NATIONALITÉ
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n°
287, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif
à la nationalité. [Rapport (n° 292, 1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je reviens devant vous aujourd'hui pour vous
soumettre de nouveau le projet de loi relatif à la nationalité française des
jeunes nés de familles étrangères fixées sur notre sol.
Estimant que les points de vue des deux assemblées sont inconciliables, la
commission des lois du Sénat ne juge pas utile de poursuivre la discussion de
ce texte et vous propose d'adopter une motion tendant à opposer une question
préalable.
J'ai déjà expliqué longuement pourquoi ce projet de loi était, selon le
Gouvernement, nécessaire et opportun et les raisons pour lesquelles il ne
pouvait pas, aux termes de la Constitution, être soumis à référendum. Je n'y
reviendrai donc pas.
Votre commission déplore que l'Assemblée nationale n'ait tenu aucun compte du
travail du Sénat. A vrai dire, cela n'est pas étonnant, puisque la Haute
Assemblée avait supprimé la quasi-totalité des articles du projet de loi que je
présentais !
(M. Pagès sourit.)
Ce que vous récusez, c'est, en effet, le principe même de l'acquisition
de plein droit de la nationalité française, à la majorité, des jeunes nés en
France de parents étrangers qui y résident et qui y sont intégrés. Dès lors,
oui, c'est vrai, nos points de vue sont inconciliables, et la commission mixte
paritaire ne pouvait aboutir.
Si, aujourd'hui, le Sénat décide d'adopter la motion tendant à opposer la
question préalable, il n'y aura pas de débat sur le fond, et croyez bien que je
regretterai cette occasion qui nous était offerte une nouvelle fois d'évoquer
avec sérieux et en conscience - le sujet est grave, en effet - chacune des
dispositions de ce projet de loi.
Bien qu'il paraisse, dans cette hypothèse, inutile d'entrer dans le détail du
texte que l'Assemblée nationale a rétabli, je tiens à redire en quelques mots
combien ce projet de loi est important, pour le Gouvernement et pour
moi-même.
Il est important non pas tant sur le plan quantitatif, puisque ces quelque 25
000 jeunes qui naissent chaque année dans un pays de 60 millions d'habitants ne
représentent, en moyenne, par an, qu'un tiers du total des étrangers qui
acquièrent la nationalité française - et l'on ne me fera pas croire, comme je
l'ai dit dans un précédent débat, qu'il est si difficile pour un pays de 60
millions d'habitants d'intégrer 25 000 jeunes par an ! - mais sur le plan
politique : c'est non pas un caprice tenant à un changement de majorité, ainsi
que certains ont voulu présenter la démarche du Gouvernement, mais bien un
choix politique au sens le plus noble du terme, le choix du dispositif le plus
favorable à l'intégration de ces jeunes, dans l'intérêt de tous.
Ce dispositif que nous proposons de réintroduire aujourd'hui a toujours été
celui de la République et de ses traditions, exception faite, justement, de la
parenthèse ouverte en 1993. Si nous revenons à cette tradition, c'est non parce
que je suis fascinée par les grands débats du XIXe siècle, comme j'ai pu
l'entendre ici ou là, mais parce que je reste persuadée que cette tradition
repose sur un principe juste et ouvert : les jeunes qui sont nés sur notre sol
et qui y ont vécu ont un droit à devenir Français sans qu'une démarche
administrative leur soit imposée.
On ne peut pas vouloir en même temps intégrer des populations, dire aux jeunes
qu'ils ont des droits égaux à ceux de leurs camarades de classe et, en même
temps, les singulariser, voire les discriminer, en leur demandant d'effectuer
une démarche que, précisément, leurs camarades n'auront pas à faire.
Faudrait-il qu'un enfant qui a formellement la nationalité de ses parents
reste, bien qu'il soit devenu, dans les faits, Français par la langue, par la
culture et par le milieu de vie dans lequel il a baigné, un étranger à notre
société ?
(Mme Cerisier-ben Guiga applaudit.)
Des affirmations que j'ai entendues ici comme à l'Assemblée nationale
m'inciteraient à penser que certains d'entre vous le souhaitent. Parler de
populations inassimilables parce qu'elles ne sont pas de culture
judéo-chrétienne ou qu'elles viennent d'horizons géographiques plus lointains
que par le passé, c'est dire que l'« étrangeté » demeurerait quelles que soient
l'éducation reçue et la société dans laquelle on vit.
C'est cela que je n'accepte pas ; c'est en cela, en effet, que deux
philosophies nous opposent.
Permettez-moi d'ajouter que je doute aussi de la cohérence interne de votre
position. En effet, si vous croyez à une altérité ineffaçable de certains êtres
humains parce qu'ils viendraient de trop loin, d'ailleurs ou qu'ils seraient
issus de familles dont la religion est différente, si vous croyez que cette
altérité les rendrait plus difficilement assimilables que d'autres, alors je
vous demande en quoi une demande administrative résoudrait ce problème. La
vérité, c'est que vous demandez l'assimilation bien que, dans le même temps,
certains d'entre vous disent être persuadés qu'elle n'est pas possible parce
qu'un Maghrébin reste un Maghrébin quelle que soit sa vie et quoi qu'il
fasse.
Moi, je crois, au contraire, que les êtres humains ne sont pas déterminés par
leur origine, leur ethnie ou leur nationalité. Je crois non pas à
l'assimilation mais à l'intégration des étrangers dans notre pays et notre
culture. Je crois à une commune humanité qui fait que, lorsqu'on a vécu ici,
qu'on a partagé la même cour d'école, qu'on a appris les mêmes chansons, qu'on
a fréquenté les mêmes librairies, qu'on a regardé les mêmes programmes de
télévision, on est d'ici, quelle que soit son origine.
Je sais bien que ce processus peut poser des problèmes à la première ou à la
deuxième génération ; mais je sais aussi - notre histoire nous le montre, en
effet - que ces problèmes finissent par disparaître pour laisser la place à un
seul peuple, le peuple français, résultat d'un creuset historique et non d'une
donnée ethnique.
Bref, je crois que nous sommes déterminés non par notre origine mais par notre
histoire vécue. J'exprime par là ma confiance dans le processus même d'une
intégration réussie.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Acquérir la nationalité française est, pour moi, à la
fois la consécration d'une intégration et le moyen de lui donner toute sa
plénitude et tout son sens.
Sur ces deux philosophies, je l'admets comme vous, nous différons. Et je ne
pense pas non plus qu'il y ait un compromis possible : vous avez supprimé tous
les articles du projet de loi, et il fallait donc les rétablir tous.
Mais, même si nous différons profondément, il reste que nous avons des
problèmes pratiques à résoudre.
M. Dominique Braye.
Ça, c'est sûr !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il y a les problèmes pratiques, qui, comme vous le
reconnaissez vous-mêmes, sont nés de l'application de la loi de 1993 ; il y a
également les problèmes liés à l'intégration de ces 25 000 jeunes qui naissent
chaque année sur notre sol.
Je reste persuadée que les choix que le Gouvernement a faits de l'acquisition
de plein droit de la nationalité française à la majorité pour les uns, à partir
de seize ans par expression de la volonté pour les autres ou encore à partir de
l'âge de treize ans par les parents, au nom de l'enfant et avec son
consentement personnel, répondent pleinement au souci qui devrait être celui de
tous d'intégrer des jeunes qui n'ont, dans leur très grande majorité, d'autre
pays que le nôtre, d'autre histoire que la nôtre, d'autre avenir que le
nôtre.
Des solutions différentes ne pourraient favoriser que les sentiments de rejet
et l'expression de violences que nous redoutons tous.
Nous n'avons pas le droit de faire d'autre choix que d'oeuvrer pour
l'intégration de ces jeunes dont l'avenir est en France, et de le faire de la
manière la plus efficace qui soit.
Avec la loi de 1993, on a pris à mon avis le risque que certains de ces jeunes
restent étrangers sans le vouloir et sans le savoir.
Le Gouvernement et l'Assemblée nationale préfèrent, quant à eux, refermer la
parenthèse ouverte en 1993 pour revenir au principe de l'acquisition de plein
droit à la majorité, qui a contribué pendant plus d'un siècle à l'intégration
des populations étrangères installées sur notre sol.
Nos convictions sur ce point ne sont pas conciliables. Je ne puis qu'en
prendre acte, tout en le regrettant.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Une
commission mixte paritaire s'est réunie le 4 février dernier au Palais du
Luxembourg pour tenter de concilier les points de vue de l'Assemblée nationale
et du Sénat sur le texte relatif à l'acquisition de la nationalité
française.
Si cette commission mixte paritaire s'est déroulée dans un climat marqué par
une parfaite courtoisie - il ne pouvait en aller différemment, singulièrement
avec M. Mermaz, rapporteur à l'Assemblée nationale de ce texte - le constat
s'est rapidement fait jour de l'impossibilité de parvenir à un accord, tant les
philosophies guidant l'approche de l'une et de l'autre assemblée étaient
antagonistes. Madame le garde des sceaux, votre dernier discours, de si grande
élévation soit-il, nous prouve qu'il n'y a effectivement pas de conciliation
possible.
Le 11 février, l'Assemblée nationale a procédé à une nouvelle lecture du texte
; suivant en cela les conclusions de sa commission des lois, elle n'a pas
estimé devoir tenir le moindre compte de la position de la Haute Assemblée,
fût-ce sur des points de caractères purement technique.
Sa seule contribution à l'enrichissement - le mot est peut-être un peu fort !
- du texte, lors de cette séance du 11 février, s'est traduite par la
suppression, du fait de l'adoption d'un des deux amendements présentés par le
Gouvernement - l'autre a été repoussé - de l'adverbe « subsidiairement » : il
s'agit, en l'occurrence, d'un article 15 A C nouveau, tendant à modifier
l'article 7 de la loi du 22 décembre 1961.
Celle-ci prévoit que la nationalité française des personnes nées sur le
territoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin ou de la Moselle
antérieurement au 11 novembre 1918 est subsidiairement tenue pour établie si
elles ont joui de façon constante de la possession d'état de Français depuis
cette date.
Pour aller dans le sens d'une simplification de la preuve, on peut cependant
douter que la suppression adoptée suffise à remédier aux difficultés pratiques
actuellement rencontrées par certains Alsaciens et Mosellans pour apporter la
preuve de leur nationalité française. En effet, les descendants des personnes
visées se voient encore, en pratique, trop fréquemment réclamer des certificats
de réintégration dans la nationalité française de leurs ascendants, comme l'ont
souligné nos collègues des trois départements concernés, même si vos
collaborateurs et vous-même, madame la ministre, avez laissé à penser qu'il
n'en allait pas ainsi.
En première lecture, chacun a pu le constater - je tiens à le préciser, madame
la ministre, puisque vous avez paru regretter l'absence, aujourd'hui, d'un
débat approfondi - le Sénat a tenu à procéder à une discussion approfondie,
précisément, du texte qui lui était proposé, en dépit de son opposition résolue
à la disposition essentielle de ce projet de loi, qui tendait à supprimer
l'exigence d'une manifestation de volonté pour l'acquisition de la nationalité
française par les jeunes gens nés en France de parents étrangers.
Aujourd'hui, les choses étant ce qu'elles sont, comme aurait dit le général de
Gaulle, et les points de vue des deux assemblées étant ce qu'ils sont, la
commission a estimé, dans sa séance du 12 février, qu'il était inutile de
poursuivre un débat auquel l'Assemblée nationale se refuse.
Aussi bien a-t-elle adopté une motion tendant à opposer la question préalable
au projet de loi adopté, en nouvelle lecture, par une Assemblée nationale qui a
campé sur ces positions. Cette motion, elle vous propose, mes chers collègues,
de l'adopter.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
MM. Emmanuel Hamel et Dominique Braye.
Nous le ferons.
M. le président.
La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici
donc de nouveau dans cet hémicycle pour débattre de ce projet sur la
nationalité.
La commission mixte paritaire n'a, bien sûr, pas réussi à faire la synthèse
entre le texte qui avait été voté à l'Assemblée nationale et celui,
complètement vidé de sa substance, qu'avait adopté la majorité sénatoriale. Il
n'est donc pas surprenant que nous soyons là de nouveau aujourd'hui.
Soucieuse de ne pas répéter ce qui a déjà été dit lors du débat précédent, je
me contenterai d'évoquer quelques points.
Je rappellerai, tout d'abord, les insuffisances de la législation actuellement
en vigueur.
L'institution de l'obligation d'une manifestation de volonté, en 1993,
répondait à une « conception élective de la nationalité », selon laquelle la
nation n'existe que par le consentement de ceux qui la composent. C'est un des
aspects de notre conception de la nationalité, et nous nous référons tous, sur
ce point, à Renan.
Mais cette conception ne résume pas notre droit de la nationalité, largement
fondé sur la filiation et sur l'appartenance culturelle et politique.
Si notre droit de la nationalité était exclusivement fondé sur une conception
élective, la manifestation de volonté devrait être exigée non seulement des
jeunes étrangers nés en France mais aussi, à la majorité, de tout jeune né de
parents français en France comme à l'étranger. Or, il n'en a jamais été
question.
M. Dominique Braye.
Cela ne veut rien dire !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Si, cela veut dire quelque chose : on l'a souvent réclamé pour des enfants de
Français nés à l'étranger et qui n'avaient pas eu de lien avec la France depuis
plusieurs générations. Le problème pourrait donc se poser et être discuté.
La suppression de la manifestation de volonté est, de notre point de vue, une
transformation symbolique. Mais, le symbolisme, c'est important pour la vie
d'une nation !
M. Alain Gournac.
On la demande, la nationalité !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
En effet, si les conditions d'acquisition sont inchangées - il faut toujours
une naissance en France de parents étrangers et la résidence sur notre
territoire pendant cinq ans - le jeune, comme avant 1993, sera considéré comme
Français sauf s'il ne veut pas l'être. Or, depuis 1993, il était considéré
comme étranger sauf s'il demandait à devenir Français.
Dans le premier cas, la communauté nationale accueille un enfant adoptif ;
dans le second, elle exige d'un individu étranger un acte d'allégeance. C'est
là où le changement philosophique est réel.
Cette manifestation de volonté est vécue comme une exclusion et non comme une
intégration par les jeunes auxquels elle est demandée, dans la mesure où elle
accentue la différence entre les jeunes nés de parents étrangers et ceux avec
lesquels ils ont grandi et sont allés à l'école. Mme le garde des sceaux l'a
très bien expliqué.
Je le répète, cette manifestation de volonté, si elle est acceptée par des
jeunes qui, en fait, ne peuvent pas faire autrement, est mal vécue par eux à un
moment de leur vie où les différences de traitement sont presque toujours
ressenties, et souvent à tort, comme des injustices et des discriminations. Il
n'est pas besoin d'en ajouter.
La loi de 1993 a péché aussi par défaut d'information. Celle-ci a été
insuffisante, partielle, et la pratique administrative s'est révélée très
inégale. Elle s'est révélée surtout purement administrative. Il n'a été en rien
question d'un accueil dans la citoyenneté française. On a vu des jeunes être
reçus au tribunal d'instance comme on l'est normalement : ni mieux ni moins
bien. En tout cas, il n'y avait pas d'accueil particulier.
Malgré tout, si la loi avait été bonne, le fait qu'elle n'ait pas été
appliquée de façon satisfaisante et égale sur l'ensemble du territoire de la
République n'aurait pas été une bonne raison de la réformer.
Mais ce défaut d'information et ces lacunes dans l'application sont un indice,
parmi d'autres, de la montée d'une attitude de rejet d'une partie de l'opinion
et de l'administration envers les jeunes issus de l'immigration, et il nous
semble qu'une loi généreuse peut contribuer à corriger les effets néfastes de
cette attitude de rejet, que nous sommes nombreux à déplorer.
M. Emmanuel Hamel.
Il y a des lois généreuses néfastes !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Effets néfastes pour les jeunes, néfastes pour la France, pour son image à
l'étranger,...
M. Alain Gournac.
Il faut l'aimer, la France !
M. Emmanuel Hamel.
Et l'intérêt national ! Que devient-il ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
... néfastes pour l'intérêt national d'un pays dont le quart de la population
est d'origine étrangère...
M. Emmanuel Hamel,
Et l'identité française !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
... et dont l'identité est parfaitement solide, si ce n'est dans l'esprit de
ceux qui ne croient plus en la force de l'identité française, et ce n'est pas
mon cas.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE. -
Exclamation sur les travées du RPR.)
Le coeur de ce projet de loi est l'acquisition de la nationalité
française par les enfants d'étrangers nés en France et qui y ont leur
résidence. Résolue dès 1851 et 1889, cette question a été replacée au coeur du
débat politique dans les années quatre-vingt, et ce n'est pas tout à fait par
hasard. Ce qui est frappant, c'est que nous nous trouvons depuis lors à front
renversé : c'est à gauche de cet hémicycle que l'on défend une tradition
séculaire et, à droite, une droite généralement qualifiée de conservatrice, que
l'on veut y mettre fin.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
C'est donc à tort qu'on la traite de conservatrice !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
En effet, nous voulons restaurer - je dis bien « restaurer » - le régime de
l'acquisition de plein droit de la nationalité française.
(Exclamations sur les mêmes travées.)
Je ne voudrais pas avoir à crier trop fort, afin de ne pas me casser la
voix !
M. le président.
Madame, vous bénéficiez au moins de l'avantage du micro.
Veuillez poursuivre.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Monsieur le président, c'est tout de même à vous qu'il appartient de faire
respecter l'ordre dans les débats, pas à moi !
Le Gouvernement veut restaurer le régime de l'acquisition de plein droit de la
nationalité française à la majorité en cas de naissance et de résidence en
France.
Quand la loi aura été adoptée...
M. Dominique Braye.
Contre l'avis des Français !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
... - elle ne manquera pas de l'être d'ici peu de temps - l'enfant qui naîtra
sur le territoire français et qui y aura résidé pendant une durée suffisante
deviendra Français de plein droit à sa majorité.
Ce texte renoue avec la tradition républicaine de la nationalité. En effet -
Mme le garde des sceaux l'a très bien expliqué dans ses différentes
interventions - la nationalité n'est pas seulement la consécration d'une
intégration achevée, elle est un élément majeur d'une intégration en cours.
M. Dominique Braye.
Il n'y en a pas beaucoup qui l'auraient parce qu'il n'y en a pas beaucoup qui
sont intégrés !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Toutefois, pour respecter la liberté individuelle, d'une part, la conception
élective de la nationalité, d'autre part, le texte restaure la possibilité pour
le jeune de répudier la nationalité française entre dix-sept ans et demi et
dix-neuf ans.
Tout jeune né en France aura donc la liberté d'être ou non Français. Mais
nous, nous voulons d'abord avoir envers lui un geste d'accueil.
Je veux maintenant rappeler les principaux mérites de ce texte.
Il a d'abord le mérite d'assouplir les conditions de résidence : celle-ci est
de cinq ans ; c'est traditionnel. Il est toutefois intéressant que la
constatation se fasse sur une période plus longue - entre onze et dix-huit ans
- et pas nécessairement juste avant la majorité, comme l'exigeaient les lois
précédentes. C'est une bonne adaptation à la réelle mobilité de la jeunesse
d'aujourd'hui, qui fait que, volontairement ou involontairement, des jeunes,
français ou étrangers, vont passer une partie de leurs années d'adolescence
hors de France, voire hors de l'Union européenne.
Ce texte est aussi - je veux y insister - un texte de compromis. Le fait de ne
pas reprendre les dispositions qui permettaient aux parents étrangers de
réclamer, au nom de leur enfant mineur et dès la naissance de celui-ci, la
qualité de Français s'ils ont leur résidence en France depuis cinq ans,
constitue, à mes yeux et aux yeux d'un certain nombre de mes collègues du
groupe socialiste, un recul par rapport à la loi républicaine de 1889.
Cette omission est inspirée par la volonté de satisfaire une opinion très
répandue, même si elle relève du procès d'intention plus que de la réalité :
des parents demanderaient la nationalité française pour leurs enfants mineurs à
seule fin de consolider leur droit au séjour en France.
M. Dominique Braye.
Absolument !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
La condition de séjour régulier des parents aurait suffi à prévenir ce
détournement de la loi, et je regrette, pour ma part, que nous ayons consenti à
ce compromis, en pure perte puisque nous sommes ici aujourd'hui et que le
compromis n'a absolument pas permis, en dépit de la bonne volonté du
Gouvernement, d'arriver à un consensus sur ce texte.
Il reste que le dispositif retenu, même s'il ne va pas aussi loin que certains
d'entre nous l'auraient souhaité, constitue une avancée certaine par rapport à
la législation en vigueur depuis 1993. C'est pourquoi notre groupe le
soutient.
Je veux insister aussi sur le fait que l'Assemblée nationale a amélioré le
texte du Gouvernement par l'adoption d'un certain nombre d'amendements, chose
qui n'était pas possible ici pour notre groupe.
Il est bon d'avoir ramené à un an le délai au terme duquel l'étranger qui a
contracté mariage avec un Français ou une Française peut acquérir la
nationalité française. Il est en effet essentiel de faire prévaloir l'intérêt
de la majorité des couples de bonne foi, car les couples fraudeurs constituent
une très petite minorité, et il ne faut pas que la suspicion frappe tous les
mariages avec des étrangers, comme les dispositions en vigueur antérieurement y
incitaient.
Je me réjouis aussi que le texte ait été enrichi, dès le débat à l'Assemblée
nationale, de deux dispositions qui concernent les Français à l'étranger :
d'abord, une disposition relative aux enfants adoptés par adoption simple qui
leur permet d'acquérir la nationalité française dans la mesure où ils sont
élevés par une famille française, même si celle-ci réside à l'étranger ;
ensuite, une disposition qui permet de mettre fin à une discrimination en
matière de droit à la réintégration dans la nationalité française entre
Français par filiation et de naissance, et Français par acquisition.
Enfin, même si le problème de la preuve de la nationalité est loin de
connaître une solution définitive avec ce texte, l'amélioration qui consiste à
inscrire en marge de l'acte de naissance non seulement l'acquisition de la
nationalité française, mais la mention du premier certificat de nationalité
française, et ce pour tout Français, est de nature à faire baisser la pression
qui pèse, en matière de preuve de la nationalité, sur les Français.
M. le rapporteur a parlé des Français nés dans les trois départements qui ont
été sous domination allemande entre 1870 et 1918, mais cette pression est
insupportable pour tous les Français qui ont une part de leur histoire à
l'étranger. Je pense notamment aux Français d'Algérie, à tous les Français dont
la famille a vécu à l'étranger et à tous les Français qui sont d'origine
étrangère.
Bien sûr, il faudra aller plus loin en la matière, mais ce texte a été
l'occasion d'apporter une première amélioration pratique en matière de preuve
de la nationalité.
Par la création d'un titre d'identité spécifique, l'Assemblée nationale a très
justement pris l'initiative de faciliter la vie quotidienne des enfants encore
étrangers, mais qui, nés en France, ont vocation à devenir Français.
Enfin, nous nous félicitons du fait que la restriction introduite par la loi
de 1993 à la règle du double droit du sol ait été supprimée.
Ce texte, tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale, reçoit l'entier
soutien du groupe socialiste du Sénat. Il incombera à l'Assemblée nationale de
répondre aux attentes que la jeunesse et une large part de l'opinion
républicaine ont exprimées en 1997 et auxquelles le Gouvernement s'efforce de
répondre.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Le peuple est contre à 76 % !
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la partie est
jouée d'avance, et nous le savons.
D'une part, le projet de loi qui nous est soumis en nouvelle lecture n'a pas
été modifié par l'Assemblée nationale par rapport à la première lecture. C'est
donc le projet gouvernemental non fondamentalement modifié qui nous revient.
D'autre part, le Sénat qui, systématiquement, a défait le texte en première
lecture pour rétablir la loi Méhaignerie en s'arc-boutant sur le principe de la
manifestation de volonté et sur une conception frileuse de la nationalité va
voter, dans la foulée de cette discussion générale, la motion tendant à opposer
la question préalable. Nous sommes donc là dans une discussion purement
formelle.
Pourtant, on aurait pu espérer que notre assemblée se démarque d'une
conception de la nationalité que l'on ne peut même pas qualifier de passéiste
puisque, par le passé, la France a montré une image autrement plus généreuse,
autrement plus humaine et plus réaliste de la nationalité.
M. Dominique Braye.
Le Sénat a suivi l'avis du peuple !
M. Jean Chérioux.
Réaliste, c'est à voir !
Mme Joëlle Dusseau.
Le Sénat ne l'a pas fait en première lecture, montrant à quel point il est
influencé, comme notre société tout entière, par les thèses xénophobes du Front
national.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Vos amis du Front national !
M. Dominique Braye.
C'est votre fonds de commerce !
Mme Joëlle Dusseau.
Ne parlons pas de cette nouvelle lecture qui n'en est pas une !
Ce faisant, la majorité sénatoriale a créé ce que j'estime être un faux
clivage avec le projet gouvernemental. En effet, comment ne pas vous redire
ici, madame la ministre, à quel point le texte que vous proposez, et qui sera
donc voté en l'état par l'Assemblée nationale en troisième lecture, est un
texte de retrait, de repli et de frilosité ?
M. Dominique Braye.
Quel extrémisme !
Mme Joëlle Dusseau.
En fait, il faut savoir gré à la droite de l'Assemblée qui, par ses propos
outranciers et hors de mesure, a pu faire passer le projet gouvernemental pour
un projet de gauche, pour un projet généreux et pour un projet intégrateur.
En effet, quels changements apportez-vous par rapport à la loi Méhaignerie ?
Un changement symbolique : la suppression de la manifestation de volonté, de
cette démarche volontariste par laquelle un jeune de dix-huit ans né en France,
scolarisé en France, parlant français, et ne parlant souvent que le français,
qui, avant 1993, aurait été et se serait considéré comme Français, doit, depuis
1993, manifester cette volonté.
Mais sortons de la symbolique, il n'y a guère de différence entre l'avant et
l'après,...
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est pour cela que ce n'était pas la peine de changer la loi !
Mme Joëlle Dusseau.
... entre Méhaignerie et vous, puisque les jeunes de dix-huit ans auront, de
toute façon, à faire les mêmes démarches,...
M. Dominique Braye.
Ce n'était pas la peine de changer, madame Dusseau !
M. Jean Chérioux.
Non, ce n'était pas la peine !
Mme Joëlle Dusseau.
... auront à apporter les mêmes preuves de naissance, de séjour. Les modalités
changent, le principe reste.
M. Jean-Jacques Hyest.
On est bien d'accord !
Mme Joëlle Dusseau.
Alors, comment ne pas être frappé par le recul de cette loi par rapport à la
situation antérieure à 1993 ? Quand on se souvient que la loi de 1973 était
présentée par Jean Foyer, alors que le ministre de l'intérieur était Raymond
Marcellin, il n'y a pas de quoi pavoiser !
Et pourtant, cette loi de 1973 était la solution de sagesse en permettant aux
parents étrangers d'enfants nés en France de demander la nationalité française
dès la naissance ; elle a été un remarquable facteur d'intégration -
intégration ou assimilation comme on veut ; j'avoue que, sur ce point de
vocabulaire, je n'ai pas très bien saisi la distinction sémantique que M.
Pasqua faisait ici même lors du récent débat sur l'immigration.
Oui, cette déclaration dès la naissance a été, pendant ces vingt dernières
années, un facteur d'intégration et encore plus, sans doute, pour ces jeunes
d'une origine migratoire différente de celle du passé, car si les phénomènes
migratoires ont changé, il ne faut pas oublier deux facteurs essentiels
d'intégration.
Le premier est la langue. En effet, les migrants, depuis vingt ou trente ans,
sont très majoritairement francophones, qu'ils viennent d'Afrique du Nord ou
d'Afrique noire, alors que les migrants antérieurs avaient quasiment tous à
surmonter la barrière de la langue, pour eux et pour leurs enfants.
Le second facteur d'intégration est la durée de la scolarité obligatoire,
augmentée en amont par les classes maternelles, en aval par la prolongation des
études.
Ce sont donc ces jeunes, madame la ministre, nés en France, dont les parents
sont francophones et qui, voilà cinq ans, devenaient majoritairement Français
dès leur naissance, que vous décidez de laisser dans une situation de
non-nationalité. C'est cela qui est décidé. Cet élément décisif de l'identité
de la personne, vous le leur refusez. Et que nul ne dise qu'ils ont la
nationalité de leurs parents. Non ! Ils sont dans une espèce de
no man's
land
identitaire, car la nationalité fait partie de notre identité
profonde, de l'identité profonde de chacun de nous. Alors que ces jeunes sont
le plus en difficulté, le plus frappés par le chômage des familles, le plus
marqués par le racisme ambiant, on leur refuse cette part de leur identité.
Pourtant, ils sont nés en France, ils y font leurs études, ils y travailleront,
y vivront, y mourront.
J'avoue avoir été d'autant plus étonnée par votre obstination à ne pas
rétablir cette disposition que votre argumentation sur ce point s'est réduite à
une seule phrase en première lecture : « il faut respecter l'autonomie des
jeunes ». Des esprits chagrins pourraient penser que cette formule rejoint
précisément le fond de l'argumentaire de la droite plaidant pour le maintien de
la manifestation de volonté. En tout état de cause, cette formule est peu
cohérente avec la philosophie affichée dans le projet de loi.
Et, surtout, la prétendue autonomie des jeunes ne joue que pour les enfants
d'immigrés nés en France et non pour les enfants de Français, et l'on peut se
demander ce qui justifie le souci de l'autonomie de ceux-là plutôt que de
ceux-ci. En tout état de cause, ce souci d'autonomie me paraît moins important
que celui de notre cohésion sociale, malmenée par l'exclusion de la nationalité
française d'enfants nés sur notre sol. La vérité est que cette référence à
l'autonomie des jeunes, répétée à l'infini, n'est qu'une façon de masquer une
concession à ce que vous avez estimé être « l'air du temps ».
Passés les cris, les procédures référendaires ou la symbolique du
démantèlement de la loi, article après article,...
M. Dominique Braye.
Alors, ne votez pas pour !
Mme Joëlle Dusseau.
... on voit bien qu'il n'y a guère de différence entre les deux lois - la loi
Méhaignerie et la vôtre - et que les deux se réfèrent à la même conception, qui
ne me paraît ni généreuse ni réaliste.
M. Dominique Braye.
Alors, votez contre !
Mme Joëlle Dusseau.
Elle n'est pas généreuse, puisqu'elle est le témoin d'une fermeture frileuse.
Elle n'est pas réaliste, car elle s'ajoute aux facteurs d'exclusion, déjà si
lourds dans notre société et si lourds vis-à-vis de ces jeunes dits de la
deuxième génération.
Bien entendu, les radicaux de gauche que je représente ici voteront contre la
proposition du rapporteur de la commission des lois d'une motion préalable.
(Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Vous vous défaussez !
Mme Joëlle Dusseau.
Contrairement donc à la première lecture, où nous avons voulu, par notre
abstention, marquer symboliquement notre distance par rapport au texte
gouvernemental,...
M. Dominique Braye.
Ce n'est pas bon, c'est mauvais, mais je vote pour !
Mme Joëlle Dusseau.
... notre vote sera donc cette fois semblable à ceux des groupes socialiste et
communiste républicain et citoyen. Mais ce vote, hostile à la motion tendant à
opposer la question préalable, ne doit pas cacher les réserves fortes...
M. Alain Gournac.
Fortes ?...
M. Jean Chérioux.
Mais qui ne serviront à rien !
Mme Joëlle Dusseau.
... que nous continuons à exprimer sur ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'occasion
de cette nouvelle lecture du projet de loi relatif à la nationalité, la
majorité sénatoriale confirme, hélas ! mais ce n'est pas une surprise,
l'intransigeance affichée lors de la première lecture.
M. Robert Pagès.
Hélas !
M. Michel Duffour.
Vous allez même, mesdames, messieurs de la majorité, plus loin, puisque vous
refusez de débattre du texte même, en proposant l'adoption d'une motion tendant
à opposer la question préalable avant la discussion des articles.
M. Jean Chérioux.
Une fois, ça suffit !
M. Michel Duffour.
Les attendus de cette motion sont étonnants et marquent, j'ai le regret de le
dire, la radicalité toute droitière, très conservatrice, de la position
défendue par M. le rapporteur et par la majorité de la commission des lois.
Vous considérez notamment que « ce projet de loi n'est ni urgent ni nécessaire
car rien ne justifie de remettre en cause dans son principe la manifestation de
volonté de devenir Français, instituée par la loi du 22 juillet 1993 ».
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Michel Duffour.
Cette appréciation nous apparaît profondément erronée et faisant très peu de
cas de la détresse d'une jeunesse très souvent exclue, maintenue en marge de la
communauté nationale.
Les auteurs de cette motion font preuve d'une méconnaissance grave de la crise
qui secoue la jeunesse, d'origine étrangère ou non, jeunesse déjà meurtrie par
les conséquences de la crise.
Les débats à l'Assemblée nationale et au Sénat sur ce projet ont été
l'occasion pour la droite de développer un discours de rejet, source de haine
et de xénophobie.
Quand M. Thierry Mariani, député UDF, déclare le 10 février : « c'est ainsi
que la population étrangère appelée à accéder à la nationalité française
comporte désormais des ressortissants relevant des communautés attachées à des
valeurs radicalement différentes des nôtres, quand elles ne sont pas
antinomiques », il attise les braises du racisme.
M. Emmanuel Hamel.
C'est un constat !
M. Jean Chérioux.
La polygamie c'est quoi ?
M. Dominique Braye.
Vous vivez dans une bulle !
M. Michel Duffour.
Nous ne vivons pas dans une bulle ! Je ne comprends pas pourquoi vous avez
déposé une motion tendant à opposer la question préalable, tant vous semblez
souhaiter débattre sur le fond ! Une nouvelle fois, nous aurions vu l'inanité
de vos propos.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
De tels propos écartent en effet toute idée d'intégration puisqu'ils
affichent
a priori
une conflictualité entre les cultures plutôt que leur
harmonie.
Les auteurs de la question préalable ne permettent pas, bien au contraire, de
faire progresser la notion de souveraineté. J'avais rappelé, en première
lecture, la portée de nos traditions républicaines qui prônent une conception
généreuse et humaine de la nationalité. Je n'y reviendrai donc pas.
M. Dominique Braye.
Utopiste !
M. Michel Duffour.
La législation de 1993, en caricaturant et en affaiblissant la référence au
droit du sol, en y opposant dans les faits une manifestation de volonté à l'âge
de dix-huit ans pour l'acquisition de la nationalité a marqué un recul très
net. Nous avions combattu avec vigueur cette loi.
Lors du débat en première lecture, nous avions indiqué à Mme la ministre notre
satisfaction de constater la remise en cause du dispositif Méhaignerie, par
l'affirmation, notamment, de l'acquisition automatique de la nationalité à
dix-huit ans et, sous certaines conditions, à seize, voire à treize ans.
Nous avions cependant regretté que l'avancée soit limitée et qu'en quelque
sorte on s'arrête au milieu du gué. C'est pourquoi nous avions proposé
l'instauration du droit à la nationalité sur déclaration pour tout enfant
étranger, né en France et dont les parents résident sur notre sol depuis cinq
ans au moins.
Les députés communistes ont renouvelé cette proposition en seconde lecture, et
elle a été à nouveau repoussée.
Nous n'avons pas ici redéposé cet amendement, mais il demeure, selon nous, la
meilleure voie pour que le droit de la nationalité dans notre pays soit en
phase avec les valeurs profondes de la République, avec la nécessaire égalité
entre les jeunes, quelles que soient leurs origines.
Ce projet de loi a des aspects positifs indéniables, mais il ne marque pas
suffisamment, selon nous, une rupture suffisante avec la législation
antérieure. C'est cette analyse qui avait déterminé l'abstention des députés
communistes.
Avant de conclure, je souhaite signaler au Gouvernement et au Sénat le vote
par la Commission européenne des libertés publiques et des droits de l'homme,
le 26 janvier dernier, de son rapport annuel, dont le point 10 invite tous les
Etats membres à reconnaître « le droit du sol » intégral dès la naissance pour
l'acquisition de la nationalité. Je pense que nous avons là une excellente
suggestion.
M. Emmanuel Hamel.
Nous sommes Français. Bruxelles, c'est l'étranger.
M. Michel Duffour.
Les sénateurs communistes maintiennent donc leur opinion initiale sur ce
projet de loi, mais, avant tout, ils rejettent catégoriquement l'attitude de la
majorité sénatoriale, source d'intolérance et facteur de division et de
confrontation.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées du
RPR.)
M. Emmanuel Hamel.
Après Maastricht, Bruxelles. Vous reniez votre idéal !
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
A aucun moment, je n'avais eu l'intention d'intervenir à ce point du débat,
mais j'avoue que je dois relever deux arguments.
Le premier, madame le ministre, m'a presque scandalisé.
Le second argument, avancé par l'une de mes collègues de groupe - mais notre
groupe ayant été « pluriel » avant tous les autres et ma remarque ne surpendra
personne - m'a quelque peu étonné.
S'agissant de votre propre argument, madame le ministre, il est tiré du fait
que des jeunes naissent en France, habitent en France, en tout cas pendant un
certain temps et qu'ayant fréquenté les mêmes écoles, écouté les mêmes
programmes de télévision, ils sont intégrés dans notre univers culturel.
M. Dominique Braye.
Ils sont désintégrés !
M. Paul Girod.
Vous voyez que je vous ai écoutée avec passion !
(Sourires surles travées
du RPR.)
Chers collègues, j'ai entendu sur nos bancs suffisamment d'interpellations sur
le fait que nos écrans de télévision étaient envahis au-delà du raisonnable
malgré les efforts du CSA et notamment, par des programmes étrangers pour que
je sois pour le moins perplexe quant à l'intégration culturelle des jeunes
immigrés habitant en France depuis cinq ans par le biais de la télévision.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR. - Exclamations sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier.
Quel argument !
M. Paul Girod.
En conséquence, madame le ministre, l'argument que vous tirez de l'intégration
culturelle d'un jeune vivant pendant cinq années dans notre pays me semble
quelque peu limité car, nous le constatons malheureusement les uns et les
autres à longueur de temps, l'imprégnation télévisuelle est plus importante que
celle de l'école de la République !
Le second argument je le combattrai, peut-être avec moins de vigueur. En
effet, au nom de l'amitié que j'éprouve depuis longtemps pour Mme Dusseau -
amitié que je me permets de vous offrir, très humblement, à vous aussi, madame
le ministre - je me dois peut-être de modérer mes propos.
Mme Dusseau a parlé de l'enfant qui a vécu chez nous, dont les parents
travaillent chez nous et qui vivra et travaillera chez nous. Pourquoi ne
ferait-il pas l'effort de dire qu'il est content d'y être ? En quoi est-il
scandaleux qu'il témoigne de sa volonté d'adhésion ?
(M. Pagès
s'exclame.)
C'est sur ce point que je ne suis en aucun cas le raisonnement de l'Assemblée
nationale.
Vous avez dit, il y a quelques instants, madame le ministre, que nous avions
deux philosophies totalement opposées, je souscris à ce constat. Pour moi, on
est Français quand on est fils de Français
(M. Dreyfus-Schmidt proteste)
ou que, n'étant pas fils de Français, on désire le devenir.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Paul Girod.
Cela me semble être une démarche logique.
M. Claude Estier.
Comment était-ce avant 1993 ?
M. Paul Girod.
Je ne vous dis pas qu'avant 1993 c'était bien !...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela a duré pendant cent ans !
M. Paul Girod.
Je dis que, dans l'état actuel des choses, la demande de cette manifestation
de volonté constitue un progrès que beaucoup de pays ont déjà accompli.
J'ai constaté il n'y a pas tellement longtemps, sous le régime de la loi
actuelle, l'émotion de personnes, jeunes ou moins jeunes, qui, après quelques
années de réflexion, avaient demandé la nationalité française et recevaient des
mains du sous-préfet, dans les salons de la sous-préfecture, les documents
attestant le fait qu'elles avaient été naturalisées. Elles étaient heureuses,
elles étaient émues, et nous l'étions aussi. C'est plutôt dans cette direction
que se trouve la voie de l'obtention de la nationalité et pas dans celle de
l'automaticité aveugle et de l'irresponsabilité totale.
(Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je ferai simplement une remarque à M. Paul Girod parce
que, si je l'ai scandalisé, pour la première fois peut-être depuis que je
l'entends parler, il m'a profondément déçue.
M. Paul Girod.
J'en suis navré !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le sénateur, quand on cite les propos d'un
orateur, on fait référence à la totalité de son intervention !
Si j'ai cité la télévision, c'est après avoir parlé de l'intégration par
l'école et par la culture.
Par ailleurs, je ne vois par pourquoi vous frappez ainsi d'ostracisme les
programmes de télévision. On pourrait certes espérer qu'ils soient meilleurs,
un peu plus éducatifs, mais ce que je voulais souligner, c'est que tous les
jeunes Français regardent les mêmes programmes de télévision...
M. Jean Chérioux.
Hélas !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... et qu'il n'existe pas de raison d'établir une
distinction avec l'imprégnation que reçoivent les jeunes étrangers.
Pour moi, l'essentiel vient de l'intégration par l'apprentissage de la langue,
par l'acquisition d'une culture commune, laquelle passe aussi, qu'on le veuille
ou non, qu'on l'apprécie ou non, par la télévision.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable