INTERDICTION DES ARMES CHIMIQUES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 291, 1996-1997)
relatif à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction
de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes
chimiques et sur leur destruction. [Rapport n° 253 et avis n°s 268 et 254
(1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le président, messieurs les
rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'aborder la présentation
du projet de loi dont l'examen nous réunit cet après-midi, je voudrais vous
faire part du plaisir que j'ai à travailler aujourd'hui dans l'hémicycle du
Sénat à l'élaboration d'un texte important.
Je voudrais vous dire également la tristesse que j'éprouve personnellement,
tout comme, vous le savez, l'ensemble du Gouvernement, devant la disparition de
l'un des vôtres, Maurice Schumann.
La veille de son décès, il m'adressait sa réponse à propos d'un colloque que
j'organise le 26 mars prochain sur le secteur public en France et en Europe.
Chacun comprendra l'émotion qui est la mienne, semblable, j'en suis certain, à
celle de tous ses collègues, de ne pas découvrir aujourd'hui sa silhouette dans
les travées.
Je garderai un vif et profond souvenir de cette figure du monde politique de
la guerre et de l'après-guerre, de cette personnalité avec laquelle j'ai eu le
plaisir, depuis plus de vingt ans, de travailler.
L'industrie du textile et de l'habillement, dont je m'occupe en tant que
secrétaire d'Etat chargé de l'industrie, a trouvé en lui l'un de ses plus
ardents défenseurs.
Avec une grande humilité, j'ai toujours bénéficié, comme député d'abord, et
aujourd'hui comme secrétaire d'Etat, de ses conseils et de son expertise.
Tous, ici, nous garderons en mémoire cette belle phrase qui le caractérise si
bien : « Qu'aurais-je été si Alain ne m'avait pas appris à douter, Simone Weil
à croire, Marc Sangnier à aimer et de Gaulle à combattre ? ».
J'en viens au texte qui doit nous occuper aujourd'hui.
Le 13 janvier 1993 était signé à Paris la convention sur l'interdiction de la
mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes
chimiques et sur leur destruction.
Cette convention, à laquelle la France a tellement contribué, sous l'impulsion
du Président de la République François Mitterrand, marque l'aboutissement de
nombreuses années d'efforts pour éliminer définitivement ces armes de
destruction massive qui frappent indistinctement populations civiles et
combattants, et provoquent chez les personnes qui échappent à la mort des
souffrances qui peuvent se prolonger bien au-delà de la fin des conflits.
Dès 1925, à la suite de la Grande Guerre, le protocole de Genève interdisait
l'emploi de l'arme chimique, ce qui n'en a toutefois pas empêché, hélas !
l'utilisation dans des conflits où notre pays n'était pas impliqué.
Le protocole de Genève souffrait en effet d'une faiblesse fondamentale : s'il
prohibait le recours aux armes chimiques, il n'en interdisait pas, de manière
vérifiable, la fabrication et la détention.
C'est pourquoi la convention du 13 janvier 1993 va beaucoup plus loin que le
protocole de Genève. Non seulement elle interdit l'usage, la fabrication et la
détention des armes chimiques, mais, de plus, elle organise, au niveau
international, des contrôles systématiques de l'industrie chimique et, en cas
de doute, de tout emplacement se trouvant sur le territoire d'un Etat
partie.
La France a été le premier membre permanent du Conseil de sécurité des Nations
unies à ratifier la convention le 2 mars 1995.
Entrée en vigueur le 29 avril 1997, après la soixante-cinquième ratification,
la convention a créé une nouvelle organisation internationale, surtout connue
par son sigle : l'OIAC, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques,
dont le siège est à La Haye, aux Pays-Bas.
L'OIAC est chargée de veiller au respect des engagements des Etats parties. A
cette fin, elle centralise et traite différentes déclarations de ces Etats
portant sur la détention et la destruction des armes chimiques, la fabrication
et les utilisations légitimes des produits chimiques sensibles. Surtout, elle
organise des visites de vérification et d'inspection qui peuvent être
systématiques, mais qui peuvent aussi répondre, par mise en demeure, aux
soupçons formulés par un autre Etat partie à la convention se sentant
menacé.
Aujourd'hui, la convention est ratifiée par 106 pays, dont tous les Etats
membres de l'Union européenne et les principaux pays ayant une industrie
chimique significative, comme les Etats-Unis, le Japon, la Russie et la Chine,
tandis que la plupart des autres pays signataires ont engagé déjà largement le
processus de ratification.
Bien évidemment, la convention comporte des interdictions de commerce des
produits chimiques en cause avec les pays qui ne l'auront pas ratifié, sinon
elle serait de peu de portée. Il s'agit de ne pas courir le risque de livrer à
ces pays des substances actives. Mais il s'agit aussi de les pousser à adhérer
après avoir surmonté leurs réticences, quelle qu'en soit l'origine.
Permettez-moi d'ajouter que, dans la période troublée que nous connaissons
aujourd'hui au Moyen-Orient, cette convention est d'une criante actualité, avec
la question du contrôle des armes de destruction massive possédées par
l'Iraq.
Le projet de loi que le Gouvernement a l'honneur de soumettre à la Haute
Assemblée est indispensable pour que l'ensemble des dispositions de la
convention puissent être pleinement appliquées par la France, compte tenu des
contraintes de nature législative qu'elles impliquent pour les personnes
physiques et morales produisant, détenant, utilisant, commerçant ou faisant le
courtage - ce mot est important - des produits chimiques concernés.
La loi, si elle soumet à déclaration en vue de leur destruction toutes les
armes chimiques et leurs installations, impose aussi de nouvelles obligations
aux industriels du secteur de la chimie. Ceux-ci sont tenus de déclarer à
l'administration les productions, les consommations, les importations et les
exportations des produits chimiques pouvant entrer dans la fabrication d'armes
chimiques, afin que la France puisse satisfaire aux obligations de déclaration
auxquelles elle a souscrit en tant qu'Etat partie à la convention.
Conformément à la convention, les produits chimiques concernés sont répartis
en plusieurs catégories.
La première catégorie est celle des produits chimiques les plus proches d'une
arme chimique et qui n'ont que quelques rares applications dans le secteur
civil.
La deuxième catégorie est composée de produits chimiques qui présentent un
risque sérieux pour l'objet de la convention et ne sont fabriqués qu'en petite
quantité pour des applications pacifiques.
La troisième catégorie englobe les produits chimiques qui peuvent présenter un
risque pour l'objet de la convention et qui sont fabriqués et disponibles en
grande quantité pour des applications industrielles.
La dernière catégorie de produits chimiques est qualifiée de « produits
chimiques organiques définis ». Ce sont essentiellement des composés organiques
contenant des atomes de phosphore, de soufre ou de fluor. Ceux-ci sont soumis à
certaines dispositions de la convention dans la mesure où les installations qui
permettent d'en effectuer la synthèse seraient susceptibles d'être utilisées
clandestinement à la fabrication d'armes chimiques.
Les autres produits chimiques - fort heureusement, l'immense majorité des
produits chimiques - ne sont pas concernés par la convention car, en l'état
actuel des connaissances scientifiques et techniques, ils ne paraissent pas
susceptibles de servir à la fabrication d'armes chimiques.
Naturellement, en conformité avec la convention, la loi prévoit des
obligations de déclaration ou d'autorisation préalable pour la fabrication et
le commerce des produits chimiques classifiés, obligations d'autant moins
contraignantes que l'on s'éloigne de la possibilité d'utiliser ces produits
comme armes chimiques.
Le projet de loi accorde également une place importante aux conditions
d'exécution, dans notre pays, des contrôles prévus par la convention par les
inspecteurs mandatés par l'OIAC afin de s'assurer sur place, dans les
installations de l'industrie chimique, de la cohérence entre les déclarations
et les quantités réellement produites et, dans certains cas, consommées.
Le projet de loi définit notamment le rôle de l'équipe d'accompagnement et de
son chef, qui est chargé de représenter l'Etat.
Enfin, même si l'on peut penser que cela ne devrait pas se produire, la France
étant bien déterminée à respecter scrupuleusement la convention, il ne faut pas
oublier que, à tout moment, tout emplacement du territoire national peut être
l'objet d'une « inspection par mise en demeure » - ce sont les termes du texte
- conduite par l'OIAC à la demande d'un Etat partie qui se sentirait menacé.
Je tiens à souligner - c'est un principe que chacun appréciera - que le projet
de loi place ces éventuelles inspections par mise en demeure sous le contrôle
préalable du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles.
Pour élaborer ce dispositif, l'administration a pris soin de recueillir les
avis des organisations professionnelles de l'industrie et du commerce
chimiques.
Je tiens ici à rappeler et à saluer l'importance de l'industrie chimique
française. Les chiffres ont sans doute de quoi surprendre le néophyte : avec un
chiffre d'affaires de 430 milliards de francs et près de 250 000 salariés,
cette industrie constitue un des fleurons de l'industrie française. Elle occupe
la quatrième place mondiale et elle entend conforter et développer ses
positions.
Il est vrai que des obligations nouvelles vont peser sur ce secteur de
l'activité économique.
En cet instant, je veux marquer devant la Haute Assemblée notre satisfaction -
unanime, je crois - devant le fait que les industries chimiques françaises
concernées ont accepté de collaborer de manière volontaire et positive à la
réflexion préalable sur ce projet de loi, à son élaboration, en concertation
permanente avec les services de mon prédécesseur, M. Franck Borotra. Je me
félicite, en outre, que ces industries aient accepté de déclarer, dès 1997, la
nature et les quantités de produits chimiques qu'elles produisent et qui sont
visés par la convention, alors même que les inspections et les dispositifs de
la loi n'étaient pas encore en vigueur.
Il faut saluer cet engagement volontaire de nos industries chimiques à se
plier par avance à la philosophie et à la logique du texte dont nous discutons
aujourd'hui.
Bien évidemment, nous avons cherché à minimiser le poids de ces contraintes,
notamment en attribuant à l'équipe d'accompagnement un rôle de médiation entre
le responsable de l'établissement inspecté et l'équipe d'inspection. En tout
état de cause, si la production d'un établissement doit être affectée et
pénalisée du fait d'une inspection résultant d'engagements internationaux entre
Etats, le principe d'une indemnisation a été retenu.
Le projet de loi qui vous est présenté prend donc la forme d'un texte de 82
articles - il est long, technique et complexe - qui sont regroupés en 6 titres
après un premier article de définitions.
Le titre Ier concerne les mesures à prendre pour recenser et détruire les
armes chimiques, y compris les armes anciennes et leurs installations.
Le titre II se rapporte aux produits chimiques et à leurs installations et
crée des obligations d'autorisation et de déclaration auxquelles doivent
satisfaire les exploitants pour permettre à la France d'honorer les engagements
qu'elle a contractés en ratifiant cette convention.
Le titre III traite du déroulement des vérifications internationales. Il
précise les pouvoirs du chef de l'équipe d'accompagnement, qui est désigné par
l'administration et qui représente l'Etat vis-à-vis des inspecteurs
internationaux mandatés par l'OIAC. Il rappelle également les droits de
l'exploitant et les cas où celui-ci doit être consulté par le chef de l'équipe
d'accompagnement avant que ce dernier n'accède aux demandes des inspecteurs.
Enfin, il organise les procédures, dont certaines nécessitent l'intervention du
juge, pour pénétrer dans les lieux soumis à inspection.
Le titre IV organise les investigations nationales qui ont paru indispensables
pour que des inspecteurs nationaux, agents de l'administration, puissent, en
cas de doute et sans attendre une inspection internationale, vérifier que les
installations sont bien conformes aux déclarations de leurs exploitants.
Le titre V traite des sanctions, qui sont bien évidemment nécessaires pour
assurer la cohérence et l'efficacité du dispositif.
Il s'agit d'abord de sanctions administratives, qui peuvent être prises par
l'autorité administrative pour sanctionner tout manquement qui conduirait la
France à faire des déclarations incomplètes ou en dehors des délais.
Il s'agit aussi de sanctions pénales frappant l'utilisation d'armes chimiques,
mais également différentes infractions susceptibles de favoriser le
détournement des produits chimiques classifiés.
Ces sanctions, selon un principe constant de notre droit pénal, sont adaptées
à la gravité de l'infraction. On ne s'étonnera donc pas que l'utilisation
d'armes chimiques soit frappée fortement : détention criminelle à perpétuité et
50 millions de francs d'amende.
Je tiens également à souligner que, pour satisfaire à la convention, il sera
possible de sanctionner tout ressortissant français qui se livrerait à des
activités interdites en dehors du territoire national comme s'il les avait
exercées en France.
Quant au dernier titre, il a pour objet d'étendre l'applicabilité de cette loi
de souveraineté aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale
de Mayotte.
Telles sont, monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales caractéristiques du projet de loi
relatif à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction
de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes
chimiques et sur leur destruction.
Il s'agit, je l'ai déjà mentionné, d'un texte très technique, compte tenu de
la complexité et de la longueur de la convention internationale qu'il vise à
appliquer en droit français.
Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, ne puis-je que me féliciter de
l'excellent dialogue qui s'est noué entre vos rapporteurs, les services de
l'Etat et mon cabinet ; cet examen préliminaire, je l'espère, facilitera vos
travaux, puisqu'il aura permis d'apporter toutes les précisions nécessaires à
une bonne discussion devant le Sénat.
Ce texte est consensuel : il a été préparé par mon prédécesseur, M. Borotra ;
je le défends aujourd'hui, au nom du Gouvernement, sans y avoir apporté de
modifications essentielles ; il a par ailleurs fait l'objet de la discussion
nourrie, approfondie, globale et précise à la fois qui convient à la qualité
des textes.
Je voudrais une fois encore réaffirmer l'importance et l'actualité de ce
projet de loi. Il prend toute sa signification quand on sait qu'il a été
préparé de la manière que je viens de rappeler et en liaison constante avec les
industries qui auront, d'une certaine manière, à l'appliquer.
Il s'agit pour moi d'un honneur et d'un plaisir réels en tant que membre du
Gouvernement et qu'ancien législateur - j'ai siégé à l'Assemblée nationale -
que de soumettre ce texte à l'approbation de la Haute Assemblée. Je me félicite
que nous nous engagions dans une discussion qui, j'en suis sûr, témoignera une
nouvelle fois de la qualité du travail législatif du Sénat.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Francis Grignon,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'utilisation
des armes chimiques ne date pas d'hier. La première utilisation identifiée
remonte à l'Antiquité, avec l'empoisonnement des puits à l'ergot de seigle par
les Assyriens. Et il y eut, plus tard, l'utilisation des gaz sulfureux poussés
par les vents en direction des cités assiégées pendant la guerre du
Péloponnèse.
Mais c'est avec le développement de l'industrie chimique, au siècle dernier,
et avec la Première Guerre mondiale que les choses ont pris une tournure
dramatique pour l'humanité. C'est pourquoi la signature de cette convention en
1993 a été, pour l'Europe, un véritable soulagement.
Nous avons tous en mémoire les images ou les récits sur la Grande Guerre
relatant les terribles souffrances des poilus morts sous les effets meurtriers
des gaz de combat, que ce soit le chlore, l'acide cyanhydrique ou encore le
trop funeste « gaz moutarde », l'ypérite.
La signature de cette convention est donc un soulagement non seulement pour
les Européens, mais aussi pour les populations qui, depuis 1945, ont subi les
armes chimiques : je veux parler du Vietnam, de l'Afghanistan et de l'Irak.
Je tiens à préciser cependant, pour qu'il n'y ait aucune confusion, que le
napalm n'est pas une arme chimique ; il s'agit d'une arme provoquant des
incendies violents à partir d'un produit qui s'enflamme au contact de l'air, le
palminate de sodium. Les armes chimiques ont des effets beaucoup plus perfides,
puisqu'elles touchent directement l'homme dans sa chair par des agents
suffocants, neurotoxiques ou vésicants.
La signature de cette convention constitue un véritable symbole de l'entente
entre les peuples, puisque c'est la première fois au monde et dans l'histoire
de l'humanité qu'un traité concernant le désarmement total, avec contrôle
international permanent d'un type d'arme, est ratifié.
Il y a bien eu, en 1972, une convention sur les armes bactériologiques, mais
il n'a pas été prévu un contrôle international permanent et une destruction
internationale programmée, d'où les problèmes que vous avez soulevés, monsieur
le secrétaire d'Etat, qui se manifestent particulièrement en Irak à l'heure
actuelle. En effet, beaucoup d'armes bactériologiques seraient stockées dans ce
pays, et la convention de 1972 ne permettait qu'un autocontrôle de la part des
pays signataires, alors que celle que nous allons examiner et le texte de loi
qui en découle prévoient un contrôle international.
L'évolution vers ce type de convention n'a pas été immédiate. Ainsi, un
excellent rapport de notre collègue Guy Penne - je ne parle pas de celui qu'il
a rédigé à l'occasion de l'examen de ce projet de loi et qui sera présenté par
M. Rouvière, mais du rapport qu'il a déposé en 1994 - nous révèle que
l'interdiction des projectiles contenant des gaz asphyxiants avait été proposée
lors de la conférence internationale de 1899. Mais, à cette époque, les
Etats-Unis avaient jugé que les gaz étaient une arme de guerre plus humaine que
les obus et les balles, et s'étaient opposés à cette proposition.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'Etat, il faudra attendre
1925, et le protocole de Genève, pour voir le premier outil international de
lutte contre l'arme chimique se mettre en place, avec le défaut majeur que vous
avez souligné, à savoir que ce protocole ne concerne que l'emploi des armes et
non leur fabrication et leur commerce.
Ce n'est donc qu'en 1980 que le processus démarre vraiment, avec la création
du Comité spécial des armes chimiques au sein de la Conférence du désarmement
de Genève.
A partir de là, trois dates importantes sont à retenir.
La première, c'est avril 1984, avec la présentation par George Bush, alors
vice-président des Etats-Unis, d'un projet d'interdiction totale des armes
chimiques vérifiée par des inspections sur place
« anywhere, anytime »,
c'est-à-dire n'importe où, n'importe quand, et sans droit de refus.
La deuxième date importante, c'est août 1987, avec la déclaration d'Edouard
Chevarnadzé, ministre soviétique des affaires étrangères, acceptant le principe
des inspections sur place par des inspecteurs internationaux, et ce sans droit
de refus.
Enfin, la troisième date importante est celle de janvier 1989, quand la France
appelle à un renforcement du protocole de Genève de 1925 et à une accélération
des travaux de la conférence de Genève.
Tout cela aboutit, le 13 janvier 1993, à la signature de la convention par 130
Etats. Trente Etats ne sont pas signataires et, parmi eux, figurent l'Irak, la
Syrie, l'Egypte, la Jordanie, la Libye, le Liban et Israël, mais aussi la Corée
du Nord, le Mozambique et l'Angola.
Pour être applicable, cette convention doit être ratifiée par 65 Etats et le
sera 180 jours après. C'est chose faite puisque la Hongrie est le
soixante-cinquième Etat à avoir procédé, le 31 octobre 1996, à la ratification
; la convention est donc applicable depuis le 29 avril 1997.
La France, pour sa part, a ratifié en 1994 cette convention, qui compte
aujourd'hui 106 Etats signataires.
Vous voyez donc, mes chers collègues, qu'il est urgent qu'une loi vienne
encadrer, dans notre pays, l'application d'une convention qui y est applicable
depuis le 29 avril 1997.
Cette convention a mis en place l'Organisation pour l'interdiction des armes
chimiques, l'OIAC, laquelle est composée de trois instances. La conférence des
Etats parties est chargée de l'élaboration de textes complémentaires à la
convention. Le conseil exécutif est composé de 41 membres ; la France, qui en
fait partie, coordonne le groupe des Etats d'Europe occidentale. Le secrétariat
technique devrait réunir, à terme, 500 personnes, dont 200 inspecteurs
internationaux.
La France compte actuellement douze représentants au sein de l'OIAC, dont le
directeur de la vérification et trois inspecteurs.
Le budget de cette organisation s'élève à 420 millions de francs par an. La
contribution de la France représente 24 millions de francs.
C'est justement l'action des inspecteurs, susceptibles de s'introduire
partout, dans les chaumières comme dans les usines, qui nécessite l'élaboration
d'un projet de loi.
Avant de vous exposer la teneur de ce texte, je rappellerai les principales
dispositions que la convention a prônées et qui doivent être traduites dans le
projet de loi, parce qu'il est nécessaire qu'il y ait concordance entre la
convention et le projet de loi.
Elles sont au nombre de quatre.
La première est l'interdiction de l'emploi des armes chimiques, mais aussi de
leur fabrication, de leur stockage, de leur transfert et de leur commerce. Il
est également interdit d'aider quiconque ou de faire des préparatifs en vue de
mener des activités interdites par la convention.
La deuxième disposition est l'obligation de destruction de ces armes et de
leurs installations de fabrication.
La troisième est l'obligation de déclaration par chaque Etat des activités
touchant de nombreux produits chimiques susceptibles d'être utilisés pour faire
des armes chimiques, les produits étant eux-mêmes autorisés dans des quantités
limitées. C'est bien sûr cette obligation qui posera le plus de problèmes,
puisque nos industries chimiques fabriquent des produits qui sont nécessaires à
l'élaboration de certains processus industriels, mais qui pourraient aussi
servir à l'élaboration d'armes chimiques.
La quatrième disposition de la convention est la vérification internationale,
par inspections sur place du personnel de l'OIAC, des informations
communiquées.
Ces inspections sont de trois types.
Les inspections initiales consistent à vérifier les déclarations fournies ;
les inspections de routine permettent des mesures de vérification systématique
; enfin, les inspections par mise en demeure peuvent être demandées par un Etat
ayant ratifié le traité en direction d'un autre Etat qu'il supposerait
fabriquer des armes ou des produits susceptibles de servir à la fabrication des
armes chimiques.
Où en sommes-nous en France depuis le 29 avril 1997 ?
Des inspections ont lieu dans notre pays. Tout d'abord, les déclarations
initiales ont été faites, grâce au concours non seulement de l'Institut de
protection et de sûreté nucléaire, l'IPSN, qui a été mandaté par le ministère
de l'industrie, mais aussi de professionnel au travers de l'Union des
industries chimiques, l'UIC, qui a parfaitement joué le jeu.
Ces inspections, au nombre de neuf en 1997, ont eu lieu essentiellement sur
des sites publics ou parapublics. Cette année, une inspection initiale a été
faite il y a à peine deux semaines, dans une PME de 73 personnes, à Calais, par
six personnes de La Haye, un interprète, six personnes de l'IPSN et deux
personnes de la DST, et elle a duré une semaine. Tout s'est fort heureusement
bien passé.
J'ai cité cet exemple simplement pour montrer l'urgence qu'il y a à élaborer
une loi. En effet, en l'absence de loi, l'industriel concerné aurait pu refuser
cette inspection, créant ainsi un incident, ou l'inspection aurait pu être
poussée au-delà de ce qui est exigé dans la convention si, d'aventure, certains
des membres envoyés pour ce faire avaient eu des intentions malveillantes à
l'égard de nos projets industriels.
J'en viens au projet de loi lui-même.
Quel en est globalement le contenu ?
Après un article 1er qui rappelle le sens que la convention du 13 janvier 1993
donne à un certain nombre de termes et d'expressions figurant dans le texte, le
projet de loi comporte 82 articles, regroupés en 6 titres.
Le titre Ier affirme l'interdiction et l'obligation de destruction des armes
chimiques et des installations les fabriquant, y compris des armes chimiques
anciennes, vestiges des guerres mondiales, qui devront être déclarées en vue
d'êtres détruites.
Le titre II impose à certains produits chimiques un régime de contrôle
incluant tout à la fois des autorisations pour leur fabrication, détention et
commerce, un régime déclaratif des activités de l'année écoulée, des
autorisations pour les installations de fabrication de ces produits et, enfin,
des interdictions touchant certaines activités et transactions.
Le titre III organise les missions d'inspection internationales effectuées par
l'OIAC qui pourront se dérouler dans les entreprises.
Le titre IV traite des investigations nationales qu'est susceptible
d'effectuer l'autorité administrive française afin de vérifier la conformité
des installations aux obligations de la loi.
Le titre V prévoit diverses sanctions - d'une simple amende à la réclusion
criminelle à perpétuité - en cas de violation des dispositions prévues aux
titres précédents.
Le titre VI, enfin, prévoit l'application du texte aux territoires d'outre-mer
et à Mayotte.
Le projet de loi est conforme aux objectifs de la convention, qui sont aussi
ceux de la commission des affaires économiques et du Plan. Ils sont au nombre
de quatre.
Il s'agit, premièrement, de préserver les secrets industriels du secteur de la
chimie ; deuxièmement, d'alléger au maximum les contraintes qui pèsent sur les
industriels du secteur de la chimie, l'un des fleurons de notre industrie,
comme vient de le rappeler M. le secrétaire d'Etat ; troisièmement, de doter,
entre autres, nos experts accompagnateurs de l'IPSN qui serviront d'interface
entre les inspecteurs de l'OIAC et les industriels, d'un texte clair et
pratique pour assurer leur mission ; quatrièmement, d'instaurer un contrôle du
président du tribunal de grande instance, qui est le juge judiciaire gardien
des libertés individuelles, en particulier lors des inspections par mise en
demeure qui présentent les atteintes les plus graves au droit constitutionnel
de propriété.
Je proposerai de clarifier la rédaction du projet de loi, le plus souvent en
accord avec les services concernés du secrétariat d'Etat à l'industrie et du
ministère de la défense, en précisant toutefois que les dispositions concernant
le rôle du juge et les sanctions administratives et pénales ont été examinées
par la commission des lois et par son rapporteur, M. Jean-Paul Amoudry, qui a
excellemment décrit dans son rapport pour avis tous les aspects juridiques de
ce projet de loi.
Pour conclure, je voudrais remercier toutes les personnes avec qui j'ai eu à
travailler sur ce texte aride et techniquement très élaboré, tout
particulièrement les représentants des services de l'Etat, qui ont abordé de
façon très transparente la discussion des amendements proposés par la
commission des affaires économiques et du Plan, et les représentants de
l'industrie, qui ont bien voulu répondre à toutes nos questions.
Je tiens à souligner que ma volonté, tout au long de l'analyse de ce texte a
été d'en améliorer l'applicabilité. C'est ce souci pratique et de terrain qui a
motivé le nombre important d'amendements que je vous proposerai lors de
l'examen des articles.
(Applaudissements).
M. le président.
La parole est à M. Rouvière, rapporteur pour avis.
M. André Rouvière,
en remplacement de M. Guy Penne, rapporteur pour avis de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est au nom de
mon camarade Guy Penne, aujourd'hui empêché, que je présente cette analyse et
cet avis de la commission des affaires étrangères.
Le projet de loi relatif à l'application de la convention sur l'interdiction
des armes chimiques a fait l'objet d'un examen approfondi par la commission des
affaires économiques et du plan ; en témoigne l'excellent rapport de notre
collègue Francis Grignon.
La commission des lois a également consacré un travail très important au volet
pénal de ce texte.
Je limiterai donc mon propos, d'une part, à un bilan de la convention du 13
janvier 1993, quelque cinq ans après sa signature et trois ans après sa
ratification par notre pays, et, d'autre part, aux conséquences qu'implique
pour notre défense le présent projet de loi.
La convention sur l'interdiction des armes chimiques appelle, à ce jour, un
bilan en demi-teinte en raison des incertitudes que paraît susciter son
application.
Au crédit de cette convention, on peut inscrire son caractère exemplaire par
rapport aux précédents accords relatifs au désarmement. En effet, la convention
du 13 janvier 1993 est le premier traité international visant la destruction
complète et irréversible d'une catégorie entière d'armements qui, dans le même
temps, soit non discriminatoire et vérifiable par un organisme international,
sans droit de refus de la part des Etats inspectés.
A la différence du traité sur la non-proliféraiton des armes nucléaires, la
convention sur l'interdiction des armes chimiques s'appuie sur des obligations
non discriminatoires entre les parties : les obligations sont les mêmes pour
les pays qui disposent d'un arsenal chimique et pour ceux qui n'en possèdent
pas.
Cette convention a, à son tour, inspiré d'autres traités : le traité
d'interdiction complète des essais nucléaires et la convention sur
l'interdiction universelle des mines antipersonnel. Rappelons aussi que des
négocations sont actuellement conduites pour doter la convention d'interdiction
sur les armes bactériologiques et à toxines d'un protocole de vérification
inspiré des clauses équivalentes de la convention sur l'interdiction des armes
chimiques.
En dépit de son exemplarité, la convention du 13 janvier 1993 pourrait
néanmoins avoir une portée plus limitée que ne le laisserait supposer son
contenu.
En effet, elle se heurte à d'importantes limites géographiques : parmi les
pays ayant refusé d'adhérer, on compte des pays supposés jouer un rôle dans la
prolifération chimique, comme la Libye, l'Irak, la Syrie, l'Egypte ou la Corée
du Nord. Notons que, pour de nombreux pays arabes, la possession d'armes
chimiques serait justifiée par le fait que ces armes sont susceptibles
d'assurer leur défense face à la menace nucléaire que représente, selon eux,
Israël - Israël qui, d'ailleurs, a signé la convention sur l'interdiction des
armes chimiques sans la ratifier...
Certes, les limites géographiques à l'application de la convention sur
l'interdiction des armes chimiques peuvent ne pas être définitives, si l'on en
juge par l'adhésion de pays comme l'Iran, le Pakistan ou même la Russie et les
Etats-Unis, dont la participation à la convention n'était pas acquise
d'avance.
Parmi les grandes difficultés que suscite l'application de la convention du 13
janvier 1993, je mentionnerai les conséquences pour l'environnement induites
par la destruction des arsenaux chimiques. La méthode par incinération est
ainsi critiquée par l'organisation Greenpace en raison des dépôts de résidus
toxiques à la surface de la mer dont ce procédé serait la cause. En Russie, le
risque écologique a justifié la fermeture d'une base de destruction d'armes
chimiques.
La nécessité d'adopter des méthodes de destruction aussi respectueuses que
possible de l'environnement est pour une part importante dans le coût très
élevé de la destruction des arsenaux chimiques, principale limite pratique de
fait à l'application de la convention. Certains évaluent en effet le coût de la
destruction d'une arme chimique à environ cinq fois le coût de sa fabrication.
Le coût de la destruction des armes chimiques s'éléverait, selon certaines
sources, à 170 000 dollars par tonne.
Ainsi la destruction des armes chimiques américaines pourrait-elle coûter
jusqu'à 12 milliards de dollars aux Etats-Unis. En ce qui concerne la Russie,
qui possède le plus important stock d'armes chimiques du monde, la facture
s'élèverait à 25 milliards de dollars. Soulignons que cette dépense
s'ajouterait à celle qu'engage déjà actuellement la Russie pour le désarmement
nucléaire, alors que la situtation économique dans ce pays est déjà très
défavorable.
On ne s'étonnera donc pas que la Douma russe ait longtemps subordonné la
ratification de la convention par la Russie à l'attribution d'une aide
internationale substantielle destinée à aider ce pays à détruire ses stocks
d'armes chimiques. Cette aide existe, certes, de la part de l'Union européenne
et des Etats-Unis, mais elle est sans commune mesure avec les besoins réels
constatés en Russie.
L'une des principales failles de la convention réside donc dans l'insuffisance
des moyens susceptibles d'être consacrés à la destruction des armes chimiques,
car celle-ci incombe à des Etats qui ne peuvent pas tous assumer une telle
charge, et parce que le budget de l'organisation internationale mise en place
par la convention, de l'ordre de 30 millions de francs par an, n'est pas assez
important pour lui permettre de subventionner ce type de dépense.
Enfin, il n'est pas exclu que les procédures de contrôle prévues par la
convention et détaillées dans l'annexe sur la vérification puissent laisser
passer des comportements douteux. Certes, des verrous importants sont posés par
la convention pour décourager les fraudes, le texte induisant de lourdes
sujétions, tant pour les Etats que pour les industriels.
Mais la convention se caractérise aussi, en ce qui concerne les modalités
d'accomplissement des vérifications internationales, par une certaine prise en
compte des contraintes des exploitants. Ainsi le respect de la confidentialité
les autorise-t-il à ne pas transmettre certaines informations sensibles ou à
limiter l'accès des inspecteurs à certains emplacements à l'intérieur du site
contrôlé.
Dans le même esprit, des délais parfois relativement longs peuvent séparer
l'arrivée des inspecteurs sur le territoire de l'Etat inspecté du début
proprement dit de l'inspection. Or, selon certains spécialistes, douze heures
suffiraient pour transformer un site de fabrication d'armes chimiques en
innocente usine de pesticides ou d'engrais.
Si l'on peut penser que la plupart des Etats, soucieux de transparence,
respecteront les obligations souscrites en vertu de la convention, on ne peut
s'empêcher de craindre que des Etats peu scrupuleux en matière de prolifération
chimique et peu soucieux de leur image internationale ne puissent, par leurs
fraudes, altérer la portée de la convention sur l'interdiction des armes
chimiques. Toutefois, cette interrogation ne doit pas susciter de doute quant à
l'opportunité de la convention sur l'interdiction des armes chimiques, qui
constitue incontestablement un grand progrès pour la sécurité
internationale.
J'en viens maintenant aux conséquences induites pour la France, en matière de
défense, par la ratification de la convention du 13 juin 1993 et par le présent
projet de loi.
Au moment de l'entrée en vigueur de la convention, en mai 1997, la France
était à jour de ses obligations relatives à l'interdiction des armes et des
installations de fabrication d'armes chimiques. La France ne détient
aujourd'hui que des armes chimiques anciennes, au sens de la convention,
c'est-à-dire antérieures à 1925, et collectées, pour l'essentiel, sur les
champs de bataille de la Première Guerre mondiale.
C'est de ces stocks anciens que le présent projet de loi vise la destruction.
Ces munitions de 1914-1918 sont stockées dans quatre installations situées dans
le nord et l'est de la France et qui relèvent de la direction de la sécurité
civile du ministère de l'intérieur, plus particulièrement des services de
déminage. C'est en effet au ministère de l'intérieur qu'appartiennent la
collecte, le transport et le stockage intermédiaire des armes chimiques
anciennes.
En revanche, la destruction de ces stocks dépendra du ministère de la défense,
qui étudie actuellement la construction d'un site de démantèlement des
munitions chimiques anciennes, lequel site pourrait être opérationnel en
2002.
Notons que la destruction de ces munitions, dont une part importante a été
tirée sans avoir explosé, présente un danger non négligeable sur les plans tant
pyrotechnique que chimique.
Le coût de ce programme de destruction, qui portera sur environ 100 tonnes de
munitions chimiques par an et qui sera imputé sur le budget de la défense
représenterait environ 300 millions de francs, du moins en l'état actuel des
stocks à détruire.
A cet égard, je ferai observer que, sur les quelque 250 tonnes de munitions
anciennes qui sont encore aujourd'hui découvertes chaque année en France,
essentiellement à l'occasion de travaux, on compte environ 15 % de charges
chimiques.
Il importe également de relever que la France participe activement à la
formation des inspecteurs internationaux dont la mission est d'assurer le
contrôle de l'application de la convention.
Dès 1993, en effet, notre pays a fondé le Centre français de formation pour
l'interdiction des armes chimiques, le CEFFIAC, placé sous l'autorité du chef
d'état-major des armées et du délégué général pour l'armement. Les stages de
formation qui ont déjà été organisés dans ce centre appellent un bilan très
satisfaisant. Le CEFFIAC témoigne du rayonnement international de l'expertise
qu'exerce la France dans le domaine de la protection chimique.
Si l'on tient compte du budget du CEFFIAC, qui représente actuellement 600 000
francs par an pour le budget de la défense, compte non tenu de la rémunération
des enseignants, de la participation du ministère de la défense au financement
des inspections accueillies en France depuis le printemps dernier, soit un peu
moins de 300 000 francs en 1997, et du coût du programme de démantèlement des
armes chimiques anciennes, qui s'élève à 300 millions de francs environ, on
constate que l'incidence budgétaire de la convention du 13 janvier 1993 sur le
budget de la défense français est incomparablement plus modeste que ce que
devront payer les Etats-Unis et la Russie, ou même que ce que devrait payer
l'Irak si, d'aventure, ce pays adhérait à la convention... et s'il la
respectait. Vous voyez que ce rapport est particulièrement optimiste !
(Sourires.)
En conclusion, la commission des affaires étrangères et de la défense est bien
consciente des contraintes induites, pour nos industriels du secteur de la
chimie, par le présent projet de loi. Nous comprenons que ces contraintes
puissent être ressenties comme d'autant plus lourdes administrativement
qu'elles pourraient être liées à l'utilisation de quantités infinitésimales de
produits toxiques.
La commission des affaires étrangères et de la défense est néanmoins
convaincue que la France doit pouvoir se prévaloir d'une application exemplaire
de la convention si elle veut être en droit de contester, si besoin était, le
comportement éventuellement peu scrupuleux de certaines parties à la
convention.
La commission des affaires étrangères et de la défense vous invite donc, mes
chers collègues, à adopter le présent projet de loi tel qu'il a été amendé par
la commission des affaires économiques et par la commission des lois.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Amoudry, rapporteur pour avis.
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, la commission des lois a souhaité se saisir pour avis du projet de
loi aujourd'hui soumis à notre examen dans la mesure où il prévoit un important
dispositif de sanctions administratives et pénales pour réprimer le non-respect
des obligations imposées par la convention du 13 janvier 1993.
En tant que rapporteur pour avis, je ne traiterai pas de l'intégralité de ce
texte, que viennent de présenter excellemment nos collègues Francis Grignon,
rapporteur au fond, et André Rouvière, rapporteur pour avis de la commission
des affaires étrangères. Je rappellerai simplement brièvement quelques-unes des
obligations juridiques qui résultent de cette convention.
En vertu de cette convention, chaque Etat partie s'engage à adopter les
mesures nécessaires pour s'acquitter des obligations contractées, notamment à
promulguer une législation pénale aux fins d'interdire les activités prohibées
par la convention ainsi que le fait d'aider, d'encourager ou d'inciter à
entreprendre ces activités. Parmi les activités prohibées par la convention
figurent, naturellement, l'emploi d'armes chimiques, mais également la
fabrication, l'acquisition, la conservation ou le transfert de telles armes.
Par ailleurs, la convention impose aux Etats de faire respecter les
obligations suivantes : d'abord, assurer le bon déroulement des missions
d'inspection de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques ;
ensuite, mettre fin à toute activité dans les installations de fabrication
d'armes chimiques ; enfin, garantir que les produits chimiques toxiques ne
soient fabriqués, acquis, conservés qu'à des fins non interdites par la
convention.
La convention évoque également certains produits chimiques, pour lesquels elle
opère une distinction entre les produits inscrits aux tableaux 1, 2 et 3
annexés à la convention, par ordre décroissant de risque.
Ainsi, les produits dits du tableau 1 sont ceux qui constituent un risque
important pour l'objet et le but de la convention et n'ont « guère ou pas
d'utilisation à des fins non interdites ». Ces produits font naturellement
l'objet d'un contrôle beaucoup plus strict que les produits inscrits aux deux
autres tableaux annexés à la convention.
J'en viens maintenant au projet de loi lui-même.
La commission des lois s'est intéressée essentiellement à son titre V, relatif
aux sanctions pénales et administratives. Le texte crée un grand nombre
d'infractions nouvelles, susceptibles de donner lieu à des peines allant
jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité et 50 millions de francs d'amende
pour les infractions les plus graves. Ces infractions nouvelles sont la
traduction en droit interne des obligations posées par la convention que je
viens de rappeler.
La commission des lois s'est également penchée sur le titre III du projet de
loi, relatif aux inspections internationales, dans la mesure où il définit les
prérogatives du juge dans le cadre de ces inspections.
Lors de l'examen du projet de loi, la commission des lois a formulé trois
séries de remarques.
Elle s'est, en premier lieu, attachée à vérifier que les sanctions pénales
prévues par le projet de loi respectent les principes fondamentaux du droit
pénal que sont les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
Elle a estimé, sous réserve de quelques amendements, que ces principes étaient
respectés. Certes, le niveau des sanctions prévues pour certaines infractions
peut paraître, à première vue, démesuré, notamment pour les comportements punis
de la réclusion criminelle. Toutefois, il faut noter que, par sa gravité, le
trafic ou l'emploi d'armes chimiques peut sans exagération se comparer au
trafic de stupéfiants, pour lequel le législateur a fixé des peines atteignant
la réclusion criminelle à perpétuité et 50 millions de francs d'amende. Je
rappellerai en outre que les sanctions pénales édictées par le législateur
constituent des maxima, la juridiction pouvant moduler la peine prononcée en
fonction « des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son
auteur ».
En second lieu, la commission a estimé souhaitable de renforcer les
prérogatives du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, en cas
d'inspection par mise en demeure, afin de lui permettre d'examiner la
conformité de la demande d'inspection avec les stipulations de la convention,
autrement dit de vérifier, de façon concrète, le bien-fondé de la demande.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que le Conseil constitutionnel a déjà
censuré des dispositions législatives qui ne permettaient pas au juge de
vérifier le bien-fondé d'une demande d'investigation.
On me rétorquera qu'un tel contrôle ne pose guère de problème dans notre pays,
mais que certains Etats pourraient se servir des prérogatives du juge pour
empêcher l'application de la convention. Devons-nous alors renoncer aux
prérogatives du juge pour éviter de donner un exemple qui pourrait être utilisé
pour des Etats voulant neutraliser la mise en oeuvre de la convention ?
Il nous a semblé que cette question méritait d'être débattue, et l'amendement
que nous présenterons à l'article 38 permettra que ce débat ait lieu.
En troisième lieu, la commission des lois a souhaité rappeler, à l'occasion de
l'examen de ce texte, son attachement à la codification, dans les meilleurs
délais, du droit pénal spécial.
Le projet de loi contient en effet seize articles prévoyant de nouvelles
infractions, auxquelles s'ajoutent une dizaine de dispositions complémentaires,
portant par exemple sur la responsabilité pénale des personnes morales ou sur
l'incrimination de la récidive.
La codification immédiate de ces dispositions nous a paru, à l'examen, fort
difficile en l'état.
Il est en effet préférable d'attendre, avant de codifier, l'adoption
définitive de toute la législation relative aux armes nucléaires et
bactériologiques.
En outre, une telle codification obligerait à reprendre de nombreuses notions
définies dans la convention, qui alourdiraient le code pénal.
Toutefois, si nous ne proposons pas dès à présent cette codification, nous
souhaitons vous adresser un appel, monsieur le secrétaire d'Etat, afin que la
codification du droit pénal spécial soit accomplie dans des délais aussi
proches que possible. Je vous rappelle que cette codification du droit pénal
spécial avait été annoncée dès 1989 par M. Pierre Arpaillange, alors garde des
sceaux, puis confirmée par son successeur, M. Michel Vauzelle, en 1992.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les observations qu'a souhaité formuler la commission des lois et
qui justifient les amendements que je vous présenterai en son nom.
Naturellement, la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption du
projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
nous revient aujourd'hui d'adapter notre droit interne afin de garantir le
mieux possible l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur
l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de
l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
Permettez-moi de revenir sur le caractère historique et inédit de cette
convention, ratifiée par le Parlement français le 19 décembre 1994.
Le traité de Paris est le seul dans l'histoire à avoir été signé d'emblée par
un aussi grand nombre de pays : ce sont en effet 160 Etats qui se sont engagés
à détruire les stocks existants et à ne plus utiliser d'armes chimiques.
Pour la première fois dans l'histoire, des armes dites de destruction massive
sont ainsi interdites non pas au niveau d'un pays ou d'un espace limité mais à
l'échelle de toute la planète.
Cependant, ce qui fait fondamentalement l'originalité et la force de cette
convention, c'est qu'elle appréhende la question du désarmement chimique dans
sa globalité. Allant bien au-delà du protocole de Genève, elle interdit touts
les activités relatives aux armes chimiques et impose non seulement la
destruction de ces dernières mais aussi celle des substances susceptibles
d'être transformées en armes ou d'être utilisées pour leur fabrication.
On va ainsi beaucoup plus loin qu'un simple traité de désarmement ; c'est
comme si, voulant interdire la fabrication d'obus, on allait jusqu'à interdire
la production de cuivre. Bien entendu, il ne s'agit pas de prohiber toute
production chimique, mais celle-ci doit désormais être contrôlée, réglementée
et vérifiée. Telle est la raison d'être de ce projet de loi.
La France a joué, cela mérite d'être souligné, un rôle éminent dans le
processus qui a abouti à la signature du traité d'interdiction des armes
chimiques, alors que, officiellement, elle n'en produisait pas directement.
Le mouvement pacifiste international, auquel les communistes français ont
largement contribué, a su, pour sa part, dénoncer la monstruosité de ces
armes.
On se remémore souvent les soldats disparus lors de la Grande Guerre de
1914-1918, mais combien furent-ils à mourir, bien après l'armistice, des
conséquences de l'utilisation des armes chimiques ?
L'émotion provoquée par la terrible réalité de ces millions de gazés, morts ou
rescapés pour un temps, dont vous avez évoqué les souffrances tout à l'heure,
monsieur le secrétaire d'Etat, engagea certaines nations à négocier une
première interdiction de ce type d'armes.
C'est ce même processus de désarmement chimique qu'il nous faut parachever à
l'heure où nous allons célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la fin de
la Première Guerre mondiale.
Pour autant, nous le savons tous, certains pays n'ont toujours pas ratifié la
convention. Il s'agit, notamment, de l'Irak, de la Libye, de la Corée du Nord,
de l'Egypte, de la Syrie et d'Israël.
Les Etats-Unis l'ont adoptée, mais en annonçant l'application de conditions
restrictives dans son application.
Quant à la Russie, on voit mal comment elle pourra financièrement faire face
à l'élimination de ses stocks, d'une part, et à l'adaptation de son industrie
chimique, d'autre part.
C'est la raison pour laquelle je souhaite, au nom du groupe communiste
républicain et citoyen, que la pression s'intensifie pour obtenir l'adhésion de
tous les Etats et que soient rapidement mises en application, sous un strict
contrôle, les dispositions de la convention. La France, je le pense, peut
contribuer utilement à cette action.
Encore faut-il, vous le comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, que notre pays soit lui-même en mesure de respecter l'intégralité de
la convention : la convention, rien que la convention, mais toute la convention
!
Si, pour l'essentiel, le texte qui nous est soumis retranscrit fidèlement
l'esprit du traité, force est de constater que, sur certains points relatifs à
la vérification internationale des installations de l'industrie chimique, il
est en deçà de la convention. Notre collègue Francis Grignon le reconnaît
d'ailleurs lui-même dans son rapport fait au nom de la commission des affaires
économiques.
Sans vouloir être plus « conventionnaliste » que la convention, je considère
que la France doit montrer l'exemple en la matière.
Je ne sais d'ailleurs pas en quoi la prospérité de notre industrie chimique,
que vous avez saluée, monsieur le secrétaire d'Etat, pourrait souffrir de
l'application stricte d'une convention portée et soutenue, je le rappelle, par
notre pays.
La convention doit et peut être appliquée dans le cadre des engagements
ratifiés par notre Parlement.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen a déposé une série
d'amendements en vue de rétablir l'équilibre en faveur des dispositions de la
convention et de supprimer un certain nombre de restriction, à nos yeux
inutiles, concernant le travail de l'équipe des inspecteurs et des
observateurs.
Nous voulons des mesures irréversibles, car certains reculs seraient de nature
à susciter, dans le futur, des remises en cause partielles de nos engagements
de 1993. Nous voulons, pour cela, un système de contrôle et de vérification
transparent et coercitif à l'égard du pays visité.
A cet égard, il nous paraît essentiel que les salariés de l'industrie chimique
et leurs représentants soient en mesure d'être partie prenante de cette
procédure de contrôle.
On peut regretter que cette notion ne figure pas dans la convention elle-même.
Mais répondre à cette exigence démocratique me semble tout à fait nécessaire à
une bonne application des dispositions de ce texte.
Dresser une série d'obstacles au travail d'inspection serait signe de
suspicion et de mauvaise volonté de la part de notre pays.
Monsieur le rapporteur, vous avez exprimé le souci de la commission d'«
alléger au maximum les contraintes pesant sur les industriels ». Soit ! Mais,
en contrepartie, il ne faudrait pas alourdir celles qui pèsent sur les équipes
chargées de vérifier la conformité de nos installations avec les produits
déclarés.
Le rapport triangulaire entre l'équipe d'inspection, l'équipe d'accompagnement
et l'exploitant de l'installation visitée doit être équilibré et transparent
pour ne pas donner lieu à des confusions ou manifestations de toutes sortes.
Le souci premier du législateur doit demeurer, je le répète, la meilleure
application possible de la convention. Nous souhaitons y contribuer par nos
amendements portant sur le titre III de ce projet de loi.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sans en appeler une nouvelle fois au
Gouvernement français et au Président de la République quant à la nécessité de
s'engager plus avant dans le désarmement nucléaire.
De même que pour le désarmement chimique, la France est à même de jouer un
rôle moteur dans la relance du processus de réduction des armes nucléaires.
Il ne s'agit pas de mettre à bas dès aujourd'hui, et de façon unilatérale,
notre défense nucléaire actuelle ; il s'agit de cesser la production et
l'expérimentation de nouvelles armes atomiques.
Le respect du traité de non-prolifération signé en 1995 n'est qu'une étape. Il
est nécessaire d'aller plus loin pour arriver, à terme, à la conclusion d'une
convention sur l'élimination totale, définitive et contrôlée de tous les
armements nucléaires.
La sécurité, qui a jusqu'ici reposé sur le principe de dissuasion, doit
désormais s'appuyer sur la notion de désarmement négocié et équilibré entre les
principaux détenteurs d'armes nucléaires.
La France peut et doit jouer, à cet égard, j'en suis profondément convaincue,
pleinement son rôle au sein des instances internationales.
Au moment où nous allons adopter ce texte, qui fait honneur à notre pays, il
est bon de rappeler les devoirs historiques auxquels la France ne saurait se
dérober.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera ce projet de loi, mais nous
espérons que le Sénat adoptera les amendements que nous avons déposés.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je voudrais simplement souligner à mon tour, après les
différents rapporteurs et l'orateur du groupe communiste républicain et
citoyen, le caractère équilibré de ce projet de loi.
Voilà en effet un texte exemplaire à plus d'un titre et en particulier en ce
qu'il ne met nullement en cause la compétitivité de nos industries chimiques,
dont nous ne pouvons tous ici que nous louer.
Je tiens également à saluer le travail considérable qui a été accompli au
Sénat sur ce projet de loi, notamment par la commission des affaires
économiques. D'ailleurs, dans la mesure où nous sommes d'accord sur l'essentiel
des dispositions qui sont proposées, je me contenterai, lors de la discussion
des articles, d'indiquer simplement que le Gouvernement est favorable aux
amendements présentés par les commissions, seuls deux ou trois d'entre eux qui
soulèvent des problèmes juridiques plus complexes méritant un débat.
Le Sénat voudra bien me pardonner - peut-être m'en remerciera-t-il ! - d'être
ainsi laconique dans le soutien que j'apporterai aux commissions ; qu'il y voie
non un manque d'égard pour leur travail mais, bien au contraire, la marque
d'une approbation sans réserve de ce travail et d'un souci de célérité. Cela
soulignera en outre encore le caractère consensuel de ce texte.
Pour ceux des amendements qui n'ont pas été soumis à la commission saisie au
fond, je m'en remettrai la plupart du temps à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er