Séance du 19 mai 1998
DES MÉDECINS FRANÇAIS
M. le président.
La parole est à M. Descours, auteur de la question n° 255, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Charles Descours.
Madame la ministre, je voudrais vous interroger à propos de la Caisse autonome
de retraite des médecins français, la CARMF. Ce n'est pas la première fois que
je m'inquiète de la situation de cette caisse de retraite, puisque j'avais
suggéré à Mme Veil, également par le biais d'une question orale, de demander un
audit à la Cour des comptes. Cela n'a pas été fait.
Un décret n° 94-564, en date du 6 juillet 1994, a été pris, qui fait
obligation à la CARMF de disposer d'au moins trois mois de trésorerie sur le
régime « avantage social vieillesse ». Or j'ai appris que la CARMF ne
disposerait plus que de deux à trois semaines de réserves, voire moins. Le
déficit de ce régime devrait atteindre 400 à 500 millions de francs d'ici à la
fin de 1998, et le problème du paiement de 40 % des pensions risque fortement
de se poser dès le début de 1999.
Je voudrais d'abord savoir quelle est la situation de ce régime et ce que vous
envisagez de faire pour la connaître avec exactitude, car elle donne lieu à
polémique depuis de nombreuses années. Les opposants d'il y a trois ans ont
accédé aux responsabilités, et le plus notable d'entre eux est devenu
président. Quelles sont les modifications envisagées pour remédier, sous votre
contrôle, aux difficultés rencontrées par la CARMF ? Ces modifications ne
risquent-elles pas d'amputer les retraites actuellement servies, comme le
craignent les auteurs de plusieurs lettres que j'ai reçues à ce propos ? Enfin,
compte tenu de la situation de ce régime, un plafonnement de la compensation
nationale versée par la CARMF est-il envisagé ? Par ailleurs, je poserai dans
quelques jours une question sur le MICA, dont la situation n'est pas
meilleure.
Depuis que j'ai annoncé le dépôt de la présente question orale, de nombreux
médecins m'ont fait part de leur intérêt non pas pour celle-ci, mais pour votre
réponse, madame la ministre.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le sénateur, je pense
que ces médecins avaient surtout beaucoup d'intérêt pour votre question !
M. Charles Descours.
Mais non, madame...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En effet, pour l'ensemble des
caisses qui ont un régime particulier de retraite - comme pour le régime
général, d'ailleurs - le Gouvernement a annoncé qu'un diagnostic devait être
établi, non pas pour en rester là mais pour lancer très rapidement une
concertation, et vous verrez que c'est commencé avec la CARMF, et, enfin, pour
prendre des décisions.
Il faut que nous le fassions maintenant, après un diagnostic parce que je
crois qu'il est erroné aujourd'hui de montrer du doigt l'ensemble des régimes
spéciaux. Certains sont plus favorables que le régime général, d'autres le sont
moins.
Il ne faut pas seulement comparer le niveau des retraites, il faut aussi
comparer le niveau des contributions que les salariés ou les individus ont
apportées à ces caisses de retraite. C'est l'ensemble de ce travail qui va être
mené par le Commissariat au Plan. Il nous permettra, à la fin de l'année, d'y
voir plus clair et de lancer une grande concertation, qui touchera à la fois le
régime général et les régimes spéciaux, avant de prendre des décisions qui,
nous l'espérons, pourront être prises par chacun des régimes, en étroite
concertation.
Les régimes avantage social vieillesse dont bénéficient l'ensemble des
praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés ont été mis en place, comme
vous le savez, au début des année soixante, lors de la généralisation des
relations conventionnelles entre les caisses et les médecins. Ils ont été
transformés en régime obligatoire en 1970 et ils sont très avantageux.
D'abord, l'assurance maladie participe de façon très importante au financement
de ces régimes, puisqu'elle paie les deux tiers de la cotisation, je crois
qu'il faut le rappeler aujourd'hui. Cela représente une charge de plus de un
milliard de francs et je ne manque pas de le rappeler aux syndicats de médecins
à chaque fois que je les vois.
Le rendement est très élevé. Si je prends l'exemple des médecins, qui n'est
pas le plus frappant, le rendement de l'ASV est de 16,50 %, et de 49,50 % si
l'on prend en compte le fait que les médecins conventionnés ne paient qu'un
tiers de leur cotisation. Pour référence, je rappelle qu'à terme le rendement
des régimes ARRCO et AGIRC sera de 7,2 %. Nous sommes devant des rendements
élevés.
Ces régimes subissent un double choc, comme vous l'avez dit. Ils arrivent à
pleine maturité, les allocataires qui partent actuellement en retraite ayant pu
acquérir des droits durant une carrière complète. Par ailleurs, on constate une
dégradation de leur rapport démographique, ce qui n'est pas particulier à ces
régimes.
En ce qui concerne plus précisément la CARMF, les projections démographiques
montrent que le nombre d'allocataires sera multiplié par 3,5 d'ici à 2030,
alors que le nombre des cotisants devrait rester relativement stable, autour de
110 0000. Nous aurons 76 000 allocataires pour 110 000 médecins.
Ainsi le régime connaîtra des difficultés de financement croissantes qui, à
législation constante, ne lui permettraient pas de faire face à ses
engagements. D'ailleurs, dès 1998, le déficit s'élèvera à près de 200 millions
de francs. A montant de cotisations et de prestations inchangé, le déficit
prévisionnel cumulé serait de 200 milliards de francs d'ici à 2045. Inutile de
dire que nous ne pouvons pas rester dans cette situation. Pour assurer le
financement des droits, si la valeur du service du point de retraite devait
rester inchangée, et toutes choses étant égales par ailleurs, la cotisation au
régime devrait être augmentée jusqu'à atteindre cinq fois son montant actuel en
2028. Si, en revanche, le niveau actuel de la cotisation devait être maintenu,
l'équilibre du régime devrait s'effectuer, toutes choses étant égales par
ailleurs, par une réduction à 80 % des retraites. Nous voyons donc que le
problème est majeur. Il faut s'y attaquer dès maintenant.
Actuellement, le conseil d'administration de la Caisse autonome de retraite
des médecins français poursuit une réflexion sur les mesures susceptibles de
garantir la sauvegarde à long terme du régime vieillesse tout en assurant une
répartition équitable des efforts entre actifs et retraités. En attendant
d'arrêter des propositions qui demandent une large concertation, nous nous en
sommes entretenus avec eux : ils souhaitent un relèvement du montant de la
cotisation. Le Gouvernement examine actuellement cette demande tout en étudiant
naturellement l'ensemble du dossier de l'assurance vieillesse dans le souci
d'une réforme en toute équité entre actifs et retraités.
En tout état de cause - et cela ne signifie pas que nous allons retarder les
mesures - je crois pouvoir dire qu'en 1998 les réserves qui sont actuellement
dans la caisse seront supérieures au déficit. Par conséquent, nous n'aurons pas
de problèmes cette année. Cependant, il est urgent de prendre des mesures
structurelles. Nous sommes actuellement en pleine concertation avec le conseil
d'administration et j'espère pouvoir annoncer dans quelques semaines ces
mesures qui auront été prises avec, bien évidemment, l'accord des
intéressés.
M. Charles Descours.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Après votre réponse, dont je vous remercie, madame la ministre, je ferai
plusieurs réflexions.
En ce qui concerne les régimes spéciaux, vous avez parlé de concertation, de
mesures. Mais, madame la ministre, entre nous, mieux vaut faire prendre les
décisions relativement vite, tant que l'on n'est pas en période électorale,
car, croyez-en l'expérience que nous avons eue, cela est extrêmement
impopulaire !
S'agissant des régimes spéciaux, la CARMF et la Caisse nationale de retraites
des agents des collectivités locales, notamment, vont être « dans le mur »
d'ici à 2005. Or, étant donné les délais pour la mise en appplication des
mesures lorsqu'elles sont prises, il faut les prendre le plus vite possible.
En ce qui concerne la CARMF, je vous ai écoutée avec beaucoup d'intérêt. Mais
la cotisation au régime de base a beaucoup augmenté depuis trois ou quatre ans
; les médecins, à tort ou à raison, ont conscience de payer déjà beaucoup. Or
j'entends que, d'une part, on va l'augmenter encore - c'est vous qui en
déciderez, bien entendu - et que, d'autre part, vous allez baisser la valeur du
point de retraite.
(Mme le ministre fait un signe de dénégation.)
J'ai cru comprendre,
madame la ministre, que si on ne baissait pas la valeur du point de retraite on
irait « dans le mur ». J'ai reçu des lettres d'associations de retraités
médecins qui étaient inquiets de cette mesure.
Nous serons, évidemment, attentifs. Ce que vous venez de dire sur les réserves
nous rassure à moitié, au moins dans l'immédiat. L'opacité de ce régime est
telle, notamment en ce qui concerne les placements - voilà dix ans que cela
dure, sous différents présidents - que si nous ne voulons pas connaître la
situation d'autres organismes que l'actualité met en évidence aujourd'hui - M.
le secrétaire d'Etat à la santé vient de porter plainte contre l'un d'eux - il
faudrait demander un audit.
DOPAGE À LA NANDROLONE