TRAITÉ D'INTERDICTION COMPLÈTE
DES ESSAIS NUCLÉAIRES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 304, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité
d'interdiction complète des essais nucléaires. Rapport (n° 330, 1997-1998).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la signature du
traité d'interdiction complète des essais nucléaires à New York, le 24
septembre 1996, a marqué une étape majeure de l'effort international en matière
de non-prolifération et de désarmement nucléaires.
Sur le plan de la non-prolifération, ce traité appelé TICE complète le
dispositif en vigueur d'un double point de vue.
En premier lieu, en interdisant les essais nucléaires, il ferme aux Etats
proliférateurs éventuels l'option d'un accès à l'arme thermonucléaire.
En second lieu, sa conclusion avant la fin de l'année 1996 correspond à l'un
des objectifs fixés par la conférence de New York de mai 1995, qui a décidé la
prorogation indéfinie du traité de non-prolifération des armes nucléaires, le
TNP.
Sur le plan de la maîtrise des armements, le traité d'interdiction complète
des essais nucléaires scelle la fin de la course aux armements nucléaires, que
la France a toujours condamnée. L'arrêt des essais a pour conséquence de mettre
un terme à un développement de nouveaux types d'armes plus évoluées, et donc à
l'escalade qualitative dans les armements nucléaires.
La France, comme vous le savez, a joué un rôle majeur dans la négociation du
TICE qui s'est déroulée à Genève, à la conférence du désarmement, entre 1993 et
1996.
C'est en particulier conformément aux vues françaises que le traité comporte
un système d'inspection et de vérification efficace. Il faut noter à ce propos
que le réseau de surveillance prévu par le traité sera opérationnel dans les
mois ou les années qui viennent : il exercera donc, sur le plan technique, un
effet dissuasif vis-à-vis d'éventuels Etats proliférateurs ou tentés de
contourner le traité, et cela indépendamment du point de savoir si le traité
lui-même sera en vigueur ou non.
C'est aussi, et très notablement, à la suite d'une proposition française
introduite le 10 août 1995 qu'a été retenu ce que l'on appelle l'option zéro :
le traité interdit toute explosion expérimentale d'arme nucléaire quel qu'en
soit le niveau ou quel que soit le milieu dans lequel les essais peuvent
intervenir.
Il se distingue donc du traité « partiel » signé en 1963 - et c'est la raison
pour laquelle l'intitulé de ce traité comporte l'adjectif « complète » - ou du
traité à « seuil » de 1974, auxquels la France n'avait pas adhéré.
En même temps, le traité d'interdiction complète des essais nucléaires n'est
pas un traité d'élimination des armes nucléaires. Les Etats dotés de l'arme
nucléaire conservent, et c'est naturel, le droit et le devoir de garantir la
sûreté et la fiabilité de leurs armes. C'est pourquoi le traité autorise les
activités de laboratoire dites de simulation.
Je veux souligner auprès de vous, comme mon collègue Hubert Védrine l'a fait
devant l'Assemblée nationale, la détermination du Gouvernement de mener à bien
le programme de simulation ambitieux et nécessaire qui a été engagé.
Les essais nucléaires ne sont plus aujourd'hui indispensables au maintien de
notre capacité de dissuasion nucléaire, mais la crédibilité à venir de cette
dissuasion dépendra dans une large mesure de l'effort que nous aurons à
accomplir en matière de simulation. C'est donc à la fois notre indépendance,
notre capacité de dissuasion et la capacité à faire progresser que nous
entendons maintenir.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, le TICE, pour jouer pleinement le rôle que la communauté
internationale et la France attendent de lui, doit être universel. C'est la
raison pour laquelle l'entrée en vigueur de ce traité est conditionnée par la
ratification de quarante-quatre Etats, dont les cinq puissances nucléaires
reconnues et les trois Etats dits du seuil qui ont des capacités nucléaires,
mais n'ont pas adhéré au traité de non-prolifération.
L'un de ces Etats a fait connaître qu'à ce stade il n'entendait pas rejoindre
le TICE, bloquant ainsi, pour le proche avenir, l'entrée en vigueur du
traité.
Est-ce une raison suffisante pour nous de différer la ratification de la
France ? Le Gouvernement ne le croit pas ; c'est d'ailleurs pourquoi je suis
devant vous aujourd'hui. Il partage sur ce point l'avis du rapporteur de votre
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le traité, tel qu'il a été signé à New York en septembre 1996 par près de cent
cinquante Etats, constitue, par sa seule existence, une avancée essentielle de
l'effort international en matière de non-prolifération et de désarmement
nucléaires.
Notre intérêt bien compris est de défendre et de consolider cette avancée en
plaidant, et d'abord auprès des cinq puissances nucléaires, en faveur d'une
accélération du processus de ratification de ce traité.
En procédant nous-mêmes dès maintenant, parmi les premiers, à la ratification
du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, nous plaçons notre
pays en position d'influencer les choix des autres Etats. Nous resterons ainsi
cohérents avec les choix qui ont toujours été les nôtres d'attachement à la
dissuasion nucléaire, mais aussi de soutien résolu à la lutte contre la
prolifération des armes nucléaires.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les observations qu'appelle le traité d'interdiction
complète des essais nucléaires, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui
soumis à votre approbation.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier de Villepin,
en remplacement de M. Jean Faure, rapporteur de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité d'interdiction complète
des essais nucléaires, dont la ratification est soumise à notre approbation,
constitue, à n'en pas douter, une pièce majeure apportée par la communauté
internationale au dispositif de désarmement et de lutte contre la prolifération
nucléaire.
Notre commission a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi, tout
en souhaitant effectuer un certain nombre d'observations sur le traité lui-même
et sur les conséquences qu'il entraîne pour notre pays.
Notre première observation d'ordre général concernera l'incontestable portée
politique de ce traité, aujourd'hui signé - vous l'avez rappelé, monsieur le
ministre - par cent quarante-neuf Etats, et sa contribution importante aux
progrès de la sécurité collective.
La prolifération nucléaire représente un risque très actuel pour la paix et la
stabilité internationales. Les interrogations, ou les inquiétudes, au sujet de
la finalité des programmes nucléaires menés par certains Etats, pourtant
étroitement surveillés, n'ont pas été dissipés.
Quant au contrôle des exportations de biens et de technologies nucléaires, il
a été renforcé, mais il comporte encore des lacunes.
Malgré tout, de réelles avancées ont été réalisées. Le traité de
non-prolifération a reçu de nouvelles adhésions. Il réunit aujourd'hui 186 pays
et il a été renouvelé, en 1995, pour une durée illimitée, ce qui renforce
considérablement sa légitimité. Les modalités de contrôle de l'Agence
internationale de l'énergie atomique ont été améliorées et permettent de
renforcer la vérification des activités nucléaires.
La mise au point du traité d'interdiction complète des essais nucléaires
représente un pas supplémentaire significatif dans cette direction.
L'un de ses objectifs principaux est de faire obstacle aux pays tentés
d'acquérir l'arme nucléaire en les privant de la possibilité de mettre au point
un arsenal crédible. Du point de vue qualitatif, le traité contribue à stopper
la course aux armements en freinant les possibilités d'amélioration des armes
actuelles et en bloquant le développement de nouveaux types d'armes encore plus
évolués. Il s'agit là d'objectifs qui ne peuvent que recueillir notre
adhésion.
La deuxième série d'observations de la commission concerne le traité lui-même
et, à ce titre, nous enregistrons deux motifs de satisfaction, tout en
soulevant une interrogation majeure relative à l'entrée en vigueur du
dispositif.
La première satisfaction tient à la portée très générale de l'interdiction
posée par le traité, puisque celle-ci vise toutes les explosions nucléaires,
quelle que soit leur puissance, y compris les explosions conduites à des fins
officiellement « pacifiques », mais dont on sait en réalité qu'elles peuvent
donner lieu à des applications militaires. Il s'agit là de la consécration de «
l'option zéro », proposée par la France, qui donne toute sa force au traité.
Pour autant, le traité n'implique aucune disposition portant atteinte aux
capacités nucléaires de la France, et c'est un point très important aux yeux de
la commission.
M. Emmanuel Hamel.
Il ne manquerait plus que ça !
(Sourires.)
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Bien sûr, monsieur Hamel, nous sommes d'accord !
Les expérimentations qui ne mettent pas en jeu le dégagement d'énergie
nucléaire, notamment ce que les spécialistes appellent les « essais froids »,
demeurent autorisées.
De même - cela était essentiel et vous nous aviez rassurés sur ce point,
monsieur le ministre - les activités de simulation, qui s'appuient sur de
puissants calculateurs et sur des moyens expérimentaux tels que les lasers,
sont conformes aux dispositions du traité.
Autre motif de satisfaction, le traité s'appuie sur un dispositif de
vérification solide. Le système international de surveillance, qui fait appel à
des techniques diverses et qui assure une très vaste couverture de la surface
du globe, doit permettre d'assurer, avec un haut degré de fiabilité, la
détection d'une éventuelle explosion nucléaire. La France, comme d'autres pays,
dispose en outre de moyens nationaux qui, en complétant des données fournies
par le système international, lui garantiront une capacité d'appréciation du
plus haut niveau.
Par ailleurs, le traité a su définir des modalités d'inspection sur place qui
allient le souci d'efficacité au souci d'éviter les demandes abusives ou les
intrusions injustifiées. Nous notons particulièrement que la procédure retenue
permettra d'engager les inspections dans des délais suffisamment brefs pour
donner à celles-ci le maximum d'efficience.
A côté de ces aspects incontestablement très positifs du traité, subsiste une
interrogation majeure et fondamentale. Il s'agit de l'hypothèque que fait peser
sur l'application effective du texte l'absence de ratification par l'un ou
plusieurs des quarante-quatre Etats disposant de capacités nucléaires, dont
l'adhésion est requise.
Ainsi, l'Inde - c'est peut-être aujourd'hui le point essentiel - après les
élections qui viennent d'avoir lieu dans ce très grand pays, a clairement
manifesté son opposition au traité, entraînant de ce fait la non-signature du
Pakistan. Nous relevons également que la Corée du Nord n'a pas signé le traité,
et nous savons combien les activités nucléaires de ce pays ont suscité des
doutes.
Il est vrai que les négociateurs du traité ont été confrontés, sur la question
des modalités d'entrée en vigueur, à un dilemme déchirant : prendre le risque
d'un blocage du processus de ratification ou permettre la mise en oeuvre d'un
traité qui aurait imposé des obligations aux cinq puissances nucléaires
reconnues et pas à certains Etats du seuil.
Certes, plusieurs éléments peuvent être invoqués à l'encontre d'un pessimisme
excessif quant aux chances d'application du traité.
Sur le plan politique, le très large accord réalisé sur l'arrêt définitif des
essais exerce déjà, de fait, un effet dissuasif pour un éventuel contrevenant,
qui se placerait au ban de la communauté internationale.
Par ailleurs, les pays signataires semblent désireux de mettre rapidement en
place le système de surveillance et, s'ils s'accordent sur les moyens de le
faire fonctionner en dehors du traité, les capacités de détection seront
renforcées et exerceront, elles aussi, un effet dissuasif.
Faut-il exclure totalement une évolution de la position de l'Inde ? Le
contexte politique indien actuel devrait plutôt conforter l'hostilité de ce
pays au traité, mais il faudra rechercher des moyens de faire évoluer cette
position en abordant la question des garanties de sécurité ou en faisant valoir
l'intérêt qu'aurait l'Inde, en matière nucléaire, à normaliser sa situation par
rapport aux traités internationaux afin d'être en mesure de satisfaire ses
besoins énergétiques. La France a fait sur ce point des propositions
intéressantes à l'Inde.
Quels que soient les espoirs qu'autorisent ces différentes perspectives, il
n'en demeure pas moins que la clause d'entrée en vigueur du traité aboutit à
une véritable impasse juridique, dont la conférence prévue pour 1999 ne
permettra guère de sortir, nous le craignons.
Nous nous trouvons donc devant un texte très large dans sa portée, assorti
d'un dispositif de vérification solide, mais qui, faute d'unanimité, pourrait
ne jamais être appliqué.
Enfin, la commission a souhaité porter une attention toute particulière sur
les implications de ce traité pour la France, compte tenu notamment des données
nouvelles qui régissent notre dissuasion nucléaire depuis 1996.
De ce point de vue, il nous a paru que la décision la plus importante au
regard du traité n'était peut-être pas l'arrêt des essais nucléaires, position
somme toute commune à toutes les puissances nucléaires, mais plus certainement
le démantèlement de nos centres d'expérimentations, ce qui signifie le
renoncement définitif et irréversible à la capacité de reprendre un jour des
essais. Nous avons par ailleurs signé le traité sur la zone exempte d'armes
nucléaires du Pacifique Sud, si bien que, tant sur le plan juridique que sur le
plan technique, nous ne disposons plus de la possibilité d'effectuer des
essais.
M. Emmanuel Hamel.
C'est grave ! C'est même tragique !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
La France se trouve ainsi dans une situation singulière face
aux Etats-Unis, à la Russie ou à la Chine, qui ont conservé leurs sites
d'expérimentations.
La commission des affaires étrangères et de la défense estime que cette
situation impose deux exigences fortes.
La première exigence est d'agir très activement pour l'application effective
du traité et des mesures de vérification, faute de quoi nous risquerions de
nous trouver dans une situation d'infériorité pour avoir loyalement anticipé de
manière irréversible un hypothétique arrêt universel des essais. Il est donc
logique que notre pays figure parmi les premiers à engager un processus de
ratification, en vue de consolider le très large accord établi autour de
l'arrêt des essais, et d'entraîner la plus vaste adhésion internationale.
La seconde exigence qui, cette fois-ci, dépend exclusivement de nous-mêmes,
est de mener à son terme et de pleinement réussir le programme de simulation.
En l'absence d'essais en vraie grandeur, c'est désormais sur la simulation que
vont reposer la garantie de la sûreté et de la fiabilité de nos armes
nucléaires et donc, finalement, la crédibilité de la dissuasion nucléaire
française.
Ce programme est complexe, ambitieux, mais surtout indispensable. Il implique
non seulement des investissements importants, mais également un calendrier de
réalisation qui ne tolère aucune dérive.
Dans une période marquée par les incertitudes pesant sur les crédits
d'équipement militaires, la commission considère que la contrepartie
indispensable aux engagements internationaux de la France et à ses initiatives
unilatérales réside dans le respect scrupuleux des enveloppes financières
allouées au programme de simulation par la dernière loi de programmation
militaire. Que n'êtes vous ministre des finances pour nous répondre ! C'est un
point sur lequel nous entendons demeurer, monsieur le ministre, extrêmement
vigilants.
Sous le bénéfice de ces observations et malgré certaines interrogations qui
demeurent, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées vous demande, mes chers collègues, d'autoriser la ratification de ce
traité très important pour la communauté internationale et conforme aux grands
objectifs internationaux de notre pays.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la fin du
mois de septembre 1997, le traité d'interdiction complète des essais nucléaires
- TICE - a été signé par 149 Etats, dont la France, et ratifié par 3 Etats. La
portée politique du traité est incontestable, ainsi que vous l'avez souligné,
monsieur le président de la commission.
Le traité interdit, en effet, tous les essais nucléaires quelles que soient
leurs conditions de réalisation et leur puissance. Par conséquent, il est
l'instrument de renoncement à l'option nucléaire par les Etats qui pourraient
encore accéder à l'arme nucléaire et du plafonnement du développement
qualitatif des armes pour les cinq puissances nucléaires, à savoir les
Etats-Unis, la Russie, la France, la Chine et l'Inde. Il maintient la
possibilité d'effectuer des essais dits « froids » et des essais «
sous-critiques » sans réaction nucléaire en chaîne et autorise les activités de
simulation.
L'interdiction ainsi posée doit conduire à freiner l'amélioration qualitative
des armes nucléaires actuelles tout en bloquant le développement de nouveaux
types d'armes nucléaires encore plus évolués, concourant ainsi efficacement au
désarmement nucléaire et à la non-prolifération sous tous ses aspects.
L'application du traité repose sur la création d'une organisation qui siégera
à Vienne et dont le rôle porte, notamment, sur la vérification du respect par
les parties de leurs obligations, à l'aide d'un système de surveillance et
d'inspection sur place, en cas de situation suspecte. L'organisation du traité
d'interdiction complète des essais nucléaires comporte trois organes : la
conférence des Etats-parties, le secrétariat technique, enfin, le conseil
exécutif.
Le budget de l'organisation prévue par le traité sera alimenté par les
contributions des Etats membres et la part de la France s'élèvera à 6,5 % de ce
budget.
L'entrée en vigueur du traité reste hypothétique, dans la mesure où la
solution finalement retenue en implique la ratification par l'ensemble des pays
disposant de capacités nucléaires significatives, privilégiant l'objectif
d'universalité du traité. L'article 14 subordonne l'entrée en vigueur du traité
à sa ratification par quarante-quatre Etats, dont les cinq puissances
nucléaires et les trois Etats du seuil, l'Inde, le Pakistan et Israël ; est
également concernée la Corée du Nord.
Or, trois de ces pays n'ont pas signé le traité : l'Inde, qui, nous le savons,
s'est constamment opposée au principe même du traité, le Pakistan, qui lie son
attitude à celle de l'Inde, et la Corée du Nord, dont nous ne connaissons pas
véritablement les intentions.
Trois raisons majeures intrinsèquement liées imposent à notre pays d'agir pour
la mise en oeuvre effective du traité d'interdiction complète des essais
nucléaires.
Il s'agit d'abord de la volonté affichée du Président de la République depuis
son élection, suivie d'engagements concrets situés dans le cadre de la réforme
de notre défense nationale, dont il faut assurer la continuité.
Il s'agit ensuite de la forte implication de notre pays en faveur de la
conclusion du traité et de sa capacité à jouer un rôle important dans le
fonctionnement de l'organisation.
Il s'agit, enfin, de la nécessité impérieuse pour la France d'assurer la
pérennité de sa force de dissuasion, qui constitue l'ultime garantie contre
toute menace sur nos intérêts vitaux.
Le Président de la République déclarait le 23 février 1996 : « Nous devons
tirer profit du répit qu'offre la situation actuelle pour repenser notre
posture nucléaire. » Il ne s'agissait pas de vagues promesses. Des décisions
importantes ont été prises pour que la France participe au processus de
désarmement et par là même à l'accélération de l'élaboration du traité.
La décision la plus importante au regard du traité a sans doute été, avec
l'arrêt des essais, le démantèlement des installations des sites
d'expérimentation nucléaire du Pacifique. Elle a été suivie de la signature, le
25 mars 1996, et de la ratification, le 20 septembre 1996, des trois protocoles
du traité de Rarotonga sur la zone exempte d'armes nucléaires du Pacifique
Sud.
La France devient désormais la seule des cinq puissances nucléaires reconnues
à avoir pris et traduit dans les faits l'engagement de renoncer de manière
irréversible aux essais nucléaires en se privant des moyens matériels de
reprendre les expérimentations.
M. Emmanuel Hamel.
En se privant !
M. Serge Vinçon.
Par ailleurs, le 16 août 1995, le Président de la République rappelait déjà
aux chefs d'Etat et de Gouvernement de plusieurs pays d'Asie, du Pacifique et
de l'Amérique latine, l'engagement de la France de signer le traité
d'interdiction complète des essais nucléaires à l'automne 1996.
Une fois le processus lancé, les négociations auxquelles a donné lieu la
conférence du désarmement ont été longues et les divergences nombreuses entre
les groupes des Etats nucléaires et non nucléaires.
L'attitude de la France a été déterminante à plusieurs égards. Il suffit de
citer sa proposition de consacrer l'« option zéro », c'est-à-dire
l'interdiction de toute explosion nucléaire, quelle qu'en soit la puissance,
qui a contribué à débloquer la négociation. Cette proposition a été
immédiatement soutenue par les Etats-Unis, puis elle a été progressivement
acceptée par la Russie et par la Chine.
Le consensus établi sur cette « option zéro » a permis de poser le socle du
traité, à savoir le dispositif qui en définit la portée, et d'aborder les
modalités de mise en oeuvre de l'interdiction.
Il faut également souligner l'implication de la France pour obtenir un régime
de vérification efficace de l'application du traité. Le caractère très complet
de ce dernier, qui permet un contrôle réel tout en ménageant la souveraineté
des Etats, est un résultat incontestablement satisfaisant.
La mise en oeuvre rapide et effective du traité permettra en outre à la France
de ne pas se retrouver en position d'infériorité puisqu'elle n'a plus les
moyens de pratiquer des essais. Le maintien de sa capacité de dissuasion passe
désormais par la simulation. Le projet de laser mégajoule, dont l'achèvement
est prévu pour 2010, s'inscrit dans ce cadre, ainsi que l'acquisition de moyens
informatiques puissants, parmi lesquels le programme PALEN. De ce fait, il est
indispensable que les enveloppes financières annuelles, fixées par la loi de
programmation militaire 1997-2002, soient respectées.
Il nous faut agir pour que le traité entre en vigueur rapidement. Pour cela,
nous devons en défendre les objectifs - lutter contre la prolifération et
stopper la course aux armements nucléaires - qui sont conformes à ceux que
défend la France sur la scène internationale ; son organisation correspond aux
attentes de notre pays et lui ménage une place de premier rang.
Enfin, pour que la pérennité de la force de dissuasion de la France soit
garantie, nous nous devons de participer à la promotion des ambitions de ce
traité.
C'est pour ces raisons, monsieur le ministre, parce que nous sommes heureux de
voir la France mener une action éminente dans ce domaine et parce que nous
approuvons l'engagement personnel du chef de l'Etat à cet égard, que le groupe
du RPR suivra la recommandation de la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité
que nous examinons marque un pas important en direction du désarmement et du
renforcement de son contrôle. En proposant d'interdire toute explosion d'arme
nucléaire, expérimentale ou non, il consacre l'interdiction complète des essais
nucléaires.
Prenant en compte les bouleversements du contexte stratégique survenus depuis
la chute du mur de Berlin et les évolutions de la sécurité internationale, il
souligne la nécessité de réduire les arsenaux militaires accumulés tout au long
de la guerre froide.
La réalisation de cet objectif passe, certes, par l'élimination des armes de
destruction massive, mais également par une lutte rigoureuse contre la
prolifération. Cette double contrainte conduisait le Premier ministre à
déclarer en septembre à l'IHEDN qu'« au-delà des crises il fallait saisir la
chance de la fin de l'affrontement des blocs pour avancer encore sur la voie du
désarmement et de la non-prolifération ».
L'arrêt complet des essais nucléaires nous permet d'avancer dans cette
direction, en mettant fin au développement de nouveaux types d'armes atomiques,
en particulier le développement des armes miniaturisées vouées à devenir des
armes d'emploi et non plus de dissuasion.
A terme, ce traité devrait clore la course aux armements nucléaires, en
stoppant l'escalade technologique et qualitative.
La France est aujourd'hui un des premiers pays signataires à le ratifier et le
premier parmi les puissances nucléaires. Ainsi, elle adopte une attitude en
matière de désarmement qui prolonge celle qu'elle avait eue sous l'impulsion de
François Mitterrand. La volonté de l'ancien Président de la République de voir
relancer le processus d'interdiction des armes chimiques avait abouti, en 1993,
à la signature du traité de Paris. Sa détermination nous avait également amenés
à ratifier, en 1991, le traité de non-prolifération nucléaire, puis, l'année
suivante, à prononcer un moratoire unilatéral sur les essais.
Le Président Chirac a fait le choix, en signant ce traité, de s'inscrire dans
la continuité de cette politique. Il convenait en effet de reprendre
l'initiative sur ce terrain pour mettre un terme au rejet qu'avait connu notre
pays, à la suite de la décision de reprise des essais nucléaires en 1995.
M. Serge Vinçon.
Une bonne décision !
M. Bertrand Delanoë.
Cependant, pour rattraper ce que je considère comme une erreur politique, mon
cher collègue, la France a dû aller trop vite et parfois trop loin dans les
négociations sur le désarmement nucléaire, depuis son soutien à l'« option zéro
» lors de la négociation du traité d'interdiction complète des essais
nucléaires jusqu'au démantèlement de notre centre d'expérimentation du
Pacifique. Moins de précipitation nous aurait permis de mieux faire peser nos
choix en matière de désarmement sur les négociations passées et à venir.
La France étant la seule puissance nucléaire à avoir pris de tels engagements,
nous nous sommes toutefois placés, du fait même de notre précipitation, - ne
faut-il pas toujours « positiver » ?
(Sourires.)
- en précurseurs. Nous
devons maintenant profiter de cet état de fait pour en tirer avantage et
approfondir notre politique de désarmement.
Ainsi, je souhaite que nous soyons les principaux instigateurs d'une démarche
concertée tendant à mieux faire comprendre l'intérêt du traité d'interdiction
complète des essais nucléaires et le surcroît de sécurité qui en découle. Cette
initiative traduira notre volonté d'établir un désarmement sur une base
multilatérale et négociée, reposant sur des avancées et des concessions
parallèles et vérifiables. Ce n'est qu'à ce prix que nous favoriserons le
développement d'une discipline internationale faisant obstacle à la
prolifération.
Convaincre l'Inde de l'intérêt de ce traité pour la sécurité internationale,
pour la stabilité de la région, mais surtout pour sa propre sécurité, fait
partie de cette démarche. Je ne désespère pas, en effet, de la voir, avec le
Pakistan, se résoudre à emprunter la voie de la sagesse, comme ont su le faire
le Brésil et l'Argentine. Et c'est un souhait que je formule aussi pour la
Corée du Nord ou Israël. La réserve de ces pays ne doit pas, pour autant,
empêcher les autres nations de ratifier ce traité.
Une fois que le traité aura été ratifié, nous devrons rester vigilants quant à
sa mise en oeuvre et à son application. Le système de vérification de
l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires devrait
nous y aider. Ses organes, son processus original de vérification, les moyens
mis à sa disposition par les différents pays mais aussi son régime de sanctions
semblent constituer,
a priori,
des garanties suffisantes.
La négociation d'un traité d'interdiction de la production de matières
fissiles à usage militaire nous apporterait d'autres garanties. C'est pourquoi
la France doit, selon nous, continuer à faire progresser ce dossier au sein de
la conférence sur le désarmement. Le contrôle de l'application des traités, en
particulier sur les armes biologiques et chimiques, constitue également un
sujet majeur de préoccupation.
Pour autant, l'outil juridique international en matière d'armes de destruction
massive et de lutte contre la prolifération est maintenant relativement complet
: traité de non-prolifération de 1968, prorogé en 1995, traité d'interdiction
des armes biologiques depuis 1972, traité d'interdiction des armes chimiques de
1993, traité d'interdiction complète des essais nucléaires que nous ratifions
aujourd'hui.
Avant de conclure, je souhaiterais ouvrir une brève parenthèse concernant la
fiabilité de notre capacité nucléaire. Le démantèlement du site de Mururoa et
la signature de ce traité nous ont amenés à placer absolument toutes nos
attentes dans le programme de simulation. Celui-ci est devenu le seul garant du
maintien de notre force atomique. C'est pourquoi nous sommes extrêmement
vigilants sur les réductions budgétaires qui le frappent et qui risquent d'en
compromettre la réalisation.
MM. Serge Vinçon et Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Bertrand Delanoë.
Ce traité marquera une date importante dans le processus de désarmement. En le
ratifiant, la France prouvera son attachement à la poursuite de ce processus
mais aussi sa volonté de lutter contre la prolifération nucléaire. Consciente
que seule la réponse à ces deux impératifs pourra garantir la sécurité, la
France espère, par son geste, ouvrir la voie aux autres puissances nucléaires
qui, comme elle, croient en une nouvelle forme de sécurité internationale, ne
reposant plus sur l'équilibre de la terreur.
Toutes ces raisons conduisent, bien sûr, le groupe socialiste à approuver le
projet de loi qui nous est présenté.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout
naturellement, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen
approuveront sans réserve ce projet de loi autorisant la ratification du traité
d'interdiction complète des essais nucléaires.
Nous apprécions beaucoup le fait que la France soit ainsi le premier pays
détenteur de l'arme nucléaire à ratifier ce traité. C'est là un signal
politique fort et, monsieur le ministre, c'est tout à l'honneur du Gouvernement
auquel vous appartenez que d'avoir créé les conditions de cette ratification
dans un délai optimal.
Nous nous étions également réjouis de la part importante prise par la France
dans l'élaboration et la signature de ce traité. C'est en effet essentiellement
grâce aux efforts français que fut incluse la clause de l'« option zéro »
interdisant toute explosion nucléaire, quelle qu'en soit la puissance.
Ce traité s'inscrit dans le processus de désarmement nucléaire. C'est un
élément renforçant la sécurité internationale. C'est aussi une avancée
permettant de conforter le régime international de non-prolifération.
L'interdiction des essais peut contribuer non seulement à éviter la
prolifération « horizontale », c'est-à-dire l'émergence de nouvelles puissances
nucléaires, mais aussi à limiter la prolifération « verticale », c'est-à-dire
le renforcement des arsenaux existants.
Notre sécurité dépend tout autant des capacités de notre outil de défense que
du respect du traité de non-prolifération, traité qui, dans son article 6, pose
clairement l'obligation pour les puissances nucléaires de s'engager dans la
voie du désarmement nucléaire.
Notre sécurité dépend aussi des initiatives que nous saurons présenter pour
contribuer à la relance du processus - déjà en cours - de réduction des
arsenaux.
De 1945 à la fin des années quatre-vingt, l'arme nucléaire a pu jouer un rôle
de premier plan, pour le meilleur et pour le pire.
Le pire, ce fut, en 1945, par deux fois son utilisation, de sinistre mémoire,
sur des agglomérations humaines japonaises.
De plus, parce qu'elle a mobilisé et en fait neutralisé des ressources
colossales, la course aux armements nucléaires est en partie responsable du
maintien et du développement de la misère et de la souffrance de tant d'êtres
humains sur la planète.
Cependant, couplée au missile balistique, elle a permis l'application, pour la
première fois, d'une stratégie de dissuasion qui aura eu pour effet, tout au
long de la guerre froide, d'éviter un engagement militaire majeur conduisant à
une troisième guerre mondiale, même si cela n'a pas empêché le déroulement
d'une multitude de conflits régionaux sur des théâtres extérieurs aux
territoires des pays des deux grands blocs militaires.
Depuis la disparition du bloc du traité de Varsovie et de la menace à laquelle
était soumise l'Europe occidentale, aucune réponse sérieuse n'a été apportée à
la question de savoir à quelle finalité répondaient aujourd'hui les armes
nucléaires susceptibles d'intervenir sur le continent européen.
Et comment peut-on penser que le club des cinq puissances nucléaires
officielles pourra longtemps encore continuer à prêcher la non-prolifération au
reste du monde, notamment à de grandes nations comme l'Inde, sans s'engager un
peu plus avant non seulement dans l'arrêt des essais mais aussi dans une
nouvelle réduction significative de leurs arsenaux nucléaires respectifs, dans
la logique même de l'article 6 du traité de non-prolifération ?
Nous touchons là au coeur du problème de la fragilité du traité d'interdiction
complète des essais nucléaires, voire de sa pérennité.
En effet, si ce traité a de grandes qualités, il a aussi le grand défaut
d'interdire les essais nucléaires aux pays non nucléaires - réellement ou
officiellement - tout en autorisant ceux qui possèdent des arsenaux nucléaires
à les conserver, voire à les moderniser.
Mettons-nous à la place des Indiens au lieu d'être tentés, comme certains, de
leur faire la leçon. L'Inde a quelques soucis de sécurité, ne serait-ce que
vis-à-vis de son voisin chinois. Non seulement la Chine est une puissance
nucléaire manifestant, pour le moins, sa volonté d'accroître ses capacités dans
ce domaine, mais c'est aussi une puissance soupçonnée d'avoir quelques
velléités de dissémination.
Même si l'arrivée récente au pouvoir des nationalistes n'est pas réjouissante,
même s'il serait irresponsable d'encourager l'Inde dans son refus de signer le
traité, il n'en demeure pas moins que l'on ne peut reprocher à l'Inde d'attirer
notre attention sur le caractère inégalitaire du droit nucléaire et de lier
clairement l'engagement de non-prolifération et de non-essais avec un
calendrier tangible de désarmement nucléaire des puissances détentrices de
cette arme.
Bien évidemment, il ne s'agit pas d'engager le désarmement nucléaire
unilatéral de la France. Bien évidemment, les arsenaux américains et russes
sont encore sans commune mesure avec celui de la France. Il n'empêche qu'une
grande initiative française visant à relancer le processus de réduction des
arsenaux nucléaires serait la bienvenue.
L'action de la France a été importante dans la conclusion du traité
d'interdiction des essais. Elle a été déterminante dans la conclusion de la
convention d'interdiction des armes chimiques. Elle fut décisive pour empêcher
les Américains de déclencher une nouvelle guerre contre l'Irak.
L'« espace diplomatique » de la France s'est ainsi récemment élargi ou, plus
exactement, il a repris une dimension plus en rapport avec ce que la France
représente dans le monde, monde dans lequel les nations sont de plus en plus
nombreuses à trouver difficilement supportables les prétentions des Etats-Unis
à vouloir se comporter en superpuissance unique et omnipotente.
Nous soutenons complètement le souhait que vous ont exprimé nos amis députés,
monsieur le ministre, lors de l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale, de
voir par exemple la France proposer qu'une conférence du traité de
non-prolifération se tienne à Paris, dans les années à venir, et se fixe
notamment pour objectif d'établir un calendrier de désarmement nucléaire
généralisé.
Nous pensons, dans cet esprit, que la France devrait être un acteur de la
préparation du futur traité START III.
Certains objecteront, non sans raison, qu'il conviendrait d'abord que le
traité START II soit ratifié par le Parlement russe.
Même si les orientations de la douma, comme celles du gouvernement russe, ne
constituent pas vraiment ma « tasse de thé », je ferai observer que, comme pour
l'Inde, le blocage russe dans cette affaire comporte quand même des aspects
compréhensibles et prouve non seulement que l'élargissement de l'OTAN quasiment
jusqu'aux portes de la Russie est une erreur manifeste et dangereuse, mais
également qu'il est temps de tourner la page des blocs militaires issus de la
guerre froide et d'écrire ensemble, avec la Russie, les nouvelles pages de la
sécurité commune en Europe.
Bien des initiatives récentes renforcent notre volonté de voir s'accentuer le
mouvement de réduction des arsenaux nucléaires.
J'avais mentionné, à l'occasion de l'examen du dernier projet de budget de la
défense, les travaux de la commission de Canberra.
Depuis, une autre initiative de portée internationale nous a réjouis. En
effet, le général Lee Burler, qui fut commandant en chef des forces
stratégiques aériennes des Etats-Unis en 1991 et 1992, puis commandant en chef
du commandement stratégique des Etats-Unis de 1992 à 1994 - il est aujourd'hui
retraité - s'était signalé à l'opinion mondiale, il y a un an, en réunissant
soixante et un généraux et amiraux de premier plan pour appeler à l'abolition
des armes nucléaires.
Il a récidivé, le 2 février dernier, en rendant public un appel signé par cent
chefs d'Etat, actuels ou anciens, et responsables civils pour le même objectif.
Cet appel n'a pas eu, me semble-t-il, dans la presse française l'écho qu'il
méritait compte tenu de sa grande hauteur de vue et des noms prestigieux qu'il
comporte, qui lui confèrent un caractère historique. Ainsi, les noms de MM.
Jimmy Carter, Mikhaïl Gorbatchev, Helmut Schmidt, Michel Rocard, Pierre
Trudeau, Raul Alfonsin, Frederik de Klerk et James Callaghan figurent sur cette
liste impressionnante d'actuels ou d'anciens chefs d'Etat, de premiers
ministres, de ministres, de prix Nobel.
Ce mouvement ne pourra, à notre avis, que s'amplifier les années qui viennent
et l'ensemble des pays nucléaires ne pourra pas ne pas en tenir compte.
En approuvant pleinement le projet de loi visant à ratifier le traité
d'interdiction complète des essais nucléaires et l'action gouvernementale qui
l'entoure, nous voulons, au groupe communiste républicain et citoyen, également
marquer notre souci de voir notre pays s'affirmer plus encore à la tête du
mouvement mondial tendant à rendre notre planète plus sûre et plus stable.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, pour faire suite à ces interventions
finalement convergentes - elles ont toutes souligné l'importance de ce traité
et le signal politique fort que constituera sa ratification, pour reprendre la
formulation de M. Bécart - j'inscrirai ma brève réponse dans le droit-fil de la
satisfaction manifestée par M. de Villepin, mais aussi del'interrogation qui
est la sienne.
Oui, nous pouvons être satisfaits de ce texte et du progrès qu'il marque. Il
représente, en effet, une percée décisive dans l'interdiction des essais
nucléaires, ce qui est évidemment essentiel dans la voie du désarmement pour
lequel nous nous battons tous. En même temps, il est tout à fait compatible
avec le maintien de la dissuasion française, à laquelle nous sommes tous
attachés.
Cependant, des interrogations demeurent sur l'entrée en vigueur du traité,
vous l'avez tous souligné.
L'article 14 du traité subordonne son entrée en vigueur à la ratification de
quarante-quatre pays, dont les cinq puissances nucléaires reconnues et les
trois Etats dits du seuil, qui ont des capacités nucléaires et n'ont pas
rejoint le TNP, à savoir l'Inde, le Pakistan et Israël.
Cette solution, proposée initialement par les Russes et les Chinois, est la
seule conforme à nos objectifs en matière de non-prolifération. Un traité
d'interdiction complète des essais nucléaires sans les puissances nucléaires
reconnues aurait été inconcevable et un traité d'interdiction complète des
essais nucléaires avec les puissance nucléaires reconnues, mais sans les Etats
du seuil, n'aurait pas eu l'effet souhaitable en matière de non-prolifération.
Voilà l'équilibre, mais aussi les éventuelles contradictions.
Est-ce à dire que le traité n'entrera jamais en vigueur, comme vous en avez
souligné le risque, monsieur de Villepin ? Certainement pas ! En tout cas, on
ne peut pas l'affirmer.
L'attitude de l'Inde, quels que soient les changements politiques en cours,
est susceptible d'évoluer. En tout état de cause, nous sommes dans un contexte
de dialogue avec ce pays, ainsi que l'a démontré le Président de la République
lors de sa récente visite en Inde.
Un certain nombre de pays ont d'ores et déjà engagé la procédure de
ratification. Ainsi, le Royaume-Uni a indiqué qu'il serait en mesure de
ratifier le traité avant la fin du mois de mars, donc très prochainement. Le
gouvernement américain a transmis le traité pour approbation au Sénat des
Etats-Unis, qui a commencé l'examen du texte sans qu'une date ait été fixée
pour le terme de la procédure de ratification. La Russie et la Chine n'ont pas
encore entamé la procédure de ratification, mais il s'agit d'un mouvement
d'ensemble auquel, je suis sûr, l'Inde finira par ne pas rester étrangère.
Le traité est-il dépourvu de valeur s'il n'entre pas en vigueur prochainement
? C'est une autre question qu'il est permis de se poser. Tel n'est pas le
sentiment du Gouvernement.
Il est évident que la signature du traité, le 24 septembre 1996, à New York,
par les cinq Etats nucléaires a constitué un acte politique majeur, qui a été
perçu comme tel. Aujourd'hui, nous n'imaginons pas sérieusement l'un des cinq
Etats reprenant les essais nucléaires. Il reste, bien entendu, à transformer
cet acte politique en un traité juridiquement contraignant.
Je souhaite souligner, comme MM. Vinçon et Delanoë, l'action de la France dans
ce domaine. Chacun a insisté sur le rôle d'un chef de l'Etat. Comme l'un a
succédé à l'autre, il est permis de penser que c'est d'abord François
Mitterrand et ensuite Jacques Chirac qui ont agi dans ce sens. Toujours est-il
que c'est la France qui a pesé à cet égard.
La ratification du traité par le maximum d'Etats, à commencer par les cinq
Etats nucléaires, permettra de renforcer la valeur de la norme d'interdiction
édictée par le traité et d'exercer une influence d'autant plus forte pour
convaincre les Etats du seuil de ratifier le traité. Il s'agit là, me
semble-t-il, du parachèvement de la démarche concertée que M. Delanoë appelait
de ses voeux.
Par ailleurs, même si le traité n'entre pas en vigueur dans l'immédiat, deux
autres facteurs sont susceptibles de développer encore la contribution à la
sécurité internationale, ainsi que l'a dit M. de Villepin.
Tout d'abord, sur le plan technique, le système de surveillance très
performant que prévoit le traité sera en activité dès la fin de cette année et
exercera un effet que l'on doit appeler dissuasif.
Ensuite, sur le plan politique, les Etats ayant ratifié le traité pourront
réunir une conférence tous les ans, à partir de 1999, pour prendre les mesures
conformes au droit international susceptibles d'accélérer le processus de
ratification et de faciliter ainsi l'entrée en vigueur du traité.
En ratifiant dès maintenant le traité, la France sera présente à ce
rendez-vous, ce qui est tout à fait important.
Une interrogation demeure, qui a traversé tous les rangs, en ce qui concerne
l'avenir de la dissuasion française.
Quel que soit le débat sur l'interdiction ou non des essais nucléaires, débat
qu'il n'est plus temps, me semble-t-il, de reprendre dans les mêmes termes
qu'il y a deux ans, s'il existe un risque - vous l'avez souligné - de placer
notre pays dans une situation d'inégalité par rapport à d'autres pays qui n'ont
pas pris exactement les mêmes dispositions que nous, le Gouvernement pense que
des essais ne sont pas aujourd'hui indispensables au développement d'une
capacité de dissuasion forte.
Il importe toutefois - vous l'avez également souligné les uns et les autres -
que puisse être conduit à son terme le programme de simulation nécessaire à la
crédibilité de notre dissuasion.
Le coût de ce programme s'élèvera à 10 milliards de francs environ, réparti
sur une période qui a débuté en 1995 et qui devrait se terminer en 2010 pour
les grands investissements, avec un coût de fonctionnement estimé à un milliard
de francs par an. Ce coût sera bien inférieur à celui des essais nucléaires.
Je ne suis ni ministre des finances ni ministre de la défense, mais le
Gouvernement est un et celui qui défend le texte à la tribune le représente
dans son ensemble. Je tiens à vous assurer de notre volonté, qui a été rappelée
par M. Hubert Védrine à la tribune de l'Assemblée nationale, de mener à bien ce
programme, de telle sorte que notre capacité de dissuasion soit pleinement
préservée.
Enfin, MM. Delanoé et Bécart ont entendu attirer l'attention du Gouvernement
sur la poursuite de notre action en matière de désarmement. Il reste,
effectivement, à continuer dans cette voie en mettant en avant trois priorités
: la première tient, bien sûr, à la vérification de la convention
d'interdiction des armes biologiques ; la deuxième vise à l'universalisation de
la convention d'Ottawa interdisant les mines antipersonnelles, dont j'ai eu
l'occasion de parler à cette tribune ; enfin, la troisième, la plus originale
peut-être et la plus importante, consiste à élaborer, à la conférence du
désarmement, une convention d'interdiction de la production des matières
fissiles pour les armes nucléaires. Il s'agit maintenant de l'étape essentielle
à franchir pour progresser vers le désarmement nucléaire.
Avec la ratification de ce traité, nous allons aujourd'hui dans cette
direction. Mais l'on sait que, pour parvenir à ce que nous souhaitons,
c'est-à-dire au désarmement nucléaire dans toute son ampleur, il faut encore
aller plus loin. La France y est tout à fait déterminée.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée la ratification du traité
d'interdiction complète des essais nucléaires, signé à New York le 24 septembre
1996, et dont le texte est annexé à la présente loi. »