Séance du 9 juin 1998






LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 445, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions. [Rapport n° 450 (1997-1998), avis n° 472 (1997-1998), avis n° 471 (1997-1998), avis n° 478 (1997-1998) et avis n° 473 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions, que nous examinons aujourd'hui, est, aux yeux du Gouvernement, fondamental pour redonner à chacun une vraie place dans notre pays.
Il est absurde de voir notre pays s'enrichir chaque jour un peu plus et de constater, en même temps - et nous l'avons tous fait - qu'une partie de nos concitoyens s'enfoncent dans la pauvreté, voire dans la misère.
A cet égard, le diagnostic est implacable : aujourd'hui, 15 % de nos concitoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté ; deux millions de personnes ne vivent que grâce au RMI, le revenu minimum d'insertion ; six millions dépendent des minima sociaux ; un million vivent un chômage de longue durée.
Depuis quinze ans, la proportion de ménages qui vivent en deçà du seuil de pauvreté n'a pas bougé, alors que le revenu moyen des Français a progressé de 33 %.
Aujourd'hui, ils sont des centaines de milliers à être mal logés ou sans abri, à renoncer à se soigner pour des raisons financières ou à être fragilisés par le surendettement.
Derrière ces chiffres, qui paraissent lourds mais qui ne sont que des chiffres, il y a des hommes et des femmes qui souffrent et, surtout, qui ont perdu l'espoir en la capacité de notre société de leur redonner une place. C'est bien à cela que nous souhaitons, je l'espère ensemble, nous attaquer aujourd'hui.
L'acuité de cette situation nécessite sans doute une coopération de tous : de l'ensemble des collectivités locales, de l'Etat, des acteurs économiques et sociaux et, bien sûr, des associations qui, depuis des années, mènent un combat extrêmement important contre l'exclusion et qui, il faut le dire, ont sans doute permis jusqu'à présent à notre pays de maintenir un certain lien social dans un certain nombre de quartiers ou de zones rurales désertifiées.
Je l'ai dit à l'Assemblée nationale et nous pouvons le répéter ici : l'exclusion est bien notre défaite collective. En effet, nous n'avons pas su mobiliser à temps les moyens suffisants pour y répondre.
La volonté du Gouvernement - je l'ai dit en commission, je le répète en séance publique - est de parvenir à un rassemblement le plus large possible autour de ce projet de loi. Dans le fond, nous avons aujourd'hui l'occasion d'apporter à cette défaite collective une réponse la plus collective et la plus forte qui soit, par une vraie ambition de la nation de ne pas accepter ce qui est bien aujourd'hui l'inacceptable.
C'est en tout cas la volonté qui est la mienne et celle de mes collègues qui sont au banc du Gouvernement au moment où débute la discussion du projet de loi au Sénat, quelques semaines après le débat à l'Assemblée nationale.
Ce projet de loi fait partie d'un ensemble, d'un programme que le Gouvernement a annoncé. Il sera complété par deux lois - une loi sur la couverture maladie universelle, à l'automne, et une loi, préparée par Mme la garde des sceaux, sur l'accès au droit - et par des programmes d'action qui ne nécessitent pas obligatoirement de figurer dans une loi. Je pense, par exemple, aux programmes sur les sports, les loisirs, la culture, qui sont mis en place par un certain nombre de nos collègues.
Cela dit, ce programme représente pour l'Etat des dépenses de l'ordre de 38,4 milliards de francs, sur un total de 51,4 milliards de francs. Cela permettra effectivement d'avancer de manière importante dans une action qui, bien sûr, nécessitera plus de trois ans, mais dont le présent projet de loi constitue la première étape.
Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz ainsi que les associations regroupées dans le cadre du collectif Alerte ont salué la philosophie de ce projet et les outils mis à la disposition de tous, tout en souhaitant quelques modifications, dont certaines ont déjà été apportées lors du débat à l'Assemblée nationale. Elles ont salué également l'effort financier indispensable pour rendre effective cette ambition.
A cet égard, si je salue la qualité du travail de vos commissions, notamment de la commission des affaires sociales et de la commission des finances, ainsi que des rapporteurs, en particulier MM. Seillier, Oudin et Loridant, pour apporter une information complète permettant d'apprécier cet effort, je m'étonne qu'il y ait eu, parfois, dans les rapports, quelques querelles de chiffres.
Tous les chiffres sont sur la table. Le budget de 1998 a déjà repris en son sein les premiers chiffres qui ont été avancés ; vous constaterez, dans quelques semaines, que le projet de budget pour 1999 reprend, dans l'ensemble des budgets, les chiffres qui vous sont annoncés. Sur ce point, il n'y a pas de doute. Ce Gouvernement a, jusqu'à présent, fait ce qu'il a dit et il poursuivra bien évidemment dans cette voie avec ce projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions.
Ces mécanismes qui mènent à l'exclusion, parfois à partir d'un accident de la vie - la perte d'un emploi, une maladie, un accident dans la vie familiale, par exemple - sont bien connus, notamment depuis que certains, en particulier au Conseil économique et social, ont fait le point et ont apporté plusieurs réponses : ainsi le père Joseph Wresinski et Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, à qui il convient de rendre hommage, ont permis une prise de conscience dans notre pays et des débats fructueux au Conseil économique et social. L'ensemble du travail des associations, lié non seulement à leur expérience, mais aussi aux propositions qu'elles ont faites, à l'énergie et à la détermination dont elles ont fait preuve pour défendre l'idée d'un tel texte ont abouti d'abord au projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale présenté par le précédent gouvernement et, aujourd'hui, à ce projet de loi contre les exclusions que nous vous proposons.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. En effet, comme nous le savons, la croissance, même si elle reprend, ce dont nous nous réjouissons, ne suffit pas, et notre société ainsi que la crise que nous connaissons depuis plusieurs années ont « cassé » nombre de nos concitoyens. Il nous faut donc remettre en place des dispositifs pour donner à ces derniers une chance et une place dans notre société. Aussi, le programme d'action du Gouvernement et ce projet de loi contre les exclusions s'appuient sur trois grands principes.
En premier lieu, si la solidarité nationale se doit de porter assistance à un certain nombre de nos concitoyens lorsqu'ils en ont besoin, l'ensemble des politiques publiques doivent faire en sorte - nous sommes tous d'accord pour le dire - de les faire sortir au plus vite de l'assistance et de leur donner accès aux droits fondamentaux.
En effet, nous ne pouvons pas nous satisfaire de remettre un chèque en fin de mois, que ce soit au titre du revenu minimum d'insertion, de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, ou de l'indemnisation du chômage. Nous devons redonner à chacun les moyens de prendre sa vraie place dans la société. C'est bien là l'objectif de ce projet de loi.
A cet égard, il s'agit non pas de stigmatiser les exclus par l'octroi de droits spécifiques, mais de leur donner la possibilité d'accéder aux droits de tous, aux droits qui permettent à notre République d'exister et, ainsi que M. le Premier ministre l'a indiqué, au pacte républicain de retrouver tout son sens.
Notre volonté est évidemment non pas seulement de guérir ; elle est aussi de prévenir. En effet, la politique, à mon avis, doit aussi chercher à prévenir les problèmes pour éviter d'avoir à les traiter en urgence. A cet égard, le deuxième grand principe de ce projet de loi est la prévention, qu'il s'agisse de la prévention des situations d'expulsion en matière de logement, par exemple, des situations de surendettement ou de la prévention qui passe souvent par une citoyenneté accrue, laquelle comporte, nous le savons, des droits comme des devoirs.
Enfin, le troisième principe majeur de ce projet de loi est la mobilisation de tous.
Nous savons qu'il n'appartient pas à une seule collectivité publique ou même aux seules collectivités publiques de traiter et d'aider à la résolution de ce problème de l'exclusion. Nous nous devons de trouver les moyens en nous appuyant sur les entreprises, sur les associations, ainsi que sur nos concitoyens, afin de réaliser un véritable pacte national contre les exclusions. Tel est bien l'objectif que nous visons aujourd'hui.
Ce projet de loi tend donc tout d'abord à garantir l'accès de tous aux droits fondamentaux. Le paradoxe de cette société tient dans la réalité suivante : alors que les droits des citoyens sont inscrits au fronton de nos mairies ainsi que dans le préambule de la Constitution, leur réalité est loin d'être la même pour tous, que l'on parle d'ailleurs de catégories ou de zones géographiques.
Or il s'agit bien ici, au-delà du principe même de l'égalité des droits, de mettre en place une égalité d'accès aux droits, c'est-à-dire d'appliquer ce principe.
Cela est d'abord particulièrement vrai dans le domaine de l'emploi, car nous savons bien que la rupture de la chaîne de l'emploi est souvent l'événement qui entraîne vers l'exclusion par un processus cumulatif de difficultés qui s'enchaînent. Aussi, nous souhaitons faire en sorte que chacun puisse avoir accès à l'emploi en aidant plus particulièrement les plus défavorisés.
Nous nous réjouissons tous de voir que la croissance revient, qu'il y a 150 000 chômeurs de moins depuis le mois d'octobre, que 65 000 jeunes occupent d'ores et déjà des emplois-jeunes, que les entreprises commencent à discuter sur la réduction de la durée du travail ; mais nous savons aussi que, quel que soit le nombre d'emplois créés demain par les petites et moyennes entreprises autour des nouvelles technologies, par les emplois-jeunes, par la réduction de la durée du travail, les personnes qui sont aujourd'hui cassées par des années de chômage ne retrouveront pas leur place dans la société si nous n'adoptons pas des dispositions leur permettant d'avoir un accès réel à l'insertion, à la formation et à l'emploi.
Tel est bien l'objectif de ce projet de loi, qui s'appuie sur plusieurs principes.
Le premier principe est simple, et nous l'avons d'ailleurs repris dans le programme national d'action que M. le Président de la République et M. le Premier ministre présenteront à Cardiff devant nos partenaires européens : c'est l'idée du nouveau départ, que l'Assemblée nationale a voulu inscrire dans la loi. Nous souhaitons en effet que chaque chômeur de longue durée, adulte ou jeune, puisse être accompagné dans le temps, l'objectif étant de lui proposer soit une mesure d'insertion, de suivi individualisé ou de formation, soit un emploi. Nous savons qu'il faut accompagner, parfois longuement, ceux qui ont été « cassés » par le chômage.
Le second élément majeur, c'est que nous avons l'impression qu'il existe de nombreux outils pour lutter contre le chômage, mais qu'il nous manque aujourd'hui un certain nombre de dispositifs s'adressant à des populations particulières. C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit, par exemple pour les jeunes, un programme appelé TRACE, trajet d'accès à l'emploi, qui permettra à 60 000 jeunes en grande difficulté, c'est-à-dire éloignés du monde du travail, de bénéficier d'un parcours qui pourra durer jusqu'à dix-huit mois et qui visera à les faire accéder à une qualification ou à un emploi. Le programme TRACE s'articulera autour de la situation de chaque jeune et pourra débuter par une action de remobilisation, à partir, par exemple, d'un projet sportif ou culturel pour des jeunes qui sont très éloignés de l'emploi. Il passera par des mesures d'insertion et de préqualification, et il permettra d'aider ces jeunes à acquérir la qualification qu'ils n'ont pas et à accéder à l'emploi.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, la discussion générale et l'examen des amendements ont permis en particulier de lever des craintes qui avaient été parfois exprimées à propos d'une remise en cause des compétences des régions. Je voudrais rappeler que c'est le comité de coordination des programmes régionaux de développement de la formation professionnelle qui a demandé que l'Etat puisse aider les publics les plus en difficulté, notamment par des actions d'accompagnement et par un renforcement des moyens de l'Agence nationale pour l'emploi et des missions locales. C'est ce que nous allons faire.
En ce qui concerne les adultes, il nous a semblé qu'un certain public - je pense notamment aux adultes jeunes qui arrivent sur le marché du travail en situation d'échec scolaire et sans qualification - avait besoin d'acquérir une formation, mais que, souvent, les formations existantes, théoriques, n'étaient pas adaptées à leurs capacités. Aussi a-t-on discuté avec le patronat, qui en a accepté le principe, d'un contrat de qualification adultes permettant, par des périodes de formation alternant formation en entreprises et formation théorique, à un certain nombre d'adultes d'acquérir véritablement une formation.
Nous allons tester cette mesure, qui concernera, nous l'espérons, 25 000 adultes au bout de trois ans.
Il nous faut enfin, pour les adultes comme pour les jeunes, renforcer les mesures destinées à ceux qui sont les plus en difficulté ; je pense notamment aux contrats emploi-solidarité, que nous avons mieux ciblés et centrés sur les publics en difficulté, car rien ne justifie que l'Etat investisse de manière importante dans les contrats emploi-solidarité si ceux-ci ne sont pas réservés à des personnes ne pouvant pas occuper des emplois classiques et ayant besoin effectivement de remettre le pied à l'étrier et d'être accompagnées dans la durée, avant de pouvoir, comme nous l'espérons, accéder à une qualification ou à un emploi. Mais nous savons aussi que les plus fragiles de ces chômeurs de longue durée, les personnes qui sont à l'assistance depuis longtemps - je rappelle que 10 % des RMIstes, soit 90 000 d'entre eux, sont au RMI aujourd'hui depuis dix ans, et donc depuis la création du RMI - ne pourront trouver place dans le secteur privé. Aussi avons-nous souhaité créer une nouvelle catégorie de contrat emploi consolidé de cinq ans, financé à 80 % par l'Etat, pour ces publics particuliers afin de les sortir de l'assistance et de leur redonner leur dignité en même temps qu'un sentiment d'utilité sociale.
Les principales améliorations adoptées par l'Assemblée nationale portent sur des dispositions qui visent à préparer la sortie vers l'emploi classique ; je pense, en particulier, à un amendement prévoyant des actions de validation des acquis ainsi qu'un bilan de compétences après vingt-quatre mois pour repréciser le projet professionnel, ce qui me paraît aller dans le bon sens.
Au-delà des constats emploi-solidarité et des contrats emploi consolidé, nous devons continuer à renforcer le secteur de l'insertion par l'économique.
Nous savons combien les entreprises d'insertion, les associations intermédiaires, les régies de quartier, les associations d'intérim ou d'insertion, les chantiers-écoles remplissent aujourd'hui un rôle majeur en aidant des personnes à sortir de l'assistance, à travailler, même si elles ne sont pas aptes, au même rythme que les autres et à retrouver confiance en elles.
Nous souhaitons effectivement que, là aussi, l'aide qu'apporte l'Etat à ces structures soit véritablement destinée à des publics en grande difficulté, et nous avons souhaité prendre un certain nombre de dispositions pour permettre d'éviter des abus ou des contournements de ces dispositifs.
Je souhaite, à la suite de quelques remarques entendues au sein de la commission des affaires sociales, redire que le texte que nous avons finalement déposé à l'Assemblée nationale pour les associations intermédiaires et qui vise à limiter dans le temps la mise à disposition en entreprise constitue, je crois, un bon compromis avec les associations intermédiaires. Il permet d'éviter les contournements et a été accepté par le CORAACE, qui regroupe l'ensemble des associations intermédiaires.
Si je me réjouis que vous gardiez l'économie globale du texte relatif aux associations intermédiaires, je regrette, toutefois, que vous n'acceptiez ni l'obligation de rémunérer les salariés des associations intermédiaires au salaire conventionnel de l'entreprise d'accueil ni la référence aux sanctions en cas de dépassement des durées maximales de mise à disposition en entreprise.
Favoriser l'accès à l'emploi des personnes les plus fragiles, c'est aussi encourager l'esprit d'initiative et leur permettre de mener à bien des projets de création d'activités. C'est pourquoi nous avons élargi le dispositif d'appui à la création d'entreprise - le dispositif EDEN - aux bénéficiaires du RMI, de l'ASS et de l'allocation de parent isolé.
Enfin, l'inscription de la lutte contre l'illettrisme comme un objectif majeur dans l'éducation permanente a été largement saluée par les associations. Cela permettra de mettre en place des actions dans des conditions identiques aux autres dispositifs de formation professionnelle et, en particulier, d'imputer les dépenses sur les contributions des entreprises à l'effort de formation.
Je pense, par ailleurs, que les attentes de ceux qui regrettaient de ne pas trouver là d'autres dispositions relatives à la lutte contre l'illettrisme sont largement comblées par l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'un amendement, proposé par M. Jacques Barrot, reprenant la déclaration d'intention prévue par le projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale. Sur ce volet « emploi », les amendements adoptés par la commission des affaires sociales témoignent, je crois, de la même volonté et du même objectif, ainsi que d'une attitude totalement constructive et ouverte ; je tiens à l'en remercier.
Je me félicite, à cet égard, que la majorité sénatoriale ait choisi d'inscrire sa réflexion et son travail dans la logique du projet de loi que le Gouvernement propose.
A ce titre, je ne m'arrêterai pas sur les propos parfois critiques, et je préfère revenir sur les amendements qui me paraissent constructifs.
M. Charles Descours. Il faut tout retenir, les critiques et les propositions !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ai déjà répondu sur les chiffres. Je retiendrai bien évidemment les critiques de fond, mais il y en a tellement peu que je pourrais passer outre ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Voilà !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ainsi, sur le volet « emploi », vous n'avez proposé - je m'en réjouis, car c'est rare - aucune suppression d'article, et une bonne moitié des quarante-quatre amendements déposés recueillera l'avis favorable du Gouvernement. J'en évoquerai quelques-uns.
Tout d'abord, je partage votre volonté que les possibilités de cumul des minima sociaux et des revenus d'activité professionnelle soient larges. Si certains points précis posent des problèmes techniques, je suis sensible à votre volonté d'autoriser les cumuls des minima sociaux avec les revenus d'une activité indépendante et avec les aides à la création d'entreprise.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous souhaitez, en outre, que la loi invite les partenaires sociaux à réexaminer les mécanismes de cumul dans le cadre de l'assurance chômage. Ce point ne me semble pas relever de la loi, même si je partage votre intention, et j'avais d'ailleurs écrit en ce sens à Mme Notat.
S'agissant du cumul d'un contrat emploi-solidarité avec une deuxième activité professionnelle, je me réjouis que vous ayez souhaité n'ouvrir cette possibilité qu'à partir du quatrième mois afin d'éviter que les personnes capables d'occuper un emploi en entreprise ne soient orientées à tort vers un CES. Je proposerai, là aussi, une modalité quelque peu différente mais qui rejoint votre objectif.
Par ailleurs, je regrette - mais nous y reviendrons au cours du débat - que la commission des affaires sociales n'ait pas souhaité maintenir la possibilité de soutenir financièrement, par l'intermédiaire du FAJ, le fonds d'aide aux jeunes, les jeunes du programme TRACE qui se heurteraient à des difficultés matérielles entre deux programmes qui leur seraient proposés. Il s'agit là moins d'un désaccord de fond que de craintes que vous avez voulu exprimer et sur lesquelles je voudrais vous rassurer. L'intervention des fonds d'aide aux jeunes ne sera pas automatique, mais elle sera accordée aux jeunes rencontrant de réelles difficultés financières ; la participation des départements et des communes ne se fera bien évidemment pas sans concertation.
La commission des affaires sociales propose enfin deux dispositifs qui s'inspirent du contrat initiative-emploi, le CIE. Ces dispositifs ne me semblent pas, je le dis d'emblée, pertinents.
Le premier tend à autoriser le cumul partiel d'un RMI et d'un CIE à mi-temps dans le cadre d'un contrat d'insertion associant l'entreprise. Cette mesure est moins favorable que celle que nous suggérons et qui permet le cumul du RMI avec une activité salariale, grâce à un mécanisme d'intéressement qui, dorénavant, durera douze mois avec 100 % au début pour terminer à 25 %. C'est donc un dispositif plus favorable.
La seconde mesure que vous proposez consiste à exonérer de charges patronales de sécurité sociale pendant cinq ans l'embauche de bénéficiaires depuis plus de deux ans du RMI, de l'ASS ou de l'API, l'allocation de parent isolé. Dans une période où la croissance est de retour et où les contrats initiative-emploi ont parfois provoqué des effets d'aubaine, je ne suis pas sûre qu'une mesure à cinq ans soit aujourd'hui pertinente.
J'en ai fini avec l'emploi.
Le deuxième grand domaine dans lequel les droits fondamentaux ne sont pas effectifs est celui du logement, avec 200 000 personnes sans abri, deux millions de mal-logés.
Ce projet de loi prévoit des dispositions que M. Louis Besson vous présentera dans quelques instants et qui répondent à deux objectifs : le droit à l'habitat et la nécessité de la mixité sociale.
Le troisième droit fondamental de notre programme est la santé. Là encore, la réalité ne corrobore pas les grands principes constitutionnels pourtant affichés dans le préambule de la Constitution et qui assurent à chacun la protection de la santé.
La réalité n'est pas celle-là, nous le savons : difficultés pour beaucoup à suivre le circuit de soins, dépistage insuffisant, difficultés à suivre un traitement, émergence de pathologies nouvelles dans les quartiers les plus défavorisés. Ainsi, aujourd'hui, d'après le CREDES, un Français sur quatre déclare avoir renoncé à se faire soigner pour des raisons d'ordre financier.
Pour garantir à tous la protection de la santé, nous proposons d'avancer dans deux directions complémentaires.
La première vise à généraliser l'accès à la protection sociale, j'en ai dit quelques mots tout à l'heure. Il s'agit, au-delà de l'assurance maladie universelle, qui avait été annoncée par le précédent gouvernement, de prévoir une couverture maladie universelle qui ne permette pas seulement l'adhésion au régime général, mais aussi l'accès à un régime complémentaire pour tous ceux qui, effectivement, n'ont pas réellement accès aux soins aujourd'hui.
Nous déposerons, à l'automne, un projet de loi au Parlement sur lequel travaille actuellement un parlementaire en mission, M. Jean-Claude Boulard.
La seconde direction consiste à renforcer l'offre de prévention et de soins pour les personnes en situation de précarité.
L'instauration sur l'ensemble du territoire de programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins, qui existent d'ailleurs déjà dans certaines régions, visera autant à améliorer l'offre de prévention et de dépistage à destination des publics précaires qu'à favoriser leur prise en charge.
Nous savons que, aujourd'hui, beaucoup d'exclus ne vont plus frapper à la porte d'un cabinet médical ou d'un hôpital. Il faut à la fois que l'hôpital sorte de ses murs, mais aussi qu'il puisse travailler avec les associations qui exercent leur action à proximité des exclus. Il faut, pour cela, que ces programmes assurent la coordination entre l'ensemble des partenaires qui travaillent sur le terrain.
Ces programmes s'attacheront notamment au soutien et au développement des réseaux de santé sociale qui permettent la continuité du suivi socio-sanitaire des personnes, à la formation des différents acteurs et au soutien des actions prioritaires à partir d'une liste des pathologies, que nous connaissons, touchant les publics en grande difficulté.
Par ailleurs, l'inscription dans la loi et dans les faits de la mission sociale de l'hôpital doit être réalisée. L'hôpital était hier l'hospice, c'est-à-dire l'établissement qui accueillait chacun ; aujourd'hui, l'hôpital est fermé pour beaucoup car, encore une fois, beaucoup hésitent à y venir. Redonner à l'hôpital sa fonction historique d'accueil exige des adaptations structurelles, mais aussi des évolutions dans les pratiques professionnelles. Et je sais, pour les avoir consultés et pour avoir commencé avec eux à mettre ces adaptations en pratique, que les personnels hospitaliers y sont prêts.
Nous allons, pour ce faire, généraliser les permanences d'accès aux soins de santé, véritable dispositif d'accueil médico-social à l'hôpital. Il ne s'agit évidemment pas de créer des filières réservées aux plus démunis, mais de prévoir effectivement des consultations de médecine générale sans rendez-vous, des consultations sociales, des actions de dépistage et de prévention et, quand c'est nécessaire, la gratuité des examens et de la délivrance des médicaments.
Plus accueillant pour les exclus, l'hôpital doit aussi être plus ouvert, à la fois en ouvrant ses portes à certains partenaires - institutions sociales, médecine de ville, associations humanitaires et sociales - et en assurant le suivi des patients à la sortie de l'hôpital.
Là aussi, les choses avancent et de nombreuses expériences d'hôpital hors les murs m'apparaissement intéressantes à tous points de vue parce qu'elles touchent des personnes qui, jusqu'à présent, étaient exclues du dispositif et parce que, par ailleurs, elles sont souvent génératrices, sinon de recettes complémentaires, du moins d'un allégement des dépenses.
Le second grand volet de ce projet de loi d'orientation concerne la prévention des situations d'exclusion, en particulier s'agissant des deux aspects que constituent, d'une part, le surendettement, qui sera traité par Mme Marylise Lebranchu, et, d'autre part, l'expulsion, dont vous entretiendra M. Louis Besson.
Toutefois, outre l'accès aux droits fondamentaux et malgré cette politique de prévention que nous mettons en oeuvre, nous devons aussi répondre aux situations d'urgence que nous connaissons tous.
Ainsi, l'Etat et ses partenaires doivent être capables, dans les situations extrêmes auxquelles nous nous trouvons confrontés, de répondre efficacement.
La prise en charge de l'urgence sera améliorée par un dispositif de veille sociale généralisée qui permettra d'apporter une assistance immédiate et coordonnée à des personnes en situation de détresse absolue, notamment grâce aux boutiques d'accueil de jour et aux équipes mobiles d'urgence sociale.
Le réseau d'hébergement social sera amélioré, rendu accueillant et plus performant. D'importants travaux seront réalisés dans les CHRS, les centres d'hébergement et de réadaptation sociale, et 1 500 places supplémentaires seront créées en trois ans. Ces centres d'hébergement, comme le dispositif de veille sociale, bénéficieront d'un statut juridique renforcé.
Le maintien de l'accès à l'eau, à l'électricité, au gaz et au service téléphonique sera assuré, dès lors que l'interlocuteur compétent sera contacté par les services en cause pour trouver une solution et pour essayer d'échelonner les dettes. Lorsque cette tentative échouera, la cellule d'urgence mise en place auprès du préfet devra obligatoirement être saisie avant l'interruption du service pour vérifier que des aides publiques ou des accompagnements ne peuvent pas être apportés, dans les cas où les demandeurs sont de bonne foi, cela va sans dire.
Par ailleurs, le fonds d'urgence sociale mis en place par l'Etat au début de l'année 1998 a confirmé l'idée que nous devions coordonner nos dispositifs d'urgence.
Rien n'est pire, aujourd'hui, pour une personne en grande difficulté, que d'être obligée d'aller frapper à plusieurs portes, d'aller expliquer à plusieurs guichets ses problèmes, de se mettre en quelque sorte à nu pour faire part de situations qui sont souvent déjà extrêmement lourdes à porter.
Dans la continuité de l'expérience du fonds d'urgence sociale, nous avons proposé de mettre en place un dispositif permettant que, quel que soit le guichet auquel viendra s'adresser la personne en grande difficulté - centre communal d'action sociale, commission locale d'insertion, fonds d'action sociale, réseau des ASSEDIC - un seul et même dossier soit constitué. Lorsque l'institution à laquelle cette personne se sera adressée ne sera pas compétente, le dossier remontera à la cellule d'urgence sociale, qui devra trouver la bonne réponse, que cette réponse soit financière ou qu'elle prenne la forme d'une prise en charge beaucoup plus structurelle.
Il ne s'agit donc pas de concentrer toutes les aides dans un même fonds, mais de coordonner les actions autour d'une même table pour faire en sorte que des réponses adéquates puissent être apportées de manière plus efficace à ceux qui en ont besoin et qui, en règle générale, y ont droit.
Telle sera la mission de la commission d'action sociale d'urgence, que ce projet de loi vise à instaurer et qui sera présidée par le préfet. Ce dispositif a d'ailleurs, je le rappelle, été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Notre troisième et dernière ambition est de mieux agir ensemble contre les exclusions.
Je l'ai dit tout à l'heure, la prévention et la lutte contre les exclusions nécessitent la mobilisation de tous et la mise en cohérence des différents outils.
Dans un premier temps, l'efficacité de l'action publique doit être amplifiée. Nous avons ainsi prévu de renforcer et de rénover la formation des membres des professions sociales, dont les effectifs seront accrus. L'Etat devra par ailleurs, partout où c'est nécessaire, mobiliser, dans le cadre de ses missions, l'ensemble des partenaires concernés. Les pratiques de certains services publics devront ainsi être adaptées, sur le terrain, à l'accueil des plus démunis. Ce point fait partie de la réforme de l'Etat sur laquelle nous travaillons actuellement.
Mais une des conditions de la réussite est d'abord de mieux connaître l'exclusion sous toutes ses formes et d'évaluer les politiques menées. Nous avons pour cela repris l'idée, déjà présente dans le projet de loi tendant au renforcement de la cohésion sociale, d'un observatoire des phénomènes d'exclusion, placé sous l'autorité du Premier ministre. Toutefois, nous l'avons doté de moyens pour lui permettre de réaliser effectivement un certain nombre d'études.
L'ensemble de ces actions doit être complété par une coordination des différents acteurs. Vous le savez, de multiples conseils, comités, plans départementaux à vocation spécifique - soit qu'ils s'adressent à une population spécifique, soit qu'ils travaillent sur un domaine spécifique - existent aujourd'hui, notamment à l'échelon départemental.
Nous n'avons pas souhaité construire une « usine à gaz » en mettant en place un plan général ou en refondant l'ensemble de ces fonds : nous avons préféré l'instauration d'un comité de coordination afin de vérifier, dans un premier temps, l'état de l'exécution de la politique menée dans le département auprès de populations spécifiques pour prévenir des risques spécifiques avant de vérifier, dans un second temps, que chacun remplit bien la mission qui est la sienne.
C'est la raison pour laquelle cette commission, composée du préfet, du président du conseil général - et, bien sûr, de représentants des collectivités locales - devra aussi comprendre des représentants des différents conseils et comités qui luttent contre l'exclusion, tels le comité pour l'insertion par l'économique, le comité de lutte contre le surendettement ou le fonds de solidarité pour le logement, le FSL.
Ce dispositif, qui concerne les relations entre l'Etat et l'ensemble des institutions intervenant dans la prévention et la lutte contre l'exclusion, a été lui aussi adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale. C'est pourquoi je suis quelque peu étonnée qu'il fasse l'objet d'un amendement de suppression présenté par la commission des affaires sociales du Sénat, mais je pense que nos débats permettront peut-être de lever les ambiguïtés.
Dernier aspect de ce projet de loi, la citoyenneté.
L'exercice de la citoyenneté est essentiel, y compris pour les exclus. C'est pourquoi nous avons repris les dispositions du projet de loi sur la cohésion sociale sur l'exercice du droit de vote et sur l'obtention d'une carte d'identité pour les sans-domicile fixe dès lors qu'ils sont connus par une association agréée par le préfet.
L'Assemblée nationale a utilement amendé le texte en accordant aux SDF l'exonération du droit de timbre pour la carte d'identité. De la même manière, les délais de domiciliation auprès de l'association pour l'inscription sur les listes électorales ont été ramenés à six mois.
Pour conclure, ce projet de loi consacre la volonté du Gouvernement de mobiliser notre société - et demain, je l'espère, l'ensemble du Parlement - dans le combat contre les exclusions. Il est le fruit d'une concertation très large qui a associé, à chaque étape de son élaboration, les associations et les organisations syndicales qui interviennent sur le terrain concret de la lutte contre les exclusions. Je redis en effet ce que j'ai dit en introduction : ce texte est d'abord le fruit du travail mené par ces associations pendant des années, de leur expérience, mais aussi des propositions qu'elles ont faites, de l'énergie qu'elles ont déployée à nous convaincre tous de la nécessité de cette loi.
Notre environnement économique est aujourd'hui plus favorable. La croissance est de retour. Mais nous savons que, si notre pays va mieux, certains, aujourd'hui, ne le ressentent pas profondément. La logique même de cette loi de lutte contre les exclusions est de leur redonner une place en leur redonnant des droits.
C'est cette philosophie que nous pouvons, peut-être, partager : nous ressentons la nécessité d'opposer à la loi du plus fort la loi du plus faible et de nous rassembler pour combattre l'exclusion.
Je ressens enfin, avec mes collègues Mme Lebranchu, M. Besson et Mme Pery, mais aussi avec l'ensemble du Gouvernement, toute la portée de ce combat qui consiste à donner une réalité à la République et à des droits que la République a effectivement consacrés, et à faire en sorte que la démocratie soit aussi une réalité, afin que chacun puisse être un citoyen à part entière dans notre pays.
C'est l'objectif du Gouvernement, et j'espère que ce sera un objectif partagé ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous présenter de manière synthétique le volet consacré au logement dans le projet de loi dont nous entamons la discussion.
Le logement représente, vous le savez, une réponse fondamentale aux besoins de sécurité, d'intimité et de protection familiale que chacun est en droit d'attendre pour lui-même ou de pouvoir offrir à ses enfants.
Dans une période où l'on a vu s'accroître la précarité des parcours professionnels, mais aussi le nombre des déchirures familiales, où l'on a assisté à la montée de l'individualisme, le logement - nous devons même dire l'habitat - représente indéniablement un facteur essentiel d'insertion, de reconnaissance sociale et de sécurisation.
Les rapports de vos commissions des affaires sociales, des affaires économiques, des finances et des lois, dont je remercie les présidents, les rapporteurs et les membres, montrent que vous avez tous bien mesuré l'importance des orientations retenues et des dispositions prises par le Gouvernement pour lutter contre l'exclusion.
Quatre axes principaux sous-tendent le projet développé dans ce volet du texte : rendre effectif le droit au logement ; prévenir les expulsions ; passer progressivement du droit au logement au droit à l'habitat ; mobiliser et accroître l'offre locative pour les plus modestes.
Premier axe, donc, rendre effectif le droit au logement. Pour cela il a fallu tirer un bilan des applications de la loi du 31 mai 1990. Aux bilans annuels présentés devant le Conseil national de l'habitat se sont ajoutés les rapports du haut comité pour le logement des défavorisés et diverses études. Dès ma nomination, j'ai souhaité qu'une évaluation qualitative en soit faite sans complaisance afin de reconnaître autant les acquis et les avancées que les lacunes ou les dysfonctionnements constatés dans différents départements.
Si l'on peut se féliciter de la forte mobilisation de nombreux acteurs autour des objectifs assignés aux plans départementaux et au fonds de solidarité logement, qui ont permis, vous le savez, à plus de 700 000 ménages ou familles d'être aidés tant pour l'accès que pour le maintien dans le logement ou par une mesure d'accompagnement social, il nous faut aujourd'hui déterminer des règles plus homogènes et fixer des objectifs plus précis afin de créer cette équité territoriale que l'on revendique légitimement.
Par ailleurs, il nous a paru souhaitable de distinguer, dans les publics en difficulté, les personnes ou les familles rencontrant des difficultés liées à une insuffisance de leurs ressources de celles qui cumulent difficultés économiques et difficultés d'insertion sociale.
La réponse à apporter aux premières nécessite une meilleure solvabilisation, qui peut être obtenue par une baisse ou une limitation des loyers ou par une revalorisation des aides à la personne. Des mesures de revalorisation des aides personnelles, prises dès l'été 1997 et renouvelées dans le budget de 1998, ont profité vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, à plus de 6 millions de ménages parmi les plus modestes. Quant à une baisse des loyers, du moins des plus insupportables dans le parc social, grâce à la mesure qui vient d'être prise pour les taux des prêts, elle est discutée actuellement avec l'Union nationale des fédérations d'organismes d'HLM.
Enfin, le texte proposé doit également faciliter le développement d'instances locales chargées, sur un bassin d'habitat, de soutenir une politique dynamique vis-à-vis des populations défavorisées. Pour l'Ile-de-France, un dispositif particulier est envisagé pour être adapté à la taille et à la complexité de la très grande agglomération parisienne.
Deuxième axe : prévenir les expulsions.
Cela nous a paru être une nécessité impérieuse. Pour cela, il nous faut changer la logique qui a prévalu jusqu'à présent, c'est-à-dire celle de l'évocation du trouble de l'ordre public pour accorder ou non le concours de la force publique, et ce tout à fait à la fin d'une longue procédure, lorsqu'au bailleur exaspéré on prend le risque d'ajouter une famille traumatisée.
La loi du 31 mai 1990 a créé le fonds de solidarité logement pour prévenir notamment ces situations. Solliciter et mobiliser les instances du plan départemental, dès l'assignation en résiliation du bail, c'est-à-dire en amont de la décision du juge, nous a semblé répondre à l'exigence de mise en oeuvre d'une véritable prévention.
Les expulsions avec le concours de la force publique ne devraient plus concerner que les personnes de mauvaise foi ou celles qui troublent manifestement le voisinage par leur comportement. A la bonne foi, la prévention ; aux autres cas, l'expulsion comme sanction.
Troisième axe : passer progressivement du droit au logement au droit à l'habitat.
Une logique de prévention doit prévaloir aussi pour les services liés à l'habitat tels que l'eau, l'électricité, le gaz ou le chauffage en général.
De même, a été introduite dans ce projet la lutte contre l'insalubrité par des mesures fortes qui lient le signalement d'enfant atteint à un système de contrôle de tout l'immeuble et à l'obligation de travaux à effectuer par le propriétaire, avec, au besoin, substitution de l'Etat en cas de défaillance du bailleur. Ce sont autant de manifestations de la volonté du Gouvernement de s'engager dans une action délibérée d'élimination des foyers d'insalubrité qui risquent d'intoxiquer, voire d'affecter gravement et durablement, ce qui est encore plus insupportable, des enfants en bas âge.
Des mesures vous sont proposées également pour lutter contre les marchands de sommeil et pour renforcer les statuts de sous-locataire ou de résident en hôtel meublé, afin d'assurer une certaine sécurisation dans ces différents statuts locatifs adaptés à des situations particulières.
Quatrième axe : accroître l'offre de logement aux personnes aux ressources modestes.
La loi de finances de 1998 a anticipé sur ce projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions en consacrant des sommes importantes - environ 16 milliards de francs - aux aides à la pierre pour amorcer très rapidement une relance de la construction de logements répondant aux besoins des deux catégories de ménages et de personnes en difficulté que nous avons distinguées.
Les 30 000 logements à loyer minoré réellement financés, dont 10 000 pour réussir l'intégration des ménages et familles en réelle difficulté d'insertion, démontrent les efforts que nous avons commencé à déployer et qui seront poursuivis dans les années à venir, tout comme sera accru l'effort pour la réhabilitation du parc privé par l'accroissement des moyens de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, et des primes à l'amélioration de l'habitat pour les propriétaires modestes.
M. Alain Vasselle. Il faut aller encore plus loin !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Les mesures fiscales d'exonération de taxe d'habitation pour les gestionnaires de résidences sociales et de location - sous-locations vont aussi permettre de soutenir efficacement les associations accueillant des personnes défavorisées.
L'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements acquis et améliorés pour du logement social est une mesure de première importance,...
M. René-Georges Laurin. C'est généreux !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. ... car elle va permettre, avec des coûts de loyer mieux maîtrisés, voire diminués, de développer la création d'un parc locatif attractif situé dans les secteurs anciens ou en secteur diffus, et l'on sait qu'il s'agit parfois d'un gage de meilleure insertion pour certaines familles.
M. Alain Vasselle. Est-ce que l'Etat compensera ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Absolument, monsieur le sénateur. Il s'agit de mesures qui s'appliquent dans le neuf et qui sont étendues à l'acquisition-amélioration sur les mêmes bases d'engagement et d'implication de l'Etat.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. La réforme des modalités d'attribution doit définir les conditions d'une transparence pour l'accès aux HLM, réclamée par tous. Les engagements partenariaux devront également fixer des objectifs chiffrés de logement des plus démunis, en respectant une indispensable mixité sociale et urbaine. Ces objectifs seront déclinés par des conférences intercommunales dans le cadre du bassin d'habitat, qui nous semble le niveau local pertinent pour aborder le problème de l'habitat.
Les communes ne perdent aucune de leurs prérogatives ; elles acceptent simplement d'échanger dans un cadre intercommunal non seulement autour du thème de la diversification des attributions mais aussi autour des orientations sur les constructions à venir.
Au titre du rôle de garant qui incombe à l'Etat en matière de solidarité, la loi prévoira, de fait, un droit préfectoral d'attribution dans un cas précis, celui du refus ou du non-respect de l'accord partenarial négocié, accepté, d'ailleurs, par l'Union nationale des fédérations d'organismes d'HLM.
Le numéro d'enregistrement départemental des dossiers déposés, l'instance de médiation, l'analyse des résultats liés aux engagements souscrits vont créer une véritable convergence d'actions pour permettre cette transparence recherchée.
La mobilisation de la vacance s'inscrit aussi dans ce chapitre grâce à des mesures incitatives telles que la création d'une ligne budgétaire pour l'aide à la médiation locative, à laquelle s'ajoutent les mesures déjà prises comme les primes pour la remise en location de logements vacants versées par l'ANAH, mais aussi les mesures prévues par la loi Meyer, que vous avez adoptée voilà quelques mois, et qui permet aux organismes d'HLM de louer, dans le parc privé, des logements vacants depuis deux ans au moins.
Pour renforcer toutes ces mesures incitatives, il nous a semblé justifié - cette mesure a provoqué des réactions chez nombre de sénateurs lors des auditions en commun - d'instaurer une taxe sur les logements laissés délibérément et durablement vacants par leurs propriétaires dans des zones où existe une demande importante non satisfaite.
Je rappelle que ces propriétaires ont demandé à ne pas payer de taxe d'habitation pour des logements qu'ils ont déclarés vides ; il ne s'agit donc pas d'une vacance occasionnelle ou liée à un déplacement, notamment professionnel.
Enfin, la loi adaptera également la règle des réquisitions pour en améliorer l'efficacité. Cette mesure est présentée volontairement en fin de projet, contrairement au choix fait pour la loi de cohésion sociale, dont nous avons repris le texte, pour bien démontrer qu'il s'agissait non pas d'une politique de logement mais d'un outil à utiliser occasionnellement dans des circonstances manifestement anormales d'immeubles laissés vacants alors que des familles peuvent se retrouver en grande détresse faute de toit à leur offrir.
Au total, il vous est donc proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, d'adopter des mesures nombreuses et ambitieuses qui seront autant d'outils supplémentaires à la disposition des acteurs de terrain, dont il faut saluer le travail et faciliter la mobilisation, afin que le droit au logement puisse devenir une réalité pour tous. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président

M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'objectif premier de la réforme que nous avons engagée, au sein de la loi relative à la lutte contre les exclusions, sur le surendettement est d'apporter une réponse plus adaptée aux situations de détresse des ménages qui ont subi, au cours des dernières années, une dégradation de leur situation sociale et financière consécutive à une baisse de ressources. La séparation d'un couple, la maladie, le décès d'un conjoint et, surtout, le chômage sont autant d'événements qui ont entraîné ce que l'on appelle communément un surendettement passif.
Ce constat, bien connu des commissions de surendettement, diffère, par son ampleur et par sa gravité, de celui qui vous avait été présenté par Mme Véronique Neiertz en 1989. Il s'agissait surtout, à l'époque, de répondre à des situations de surendettement actif provoquées par une véritable explosion du crédit à la consommation. Ce dispositif reposait sur l'étalement dans le temps du paiement des sommes dues. Il n'est plus adapté à l'évolution des dossiers traités par les commissions de surendettement.
Cependant, il faut utiliser l'acquis du dispositif préexistant comme base pour mettre en place la nouvelle procédure de traitement des cas de surendettement les plus dégradés.
J'ai saisi le Conseil national de la consommation. Le 4 décembre 1997, à l'unanimité de ses membres, il a rendu un avis qui inspire le texte que je vous présente.
Trois points me semblent fondamentaux.
Premier point, j'ai souhaité mettre en place un dispositif à double détente, et d'abord un moratoire, qui correspond à une période d'observation durant laquelle les intérêts dus par le débiteur seront plafonnés au taux légal. Ce plafonnement évitera que la suspension de l'exécution des obligations financières du débiteur n'ait pour effet d'aggraver son passif.
A l'issue du moratoire, la commission réexaminera la situation du débiteur. Deux solutions seront alors envisageables.
Si, comme on peut tous le souhaiter, la situation du surendetté s'est améliorée au point de lui permettre de retrouver une capacité de remboursement, la commission pourra élaborer un plan de redressement. Elle rééchelonnera le paiement des dettes dans les conditions habituelles.
Si la situation du débiteur ne s'est pas améliorée, la commission pourra recommander, par une proposition spéciale et motivée, la réduction ou l'effacement des dettes, proposition qui a suscité tant de débats en commission.
Les commissions seront dotées des outils nécessaires pour traiter des cas de surendettement aujourd'hui sans issue. Les ménages concernés pourront ainsi espérer retrouver une perspective de vie.
D'ailleurs, la simple annonce d'un moratoire, voire de l'effacement des dettes, a eu pour conséquence qu'un certain nombre de personnes qui ne se présentaient même plus devant les commissions de surendettement y sont revenues pour exposer leur situation dramatique.
Deuxième point, j'ai souhaité améliorer les garanties données aux surendettés lors de l'examen de leur dossier. En effet, la procédure de traitement du surendettement est faite pour aider nos concitoyens à redresser une situation financière délicate. Ce redressement doit s'effectuer dans des conditions qui respectent leur dignité.
Ainsi, le surendetté pourra être entendu, à sa demande, par la commission. La relation plus personnalisée qui pourra exister entre la commission et le débiteur contribuera à humaniser davantage la procédure et permettra au surendetté qui le souhaite d'exposer, de vive voix, sa demande. Cela ne peut qu'améliorer le traitement des dossiers et valoriser la personne en difficulté, comme l'a dit tout à l'heure Mme Aubry.
Dans le même souci d'information, nous voulons instaurer une procédure d'établissement du passif. Cette procédure permettra au surendetté d'obtenir, de plein droit, la vérification judiciaire de la validité des créances qu'il conteste. Pour que le surendetté, fragilisé par sa situation, ne renonce pas à ce droit de vérification, la commission pourra, même en l'absence de demande du débiteur, saisir le juge de la vérification.
Je n'insisterai pas sur la détresse des ménages menacés par une saisie imminente et qui doivent attendre la prochaine réunion de la commission pour voir leur demande examinée. Ces situations doivent être immédiatement prises en compte. J'ai donc souhaité que le dispositif contienne une procédure de saisine d'urgence du juge.
Enfin, nous souhaitons garantir au surendetté que le plan lui laissera un niveau de ressources suffisant qui ne saurait être inférieur à la quotité insaisissable des rémunérations. La détermination des ressources disponibles, à partir d'un critère objectif résultant de l'application de l'article L. 145-2 du code du travail, permettra aux ménages de faire face aux dépenses incompressibles de la vie courante. C'est une mesure de solidarité, assise sur une référence incontestable, qui assurera de surcroît l'égalité de traitement des situations de surendettement par les cent dix-sept commissions présentes sur l'ensemble du territoire. Nous avons été confrontés à de trop grandes disparités de situations pour ne pas adopter cette mesure.
Le troisième point est relatif aux dettes fiscales, parafiscales ou envers les organismes de sécurité sociale.
Votre commission des lois souhaite revenir au texte initial du Gouvernement et exclure ces dettes du champ des mesures recommandées. Certains parmi vous suggèrent d'inclure les dettes fiscales dans les dossiers étudiés par la commission de surendettement.
Le Gouvernement a certes le souci d'assurer un meilleur traitement des dossiers de surendettement, mais il ne peut pas remettre en cause la différence qui existe aujourd'hui entre l'impôt et l'emprunt. J'espère que nous trouverons une solution satisfaisante au cours du débat.
En effet, des procédures spécifiques permettent à l'administration d'accorder des remises totales ou partielles d'impôts lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer du fait de sa situation de gêne ou d'indigence.
Ainsi, en 1997, près de 560 000 remises gracieuses relatives à l'impôt sur le revenu ou à la taxe d'habitation ont été prononcées, ce qui s'est traduit par plus de 1 milliard de francs de dégrèvement, à la charge du budget de l'Etat. Les études qui ont été menées montrent que les échecs des plans de redressement accordés aux particuliers surendettés ne sont pas imputables à une quelconque intransigeance des administrations concernées. Nous n'avons d'ailleurs relevé que deux anomalies pour cent dix-sept commissions. J'ajouterai que 560 000 remises gracieuses, c'est beaucoup plus que le nombre de dossiers actuellement traités par les commissions de surendettement.
S'il est important de confirmer le particularisme des dettes publiques, il faut assurer de meilleures liaisons avec les commissions. Le travail conjoint de l'Assemblée nationale et du Sénat a permis, au fil des semaines, au fur et à mesure des débats, de renforcer la présence des représentants de l'Etat au sein de ces structures.
Trois dispositions sont prises à cet effet : d'abord, la présence du directeur des services fiscaux au sein des commissions améliore les échanges d'informations sur la situation d'endettement global des personnes en difficulté et leurs capacités financières réelles ; ensuite, une instruction fiscale précisera les modalités de relations entre les commissions et l'administration et rappellera aux services toute l'attention qu'il convient d'apporter à la situation des personnes surendettées et aux plans établis par les commissions. Elle prévoira l'information de la commission sur les décisions prises dans le cadre des procédures fiscales. A ce jour, en effet, il n'existe pas d'échanges entre les commissions de surendettement et les personnes chargées des remises gracieuses. Enfin, nous acceptons bien évidemment l'amendement déposé par la commission des finances qui rappelle que les remises et délais accordés par les services sont pris au vu des décisions de la commission. Une telle disposition figurait déjà, au demeurant, dans un rapport établi par MM. Loridant et Hyest. Ainsi, la loi crée un lien fort entre les deux procédures.
L'information réciproque de la commission et des services fiscaux permettra d'améliorer le traitement des dossiers en évitant deux inconvénients majeurs, et d'abord, une perte d'efficacité, puisque les délais de décision seront plus longs. En 1997, plus de 94 % des décisions gracieuses de l'administration fiscale ont été prises dans un délai de moins de trois mois. Ce délai est inférieur à celui pendant lequel les commissions peuvent préconiser des mesures spécifiques.
Le second inconvénient évité tient à la confidentialité. En effet, la décision concernant les créances publiques doit être prise en fonction de certains éléments, tels que le comportement frauduleux antérieur des contribuables, l'existence de parents solvables tenus à une obligation alimentaire, le partage d'un appartement avec un concubin disposant de ressources suffisantes pour participer aux charges du logement, etc. Il convient donc de laisser à l'administration fiscale le soin de décider de ces remises, parce que ce type d'informations ne peut pas être diffusé.
Enfin, le respect des procédures séparées permettra d'éviter l'écueil constitutionnel qui consisterait à confier le contentieux des délais et remises en matière fiscale au juge civil. Ce point est important, car il pourrait entraîner nombre de recours et de contentieux, alors que notre objectif commun est d'arriver le plus vite possible à régler la situation des personnes les plus surendettées.
Nous avons relevé en outre un problème, tout simple celui-là : si une commission décide un moratoire, par exemple, ou bien un effacement des dettes à l'année N, que ferons-nous à l'année N+1 pour la taxe d'habitation, qui continuera d'être réclamée par la collectivité territoriale ? Nous souhaitons que, même à l'année N+1, voire à l'année N+2, une remise gracieuse de la taxe d'habitation puisse être encore envisageable. En effet, nous savons qu'il faudra du temps aux familles surendettées avant qu'elles retrouvent une situation non pas plus facile peut-être, mais tout au moins supportable.
Les commissions du Sénat saisies de ce texte ont confirmé l'architecture globale du dispositif. Elles ont aussi, à l'issue d'un travail collectif important, adopté de nombreux amendements identiques. Le Gouvernement se ralliera le plus souvent au consensus qui s'est dégagé entre vous à ce stade.
Sur les autres amendements, certaines propositions nous réuniront. Je pense en particulier, en ce qui concerne les dettes fiscales, à la confirmation du traitement spécifique de cet endettement qui permettra de sauvegarder les intérêts des surendettés ; à la disparition du plafonnement au taux légal des mesures recommandées, qui facilitera le travail des commissions et permettra à la phase amiable, inhérente je dirai au dispositif Neiertz, de conserver toute sa place dans la procédure ; à la suppression de la possibilité pour les cautions de bénéficier de la nouvelle procédure sans être insolvables.
Il est bien vrai que, si notre texte s'adresse aux personnes surendettées, nous ne pouvons pas, sous leur couvert, exonérer de leur participation des gens qui, cautionnant un prêt ou un compte bancaire, auraient des revenus très importants. En l'occurrence, nous créerions une nouvelle difficulté car nous créerions une nouvelle inégalité. Il faut traiter de façon identique des situations équivalentes pour que cette nouvelle procédure soit totalement lisible.
S'agissant de la composition de la commission de surendettement, vos commissions proposent deux rédactions différentes. Cette divergence d'appréciation montre bien la difficulté de l'exercice. Il faut regrouper dans la commission toutes les compétences de nature à assurer un traitement de qualité au dossier sans en alourdir la composition. Par ailleurs, il faut veiller à ne pas créer de charge nouvelle pour les collectivités territoriales.
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je souhaite que nous aboutissions à un texte commun satisfaisant ces objectifs.
Il devrait être possible, d'une part, de placer dans la commission un représentant des services sociaux désigné par le président du conseil général - c'est la proposition de la commission des lois - d'autre part, de suivre la commission des finances qui propose d'écarter le représentant du fonds de solidarité pour le logement dont la présence systématique en commission n'est pas forcément opportune. Au cours de la discussion des articles et des différents amendements déposés par les uns et les autres, nous trouverons certainement la bonne solution.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme que je viens vous présenter, qui doit s'inscrire dans la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. Comme l'a dit tout à l'heure Mme Aubry, nous ne supportons pas de voir que, pour des raisons qui nous échappent et sur lesquelles nous n'avons pas de jugement à porter, certains familles ne partagent plus les fruits de la croissance. C'est là un élément clé du volet préventif.
Ce texte apportera une réponse aux situations de détresse que connaissent actuellement certains de nos concitoyens.
Je connais votre engagement pour lutter efficacement contre les risques d'exclusion, et je ne doute pas du soutien que vous apporterez au projet de réforme de la procédure du surendettement que je vous soumets au nom du Gouvernement, dans le cadre de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur de la commission des affaires sociales. (M. Alain Gournac et Mme Nelly Olin applaudissent.) Monsieur le président, mesdames les secrétaires d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui porte sur une des valeurs essentielles de la République puisqu'il a pour but ultime, conformément à l'engagement pris par le Président de la République, de renforcer la cohésion de la communauté nationale autour d'un combat contre tout ce qui peut aggraver la fracture sociale.
Il correspond aussi à une situation particulière puisqu'il est assez rare qu'à environ un an d'intervalle deux majorités successives, dont les vues ne convergent pas toujours, loin de là, choisissent de déposer sur une question aussi essentielle deux projets de loi qui, s'ils ne sont pas des « clones », ont du moins un air de famille.
A l'origine de ce rapprochement des points de vue, se trouve une prise de conscience collective, grâce à l'action infatigable de Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d'ATD quart monde, à laquelle votre commission tient à rendre un légitime hommage, grâce également au travail des associations réunies sous l'égide de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, dans le cadre du collectif Alerte.
Malgré la mise en oeuvre des institutions sociales et médico-sociales, à travers notamment la loi du 30 juin 1975, et malgré la mise en place, en 1988, de cet ultime filet de sécurité que constitue le revenu minimum d'insertion, la grande pauvreté a continué à progresser dans notre pays.
Si l'on se réfère au seuil de pauvreté retenu par les statisticiens, les données les plus récentes font état de 5,5 millions de personnes pauvres, dont l,1 million d'enfants, vivant au sein de 2,4 millions de ménages, soit environ 10 % de la population. Le taux était approximativement le même en 1984, mais cette stabilité est paradoxale puisque, dans le même temps, le revenu national a augmenté d'environ 33 %.
Mais cet indicateur à lui seul est peu révélateur et, comme l'ont montré les travaux de Mme de Gaulle-Anthonioz devant le Conseil économique et social, il importe d'examiner comment évoluent les facteurs de l'exclusion tels que la perte d'un emploi, la dislocation de la famille, l'absence de formation, l'échec scolaire ou l'illettrisme.
Enfin, échappe à toute analyse statistique le fait que, comme nous l'avait fait remarquer M. Bertrand Fragonard, devant le groupe d'études sénatorial en 1996, l'exclusion est à « la croisée des chemins entre la crise économique et l'histoire individuelle des personnes ».
C'est pourquoi il est essentiel, pour percevoir l'ampleur de l'exclusion et les formes nouvelles qu'elle prend, de toujours remettre en question nos préjugés et que les observateurs sachent prendre en compte l'expérience des plus démunis.
Les deux projets de loi, l'un concernant le renforcement de la cohésion sociale de MM. Barrot et Emmanuelli et l'autre relatif à la lutte contre les exclusions sociales de Mme Martine Aubry, procèdent de la même philosophie formulée par Mme de Gaulle-Anthonioz et voulue par le Président de la République. Il s'agit non pas de créer un droit des exclus qui accentuerait les effets de stigmatisation ou la création de ghettos, mais de permettre l'accès de tous aux droits de tous afin de garantir une égalité réelle des chances à tous les citoyens.
Le contenu du projet de loi et les apports de l'Assemblée nationale ont été présentés par Mme Martine Aubry. La commission des affaires sociales a émis plusieurs observations sur ce texte.
Elle a tout d'abord constaté que le nouveau projet de loi bénéficiait largement du travail de concertation en profondeur qui devait déboucher sur le texte présenté en 1997 par MM. Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli.
Le nouveau projet de loi présente, à bien des égards, une « carte génétique » proche de celle de l'ancien : un bon tiers du texte de Mme Martine Aubry s'inspire peu ou prou de celui qui avait été préparé sous l'égide de M. Jacques Barrot.
Il est vrai que le nouveau projet de loi est aussi le fruit de la concertation d'une rare ampleur qui avait conduit le Gouvernement de M. Juppé à saisir toutes les instances officielles compétentes, puis à élargir la consultation aux associations gestionnaires du secteur sanitaire et social ainsi qu'aux associations de lutte contre l'exclusion.
En second lieu, la commission des affaires sociales a constaté que le chiffrage complexe du projet de loi masquait parfois l'ampleur de l'effort demandé aux partenaires de l'Etat.
Le programme d'action du Gouvernement en matière de prévention et de lutte contre les exclusions fait état d'un engagement de 51,4 milliards de francs en coût cumulé d'ici à l'an 2000.
Cette annonce appelle plusieurs remarques.
Tout d'abord, la qualité d'un projet de loi ne se mesure pas seulement à l'aune des crédits annoncés. Il ne faut pas céder au vertige quantitatif, surtout quand on sait qu'il est difficile d'utiliser efficacement les crédits dans le domaine de l'exclusion et que 80 milliards de francs sont consacrés chaque année au financement des minima sociaux.
Ensuite, la commission a été surprise que soit incluse dans les moyens recensés une sorte de provision de 5 milliards de francs pour le financement de la future couverture maladie universelle, dont ont sait aujourd'hui peu de chose sinon qu'elle devra faire l'objet à l'automne d'un projet de loi déposé par le Gouvernement.
Le chiffrage du Gouvernement comprend également une rubrique intitulée « mesures déjà annoncées », représentant un montant cumulé de 15,8 milliards de francs sur trois ans, qui contient des crédits inscrits dans la loi de finances pour 1998 mais dont il est difficile de dire s'ils relèvent à l'origine de la lutte contre les exclusions et étaient inscrits par anticipation ou s'ils ont été mobilisés postérieurement à leur inscription, au profit d'actions de lutte contre l'exclusion figurant dans le programme du 4 mars.
Enfin, la commission a souligné que 8 milliards de francs, au minimum, seraient demandés aux « partenaires » de l'Etat.
En particulier, les collectivités locales sont sollicitées au minimum à hauteur de 3,5 milliards de francs au titre du programme TRACE et des plans locaux pour l'insertion et pour l'emploi, sans toutefois que ne soit clairement évalué le surcoût qui résultera, pour les départements, de l'obligation de cofinancement, à parité avec l'Etat, des fonds départementaux de solidarité pour le logement et des fonds d'aide aux jeunes, ainsi que du coût du différentiel de rémunération des titulaires d'emplois-jeunes ou de contrats emplois consolidés qui restera à la charge des collectivités locales employeurs.
L'effort nouveau de l'Etat représente environ 18 milliards de francs sur trois ans. Comment porter un jugement sur ce montant ?
La commission des affaires sociales n'entend pas céder à son tour au « vertige quantitatif », cette fois pour souligner l'insuffisance des moyens dégagés. Elle suggère que le Gouvernement aille au-delà du chiffrage politique d'un projet de loi et propose une véritable récapitulation des crédits engagés en faveur de l'exclusion dans une acception plus large et moins conjoncturelle dans le cadre, par exemple, d'un « jaune » budgétaire.
En revanche, il semble éclairant pour votre rapporteur de comparer l'enveloppe consacrée à la lutte contre les exclusions à celles qui sont dégagées pour les emplois-jeunes ou par la loi relative à la réduction du temps de travail.
S'agissant de cette dernière, le Gouvernement n'a pas contesté les tentatives d'évaluation faites par la commission des affaires sociales, qui conduisaient à un coût de 200 milliards de francs à 300 milliards de francs sur cinq ans.
S'agissant des emplois-jeunes, une règle de trois permet d'évaluer leur coût, pour le seul exercice 2000, à 28 milliards de francs, dont 5,5 milliards de francs seraient « recyclés » au profit de la lutte contre l'exclusion.
Entre les emplois-jeunes, qui volontairement, à l'origine, n'ont pas été ciblés sur des publics en difficulté, et la réduction du temps de travail, la population des exclus apparaît parfois comme le « parent pauvre » des choix budgétaires.
La commission a regretté, par ailleurs, que ce projet de loi procède parfois d'une philosophie éloignée de l'esprit de la décentralisation. Deux dispositifs qui sont aujourd'hui cofinancés à parité par l'Etat et par le département et qui sont gérés, de manière conjointe, avec une souplesse qui permet une adaptation aux circonstances locales, font l'objet d'une sorte de « mobilisation » par l'Etat.
Il s'agit, en premier lieu, des fonds d'aide aux jeunes créés par la loi du 1er décembre 1988 relative au RMI et destinés à accorder des aides financières directes aux jeunes de 18 ans à 25 ans en difficulté ainsi qu'à assurer des mesures d'accompagnement. Dans le cadre du programme TRACE, le Gouvernement a prévu un abondement de 330 millions de francs en cumulé de 1998 à 2000, montant qui devra être suivi à parité par les départements. L'objectif est d'assurer le versement d'une rémunération aux jeunes en difficulté financière, entrés dans le programme TRACE, lorsqu'ils ne seront pas dans le cadre d'un contrat aidé ou d'une formation rémunérée. Toutefois, un amendement introduit par l'Assemblée nationale a transformé ce qui était une faculté laissée à l'appréciation des gestionnaires du TRACE en un véritable « droit à allocation » pour les jeunes concernés, au risque d'une dérive vers un « RMI jeunes ».
Concernant les fonds de solidarité pour le logement, le projet de loi initial a sensiblement précisé leurs modalités de fonctionnement et l'Assemblée nationale a durci le dispositif en prévoyant que les conditions d'intervention des FSL seraient prévues dans un décret : les départements n'auraient donc plus aucune marge de manoeuvre dans la gestion du dispositif...
M. Alain Gournac. Ce n'est pas normal !
M. Bernard Seillier, rapporteur. ... et l'on peut s'interroger sur la compatibilité de cette disposition avec l'obligation de financement imposée aux départements.
MM. Charles Descours et Alain Gournac. Tout à fait !
M. Bernard Seillier, rapporteur. S'agissant des attributions de logements sociaux, la commission a remarqué que les préfets exerçaient une véritable emprise sur les conférences intercommunales du logement chargées de répartir entre les communes concernées les objectifs d'accueil des personnes défavorisées dans les organismes d'HLM.
Ils définissent, sans recours possible, les contours d'un bassin d'habitat autour des communes dotées d'une zone urbaine sensible ou dotées de plus de 20 % de logements sociaux. Les engagements pris par les communes de la conférence dans une charte intercommunale n'entrent pas en vigueur s'ils ne sont pas agréés par le préfet qui, en outre, peut demander, sans limitation, des modifications de la charte. La seule mesure positive, à savoir l'obligation d'une ratification de la charte par les communes concernées, a été supprimée par l'Assemblée nationale.
De fait, les conférences intercommunales deviennent une circonscription d'action territoriale pour mettre en oeuvre les accords passés au niveau départemental par les préfets avec les organismes d'HLM ; elles ne sont pas conçues comme un moyen d'associer les maires à la politique d'attribution des logements sociaux sur leur territoire.
Votre commission a constaté que faute d'une réflexion sur l'amélioration de la configuration des compétences au niveau de l'action sociale locale, le projet de loi complique encore le paysage institutionnel en créant de nouvelles instances qui se superposent à celles qui existent déjà. Tel est le cas du conseil départemental pour l'insertion par l'activité économique, dont les frontières d'action sont incertaines par rapport au conseil départemental de l'insertion chargé de préparer le programme d'insertion départemental au titre du RMI.
Au cours du débat à l'Assemblée nationale, trois nouvelles structures sont apparues pour s'efforcer de coordonner la complexité de la situation sans que l'on soit totalement convaincu de l'efficacité de ces nouveaux mécanismes.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Le projet de loi de MM. Barrot et Emmanuelli s'était efforcé d'unifier diverses instances dans une structure unique coprésidée par le préfet et le président du conseil général, mais le principe de la coprésidence ne permettait pas de résoudre la question de la répartition des compétences entre les différents partenaires et pourrait, dans certains cas, ouvrir la porte à une certaine confusion.
Il devient nécessaire de procéder à une remise à plat des compétences sur le terrain afin de redéfinir des structures d'action plus simples, faute de quoi la multiplication des comités et des organismes apparaît souvent comme une fuite en avant pour masquer des dysfonctionnements.
Votre commission des affaires sociales a relevé que les articles du projet de loi se résumaient souvent à des affirmations de portée symbolique. Ainsi, en matière d'accès aux soins, le projet de loi se contente d'inscrire, dans le code de la santé, la mission sociale de l'hôpital et de proclamer que les objectifs de la lutte contre l'exclusion seront pris en compte dans les programmes de santé publique de l'Etat, des collectivités territoriales ou de la sécurité sociale. De telles affirmations symboliques n'ont pas empêché le Gouvernement de réduire de plus d'un tiers les crédits du budget de la santé destinés aux exclus en 1998.
M. Alain Gournac. Boum !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Ce faisant, le Gouvernement feint d'ignorer que, si les inégalités d'accès aux soins se sont aggravées depuis près de vingt ans, c'est en grande partie parce que, jusqu'au plan Juppé, bien des gouvernements ont préféré limiter le taux de prise en charge des soins par l'assurance maladie que d'entreprendre une réforme en profondeur de notre système de soins. (M. Gournac applaudit.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Ainsi, loin d'amortir l'impact des chocs économiques, notre système de protection sociale les a plutôt aggravés.
Il est dès lors à craindre que l'effet des mesures symboliques proposées par le Gouvernement en faveur de l'accès aux soins des exclus soit massivement contrebalancé par l'attentisme du Gouvernement en matière d'assurance maladie.
Enfin, la commission a regretté que le texte marque trop souvent une défiance à l'égard des acteurs de l'économie et de la société civile.
Tout d'abord, le projet de loi privilégie l'insertion dans le secteur non marchand au détriment des actions d'insertion par l'entreprise.
Il aggrave ainsi la rupture entre l'insertion et la production alors que l'entreprise est le lieu le plus efficace pour se familiariser avec le monde du travail.
M. Alain Gournac. Très juste !
M. Bernard Seillier, rapporteur. En matière de logement, la taxe sur les logements vacants semble négliger le fait qu'en réalité la vacance dans le secteur privé est largement due à des raisons indépendantes de la volonté des propriétaires...
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Bernard Seillier, rapporteur. ... soit parce qu'une succession n'est pas achevée, soit parce qu'il s'agit d'une période de transition entre deux locataires différents, soit parce que le logement, pour être loué, nécessiterait des travaux dont le coût excède les ressources de son possesseur.
Ce projet de loi témoigne, enfin, d'une certaine défiance du Gouvernement à l'égard des familles.
La réforme de l'aide à la scolarité de 1994 visait justement à simplifier les formalités imposées aux familles et à renforcer leur autonomie. L'aide à la scolarité est en effet versée directement aux familles par les caisses d'allocations familiales, en une seule fois à la rentrée scolaire et en même temps que l'allocation de rentrée scolaire. Il s'agit donc d'un système souple, qui laisse les familles maîtresses de leur propre choix, mais qui les place également devant leurs responsabilités.
En proposant de rétablir un système de bourse des collèges, le Gouvernement privilégie donc un dispositif d'assistance aux familles, celles-ci perdant largement la maîtrise de l'aide, alors que des enquêtes montrent que les sommes versées au titre de l'allocation de rentrée scolaire et de l'aide à la scolarité avaient été, à concurrence de 86 %, affectées par les familles à des dépenses directement liées à la scolarisation de leurs enfants.
En dehors des dispositions relatives au surendettement, aux saisies immobilières, aux réquisitions et à la prévention des expulsions, qui seront examinées plus particulièrement par la commission des lois et la commission des finances, la commission des affaires sociales a souhaité infléchir ce texte dans trois directions.
Elle a estimé qu'il était nécessaire de favoriser résolument le retour à l'emploi dans le secteur marchand des titulaires de minima sociaux.
La commission a introduit deux nouveaux dispositifs pour inciter, dans un contexte favorable de reprise économique, à la réinsertion des exclus en entreprise.
Elle a prévu la faculté pour tout bénéficiaire du RMI depuis plus de deux ans de signer un contrat initiative-emploi à mi-temps avec une entreprise dans le cadre d'une convention de revenu minimum d'activité lui permettant de conserver environ la moitié du RMI pendant deux ans en plus de sa rémunération.
Elle a institué une exonération générale de charges sociales pendant cinq ans pour toute personne titulaire d'un minimum social depuis plus de deux ans lorsqu'elle est embauchée par une entreprise.
Elle a souhaité ensuite privilégier une gestion souple et décentralisée des dispositifs de prévention des exclusions.
La commission a réaffirmé que la gestion des fonds cofinancés par l'Etat et les départements en faveur de l'aide aux jeunes en difficulté ou de l'accès et du maintien dans un logement dans le cadre du FSL devait être assurée au niveau local, au plus près des intéressés.
Divers aménagements ont été apportés à la procédure d'attribution des logements sociaux afin que les engagements entre le préfet, les organismes d'HLM et les communes en matière d'accès des plus démunis aux logements HLM soient pris dans un esprit de concertation qui est le seul garant d'une application efficace sur le terrain.
La commission a, en outre, préféré les mesures incitatives aux dispositifs de contrainte ou de taxation. Elle a supprimé la taxe sur les logements vacants au profit d'une déduction fiscale des primes d'assurance pour garantie d'impayés de loyers et d'une simplification des déclarations de revenus fonciers réservée aux logements mis en location après deux ans de vacance.
Enfin, elle a voulu donner un véritable contenu au volet santé du projet de loi.
La commission a tenu à inscrire dans le projet de loi l'entrée en vigueur, dès le 1er janvier 1999, de la couverture maladie universelle.
Au-delà, pour conclure, je souhaiterais rappeler quelques principes qui doivent rester au centre de nos débats.
L'action du législateur est forcément limitée sur un sujet aussi essentiel, dès lors qu'on ne peut s'assurer, au préalable, du respect des fondements de l'humanisme qui est au coeur de notre démarche.
Quelles conséquences allons-nous tirer les uns et les autres de notre consensus réaffirmé autour d'un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains ?
Pouvons-nous faire l'impasse sur la nécessité d'une norme éthique pour régler les relations humaines, au-delà des questions purement matérielles ? L'affirmation solennelle des droits de l'homme suggère-t-elle avec suffisamment d'évidence qu'il n'y a pas de meilleure garantie du respect des droits de chacun que l'accomplissement du devoir de tous ?
La loi peut être à la société ce que la raison individuelle est à la personne, à la condition que l'une comme l'autre soient vivantes et assujetties à une dynamique de perfectionnement.
Face à un texte technique, l'essentiel risque d'être absent si l'on ne met pas en oeuvre une dynamique interne qui, au-delà de la proclamation d'une fraternité abstraite, sache lui donner un contenu quotidien.
Ce projet de loi, comme celui qui était présenté en 1997, comme la loi instaurant le RMI ou la loi du 30 juin 1975, exprime notre volonté commune de rechercher la cohésion sociale pour le bien qu'elle représente en elle-même, en nous faisant acquiescer à cette idée que nous sommes, les uns et les autres, membres d'une même famille humaine.
Mais une étape supplémentaire essentielle restera à franchir, qui ne pourra résulter d'aucune contrainte : entretenir le sentiment d'être coresponsables les uns des autres.
Pour éradiquer la grande pauvreté et assurer la prévention des exclusions, nous devons trouver, au-delà de l'aide et de l'assistance, une méthode qui fasse des intéressés eux-mêmes des partenaires dans la lutte contre les exclusions et qui s'inscrive dans la durée suivant une dynamique de progrès.
La notion d'assistance ne saurait être combattue en elle-même. Elle est une expression éminente de la solidarité dès lors qu'elle repose sur la participation de l'intéressé à sa propre promotion sans le maintenir dans un état de passivité contraire aux exigences de sa dignité.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Bernard Seillier, rapporteur. L'assistance ne devient négative que si elle n'implique pas de contrepartie de la part du bénéficiaire.
Or la participation de l'intéressé à une démarche de réinsertion ne peut naître et se développer qu'à l'occasion d'une relation personnelle. C'est pourquoi la commission des affaires sociales a accordé sa confiance au moyen de l'accompagnement personnalisé, parce qu'il repose sur un partenariat exigeant entre deux personnes.
La première cause de l'exclusion, c'est l'abandon de l'autre, la rupture de tout lien humain avec autrui, la fragilité des communautés naturelles. L'inspiration la plus féconde de ce texte comme du précédent est d'ouvrir la voie à une démarche collective et progressive, aménageant, sans confusion des rôles, la participation de tous à la construction de notre avenir commun.
C'est cette attitude qui doit rester présente à notre esprit au cours de tous nos débats si nous voulons non pas seulement voter une loi qui s'ajouterait aux autres, mais surtout semer le ferment d'une nouvelle dynamique de lutte contre les exclusions et la grande pauvreté. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Richert, rapporteur pour avis.
M. Philippe Richert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis consacre près de deux tiers de ses dispositions à l'emploi et au logement. Mais il comporte également, au sein de son titre II, un chapitre relatif au droit à l'égalité des chances par l'éducation et la culture, et je ne peux que m'en féliciter.
La commission des affaires culturelles était donc, à ce titre, fondée à émettre un avis sur ces dispositions.
L'exclusion culturelle et scolaire est à la source de l'exclusion sociale.
Sortir sans qualification du système éducatif conduit aujourd'hui, dans bien des cas, à l'échec : l'absence de formation mène souvent les jeunes au chômage et l'absence d'emploi compromet leur intégration dans la société et les relègue dans une situation structurelle d'assistés. Voilà une spirale bien connue que nous devons combattre.
Par ailleurs, l'exclusion culturelle condamne ceux qui en sont victimes à perdre leurs repères sociaux, accroissant ainsi leur solitude et leur sentiment d'isolement. L'enracinement dans une culture commune est nécessaire pour se situer par rapport aux autres. En être privé contribue, à l'inverse, à dissoudre le lien avec la nation.
Il était donc souhaitable et nécessaire que des dispositions relatives à la culture et à l'éducation figurent dans un projet de loi destiné à lutter contre l'exclusion.
Néanmoins, en dépit des objectifs ambitieux affichés par le programme de prévention et de lutte contre les exclusions, et repris dans l'exposé des motifs du projet de loi, force est de constater que les dispositions du texte sont, en ce domaine, quelque peu décevantes.
En effet, sur les cinq articles du chapitre V figurant dans le texte initial du projet de loi, au moins trois relèvent du « droit à l'état gazeux », selon l'expression plaisante du Conseil d'Etat.
Nous sommes là plus dans le domaine du discours politique que dans celui de la norme législative.
J'aborderai en premier lieu les dispositions relatives au volet culturel du projet de loi. Le sujet est mince.
En effet, le chapitre V ne comporte que deux articles concernant l'accès à la culture : le premier proclame que l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un « objectif national » ; le second ouvre la possibilité de moduler les tarifs des services publics administratifs facultatifs en fonction du quotient familial de leurs usagers.
Aucune de ces deux dispositions ne peut être considérée comme malvenue, et la commission des affaires culturelles a donné un avis favorable à leur adoption, sous réserve de quelques modifications sur lesquelles je reviendrai.
L'inscription dans le projet de loi du principe d'égal accès à la culture et aux loisirs revêt, à l'évidence, un caractère symbolique. Ce principe figure dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et a été repris dans nombre de textes législatifs. A l'évidence, il ne s'agit pas là d'une innovation à proprement parler.
En effet, la démocratisation des pratiques sportives et culturelles, dont l'idée est née sous le Front populaire et dans la Résistance, a constitué un objectif constant des politiques conduites depuis la Libération par l'Etat, puis par les collectivités territoriales. L'action de ces dernières a été appelée à se développer considérablement au cours des dernières décennies.
Je rappellerai en effet qu'aujourd'hui les dépenses engagées par les collectivités territoriales représentent près de la moitié du financement public de la culture.
La généralisation des phénomènes d'exclusion comme les difficultés rencontrées dans les zones périphériques des centres urbains ont souligné avec une acuité nouvelle la dimension sociale de la politique culturelle.
Recréant des liens sociaux distendus, les pratiques sportives et culturelles permettent aux personnes en difficulté de reconquérir un statut et une dignité.
De plus, il importe d'éviter que l'exclusion économique ne se double de l'exclusion culturelle, dont le champ dépasse souvent celui de l'exclusion proprement économique. Je vous rappellerai que 40 % des Français ne partent pas en vacances, ce qui prive de cette forme de loisirs une population bien plus large que celle des personnes répertoriées comme rencontrant des difficultés d'existence. Ce constat vaut également pour les pratiques culturelles dont ne sont pas seulement écartés les victimes d'exclusion ou les habitants des quartiers sensibles.
Ces constats ont déjà été faits, et l'Etat comme les collectivités territoriales ont déjà tenté d'y apporter des solutions.
La démocratisation des pratiques culturelles et sportives a été poursuivie, notamment grâce à des politiques tarifaires adaptées.
Par ailleurs, l'action culturelle, au sens large du terme, a été utilisée comme un moyen d'insertion sociale.
Les mesures annoncées par le Gouvernement pour réaliser « l'objectif national d'accès à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs », qui ne figurent que très partiellement dans le projet de loi, ne sont guère novatrices.
Celles qui ont été prises au titre de la généralisation de la culture visent essentiellement à développer, notamment grâce aux possibilités de recrutement offertes par la loi sur les emplois-jeunes, des actions d'insertion axées sur la pratique culturelle. Elles ne méritent guère de longs développements.
En revanche, je dirai quelques mots d'une mesure qui me semble plus significative, à défaut d'être novatrice : l'article 74 précise que les établissements culturels financés par l'Etat s'engagent à lutter contre l'exclusion.
Cette disposition, dont je vous proposerai une formulation plus explicite, généralise les initiatives prises d'ores et déjà en ce sens. Elle me semble légitime s'agissant de structures financées dans leur quasi-totalité par des fonds publics.
J'émettrai néanmoins le souhait que cette obligation se traduise non pas seulement par des modulations tarifaires, mais également par des actions plus volontaristes à destination du public défavorisé. Cela nécessite de vaincre de nombreux a priori, qu'il s'agisse de ceux des institutions culturelles ou de ceux du public. Par ailleurs, il faudra que les actions entreprises fassent l'objet d'une évaluation rigoureuse afin que l'Etat tire toutes les conséquences de cette disposition lors de l'attribution des subventions.
En ce qui concerne l'accès aux loisirs et à la pratique sportive, les mesures annoncées apparaissent pour la plupart comme la poursuite ou le développement d'actions déjà anciennes.
Si je ne peux qu'être favorable à de telles dispositions, je regrette que ni le Gouvernement ni l'Assemblée nationale n'aient souligné le rôle fondamental que doit jouer l'école dans la démocratisation de l'accès à la culture. En ce domaine, c'est par l'école - et non par d'autres moyens, qui ne peuvent qu'être supplétifs - que doit être assurée l'égalité des chances.
Elle constitue sans aucun doute le moyen le plus efficace pour lutter contre la transmission, de génération en génération, des phénomènes d'exclusion. Ce n'est souvent que grâce à l'école que de nombreux enfants auront la chance d'aller un jour à l'opéra ou au théâtre. A ce titre, je proposerai de préciser que l'accès à la culture doit être égal pour tous et de réaffirmer le rôle de l'école dans la lutte contre l'exclusion, notamment grâce au développement des enseignements artistiques dispensés dans les établissements scolaires.
J'évoquerai, enfin, la seconde mesure concernant la culture. Elle figure à l'article 78 du projet de loi. Cet article autorise la modulation, en fonction du quotient familial, des tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif.
Il s'agit de la traduction dans la loi d'une juriprudence récente du Conseil d'Etat, qui a reconnu la possibilité d'appliquer pour les écoles de musiques municipales une fixation des tarifs en fonction des revenus des usagers. Une telle modulation n'était jusque-là acceptée que pour les services publics administratifs facultatifs à vocation sociale comme les crèches, les cantines scolaires ou les centres de loisirs.
Une telle disposition dans la loi me paraît à la fois légitime et opportune.
En second lieu, j'évoquerai les deux séries de dispositions du projet qui concernent le droit à l'éducation. L'une est de nature déclarative et tend à consacrer le principe de discrimination positive. L'autre, plus technique, vise à rétablir les bourses de collège.
Je rappellerai d'abord que l'école est évidemment appelée à jouer un rôle essentiel dans la lutte contre l'exclusion ; je le disais tout à l'heure, et on ne le souligne pas suffisamment.
Comme vous le savez, pour assurer le droit à l'éducation, qui est défini par l'article 1er de la loi du 11 juillet 1975, le système éducatif est passé d'une conception initiale de l'égalité à une notion d'équité, qui est fondée sur le principe de discrimination positive, celle-ci bénéficiant d'abord aux élèves issus de milieux défavorisés.
C'est là toute la philosophie des zones d'éducation prioritaires, les ZEP, qui ont été mises en place par voie de circulaires à partir de 1982.
Ce dispositif s'est développé de manière considérable, puisque les quelque 560 ZEP aujourd'hui recensées scolarisent près de 10 % des effectifs scolaires et concernent plus de 75 000 enseignants.
Quel bilan peut-on faire de quinze années de pratique discriminatoire ? Force est de reconnaître que celui-ci est pour le moins contrasté : si les ZEP ont permis d'améliorer les performances scolaires des élèves, de réduire les retards scolaires et la fréquence des orientations subies vers les filières de relégation, il faut aussi noter que le niveau de connaissance des élèves de ZEP reste très inférieur à la moyenne nationale, notamment quant à la maîtrise des matières fondamentales.
Il faut, hélas ! constater, compte tenu de la dégradation régulière de l'environnement social de ces zones, que les efforts entrepris depuis le début des années quatre-vingt n'ont permis, au mieux, que de maintenir le niveau moyen de leurs élèves.
Je remarquerai que cette politique de discrimination positive a eu aussi pour conséquence de stigmatiser et d'accroître l'isolement des élèves et des établissements situés en ZEP : la situation constatée en Seine-Saint-Denis en porte témoignage.
Tenant compte de ce bilan contrasté, le Gouvernement a décidé de relancer la politique des ZEP : il l'a fait en affectant prioritairement cette année des moyens budgétaires importants dans ces zones - emplois-jeunes, infirmières, assistantes sociales - et en adoptant un plan de relance orienté autour d'objectifs ciblés : reconnaissance du métier d'enseignant en ZEP, constitution de réseaux d'éducation prioritaire, révision de la carte des ZEP.
La commission des affaires culturelles ne peut donc que se féliciter d'une telle relance, car elle a pu constater, lors d'un déplacement récent dans un collège de Chanteloup-les-Vignes, le bien-fondé du système discriminatoire.
Elle a émis en revanche des réserves sur la formulation trop générale de l'article 75 du projet de loi, qui pourrait laisser entendre que les seuls élèves issus des ZEP bénéficieraient de cette discrimination positive, alors que les élèves en difficulté se rencontrent aussi sur l'ensemble du territoire.
Le chapitre V du projet de loi comporte ensuite deux articles 76 et 77 qui tendent à rétablir, en le simplifiant, le système des bourses de collège.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la réforme de 1994 instituant l'aide à la scolarité, gérée par les caisses d'allocations familiales, avait d'abord pour objet de remédier à la complexité et à la lourdeur du régime antérieur, ainsi qu'à un coût de gestion effectivement disproportionné par rapport au faible montant des bourses servies : environ 350 francs pour une famille disposant d'un revenu de moins de 47 000 francs par an. Elle devait permettre aussi de revaloriser, dans une certaine mesure, l'enveloppe globale consacrée à cette aide.
En fait, cette réforme, qui était fondée sur d'excellents arguments, a révélé de graves inconvénients dans son application : les familles habituées à recevoir une bourse de collège en trois versements trimestriels ont perçu une aide unique en début d'année scolaire - pour certaines d'entre elles, en même temps que l'allocation de rentrée scolaire - et, faute d'information, elles ont parfois utilisé la totalité de ces prestations et se sont trouvées ultérieurement dans l'impossibilité d'acquitter les frais de demi-pension. Les impayés se sont donc multipliés, et certaines familles ont été conduites à retirer leurs enfants des cantines scolaires.
J'ajouterai que les effets de champ de la réforme, résultant du passage d'une condition d'inscription au collège pour les bourses à un critère d'âge pour l'aide à la scolarité, ont conduit à écarter plus de 90 000 élèves du bénéfice de l'aide : 6 000 collégiens de moins de onze ans, 56 000 collégiens de plus de seize ans et de 30 000 à 40 000 collégiens enfants uniques dont les familles n'ont pas droit aux prestations familiales.
La réforme de 1994 a eu également pour effet de réduire l'aide accordée à 80 000 boursiers scolarisés dans les classes technologiques, dans les sections d'éducation spécialisée, les SES et en cycles d'insertion professionnelle par alternance, alors que la proportion de boursiers dans ces filières est de 50 %.
Je soulignerai ensuite la faiblesse des plafonds de ressources et le montant dérisoire de l'aide : si la réforme de 1994 a permis de les revaloriser dans une faible mesure, il reste que les ressources d'une famille d'un enfant ne doivent pas dépasser 47 000 francs par an pour que celle-ci puisse percevoir l'aide minimale, soit 346 francs par an, ou 25 000 francs par an pour l'aide maximale de 1 108 francs.
Un constat s'impose donc : l'aide à la scolarité est aujourd'hui réservée en fait aux enfants des familles dépendant des minima sociaux ou relevant de l'assistance.
Je rappellerai par ailleurs que des expédients provisoires, comme l'allocation exceptionnelle instaurée pour l'année scolaire 1994-1995, ou permanents, comme le fonds social collégien ou le fonds social pour les cantines, ont été mis en place pour remédier aux inconvénients de la réforme de 1994 et remédier notamment à ses effets de champ.
La commission des affaires culturelles constate en ce domaine l'accroissement, le développement rapide du nombre des interventions de ces fonds sociaux ; elle estime qu'il conviendrait de réserver le bénéfice de ces fonds aux situations les plus urgentes, au lieu d'encourager les familles à demander des aides exceptionnelles et de développer à l'excès l'assistanat.
Les crédits affectés à ces fonds sociaux représentent aujourd'hui plus de la moitié des 850 millions de francs dévolus à l'aide à la scolarité, qui constitue, elle, un droit fondé sur des conditions objectives de ressources.
La commission ne peut que s'inquiéter d'une dérive d'un système créé, à l'origine, pour les élèves défavorisés et méritants et qui bénéficie aujourd'hui quasi exclusivement aux familles relevant de l'assistance.
A tout le moins, une forte revalorisation du montant et du plafond de ressources des bourses apparaît indispensable, mais celle-ci relève du seul Gouvernement.
S'agissant des conséquences de la mise en place de l'aide à la scolarité sur la fréquentation des cantines scolaires, il a été fait état d'une réduction de 75 000 demi-pensionnaires entre 1993 et 1995, notamment dans les ZEP et les collèges sensibles, où le taux de demi-pension n'est respectivement que de 36 % et de 22 %, contre 60 % pour l'ensemble des collèges.
Certes, les inspections générales de l'éducation nationale avaient déjà observé une baisse de la fréquentation des cantines avant 1994 ; elles ont cependant conclu que la réforme des bourses avaient incontestablement accentué ce mouvement dans de nombreuses académies, et pas seulement dans les établissements sensibles.
Je signalerai, à cet égard, que le fonds social pour les cantines a profité à 25 000 nouveaux demi-pensionnaires en février 1998 et qu'il devrait, à terme, en concerner 100 000.
Comme nous l'a indiqué tout à l'heure son excellent rapporteur, la commission des affaires sociales a décidé de maintenir l'aide à la scolarité en l'étendant aux élèves de plus de seize ans encore inscrits au collège, mais paradoxalement pas aux rares jeunes collégiens de moins de onze ans qui sont en avance dans leur scolarité, et en prévoyant un versement périodique.
Pour sa part, la commission des affaires culturelles a pris acte de l'avis unanime émis par les organisations représentées au Conseil supérieur de l'éducation quant au rétablissement d'un système de bourses de collège géré par l'éducation nationale ; elle se prononce donc favorablement sur les propositions du Gouvernement.
En conclusion, la commission des affaires culturelles vous proposera quelques aménagements qui tendent, notamment : à répartir les moyens de l'éducation nationale, en distinguant, d'une part, l'aide globale apportée aux établissements situés en zone difficile et, d'autre part, l'aide individualisée accordée aux élèves en difficulté ; à modifier l'organisation du service des enseignants afin de leur permettre d'apporter une aide personnalisée aux élèves en difficulté ; enfin, à consacrer et à permettre le développement du rôle des enseignants dans le domaine de la formation permanente et de l'insertion professionnelle des jeunes.
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles s'est déclarée favorable à l'adoption des dispositions du chapitre V du titre II du projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Braun, rapporteur pour avis.
M. Gérard Braun, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions s'inscrit, comme le projet de loi d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale dont la précédente majorité avait commencé l'examen en mars 1997, dans la droite ligne des engagements de M. le Président de la République s'agissant de la réduction de la fracture sociale.
La commission des affaires économiques, pour la partie des dispositions relatives au logement qu'elle a examinée, a eu à coeur de travailler dans le même état d'esprit, considérant que la lutte contre l'exclusion sociale constituant, en effet, une priorité nationale.
Pour replacer le volet logement de ce projet de loi dans son contexte, on peut rappeler que, selon les dernières statistiques - vous les avez évoquées madame la ministre -, 200 000 personnes ne disposent d'aucun logement 470 000 sont logées en meublés ou en chambres d'hôtel et 1 576 000 sont mal logées.
Malgré les effets indéniablement positifs des plans d'urgence instaurés par M. Pierre-André Périssol en juillet 1995 sur l'offre quantitative des capacités de logements d'urgence, force est de constater que le problème de la sortie des dispositifs d'urgence pour accéder à un logement autonome n'a pas été résolu.
C'est pourquoi l'une des ambitions du projet de loi soumis à votre examen est de donner la priorité à un logement durable et adapté, y compris pour les personnes défavorisées. Celles-ci sont en effet en situation de précarité accrue en raison de l'augmentation du chômage, du développement des formes de travail précaires et de l'affaiblissement des liens sociaux et familiaux.
Elles sont aussi, en matière de logement, victimes des effets « pervers » de l'évolution de l'offre de logements, comme le rappelle très justement le professeur Michel Mouillard.
Ainsi, l'insuffisance de la construction, en contrariant la satisfaction de l'ensemble des besoins en logements, a, depuis le milieu des années soixante-dix, facilité l'éviction des ménages les plus fragiles de l'accès normal à un logement, d'autant plus que, globalement, l'élargissement de l'offre « adaptée » a été limitée.
En outre, les transformations de l'offre existante, à savoir la contraction des capacités d'accueil du parc des logements déqualifiés et l'amélioration de la qualité du parc locatif public et privé ont renforcé les difficultés de maintien dans un logement des catégories de ménages les moins favorisés. Il est certain que le désengagement des propriétaires-bailleurs est aussi largement à l'origine de la forte contraction du parc « social de fait », et ce désengagement est dû aux difficultés que ces propriétaires-bailleurs ont rencontrées pour mettre en valeur leur patrimoine.
Les ménages les plus défavorisés, dont le nombre n'a cessé de croître, sont ainsi confrontés à une offre locative privée ou sociale de meilleure qualité, mais plus chère et plus sélective. S'agissant du parc social, il faut préciser néanmoins que ses capacités d'accueil vis-à-vis des ménages les plus fragiles ont été nettement accrues en valeur absolue.
Parmi l'ensemble des mesures du projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions consacrées au logement, il s'est agi pour la commission des affaires économiques, compte tenu des compétences de la commission des affaires sociales et des saisines des commissions des lois et des finances, d'examiner trois séries de dispositions.
Premièrement, toute une série de mesures tendent à garantir le droit au logement, en apportant un certain nombre de correctifs à la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement. La commission des affaires économiques les a examinées positivement, tout particulièrement celles qui ont pour objet de mieux cadrer les interventions des fonds de solidarité pour le logement.
Il nous est apparu important que les dispositions concrètes d'harmonisation des procédures et des règles d'attribution soient introduites dans la loi, notamment sur les droits des sous-locataires ainsi que sur les critères d'intervention du fonds de solidarité pour le logement.
Le projet de loi concourt également à la reconnaissance du rôle du secteur associatif afin de mieux prendre en compte sa fonction de gestion locative ou de médiation entre les bailleurs et les locataires. Sur ce point, nous formulerons une proposition pour aller plus loin dans la définition de la médiation locative.
Deuxièmement, le projet de loi réforme la procédure d'attribution de logements HLM, notamment pour améliorer l'accueil des personnes défavorisées dans le parc social, tout en respectant le principe de mixité sociale.
Le projet de loi reprend et rend obligatoires un certain nombre de dispositions existantes ou prévues par le projet de loi d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale, en se plaçant dans un cadre intercommunal à travers l'instauration d'une conférence intercommunale du logement dans chaque bassin d'habitat comprenant des zones urbaines sensibles ou un nombre de logements sociaux important. Cette conférence élabore une charte intercommunale du logement définissant des objectifs quantifiés d'accueil des personnes défavorisées, répartis sur le bassin d'habitat.
Sur ce sujet, la commission soutient l'option de l'intercommunalité, mais elle n'a pas suivi l'Assemblée nationale à propos de la définition des bassins d'habitat dans lesquels la constitution d'une conférence intercommunale est obligatoire.
Le projet de loi donne une base légale aux accords nationaux conclus en décembre dernier entre l'Etat et les organismes d'HLM, mettant ainsi l'accent sur l'engagement contractuel des parties sur des objectifs quantifiés de logements des personnes défavorisées.
L'Etat n'est pas gestionnaire du régime des attributions, mais il est garant du respect des lois et règlements pris dans ce domaine. A ce titre, ses moyens d'intervention ont été renforcés, notamment à l'encontre des organismes d'HLM refusant de s'engager sur des objectifs quantifiés ou ne respectant pas leurs engagements.
Pour favoriser la transparence des attributions, chaque demande de logement social fait l'objet d'un enregistrement départemental unique, qui est obligatoirement communiqué dans le délai d'un mois. A ce sujet, la commission vous proposera un amendement afin de tenir compte des résultats ou des observations de l'expérimentation décidée par l'accord national signé par les bailleurs sociaux.
Par ailleurs, en ce qui concerne la commission de médiation, qui peut être saisie lorsque les délais d'examen d'une demande sont anormalement longs, notre souhait serait de lui donner plus de consistance sans vouloir en faire une instance de recours.
Enfin, le troisième axe du projet de loi vise à mobiliser et à accroître l'offre de logements, notamment à travers l'instauration d'une taxe sur la vacance.
Partant du constat que, dans les grandes agglomérations, plus particulièrement en région parisienne, il existe, d'une part, une population croissante qui éprouve des difficultés à se loger et, d'autre part, un nombre important de logements vacants, le Gouvernement instaure une nouvelle contribution sur certains logements laissés délibérément vacants en dépit de la demande locative.
La commission des affaires économiques a longuement débattu de ce dispositif, auquel elle a parfois songé à l'occasion de débats sur la désertification des bourgs-centres en milieu rural. Mais elle a majoritairement considéré que ce dispositif inopérant et coûteux administrativement devait être rejeté compte tenu de ses effets psychologiques très négatifs.
La taxe remplit en principe une fonction dissuasive avant d'être répressive, ce qui relève plus de la théorie de la dissuasion nucléaire que d'une démonstration économique rationnelle. En définitive, il s'agit essentiellement d'un effet d'annonce !
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Gérard Braun, rapporteur pour avis. Mais est-il raisonnable de traiter ainsi un secteur économique fragile qui, pour se développer, a besoin d'un environnement législatif et réglementaire stable sur le long terme ?
M. Jean Chérioux. Très juste !
M. Gérard Braun, rapporteur pour avis. Il faut souligner, à ce propos, que le nombre de logements vacants a peu évolué - 2,15 millions d'unités en 1998 contre 2,2 millions d'unités en 1976 - et que le taux de vacance depuis vingt ans varie de 7,5 % à 8 % du parc total.
S'agissant plus particulièrement de la vacance, estimée à Paris à 118 300 logements, il convient tout d'abord de rappeler que les statistiques fournies par le recensement INSEE ou le fichier de la taxe d'habitation sont souvent surestimées, car les moyens de recherche et de vérification sont loin d'être parfaits.
De plus, les caractéristiques de ces logements illustrent parfaitement la cause principale de la vacance, à savoir que plus d'un tiers du parc est « hors marché » du fait de sa vétusté - la moitié de ces 118 300 logements datent d'avant 1915 - et que les propriétaires n'ont pas les moyens financiers nécessaires pour réaliser les travaux de mise aux normes.
La commission des affaires économiques considère que la solution n'est pas à rechercher dans la mise en oeuvre d'une taxation supplémentaire sur l'immobilier, mais bien plutôt dans l'augmentation conséquente des ressources de l'ANAH. En permettant à cet organisme de subventionner un plus grand nombre d'opérations, dans de meilleures conditions, il en résulterait, de surcroît, des effets très positifs pour le secteur du bâtiment et donc l'emploi.
MM. Georges Gruillot et André Jourdain. Bravo !
M. Gérard Braun, rapporteur pour avis. Il convient également, et vous le prévoyez, monsieur le secrétaire d'Etat, de rendre plus attractif pour les propriétaires le mécanisme de bail à réhabilitation. Mais il faut surtout que les organismes d'HLM, les sociétés d'économie mixte gérant un parc immobilier s'engagent plus délibérément sur ce dispositif et sur celui qui a été institué par la loi du 19 février 1998, pour remettre sur le marché des logements anciens rénovés. Cette mesure contribuerait également à diversifier l'offre de logements des bailleurs sociaux, leur permettant de faire des propositions de logement adapté et durable.
Enfin, à travers plusieurs articles additionnels, l'Assemblée nationale a cherché à garantir une meilleure mixité sociale dans les communes et dans le peuplement du parc social.
S'agissant de la composition sociologique du parc locatif HLM, l'Assemblée nationale a souhaité modifier le régime du supplément de loyer de solidarité en portant le seuil facultatif de déclenchement du calcul du surloyer à 20 %.
Cette disposition, associée aux mesures réglementaires devant être prises très prochainement quant à la réévaluation des plafonds de ressources, entraînera une diminution de 50 % des ménages concernés par le surloyer, ce qui favorisera le maintien dans le parc HLM de personnes aux revenus modestes mais stables, et surtout présentes dans les logements depuis de longues années. En revanche, une telle mesure pèsera sur les finances des organismes d'HLM et sur la fluidité du marché locatif social.
L'Assemblée nationale, pour renforcer également la mixité sociale dans les communes, a modifié deux dispositions importantes de la loi du 13 janvier 1991 d'orientation pour la ville en abaissant le seuil de prise en compte des communes situées en région Ile-de-France pour retenir le seuil de 1 500 habitants, au lieu de 3 500, et en révisant la définition des logements sociaux pouvant être construits par les communes pour satisfaire aux obligations de la loi.
Les logements sociaux désormais retenus sont les logements réalisés avec un prêt PLA, dont ceux qui sont destinés aux plus défavorisés, les logements améliorés avec le concours de l'ANAH et conventionnés avec l'Etat, ainsi que ceux qui font l'objet d'un bail à réhabilitation. Sont exclus les logements intermédiaires et les logements en accession à la propriété financés par le prêt à taux zéro.
La commission des affaires économiques s'est montrée très réservée à ce sujet, considérant que des modifications de cette importance allaient bouleverser les obligations pesant sur les communes.
M. le ministre délégué à la ville a fait part de son souhait d'une réflexion globale concernant la politique de la ville. Il nous a semblé plus raisonnable d'attendre cette échéance et de ne pas remettre en cause de façon anticipée le dispositif législatif existant.
Mes chers collègues, votre commission des affaires économiques a adopté les dispositions qu'elle a examinées, assorties des amendements que votre rapporteur lui a soumis, dans un esprit constructif et afin de parvenir à des solutions réellement efficaces s'agissant du logement des personnes défavorisées. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Oudin, rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des finances s'est saisie pour avis de certaines dispositions à caractère fiscal ou financier du présent projet de loi d'orientation. Par ailleurs, elle souhaite contribuer au débat en évaluant le coût de ce texte et en restituant celui-ci dans le contexte plus général de la politique budgétaire.
Je vais tout d'abord indiquer brièvement la position de la commission sur les dispositions de nature fiscale ou financière, peu nombreuses d'ailleurs, dont elle s'est saisie.
Seul point de désaccord radical, et notre position rejoint celle qui vient d'être exprimée à l'instant : la commission des finances est opposée à la création d'une taxe sur les logements vacants, qui répond surtout à un souci d'affichage politique et qui lui paraît inapplicable.
Par ailleurs, elle propose de compenser les pertes de recettes résultant des allégements de taxe d'habitation et de taxe foncière sur les propriétés bâties. Il s'agit là d'une position de principe : les collectivités locales n'ont pas à supporter le coût des politiques nationales de solidarité, dont elles n'ont pas la compétence.
La commission des finances propose également de mieux cibler certaines dispositions, dont la rédaction actuelle lui paraît excéder l'objectif de lutte contre les exclusions. Tel est le sens de ses amendements portant sur l'exonération de taxe foncière, sur l'exonération d'impôt sur le revenu au titre des travaux réalisés dans le cadre d'un bail à réhabilitation, sur l'exonération de timbre fiscal pour les cartes d'identité, ainsi que sur les « chèques d'accompagnement personnalisé ».
Enfin, la commission des finances propose de donner un tour moins contraignant au droit au compte bancaire et de laisser ainsi une place aux négociations contractuelles.
J'en viens maintenant au cadrage financier du projet de loi.
Dans la perspective de la prochaine loi de finances, le Gouvernement a déclaré la lutte contre l'exclusion priorité budgétaire. Je voudrais toutefois rappeler qu'il ne peut s'agir que d'une priorité dérivée par rapport à la politique de l'emploi.
En effet, la politique de lutte contre les exclusions ne saurait se substituer à la politique de l'emploi. La privation d'emploi, nous le savons, est la principale cause d'exclusion, par rapport à laquelle le présent projet de loi d'orientation n'apporte que des solutions palliatives.
Ce rappel a son importance, car les choix faits par le Gouvernement en matière de politique de l'emploi ne sont pas ceux de la commission des finances et de la majorité du Sénat.
Qu'il s'agisse de la relance des emplois publics, de la restriction du dispositif d'allégement des charges sur les bas salaires ou de l'imposition autoritaire d'une réduction de la durée du travail, nous avons déjà eu l'occasion d'exprimer notre désaccord dans cet hémicycle.
S'il y a divergence sur la politique de l'emploi, il existe en revanche un consensus sur les modalités de la lutte contre les exclusions. A cet égard, il est significatif que le présent projet de loi d'orientation reprenne beaucoup des dispositions du projet de loi de cohésion sociale présenté par le gouvernement de M. Alain Juppé, voilà un peu plus d'un an.
Cependant, la commission des finances entend rester dans son rôle en rappelant que le consensus sur la nécessité d'agir plus efficacement contre l'exclusion ne saurait justifier n'importe quel niveau de dépenses publiques. La contrainte financière s'impose ici comme ailleurs, et il s'agit non pas tant de dépenser plus que de dépenser mieux.
Je voudrais rappeler, car c'est une évidence trop souvent oubliée, qu'une dépense publique n'est pas justifiée du seul fait qu'elle a une finalité sociale. Elle doit aussi satisfaire aux règles élémentaires de bonne gestion des deniers publics et s'inscrire dans une logique coût-avantage rationnelle. Hélas ! nous en sommes souvent loin, comme le constate périodiquement la Cour des comptes, et comme nous avons souvent l'occasion de le rappeler ici.
Le fonds d'urgence social mis en place en début d'année est un véritable cas d'école. Ce dispositif improvisé nous montre comment une logique purement sociale, dont je ne nie pas la légitimité, peut aboutir à l'engagement inconsidéré de crédits publics. En effet, par l'intermédiaire de ce fonds, un milliard de francs ont été dépensés en un temps record, sans critères d'attribution définis, sans examen sérieux des cas individuels et sans conditions, au risque de déstabiliser le travail de terrain accompli depuis des années par les intervenants sociaux. Ce constat, ce n'est pas moi qui le fais, c'est Mme Join-Lambert elle-même, dans son récent rapport au Premier ministre.
Dépenser à bon escient n'est pas suffisant ; encore faut-il que le financement de la lutte contre les exclusions soit gagé sur une véritable rigueur budgétaire.
A cet égard, madame la ministre, nous ne pouvons que nous féliciter de vos déclarations devant la commission des finances. Vous nous avez annoncé que le projet de loi d'orientation serait financé par redéploiement de crédits. Vous nous avez également indiqué que des économies étaient attendues sur les dépenses pour l'emploi, ainsi que sur les crédits des minima sociaux.
Toutefois, au-delà de ces déclarations d'intention, nous ne pouvons qu'être inquiets devant les orientations retenues par le ministre de l'économie et des finances pour le prochain budget. Après des années d'une certaine rigueur, il semblerait que le Gouvernement s'apprête à laisser dériver à nouveau les dépenses de l'Etat.
Nous aborderons ces questions plus en détail dans quelque temps, à l'occasion du prochain débat d'orientation budgétaire. Néanmoins, ce retour à un certain laxisme financier, sous couvert d'une croissance spontanée des recettes, me conduit à douter de la réalité des redéploiements budgétaires annoncés pour financer le présent projet de loi d'orientation.
Venons-en à l'évaluation du coût du présent projet de loi d'orientation.
Il convient tout d'abord de dissiper la confusion qui a été entretenue lors des débats préparatoires entre, d'une part, le programme de prévention et de lutte contre les exclusions et, d'autre part, le projet de loi stricto sensu. La commission des finances partage pleinement l'analyse de la commission des affaires sociales : manifestement, vous avez été amenée, madame la ministre, à additionner des mesures très hétérogènes dans le seul but de majorer optiquement le montant total des crédits consacrés à la lutte contre les exclusions.
Outre les dispositions contenues dans le texte, le programme inclut des mesures « déjà annoncées » par le Gouvernement, notamment dans la loi de finances de 1998. A l'inverse, il inclut aussi des mesures « à venir », à savoir des dispositifs réglementaires ou d'autres projets de loi.
Le coût global de ce programme est estimé à 51,4 milliards de francs sur trois ans. Je n'ai pas pu vérifier le détail de cette évaluation, car, bien que je les ai demandées, les fiches de calcul ne m'ont pas été communiquées, et cela en dépit de votre engagement en commission des finances.
Toutefois, en opérant les reclassements nécessaires, dont le détail figure dans mon rapport écrit, j'ai trouvé des écarts significatifs avec les chiffres qui accompagnent le projet de loi : les mesures déjà annoncées s'élèvent à 16,2 milliards de francs ; et non pas à 15,8 milliards de francs, les mesures à venir s'élèvent à 8,4 milliards de francs, et non pas à 5 milliards de francs ; et les cofinancements s'élèvent à 7,5 milliards de francs, et non pas à 8,1 milliards de francs.
Par conséquent, au sein de l'ensemble du programme, la part du coût budgétaire pour l'Etat du projet de loi d'orientation au sens strict s'élève à 15,9 milliards de francs sur trois ans, contre 22,4 milliards de francs annoncés. Ce chiffre de 15,9 milliards de francs est d'ailleurs pleinement cohérent avec celui de 18 milliards de francs avancé par le rapporteur de la commission des affaires sociales. La différence s'explique par le fait que j'ai reclassé en mesures à venir certaines mesures qu'il a, pour sa part, admises comme pouvant se rattacher au projet de loi.
Cet engagement budgétaire de l'Etat est concentré à 80 % sur les aides à l'emploi. Sa montée en charge est fortement progressive : 1,092 milliard de francs pour 1998, 5,450 milliards de francs pour 1999 et 9,400 milliards de francs pour 2000.
Le coût en année pleine de ce texte est donc légèrement inférieur à 10 milliards de francs. Il est intéressant de le rapprocher du coût budgétaire en année pleine du récent accord salarial dans la fonction publique, qui est estimé à 12 milliards de francs. Mes chers collègues, chacun pourra ainsi juger des véritables priorités du Gouvernement, par-delà certains effets d'annonce.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Concrètement, l'Etat ne s'engage donc, en 1998, que pour un milliard de francs au titre du présent projet de loi d'orientation. Seul ce coût budgétaire en première année d'application peut être comparé au coût prévisionnel du projet de loi de cohésion sociale présenté par le gouvernement précédent. A l'époque, ce coût avait été évalué à 2,5 milliards de francs, dont 1,7 milliard de francs étaient prélevés sur le budget du logement et 768 millions de francs sur celui des affaires sociales. Tout autre rapprochement de chiffres serait, à mes yeux, dépourvu de signification.
Les cofinancements attendus sont importants. Avec un montant de 7,5 milliards de francs, ils représentent près de la moitié de l'effort budgétaire de l'Etat. Les collectivités locales sont sollicitées - elles n'ont pas encore, je le signale, donné leur accord - pour apporter 45 % de ces cofinancements. Ceux-ci sont essentiels pour financer certaines des « mesures phares » du projet de loi d'orientation, telles que le programme TRACE, pour lequel l'Etat n'apportera que 761 millions de francs sur les 5,132 milliards de francs prévus.
Quant aux programmes locaux d'insertion par l'économique, ils sont intégralement cofinancés, pour un montant de 1,6 milliard de francs, à la fois par les collectivités locales et le Fonds social européen.
Enfin, pour évaluer de manière complète le coût budgétaire du présent projet de loi d'orientation, il faut prendre en compte les modifications apportées par l'Assemblée nationale. Selon un chiffrage non exhaustif, je le reconnais, la dépense a été alourdie en première lecture par les députés d'au moins 425 millions de francs, soit 1,275 milliard de francs sur trois ans. L'essentiel de ce coût supplémentaire correspond à la suppression de la taxe forfaitaire sur les frais d'huissier de justice, dont le coût est estimé à 360 millions de francs. La commission des finances est d'ailleurs opposée - tout comme le Gouvernement, je le souligne - à cette mesure de suppression.
La récapitulation, quelque peu rébarbative, je l'admets, du coût des mesures à laquelle je viens de procéder relève d'un pur contrôle de cohérence. Je voudrais aller un peu au-delà en m'interrogeant sur la fiabilité des évaluations présentées.
J'observe, tout d'abord, que la plupart des chiffrages reposent sur des hypothèses de limitation quantitative des bénéficiaires. Celles-ci semblent fragiles au regard de l'importance des besoins, qui m'a été confirmée par toutes les personnes que j'ai pu auditionner ou contacter par écrit. Même s'il ne s'agit pas, juridiquement, de dispositifs « à guichet ouvert », il sera difficile de refuser des demandes en cours d'année simplement parce que les crédits initialement prévus seront épuisés.
De même, certains dispositifs sont expérimentaux, mais leur généralisation n'est pas chiffrée, bien que présentée comme certaine. D'autres mesures sont réputées n'avoir aucun coût, alors même qu'elles tendent à créer des dispositifs ou à élargir le champ de dispositifs existants. Enfin, les charges de gestion supplémentaires pour les administrations publiques sont systématiquement minimisées, voire considérées comme nulles, alors qu'elles impliquent parfois des créations de postes.
De manière plus indirecte, je crois qu'il ne faut pas sous-estimer l'effet inflationniste potentiel de l'amélioration de l'information des populations concernées sur leurs droits. L'expérience prouve que, indépendamment de toute extension juridique, le seul renforcement, souhaitable, d'ailleurs, de l'accès effectif aux droits sociaux accroît considérablement les dépenses afférentes.
Le projet de loi d'orientation prévoit, en particulier, d'harmoniser et d'étendre les mécanismes dits « d'intéressement », qui permettent de cumuler dans certaines limites une rémunération d'activité avec un minimum social. Ce dispositif est judicieux - nous l'avons dit - car il facilite les processus de réinsertion en limitant les effets pervers des « trappes à inactivité ». Néanmoins, il est susceptible d'engendrer des effets d'aubaine et des fraudes pures et simples, tant de la part des bénéficiaires que de celle des entreprises qui les emploient.
Par ailleurs, ce mécanisme d'intéressement est considéré par le Gouvernement comme n'ayant aucun coût, avis que nous ne partageons pas. En effet, l'accroissement des dépenses de minima sociaux généré dans un premier temps serait compensé, dans un second temps, par la sortie des bénéficiaires des dispositifs d'assistance. C'est du moins ce qu'indique le Gouvernement.
A l'image de l'ensemble du présent projet de loi d'orientation, ce raisonnement repose sur un pari dont on ne peut que souhaiter le succès, mais qui reste, à nos yeux, assez audacieux. Rien ne garantit que les effets positifs de ce texte seront suffisamment rapides et probants pour que les économies réalisées équilibrent les dépenses nouvelles.
C'est pourquoi, mes chers collègues, il est impératif de prévoir un financement par redéploiement budgétaire. Seule cette règle de prudence est susceptible de ménager l'avenir sans compromettre le redressement des finances publiques, qui conditionne une croissance saine et créatrice d'emplois. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Loridant, rapporteur pour avis.
M. Paul Loridant, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la fin des années quatre-vingt a vu la montée d'un phénomène inquiétant : le surendettement des ménages. Ainsi, en 1989, près de 200 000 ménages se trouvaient dans l'incapacité de faire face aux échéances de remboursement des prêts qu'ils avaient contractés.
En outre, faute d'une procédure permettant de traiter l'ensemble des créances, les débiteurs défaillants devaient assigner séparément chacun de leurs créanciers pour obtenir du juge autant de moratoires.
La loi du 31 décembre 1989, dite loi Neiertz, relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, a rompu avec cette démarche bilatérale et a institué un dispositif offrant une vue d'ensemble de la situation du débiteur et des possibilités de traitement global.
Ce dispositif a été amélioré par la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, qui a renforcé le rôle des commissions de surendettement. En outre, il a contribué à désengorger les tribunaux.
Cette procédure a d'ores et déjà connu un grand succès. En effet, entre le 1er mars 1989 et le 31 décembre 1997, quelque 620 000 dossiers ont été transmis aux commissions de surendettement.
Pourtant, ce dispositif semble aujourd'hui atteindre ses limites en raison d'un changement de nature du surendettement, ainsi que l'a indiqué tout à l'heure Mme Lebranchu.
En effet, les personnes concernées par la loi de 1989 étaient essentiellement ce que l'on appelle communément des « surendettés actifs », c'est-à-dire des ménages qui s'étaient volontairement endettés au-delà de leur capacité de remboursement.
Or, depuis 1993, on constate un accroissement du nombre des « surendettés passifs », c'est-à-dire des ménages qui sont devenus surendettés à la suite d'une diminution de leurs ressources, celle-ci découlant, le plus souvent, d'un accident de la vie, tel que le chômage, la séparation ou la longue maladie.
Le rapport d'information sur le surendettement que j'avais rédigé avec notre collègue Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des finances et de la commission des lois réunies, faisait déjà état d'analyses préoccupantes quant à l'évolution de la capacité de remboursement des ménages, fortement compromise par la crise économique.
En effet, l'évolution de la nature même du surendettement « grippe » le dispositif : ainsi le nombre de dossiers déposés augmente-t-il fortement depuis la fin de l'année 1995.
Le premier trimestre 1998 est celui qui connaît le nombre de dépôts le plus élevé depuis l'entrée en vigueur de la procédure, avec une progression de 21 % par rapport au premier trimestre 1997.
Or cette augmentation du nombre des dossiers déposés semble liée au développement des moratoires. En effet, faute de revenus suffisants de la part des débiteurs, les commissions de surendettement doivent recourir de plus en plus souvent à cette procédure.
Il apparaît ainsi que, en 1997, la part des plans de redressement comportant des moratoires, phase amiable et phase de recommandation confondues, est passée de 33,5 % en mars à 42,6 % en décembre.
Or la multiplication de ces moratoires risque de conduire le système actuel de traitement du surendettement vers une impasse dans la mesure où les cas d'amélioration de la situation du débiteur ne sont, hélas ! trois fois hélas ! que trop peu fréquents.
En conséquence, lorsque la période fixée par le moratoire est écoulée, le dossier est généralement déposé à nouveau auprès des commissions de surendettement. Celles-ci n'ont alors guère d'autre solution que de proposer un nouveau moratoire.
La multiplication des réexamens engorge déjà les commissions, sans pour autant apporter une solution définitive à ces cas difficiles. Devant ce phénomène, le Gouvernement a présenté un nouveau dispositif qui tient compte de l'insolvabilité de certains débiteurs et en tire les conséquences.
Ce dispositif, prévu par le présent projet de loi, maintient la phase amiable et la phase de recommandations. Toutefois, la nature des recommandations varie selon la situation du débiteur. Si la commission constate l'insolvabilité durable du débiteur, elle peut recommander un moratoire pour une durée qui ne peut excéder trois ans. A l'issue de cette période, la commission réexamine la situation du débiteur. Si ce dernier reste insolvable, la commission peut proposer la réduction ou l'effacement de tout ou partie des dettes.
Ce dispositif doit donc permettre de résoudre les cas les plus graves. Il est cependant strictement encadré pour éviter tout détournement de procédure. Ainsi celle-ci est-elle placée sous le contrôle du juge, qui doit homologuer la décision de la commission et peut revenir sur les propositions de celle-ci s'il estime qu'elles ne sont pas adaptées à la situation du débiteur.
En outre, le débiteur ayant bénéficié d'un effacement de dettes est inscrit au fichier des incidents de paiement pendant huit ans et ne peut obtenir un nouvel effacement de dettes durant cette période.
Je tiens à faire remarquer que le texte initial proposé par le Gouvernement excluait les dettes fiscales, parafiscales ou envers les organismes de sécurité sociale non seulement du moratoire, mais également du dispositif de réduction ou d'effacement des dettes.
L'Assemblée nationale a supprimé cette mesure afin d'établir une égalité entre les créanciers et a, par là même, satisfait une revendication ancienne des établissements de crédit et des professions bancaires.
Pourtant, cette banalisation des dettes fiscales paraît dangereuse à la commission des finances, alors même que ces dettes se trouvent en nombre très réduit dans les dossiers des débiteurs susceptibles de bénéficier du nouveau dispositif.
En outre, l'administration fiscale - Mme la ministre l'a dit tout à l'heure - dispose déjà d'une procédure spécifique de remise gracieuse qui donne globalement satisfaction.
En conclusion, je souhaite présenter quelques observations complémentaires sur le présent projet de loi d'orientation.
Je ne peux que me féliciter que ce texte soit largement inspiré du rapport sur le surendettement rédigé avec notre collègue Jean-Jacques Hyest. Toutefois, ce constat n'empêche pas certaines critiques.
Tout d'abord, la dimension sociale n'est pas assez prise en compte, aussi bien dans l'instruction des dossiers que dans le suivi du plan de redressement.
Ensuite, aucune mesure n'est arrêté pour remédier à l'absence de statistiques. Dans notre rapport d'information, nous avions déjà soulevé et regretté cette lacune. Or les auditions menées dans le cadre de l'examen du présent projet de loi d'orientation nous ont montré que cette lacune était loin d'être compensée. Ainsi le Gouvernement prend-il des dispositions sans toujours mesurer exactement leur impact, faute de statistiques fines et pertinentes.
Enfin, je suis persuadé que ce texte aurait mérité de constituer un projet de loi à part entière, notamment par souci de meilleure lisibilité.
Certes, la nature du surendettement a évolué et le nombre de surendettés passifs a fortement augmenté. La réalité du surendettement reste cependant complexe et mêle les deux composantes que sont le surendettement passif et le surendettement actif, lequel ne devait pas nécessairement figurer dans le projet de loi d'orientation relatif àla lutte contre les exclusions.
Ainsi, les surendettés sont loin d'être tous des exclus et seuls 7 % des dossiers laissent apparaître un endettement non bancaire. Dès lors, il ne faudrait pas confondre traitement du surendettement et assistanat.
Ces observations étant faites et sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous présentera, la commission des finances émet un avis favorable sur le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions, en particulier sur le volet consacré au surendettement des ménages. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod, rapporteur pour avis.
M. Paul Girod, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'interviens en tant que rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois « constitutionnelles ». Je rappelle cet adjectif, car je serai conduit à y faire allusion au cours de mon exposé.
La commission des lois est saisie, dans le cadre des accords avec les autres commissions, spécialement la commission des affaires sociales, de sept domaines d'importance, de longueur et de complexité inégales.
Premier domaine : les sanctions pénales contre les marchands de sommeil ; il s'agit de l'article 65, qui ne pose pas beaucoup de problèmes.
Deuxième domaine : le droit au compte bancaire ; il s'agit de l'article 73, qui ne soulève pas non plus d'énormes difficultés.
Troisième domaine : l'exercice de la citoyenneté ; il s'agit du titre Ier, chapitre IV, articles 40, 41 et 41 bis . Ces dispositions concernent l'inscription sur les listes électorales des personnes sans domicile fixe, l'aide juridictionnelle de ces personnes sans domicile fixe et l'information des détenus avant leur libération, matières qui revêtent, elles aussi, une importance inégale et qui peuvent poser problème ; j'y reviendrai dans quelques instants.
Quatrième domaine : le surendettement ; il s'agit du titre II, chapitre Ier, articles 42 A à 52 quater . Notre collègue Paul Loridant vient de s'exprimer avec talent et compétence sur ce sujet puisqu'il avait animé, avec notre collègue Jean-Jacques Hyest, un groupe de travail qui a établi un rapport fort intéressant en la matière. Globalement, nous avons formulé des observations assez voisines des leurs, à quelques détails près.
Cinquième domaine : les saisies immobilières ; il s'agit du titre II, chapitre II, articles 53 A à 57. Les procédures de saisie avaient été réformées par la loi de janvier 1998, mais elles sont maintenant remises en cause. Ces mesures tendent, en principe, à éviter la ruine du saisi et les petites manoeuvres astucieuses de ceux qui profitent d'une saisie pour faire une bonne affaire.
Sixième domaine : la prévention des expulsions ; il s'agit du chapitre III, section 1, articles 58 à 63 bis.
Enfin septième domaine : l'accès au droit au logement par l'exercice de la réquisition. Il découle des dispositions obsolètes de 1945, qui furent prises pour reloger - en période de crise, j'y reviendrai aussi - nos compatriotes victimes des destructions de la guerre. Il s'agit de tirer les leçons de l'obsolescence de cette législation telle qu'on a pu la ressentir lors des campagnes de réquisitions qui ont eu lieu dans la région parisienne. Elles ont porté sur 872 logements en 1995 et en 1996. Ces réquisitions ne se sont pas faites facilement et leur base juridique n'est pas suffisamment sûre. C'est l'objet de l'article 31, énorme article.
La philosophie générale de ce projet de loi est schématiquement la suivante : celui qui est en situation d'exclusion a droit, sinon à tout, du moins à une attention privilégiée. Personne ne conteste une telle position dans son essence, pas plus d'ailleurs le Gouvernement actuel que le précédent, et encore moins le Président de la République, qui avait fait de cette constatation un des arguments forts de sa campagne pour l'élection présidentielle.
La commission des lois a une attitude voisine de celle qu'ont adoptée les autres commissions : elle est disposée à prendre en compte les dispositifs proposés, sous un certain nombre de réserves. En effet, nous souhaitons que les mesures qui vont être prises ne se retournent pas contre ceux au bénéfice desquels elles sont arrêtées, moins par l'application des dispositifs à leur situation personnelle que par la modification de l'ambiance qui entoure les raisons pour lesquelles ils sont en situation d'exclusion.
Je prendrai deux exemples.
Le premier, c'est le cautionnement. Il faut maintenir l'efficacité de ce dispositif. Or un certain nombre d'ajouts de l'Assemblée nationale nous semblent dangereux.
Le second exemple, c'est la protection de la personne qui fait l'objet d'une saisie immobilière. En effet, certains dispositifs, tels qu'ils nous sont proposés, risquent d'aboutir à la généralisation des folles enchères et, par conséquent, à la ruine à la fois du saisi et du créancier. Certains dispositifs risquent même d'aboutir à une très désagréable atmosphère dans certaines communes vis-à-vis des SDF inscrits sur les listes électorales s'il y a, à terme, possibilité de renversement de la majorité du conseil municipal au profit des seuls nouveaux inscrits sur lesdites listes.
La première préoccupation de la commission des lois concerne donc des dispositions sur lesquelles il faut être vigilant, car elles risquent de se retourner contre ceux au bénéfice desquels on veut agir.
La deuxième préoccupation de la commission est d'éviter le plus possible l'explosion du contentieux.
Enfin, sa troisième préoccupation est ne pas accepter, incidemment, un changement de type de société, par le biais de certaines mesures partielles qui introduiraient dans notre droit des nouveautés dont les conséquences peuvent aller très loin.
A cet égard, je prendrai encore deux exemples. Le premier concerne tout ce qui a trait aux troubles du voisinage à l'occasion des expulsions. Le second vise tout ce qui a trait au droit de propriété. Certains disent que ce droit fondamental risque d'être désormais exercé de manière administrativement surveillée. Ainsi, on aboutirait, ici ou là, à des acquisitions forcées ; on donnerait trop de moyens à l'expulsé de mauvaise foi pour se maintenir dans les lieux, de plus, dans des conditions qui ne concernent pas seulement le domicile principal.
En revanche, la commission des lois accepte sans difficulté le principe de l'inscription des SDF sur les listes électorales, le principe du droit au compte, les nouvelles dispositions sur le surendettement - notre ami Paul Loridant les a résumées tout à l'heure - avec une nouvelle composition de la commission de surendettement, l'allongement des plans d'apurement sur huit ans, au lieu de cinq ans, et avec la possibilité, sous le contrôle du juge, de voir apparaître un moratoire général de trois ans et, éventuellement, l'effacement des dettes au terme de ce délai. Ces innovations peuvent se révéler utiles. Elles découlent d'ailleurs des recommandations du rapport qui avait été déposé devant le Sénat par nos collègues MM. Hyest et Loridant.
De même, la commission des lois accepte l'introduction d'un traitement le plus en amont possible du cas des expulsés, afin que l'on puisse mobiliser en leur faveur un certain nombre de moyens qui existent, mais qui, pour l'instant, sont un peu absents de la procédure mise en place.
De même, la commission des lois accepte la procédure des réquisitions a priori pour le relogement des personnes défavorisées, mais à condition que cela ne pose pas exagérément des problèmes de principe ; j'y reviendrai à la fin de mon intervention.
La commission des lois proposera une série d'améliorations techniques. Vous me permettrez, mes chers collègues, d'aller d'un sujet à l'autre, car c'est plutôt par une classification des modes de réponse de la commission des lois que par une classification des domaines que je voudrais présenter mon rapport.
J'évoquerai d'abord les améliorations techniques. La commission des lois a déposé soixante-deux amendements. Une bonne trentaine d'entre eux sont d'ordre rédactionnel. Ils visent soit à préciser un terme ou une date, soit à remettre en ordre le texte, afin que les problèmes de principe soient énoncés avant les dispositifs d'application. Cela ne devrait pas, me semble-t-il, soulever de difficulté majeure.
La commission proposera un certain nombre d'améliorations relatives à la composition de la commission départementale de surendettement. A cet égard, il peut exister une divergence d'appréciation d'une commission à l'autre, en particulier en ce qui concerne la présence d'un travailleur social avec voix consultative. Dans l'esprit de la commission des lois, il s'agit de permettre d'assurer le suivi social et, surtout, d'avoir confirmation, par une personne qui pratique l'intervention sociale en permanence, que les dispositifs d'aide qui peuvent être mobilisés le sont effectivement.
La commission suggérera également de purger le projet de loi de quelques dispositions qui semblent dangereuses. Là encore, il s'agit d'améliorations techniques. Elle proposera, en particulier, de prévenir le fait que la majorité au sein d'un conseil municipal puisse basculer de par la présence sur les listes électorales d'un nombre très important de SDF. En effet, dans les petites communes, le nombre de SDF peut quelquefois être plus important que celui des habitants. Ainsi, dans mon propre canton, une commune risque de se retrouver dans cette situation.
La commission proposera aussi de ne pas remettre exagérément en cause, comme l'a fait l'Assemblée nationale, le rôle du cautionnement en matière de surendettement.
En effet, la caution peut éventuellement se retrouver en situation de surendettement par mise en jeu de ses obligations. C'est prévisible et c'est prévu. Cependant, il ne faut pas vider l'idée même de cautionnement de toute réalité, sinon le cautionnement gratuit disparaîtra purement et simplement. Nous verrons alors apparaître au détriment des personnes surendettées, la notion selon laquelle il n'y a plus de cautionnement que payant, ce qui, bien entendu, contribuera à supprimer dans la vie quotidienne d'un certain nombre de personnes des possibilités qui leur sont actuellement offertes.
Enfin, la commission proposera d'introduire un peu plus de souplesse dans la définition du « reste à vivre ». Il s'agit d'un élément important du dispositif, afin, notamment, que les droits de la personne démunie ne soient pas exagérément supérieurs aux droits de celui qui a essayé de l'aider à un moment donné et qui est par la suite devant une difficulté.
De la même manière, la commission suggérera d'éviter le maintien abusif dans les lieux.
J'en viens aux problèmes majeurs.
Nous avons une différence d'appréciation avec la commission des finances en ce qui concerne la prise en compte ou non des dettes fiscales dans le dispositif de moratoire ou d'effacement des dettes.
Certes, l'Etat est un créancier différent des autres. Certes, la nature des dettes fiscales et parafiscales ou de sécurité sociale est évidemment différente de celle des autres dettes. Cependant, à un moment où l'on va, sous contrôle du juge, dans des cas rares, envisager le report ou l'annulation de dettes - l'Etat a certes un système d'effacement préalable, mais, entre parenthèses, il n'est pas tellement différent de celui d'un créancier courant qui peut, à tout moment, abandonner la créance qu'il détient ; il n'y a donc pas de différence d'essence, contrairement à ce que l'on nous dit - il est tout de même surprenant que celui qui appelle à la solidarité nationale, qui va peut-être amener un créancier de bonne foi à voir sa créance effacée par une décision du juge, s'exonère tout seul de la procédure alors que c'est lui qui est à l'origine de l'innovation juridique. D'autant que l'un des arguments invoqués est le fait que le trésorier-payeur général ou le directeur des services fiscaux présent au sein de la commission de surendettement peut disposer de certains éléments concernant la réalité de l'honnêteté du surendetté qu'il ne pourra communiquer à la commission de surendettement, mais qui le conduiront à refuser d'apurer les dettes vis-à-vis de l'Etat, alors que la recommandation de la commission proposera l'effacement des autres dettes.
Cette différence de traitement laisse la commission des lois perplexe, d'autant que si c'est pour préserver le principe d'autonomie du Trésor, je signale que bien d'autres principes sont franchement mis à mal dans ce projet de loi et qu'ils sont de nature au moins équivalente.
Un autre problème majeur concerne les saisies immobilières.
Le Sénat a adopté, il n'y a pas tellement longtemps, une loi qui a été promulguée en janvier 1998 et qui permet, en gros, au saisi de ne pas voir son bien mis en vente au prix réclamé par son créancier - lequel est bien souvent très inférieur à la valeur réelle du bien, parce que la créance ne porte que sur une somme plus modeste - et par conséquent au juge de rétablir une certaine moralité lors de la première mise aux enchères. Mais s'il n'y a pas d'acheteur lors de la première mise aux enchères, que se passe-t-il ?
Les textes en vigueur - mais qui ne sont guère appliqués, parce que la Chancellerie ne les apprécie apparemment pas beaucoup - stipulent que l'on procède à une deuxième mise aux enchères. Les enchères sont alors descendantes à partir du prix fixé par le juge, et la mécanique repart dès l'instant où quelqu'un se porte acquéreur au-dessus du prix réclamé par le créancier et en dessous du prix fixé par le juge. Quand je dis que la mécanique repart, cela signifie que les enchères peuvent ensuite remonter.
Le vrai problème - que nous vous proposerons d'ailleurs, mes chers collègues, d'aider à résoudre - est celui de la publicité. Celle-ci est nécessaire pour attirer suffisamment de monde et pour que s'instaure un vrai marché au moment de l'attribution. Le système qui nous est proposé est le suivant : il est maintenant question, si la seconde série d'enchères n'a rien donné, de proclamer le créancier acquéreur d'office au prix fixé par le juge. Apparemment, ce dispositif est très satisfaisant, mais le créancier n'a pas forcément les moyens de débourser la différence existant entre le montant de sa créance et le prix fixé par le juge. Il le pourra d'autant moins que, dans bien des cas, ce sont des copropriétés qui réclameront, en fonction de leur privilège, le paiement des charges de copropriété, et qu'elles ne seront pas forcément pour autant en situation de devenir elles-mêmes copropriétaires, de surcroît s'il s'agit d'une personne morale et, de plus, avec la perspective de devenir propriétaire d'un logement qui sera évidemment vacant et qui risque donc d'être réquisitionné par la suite ! Devant tant d'incertitudes, la commission des lois a décidé de proposer de « laisser vivre », au moins pour quelque temps, le dispositif que nous avons arrêté ensemble et qui, en définitive, semble plus favorable même au saisi car, si le créancier ne lève pas son titre de propriété dans les deux mois, on repart en folle enchère, donc avec une mise à prix à zéro ; par conséquent, cette fois-là, nous risquons de trouver un débiteur spolié et un créancier spolié aussi. A ce niveau-là, il faut faire extrêmement attention à ce genre de disposition.
De la même manière, mais le problème est assez compliqué, nous pensons que l'on ne peut exagérément allonger les délais des procédures. Dans un certain nombre de cas, les délais s'ajoutent aux délais. Il nous semble que nous pouvons les rassembler de manière un peu plus cohérente pour faire en sorte, par exemple, qu'entre le premier incident de paiement d'un locataire, qui n'est pas forcément de bonne foi, et le début de la procédure d'expulsion, il ne s'écoule pas huit ou dix mois. On doit pouvoir concentrer tout cela. Même s'il est normal que l'on alerte le préfet plus tôt et que l'on essaie de mettre en place un certain nombre de dispositifs pour aider l'expulsé, il ne faut pas exagérer l'allongement des délais.
Mais les problèmes deviennent plus graves encore quand on en vient à la transparence. Dans la réquisition, vous avez un propriétaire qui va se faire dépouiller, pendant une durée assez longue, de son bien, bien sur lequel on va faire un certain nombre de travaux. Il nous semble au moins logique que le propriétaire en soit informé, ce qui n'est pas expressément prévu.
De même, il semble logique que la caution qui a accordé sa confiance à une personne qui s'est endettée soit informée du déroulement des paiements du cautionné. Par conséquent, cela pose, selon moi, un certain nombre de problèmes de transparence qu'il convient d'examiner d'une manière un peu plus logique.
Puisque nous nous rapprochons de ce qui constitue le noeud de la difficulté née au sein de la commission des lois, je veux parler des réquisitions, je voudrais dire que celles-ci pourraient s'adresser à tous les locaux vacants existant dans des communes - je dis bien des « communes » et non pas des « agglomérations » - où l'on constate une inadéquation majeure entre l'offre de logements et la demande de logements des personnes disposant de revenus modestes. L'appréciation de ce déséquilibre mériterait sûrement d'être assez largement précisée.
Je sais bien que les articles relatifs à la taxation des logements vacants donnent un début de définition ; mais ce n'est pas, paraît-il, exactement la même, et le moins que l'on puisse dire est que l'on n'y voit pas très clair : peut-être cela relève-t-il du domaine réglementaire ? Peut-être, monsieur le secrétaire d'Etat, pourrez-vous nous donner quelques éléments d'appréciation et d'information sur ce sujet. En tout cas, cela s'adresse à toute personne morale. Or une société civile immobilière, SCI, formée de deux personnes est une personne morale. Pense-t-on appliquer la possibilité de réquisition à tous les logements n'appartenant pas à un propriétaire physique individuel clairement défini ? Cela nous semble excessif. En effet, beaucoup de nos concitoyens ont été amenés, pour des raisons familiales, à mettre leur propriété en SCI familiale. Il nous semble donc qu'une précaution élémentaire consisterait au moins à les sortir du champ d'application de la loi : sinon, nous allons répandre la terreur chez les propriétaires, ce qui contribuera, comme certaines exagérations, nous semble-t-il, de la modification des procédures d'expulsion, à raréfier encore les logements offerts...
M. Gérard Braun, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Paul Girod, rapporteur pour avis. ... parce que l'on prendra des dispositions pour échapper à cette mise en tutelle du droit de propriété.
J'en arrive à ce qui constitue, pour la commission des lois constitutionnelles, un réel problème de fond : le choc qui existe, quelle que soit la pureté des intentions, au sein de l'article 31 entre, d'une part, le droit de propriété figurant à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et dont la valeur constitutionnelle majeure est rappelée à toutes les occasions par le Conseil constitutionnel, et, d'autre part, l'objectif à valeur constitutionnelle du droit au logement, défini par la décision n° 94-359 de janvier 1995.
Il y a là, indubitablement, à travers le problème de la réquisition, le choc de deux principes de valeur constitutionnelle. Jusqu'où peut-on aller pour que ce choc n'aboutisse pas à une modification de fond du droit de la propriété, qui est une base de notre société ? Monsieur le ministre, ce projet de loi reprend assez largement le texte relatif à la cohésion sociale déposé par le gouvernement précédent, et vous vous êtes donc calqué sur le dispositif du bail à réhabilitation, notamment s'agissant de la durée. Nous le comprenons bien, mais le bail à réhabilitation est le résultat d'un contrat librement passé entre un propriétaire et un réhabiliteur. Or, nous n'en sommes plus là ! Le préfet, à la suite de toute une procédure sur laquelle nous aurons à préciser un certain nombre d'étapes, réquisitionne, met à la disposition d'un attributaire - monsieur le ministre, il serait bon que l'on sache avant la réquisition qui est l'attributaire ! - qui lui-même met en place des bénéficiaires, lesquels, s'ils restent dans le logement à la fin de la période de réquisition, créent un trouble au détriment du propriétaire. Tout cela est assez complexe, mais nous sommes tout de même face à un système qui a été qualifié non sans raison d'expropriation à durée limitée et sans indemnisation préalable. (Protestations sur les travées socialistes.)
Mes chers collègues, la situation n'est pas aussi simple, car, en fait, il s'agit d'une question de degré. Quand vous légiférez sur des points concernant des domaines aussi fondamentaux, en raisonnant sur le degré, le moins que l'on puisse dire est qu'il faut avancer dans ce domaine d'un pas prudent. Comme nous le savons tous, nous sommes confrontés à une situation qui est, pour une part, une situation de crise, à l'instar de ce qui s'est passé en 1945, quand ont été mises en place les réquisitions au bénéfice des sinistrés. Un logement pourra être réquisitionné pour douze ans parce que des travaux importants doivent être réalisés ; ces travaux seront effectués par l'attributaire mais, en définitive, c'est le propriétaire qui les financera dans la mesure où son indemnité sera diminuée de l'amortissement des travaux. Or, le propriétaire se retrouvera, au bout de douze ans, avec un local totalement différent de celui qui avait été réquisitionné ! Le local aura même peut-être changé de nature : on réquisitionne, par exemple, des bureaux, et on restitue des appartements ! Vous ne pouvez tout de même pas prétendre que cela ne perturbe pas sérieusement l'exercice du droit de propriété !
Encore une fois, la commission des lois est d'accord sur le fait que l'on procède ainsi parce que nous sommes en situation de crise. Mais elle ne souhaite pas que les réquisitions soient opérées de manière définitive.
C'est la raison pour laquelle - ce sera peut-être l'aspect le plus important et le plus discuté de l'apport de la commission des lois - elle vous proposera, par un amendement, d'ouvrir cette possibilité pour des réquisitions non pas d'une durée de cinq ans, mais lancées pour les cinq années qui viennent. A l'issue de cette période, nous nous retrouverons pour voir si le dispositif a été efficace, ce dont certains doutent, si l'usage que l'on en a fait reste ou non compatible avec la notion fondamentale du droit de propriété et, par conséquent, s'il y a lieu ou non de prolonger le système expérimenté.
Mais le choc de ces deux principes de valeur constitutionnelle est suffisamment fondamental pour que la commission des lois ait pris l'initiative de proposer cette limitation dans le temps du dispositif qui nous est soumis.
La commission des lois a donc déposé toute une série d'amendements d'importance inégale mais dont l'adoption conditionne le fait qu'elle émette, en fin de parcours, un avis favorable au texte qui nous sera soumis. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat s'est attaché à procéder à un examen très attentif du projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions. Il est parfaitement conscient de l'importance des sujets dont nous allons débattre pendant plusieurs jours. Il a procédé à cet examen dans le souci d'améliorer le dispositif qui nous est proposé et d'en corriger quelques imperfections.
A l'inverse de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, où une commission spéciale avait été constituée, au Sénat, cinq commissions, dont vous venez d'entendre les différents rapporteurs, se sont penchées sur le texte et ont déposés trois cents amendements, auxquels viendront s'ajouter les deux cents amendements déposé par nos collègues. Cela signifie, donc que l'examen de ces cinq cents amendements nécessitera un assez long débat.
Je voudrais féliciter les différents rapporteurs du souci qui a été le leur de procéder à un très grand nombre d'auditions, de coordonner leurs efforts et de mettre l'accent, chacun, sur un aspect du texte. Il n'y a que peu de recoupements dans les différents rapports, et même s'il y a quelques divergences entre les positions des diverses commissions sur quelques sujets sensibles, ainsi que vous l'avez noté, madame la ministre, je pense que nous arriverons à un débat constructif, intéressant et assez homogène.
Je limiterai mon propos à deux observations.
Ma première observation vise à saluer le travail de réflexion conduit sur le terrain depuis de nombreuses années. Le concept même d'exclusion remonte aux travaux de René Lenoir en 1974, et c'est ce concept qui nous avait guidés dans l'élaboration de la loi de 1975, première loi à s'occuper de manière globale d'un certain nombre d'exclus. Les travaux du Conseil économique et social en 1987, puis en 1995, ont été déterminants dans la prise de conscience des menaces pesant sur la cohésion de notre société. Les très nombreuses associations travaillant un peu partout sur le terrain ont permis de faire avancer le débat.
Permettez-moi, mes chers collègues, de rendre ici un hommage tout particulier à l'action inlassable de Mme Geneviève de Gaulle-Antonioz pour que soit reconnu l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux, fondé sur l'égale dignité de tous les êtres humains. Nous avons tous été témoins de sa profonde connaissance de la réalité sur le terrain des phénomènes de pauvreté et de précarité, tant à l'occasion de sa venue à plusieurs reprises devant la commission des affaires sociales que lors de la présentation qu'elle a faite à l'Assemblée nationale voilà un an, au début de l'examen du projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale.
En effet, mes chers collègues, deux gouvernements successifs procédant de deux majorités différentes manifestent une préoccupation commune et avancent des mesures qui, même si elles divergent parfois, sont relativement proches.
Aussi, madame la ministre, permettez-moi de dire, de manière légère, que les propos faisant état d'une rupture entre le projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale, présenté l'an dernier par MM. Barrot et Emmanuelli, et le projet de loi actuel m'ont paru quelque peu excessifs.
J'observe d'ailleurs que le discours du Gouvernement a évolué dans le temps, ce dont je félicite Mmes et MM. les ministres : de la « rupture » annoncée à l'issue du Conseil des ministres du 4 mars, on est passé au « tournant significatif » dans l'exposé des motifs du projet de loi adopté le 25 mars, et on reconnaît aujourd'hui que le projet de loi de l'ancienne majorité constituait la « première étape » de l'actuel projet de loi.
Plus de modestie à l'origine aurait sans doute permis de réunir une majorité plus grande autour du texte que nous discutons aujourd'hui ! (Murmures sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) D'autant que, l'année dernière, l'opposition de l'époque avait émis un certain nombre de critiques véhémentes...
M. Alain Gournac. Ah oui !
M. Guy Fischer. On les maintient !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je constate que les dispositions critiquées alors n'ont pas été modifiées dans le texte actuel, et nous verrons tout à l'heure, demain et après-demain, ce qui se passera.
M. Claude Estier. S'il n'y avait pas eu la dissolution...
Mme Joëlle Dusseau. Ah ! Si Chirac n'avait pas dissous !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, il me paraît normal qu'un texte d'orientation de cette nature comporte un certain nombre de déclarations de principe.
Un tel projet de loi doit avoir une valeur pédagogique et de mobilisation qui va de pair avec une action quotidienne sur le terrain relevant moins de dispositions législatives que du comportement des acteurs locaux.
A cet égard, je regrette quelque peu que l'actuel projet de loi se contente trop souvent de créer de nouvelles institutions ou de nouveaux comités sans envisager plus précisément les moyens techniques et financiers qui leur seront attribués.
Ma seconde observation portera sur ce qui, de mon point de vue, manque au projet de loi : la place donnée dans ce texte à la famille et à l'école me semble insuffisante.
La difficulté de s'insérer dans le monde du travail et la perte d'emploi constituent évidemment l'une des sources du phénomène d'exclusion. Si tout le monde en convient, il n'en demeure pas moins que ce drame ne saurait être réduit aux simples effets de la mutation économique que nous vivons.
La croissance et les créations d'emplois qu'elle induit n'ont pas ou peu ont d'effets d'entraînement sur une frange particulièrement fragile de la population qui reste « au bord de la route » et que ne sauraient concerner le plan emplois-jeunes, la réduction du temps de travail et les mesures traditionnelles d'aide à l'emploi.
Au regard des moyens financiers considérables dont ont été assorties les récentes politiques d'aide à l'emploi, l'article 1er du projet de loi, qui qualifie la lutte contre les exclusions d'« impératif national » ou de « priorité de l'ensemble des politiques publiques de la nation », reste, par comparaison, au stade de la simple déclaration de principe.
M. Oudin a tenté, tout à l'heure, de faire un cadrage financier, ce dont je le remercie. M. Seillier a précisé les différents éléments visant à une amélioration des dispositifs économiques, et j'ai noté avec satisfaction, madame la ministre, que vous aviez trouvé positif le travail de la commission des affaires sociales à cet égard et estimé que nous parviendrions à nous mettre d'accord sur un certain nombre de dispositifs.
Mais je crois, comme beaucoup d'entre vous, mes chers collègues que, à l'origine de l'exclusion, se situe très souvent une fracture familiale.
La lutte contre les exclusions doit donner une priorité à la prévention qui passe par le renforcement de la cellule familiale et par la réforme de l'école, qui sont les deux modes d'apprentissage fondamentaux permettant de réagir aux accidents de la vie.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. De ce point de vue, force est de constater que la politique familiale du Gouvernement ne sera annoncée qu'à l'issue du débat parlementaire sur le projet de loi de lutte contre l'exclusion. Les discussions, qui ont porté sur la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, n'ont abordé la politique de la famille que sous un angle partiel.
La teneur politique familiale du Gouvernement sera annoncée le 12 juin par le Premier ministre. Nous aurons alors achevé l'examen du projet de loi.
La politique de la famille, qui est un élément fondamental de la prévention de l'exclusion est, à mon avis, trop extérieure à la discussion que nous allons avoir.
M. Jacques Machet. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Mais c'est évidemment une réforme profonde de notre système éducatif qui est nécessaire pour lutter contre l'exclusion.
Certes, l'introduction dans le projet de loi d'un volet consacré à l'illettrisme est, par la force des choses, nécessaire ; mais ce volet, mes chers collègues, est un constat d'échec effrayant.
Lors du long débat que nous avons mené sur les trente-cinq heures, vous aviez souligné, madame la ministre, combien la situation était différente, en matière de service public, entre notre pays et les Etats-Unis. Mais nous comptons aujourd'hui, d'après l'INSEE, 2 300 000 adultes en situation d'illettrisme. Cette situation me paraît grave car, nous le constatons tous sur le terrain, c'est un des facteurs essentiels de l'exclusion.
Dans la résolution adoptée par le Conseil européen, en décembre dernier, sur les lignes directrices pour l'emploi, il était prévu que nous devions « faciliter le passage de l'école au travail » et il était demandé aux Etats « d'améliorer la qualité de leur système scolaire, afin de réduire substantiellement le nombre de jeunes qui quittent prématurément le système scolaire, et de doter les jeunes d'une plus grande capacité d'adaptation aux mutations technologiques et économiques ».
Ce chantier me semble absolument prioritaire, la capacité de notre système éducatif de donner une formation à chacun, madame la secrétaire d'Etat, lui permettant de trouver un premier emploi et de réagir aux évolutions technologiques et économiques de notre société. C'est la clé du dispositif, c'est une cause de l'exclusion, et je crois qu'il faut s'occuper des causes autant que des effets des mécanismes d'exclusion.
Après la famille et l'école, M. Seillier a dit tout à l'heure ce qu'il fallait penser du problème de l'accès de tous à la santé ; nous aurons l'occasion d'en rediscuter. Ce sont là des sujets fondamentaux qui seront abordés plus tard et en d'autres occasions.
C'est la raison pour laquelle, dans son état actuel, ce projet de loi me paraît encore lacunaire. Il me paraît trop centralisé, car les pouvoirs des préfets y sont très fortement renforcés.
M. Alain Gournac. Que reste-t-il aux collectivités locales ?
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. On revient ainsi sur un certain nombre d'éléments de la décentralisation.
Pour ne pas prolonger le débat, je me contenterai, en conclusion, de formuler deux voeux.
Le premier est que nous restions à tout prix humbles devant les réalités. Nous devons être pragmatiques, nous devons renoncer aux effets d'annonce et essayer de sortir des clichés habituels sur la France duale. Nous devons nous en tenir à l'état sociologique actuel de notre pays, sans nous référer trop souvent au siècle passé.
Mon second voeu est que nous élaborions des dispositions applicables au plus près du terrain, en partant de l'action essentielle des communes, de leurs centres d'action sociale et des départements.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Depuis la décentralisation, nous avons appris à travailler ensemble sur ces sujets...
M. Alain Gournac. Oui !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... et ce n'est pas la création de comités de liaison ou d'organismes nouveaux qui améliorera les choses. Ce qui améliorera la situation, ce sont le décloisonnement et la mise en commun des moyens pour obtenir des effets communs.
Puis-je ajouter que, l'espace d'un instant, mes chers collègues, les clivages politiques pourraient s'estomper pour nous permettre de retrouver un peu plus d'humanisme, pour essayer de nous rassembler davantage et de nous rapprocher de nos collègues de l'Assemblée nationale ? Il est sans doute un peu utopique de le dire, mais, monsieur le président, mes chers collègues, pourquoi ne pas essayer ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 61 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 45 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai le sentiment qu'à cette heure tout a été dit, excellemment dit, voire brillamment dit. Tous les arguments devront maintenant se décliner lors de la discussion des articles et, pour ce qui me concerne, je me limiterai à une brève intervention.
Projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale, projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions : ces deux textes sont l'expression d'une volonté partagée, sinon de voir disparaître - c'est bien le but, mais ne rêvons pas - du moins d'atténuer et de prévenir les situations de détresse qui se sont multipliées avec la montée du chômage et qui frappent quelque 15 % de nos concitoyens en état de pauvreté.
Ces situations ont un caractère insupportable qui s'est traduit voilà peu par les mouvements de chômeurs, à l'occasion desquels a dû être mis en place de fonds d'urgence sociale, solution ponctuelle qui est, me semble-t-il, la parfaite démonstration de la nécessité d'une politique plus large, plus cohérente et durable.
Chacun appréciera, je pense, que le débat sur un sujet d'une telle importance s'instaure ici. M. le président Fourcade l'a dit dans un esprit constructif, et je veux saluer ici l'excellence du travail de nos rapporteurs, particulièrement de M. Seillier, au nom de la commission des affaires sociales - dont je suis membre - qui nous a présenté un excellent rapport, reflet du travail que sait habituellement fournir, n'est-il pas vrai, la Haute Assemblée.
Il y a mieux à faire, en tout cas, que de balayer d'un revers de main un texte - je parle du premier texte sur la cohésion sociale - qualifié par nos collègues de l'Assemblée nationale de « bavard », alors qu'y sont cependant empruntées bien des mesures qui nous sont proposées aujourd'hui.
J'espère qu'à la sagesse de notre assemblée et à la qualité du travail effectué par les commissions le Gouvernement répondra par une écoute et une volonté de dialogue à l'image de la volonté qu'il a - et dont personnellement je ne doute pas un instant - de lutter effectivement contre le fléau de la misère aux multiples facettes.
Le premier outil essentiel de l'insertion est l'emploi. Que de mesures prises en la matière depuis bien des années ! Le résultat est là qui doit nous inciter, me semble-t-il, les uns et les autres, à l'humilité. N'est-il pas jusqu'aux emplois-jeunes qui n'ont pas donné à ce jour, on ne peut que le regretter - et je ne fais que le regretter - les résultats escomptés dans le domaine marchand associatif ou celui des collectivités locales ?
Aujourd'hui, des mesures sont proposées, dont certaines sont nouvelles et bienvenues. Il en sera longuement débattu, ainsi que de leurs insuffisances, mais là n'est pas mon propos.
En ce qui me concerne, je voudrais me borner à formuler quelques réflexions.
Tout d'abord, je voudrais exprimer le souhait que la plus grande clarté et la plus grande cohérence possibles soient apportées dans des dispositifs qui sont divers et multiples, comme le veulent peut-être, il est vrai, des situations elles-mêmes diverses, afin d'aboutir par là même à une simplification. Il s'agit de faire en sorte que chacun puisse être rapidement et bien informé de la nature et de l'étendue de ses droits, des pistes possibles en matière d'insertion, de réinsertion, de formation et d'accès à l'emploi.
Ma deuxième réflexion portera sur l'importance de l'activation, chaque fois que c'est possible, des dépenses passives. Je n'insiste pas sur ce point, car cela semble à chacun d'une importance certaine.
Par ailleurs, je voudrais évoquer l'aide aux chômeurs créateurs de très petites entreprises. Des milliers de chômeurs se sont sortis de leur situation de cette façon, et je persiste à penser que mettre en place un dispositif similaire à l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'entreprise, l'ACCRE, serait une bonne formule.
Troisième réflexion, comment ne pas mettre l'accent sur la nécessaire qualité de l'accueil dans les antennes des ASSEDIC et dans les permanences de l'ANPE ?
Je ne doute pas que les personnels concernés soient de qualité, et je sais en tout cas la difficulté de leur tâche. Cela étant, la personne au chômage est souvent si fragilisée, démoralisée, voire destructurée, et sa situation si délicate qu'il convient de lui garantir une bonne qualité d'accueil et une grande capacité d'écoute de la part des agents chargés de la recevoir. Or on peut regretter que celles-ci ne soient pas toujours manifestes, et je parle d'expérience.
A mes yeux, cette nécessaire simplification des textes, et peut-être plus encore la simplification des instruments de leur mise en oeuvre, est préférable à l'empilement des structures. La remarque, formulée à l'occasion de ce volet « emploi », vaut d'ailleurs pour d'autres parties du texte. Ainsi, au sujet du logement, monsieur le secrétaire d'Etat, à propos duquel un responsable qualifié parlait de « suréglementation », je ferai deux réflexions.
La première concerne le principe de la décentralisation. Le texte ne va-t-il pas, en la matière - mais c'est vrai pour d'autres volets du texte - dans le sens d'une moindre autonomie des communes ?
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Charles Descours. Très bien !
M. Georges Mouly. Et, à vrai dire, n'est-ce pas là, plus généralement, une des tendances du présent projet de loi pour ce qui concerne les collectivités locales ? Il leur est demandé, chacun le sait, toujours plus, alors que chacun connaît également le poids financier du volet social de leur politique.
La seconde remarque concerne le milieu rural qui, monsieur le secrétaire d'Etat, n'est pas épargné par l'exclusion. Là aussi, il convient de développer une politique du logement plus dynamique. Mais ce n'est pas nouveau pour vous, j'imagine, monsieur le secrétaire d'Etat !
Bien d'autres considérations pourraient être faites à propos de bien d'autres aspects du texte, mais je m'y refuse, non seulement parce que le temps m'est limité, mais aussi et surtout parce que nous reviendrons plus précisément sur ces problèmes au cours d'une discussion des articles qui promet d'être riche et que je souhaite fructueuse.
Avant d'arrêter là mon propos et après avoir appelé votre attention sur quelques points d'ordre plus général, je voudrais cependant formuler un espoir.
La lutte contre les exclusions est, par définition et par essence même, une grande mission que, en tant qu'élus et responsables, nous ne saurions que partager. Telle fut d'ailleurs la première volonté affichée par M. le Président de la République. Quant aux acteurs du terrain - j'y reviens - ils sont prêts à participer à l'action, qu'il s'agisse des élus des communes ou des départements, des assistants sociaux, des CCAS ou des agents de prévention, tous acteurs sociaux qu'il convient, me semble-t-il - et c'est peut-être un risque - de ne pas court-circuiter. Ne sont-ils pas les garants d'une nécessaire action cohérente dans la durée ?
Je citerai ici Mme de Gaulle-Anthonioz : « La lutte contre les exclusions sociales constitue un impératif national, fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains ». Quelle belle formule ! Puisse-t-elle devenir réalité grâce à la volonté de tous et à la bonne volonté de chacun ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fischer. ( Exclamations sur les travées du RPR. - Applaudissements sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. )
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi de commencer mon propos par ce mot : « Enfin ! »
Enfin, aujourd'hui et durant toute cette semaine, nous allons débattre du projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions !
Ce dispositif général et transversal, évitant l'écueil de la simple réaffirmation de grands principes, s'attachant à garantir à tous l'accès aux droits fondamentaux, marie avec justesse mesures d'urgence et mesures inscrites dans la durée, mesures préventives pour briser l'isolement et la grande détresse de millions de nos concitoyens relégués au rang d'assistés.
Le défi à relever est de taille tant, d'une part, le nombre de « sans » - sans emploi, sans logement, sans revenus, sans soins, sans espoirs - est impressionnant et tant, d'autre part, les souffrances, les cassures, l'exclusion, processus multidimensionnel, a rongé et continue inexorablement de ronger, de fragiliser le lien social, notre société.
Depuis de longues années déjà, les associations sont mobilisées sur le terrain pour pallier les carences des politiques trop superficielles et sectorielles. Au quotidien, elles côtoient la misère, elles croisent le regard de toutes celles et de tous ceux qui vivent « la galère ».
Leur évolution est allée de pair avec celle de la grande pauvreté. Alors qu'au départ la plupart d'entre elles concevaient leur mission comme une intervention ponctuelle, le plus souvent d'aide alimentaire, par la force des choses elles ont été contraintes de développer d'autres types d'aides permanentes pour soutenir durablement les personnes nécessiteuses.
L'exemple des « Restos du coeur » est significatif, les « Relais du coeur » intervenant maintenant sur le terrain de l'insertion, du logement ou en direction des jeunes mamans.
Décidé à combattre la grande pauvreté et la précarité économique et sociale, dénoncées notamment par le père Joseph Wresinski et par Geneviève de Gaulle-Anthonioz dans leurs rapports respectifs au Conseil économique et social, le mouvement associatif, réuni notamment au sein du réseau Alerte, n'a eu de cesse d'élaborer des propositions concrètes et de s'acharner pour qu'une réponse globale à la hauteur des besoins, et prenant en compte l'individualité de chaque situation, puisse émerger.
Votre projet de loi, madame la ministre, bien que trop « timide » sur certains points - j'aurai l'occasion d'y revenir - est l'aboutissement de ce combat ; je tenais à le rappeler.
C'est aussi le témoignage que le gouvernement de la gauche plurielle entend « changer de logique » pour construire une société où chacun ait le droit de cité, de bénéficier d'un meilleur partage des richesses, tant matérielles que culturelles.
Nous avons tous en tête les chiffres publiés dans diverses enquêtes. Ainsi, sept millions de personnes sont touchées par le chômage et le sous-emploi et six millions de Français survivent grâce aux minima sociaux.
Pourtant, je doute que nous ayons tous conscience de la réalité des précarités vécues au quotidien. En effet, comment vivent les personnes, les familles, avec des ressources inférieures au seuil de pauvreté, c'est-à-dire 3 800 francs par mois, ou 7 900 francs pour un couple ? Elles renoncent bien souvent à tout : à se nourrir convenablement, à se soigner, à s'ouvrir sur l'extérieur par les loisirs.
Le mouvement des chômeurs de décembre dernier a permis de mettre des visages sur les statistiques, sur les enquêtes d'opinion, de mettre en avant des revendications légitimes de dignité et de mieux vivre.
Je ne prétends pas que la gauche plurielle ait le monopole de l'approche et du traitement de l'exclusion.
M. Charles Descours. Bravo !
M. Guy Fischer. Je constate seulement que les méthodes divergent parce que, à la base, notre conception de la société et de la place de l'individu au sein de celle-ci est parfois différente.
Dans un récent sondage réalisé par CSA pour le journal La Croix , 57 % des Français avouaient leur sentiment d'insécurité, percevant l'exclusion comme une menace personnelle. Interrogés sur les remèdes, ils sont plus de 80 % à penser qu'une loi ne suffira pas à faire reculer l'exclusion, alors qu'un changement de politique économique leur semble salutaire.
Las d'attendre de telles réformes, voilà un an, les Français ont sanctionné la politique libérale du gouvernement de M. Juppé.
Mort-né, le projet de loi de cohésion sociale, présenté juste avant la dissolution par l'ancienne majorité, loin de recueillir le satisfecit des associations, ne rompait nullement avec les logiques précédentes de traitement social a posteriori.
Refusant de cautionner un texte caractérisé, d'une part, par l'indigence de ses moyens au regard des besoins et, d'autre part, par le refus de s'attaquer aux causes de la crise en poursuivant une logique ultralibérale, les députés communistes avaient alors déposé une question préalable.
L'actuel Gouvernement, conscient que le seul retour à la croissance ne serait pas en mesure de régler tous les problèmes, s'est attaché à mettre sur pied un plan sur trois ans pour reconnaître aux plus démunis l'accès à tous les droits, pour prévenir les exclusions, pour faire participer les exclus à leur réinsertion et pour mobiliser tous les acteurs.
Mais il a aussi décidé de mener d'autres réformes - les 35 heures, les emplois-jeunes - et de soutenir la croissance.
Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui traite des droits à l'emploi, à la santé, au logement et à l'innovation, du droit à la culture et à l'éducation, aux vacances ainsi que des situations de surendettement et de la prévention des expulsions. De plus, des textes importants, tel que celui qui est relatif à l'assurance maladie universelle, à l'accès au droit et à la justice, viendront compléter, à l'automne, cette démarche de sortie de la misère par un retour à l'autonomie financière.
Largement amendé à l'Assemblée nationale, ce texte est fort des précisions et garanties supplémentaires obtenues, notamment, grâce à l'investissement des députés communistes. Ses idées fortes et les dispositifs prévus dans ses différents volets reçoivent notre approbation.
Toutefois, nous déplorons que son épine dorsale, c'est-à-dire son financement, ait suscité peu de solutions novatrices.
Evidemment, 51 milliards de francs sur trois ans, c'est une somme importante ! Mais, pour une grande part, le financement des mesures se fera par redéploiements et par appel aux financements croisés : FSE, collectivités. Une nouvelle fois, celles-ci seront fortement mises à contribution, au moment où leurs difficultés ne font que s'accroître.
C'est un fait que nous regrettons vivement, car il témoigne d'une certaine frilosité du Gouvernement, qui, coincé par les contraintes budgétaires européennes, a du mal à assurer, par des financements nouveaux et lisibles, des réformes qu'il sait pourtant nécessaires, voire incontournables.
Récemment, dans un avis sur la conjoncture économique au premier semestre 1998, le Conseil économique et social invitait le Gouvernement à infléchir certains de ses choix budgétaires afin de consacrer davantage de ressources à la réduction de la fracture sociale par une augmentation des minima sociaux et des bas salaires.
Ce que le groupe communiste républicain et citoyen appelle de ses voeux, ce n'est rien d'autre que des choix politiques courageux, des mesures de haute visibilité, telle qu'une redistribution substantielle et équitable des fruits de la croissance.
Seul un second souffle social, permettant l'augmentation du SMIC, des minima sociaux, des retraites,...
M. Charles Descours. Eh oui ! Que fait le Gouvernement ?
M. Guy Fischer... l'octroi d'une allocation de recherche d'emploi pour les jeunes, couplé à des réformes de la fiscalité et du crédit, serait de nature à convaincre d''un changement radical dans l'appréhension du problème de l'exclusion.
Autre regret, qui va dans le même sens : l'absence des entreprises, qui ont tout de même une large part de responsabilité ! Lorsque celles-ci licencient à tour de bras, se servent de la main-d'oeuvre intérimaire comme d'un facteur d'ajustement pour préserver, voire accroître, leur compétitivité, sans toucher aux dividendes, n'engendrent-elles pas l'exclusion ?
Les entreprises sont visées à l'article 1er parmi les acteurs de la lutte contre les exclusions.
Je doute que cette mention légale suffise à responsabiliser le grand patronat. Nous attendons avec impatience, madame la ministre, votre projet de loi relatif aux licenciements économiques.
J'aurais souhaité que les entreprises soient mises à contribution financièrement, qu'elles supportent les charges des destructions d'emplois, qu'elles soient beaucoup plus associées à l'insertion, à la formation et à la qualification des personnes en difficulté.
Rapidement, je veux vous livrer mon sentiment sur le volet emploi, qui renvoie à ma réflexion précédente.
Evidemment, le programme TRACE, trajet d'accès à l'emploi, et l'ouverture des contrats de qualification aux adultes sont des mesures nouvelles que je salue. Vis-à-vis des contrats emploi-solidarité, les CES, et des contrats emplois consolidés, les CEC, ce panel de contrats aidés, je serai un peu plus réservé.
L'ensemble de nos amendements et de nos interventions sur les quinze articles relatifs à l'emploi visent quasiment le même objectif.
Nous voulons éviter que, au nom de la solidarité nationale, on laisse se créer un tiers secteur d'activités financé sur fonds publics et régi par des règles dérogatoires à celles de l'ensemble des salariés.
Gardons-nous de mettre en place des mesures répondant à l'urgence, mais qui, en fait, permettraient à l'entreprise de se désengager et de déstructurer un peu plus l'emploi !
Soyez assurée, madame la ministre, qu'avec Nicole Borvo et Odette Terrade, qui s'exprimeront également au nom de notre groupe, nous participerons largement aux débats sur ce projet de loi tant attendu par nos concitoyens les plus démunis. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Madame la ministre, après les rapporteurs et M. le président de la commission des affaires sociales, qui ont bien analysé ce projet et qui ont souligné le consensus dont il fait l'objet malgré les quelque 500 amendements déposés, je ne serais pas dans mon rôle si je n'en pointais pas les insuffisances.
Je vous ai bien écoutée et je vais vous citer : « La réalité ne corrobore pas les grands principes constitutionnels ; « La République pour tous », « la démocratie pour tous », « citoyens à part entière ». C'était beau comme du Victor Hugo ou du Zola !
Mais votre projet ne recouvre pas non plus, malheureusement, toutes ces belles intentions ! Pourquoi ? Parce qu'il y a un grand manque, à savoir la prise en compte de la santé, et vous le savez bien !
Le droit à la santé, au travers de la couverture maladie universelle, est, à mon sens, le plus fondamental, le plus élémentaire. On ne peut pas être digne si l'on ne peut pas être soigné convenablement. C'est l'égalité de base.
Or, paradoxalement, vous renvoyez à plus tard le projet instaurant la couverture maladie universelle. Pourquoi ce retard ? Vous ne l'avez dit clairement ni en commission ni à la tribune. Cela nous inquiète, car, depuis le temps que l'on parle de cette loi sur les exclusions ou sur la cohésion sociale, nous connaissons la difficulté qu'il y a à créer cette assurance et nous craignons, en réalité, que ce retard ne soit qu'une absence de réponse crédible. En effet, vous annoncez la discussion de ce projet de loi en même temps que celle de la loi de financement de la sécurité sociale, en octobre ou en novembre.
Il est bien évident que, si cette couverture maladie universelle était insuffisante, c'est tout le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions qui n'aurait été qu'un rideau de fumée. J'ose espérer que c'est là une méthode que le Gouvernement auquel vous participez n'utiliserait pas.
Ce manque criant dans ce projet ne vous a évidemment pas échappé. Vous avez essayé de le masquer en parlant, par exemple, du rôle social de l'hôpital. J'ai le regret de vous dire que, jusqu'à présent, y compris après votre intervention à la tribune, nous n'avons pas clairement compris ce qu'était ce rôle social de l'hôpital. Mais surtout, rôle social de l'hôpital ou couverture maladie universelle, qui paiera ? C'est là la vraie question.
Les dépenses d'assurance maladie sont en équilibre instable. Je vous donne d'ailleurs acte, madame la ministre, que, devant la commission des comptes de la sécurité sociale et même depuis, vous avez eu non pas un profil bas mais pour le moins une attitude modeste s'agissant de l'équilibre des comptes, ce en quoi vous avez eu raison. En effet, depuis quelques mois, les dépenses d'assurance maladie, notamment les dépenses liées à la médecine de ville, dérapent.
Comment allons-nous financer ces nouvelles dépenses - rôle social de l'hôpital, assurance maladie universelle - y compris ces consultations, dont vous ne voudrez évidemment pas faire des consultations « ghettos » réservées aux personnes en difficulté dans les hôpitaux ? Se pose donc un problème.
Malgré un objectif nationalisé des dépenses d'assurance maladie, ONDAM, assez favorable, le budget des hôpitaux, vous le savez mieux que moi, sera, cette année, extrêmement difficile à tenir, faute d'une restructuration hospitalière volontariste que vous n'avez pas encore entreprise ou que vous n'avez pas voulu entreprendre.
Pour financer, deux solutions existent : ou bien l'on augmente les prélèvements par le biais des cotisations de la contribution sociale généralisée, ce qui serait évidemment scandaleux puisque dans le domaine des prélèvements la France est dans le peloton de tête en Europe, et j'ose espérer que Bercy, à cet égard, nous protégera d'un prélèvement supplémentaire ; ou bien, au bout du compte, le poids du financement retombera sur les collectivités locales, notamment sur les départements, par le biais de l'action sanitaire et sociale, et c'est là notre grande crainte.
Nous craignons beaucoup, si cette disposition et un certain nombre d'autres, relevées par mes amis au cours des interventions précédentes, sont adoptées, que les collectivités locales ne soient mises à contribution non pas, cette fois, pour quelques centaines de millions de francs - ce serait déjà beaucoup ! - mais pour des sommes beaucoup plus importantes.
Les conseillers généraux que nous sommes savent bien que, depuis quelques années, les budgets sociaux des départements ont dérapé, pour atteindre une croissance à deux chiffres. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus supporter cette croissance à deux chiffres, sauf à perdre toute possibilité d'investir.
Telles sont les lacunes que je voulais relever dans votre projet de loi, madame la ministre, ce côté humain de la prise en charge de la santé pour les plus démunis, et son coût financier qui m'inquiète, et ce en tant que rapporteur de la loi sur le financement de la sécurité sociale, de conseiller général et de médecin. Si l'on ne prend pas en compte la santé de nos concitoyens, évidemment, on ne fait rien !
En conclusion, nous voterons ce projet de loi, sous réserve de l'adoption des amendements qui seront proposés par nos commissions. Je me réjouis que, sur un sujet aussi grave, l'opposition d'aujourd'hui ait eu un ton plus constructif que l'opposition de l'année dernière...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est que le texte est meilleur !
M. Charles Descours. Non, il n'est pas meilleur, c'est pareil !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non !
M. Charles Descours. Vous trouvez que « contre les exclusions » c'est meilleur que « pour la cohésion sociale » ? Pas moi !
Mais chacun voit midi à sa porte et, je le dis très sincèrement, il est bon qu'il y ait un certain unanimisme face à la situation des Français les plus démunis. Je serai bien sûr très attentif, aux mois d'octobre et novembre, au projet de loi relatif à l'assurance maladie universelle.
Sous réserve de l'adoption des amendements dont nous allons discuter dans quelques heures, je voterai avec mes amis ce projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Tui.
M. Basile Tui. Madame le ministre, ce projet de loi de lutte contre les exclusions répond, vous l'avez affirmé, à un impératif national tendant à assurer la cohésion sociale. Toutes les dispositions sont donc fondées, à juste titre, sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et visent à traiter efficacement toutes les situations d'urgence ainsi qu'à les prévenir, sauf, peut-être, dans les territoires d'outre-mer...
En effet, aucune mention n'est faite de ces territoires, pourtant partie intégrante de la République.
S'agit-il d'une « exclusion » volontaire et définitive ou, tout simplement, considérez-vous que la politique sociale dans les territoires d'outre-mer relève uniquement de la compétence territoriale à laquelle vous n'envisagez pas de participer ? En effet, il faut rappeler que l'outre-mer, en général, n'a en aucun cas été associé à la consultation précédant ce projet de loi.
Un projet de loi postérieur, peut-être organique, devra-t-il nous être soumis ? A moins que vous ne considériez que ces territoires, à la géographie difficile, ne connaissent pas les mêmes problèmes que la métropole ou les départements d'outre-mer, s'agissant surtout des plus démunis.
Certes, les situations sont différentes, pour des raisons évidentes liées à l'éloignement, à l'insularité et, surtout, à l'absence de ressources naturelles du sous-sol dans mon territoire, mais elles n'en sont pas moins graves et préoccupantes. De surcroît, les territoires d'outre-mer sont, comme la métropole, frappés de plein fouet par l'exclusion.
Ainsi, dans le territoire des îles de Wallis-et-Futuna, que j'ai l'honneur de représenter à la Haute Assemblée, la précarité et la pauvreté sont le quotidien d'une grande partie de la population - quelque 80 % - dans un univers où l'emploi est minoritaire puisqu'il concerne un huitième des personnes actives.
La majeure partie des foyers est, en effet, sans ressources financières et vit dans une autosubsistance irrégulière et insuffisante pour faire face à tous les frais fixes quotidiens : eau, électricité, frais annexes à la scolarisation.
Il existe donc une véritable fracture sociale entre salariés et non-salariés, qui s'aggrave très rapidement et pourrait devenir explosive.
Dans ce contexte, pourquoi ne pas envisager, comme je vous l'avais demandé dans ma question orale du 2 juin, la création d'un revenu minimum de subsistance, à l'instar du revenu minimum de croissance qui existe en Nouvelle-Calédonie ? De même, il serait indispensable d'étendre le régime des allocations familiales au bénéfice de tous les enfants des non-salariés et non pas uniquement, comme c'est le cas actuellement, aux quatre premiers enfants. A cet égard, il faudrait que l'Etat s'engage à revoir l'ensemble du dispositif des allocations familiales et accepte d'envisager son financement dès le projet de loi de finances pour 1999.
D'autres dispositions du présent texte pourraient également être adaptées aux territoires d'outre-mer, afin d'améliorer les prestations sociales servies dans mon territoire, en matière d'hébergement et de construction de logements sociaux notamment.
Il faut ajouter au chapitre de la précarité le problème du surendettement des ménages auquel nous sommes aujourd'hui confrontés. En effet, en l'absence de recours à l'emprunt de la part du territoire pour les opérations d'investissement, c'est la consommation des ménages, soutenue par un appel accru au crédit, qui a été le principal moteur de l'activité en 1997.
La situation n'est désormais plus tenable. Aux problèmes d'emploi, de surendettement et, donc, de paupérisation constante, que je viens d'évoquer, s'ajoute celui du système éducatif.
Ainsi, les jeunes Wallisiens et Futuniens ne peuvent poursuivre leurs études au-delà du secondaire, car aucune formation post-baccalauréat n'est dispensée dans mon territoire. Très rares sont ceux qui peuvent venir en métropole, et deux voies s'ouvrent donc le plus souvent à eux : rester dans les îles, sans qualification ni perspectives, avec les risques liés au désoeuvrement que cela comporte, ou partir pour la Nouvelle-Calédonie pour tenter de poursuivre leurs études ou trouver un emploi.
Et là, madame le ministre, je me dois d'aborder un nouveau problème crucial : celui du départ pour ce pôle d'attraction, le plus proche de nous, qu'est la Nouvelle-Calédonie.
En effet, de nombreux jeunes partent tenter leur chance dans cet autre territoire du Pacifique. Ils essaient parfois de s'inscrire à l'université ou dans d'autres établissements, ce dans la mesure des places disponibles puisqu'ils ne sont pas originaires du territoire. En outre, les problèmes matériels auxquels ils sont confrontés justifieraient un développement des bourses pouvant leur être attribuées.
La recherche d'emploi est également un des motifs principaux de ces départs, « forcés » pourrait-on dire. Mais, là encore, la situation n'est pas simple, car la quête est difficile et pas toujours « assouvie ».
Dans ces conditions, la précarité existe et se développe. Les squatters, par exemple, sont de plus en plus nombreux et posent avec force le problème du logement de ces gens déracinés, souvent sans qualification et, donc, sans ressources suffisantes pour vivre dans des conditions convenables.
Les difficultés rencontrées par cette communauté sont d'autant plus graves que cette « immigration » est importante et quasi inévitable, voire indispensable, pour un territoire aux ressources insuffisantes.
Il m'appartient, d'ailleurs, à ce stade de mon intervention, d'interroger le Gouvernement sur certaines des dispositions de l'accord de Nouméa.
Ainsi, au 3-1-1, 1er alinéa : « La Nouvelle-Calédonie mettra en place, en liaison avec l'Etat, des mesures destinées à offrir des garanties particulières pour garantir le droit à l'emploi de ses habitants. La réglementation sur l'entrée des personnes non établies en Nouvelle-Calédonie sera confortée. » Ou encore, au 3-2-1, 7e alinéa : « Les relations de la Nouvelle-Calédonie avec le territoire des îles Wallis-et-Futuna seront précisées par un accord particulier. »
Le Gouvernement pourrait-il m'éclairer, non seulement sur l'étendue des compétences accordées à ce territoire en matière de droit à l'emploi, mais également sur le contenu potentiel de l'accord prévu ? L'Etat, garant actuel des droits de notre communauté, sera-t-il partie prenante à l'élaboration de cet accord ? Quelles en seront les conséquences pour les Wallisiens et les Futuniens ?
Par ailleurs, je souhaiterais, avant de conclure, insister de nouveau sur les réelles exclusions qui sont vécues par de nombreux foyers de mon territoire. Les situations d'urgence existent, de plus en plus nombreuses, et amplifiées par l'éloignement, l'insularité et, je le répète, l'absence de ressources naturelles du sous-sol.
Il serait donc indispensable de présenter un projet de loi supplémentaire afin que la lutte contre les exclusions soit aussi mise en oeuvre de façon efficace dans les territoires d'outre-mer et, tout particulièrement, dans mon territoire.
Il me semble en effet, en toute objectivité, que l'intérêt que la France a porté aux îles Wallis-et-Futuna n'est pas à la mesure des problèmes rencontrés dans ce territoire. Peut-être s'agit-il d'un simple retard par rapport à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie française ? Il est temps, aujourd'hui, que les habitants de ces îles bénéficient du même traitement que tous leurs compatriotes du Pacifique français.
C'est pourquoi je demande au Gouvernement de ne pas exclure les territoires d'outre-mer de l'ensemble du dispositif prévu par ce texte, ou tout au moins de ses objectifs, en l'adaptant progressivement à chaque territoire, en y alignant les prestations servies.
Il faudra, bien sûr, tenir compte des spécificités géographiques déjà évoquées et des statuts particuliers de chacun, ce qui implique le vote d'un texte distinct. C'est pourquoi j'envisage de présenter ultérieurement, avec le soutien de l'ensemble de mon groupe, un amendement tendant à proposer l'élaboration d'une loi de programmation, avant la fin de l'année 1998.
Le Gouvernement serait-il prêt à agir en ce sens, dès maintenant ? Telle est la question que je pose, en conclusion. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'objectif du Gouvernement, en présentant ce projet de loi en urgence, est celui de chacun des membres de cette assemblée. En effet, l'exclusion ne laisse personne indifférent et il est intolérable que, dans notre pays, nombre de nos concitoyens vivent dans la plus complète précarité et ne jouissent pas d'un bien-être minimum.
Depuis près de vingt ans, et en dépit du développement des richesses de notre société et de la croissance continue du revenu national, qui a plus que doublé depuis 1970, nous avons tous constaté que la pauvreté et l'exclusion ne font qu'empirer. Cette logique absurde ne doit cependant pas faire de l'exclusion professionnelle et sociale un processus inexorable.
En voulant lutter contre ses effets, les gouvernements successifs ont involontairement institutionnalisé cette nouvelle pauvreté, affirmant leur propre incapacité de créer des emplois durables. A cet égard, l'échec patent du revenu minimum d'insertion doit nous servir de leçon. Conçu en 1988 comme une aide provisoire devant permettre aux sans emploi de retrouver facilement leur place dans la société, il sert, hélas ! avant tout - et pour longtemps - à pérenniser des situations intolérables de pauvreté, à construire un terrible « statut d'exclu à la française » avec le soutien de l'aide publique et du contribuable.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui en première et unique lecture au Sénat est - nous en convenons bien - la juste continuation du texte de MM. Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli sur la « cohésion sociale » élaboré après concertation des associations de solidarité, après consultation du Conseil économique et social, et après écoute - tout le monde l'a souligné - puis prise en compte des propositions soumises par Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz.
Il est en effet trop rare pour oublier de le souligner que deux majorités politiques successives déposent, à une année d'intervalle, un texte de loi comparable sur une question aussi fondamentale que le renforcement de la communauté nationale contre l'accentuation de la fracture sociale qu'avait dénoncée le Président de la République dès 1995.
A la source de toute exclusion se trouve, bien évidemment, le chômage : 37 % des demandeurs d'emplois sont chômeurs de longue durée. A ce constat terrible viennent s'ajouter la précarité des travailleurs les moins qualifiés, mais également l'isolement, les problèmes de santé, la perte d'un logement ou le surendettement des ménages.
Les sénateurs non inscrits au nom desquels je m'exprime s'affirment clairement dans la droite ligne défendue par la commission des affaires sociales du Sénat à travers l'excellent travail d'analyse et de propositions constructives de ses membres, en particulier de notre collègue rapporteur M. Bernard Seillier.
Madame la ministre, j'émettrai quatre réserves importantes sur votre texte.
La première concerne l'exclusion, véritable drame national, qui ne doit plus être une fatalité dans notre pays. En effet, cette lutte permanente contre la pauvreté et l'exclusion doit passer par l'éradication pure et simple de l'assistanat en France.
L'assistanat, et la « déresponsabilisation » qu'il entraîne, s'affirme comme une solution d'autant plus redoutable qu'il devient plus commode dans un pays riche. Dans les faits, comment peut-on concrètement inciter un chômeur à chercher du travail en France ou à l'étranger si les aides cumulées que les pouvoirs publics lui offrent sont comparables à un salaire minimum ?
Comme cela a été judicieusement mis en évidence par les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, ce texte ne doit aucunement créer un nouveau « droit aux exclus ». Il doit permettre un « meilleur accès aux droits de tous ». Nous y veillerons dans le cadre du débat sur les articles et les amendements qui ont été déposés.
A cet effet, nous souhaitons que soit donné au travail et à la dignité qu'il sous-tend la priorité sur l'assistanat. Le Gouvernement doit en conséquence consacrer les moyens nécessaires à l'insertion par l'emploi et à la défense de la structure familiale comme rempart contre l'exclusion.
MM. Jacques Habert et Jacques Machet. Très bien !
M. Philippe Darniche. La situation dans laquelle nous nous trouvons est terrible. Notre société devient une simple juxtaposition de cellules qui ne communiquent plus entre elles et dont la principale, je parle de la cellule familiale, fait purement et simplement défaut à force d'être mise à mal socialement, économiquement et fiscalement.
Nous le savons tous : il n'existe pas de cohésion sociale sans ce sentiment fort d'appartenir à une communauté d'êtres humains responsables. Les droits de l'homme, inscrits dans notre Déclaration universelle, imposent le respect des devoirs imprescriptibles les plus simples, donc les plus essentiels, à savoir les droits au logement, aux soins, à l'insertion par l'emploi, aux loisirs, à la culture et au sport. Ce texte doit donc veiller à leur application concrète et permanente par la prise de mesures elles aussi concrètes.
A cet égard, le chapitre relatif aux droits à l'égalité des chances par l'éducation et à la culture va dans le bon sens, mais il ne va pas assez loin, comme l'a fait justement remarquer tout à l'heure notre collègue M. Richert.
Concernant ces problèmes essentiels, on recense aujourd'hui dans notre pays près de 2,4 millions de personnes - soit près de 6 % des plus de dix-huit ans - qui auraient des difficultés à parler, à lire ou à écrire notre langue. Plus de 50 000 jeunes sortent chaque année de notre système éducatif sans aucune qualification. La lutte contre l'illettrisme doit donc devenir une véritable « priorité nationale » et non se caractériser par le simple retour de l'aide à la scolarité par un système de bourses des collèges.
J'ai déposé trois amendements à l'article 78 pour que la lutte contre l'illettrisme devienne un chapitre à part entière de ce projet de loi - il deviendrait le chapitre VI - et que le Gouvernement s'engage à présenter, avant le 1er janvier de l'année prochaine, un plan quinquennal de lutte contre ce terrible fléau.
Ma deuxième réserve porte sur la solidarité qui doit s'exercer au bénéfice de tous, sans exception.
C'est la raison pour laquelle nous refusons le postulat selon lequel l'exclusion sociale et professionnelle ne peut débuter qu'à l'âge de seize ans. Il est regrettable de constater que des milliers de jeunes de cet âge quittent l'école sans la maîtrise de la lecture, de l'écriture ou du calcul. Comment, dans ces conditions, s'étonner de leur difficulté à entrer de plain-pied dans le monde du travail ?
C'est pourquoi la prévention doit être l'un des vecteurs clés de ce projet de loi.
Ma troisième réserve concerne le financement du projet de loi. L'ampleur apparente du dispositif et des moyens financiers annoncés dépend en effet largement des efforts engagés par les partenaires de l'Etat, notamment les collectivités locales.
Pour financer ce plan triennal, le Gouvernement prévoit 51 milliards de francs sur trois ans, dont 38 milliards de francs à la charge de l'Etat, parmi lesquels 22 milliards de francs sont des crédits supplémentaires à dégager. Pour la seule année 1998, 2,7 milliards de francs doivent être redéployés. Toutefois, à l'heure où je parle, personne n'est en mesure d'indiquer clairement sur quels postes budgétaires les crédits correspondants seront dégagés.
Ainsi, l'opacité du financement de ce projet de loi prépare des redéploiements nuisibles à la politique de retour à l'emploi dans notre pays. Il menace, entre autres, l'allégement des charges sociales, qui pèsent sur les bas salaires, déjà remis en cause par la loi de finances pour 1998. Cette politique reste pourtant à nos yeux la plus efficace pour faciliter l'insertion dans l'emploi des personnes peu qualifiées.
Par ailleurs, si les simulations budgétaires du Gouvernement sont bien incluses dans ce projet de loi pour les dépenses relatives à « l'assurance maladie universelle », je regrette comme nombre d'orateurs que son dispositif législatif ne figure pas dans le présent projet de loi.
Ma quatrième réserve a trait au fait que votre projet de loi de lutte contre les exclusions privilégie l'accès à l'emploi non marchand au détriment de l'emploi d'insertion en entreprise.
Nous regrettons qu'il ne soit, pour nombre de mesures, qu'une succession d'intentions et un rappel de grands principes.
Le plus déplacé de ces effets d'annonce consiste à déclarer que plus de 51 milliards de francs seraient dépensés en trois ans. Mais ce que nos concitoyens doivent clairement savoir, c'est que ce montant comprend des crédits existants - plus de 2 milliards de francs au titre des fonds sociaux européens - qui seront transférés aux régions, sans parler des mesures non financées.
Par ailleurs, en ce qui concerne les 5 milliards de francs affectés au titre du projet de loi sur « l'assurance maladie universelle », nous souhaiterions savoir, puisque nous y sommes favorables, s'ils seront financés par un relèvement des cotisations, par une réduction des taux de remboursement ou par une baisse des dépenses médicales.
Autre « effet d'annonce », le Gouvernement affirme qu'il entend garantir l'accès à l'eau, à l'électricité et au gaz. Mais, « comme par magie », il omet de dire que la convention de solidarité sur l'électricité, comme celle de l'eau, date de novembre 1996 et que plus de 150 000 familles ont, depuis cette date, été aidées par EDF-GDF, donc par la solidarité des contribuables.
En ce qui concerne le domaine de l'accès aux soins, les dispositions contenues dans ce projet de loi restent encore très symboliques. Très concrètement, comment entendez-vous lutter, madame la ministre, pour que 10 % de ménages qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit près d'un Français sur trois, cessent de renoncer à se soigner, faute d'argent ? N'est-il pas regrettable que les crédits du budget de la santé destinés aux exclus aient diminué en 1998 alors même que ce texte vise à renforcer la mission sociale de l'hôpital ?
Comme pour le constat dressé par notre éminent rapporteur, nous regrettons sincèrement que l'institution de la couverture maladie universelle ne soit pas inscrite dans ce projet de loi. Nous souhaitons au contraire que ce texte de loi affirme son principe à compter du 1er janvier 1999, ainsi que le transfert à l'Etat des compétences sanitaires des départements et l'institution d'une visite médicale gratuite pour les élèves des écoles, des collèges et des lycées, dans certaines zones ou établissements dits « prioritaires ».
Enfin, madame la ministre, votre projet de loi, s'il proclame le « droit au logement », ne crée en pratique aucun nouveau logement pour résoudre le problème. A cet effet, si la taxation des logements vacants n'est aucunement de nature à remettre des logements sur le marché, elle découragera purement et simplement le logement locatif privé.
En effet, un constat simple s'impose : on construit peu de « vrais » logements sociaux en France, car ceux-ci coûtent trop cher. En réalité, en matière d'offre de logements vacants, il serait préférable, pour que les choses bougent et que la situation change, de supprimer un certain nombre d'obligations inutiles, en renforçant, par exemple, le dispositif de garantie de paiement des loyers impayés ou en simplifiant les procédures de déclaration des revenus fonciers pour les logements remis sur le marché après une vacance de deux ans.
La taxe sur les logements vacants, que vous comptez instituer à l'article 30 de ce texte, nous semble par ailleurs constituer une atteinte grave au droit de propriété et une injustice flagrante, puisqu'elle va décourager l'investissement des personnes privées dans les logements locatifs, qui, moins nombreux, deviendront plus chers. C'est le sens des deux amendements déposés par nos trois collègues sénateurs non inscrits représentant les Français établis hors de France sur une mesure qui risque fortement de dissuader les non-résidents expatriés de posséder dorénavant et librement une habitation dans notre pays.
M. Jacques Habert. C'est tout à fait exact !
M. Philippe Darniche. Enfin, madame la ministre, j'en viens au point essentiel de réserve marquée sur ce texte, tel qu'il nous est présenté : nous aurions souhaité que ce projet de loi privilégie avant tout l'accès au travail et l'insertion en entreprise.
Afin de faciliter durablement l'accès à l'emploi dans les entreprises, il nous paraît nécessaire d'activer les dépenses passives du RMI en permettant effectivement aux titulaires de l'allocation depuis deux ans de prendre un emploi rémunéré à mi-temps dans le cadre d'un contrat initiative-emploi, un CIE, tout en continuant à percevoir une allocation complémentaire de « revenu minimum d'activité ».
De plus, nous souhaitons que soit instaurée une exonération complète des charges sociales d'embauche de tout titulaire d'un minimum social depuis deux ans.
Nous nous inquiétons également de l'alourdissement des contraintes qui pèsent sur les collectivités locales. Ainsi, en ce qui concerne les fonds d'aide aux jeunes, les FAJ, et les fonds de solidarité pour le logement, les FSL, qui sont tous deux cofinancés par l'Etat et les départements, nous sommes opposés au fait qu'en vertu de ce texte de loi l'Etat, seul, ait les moyens de mobiliser à son profit ces deux dispositifs, alors même que ceux-ci doivent, et c'est leur force, être gérés de manière souple au niveau local et non centralisés à l'échelon national.
Pour aller plus en profondeur dans ce raisonnement, pourquoi donc accroître l'importance du rôle du préfet dans l'application des accords collectifs départementaux qui seraient dès lors passés avec les organismes d'HLM pour favoriser l'accueil des populations en difficulté dans le parc locatif social ?
Enfin, l'action des conférences intercommunales du logement, les CIL, nous paraît plus conçue comme un pur prolongement territorial de l'action préfectorale que comme le moyen efficace d'associer les maires, dans une politique de proximité, à l'amélioration de la politique d'atribution des logements sociaux aux personnes les plus défavorisées. C'est la raison pour laquelle ces conférences doivent retrouver, à nos yeux, une fonction de concertation dans l'attribution des logements sociaux, en permettant aux communes de refuser, dans un certain délai, d'en faire partie par décision motivée et en autorisant la création de conférences communales.
Mon dernier propos tient enfin à mettre fortement l'accent sur le volet « prévention » de la lutte contre l'exclusion.
L'illettrisme n'est pas seulement un handicap social et culturel, c'est aussi une cause évidente de chômage. C'est en soutenant, en « amont », dans leur travail préventif de tous les jours, les parents et leurs enfants, les enseignants et leurs élèves que nous réduirons la fracture sociale du « non-partage du savoir et des connaissances ».
Pourquoi donc se persuader qu'on continue à donner le baccalauréat à 80 % d'une classe d'âge lorsqu'on voit le nombre de jeunes « laissés sur le carreau » et qui souffrent de n'avoir pas appris ou qui ont appris les bases de la lecture, de l'écriture et du calcul et souffrent d'avoir oublié ?
Pour nous, ce « volet préventif » passe incontestablement par le soutien actif aux familles et par l'accès de tous à l'activité sportive, à la culture et aux loisirs.
M. le président. Mon cher collègue, votre temps de parole était de dix minutes et vous en êtes déjà à quinze minutes. (Exclamations.) Il vous faut conclure !
M. Philippe Darniche. Je vous demande de m'excuser, monsieur le président.
M. Michel Mercier. C'était pourtant intéressant !
M. Philippe Darniche. Le sport est une véritable « école de citoyenneté » où les jeunes peuvent apprendre à vivre en groupe et à maîtriser leur violence. L'aide de la structure familiale et associative doit également être renforcée pour éviter à ces jeunes de tomber dans la spirale infernale de l'exclusion et de passer à côté de leur existence.
J'en arrive à ma conclusion, monsieur le président.
M. le président. Mon cher collègue, nous devons suspendre nos travaux à vingt heures si nous voulons les reprendre à vingt-deux heures. Or, si je vous ai donné la parole, c'est parce que vous n'étiez inscrit que pour dix minutes !
Veuillez donc conclure.
M. Philippe Darniche. Pour être franc, j'aurais souhaité voter une « grande loi » qui encourage l'initiative individuelle, et non l'assistanat public, qui redonne le goût de la responsabilité à nos concitoyens, et non la facilité du laxisme et de la « déresponsabilisation ». Enfin, nous aurions aimé voter une « grande loi » qui favorise le partage généreux dans le sens d'une plus grande coordination et d'une plus grande proximité.
Lutter contre l'exclusion, ce n'est pas uniquement prendre en compte les difficultés des personnes les plus démunies de notre société. C'est aussi prendre des mesures significatives qui favoriseront la création d'emplois privés qui, seuls, permettront de réduire fortement le chômage en France.
La réduction des charges, insupportables pour nos entreprises et nos citoyens, demeure la première des grandes orientations qui, si elle ne figure pas - et je le comprends - dans votre projet de loi, doit cependant demeurer au centre de vos réflexions.
Si certains articles nous semblent bons, nous les voterons. Mais, avant toute chose, nous soutiendrons clairement et fermement les amendements de la commission des affaires sociales sur ce texte, car ils nous paraissent parfaitement adaptés au combat permanent que doit être la lutte quotidienne et réaliste contre l'exclusion dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.