récupérer les biens du défunt, mais il ne va pas jusqu'à reprendre la dette qu'est la prestation compensatoire, puisqu'il n'assure pas le relais du versement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très juste !
M. Nicolas About. C'est donc bien que lui, l'Etat, estime que cette dette n'est pas d'ordre patrimonial mais bien qu'elle est personnelle au défunt. Revenir au principe de l'intransmissibilité de la rente n'est donc que justice, pour le débirentier, mais aussi pour sa descendance.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est audacieux comme raisonnement !
M. Nicolas About. C'est audacieux. De l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace ! (Sourires.)
Vous l'aurez compris, madame le ministre, mes chers collègues, deux principes doivent à mon sens guider notre discussion : souplesse et justice. Souplesse, d'abord, par l'ouverture des possibilités de révision de la rente.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
M. Nicolas About. Souplesse, ensuite, par la limitation temporelle de son versement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
M. Nicolas About. Souplesse, enfin, par l'abrogation du principe de transmissibilité aux héritiers.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !
M. Nicolas About. Cet objectif vers lequel nous devons tendre, et que, je l'espère, mes chers collègues, nous atteindrons ensemble, ne fera que répondre au souci d'équité qui avait présidé à l'élaboration de la loi de 1975, mais que la réalité socioéconomique a dépassé. Faisons donc acte de justice.
En terminant, madame le ministre, même si certaines de vos propositions appelleront de ma part quelques remarques au cours de la discussion des articles, je veux vous remercier pour l'ensemble de vos propositions qui contribuent très sensiblement à l'avancement de ce dossier délicat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien !
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec l'examen de ces deux propositions de loi modifiant les règles de la prestation compensatoire, nous anticipons la réforme plus globale du divorce envisagée par le Gouvernement.
Cette prestation compensatoire, instituée par la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce, est sûrement l'un des volets dont les effets pécuniaires sont les plus conséquents, donc les plus urgents à traiter.
A l'époque, dans les années soixante-dix, au moment où le nombre des divorces explose, cette prestation avait pour objectif de garantir un revenu à l'épouse divorcée, souvent femme au foyer, ou bien de compenser la disparité créée par le divorce entre les conditions de vie des deux époux, lorsque les revenus de la femme étaient inférieurs à ceux du mari. Il faut se rappeler qu'en 1975 près de 59 % des femmes de vingt-cinq à quarante-quatre ans avaient une activité professionnelle, contre environ 80 % en 1996.
Le principe de ce dispositif est juste et généreux, puisqu'il permet de maintenir une certaine égalité dans les revenus des deux ex-conjoints après le divorce.
Cependant, on l'a dit à plusieurs reprises, après vingt années d'application de la loi de 1975, étant donné qu'aucun garde-fou n'a été prévu, les effets pervers de cette loi que je dirai « égalitaire » se sont révélés, à l'usage, redoutables, aboutissant à des situations d'une criante injustice, en raison notamment de la persistance du chômage.
Parfois, la différence peut devenir trop importante entre les deux ex-époux, avec le cas extrême où le débiteur devient chômeur, perdant ainsi une part substantielle de ses revenus, alors que l'époux bénéficiaire voit ou peut voir ses revenus augmenter ou sa situation s'améliorer, par remariage notamment.
La prestation compensatoire est alors souvent vécue comme une rente à vie, voire une sanction à vie, par les débiteurs.
En effet, si en principe cette charge devait être versée en capital, en pratique cette formule n'est pas fréquemment retenue ou très partiellement. En conséquence, ce versement, qui prend, le plus souvent, la forme d'une rente mensuelle, n'est pas limité dans le temps.
En outre, sa révision est exceptionnelle, donc quasiment impossible en pratique, et le report de la charge de cette rente se fait sur les héritiers en cas de décès du débiteur.
Ce système, rigide et sévère pour le débirentier, a engendré des situations invraisemblables et injustes, dont nous avons pris connaissance et conscience, et qui nous ont amené à déposer une proposition de loi visant à assouplir la législation en la matière.
Je tiens à préciser que si, à l'origine, la loi de 1975 avait pour objectif premier de mettre à l'abri du besoin l'épouse divorcée et ses enfants, les temps ont changé.
C'est ainsi qu'aujourd'hui les femmes sont, en tant qu'épouses d'hommes divorcés, elles aussi les victimes des aberrations du système, puisqu'en cas de décès de leur mari elles héritent de la dette et doivent à leur tour verser la prestation à la première épouse.
En outre, il arrive également, même si les cas sont plus rares, que les tribunaux allouent des prestations aux hommes quand les épouses ont des salaires plus élevés qu'eux.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est l'égalité !
M. Robert Pagès. Je ne dis pas que c'est mal ; je fais un constat. Ce n'est pas un jugement de valeur, mon cher rapporteur.
M. Pierre Fauchon. C'est une information !
M. Robert Pagès. Pour en venir aux termes mêmes des conclusions de la commission des lois, je ferai plusieurs observations.
L'article 1er prévoit que la prestation peut être révisée uniquement « en cas de changement substantiel dans les ressources des parties ».
Actuellement, l'article 273 du code civil précise que la prestation « ne peut être révisée même en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties, sauf si l'absence de révision devait avoir pour l'un des conjoints des conséquences d'une exceptionnelle gravité ».
Le législateur de 1975 a voulu que la situation soit définitivement fixée lors du prononcé du divorce et ne puisse plus être constamment remise en cause.
Le fait est que, généralement, le jugement intervient au moment où le débirentier est en activité et où la rente est supportable.
Les problèmes surviennent lorsque le débiteur devient retraité, chômeur, RMIste, invalide ou à la tête d'une famille nombreuse - pourquoi pas ? Dans ces cas précis, la rente devient, du jour au lendemain, à proprement parler insupportable, car elle absorbe tout ou partie des revenus du débiteur.
Or, étant donné la rédaction de l'article 273 du code civil, la révision est presque toujours impossible. C'est ainsi qu'il a été jugé que le licenciement d'un débiteur ne constituait pas un changement imprévisible « compte tenu du contexte économique » et ne pouvait justifier une révision. Il a été jugé de même pour la mise à la retraite, même anticipée, et la liquidation judiciaire.
Il n'y a guère qu'en cas de maladie grave que les juges se montrent plus tolérants.
Il est donc urgent de modifier la loi, à l'heure où notre pays compte plus de 3,5 millions de chômeurs et bon nombre d'autres exclus, à l'heure où un foyer sur trois est touché par le problème de la perte d'emploi. C'est d'autant plus urgent que, dans la tranche d'âge comprise entre vingt-cinq et quarante-neuf ans, c'est-à-dire celle qui est la plus confrontée au divorce, la proportion des chômeurs de longue durée est la plus élevée.
Il est des situations qui aboutissent à l'inverse du but que la loi cherche à atteindre, puisque le débiteur, dont la rente a été calculée sur la base d'un salaire qu'il ne perçoit plus, se trouve désormais dans une situation matérielle plus difficile que la personne à qui il apporte son soutien financier.
Au surplus, le conjoint bénéficiaire de la rente qui se remarie peut non seulement voir sa situation s'améliorer, mais également, en cas de nouveau divorce, percevoir une seconde prestation compensatoire. Et ainsi de suite !...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Robert Pagès. C'est pourquoi il eût été utile de préciser dans la loi qu'« en cas de remariage ou de concubinage notoire de l'époux créancier, la charge de la rente disparaît ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout !
M. Robert Pagès. Mais notre collègue M. Dreyfus-Schmidt n'en est évidemment pas convaincu !
Par ailleurs, il faut savoir que l'avenir de ces débirentiers, retraités, chômeurs ou dont le salaire a substantiellement diminué du fait de la précarité de l'emploi, est complètement bouché.
Et si leur ex-époux, remarié, peut voir sa situation devenir plus confortable, il peut bien évidemment n'en être pas de même pour le débiteur.
A cela s'ajoute le fait que, si ce dernier se remarie, à son décès, la charge de la rente sera supportée par leur nouveau conjoint, voire par les enfants nés de cette nouvelle union, ce qui n'est pas acceptable.
En effet, la charge de la rente est transmissible et peut engendrer des situations absurdes. Le cas le plus marquant est celui où, en cas de décès des deux ex-époux, les enfants du second mariage du débirentier doivent verser une rente au deuxième époux du ou de la bénéficiaire, alors qu'il n'y a aucun lien de parenté entre eux !
Le versement d'une rente sur une trop longue durée pénalise ou favorise injustement des personnes étrangères au divorce. C'est donc à juste titre que l'article 2 du présent texte prévoit que « le décès de l'époux créancier avant l'expiration de cette durée met fin à la charge de la rente ».
Toutefois, pour que le dispositif soit complet, nous estimons qu'il est nécessaire de prévoir qu'« à la mort de l'époux débiteur, la charge de la rente disparaît ».
Il arrive en effet que, en cas de décès du débiteur, les héritiers qui ne peuvent pas prendre en charge la rente compensatoire soient dans l'obligation de renoncer à la succession. Par notre amendement, nous proposons donc que la charge de la rente disparaisse avec le décès du débiteur.
Nous approuvons également l'article 2 en ce qu'il précise que « le juge fixe la durée de la rente en prenant les éléments d'appréciation prévus à l'article 272 ».
D'ailleurs, en pratique et en raison de la situation économique et sociale des années quatre-vingt-dix, les juges ont déjà tendance à limiter le paiement de la rente sur une période de trois à quinze ans, alors qu'elle était due à vie, auparavant.
La rente ne devrait plus pouvoir être attribuée au-delà de la période d'activité du débirentier ou, du moins, devrait-elle être largement révisée dès cette date. On peut, en effet, considérer que, si le mariage était arrivé à « tenir » jusqu'à la mise à la retraite des époux, le « créancier » aurait de toute manière subi la diminution des ressources de son conjoint.
Les tribunaux tiennent bien compte, en cas de divorce d'époux retraités, de la situation de retraité de chacun d'eux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Robert Pagès. Quant à l'article 3, qui prévoit de doubler l'abattement fiscal en cas de versement de la prestation compensatoire sous forme de capital au lieu et place d'une rente, il confirme un principe, l'attribution d'un capital, qui n'est pas respecté actuellement.
En effet, les trois quarts des prestations sont aujourd'hui accordées sous forme de rentes, dont le montant est fixé au jour du divorce et atteint en moyenne 2 300 francs, mais un tiers d'entre elles excèdent 3 500 francs et 7 % 6 000 francs.
Le régime fiscal proposé, plus avantageux que le régime actuel, devrait inciter les personnes qui divorcent à choisir le versement d'un capital plutôt qu'une rente, ce qui leur permettrait de couper définitivement les liens du mariage.
C'est d'ailleurs l'objectif de la loi de 1975, qui devait régler le plus rapidement possible les effets du divorce en érigeant notamment en principe le versement, une bonne fois pour toute, d'un capital.
Or, on l'a vu, le principe est devenu l'exception, et l'attribution d'une rente a été largement employée par les tribunaux, qui ont fait ainsi perdurer les « liens du divorce » bien au-delà de la volonté du législateur de 1975.
Telles sont les quelques observations que je tenais à faire quant aux conclusions de la commission des lois, sur lesquelles nous reviendrons, bien entendu, lors de la discussion des articles.
Nous sommes, bien évidemment, conscients qu'il ne s'agit là que de premières mesures eu égard à l'importance du chantier que constitue la réforme du divorce. Néanmoins, nous considérons qu'il est urgent de remédier d'ores et déjà aux situations dramatiques que vivent les personnes divorcées, condamnées à payer une rente à vie, une rente devenue trop lourde par rapport à leurs revenus.
Avant de finir, il me reste à soulever deux interrogations.
L'une concerne la multiplication des requêtes qu'entraînera l'adoption de ces mesures tant la pression des justiciables en la matière est grande, et donc la question des moyens à mettre en oeuvre.
L'autre est relative à l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, inscription que nous souhaitons, bien entendu, rapide, de façon à ne pas prolonger encore une situation douloureuse pour nombre de nos concitoyens.
En tout état de cause, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont favorables à l'adoption des modifications proposées. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
Le capital, voilà l'ennemi ! (Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes d'accord sur le principe : il faut modifier la prestation compensatoire telle qu'elle a été instituée par la loi de 1975. Cette prestation s'est en effet révélée inadaptée à l'évolution de la société, à la grave instabilité résultant de la crise économique et sociale, de l'explosion du chômage et du développement des situations de précarité. Mais il faut, dans le même temps, faire attention à ne pas créer d'autres difficultés.
Je partage l'avis de M. Hyest. Comme il l'a exprimé dans son rapport, il convient d'assouplir les conditions de révision. Je le remercie d'ailleurs de l'ouverture qu'il a faite quant aux améliorations possibles du dispositif envisagé.
Je partage aussi l'avis de M. Dreyfus-Schmidt sur l'intérêt qui s'attache à une modification de la prestation compensatoire sans attendre une réforme d'ensemble du divorce ou du droit de la famille.
Je ne crois pas pour autant qu'il soit exact - nous divergeons sur ce point - que la pension alimentaire donnait satisfaction. En effet, nous le savons tous, les pensions alimentaires généraient un très important contentieux, un contentieux qui se pérennisait pendant des années. Je ne souhaite donc pas que nous revenions purement et simplement à l'ancien système.
Monsieur About, je partage votre souhait d'instaurer un dispositif souple. Je pense d'ailleurs que les amendements proposés par le Gouvernement répondent à votre voeu.
En effet, je ne suis pas favorable à un système rigide qui interdirait systématiquement que la charge de la prestation compensatoire soit supportée par les héritiers ou qui imposerait qu'elle cesse en cas de concubinage notoire. Il nous faut trouver un point d'équilibre.
Je voudrais également dire à M. Pagès que je suis extrêmement sensible aux observations qu'il a formulées concernant les situations d'injustice qui ont été créées par cette prestation compensatoire : pénalisation de personnes en situation de chômage ou de personnes mises à la retraite anticipée, sans oublier la situation de seconde épouse par rapport à la première.
C'est pourquoi je suis entièrement d'accord avec vous, monsieur Pagès, quant à la nécessité de modifier la loi et je vous remercie d'avoir déposé cette proposition de loi qui nous permet d'avoir cette discussion aujourd'hui.
Il nous faut arriver à élaborer un système souple afin de tenir compte des modifications pouvant intervenir dans la situation tant du créancier que du débiteur. Mais, en même temps, il ne faut pas tomber dans une insécurité juridique susceptible d'engendrer des contentieux eux-mêmes persistants.
Je pense - mais nous aurons le temps d'en reparler - que la discussion parlementaire devrait nous permettre de parvenir à un bon point d'équilibre.
Le Gouvernement, je le rappelle, souhaite que la prestation compensatoire reste forfaitaire, tout en faisant en sorte qu'elle puisse être modifiée plus facilement qu'aujourd'hui en cas de changements imprévus et importants.
Le Gouvernement souhaite par ailleurs que la prestation compensatoire sous forme de capital soit privilégiée - en tout cas, chaque fois que cela est possible, mais nous savons bien que cela n'est pas toujours le cas - pour permettre le règlement financier du divorce au moment où celui-ci est prononcé.
Le Gouvernement estime de plus qu'à tout moment le débiteur de la rente doit pouvoir demander la capitalisation au cas où sa situation de fortune changerait.
Le Gouvernement souhaite en outre que la rente soit temporaire, qu'elle soit assortie d'un terme ou d'une condition - ce que la jurisprudence jusqu'ici n'avait pas permis - et que l'attribution d'une rente à titre viager soit spécialement motivée.
Le Gouvernement souhaite encore que, sauf disposition contraire, lorsque le débiteur de la rente meurt, le versement de celle-ci ne soit plus transmis aux héritiers, tous les orateurs ont insisté sur ce point.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sauf la commission !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est exact !
Enfin, le Gouvernement souhaite que soit prévue, pour garantir le paiement de la rente, la possibilité de cautions ou d'assurance, ce qui était jusqu'ici impossible.
Il me semble que nous sommes d'accord sur les objectifs tout en différant manifestement sur quelques-unes des propositions. Nous sommes les uns et les autres animés du souci de trouver un point d'équilibre pour remédier à des situations difficiles. J'espère que la discussion parlementaire nous permettra d'y parvenir ; en tout cas, je vous remercie de l'avoir suscitée. En ce qui me concerne, je ferai tout pour que cette discussion puisse aboutir dans les meilleurs délais. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La discussion des articles interviendra à une date ultérieure.
Afin de permettre à la conférence des présidents de se réunir, le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les reprendra à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)