ELOGE FUNÈBRE DE PIERRE CROZE,
SÉNATEUR REPRÉSENTANT LES FRANÇAIS
ÉTABLIS HORS DE FRANCE
M. le président.
Mes chers collègues, notre collègue Pierre Croze s'est éteint le lundi 19
janvier, à l'âge de soixante-seize ans.
(M. le ministre, Mmes et MM. les
sénateurs se lèvent.)
Nous le savions gravement malade et nous connaissions
sa lutte silencieuse, son courage quotidien face au mal qui le rongeait. Avec
sa disparition, le Sénat perd un homme d'une grande élégance morale, dont le
dévouement scrupuleux au bien public aura servi le rayonnement de la France.
Avec la modestie et le courage qui le caractérisaient, Pierre Croze a placé
toute son énergie au service de cette noble ambition. Son attachement à la
France se nourrissait de l'expérience d'une vie entière passée à l'étranger.
Français du Maroc depuis sa prime jeunesse, profondément attaché par des
racines multiples au royaume chérifien, Pierre Croze est devenu représentant de
ces Français qui ont choisi de porter sur d'autres terres les couleurs de notre
pays.
Pierre Croze naît en 1921 à Casablanca, où ses parents sont établis de longue
date. Il poursuit ses études dans cette ville, que dominent encore le
protectorat français et la grande figure de Lyautey. C'est dans ses années de
jeunesse que se forgent ses conceptions généreuses et éclairées de l'idée de
coopération. Très tôt, la nécessité du travail en commun et du respect mutuel
s'ancrent profondément en lui.
Lorsque la guerre éclate, alors que les difficultés des temps rapprochent
Français et Marocains, le jeune bachelier est engagé volontaire pour toute la
durée du conflit. Il s'illustre par son courage lors des campagnes de France et
d'Italie. Avec la discrétion propre aux acteurs les plus valeureux de cette
époque douloureuse, il n'évoquait jamais les faits qui lui valurent la Croix de
guerre 1939-1945 et la Croix d'officier de la Légion d'honneur.
A la Libération, il reprend l'activité paternelle d'agent d'assurance. Cette
expérience du secteur privé le rendra particulièrement sensible aux difficultés
rencontrées par les Français qui travaillent à l'étranger.
Son entrée en politique est d'abord un engagement dans la vie politique
marocaine. En 1951, il est élu membre du troisième collège du Conseil du
gouvernement du Maroc. Son mandat prend fin avec le rétablissement du sultanat.
Témoin privilégié de l'évolution politique du Maroc, il en reste un observateur
attentif et sensible.
C'est à la promotion des activités économiques qu'il oeuvre ensuite à la
présidence de la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc, de 1962
à 1967. Dès 1963, il est membre du Conseil supérieur des Français de
l'étranger.
Il y acquiert très vite une autorité morale qui le conduit au Sénat en 1971,
où il rejoint la commission des affaires économiques. Rapporteur pour avis du
budget de l'environnement, à une époque où cette préoccupation n'a pas encore
l'ampleur qu'elle a aujourd'hui, il alerte ses collègues sur la nécessité de
préserver les richesses naturelles et met l'accent, d'emblée, sur la dimension
européenne de ces questions. Préoccupé par les problèmes de pollution de l'eau,
il s'intéresse de près au fonctionnement des agences de bassin.
En 1982, il est élu à la commission des finances, où il est rapporteur spécial
des crédits du tourisme, puis de la recherche. Il rappelle chaque année
l'importance du soutien à la recherche industrielle privée et la nécessité de
faire croître sa part face à la recherche publique.
Membre de la commission d'enquête chargée d'évaluer la structure et le montant
de la dette publique de la France, il se penche sur tous les problèmes liés à
la puissance économique de la France et au dynamisme du commerce extérieur. De
1985 à 1988, il est membre du conseil de direction du comité national des
conseillers du commerce extérieur de la France.
Tout au long de ses mandats, ses électeurs lui ayant renouvelé leur confiance
en 1980 puis en 1989, Pierre Croze manifeste, en tant que représentant des
Français établis hors de France, un vif intérêt pour les questions
internationales. Il n'épargne ni son temps ni son énergie au sein des
institutions internationales.
Membre de l'Assemblée parlementaire des Communautés européennes à partir de
1977, il est tour à tour désigné comme suppléant, puis titulaire des
délégations françaises aux assemblées consultatives du Conseil de l'Europe et
de l'Union de l'Europe occidentale et membre de la section française de
l'association internationale des parlementaires de langue française. Il intègre
la commission des affaires étrangères en 1996.
Pierre Croze est convaincu de la nécessité de moderniser la coopération
française avec les Etats africains. Homme de terrain, conscient du devoir
français envers des pays que le passé lie très fortement à la France, il plaide
pour une coopération « ni subie ni imposée », définie en concertation avec les
pays partenaires. Sans relâche et avec beaucoup de chaleur, il soutient
l'action des coopérants, qu'il appelle les « ambassadeurs du génie français »,
n'hésitant pas à s'engager davantage pour leur permettre d'exercer leur
exigeante mission dans les meilleures conditions possibles.
En 1976, il est membre du Conseil supérieur de la coopération.
Vice-président du Conseil supérieur des Français de l'étranger de 1976 à 1978,
il travaille avec détermination à développer un sentiment d'appartenance au
sein d'une zone géographique très étendue qui couvre toute la bordure sud de la
Méditerranée.
On peut aujourd'hui mesurer le chemin parcouru depuis cette période, en
particulier dans le domaine de la protection sociale, cheval de bataille
constant des représentants des Français établis hors de France.
Mais c'est au Maroc que l'attachent les liens les plus forts. Il comprend
l'âme de ce pays, où il est né et qu'il aime profondément. A la tête du groupe
d'amitié France-Maroc, il favorise les relations privilégiées avec ce pays ami
qui est sa deuxième patrie. Il en suit avec un intérêt passionné les évolutions
politiques. Son attachement profond et attentif au Maroc dont il saura, avec
conviction, tact et délicatesse, contribuer à faire mieux comprendre les points
de vue, lui vaudra d'accéder à la dignité de grand officier du Ouissam
alaouite.
A ses amis, à nos collègues du groupe des Républicains et Indépendants et de
la commission des affaires étrangères, à ses amis français de l'étranger, à ses
amis marocains, je voudrais dire notre tristesse. Au nom du Sénat tout entier,
j'assure de notre profonde sympathie son épouse et ses deux enfants.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s'associe naturellement à
l'hommage rendu aujourd'hui au sénateur Pierre Croze, qui fut pendant
vingt-sept ans représentant des Français établis hors de France.
Ma première pensée va à sa famille ici présente.
J'ai conscience qu'avec Pierre Croze disparaît un de ces Français nés hors de
métropole mais qui sut, beaucoup plus que d'autres, aux heures les plus noires
de notre histoire, mettre en jeu sa vie en participant à la libération de la
France.
Né au Maroc en 1921, sur cette terre encore admirablement gérée par Lyautey,
il a dix-huit ans en 1939 quand il s'engage « pour la durée de la guerre »,
laquelle, pour lui, durera six ans.
Campagne d'Italie, campagne de France, campagne d'Allemagne, sa participation
aux combats pour la libération de l'Europe lui vaut la Croix de guerre.
Démobilisé, il retourne au Maroc et participe à l'activité politique et
économique du Royaume.
Outre les responsabilités de représentant d'une compagnie d'assurance,
profession qu'il embrasse dans le sillon paternel, il assure, entre autres,
celles de membre élu du troisième collège du Conseil du gouvernement du Maroc
avant l'indépendance et de président de la Chambre française de commerce et
d'industrie du Maroc.
C'est en 1971 qu'il rejoint le Sénat en tant que représentant des Français de
l'étranger.
Son activité parlementaire le conduit à travailler sur des sujets aussi divers
que l'environnement, la recherche et l'enseignement supérieur, le tourisme, le
statut de la SEITA, et combien d'autres...
A sa famille, le Gouvernement exprime de nouveau ses condoléances, de même
qu'à ses amis du groupe des Républicains et Indépendants, qui perdent avec
Pierre Croze un compagnon fidèle.
M. le président.
Mes chers collègues, selon la tradition, nous allons interrompre nos travaux
en signe de deuil.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures
vingt-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)