DROIT DE VOTE DES CITOYENS EUROPÉENS AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES
Suite de la discussion et adoption
d'un projet de loi organique
M. le président.
Nous reprenons la discussion, en troisième lecture, du projet de loi organique
(n° 208, 1997-1998), modifié par l'Assemblée nationale en deuxième lecture,
déterminant les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution,
relatif à l'exercice par les citoyens de l'Union européenne résidant en France,
autres que les ressortissants français, du droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales, et portant transposition de la directive 94/80/CE du 19
décembre 1994.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la
discussion de ce projet de loi organique en première, puis en deuxième lecture,
j'ai eu l'occasion d'exposer les raisons de l'approbation du groupe communiste
républicain et citoyen.
Le contexte dans lequel se déroule cette troisième lecture m'amène à être un
peu plus précis pour rappeler que le consensus autour de ce projet de loi ne
doit pas faire oublier que nous ne donnons pas, les uns et les autres, je le
crois du moins, tout à fait le même sens à nos votes.
Aujourd'hui même, deux jours avant qu'il n'ait lieu au Sénat, se tient, à
l'Assemblée nationale, un débat de première importance relatif au passage de
notre pays à la monnaie unique.
Demain interviendra dans cet hémicycle, l'examen du projet de loi portant
modification des statuts de la Banque de France.
Je rappelle, que si nous avons salué, lors de notre première lecture, le pas
vers plus de citoyenneté, plus de démocratie en Europe, que constitue l'octroi
du droit de vote et d'éligibilité aux citoyens de l'Union européenne, lors des
élections municipales, nous avions regretté la discrimination, à nos yeux
injustifiée, faite à l'égard des étrangers non membres d'un Etat de l'Union.
Nos discussions passionnées depuis sur les conditions de résidence des
étrangers en France nous font plus que jamais penser que notre pays aurait tout
intérêt, pour une grande politique d'intégration, à permettre à ceux qui sont
en situation régulière sur notre sol de pouvoir exercer, au niveau local, un
droit de citoyenneté.
Nous ne sommes pas pour les repliements. Nous ne soutenons pas, par exemple,
quelles qu'en soient les raisons affichées, la volonté d'exclure les
territoires d'outre-mer du champ d'application de la loi.
Nous considérons, pour en revenir à l'Union européenne, que le caractère très
technocratique de la mise en place de l'euro montre le chemin qui reste à
parcourir pour rapprocher les citoyens des centres de décision.
Nos compatriotes sentent confusément que d'importantes décisions se prennent
loin, très loin d'eux. Le doute sur le fonctionnement de notre démocratie s'en
trouve renforcé.
Le fossé s'élargit et nul ne peut expliquer qui, demain, contrôlera réellement
l'action de la Banque centrale européenne.
Il y a donc un paradoxe que je tiens à souligner entre la volonté de ce projet
de loi organique, qui vise à renforcer les droits politiques des Européens, et
des dispositions telles que celles qui accompagnent la mise en place de l'euro,
qui contrarie la notion de citoyenneté.
Cette question nous angoisse. Nous sommes des euroconstructifs. La nécessaire
fraternité européenne passe par le développement de la richesse des nations. Le
vrai défi européen consiste à permettre à chacun de nos compatriotes de se
sentir partie prenante dans la maîtrise du nouvel ensemble en construction.
C'est le sens de nos appels à un large débat, à une consultation de notre
peuple.
Notre vote positif d'aujourd'hui ne signifie donc en rien un soutien à une
construction européenne qui oublierait les peuples, ce vote est, au contraire,
un appel à plus de citoyenneté, à plus d'intervention citoyenne.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi organique vient en troisième lecture au Sénat, et je souhaite que ce soit
la dernière.
En effet, aux termes de l'article 88-3 de la Constitution, ce projet de loi
organique doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées ; il
est donc grand temps de parvenir à un accord. A ce stade de la procédure, il
faut constater, pour s'en réjouir, que les points de vue des deux assemblées se
sont rapprochés très sensiblement. Nous le devons aux efforts de nos deux
rapporteurs que je félicite pour la qualité de leur travail.
Les quatre points restant en débat ne sont pas insurmontables. Notre
rapporteur, M. Fauchon, a d'ailleurs pris soin de préciser que ces dispositions
sont de nature « essentiellement techniques » et « de portée pratique assez
limitée ». Je ne partage pas entièrement cet avis car, sur la question du champ
d'application du présent projet de loi organique, une divergence importante
demeure, et je m'en explique.
Il s'agit de l'application du dispositif aux territoires d'outre-mer. C'est un
point fort de notre débat, c'est une question de fond. J'ai l'intime conviction
que la majorité de la commission des lois ne mesure pas la gravité et surtout
les conséquences de ce qu'elle demande au Sénat d'adopter.
Tout d'abord, je relève une certaine incohérence dans la position de la
commission des lois. Comment accepter que les dispositions de ce projet de loi
organique s'appliquent à Mayotte et non aux territoires d'outre-mer, alors que,
aux termes de notre Constitution, ils ont la même spécificité législative ? La
logique devrait également conduire à la suppression de cette référence à
Mayotte.
Est-il nécessaire de rappeler que le traité accorde le droit de vote et
d'éligibilité à « tout citoyen de l'Union résidant dans un Etat membre » ? Les
territoires d'outre-mer, c'est aussi la France !
En la circonstance, il s'agit bien d'une « loi de souveraineté ». Puisque rien
ne permet juridiquement d'en exclure les territoires d'outre-mer, la
participation des étrangers de l'Union européenne aux élections municipales
doit être effective sur l'ensemble du territoire national. Ai-je besoin
d'insister sur le caractère indivisible de la République et de la nation ?
J'en appelle maintenant à la responsabilité de la Haute Assemblée.
Mes chers collègues, nos départements et territoires d'outre-mer seront
appelés à connaître, dans les années qui viennent, une évolution juridique de
leur statut. Oserai-je dire que cela est inscrit dans les faits et dans
l'histoire ? Oui, le moment viendra où il faudra tenir compte de l'évolution
certaine des esprits, des nouveaux rapports avec nos compatriotes ultramarins,
de l'essor économique et culturel de ces collectivités territoriales au sein
des zones caraïbe et pacifique, ainsi que des relations qu'elles développeront
avec les pays de ces mêmes zones. Le nouveau statut de la Polynésie française
en est la première illustration, et l'avenir de la Nouvelle-Calédonie fait
actuellement l'objet de négociations délicates, difficiles, desquelles dépendra
le sort de ce territoire. Nous avons appris aujourd'hui qu'un accord était
intervenu à Nouméa. Nous devons suivre de très près ce qui se déroule en ce
moment, car le Parlement aura à en connaître, à en débattre et à se prononcer
dans peu de mois.
Qui n'a remarqué que le nouveau président de la région de Martinique est un «
partisan de l'indépendance de la Martinique » et que son mouvement politique a
obtenu un score significatif, notamment auprès des jeunes ? En Polynésie
française, depuis longtemps, M. Oscar Temaru fait campagne pour l'indépendance,
et ses idées gagnent peu à peu du terrain.
Croyez-le bien, je ne cherche absolument pas à dramatiser la situation, mais
nous ne pouvons rester sourds et aveugles face à ces évolutions. C'est pourquoi
je vous pose la question suivante : est-il responsable de conforter des thèses
séparatistes ? Avons-nous besoin d'adresser un signe de cette nature à nos
compatriotes d'outre-mer ?
Ainsi, pour ne pas déplaire à tel d'entre nous, ou par simple amitié politique
(M. le rapporteur proteste),
faut-il prendre le risque de donner à
l'histoire de notre République un cours nouveau ?
Je ne peux m'empêcher de porter à votre connaissance un extrait d'une
délibération adoptée à l'unanimité le 3 février 1998 - ce n'est pas vieux ! -
par le Conseil économique, social et culturel, le CESC, de Polynésie française,
dont les membres ne sont pas tous des « partisans de la révolution armée » ! Le
CESC souhaite « que la Constitution de la République soit aménagée de manière à
permettre aux TOM de bénéficier de dérogations explicites aux principes
républicains de liberté de circulation des personnes et des biens ». Pour ceux
qui savent comprendre ce qui se passe dans ce territoire, cela augure bien des
choses !
Mes chers collègues, je n'insisterai pas davantage. Vous l'avez compris, je
suis fermement opposé à l'amendement adopté par la commission des lois.
Croyez-vous qu'il soit opportun que nous approuvions une sorte de « mise à
l'écart » des territoires d'outre-mer d'un dispositif applicable à un Etat
membre de l'Union européenne ?
Puisque ce projet de loi organique sera nécessairement soumis au Conseil
constitutionnel, je préférerais que ce soit ce dernier qui indique que cette
disposition ne s'applique pas aux territoires d'outre-mer, explicitant
juridiquement sa décision, plutôt que de voir la majorité sénatoriale prendre
cette responsabilité. Il ne nous appartient pas de donner le moindre signe - et
quel signe ! - à des personnalités politiques qui interpréteront ce signe-là
comme un encouragement à persévérer dans une voie que nous n'approuvons pas.
Notre opposition à l'amendement que présente notre rapporteur ne nous
dispensera pas, cependant, d'approuver le reste du dispositif.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er