Séance du 9 juin 1998
LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 445, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation
relatif à la lutte contre les exclusions. [Rapport n° 450 (1997-1998), avis n°
472 (1997-1998), avis n° 471 (1997-1998), avis n° 478 (1997-1998) et avis n°
473 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi d'orientation relatif à la
lutte contre les exclusions, que nous examinons aujourd'hui, est, aux yeux du
Gouvernement, fondamental pour redonner à chacun une vraie place dans notre
pays.
Il est absurde de voir notre pays s'enrichir chaque jour un peu plus et de
constater, en même temps - et nous l'avons tous fait - qu'une partie de nos
concitoyens s'enfoncent dans la pauvreté, voire dans la misère.
A cet égard, le diagnostic est implacable : aujourd'hui, 15 % de nos
concitoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté ; deux millions de personnes
ne vivent que grâce au RMI, le revenu minimum d'insertion ; six millions
dépendent des minima sociaux ; un million vivent un chômage de longue durée.
Depuis quinze ans, la proportion de ménages qui vivent en deçà du seuil de
pauvreté n'a pas bougé, alors que le revenu moyen des Français a progressé de
33 %.
Aujourd'hui, ils sont des centaines de milliers à être mal logés ou sans abri,
à renoncer à se soigner pour des raisons financières ou à être fragilisés par
le surendettement.
Derrière ces chiffres, qui paraissent lourds mais qui ne sont que des
chiffres, il y a des hommes et des femmes qui souffrent et, surtout, qui ont
perdu l'espoir en la capacité de notre société de leur redonner une place.
C'est bien à cela que nous souhaitons, je l'espère ensemble, nous attaquer
aujourd'hui.
L'acuité de cette situation nécessite sans doute une coopération de tous : de
l'ensemble des collectivités locales, de l'Etat, des acteurs économiques et
sociaux et, bien sûr, des associations qui, depuis des années, mènent un combat
extrêmement important contre l'exclusion et qui, il faut le dire, ont sans
doute permis jusqu'à présent à notre pays de maintenir un certain lien social
dans un certain nombre de quartiers ou de zones rurales désertifiées.
Je l'ai dit à l'Assemblée nationale et nous pouvons le répéter ici :
l'exclusion est bien notre défaite collective. En effet, nous n'avons pas su
mobiliser à temps les moyens suffisants pour y répondre.
La volonté du Gouvernement - je l'ai dit en commission, je le répète en séance
publique - est de parvenir à un rassemblement le plus large possible autour de
ce projet de loi. Dans le fond, nous avons aujourd'hui l'occasion d'apporter à
cette défaite collective une réponse la plus collective et la plus forte qui
soit, par une vraie ambition de la nation de ne pas accepter ce qui est bien
aujourd'hui l'inacceptable.
C'est en tout cas la volonté qui est la mienne et celle de mes collègues qui
sont au banc du Gouvernement au moment où débute la discussion du projet de loi
au Sénat, quelques semaines après le débat à l'Assemblée nationale.
Ce projet de loi fait partie d'un ensemble, d'un programme que le Gouvernement
a annoncé. Il sera complété par deux lois - une loi sur la couverture maladie
universelle, à l'automne, et une loi, préparée par Mme la garde des sceaux, sur
l'accès au droit - et par des programmes d'action qui ne nécessitent pas
obligatoirement de figurer dans une loi. Je pense, par exemple, aux programmes
sur les sports, les loisirs, la culture, qui sont mis en place par un certain
nombre de nos collègues.
Cela dit, ce programme représente pour l'Etat des dépenses de l'ordre de 38,4
milliards de francs, sur un total de 51,4 milliards de francs. Cela permettra
effectivement d'avancer de manière importante dans une action qui, bien sûr,
nécessitera plus de trois ans, mais dont le présent projet de loi constitue la
première étape.
Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz ainsi que les associations regroupées dans
le cadre du collectif Alerte ont salué la philosophie de ce projet et les
outils mis à la disposition de tous, tout en souhaitant quelques modifications,
dont certaines ont déjà été apportées lors du débat à l'Assemblée nationale.
Elles ont salué également l'effort financier indispensable pour rendre
effective cette ambition.
A cet égard, si je salue la qualité du travail de vos commissions, notamment
de la commission des affaires sociales et de la commission des finances, ainsi
que des rapporteurs, en particulier MM. Seillier, Oudin et Loridant, pour
apporter une information complète permettant d'apprécier cet effort, je
m'étonne qu'il y ait eu, parfois, dans les rapports, quelques querelles de
chiffres.
Tous les chiffres sont sur la table. Le budget de 1998 a déjà repris en son
sein les premiers chiffres qui ont été avancés ; vous constaterez, dans
quelques semaines, que le projet de budget pour 1999 reprend, dans l'ensemble
des budgets, les chiffres qui vous sont annoncés. Sur ce point, il n'y a pas de
doute. Ce Gouvernement a, jusqu'à présent, fait ce qu'il a dit et il poursuivra
bien évidemment dans cette voie avec ce projet de loi d'orientation relatif à
la lutte contre les exclusions.
Ces mécanismes qui mènent à l'exclusion, parfois à partir d'un accident de la
vie - la perte d'un emploi, une maladie, un accident dans la vie familiale, par
exemple - sont bien connus, notamment depuis que certains, en particulier au
Conseil économique et social, ont fait le point et ont apporté plusieurs
réponses : ainsi le père Joseph Wresinski et Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz,
à qui il convient de rendre hommage, ont permis une prise de conscience dans
notre pays et des débats fructueux au Conseil économique et social. L'ensemble
du travail des associations, lié non seulement à leur expérience, mais aussi
aux propositions qu'elles ont faites, à l'énergie et à la détermination dont
elles ont fait preuve pour défendre l'idée d'un tel texte ont abouti d'abord au
projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale présenté par le
précédent gouvernement et, aujourd'hui, à ce projet de loi contre les
exclusions que nous vous proposons.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En effet, comme nous le savons,
la croissance, même si elle reprend, ce dont nous nous réjouissons, ne suffit
pas, et notre société ainsi que la crise que nous connaissons depuis plusieurs
années ont « cassé » nombre de nos concitoyens. Il nous faut donc remettre en
place des dispositifs pour donner à ces derniers une chance et une place dans
notre société. Aussi, le programme d'action du Gouvernement et ce projet de loi
contre les exclusions s'appuient sur trois grands principes.
En premier lieu, si la solidarité nationale se doit de porter assistance à un
certain nombre de nos concitoyens lorsqu'ils en ont besoin, l'ensemble des
politiques publiques doivent faire en sorte - nous sommes tous d'accord pour le
dire - de les faire sortir au plus vite de l'assistance et de leur donner accès
aux droits fondamentaux.
En effet, nous ne pouvons pas nous satisfaire de remettre un chèque en fin de
mois, que ce soit au titre du revenu minimum d'insertion, de l'allocation de
solidarité spécifique, l'ASS, ou de l'indemnisation du chômage. Nous devons
redonner à chacun les moyens de prendre sa vraie place dans la société. C'est
bien là l'objectif de ce projet de loi.
A cet égard, il s'agit non pas de stigmatiser les exclus par l'octroi de
droits spécifiques, mais de leur donner la possibilité d'accéder aux droits de
tous, aux droits qui permettent à notre République d'exister et, ainsi que M.
le Premier ministre l'a indiqué, au pacte républicain de retrouver tout son
sens.
Notre volonté est évidemment non pas seulement de guérir ; elle est aussi de
prévenir. En effet, la politique, à mon avis, doit aussi chercher à prévenir
les problèmes pour éviter d'avoir à les traiter en urgence. A cet égard, le
deuxième grand principe de ce projet de loi est la prévention, qu'il s'agisse
de la prévention des situations d'expulsion en matière de logement, par
exemple, des situations de surendettement ou de la prévention qui passe souvent
par une citoyenneté accrue, laquelle comporte, nous le savons, des droits comme
des devoirs.
Enfin, le troisième principe majeur de ce projet de loi est la mobilisation de
tous.
Nous savons qu'il n'appartient pas à une seule collectivité publique ou même
aux seules collectivités publiques de traiter et d'aider à la résolution de ce
problème de l'exclusion. Nous nous devons de trouver les moyens en nous
appuyant sur les entreprises, sur les associations, ainsi que sur nos
concitoyens, afin de réaliser un véritable pacte national contre les
exclusions. Tel est bien l'objectif que nous visons aujourd'hui.
Ce projet de loi tend donc tout d'abord à garantir l'accès de tous aux droits
fondamentaux. Le paradoxe de cette société tient dans la réalité suivante :
alors que les droits des citoyens sont inscrits au fronton de nos mairies ainsi
que dans le préambule de la Constitution, leur réalité est loin d'être la même
pour tous, que l'on parle d'ailleurs de catégories ou de zones
géographiques.
Or il s'agit bien ici, au-delà du principe même de l'égalité des droits, de
mettre en place une égalité d'accès aux droits, c'est-à-dire d'appliquer ce
principe.
Cela est d'abord particulièrement vrai dans le domaine de l'emploi, car nous
savons bien que la rupture de la chaîne de l'emploi est souvent l'événement qui
entraîne vers l'exclusion par un processus cumulatif de difficultés qui
s'enchaînent. Aussi, nous souhaitons faire en sorte que chacun puisse avoir
accès à l'emploi en aidant plus particulièrement les plus défavorisés.
Nous nous réjouissons tous de voir que la croissance revient, qu'il y a 150
000 chômeurs de moins depuis le mois d'octobre, que 65 000 jeunes occupent
d'ores et déjà des emplois-jeunes, que les entreprises commencent à discuter
sur la réduction de la durée du travail ; mais nous savons aussi que, quel que
soit le nombre d'emplois créés demain par les petites et moyennes entreprises
autour des nouvelles technologies, par les emplois-jeunes, par la réduction de
la durée du travail, les personnes qui sont aujourd'hui cassées par des années
de chômage ne retrouveront pas leur place dans la société si nous n'adoptons
pas des dispositions leur permettant d'avoir un accès réel à l'insertion, à la
formation et à l'emploi.
Tel est bien l'objectif de ce projet de loi, qui s'appuie sur plusieurs
principes.
Le premier principe est simple, et nous l'avons d'ailleurs repris dans le
programme national d'action que M. le Président de la République et M. le
Premier ministre présenteront à Cardiff devant nos partenaires européens :
c'est l'idée du nouveau départ, que l'Assemblée nationale a voulu inscrire dans
la loi. Nous souhaitons en effet que chaque chômeur de longue durée, adulte ou
jeune, puisse être accompagné dans le temps, l'objectif étant de lui proposer
soit une mesure d'insertion, de suivi individualisé ou de formation, soit un
emploi. Nous savons qu'il faut accompagner, parfois longuement, ceux qui ont
été « cassés » par le chômage.
Le second élément majeur, c'est que nous avons l'impression qu'il existe de
nombreux outils pour lutter contre le chômage, mais qu'il nous manque
aujourd'hui un certain nombre de dispositifs s'adressant à des populations
particulières. C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit, par
exemple pour les jeunes, un programme appelé TRACE, trajet d'accès à l'emploi,
qui permettra à 60 000 jeunes en grande difficulté, c'est-à-dire éloignés du
monde du travail, de bénéficier d'un parcours qui pourra durer jusqu'à dix-huit
mois et qui visera à les faire accéder à une qualification ou à un emploi. Le
programme TRACE s'articulera autour de la situation de chaque jeune et pourra
débuter par une action de remobilisation, à partir, par exemple, d'un projet
sportif ou culturel pour des jeunes qui sont très éloignés de l'emploi. Il
passera par des mesures d'insertion et de préqualification, et il permettra
d'aider ces jeunes à acquérir la qualification qu'ils n'ont pas et à accéder à
l'emploi.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, la discussion générale et l'examen des
amendements ont permis en particulier de lever des craintes qui avaient été
parfois exprimées à propos d'une remise en cause des compétences des régions.
Je voudrais rappeler que c'est le comité de coordination des programmes
régionaux de développement de la formation professionnelle qui a demandé que
l'Etat puisse aider les publics les plus en difficulté, notamment par des
actions d'accompagnement et par un renforcement des moyens de l'Agence
nationale pour l'emploi et des missions locales. C'est ce que nous allons
faire.
En ce qui concerne les adultes, il nous a semblé qu'un certain public - je
pense notamment aux adultes jeunes qui arrivent sur le marché du travail en
situation d'échec scolaire et sans qualification - avait besoin d'acquérir une
formation, mais que, souvent, les formations existantes, théoriques, n'étaient
pas adaptées à leurs capacités. Aussi a-t-on discuté avec le patronat, qui en a
accepté le principe, d'un contrat de qualification adultes permettant, par des
périodes de formation alternant formation en entreprises et formation
théorique, à un certain nombre d'adultes d'acquérir véritablement une
formation.
Nous allons tester cette mesure, qui concernera, nous l'espérons, 25 000
adultes au bout de trois ans.
Il nous faut enfin, pour les adultes comme pour les jeunes, renforcer les
mesures destinées à ceux qui sont les plus en difficulté ; je pense notamment
aux contrats emploi-solidarité, que nous avons mieux ciblés et centrés sur les
publics en difficulté, car rien ne justifie que l'Etat investisse de manière
importante dans les contrats emploi-solidarité si ceux-ci ne sont pas réservés
à des personnes ne pouvant pas occuper des emplois classiques et ayant besoin
effectivement de remettre le pied à l'étrier et d'être accompagnées dans la
durée, avant de pouvoir, comme nous l'espérons, accéder à une qualification ou
à un emploi. Mais nous savons aussi que les plus fragiles de ces chômeurs de
longue durée, les personnes qui sont à l'assistance depuis longtemps - je
rappelle que 10 % des RMIstes, soit 90 000 d'entre eux, sont au RMI aujourd'hui
depuis dix ans, et donc depuis la création du RMI - ne pourront trouver place
dans le secteur privé. Aussi avons-nous souhaité créer une nouvelle catégorie
de contrat emploi consolidé de cinq ans, financé à 80 % par l'Etat, pour ces
publics particuliers afin de les sortir de l'assistance et de leur redonner
leur dignité en même temps qu'un sentiment d'utilité sociale.
Les principales améliorations adoptées par l'Assemblée nationale portent sur
des dispositions qui visent à préparer la sortie vers l'emploi classique ; je
pense, en particulier, à un amendement prévoyant des actions de validation des
acquis ainsi qu'un bilan de compétences après vingt-quatre mois pour repréciser
le projet professionnel, ce qui me paraît aller dans le bon sens.
Au-delà des constats emploi-solidarité et des contrats emploi consolidé, nous
devons continuer à renforcer le secteur de l'insertion par l'économique.
Nous savons combien les entreprises d'insertion, les associations
intermédiaires, les régies de quartier, les associations d'intérim ou
d'insertion, les chantiers-écoles remplissent aujourd'hui un rôle majeur en
aidant des personnes à sortir de l'assistance, à travailler, même si elles ne
sont pas aptes, au même rythme que les autres et à retrouver confiance en
elles.
Nous souhaitons effectivement que, là aussi, l'aide qu'apporte l'Etat à ces
structures soit véritablement destinée à des publics en grande difficulté, et
nous avons souhaité prendre un certain nombre de dispositions pour permettre
d'éviter des abus ou des contournements de ces dispositifs.
Je souhaite, à la suite de quelques remarques entendues au sein de la
commission des affaires sociales, redire que le texte que nous avons finalement
déposé à l'Assemblée nationale pour les associations intermédiaires et qui vise
à limiter dans le temps la mise à disposition en entreprise constitue, je
crois, un bon compromis avec les associations intermédiaires. Il permet
d'éviter les contournements et a été accepté par le CORAACE, qui regroupe
l'ensemble des associations intermédiaires.
Si je me réjouis que vous gardiez l'économie globale du texte relatif aux
associations intermédiaires, je regrette, toutefois, que vous n'acceptiez ni
l'obligation de rémunérer les salariés des associations intermédiaires au
salaire conventionnel de l'entreprise d'accueil ni la référence aux sanctions
en cas de dépassement des durées maximales de mise à disposition en
entreprise.
Favoriser l'accès à l'emploi des personnes les plus fragiles, c'est aussi
encourager l'esprit d'initiative et leur permettre de mener à bien des projets
de création d'activités. C'est pourquoi nous avons élargi le dispositif d'appui
à la création d'entreprise - le dispositif EDEN - aux bénéficiaires du RMI, de
l'ASS et de l'allocation de parent isolé.
Enfin, l'inscription de la lutte contre l'illettrisme comme un objectif majeur
dans l'éducation permanente a été largement saluée par les associations. Cela
permettra de mettre en place des actions dans des conditions identiques aux
autres dispositifs de formation professionnelle et, en particulier, d'imputer
les dépenses sur les contributions des entreprises à l'effort de formation.
Je pense, par ailleurs, que les attentes de ceux qui regrettaient de ne pas
trouver là d'autres dispositions relatives à la lutte contre l'illettrisme sont
largement comblées par l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'un amendement,
proposé par M. Jacques Barrot, reprenant la déclaration d'intention prévue par
le projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale. Sur ce volet «
emploi », les amendements adoptés par la commission des affaires sociales
témoignent, je crois, de la même volonté et du même objectif, ainsi que d'une
attitude totalement constructive et ouverte ; je tiens à l'en remercier.
Je me félicite, à cet égard, que la majorité sénatoriale ait choisi d'inscrire
sa réflexion et son travail dans la logique du projet de loi que le
Gouvernement propose.
A ce titre, je ne m'arrêterai pas sur les propos parfois critiques, et je
préfère revenir sur les amendements qui me paraissent constructifs.
M. Charles Descours.
Il faut tout retenir, les critiques et les propositions !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai déjà répondu sur les
chiffres. Je retiendrai bien évidemment les critiques de fond, mais il y en a
tellement peu que je pourrais passer outre !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Voilà !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ainsi, sur le volet « emploi »,
vous n'avez proposé - je m'en réjouis, car c'est rare - aucune suppression
d'article, et une bonne moitié des quarante-quatre amendements déposés
recueillera l'avis favorable du Gouvernement. J'en évoquerai quelques-uns.
Tout d'abord, je partage votre volonté que les possibilités de cumul des
minima sociaux et des revenus d'activité professionnelle soient larges. Si
certains points précis posent des problèmes techniques, je suis sensible à
votre volonté d'autoriser les cumuls des minima sociaux avec les revenus d'une
activité indépendante et avec les aides à la création d'entreprise.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous souhaitez, en outre, que
la loi invite les partenaires sociaux à réexaminer les mécanismes de cumul dans
le cadre de l'assurance chômage. Ce point ne me semble pas relever de la loi,
même si je partage votre intention, et j'avais d'ailleurs écrit en ce sens à
Mme Notat.
S'agissant du cumul d'un contrat emploi-solidarité avec une deuxième activité
professionnelle, je me réjouis que vous ayez souhaité n'ouvrir cette
possibilité qu'à partir du quatrième mois afin d'éviter que les personnes
capables d'occuper un emploi en entreprise ne soient orientées à tort vers un
CES. Je proposerai, là aussi, une modalité quelque peu différente mais qui
rejoint votre objectif.
Par ailleurs, je regrette - mais nous y reviendrons au cours du débat - que la
commission des affaires sociales n'ait pas souhaité maintenir la possibilité de
soutenir financièrement, par l'intermédiaire du FAJ, le fonds d'aide aux
jeunes, les jeunes du programme TRACE qui se heurteraient à des difficultés
matérielles entre deux programmes qui leur seraient proposés. Il s'agit là
moins d'un désaccord de fond que de craintes que vous avez voulu exprimer et
sur lesquelles je voudrais vous rassurer. L'intervention des fonds d'aide aux
jeunes ne sera pas automatique, mais elle sera accordée aux jeunes rencontrant
de réelles difficultés financières ; la participation des départements et des
communes ne se fera bien évidemment pas sans concertation.
La commission des affaires sociales propose enfin deux dispositifs qui
s'inspirent du contrat initiative-emploi, le CIE. Ces dispositifs ne me
semblent pas, je le dis d'emblée, pertinents.
Le premier tend à autoriser le cumul partiel d'un RMI et d'un CIE à mi-temps
dans le cadre d'un contrat d'insertion associant l'entreprise. Cette mesure est
moins favorable que celle que nous suggérons et qui permet le cumul du RMI avec
une activité salariale, grâce à un mécanisme d'intéressement qui, dorénavant,
durera douze mois avec 100 % au début pour terminer à 25 %. C'est donc un
dispositif plus favorable.
La seconde mesure que vous proposez consiste à exonérer de charges patronales
de sécurité sociale pendant cinq ans l'embauche de bénéficiaires depuis plus de
deux ans du RMI, de l'ASS ou de l'API, l'allocation de parent isolé. Dans une
période où la croissance est de retour et où les contrats initiative-emploi ont
parfois provoqué des effets d'aubaine, je ne suis pas sûre qu'une mesure à cinq
ans soit aujourd'hui pertinente.
J'en ai fini avec l'emploi.
Le deuxième grand domaine dans lequel les droits fondamentaux ne sont pas
effectifs est celui du logement, avec 200 000 personnes sans abri, deux
millions de mal-logés.
Ce projet de loi prévoit des dispositions que M. Louis Besson vous présentera
dans quelques instants et qui répondent à deux objectifs : le droit à l'habitat
et la nécessité de la mixité sociale.
Le troisième droit fondamental de notre programme est la santé. Là encore, la
réalité ne corrobore pas les grands principes constitutionnels pourtant
affichés dans le préambule de la Constitution et qui assurent à chacun la
protection de la santé.
La réalité n'est pas celle-là, nous le savons : difficultés pour beaucoup à
suivre le circuit de soins, dépistage insuffisant, difficultés à suivre un
traitement, émergence de pathologies nouvelles dans les quartiers les plus
défavorisés. Ainsi, aujourd'hui, d'après le CREDES, un Français sur quatre
déclare avoir renoncé à se faire soigner pour des raisons d'ordre financier.
Pour garantir à tous la protection de la santé, nous proposons d'avancer dans
deux directions complémentaires.
La première vise à généraliser l'accès à la protection sociale, j'en ai dit
quelques mots tout à l'heure. Il s'agit, au-delà de l'assurance maladie
universelle, qui avait été annoncée par le précédent gouvernement, de prévoir
une couverture maladie universelle qui ne permette pas seulement l'adhésion au
régime général, mais aussi l'accès à un régime complémentaire pour tous ceux
qui, effectivement, n'ont pas réellement accès aux soins aujourd'hui.
Nous déposerons, à l'automne, un projet de loi au Parlement sur lequel
travaille actuellement un parlementaire en mission, M. Jean-Claude Boulard.
La seconde direction consiste à renforcer l'offre de prévention et de soins
pour les personnes en situation de précarité.
L'instauration sur l'ensemble du territoire de programmes régionaux d'accès à
la prévention et aux soins, qui existent d'ailleurs déjà dans certaines
régions, visera autant à améliorer l'offre de prévention et de dépistage à
destination des publics précaires qu'à favoriser leur prise en charge.
Nous savons que, aujourd'hui, beaucoup d'exclus ne vont plus frapper à la
porte d'un cabinet médical ou d'un hôpital. Il faut à la fois que l'hôpital
sorte de ses murs, mais aussi qu'il puisse travailler avec les associations qui
exercent leur action à proximité des exclus. Il faut, pour cela, que ces
programmes assurent la coordination entre l'ensemble des partenaires qui
travaillent sur le terrain.
Ces programmes s'attacheront notamment au soutien et au développement des
réseaux de santé sociale qui permettent la continuité du suivi socio-sanitaire
des personnes, à la formation des différents acteurs et au soutien des actions
prioritaires à partir d'une liste des pathologies, que nous connaissons,
touchant les publics en grande difficulté.
Par ailleurs, l'inscription dans la loi et dans les faits de la mission
sociale de l'hôpital doit être réalisée. L'hôpital était hier l'hospice,
c'est-à-dire l'établissement qui accueillait chacun ; aujourd'hui, l'hôpital
est fermé pour beaucoup car, encore une fois, beaucoup hésitent à y venir.
Redonner à l'hôpital sa fonction historique d'accueil exige des adaptations
structurelles, mais aussi des évolutions dans les pratiques professionnelles.
Et je sais, pour les avoir consultés et pour avoir commencé avec eux à mettre
ces adaptations en pratique, que les personnels hospitaliers y sont prêts.
Nous allons, pour ce faire, généraliser les permanences d'accès aux soins de
santé, véritable dispositif d'accueil médico-social à l'hôpital. Il ne s'agit
évidemment pas de créer des filières réservées aux plus démunis, mais de
prévoir effectivement des consultations de médecine générale sans rendez-vous,
des consultations sociales, des actions de dépistage et de prévention et, quand
c'est nécessaire, la gratuité des examens et de la délivrance des
médicaments.
Plus accueillant pour les exclus, l'hôpital doit aussi être plus ouvert, à la
fois en ouvrant ses portes à certains partenaires - institutions sociales,
médecine de ville, associations humanitaires et sociales - et en assurant le
suivi des patients à la sortie de l'hôpital.
Là aussi, les choses avancent et de nombreuses expériences d'hôpital hors les
murs m'apparaissement intéressantes à tous points de vue parce qu'elles
touchent des personnes qui, jusqu'à présent, étaient exclues du dispositif et
parce que, par ailleurs, elles sont souvent génératrices, sinon de recettes
complémentaires, du moins d'un allégement des dépenses.
Le second grand volet de ce projet de loi d'orientation concerne la prévention
des situations d'exclusion, en particulier s'agissant des deux aspects que
constituent, d'une part, le surendettement, qui sera traité par Mme Marylise
Lebranchu, et, d'autre part, l'expulsion, dont vous entretiendra M. Louis
Besson.
Toutefois, outre l'accès aux droits fondamentaux et malgré cette politique de
prévention que nous mettons en oeuvre, nous devons aussi répondre aux
situations d'urgence que nous connaissons tous.
Ainsi, l'Etat et ses partenaires doivent être capables, dans les situations
extrêmes auxquelles nous nous trouvons confrontés, de répondre efficacement.
La prise en charge de l'urgence sera améliorée par un dispositif de veille
sociale généralisée qui permettra d'apporter une assistance immédiate et
coordonnée à des personnes en situation de détresse absolue, notamment grâce
aux boutiques d'accueil de jour et aux équipes mobiles d'urgence sociale.
Le réseau d'hébergement social sera amélioré, rendu accueillant et plus
performant. D'importants travaux seront réalisés dans les CHRS, les centres
d'hébergement et de réadaptation sociale, et 1 500 places supplémentaires
seront créées en trois ans. Ces centres d'hébergement, comme le dispositif de
veille sociale, bénéficieront d'un statut juridique renforcé.
Le maintien de l'accès à l'eau, à l'électricité, au gaz et au service
téléphonique sera assuré, dès lors que l'interlocuteur compétent sera contacté
par les services en cause pour trouver une solution et pour essayer
d'échelonner les dettes. Lorsque cette tentative échouera, la cellule d'urgence
mise en place auprès du préfet devra obligatoirement être saisie avant
l'interruption du service pour vérifier que des aides publiques ou des
accompagnements ne peuvent pas être apportés, dans les cas où les demandeurs
sont de bonne foi, cela va sans dire.
Par ailleurs, le fonds d'urgence sociale mis en place par l'Etat au début de
l'année 1998 a confirmé l'idée que nous devions coordonner nos dispositifs
d'urgence.
Rien n'est pire, aujourd'hui, pour une personne en grande difficulté, que
d'être obligée d'aller frapper à plusieurs portes, d'aller expliquer à
plusieurs guichets ses problèmes, de se mettre en quelque sorte à nu pour faire
part de situations qui sont souvent déjà extrêmement lourdes à porter.
Dans la continuité de l'expérience du fonds d'urgence sociale, nous avons
proposé de mettre en place un dispositif permettant que, quel que soit le
guichet auquel viendra s'adresser la personne en grande difficulté - centre
communal d'action sociale, commission locale d'insertion, fonds d'action
sociale, réseau des ASSEDIC - un seul et même dossier soit constitué. Lorsque
l'institution à laquelle cette personne se sera adressée ne sera pas
compétente, le dossier remontera à la cellule d'urgence sociale, qui devra
trouver la bonne réponse, que cette réponse soit financière ou qu'elle prenne
la forme d'une prise en charge beaucoup plus structurelle.
Il ne s'agit donc pas de concentrer toutes les aides dans un même fonds, mais
de coordonner les actions autour d'une même table pour faire en sorte que des
réponses adéquates puissent être apportées de manière plus efficace à ceux qui
en ont besoin et qui, en règle générale, y ont droit.
Telle sera la mission de la commission d'action sociale d'urgence, que ce
projet de loi vise à instaurer et qui sera présidée par le préfet. Ce
dispositif a d'ailleurs, je le rappelle, été adopté à l'unanimité par
l'Assemblée nationale.
Notre troisième et dernière ambition est de mieux agir ensemble contre les
exclusions.
Je l'ai dit tout à l'heure, la prévention et la lutte contre les exclusions
nécessitent la mobilisation de tous et la mise en cohérence des différents
outils.
Dans un premier temps, l'efficacité de l'action publique doit être amplifiée.
Nous avons ainsi prévu de renforcer et de rénover la formation des membres des
professions sociales, dont les effectifs seront accrus. L'Etat devra par
ailleurs, partout où c'est nécessaire, mobiliser, dans le cadre de ses
missions, l'ensemble des partenaires concernés. Les pratiques de certains
services publics devront ainsi être adaptées, sur le terrain, à l'accueil des
plus démunis. Ce point fait partie de la réforme de l'Etat sur laquelle nous
travaillons actuellement.
Mais une des conditions de la réussite est d'abord de mieux connaître
l'exclusion sous toutes ses formes et d'évaluer les politiques menées. Nous
avons pour cela repris l'idée, déjà présente dans le projet de loi tendant au
renforcement de la cohésion sociale, d'un observatoire des phénomènes
d'exclusion, placé sous l'autorité du Premier ministre. Toutefois, nous l'avons
doté de moyens pour lui permettre de réaliser effectivement un certain nombre
d'études.
L'ensemble de ces actions doit être complété par une coordination des
différents acteurs. Vous le savez, de multiples conseils, comités, plans
départementaux à vocation spécifique - soit qu'ils s'adressent à une population
spécifique, soit qu'ils travaillent sur un domaine spécifique - existent
aujourd'hui, notamment à l'échelon départemental.
Nous n'avons pas souhaité construire une « usine à gaz » en mettant en place
un plan général ou en refondant l'ensemble de ces fonds : nous avons préféré
l'instauration d'un comité de coordination afin de vérifier, dans un premier
temps, l'état de l'exécution de la politique menée dans le département auprès
de populations spécifiques pour prévenir des risques spécifiques avant de
vérifier, dans un second temps, que chacun remplit bien la mission qui est la
sienne.
C'est la raison pour laquelle cette commission, composée du préfet, du
président du conseil général - et, bien sûr, de représentants des collectivités
locales - devra aussi comprendre des représentants des différents conseils et
comités qui luttent contre l'exclusion, tels le comité pour l'insertion par
l'économique, le comité de lutte contre le surendettement ou le fonds de
solidarité pour le logement, le FSL.
Ce dispositif, qui concerne les relations entre l'Etat et l'ensemble des
institutions intervenant dans la prévention et la lutte contre l'exclusion, a
été lui aussi adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale. C'est pourquoi je
suis quelque peu étonnée qu'il fasse l'objet d'un amendement de suppression
présenté par la commission des affaires sociales du Sénat, mais je pense que
nos débats permettront peut-être de lever les ambiguïtés.
Dernier aspect de ce projet de loi, la citoyenneté.
L'exercice de la citoyenneté est essentiel, y compris pour les exclus. C'est
pourquoi nous avons repris les dispositions du projet de loi sur la cohésion
sociale sur l'exercice du droit de vote et sur l'obtention d'une carte
d'identité pour les sans-domicile fixe dès lors qu'ils sont connus par une
association agréée par le préfet.
L'Assemblée nationale a utilement amendé le texte en accordant aux SDF
l'exonération du droit de timbre pour la carte d'identité. De la même manière,
les délais de domiciliation auprès de l'association pour l'inscription sur les
listes électorales ont été ramenés à six mois.
Pour conclure, ce projet de loi consacre la volonté du Gouvernement de
mobiliser notre société - et demain, je l'espère, l'ensemble du Parlement -
dans le combat contre les exclusions. Il est le fruit d'une concertation très
large qui a associé, à chaque étape de son élaboration, les associations et les
organisations syndicales qui interviennent sur le terrain concret de la lutte
contre les exclusions. Je redis en effet ce que j'ai dit en introduction : ce
texte est d'abord le fruit du travail mené par ces associations pendant des
années, de leur expérience, mais aussi des propositions qu'elles ont faites, de
l'énergie qu'elles ont déployée à nous convaincre tous de la nécessité de cette
loi.
Notre environnement économique est aujourd'hui plus favorable. La croissance
est de retour. Mais nous savons que, si notre pays va mieux, certains,
aujourd'hui, ne le ressentent pas profondément. La logique même de cette loi de
lutte contre les exclusions est de leur redonner une place en leur redonnant
des droits.
C'est cette philosophie que nous pouvons, peut-être, partager : nous
ressentons la nécessité d'opposer à la loi du plus fort la loi du plus faible
et de nous rassembler pour combattre l'exclusion.
Je ressens enfin, avec mes collègues Mme Lebranchu, M. Besson et Mme Pery,
mais aussi avec l'ensemble du Gouvernement, toute la portée de ce combat qui
consiste à donner une réalité à la République et à des droits que la République
a effectivement consacrés, et à faire en sorte que la démocratie soit aussi une
réalité, afin que chacun puisse être un citoyen à part entière dans notre
pays.
C'est l'objectif du Gouvernement, et j'espère que ce sera un objectif partagé
!
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, permettez-moi de vous présenter de manière synthétique le volet
consacré au logement dans le projet de loi dont nous entamons la discussion.
Le logement représente, vous le savez, une réponse fondamentale aux besoins de
sécurité, d'intimité et de protection familiale que chacun est en droit
d'attendre pour lui-même ou de pouvoir offrir à ses enfants.
Dans une période où l'on a vu s'accroître la précarité des parcours
professionnels, mais aussi le nombre des déchirures familiales, où l'on a
assisté à la montée de l'individualisme, le logement - nous devons même dire
l'habitat - représente indéniablement un facteur essentiel d'insertion, de
reconnaissance sociale et de sécurisation.
Les rapports de vos commissions des affaires sociales, des affaires
économiques, des finances et des lois, dont je remercie les présidents, les
rapporteurs et les membres, montrent que vous avez tous bien mesuré
l'importance des orientations retenues et des dispositions prises par le
Gouvernement pour lutter contre l'exclusion.
Quatre axes principaux sous-tendent le projet développé dans ce volet du texte
: rendre effectif le droit au logement ; prévenir les expulsions ; passer
progressivement du droit au logement au droit à l'habitat ; mobiliser et
accroître l'offre locative pour les plus modestes.
Premier axe, donc, rendre effectif le droit au logement. Pour cela il a fallu
tirer un bilan des applications de la loi du 31 mai 1990. Aux bilans annuels
présentés devant le Conseil national de l'habitat se sont ajoutés les rapports
du haut comité pour le logement des défavorisés et diverses études. Dès ma
nomination, j'ai souhaité qu'une évaluation qualitative en soit faite sans
complaisance afin de reconnaître autant les acquis et les avancées que les
lacunes ou les dysfonctionnements constatés dans différents départements.
Si l'on peut se féliciter de la forte mobilisation de nombreux acteurs autour
des objectifs assignés aux plans départementaux et au fonds de solidarité
logement, qui ont permis, vous le savez, à plus de 700 000 ménages ou familles
d'être aidés tant pour l'accès que pour le maintien dans le logement ou par une
mesure d'accompagnement social, il nous faut aujourd'hui déterminer des règles
plus homogènes et fixer des objectifs plus précis afin de créer cette équité
territoriale que l'on revendique légitimement.
Par ailleurs, il nous a paru souhaitable de distinguer, dans les publics en
difficulté, les personnes ou les familles rencontrant des difficultés liées à
une insuffisance de leurs ressources de celles qui cumulent difficultés
économiques et difficultés d'insertion sociale.
La réponse à apporter aux premières nécessite une meilleure solvabilisation,
qui peut être obtenue par une baisse ou une limitation des loyers ou par une
revalorisation des aides à la personne. Des mesures de revalorisation des aides
personnelles, prises dès l'été 1997 et renouvelées dans le budget de 1998, ont
profité vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, à plus de 6 millions
de ménages parmi les plus modestes. Quant à une baisse des loyers, du moins des
plus insupportables dans le parc social, grâce à la mesure qui vient d'être
prise pour les taux des prêts, elle est discutée actuellement avec l'Union
nationale des fédérations d'organismes d'HLM.
Enfin, le texte proposé doit également faciliter le développement d'instances
locales chargées, sur un bassin d'habitat, de soutenir une politique dynamique
vis-à-vis des populations défavorisées. Pour l'Ile-de-France, un dispositif
particulier est envisagé pour être adapté à la taille et à la complexité de la
très grande agglomération parisienne.
Deuxième axe : prévenir les expulsions.
Cela nous a paru être une nécessité impérieuse. Pour cela, il nous faut
changer la logique qui a prévalu jusqu'à présent, c'est-à-dire celle de
l'évocation du trouble de l'ordre public pour accorder ou non le concours de la
force publique, et ce tout à fait à la fin d'une longue procédure, lorsqu'au
bailleur exaspéré on prend le risque d'ajouter une famille traumatisée.
La loi du 31 mai 1990 a créé le fonds de solidarité logement pour prévenir
notamment ces situations. Solliciter et mobiliser les instances du plan
départemental, dès l'assignation en résiliation du bail, c'est-à-dire en amont
de la décision du juge, nous a semblé répondre à l'exigence de mise en oeuvre
d'une véritable prévention.
Les expulsions avec le concours de la force publique ne devraient plus
concerner que les personnes de mauvaise foi ou celles qui troublent
manifestement le voisinage par leur comportement. A la bonne foi, la prévention
; aux autres cas, l'expulsion comme sanction.
Troisième axe : passer progressivement du droit au logement au droit à
l'habitat.
Une logique de prévention doit prévaloir aussi pour les services liés à
l'habitat tels que l'eau, l'électricité, le gaz ou le chauffage en général.
De même, a été introduite dans ce projet la lutte contre l'insalubrité par des
mesures fortes qui lient le signalement d'enfant atteint à un système de
contrôle de tout l'immeuble et à l'obligation de travaux à effectuer par le
propriétaire, avec, au besoin, substitution de l'Etat en cas de défaillance du
bailleur. Ce sont autant de manifestations de la volonté du Gouvernement de
s'engager dans une action délibérée d'élimination des foyers d'insalubrité qui
risquent d'intoxiquer, voire d'affecter gravement et durablement, ce qui est
encore plus insupportable, des enfants en bas âge.
Des mesures vous sont proposées également pour lutter contre les marchands de
sommeil et pour renforcer les statuts de sous-locataire ou de résident en hôtel
meublé, afin d'assurer une certaine sécurisation dans ces différents statuts
locatifs adaptés à des situations particulières.
Quatrième axe : accroître l'offre de logement aux personnes aux ressources
modestes.
La loi de finances de 1998 a anticipé sur ce projet de loi relatif à la lutte
contre les exclusions en consacrant des sommes importantes - environ 16
milliards de francs - aux aides à la pierre pour amorcer très rapidement une
relance de la construction de logements répondant aux besoins des deux
catégories de ménages et de personnes en difficulté que nous avons
distinguées.
Les 30 000 logements à loyer minoré réellement financés, dont 10 000 pour
réussir l'intégration des ménages et familles en réelle difficulté d'insertion,
démontrent les efforts que nous avons commencé à déployer et qui seront
poursuivis dans les années à venir, tout comme sera accru l'effort pour la
réhabilitation du parc privé par l'accroissement des moyens de l'Agence
nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, et des primes à
l'amélioration de l'habitat pour les propriétaires modestes.
M. Alain Vasselle.
Il faut aller encore plus loin !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Les mesures fiscales d'exonération de taxe
d'habitation pour les gestionnaires de résidences sociales et de location -
sous-locations vont aussi permettre de soutenir efficacement les associations
accueillant des personnes défavorisées.
L'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements
acquis et améliorés pour du logement social est une mesure de première
importance,...
M. René-Georges Laurin.
C'est généreux !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
... car elle va permettre, avec des coûts de loyer
mieux maîtrisés, voire diminués, de développer la création d'un parc locatif
attractif situé dans les secteurs anciens ou en secteur diffus, et l'on sait
qu'il s'agit parfois d'un gage de meilleure insertion pour certaines
familles.
M. Alain Vasselle.
Est-ce que l'Etat compensera ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Absolument, monsieur le sénateur. Il s'agit de mesures
qui s'appliquent dans le neuf et qui sont étendues à l'acquisition-amélioration
sur les mêmes bases d'engagement et d'implication de l'Etat.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
La réforme des modalités d'attribution doit définir
les conditions d'une transparence pour l'accès aux HLM, réclamée par tous. Les
engagements partenariaux devront également fixer des objectifs chiffrés de
logement des plus démunis, en respectant une indispensable mixité sociale et
urbaine. Ces objectifs seront déclinés par des conférences intercommunales dans
le cadre du bassin d'habitat, qui nous semble le niveau local pertinent pour
aborder le problème de l'habitat.
Les communes ne perdent aucune de leurs prérogatives ; elles acceptent
simplement d'échanger dans un cadre intercommunal non seulement autour du thème
de la diversification des attributions mais aussi autour des orientations sur
les constructions à venir.
Au titre du rôle de garant qui incombe à l'Etat en matière de solidarité, la
loi prévoira, de fait, un droit préfectoral d'attribution dans un cas précis,
celui du refus ou du non-respect de l'accord partenarial négocié, accepté,
d'ailleurs, par l'Union nationale des fédérations d'organismes d'HLM.
Le numéro d'enregistrement départemental des dossiers déposés, l'instance de
médiation, l'analyse des résultats liés aux engagements souscrits vont créer
une véritable convergence d'actions pour permettre cette transparence
recherchée.
La mobilisation de la vacance s'inscrit aussi dans ce chapitre grâce à des
mesures incitatives telles que la création d'une ligne budgétaire pour l'aide à
la médiation locative, à laquelle s'ajoutent les mesures déjà prises comme les
primes pour la remise en location de logements vacants versées par l'ANAH, mais
aussi les mesures prévues par la loi Meyer, que vous avez adoptée voilà
quelques mois, et qui permet aux organismes d'HLM de louer, dans le parc privé,
des logements vacants depuis deux ans au moins.
Pour renforcer toutes ces mesures incitatives, il nous a semblé justifié -
cette mesure a provoqué des réactions chez nombre de sénateurs lors des
auditions en commun - d'instaurer une taxe sur les logements laissés
délibérément et durablement vacants par leurs propriétaires dans des zones où
existe une demande importante non satisfaite.
Je rappelle que ces propriétaires ont demandé à ne pas payer de taxe
d'habitation pour des logements qu'ils ont déclarés vides ; il ne s'agit donc
pas d'une vacance occasionnelle ou liée à un déplacement, notamment
professionnel.
Enfin, la loi adaptera également la règle des réquisitions pour en améliorer
l'efficacité. Cette mesure est présentée volontairement en fin de projet,
contrairement au choix fait pour la loi de cohésion sociale, dont nous avons
repris le texte, pour bien démontrer qu'il s'agissait non pas d'une politique
de logement mais d'un outil à utiliser occasionnellement dans des circonstances
manifestement anormales d'immeubles laissés vacants alors que des familles
peuvent se retrouver en grande détresse faute de toit à leur offrir.
Au total, il vous est donc proposé, mesdames, messieurs les sénateurs,
d'adopter des mesures nombreuses et ambitieuses qui seront autant d'outils
supplémentaires à la disposition des acteurs de terrain, dont il faut saluer le
travail et faciliter la mobilisation, afin que le droit au logement puisse
devenir une réalité pour tous.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à
l'artisanat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs,
l'objectif premier de la réforme que nous avons engagée, au sein de la loi
relative à la lutte contre les exclusions, sur le surendettement est d'apporter
une réponse plus adaptée aux situations de détresse des ménages qui ont subi,
au cours des dernières années, une dégradation de leur situation sociale et
financière consécutive à une baisse de ressources. La séparation d'un couple,
la maladie, le décès d'un conjoint et, surtout, le chômage sont autant
d'événements qui ont entraîné ce que l'on appelle communément un surendettement
passif.
Ce constat, bien connu des commissions de surendettement, diffère, par son
ampleur et par sa gravité, de celui qui vous avait été présenté par Mme
Véronique Neiertz en 1989. Il s'agissait surtout, à l'époque, de répondre à des
situations de surendettement actif provoquées par une véritable explosion du
crédit à la consommation. Ce dispositif reposait sur l'étalement dans le temps
du paiement des sommes dues. Il n'est plus adapté à l'évolution des dossiers
traités par les commissions de surendettement.
Cependant, il faut utiliser l'acquis du dispositif préexistant comme base pour
mettre en place la nouvelle procédure de traitement des cas de surendettement
les plus dégradés.
J'ai saisi le Conseil national de la consommation. Le 4 décembre 1997, à
l'unanimité de ses membres, il a rendu un avis qui inspire le texte que je vous
présente.
Trois points me semblent fondamentaux.
Premier point, j'ai souhaité mettre en place un dispositif à double détente,
et d'abord un moratoire, qui correspond à une période d'observation durant
laquelle les intérêts dus par le débiteur seront plafonnés au taux légal. Ce
plafonnement évitera que la suspension de l'exécution des obligations
financières du débiteur n'ait pour effet d'aggraver son passif.
A l'issue du moratoire, la commission réexaminera la situation du débiteur.
Deux solutions seront alors envisageables.
Si, comme on peut tous le souhaiter, la situation du surendetté s'est
améliorée au point de lui permettre de retrouver une capacité de remboursement,
la commission pourra élaborer un plan de redressement. Elle rééchelonnera le
paiement des dettes dans les conditions habituelles.
Si la situation du débiteur ne s'est pas améliorée, la commission pourra
recommander, par une proposition spéciale et motivée, la réduction ou
l'effacement des dettes, proposition qui a suscité tant de débats en
commission.
Les commissions seront dotées des outils nécessaires pour traiter des cas de
surendettement aujourd'hui sans issue. Les ménages concernés pourront ainsi
espérer retrouver une perspective de vie.
D'ailleurs, la simple annonce d'un moratoire, voire de l'effacement des
dettes, a eu pour conséquence qu'un certain nombre de personnes qui ne se
présentaient même plus devant les commissions de surendettement y sont revenues
pour exposer leur situation dramatique.
Deuxième point, j'ai souhaité améliorer les garanties données aux surendettés
lors de l'examen de leur dossier. En effet, la procédure de traitement du
surendettement est faite pour aider nos concitoyens à redresser une situation
financière délicate. Ce redressement doit s'effectuer dans des conditions qui
respectent leur dignité.
Ainsi, le surendetté pourra être entendu, à sa demande, par la commission. La
relation plus personnalisée qui pourra exister entre la commission et le
débiteur contribuera à humaniser davantage la procédure et permettra au
surendetté qui le souhaite d'exposer, de vive voix, sa demande. Cela ne peut
qu'améliorer le traitement des dossiers et valoriser la personne en difficulté,
comme l'a dit tout à l'heure Mme Aubry.
Dans le même souci d'information, nous voulons instaurer une procédure
d'établissement du passif. Cette procédure permettra au surendetté d'obtenir,
de plein droit, la vérification judiciaire de la validité des créances qu'il
conteste. Pour que le surendetté, fragilisé par sa situation, ne renonce pas à
ce droit de vérification, la commission pourra, même en l'absence de demande du
débiteur, saisir le juge de la vérification.
Je n'insisterai pas sur la détresse des ménages menacés par une saisie
imminente et qui doivent attendre la prochaine réunion de la commission pour
voir leur demande examinée. Ces situations doivent être immédiatement prises en
compte. J'ai donc souhaité que le dispositif contienne une procédure de saisine
d'urgence du juge.
Enfin, nous souhaitons garantir au surendetté que le plan lui laissera un
niveau de ressources suffisant qui ne saurait être inférieur à la quotité
insaisissable des rémunérations. La détermination des ressources disponibles, à
partir d'un critère objectif résultant de l'application de l'article L. 145-2
du code du travail, permettra aux ménages de faire face aux dépenses
incompressibles de la vie courante. C'est une mesure de solidarité, assise sur
une référence incontestable, qui assurera de surcroît l'égalité de traitement
des situations de surendettement par les cent dix-sept commissions présentes
sur l'ensemble du territoire. Nous avons été confrontés à de trop grandes
disparités de situations pour ne pas adopter cette mesure.
Le troisième point est relatif aux dettes fiscales, parafiscales ou envers les
organismes de sécurité sociale.
Votre commission des lois souhaite revenir au texte initial du Gouvernement et
exclure ces dettes du champ des mesures recommandées. Certains parmi vous
suggèrent d'inclure les dettes fiscales dans les dossiers étudiés par la
commission de surendettement.
Le Gouvernement a certes le souci d'assurer un meilleur traitement des
dossiers de surendettement, mais il ne peut pas remettre en cause la différence
qui existe aujourd'hui entre l'impôt et l'emprunt. J'espère que nous trouverons
une solution satisfaisante au cours du débat.
En effet, des procédures spécifiques permettent à l'administration d'accorder
des remises totales ou partielles d'impôts lorsque le contribuable est dans
l'impossibilité de payer du fait de sa situation de gêne ou d'indigence.
Ainsi, en 1997, près de 560 000 remises gracieuses relatives à l'impôt sur le
revenu ou à la taxe d'habitation ont été prononcées, ce qui s'est traduit par
plus de 1 milliard de francs de dégrèvement, à la charge du budget de l'Etat.
Les études qui ont été menées montrent que les échecs des plans de redressement
accordés aux particuliers surendettés ne sont pas imputables à une quelconque
intransigeance des administrations concernées. Nous n'avons d'ailleurs relevé
que deux anomalies pour cent dix-sept commissions. J'ajouterai que 560 000
remises gracieuses, c'est beaucoup plus que le nombre de dossiers actuellement
traités par les commissions de surendettement.
S'il est important de confirmer le particularisme des dettes publiques, il
faut assurer de meilleures liaisons avec les commissions. Le travail conjoint
de l'Assemblée nationale et du Sénat a permis, au fil des semaines, au fur et à
mesure des débats, de renforcer la présence des représentants de l'Etat au sein
de ces structures.
Trois dispositions sont prises à cet effet : d'abord, la présence du directeur
des services fiscaux au sein des commissions améliore les échanges
d'informations sur la situation d'endettement global des personnes en
difficulté et leurs capacités financières réelles ; ensuite, une instruction
fiscale précisera les modalités de relations entre les commissions et
l'administration et rappellera aux services toute l'attention qu'il convient
d'apporter à la situation des personnes surendettées et aux plans établis par
les commissions. Elle prévoira l'information de la commission sur les décisions
prises dans le cadre des procédures fiscales. A ce jour, en effet, il n'existe
pas d'échanges entre les commissions de surendettement et les personnes
chargées des remises gracieuses. Enfin, nous acceptons bien évidemment
l'amendement déposé par la commission des finances qui rappelle que les remises
et délais accordés par les services sont pris au vu des décisions de la
commission. Une telle disposition figurait déjà, au demeurant, dans un rapport
établi par MM. Loridant et Hyest. Ainsi, la loi crée un lien fort entre les
deux procédures.
L'information réciproque de la commission et des services fiscaux permettra
d'améliorer le traitement des dossiers en évitant deux inconvénients majeurs,
et d'abord, une perte d'efficacité, puisque les délais de décision seront plus
longs. En 1997, plus de 94 % des décisions gracieuses de l'administration
fiscale ont été prises dans un délai de moins de trois mois. Ce délai est
inférieur à celui pendant lequel les commissions peuvent préconiser des mesures
spécifiques.
Le second inconvénient évité tient à la confidentialité. En effet, la décision
concernant les créances publiques doit être prise en fonction de certains
éléments, tels que le comportement frauduleux antérieur des contribuables,
l'existence de parents solvables tenus à une obligation alimentaire, le partage
d'un appartement avec un concubin disposant de ressources suffisantes pour
participer aux charges du logement, etc. Il convient donc de laisser à
l'administration fiscale le soin de décider de ces remises, parce que ce type
d'informations ne peut pas être diffusé.
Enfin, le respect des procédures séparées permettra d'éviter l'écueil
constitutionnel qui consisterait à confier le contentieux des délais et remises
en matière fiscale au juge civil. Ce point est important, car il pourrait
entraîner nombre de recours et de contentieux, alors que notre objectif commun
est d'arriver le plus vite possible à régler la situation des personnes les
plus surendettées.
Nous avons relevé en outre un problème, tout simple celui-là : si une
commission décide un moratoire, par exemple, ou bien un effacement des dettes à
l'année N, que ferons-nous à l'année N+1 pour la taxe d'habitation, qui
continuera d'être réclamée par la collectivité territoriale ? Nous souhaitons
que, même à l'année N+1, voire à l'année N+2, une remise gracieuse de la taxe
d'habitation puisse être encore envisageable. En effet, nous savons qu'il
faudra du temps aux familles surendettées avant qu'elles retrouvent une
situation non pas plus facile peut-être, mais tout au moins supportable.
Les commissions du Sénat saisies de ce texte ont confirmé l'architecture
globale du dispositif. Elles ont aussi, à l'issue d'un travail collectif
important, adopté de nombreux amendements identiques. Le Gouvernement se
ralliera le plus souvent au consensus qui s'est dégagé entre vous à ce
stade.
Sur les autres amendements, certaines propositions nous réuniront. Je pense en
particulier, en ce qui concerne les dettes fiscales, à la confirmation du
traitement spécifique de cet endettement qui permettra de sauvegarder les
intérêts des surendettés ; à la disparition du plafonnement au taux légal des
mesures recommandées, qui facilitera le travail des commissions et permettra à
la phase amiable, inhérente je dirai au dispositif Neiertz, de conserver toute
sa place dans la procédure ; à la suppression de la possibilité pour les
cautions de bénéficier de la nouvelle procédure sans être insolvables.
Il est bien vrai que, si notre texte s'adresse aux personnes surendettées,
nous ne pouvons pas, sous leur couvert, exonérer de leur participation des gens
qui, cautionnant un prêt ou un compte bancaire, auraient des revenus très
importants. En l'occurrence, nous créerions une nouvelle difficulté car nous
créerions une nouvelle inégalité. Il faut traiter de façon identique des
situations équivalentes pour que cette nouvelle procédure soit totalement
lisible.
S'agissant de la composition de la commission de surendettement, vos
commissions proposent deux rédactions différentes. Cette divergence
d'appréciation montre bien la difficulté de l'exercice. Il faut regrouper dans
la commission toutes les compétences de nature à assurer un traitement de
qualité au dossier sans en alourdir la composition. Par ailleurs, il faut
veiller à ne pas créer de charge nouvelle pour les collectivités
territoriales.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Très bien !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Je souhaite que nous aboutissions à un texte commun
satisfaisant ces objectifs.
Il devrait être possible, d'une part, de placer dans la commission un
représentant des services sociaux désigné par le président du conseil général -
c'est la proposition de la commission des lois - d'autre part, de suivre la
commission des finances qui propose d'écarter le représentant du fonds de
solidarité pour le logement dont la présence systématique en commission n'est
pas forcément opportune. Au cours de la discussion des articles et des
différents amendements déposés par les uns et les autres, nous trouverons
certainement la bonne solution.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme que je viens vous
présenter, qui doit s'inscrire dans la loi d'orientation relative à la lutte
contre les exclusions. Comme l'a dit tout à l'heure Mme Aubry, nous ne
supportons pas de voir que, pour des raisons qui nous échappent et sur
lesquelles nous n'avons pas de jugement à porter, certains familles ne
partagent plus les fruits de la croissance. C'est là un élément clé du volet
préventif.
Ce texte apportera une réponse aux situations de détresse que connaissent
actuellement certains de nos concitoyens.
Je connais votre engagement pour lutter efficacement contre les risques
d'exclusion, et je ne doute pas du soutien que vous apporterez au projet de
réforme de la procédure du surendettement que je vous soumets au nom du
Gouvernement, dans le cadre de ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier,
rapporteur de la commission des affaires sociales. (M. Alain Gournac et Mme
Nelly Olin applaudissent.)
Monsieur le président, mesdames les secrétaires
d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi
que nous examinons aujourd'hui porte sur une des valeurs essentielles de la
République puisqu'il a pour but ultime, conformément à l'engagement pris par le
Président de la République, de renforcer la cohésion de la communauté nationale
autour d'un combat contre tout ce qui peut aggraver la fracture sociale.
Il correspond aussi à une situation particulière puisqu'il est assez rare qu'à
environ un an d'intervalle deux majorités successives, dont les vues ne
convergent pas toujours, loin de là, choisissent de déposer sur une question
aussi essentielle deux projets de loi qui, s'ils ne sont pas des « clones »,
ont du moins un air de famille.
A l'origine de ce rapprochement des points de vue, se trouve une prise de
conscience collective, grâce à l'action infatigable de Mme Geneviève de
Gaulle-Anthonioz, présidente d'ATD quart monde, à laquelle votre commission
tient à rendre un légitime hommage, grâce également au travail des associations
réunies sous l'égide de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et
organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, dans le cadre du collectif
Alerte.
Malgré la mise en oeuvre des institutions sociales et médico-sociales, à
travers notamment la loi du 30 juin 1975, et malgré la mise en place, en 1988,
de cet ultime filet de sécurité que constitue le revenu minimum d'insertion, la
grande pauvreté a continué à progresser dans notre pays.
Si l'on se réfère au seuil de pauvreté retenu par les statisticiens, les
données les plus récentes font état de 5,5 millions de personnes pauvres, dont
l,1 million d'enfants, vivant au sein de 2,4 millions de ménages, soit environ
10 % de la population. Le taux était approximativement le même en 1984, mais
cette stabilité est paradoxale puisque, dans le même temps, le revenu national
a augmenté d'environ 33 %.
Mais cet indicateur à lui seul est peu révélateur et, comme l'ont montré les
travaux de Mme de Gaulle-Anthonioz devant le Conseil économique et social, il
importe d'examiner comment évoluent les facteurs de l'exclusion tels que la
perte d'un emploi, la dislocation de la famille, l'absence de formation,
l'échec scolaire ou l'illettrisme.
Enfin, échappe à toute analyse statistique le fait que, comme nous l'avait
fait remarquer M. Bertrand Fragonard, devant le groupe d'études sénatorial en
1996, l'exclusion est à « la croisée des chemins entre la crise économique et
l'histoire individuelle des personnes ».
C'est pourquoi il est essentiel, pour percevoir l'ampleur de l'exclusion et
les formes nouvelles qu'elle prend, de toujours remettre en question nos
préjugés et que les observateurs sachent prendre en compte l'expérience des
plus démunis.
Les deux projets de loi, l'un concernant le renforcement de la cohésion
sociale de MM. Barrot et Emmanuelli et l'autre relatif à la lutte contre les
exclusions sociales de Mme Martine Aubry, procèdent de la même philosophie
formulée par Mme de Gaulle-Anthonioz et voulue par le Président de la
République. Il s'agit non pas de créer un droit des exclus qui accentuerait les
effets de stigmatisation ou la création de ghettos, mais de permettre l'accès
de tous aux droits de tous afin de garantir une égalité réelle des chances à
tous les citoyens.
Le contenu du projet de loi et les apports de l'Assemblée nationale ont été
présentés par Mme Martine Aubry. La commission des affaires sociales a émis
plusieurs observations sur ce texte.
Elle a tout d'abord constaté que le nouveau projet de loi bénéficiait
largement du travail de concertation en profondeur qui devait déboucher sur le
texte présenté en 1997 par MM. Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli.
Le nouveau projet de loi présente, à bien des égards, une « carte génétique »
proche de celle de l'ancien : un bon tiers du texte de Mme Martine Aubry
s'inspire peu ou prou de celui qui avait été préparé sous l'égide de M. Jacques
Barrot.
Il est vrai que le nouveau projet de loi est aussi le fruit de la concertation
d'une rare ampleur qui avait conduit le Gouvernement de M. Juppé à saisir
toutes les instances officielles compétentes, puis à élargir la consultation
aux associations gestionnaires du secteur sanitaire et social ainsi qu'aux
associations de lutte contre l'exclusion.
En second lieu, la commission des affaires sociales a constaté que le
chiffrage complexe du projet de loi masquait parfois l'ampleur de l'effort
demandé aux partenaires de l'Etat.
Le programme d'action du Gouvernement en matière de prévention et de lutte
contre les exclusions fait état d'un engagement de 51,4 milliards de francs en
coût cumulé d'ici à l'an 2000.
Cette annonce appelle plusieurs remarques.
Tout d'abord, la qualité d'un projet de loi ne se mesure pas seulement à
l'aune des crédits annoncés. Il ne faut pas céder au vertige quantitatif,
surtout quand on sait qu'il est difficile d'utiliser efficacement les crédits
dans le domaine de l'exclusion et que 80 milliards de francs sont consacrés
chaque année au financement des minima sociaux.
Ensuite, la commission a été surprise que soit incluse dans les moyens
recensés une sorte de provision de 5 milliards de francs pour le financement de
la future couverture maladie universelle, dont ont sait aujourd'hui peu de
chose sinon qu'elle devra faire l'objet à l'automne d'un projet de loi déposé
par le Gouvernement.
Le chiffrage du Gouvernement comprend également une rubrique intitulée «
mesures déjà annoncées », représentant un montant cumulé de 15,8 milliards de
francs sur trois ans, qui contient des crédits inscrits dans la loi de finances
pour 1998 mais dont il est difficile de dire s'ils relèvent à l'origine de la
lutte contre les exclusions et étaient inscrits par anticipation ou s'ils ont
été mobilisés postérieurement à leur inscription, au profit d'actions de lutte
contre l'exclusion figurant dans le programme du 4 mars.
Enfin, la commission a souligné que 8 milliards de francs, au minimum,
seraient demandés aux « partenaires » de l'Etat.
En particulier, les collectivités locales sont sollicitées au minimum à
hauteur de 3,5 milliards de francs au titre du programme TRACE et des plans
locaux pour l'insertion et pour l'emploi, sans toutefois que ne soit clairement
évalué le surcoût qui résultera, pour les départements, de l'obligation de
cofinancement, à parité avec l'Etat, des fonds départementaux de solidarité
pour le logement et des fonds d'aide aux jeunes, ainsi que du coût du
différentiel de rémunération des titulaires d'emplois-jeunes ou de contrats
emplois consolidés qui restera à la charge des collectivités locales
employeurs.
L'effort nouveau de l'Etat représente environ 18 milliards de francs sur trois
ans. Comment porter un jugement sur ce montant ?
La commission des affaires sociales n'entend pas céder à son tour au « vertige
quantitatif », cette fois pour souligner l'insuffisance des moyens dégagés.
Elle suggère que le Gouvernement aille au-delà du chiffrage politique d'un
projet de loi et propose une véritable récapitulation des crédits engagés en
faveur de l'exclusion dans une acception plus large et moins conjoncturelle
dans le cadre, par exemple, d'un « jaune » budgétaire.
En revanche, il semble éclairant pour votre rapporteur de comparer l'enveloppe
consacrée à la lutte contre les exclusions à celles qui sont dégagées pour les
emplois-jeunes ou par la loi relative à la réduction du temps de travail.
S'agissant de cette dernière, le Gouvernement n'a pas contesté les tentatives
d'évaluation faites par la commission des affaires sociales, qui conduisaient à
un coût de 200 milliards de francs à 300 milliards de francs sur cinq ans.
S'agissant des emplois-jeunes, une règle de trois permet d'évaluer leur coût,
pour le seul exercice 2000, à 28 milliards de francs, dont 5,5 milliards de
francs seraient « recyclés » au profit de la lutte contre l'exclusion.
Entre les emplois-jeunes, qui volontairement, à l'origine, n'ont pas été
ciblés sur des publics en difficulté, et la réduction du temps de travail, la
population des exclus apparaît parfois comme le « parent pauvre » des choix
budgétaires.
La commission a regretté, par ailleurs, que ce projet de loi procède parfois
d'une philosophie éloignée de l'esprit de la décentralisation. Deux dispositifs
qui sont aujourd'hui cofinancés à parité par l'Etat et par le département et
qui sont gérés, de manière conjointe, avec une souplesse qui permet une
adaptation aux circonstances locales, font l'objet d'une sorte de «
mobilisation » par l'Etat.
Il s'agit, en premier lieu, des fonds d'aide aux jeunes créés par la loi du
1er décembre 1988 relative au RMI et destinés à accorder des aides financières
directes aux jeunes de 18 ans à 25 ans en difficulté ainsi qu'à assurer des
mesures d'accompagnement. Dans le cadre du programme TRACE, le Gouvernement a
prévu un abondement de 330 millions de francs en cumulé de 1998 à 2000, montant
qui devra être suivi à parité par les départements. L'objectif est d'assurer le
versement d'une rémunération aux jeunes en difficulté financière, entrés dans
le programme TRACE, lorsqu'ils ne seront pas dans le cadre d'un contrat aidé ou
d'une formation rémunérée. Toutefois, un amendement introduit par l'Assemblée
nationale a transformé ce qui était une faculté laissée à l'appréciation des
gestionnaires du TRACE en un véritable « droit à allocation » pour les jeunes
concernés, au risque d'une dérive vers un « RMI jeunes ».
Concernant les fonds de solidarité pour le logement, le projet de loi initial
a sensiblement précisé leurs modalités de fonctionnement et l'Assemblée
nationale a durci le dispositif en prévoyant que les conditions d'intervention
des FSL seraient prévues dans un décret : les départements n'auraient donc plus
aucune marge de manoeuvre dans la gestion du dispositif...
M. Alain Gournac.
Ce n'est pas normal !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
... et l'on peut s'interroger sur la compatibilité de cette
disposition avec l'obligation de financement imposée aux départements.
MM. Charles Descours et Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
S'agissant des attributions de logements sociaux, la
commission a remarqué que les préfets exerçaient une véritable emprise sur les
conférences intercommunales du logement chargées de répartir entre les communes
concernées les objectifs d'accueil des personnes défavorisées dans les
organismes d'HLM.
Ils définissent, sans recours possible, les contours d'un bassin d'habitat
autour des communes dotées d'une zone urbaine sensible ou dotées de plus de 20
% de logements sociaux. Les engagements pris par les communes de la conférence
dans une charte intercommunale n'entrent pas en vigueur s'ils ne sont pas
agréés par le préfet qui, en outre, peut demander, sans limitation, des
modifications de la charte. La seule mesure positive, à savoir l'obligation
d'une ratification de la charte par les communes concernées, a été supprimée
par l'Assemblée nationale.
De fait, les conférences intercommunales deviennent une circonscription
d'action territoriale pour mettre en oeuvre les accords passés au niveau
départemental par les préfets avec les organismes d'HLM ; elles ne sont pas
conçues comme un moyen d'associer les maires à la politique d'attribution des
logements sociaux sur leur territoire.
Votre commission a constaté que faute d'une réflexion sur l'amélioration de la
configuration des compétences au niveau de l'action sociale locale, le projet
de loi complique encore le paysage institutionnel en créant de nouvelles
instances qui se superposent à celles qui existent déjà. Tel est le cas du
conseil départemental pour l'insertion par l'activité économique, dont les
frontières d'action sont incertaines par rapport au conseil départemental de
l'insertion chargé de préparer le programme d'insertion départemental au titre
du RMI.
Au cours du débat à l'Assemblée nationale, trois nouvelles structures sont
apparues pour s'efforcer de coordonner la complexité de la situation sans que
l'on soit totalement convaincu de l'efficacité de ces nouveaux mécanismes.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
Le projet de loi de MM. Barrot et Emmanuelli s'était efforcé
d'unifier diverses instances dans une structure unique coprésidée par le préfet
et le président du conseil général, mais le principe de la coprésidence ne
permettait pas de résoudre la question de la répartition des compétences entre
les différents partenaires et pourrait, dans certains cas, ouvrir la porte à
une certaine confusion.
Il devient nécessaire de procéder à une remise à plat des compétences sur le
terrain afin de redéfinir des structures d'action plus simples, faute de quoi
la multiplication des comités et des organismes apparaît souvent comme une
fuite en avant pour masquer des dysfonctionnements.
Votre commission des affaires sociales a relevé que les articles du projet de
loi se résumaient souvent à des affirmations de portée symbolique. Ainsi, en
matière d'accès aux soins, le projet de loi se contente d'inscrire, dans le
code de la santé, la mission sociale de l'hôpital et de proclamer que les
objectifs de la lutte contre l'exclusion seront pris en compte dans les
programmes de santé publique de l'Etat, des collectivités territoriales ou de
la sécurité sociale. De telles affirmations symboliques n'ont pas empêché le
Gouvernement de réduire de plus d'un tiers les crédits du budget de la santé
destinés aux exclus en 1998.
M. Alain Gournac.
Boum !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
Ce faisant, le Gouvernement feint d'ignorer que, si les
inégalités d'accès aux soins se sont aggravées depuis près de vingt ans, c'est
en grande partie parce que, jusqu'au plan Juppé, bien des gouvernements ont
préféré limiter le taux de prise en charge des soins par l'assurance maladie
que d'entreprendre une réforme en profondeur de notre système de soins.
(M. Gournac applaudit.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
Ainsi, loin d'amortir l'impact des chocs économiques, notre
système de protection sociale les a plutôt aggravés.
Il est dès lors à craindre que l'effet des mesures symboliques proposées par
le Gouvernement en faveur de l'accès aux soins des exclus soit massivement
contrebalancé par l'attentisme du Gouvernement en matière d'assurance
maladie.
Enfin, la commission a regretté que le texte marque trop souvent une défiance
à l'égard des acteurs de l'économie et de la société civile.
Tout d'abord, le projet de loi privilégie l'insertion dans le secteur non
marchand au détriment des actions d'insertion par l'entreprise.
Il aggrave ainsi la rupture entre l'insertion et la production alors que
l'entreprise est le lieu le plus efficace pour se familiariser avec le monde du
travail.
M. Alain Gournac.
Très juste !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
En matière de logement, la taxe sur les logements vacants
semble négliger le fait qu'en réalité la vacance dans le secteur privé est
largement due à des raisons indépendantes de la volonté des propriétaires...
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
... soit parce qu'une succession n'est pas achevée, soit
parce qu'il s'agit d'une période de transition entre deux locataires
différents, soit parce que le logement, pour être loué, nécessiterait des
travaux dont le coût excède les ressources de son possesseur.
Ce projet de loi témoigne, enfin, d'une certaine défiance du Gouvernement à
l'égard des familles.
La réforme de l'aide à la scolarité de 1994 visait justement à simplifier les
formalités imposées aux familles et à renforcer leur autonomie. L'aide à la
scolarité est en effet versée directement aux familles par les caisses
d'allocations familiales, en une seule fois à la rentrée scolaire et en même
temps que l'allocation de rentrée scolaire. Il s'agit donc d'un système souple,
qui laisse les familles maîtresses de leur propre choix, mais qui les place
également devant leurs responsabilités.
En proposant de rétablir un système de bourse des collèges, le Gouvernement
privilégie donc un dispositif d'assistance aux familles, celles-ci perdant
largement la maîtrise de l'aide, alors que des enquêtes montrent que les sommes
versées au titre de l'allocation de rentrée scolaire et de l'aide à la
scolarité avaient été, à concurrence de 86 %, affectées par les familles à des
dépenses directement liées à la scolarisation de leurs enfants.
En dehors des dispositions relatives au surendettement, aux saisies
immobilières, aux réquisitions et à la prévention des expulsions, qui seront
examinées plus particulièrement par la commission des lois et la commission des
finances, la commission des affaires sociales a souhaité infléchir ce texte
dans trois directions.
Elle a estimé qu'il était nécessaire de favoriser résolument le retour à
l'emploi dans le secteur marchand des titulaires de minima sociaux.
La commission a introduit deux nouveaux dispositifs pour inciter, dans un
contexte favorable de reprise économique, à la réinsertion des exclus en
entreprise.
Elle a prévu la faculté pour tout bénéficiaire du RMI depuis plus de deux ans
de signer un contrat initiative-emploi à mi-temps avec une entreprise dans le
cadre d'une convention de revenu minimum d'activité lui permettant de conserver
environ la moitié du RMI pendant deux ans en plus de sa rémunération.
Elle a institué une exonération générale de charges sociales pendant cinq ans
pour toute personne titulaire d'un minimum social depuis plus de deux ans
lorsqu'elle est embauchée par une entreprise.
Elle a souhaité ensuite privilégier une gestion souple et décentralisée des
dispositifs de prévention des exclusions.
La commission a réaffirmé que la gestion des fonds cofinancés par l'Etat et
les départements en faveur de l'aide aux jeunes en difficulté ou de l'accès et
du maintien dans un logement dans le cadre du FSL devait être assurée au niveau
local, au plus près des intéressés.
Divers aménagements ont été apportés à la procédure d'attribution des
logements sociaux afin que les engagements entre le préfet, les organismes
d'HLM et les communes en matière d'accès des plus démunis aux logements HLM
soient pris dans un esprit de concertation qui est le seul garant d'une
application efficace sur le terrain.
La commission a, en outre, préféré les mesures incitatives aux dispositifs de
contrainte ou de taxation. Elle a supprimé la taxe sur les logements vacants au
profit d'une déduction fiscale des primes d'assurance pour garantie d'impayés
de loyers et d'une simplification des déclarations de revenus fonciers réservée
aux logements mis en location après deux ans de vacance.
Enfin, elle a voulu donner un véritable contenu au volet santé du projet de
loi.
La commission a tenu à inscrire dans le projet de loi l'entrée en vigueur, dès
le 1er janvier 1999, de la couverture maladie universelle.
Au-delà, pour conclure, je souhaiterais rappeler quelques principes qui
doivent rester au centre de nos débats.
L'action du législateur est forcément limitée sur un sujet aussi essentiel,
dès lors qu'on ne peut s'assurer, au préalable, du respect des fondements de
l'humanisme qui est au coeur de notre démarche.
Quelles conséquences allons-nous tirer les uns et les autres de notre
consensus réaffirmé autour d'un impératif national fondé sur le respect de
l'égale dignité de tous les êtres humains ?
Pouvons-nous faire l'impasse sur la nécessité d'une norme éthique pour régler
les relations humaines, au-delà des questions purement matérielles ?
L'affirmation solennelle des droits de l'homme suggère-t-elle avec suffisamment
d'évidence qu'il n'y a pas de meilleure garantie du respect des droits de
chacun que l'accomplissement du devoir de tous ?
La loi peut être à la société ce que la raison individuelle est à la personne,
à la condition que l'une comme l'autre soient vivantes et assujetties à une
dynamique de perfectionnement.
Face à un texte technique, l'essentiel risque d'être absent si l'on ne met pas
en oeuvre une dynamique interne qui, au-delà de la proclamation d'une
fraternité abstraite, sache lui donner un contenu quotidien.
Ce projet de loi, comme celui qui était présenté en 1997, comme la loi
instaurant le RMI ou la loi du 30 juin 1975, exprime notre volonté commune de
rechercher la cohésion sociale pour le bien qu'elle représente en elle-même, en
nous faisant acquiescer à cette idée que nous sommes, les uns et les autres,
membres d'une même famille humaine.
Mais une étape supplémentaire essentielle restera à franchir, qui ne pourra
résulter d'aucune contrainte : entretenir le sentiment d'être coresponsables
les uns des autres.
Pour éradiquer la grande pauvreté et assurer la prévention des exclusions,
nous devons trouver, au-delà de l'aide et de l'assistance, une méthode qui
fasse des intéressés eux-mêmes des partenaires dans la lutte contre les
exclusions et qui s'inscrive dans la durée suivant une dynamique de progrès.
La notion d'assistance ne saurait être combattue en elle-même. Elle est une
expression éminente de la solidarité dès lors qu'elle repose sur la
participation de l'intéressé à sa propre promotion sans le maintenir dans un
état de passivité contraire aux exigences de sa dignité.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Bernard Seillier,
rapporteur.
L'assistance ne devient négative que si elle n'implique pas
de contrepartie de la part du bénéficiaire.
Or la participation de l'intéressé à une démarche de réinsertion ne peut
naître et se développer qu'à l'occasion d'une relation personnelle. C'est
pourquoi la commission des affaires sociales a accordé sa confiance au moyen de
l'accompagnement personnalisé, parce qu'il repose sur un partenariat exigeant
entre deux personnes.
La première cause de l'exclusion, c'est l'abandon de l'autre, la rupture de
tout lien humain avec autrui, la fragilité des communautés naturelles.
L'inspiration la plus féconde de ce texte comme du précédent est d'ouvrir la
voie à une démarche collective et progressive, aménageant, sans confusion des
rôles, la participation de tous à la construction de notre avenir commun.
C'est cette attitude qui doit rester présente à notre esprit au cours de tous
nos débats si nous voulons non pas seulement voter une loi qui s'ajouterait aux
autres, mais surtout semer le ferment d'une nouvelle dynamique de lutte contre
les exclusions et la grande pauvreté.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Richert, rapporteur pour avis.
M. Philippe Richert,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
Monsieur
le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi qui nous est soumis consacre près de deux tiers de ses
dispositions à l'emploi et au logement. Mais il comporte également, au sein de
son titre II, un chapitre relatif au droit à l'égalité des chances par
l'éducation et la culture, et je ne peux que m'en féliciter.
La commission des affaires culturelles était donc, à ce titre, fondée à
émettre un avis sur ces dispositions.
L'exclusion culturelle et scolaire est à la source de l'exclusion sociale.
Sortir sans qualification du système éducatif conduit aujourd'hui, dans bien
des cas, à l'échec : l'absence de formation mène souvent les jeunes au chômage
et l'absence d'emploi compromet leur intégration dans la société et les relègue
dans une situation structurelle d'assistés. Voilà une spirale bien connue que
nous devons combattre.
Par ailleurs, l'exclusion culturelle condamne ceux qui en sont victimes à
perdre leurs repères sociaux, accroissant ainsi leur solitude et leur sentiment
d'isolement. L'enracinement dans une culture commune est nécessaire pour se
situer par rapport aux autres. En être privé contribue, à l'inverse, à
dissoudre le lien avec la nation.
Il était donc souhaitable et nécessaire que des dispositions relatives à la
culture et à l'éducation figurent dans un projet de loi destiné à lutter contre
l'exclusion.
Néanmoins, en dépit des objectifs ambitieux affichés par le programme de
prévention et de lutte contre les exclusions, et repris dans l'exposé des
motifs du projet de loi, force est de constater que les dispositions du texte
sont, en ce domaine, quelque peu décevantes.
En effet, sur les cinq articles du chapitre V figurant dans le texte initial
du projet de loi, au moins trois relèvent du « droit à l'état gazeux », selon
l'expression plaisante du Conseil d'Etat.
Nous sommes là plus dans le domaine du discours politique que dans celui de la
norme législative.
J'aborderai en premier lieu les dispositions relatives au volet culturel du
projet de loi. Le sujet est mince.
En effet, le chapitre V ne comporte que deux articles concernant l'accès à la
culture : le premier proclame que l'accès de tous à la culture, à la pratique
sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un « objectif national » ; le
second ouvre la possibilité de moduler les tarifs des services publics
administratifs facultatifs en fonction du quotient familial de leurs
usagers.
Aucune de ces deux dispositions ne peut être considérée comme malvenue, et la
commission des affaires culturelles a donné un avis favorable à leur adoption,
sous réserve de quelques modifications sur lesquelles je reviendrai.
L'inscription dans le projet de loi du principe d'égal accès à la culture et
aux loisirs revêt, à l'évidence, un caractère symbolique. Ce principe figure
dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et a été repris dans
nombre de textes législatifs. A l'évidence, il ne s'agit pas là d'une
innovation à proprement parler.
En effet, la démocratisation des pratiques sportives et culturelles, dont
l'idée est née sous le Front populaire et dans la Résistance, a constitué un
objectif constant des politiques conduites depuis la Libération par l'Etat,
puis par les collectivités territoriales. L'action de ces dernières a été
appelée à se développer considérablement au cours des dernières décennies.
Je rappellerai en effet qu'aujourd'hui les dépenses engagées par les
collectivités territoriales représentent près de la moitié du financement
public de la culture.
La généralisation des phénomènes d'exclusion comme les difficultés rencontrées
dans les zones périphériques des centres urbains ont souligné avec une acuité
nouvelle la dimension sociale de la politique culturelle.
Recréant des liens sociaux distendus, les pratiques sportives et culturelles
permettent aux personnes en difficulté de reconquérir un statut et une
dignité.
De plus, il importe d'éviter que l'exclusion économique ne se double de
l'exclusion culturelle, dont le champ dépasse souvent celui de l'exclusion
proprement économique. Je vous rappellerai que 40 % des Français ne partent pas
en vacances, ce qui prive de cette forme de loisirs une population bien plus
large que celle des personnes répertoriées comme rencontrant des difficultés
d'existence. Ce constat vaut également pour les pratiques culturelles dont ne
sont pas seulement écartés les victimes d'exclusion ou les habitants des
quartiers sensibles.
Ces constats ont déjà été faits, et l'Etat comme les collectivités
territoriales ont déjà tenté d'y apporter des solutions.
La démocratisation des pratiques culturelles et sportives a été poursuivie,
notamment grâce à des politiques tarifaires adaptées.
Par ailleurs, l'action culturelle, au sens large du terme, a été utilisée
comme un moyen d'insertion sociale.
Les mesures annoncées par le Gouvernement pour réaliser « l'objectif national
d'accès à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs »,
qui ne figurent que très partiellement dans le projet de loi, ne sont guère
novatrices.
Celles qui ont été prises au titre de la généralisation de la culture visent
essentiellement à développer, notamment grâce aux possibilités de recrutement
offertes par la loi sur les emplois-jeunes, des actions d'insertion axées sur
la pratique culturelle. Elles ne méritent guère de longs développements.
En revanche, je dirai quelques mots d'une mesure qui me semble plus
significative, à défaut d'être novatrice : l'article 74 précise que les
établissements culturels financés par l'Etat s'engagent à lutter contre
l'exclusion.
Cette disposition, dont je vous proposerai une formulation plus explicite,
généralise les initiatives prises d'ores et déjà en ce sens. Elle me semble
légitime s'agissant de structures financées dans leur quasi-totalité par des
fonds publics.
J'émettrai néanmoins le souhait que cette obligation se traduise non pas
seulement par des modulations tarifaires, mais également par des actions plus
volontaristes à destination du public défavorisé. Cela nécessite de vaincre de
nombreux
a priori,
qu'il s'agisse de ceux des institutions culturelles
ou de ceux du public. Par ailleurs, il faudra que les actions entreprises
fassent l'objet d'une évaluation rigoureuse afin que l'Etat tire toutes les
conséquences de cette disposition lors de l'attribution des subventions.
En ce qui concerne l'accès aux loisirs et à la pratique sportive, les mesures
annoncées apparaissent pour la plupart comme la poursuite ou le développement
d'actions déjà anciennes.
Si je ne peux qu'être favorable à de telles dispositions, je regrette que ni
le Gouvernement ni l'Assemblée nationale n'aient souligné le rôle fondamental
que doit jouer l'école dans la démocratisation de l'accès à la culture. En ce
domaine, c'est par l'école - et non par d'autres moyens, qui ne peuvent qu'être
supplétifs - que doit être assurée l'égalité des chances.
Elle constitue sans aucun doute le moyen le plus efficace pour lutter contre
la transmission, de génération en génération, des phénomènes d'exclusion. Ce
n'est souvent que grâce à l'école que de nombreux enfants auront la chance
d'aller un jour à l'opéra ou au théâtre. A ce titre, je proposerai de préciser
que l'accès à la culture doit être égal pour tous et de réaffirmer le rôle de
l'école dans la lutte contre l'exclusion, notamment grâce au développement des
enseignements artistiques dispensés dans les établissements scolaires.
J'évoquerai, enfin, la seconde mesure concernant la culture. Elle figure à
l'article 78 du projet de loi. Cet article autorise la modulation, en fonction
du quotient familial, des tarifs des services publics administratifs à
caractère facultatif.
Il s'agit de la traduction dans la loi d'une juriprudence récente du Conseil
d'Etat, qui a reconnu la possibilité d'appliquer pour les écoles de musiques
municipales une fixation des tarifs en fonction des revenus des usagers. Une
telle modulation n'était jusque-là acceptée que pour les services publics
administratifs facultatifs à vocation sociale comme les crèches, les cantines
scolaires ou les centres de loisirs.
Une telle disposition dans la loi me paraît à la fois légitime et
opportune.
En second lieu, j'évoquerai les deux séries de dispositions du projet qui
concernent le droit à l'éducation. L'une est de nature déclarative et tend à
consacrer le principe de discrimination positive. L'autre, plus technique, vise
à rétablir les bourses de collège.
Je rappellerai d'abord que l'école est évidemment appelée à jouer un rôle
essentiel dans la lutte contre l'exclusion ; je le disais tout à l'heure, et on
ne le souligne pas suffisamment.
Comme vous le savez, pour assurer le droit à l'éducation, qui est défini par
l'article 1er de la loi du 11 juillet 1975, le système éducatif est passé d'une
conception initiale de l'égalité à une notion d'équité, qui est fondée sur le
principe de discrimination positive, celle-ci bénéficiant d'abord aux élèves
issus de milieux défavorisés.
C'est là toute la philosophie des zones d'éducation prioritaires, les ZEP, qui
ont été mises en place par voie de circulaires à partir de 1982.
Ce dispositif s'est développé de manière considérable, puisque les quelque 560
ZEP aujourd'hui recensées scolarisent près de 10 % des effectifs scolaires et
concernent plus de 75 000 enseignants.
Quel bilan peut-on faire de quinze années de pratique discriminatoire ? Force
est de reconnaître que celui-ci est pour le moins contrasté : si les ZEP ont
permis d'améliorer les performances scolaires des élèves, de réduire les
retards scolaires et la fréquence des orientations subies vers les filières de
relégation, il faut aussi noter que le niveau de connaissance des élèves de ZEP
reste très inférieur à la moyenne nationale, notamment quant à la maîtrise des
matières fondamentales.
Il faut, hélas ! constater, compte tenu de la dégradation régulière de
l'environnement social de ces zones, que les efforts entrepris depuis le début
des années quatre-vingt n'ont permis, au mieux, que de maintenir le niveau
moyen de leurs élèves.
Je remarquerai que cette politique de discrimination positive a eu aussi pour
conséquence de stigmatiser et d'accroître l'isolement des élèves et des
établissements situés en ZEP : la situation constatée en Seine-Saint-Denis en
porte témoignage.
Tenant compte de ce bilan contrasté, le Gouvernement a décidé de relancer la
politique des ZEP : il l'a fait en affectant prioritairement cette année des
moyens budgétaires importants dans ces zones - emplois-jeunes, infirmières,
assistantes sociales - et en adoptant un plan de relance orienté autour
d'objectifs ciblés : reconnaissance du métier d'enseignant en ZEP, constitution
de réseaux d'éducation prioritaire, révision de la carte des ZEP.
La commission des affaires culturelles ne peut donc que se féliciter d'une
telle relance, car elle a pu constater, lors d'un déplacement récent dans un
collège de Chanteloup-les-Vignes, le bien-fondé du système discriminatoire.
Elle a émis en revanche des réserves sur la formulation trop générale de
l'article 75 du projet de loi, qui pourrait laisser entendre que les seuls
élèves issus des ZEP bénéficieraient de cette discrimination positive, alors
que les élèves en difficulté se rencontrent aussi sur l'ensemble du
territoire.
Le chapitre V du projet de loi comporte ensuite deux articles 76 et 77 qui
tendent à rétablir, en le simplifiant, le système des bourses de collège.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la réforme de 1994 instituant l'aide
à la scolarité, gérée par les caisses d'allocations familiales, avait d'abord
pour objet de remédier à la complexité et à la lourdeur du régime antérieur,
ainsi qu'à un coût de gestion effectivement disproportionné par rapport au
faible montant des bourses servies : environ 350 francs pour une famille
disposant d'un revenu de moins de 47 000 francs par an. Elle devait permettre
aussi de revaloriser, dans une certaine mesure, l'enveloppe globale consacrée à
cette aide.
En fait, cette réforme, qui était fondée sur d'excellents arguments, a révélé
de graves inconvénients dans son application : les familles habituées à
recevoir une bourse de collège en trois versements trimestriels ont perçu une
aide unique en début d'année scolaire - pour certaines d'entre elles, en même
temps que l'allocation de rentrée scolaire - et, faute d'information, elles ont
parfois utilisé la totalité de ces prestations et se sont trouvées
ultérieurement dans l'impossibilité d'acquitter les frais de demi-pension. Les
impayés se sont donc multipliés, et certaines familles ont été conduites à
retirer leurs enfants des cantines scolaires.
J'ajouterai que les effets de champ de la réforme, résultant du passage d'une
condition d'inscription au collège pour les bourses à un critère d'âge pour
l'aide à la scolarité, ont conduit à écarter plus de 90 000 élèves du bénéfice
de l'aide : 6 000 collégiens de moins de onze ans, 56 000 collégiens de plus de
seize ans et de 30 000 à 40 000 collégiens enfants uniques dont les familles
n'ont pas droit aux prestations familiales.
La réforme de 1994 a eu également pour effet de réduire l'aide accordée à 80
000 boursiers scolarisés dans les classes technologiques, dans les sections
d'éducation spécialisée, les SES et en cycles d'insertion professionnelle par
alternance, alors que la proportion de boursiers dans ces filières est de 50
%.
Je soulignerai ensuite la faiblesse des plafonds de ressources et le montant
dérisoire de l'aide : si la réforme de 1994 a permis de les revaloriser dans
une faible mesure, il reste que les ressources d'une famille d'un enfant ne
doivent pas dépasser 47 000 francs par an pour que celle-ci puisse percevoir
l'aide minimale, soit 346 francs par an, ou 25 000 francs par an pour l'aide
maximale de 1 108 francs.
Un constat s'impose donc : l'aide à la scolarité est aujourd'hui réservée en
fait aux enfants des familles dépendant des minima sociaux ou relevant de
l'assistance.
Je rappellerai par ailleurs que des expédients provisoires, comme l'allocation
exceptionnelle instaurée pour l'année scolaire 1994-1995, ou permanents, comme
le fonds social collégien ou le fonds social pour les cantines, ont été mis en
place pour remédier aux inconvénients de la réforme de 1994 et remédier
notamment à ses effets de champ.
La commission des affaires culturelles constate en ce domaine l'accroissement,
le développement rapide du nombre des interventions de ces fonds sociaux ; elle
estime qu'il conviendrait de réserver le bénéfice de ces fonds aux situations
les plus urgentes, au lieu d'encourager les familles à demander des aides
exceptionnelles et de développer à l'excès l'assistanat.
Les crédits affectés à ces fonds sociaux représentent aujourd'hui plus de la
moitié des 850 millions de francs dévolus à l'aide à la scolarité, qui
constitue, elle, un droit fondé sur des conditions objectives de ressources.
La commission ne peut que s'inquiéter d'une dérive d'un système créé, à
l'origine, pour les élèves défavorisés et méritants et qui bénéficie
aujourd'hui quasi exclusivement aux familles relevant de l'assistance.
A tout le moins, une forte revalorisation du montant et du plafond de
ressources des bourses apparaît indispensable, mais celle-ci relève du seul
Gouvernement.
S'agissant des conséquences de la mise en place de l'aide à la scolarité sur
la fréquentation des cantines scolaires, il a été fait état d'une réduction de
75 000 demi-pensionnaires entre 1993 et 1995, notamment dans les ZEP et les
collèges sensibles, où le taux de demi-pension n'est respectivement que de 36 %
et de 22 %, contre 60 % pour l'ensemble des collèges.
Certes, les inspections générales de l'éducation nationale avaient déjà
observé une baisse de la fréquentation des cantines avant 1994 ; elles ont
cependant conclu que la réforme des bourses avaient incontestablement accentué
ce mouvement dans de nombreuses académies, et pas seulement dans les
établissements sensibles.
Je signalerai, à cet égard, que le fonds social pour les cantines a profité à
25 000 nouveaux demi-pensionnaires en février 1998 et qu'il devrait, à terme,
en concerner 100 000.
Comme nous l'a indiqué tout à l'heure son excellent rapporteur, la commission
des affaires sociales a décidé de maintenir l'aide à la scolarité en l'étendant
aux élèves de plus de seize ans encore inscrits au collège, mais paradoxalement
pas aux rares jeunes collégiens de moins de onze ans qui sont en avance dans
leur scolarité, et en prévoyant un versement périodique.
Pour sa part, la commission des affaires culturelles a pris acte de l'avis
unanime émis par les organisations représentées au Conseil supérieur de
l'éducation quant au rétablissement d'un système de bourses de collège géré par
l'éducation nationale ; elle se prononce donc favorablement sur les
propositions du Gouvernement.
En conclusion, la commission des affaires culturelles vous proposera quelques
aménagements qui tendent, notamment : à répartir les moyens de l'éducation
nationale, en distinguant, d'une part, l'aide globale apportée aux
établissements situés en zone difficile et, d'autre part, l'aide individualisée
accordée aux élèves en difficulté ; à modifier l'organisation du service des
enseignants afin de leur permettre d'apporter une aide personnalisée aux élèves
en difficulté ; enfin, à consacrer et à permettre le développement du rôle des
enseignants dans le domaine de la formation permanente et de l'insertion
professionnelle des jeunes.
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles s'est
déclarée favorable à l'adoption des dispositions du chapitre V du titre II du
projet de loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, du RDSE, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Braun, rapporteur pour avis.
M. Gérard Braun,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation relatif à la lutte
contre les exclusions s'inscrit, comme le projet de loi d'orientation relatif
au renforcement de la cohésion sociale dont la précédente majorité avait
commencé l'examen en mars 1997, dans la droite ligne des engagements de M. le
Président de la République s'agissant de la réduction de la fracture
sociale.
La commission des affaires économiques, pour la partie des dispositions
relatives au logement qu'elle a examinée, a eu à coeur de travailler dans le
même état d'esprit, considérant que la lutte contre l'exclusion sociale
constituant, en effet, une priorité nationale.
Pour replacer le volet logement de ce projet de loi dans son contexte, on peut
rappeler que, selon les dernières statistiques - vous les avez évoquées madame
la ministre -, 200 000 personnes ne disposent d'aucun logement 470 000 sont
logées en meublés ou en chambres d'hôtel et 1 576 000 sont mal logées.
Malgré les effets indéniablement positifs des plans d'urgence instaurés par M.
Pierre-André Périssol en juillet 1995 sur l'offre quantitative des capacités de
logements d'urgence, force est de constater que le problème de la sortie des
dispositifs d'urgence pour accéder à un logement autonome n'a pas été
résolu.
C'est pourquoi l'une des ambitions du projet de loi soumis à votre examen est
de donner la priorité à un logement durable et adapté, y compris pour les
personnes défavorisées. Celles-ci sont en effet en situation de précarité
accrue en raison de l'augmentation du chômage, du développement des formes de
travail précaires et de l'affaiblissement des liens sociaux et familiaux.
Elles sont aussi, en matière de logement, victimes des effets « pervers » de
l'évolution de l'offre de logements, comme le rappelle très justement le
professeur Michel Mouillard.
Ainsi, l'insuffisance de la construction, en contrariant la satisfaction de
l'ensemble des besoins en logements, a, depuis le milieu des années
soixante-dix, facilité l'éviction des ménages les plus fragiles de l'accès
normal à un logement, d'autant plus que, globalement, l'élargissement de
l'offre « adaptée » a été limitée.
En outre, les transformations de l'offre existante, à savoir la contraction
des capacités d'accueil du parc des logements déqualifiés et l'amélioration de
la qualité du parc locatif public et privé ont renforcé les difficultés de
maintien dans un logement des catégories de ménages les moins favorisés. Il est
certain que le désengagement des propriétaires-bailleurs est aussi largement à
l'origine de la forte contraction du parc « social de fait », et ce
désengagement est dû aux difficultés que ces propriétaires-bailleurs ont
rencontrées pour mettre en valeur leur patrimoine.
Les ménages les plus défavorisés, dont le nombre n'a cessé de croître, sont
ainsi confrontés à une offre locative privée ou sociale de meilleure qualité,
mais plus chère et plus sélective. S'agissant du parc social, il faut préciser
néanmoins que ses capacités d'accueil vis-à-vis des ménages les plus fragiles
ont été nettement accrues en valeur absolue.
Parmi l'ensemble des mesures du projet de loi d'orientation relatif à la lutte
contre les exclusions consacrées au logement, il s'est agi pour la commission
des affaires économiques, compte tenu des compétences de la commission des
affaires sociales et des saisines des commissions des lois et des finances,
d'examiner trois séries de dispositions.
Premièrement, toute une série de mesures tendent à garantir le droit au
logement, en apportant un certain nombre de correctifs à la loi du 31 mai 1990
visant à la mise en oeuvre du droit au logement. La commission des affaires
économiques les a examinées positivement, tout particulièrement celles qui ont
pour objet de mieux cadrer les interventions des fonds de solidarité pour le
logement.
Il nous est apparu important que les dispositions concrètes d'harmonisation
des procédures et des règles d'attribution soient introduites dans la loi,
notamment sur les droits des sous-locataires ainsi que sur les critères
d'intervention du fonds de solidarité pour le logement.
Le projet de loi concourt également à la reconnaissance du rôle du secteur
associatif afin de mieux prendre en compte sa fonction de gestion locative ou
de médiation entre les bailleurs et les locataires. Sur ce point, nous
formulerons une proposition pour aller plus loin dans la définition de la
médiation locative.
Deuxièmement, le projet de loi réforme la procédure d'attribution de logements
HLM, notamment pour améliorer l'accueil des personnes défavorisées dans le parc
social, tout en respectant le principe de mixité sociale.
Le projet de loi reprend et rend obligatoires un certain nombre de
dispositions existantes ou prévues par le projet de loi d'orientation relatif
au renforcement de la cohésion sociale, en se plaçant dans un cadre
intercommunal à travers l'instauration d'une conférence intercommunale du
logement dans chaque bassin d'habitat comprenant des zones urbaines sensibles
ou un nombre de logements sociaux important. Cette conférence élabore une
charte intercommunale du logement définissant des objectifs quantifiés
d'accueil des personnes défavorisées, répartis sur le bassin d'habitat.
Sur ce sujet, la commission soutient l'option de l'intercommunalité, mais elle
n'a pas suivi l'Assemblée nationale à propos de la définition des bassins
d'habitat dans lesquels la constitution d'une conférence intercommunale est
obligatoire.
Le projet de loi donne une base légale aux accords nationaux conclus en
décembre dernier entre l'Etat et les organismes d'HLM, mettant ainsi l'accent
sur l'engagement contractuel des parties sur des objectifs quantifiés de
logements des personnes défavorisées.
L'Etat n'est pas gestionnaire du régime des attributions, mais il est garant
du respect des lois et règlements pris dans ce domaine. A ce titre, ses moyens
d'intervention ont été renforcés, notamment à l'encontre des organismes d'HLM
refusant de s'engager sur des objectifs quantifiés ou ne respectant pas leurs
engagements.
Pour favoriser la transparence des attributions, chaque demande de logement
social fait l'objet d'un enregistrement départemental unique, qui est
obligatoirement communiqué dans le délai d'un mois. A ce sujet, la commission
vous proposera un amendement afin de tenir compte des résultats ou des
observations de l'expérimentation décidée par l'accord national signé par les
bailleurs sociaux.
Par ailleurs, en ce qui concerne la commission de médiation, qui peut être
saisie lorsque les délais d'examen d'une demande sont anormalement longs, notre
souhait serait de lui donner plus de consistance sans vouloir en faire une
instance de recours.
Enfin, le troisième axe du projet de loi vise à mobiliser et à accroître
l'offre de logements, notamment à travers l'instauration d'une taxe sur la
vacance.
Partant du constat que, dans les grandes agglomérations, plus particulièrement
en région parisienne, il existe, d'une part, une population croissante qui
éprouve des difficultés à se loger et, d'autre part, un nombre important de
logements vacants, le Gouvernement instaure une nouvelle contribution sur
certains logements laissés délibérément vacants en dépit de la demande
locative.
La commission des affaires économiques a longuement débattu de ce dispositif,
auquel elle a parfois songé à l'occasion de débats sur la désertification des
bourgs-centres en milieu rural. Mais elle a majoritairement considéré que ce
dispositif inopérant et coûteux administrativement devait être rejeté compte
tenu de ses effets psychologiques très négatifs.
La taxe remplit en principe une fonction dissuasive avant d'être répressive,
ce qui relève plus de la théorie de la dissuasion nucléaire que d'une
démonstration économique rationnelle. En définitive, il s'agit essentiellement
d'un effet d'annonce !
M. Jean Chérioux.
Tout à fait !
M. Gérard Braun,
rapporteur pour avis.
Mais est-il raisonnable de traiter ainsi un secteur
économique fragile qui, pour se développer, a besoin d'un environnement
législatif et réglementaire stable sur le long terme ?
M. Jean Chérioux.
Très juste !
M. Gérard Braun,
rapporteur pour avis.
Il faut souligner, à ce propos, que le nombre de
logements vacants a peu évolué - 2,15 millions d'unités en 1998 contre 2,2
millions d'unités en 1976 - et que le taux de vacance depuis vingt ans varie de
7,5 % à 8 % du parc total.
S'agissant plus particulièrement de la vacance, estimée à Paris à 118 300
logements, il convient tout d'abord de rappeler que les statistiques fournies
par le recensement INSEE ou le fichier de la taxe d'habitation sont souvent
surestimées, car les moyens de recherche et de vérification sont loin d'être
parfaits.
De plus, les caractéristiques de ces logements illustrent parfaitement la
cause principale de la vacance, à savoir que plus d'un tiers du parc est « hors
marché » du fait de sa vétusté - la moitié de ces 118 300 logements datent
d'avant 1915 - et que les propriétaires n'ont pas les moyens financiers
nécessaires pour réaliser les travaux de mise aux normes.
La commission des affaires économiques considère que la solution n'est pas à
rechercher dans la mise en oeuvre d'une taxation supplémentaire sur
l'immobilier, mais bien plutôt dans l'augmentation conséquente des ressources
de l'ANAH. En permettant à cet organisme de subventionner un plus grand nombre
d'opérations, dans de meilleures conditions, il en résulterait, de surcroît,
des effets très positifs pour le secteur du bâtiment et donc l'emploi.
MM. Georges Gruillot et André Jourdain.
Bravo !
M. Gérard Braun,
rapporteur pour avis.
Il convient également, et vous le prévoyez,
monsieur le secrétaire d'Etat, de rendre plus attractif pour les propriétaires
le mécanisme de bail à réhabilitation. Mais il faut surtout que les organismes
d'HLM, les sociétés d'économie mixte gérant un parc immobilier s'engagent plus
délibérément sur ce dispositif et sur celui qui a été institué par la loi du 19
février 1998, pour remettre sur le marché des logements anciens rénovés. Cette
mesure contribuerait également à diversifier l'offre de logements des bailleurs
sociaux, leur permettant de faire des propositions de logement adapté et
durable.
Enfin, à travers plusieurs articles additionnels, l'Assemblée nationale a
cherché à garantir une meilleure mixité sociale dans les communes et dans le
peuplement du parc social.
S'agissant de la composition sociologique du parc locatif HLM, l'Assemblée
nationale a souhaité modifier le régime du supplément de loyer de solidarité en
portant le seuil facultatif de déclenchement du calcul du surloyer à 20 %.
Cette disposition, associée aux mesures réglementaires devant être prises très
prochainement quant à la réévaluation des plafonds de ressources, entraînera
une diminution de 50 % des ménages concernés par le surloyer, ce qui favorisera
le maintien dans le parc HLM de personnes aux revenus modestes mais stables, et
surtout présentes dans les logements depuis de longues années. En revanche, une
telle mesure pèsera sur les finances des organismes d'HLM et sur la fluidité du
marché locatif social.
L'Assemblée nationale, pour renforcer également la mixité sociale dans les
communes, a modifié deux dispositions importantes de la loi du 13 janvier 1991
d'orientation pour la ville en abaissant le seuil de prise en compte des
communes situées en région Ile-de-France pour retenir le seuil de 1 500
habitants, au lieu de 3 500, et en révisant la définition des logements sociaux
pouvant être construits par les communes pour satisfaire aux obligations de la
loi.
Les logements sociaux désormais retenus sont les logements réalisés avec un
prêt PLA, dont ceux qui sont destinés aux plus défavorisés, les logements
améliorés avec le concours de l'ANAH et conventionnés avec l'Etat, ainsi que
ceux qui font l'objet d'un bail à réhabilitation. Sont exclus les logements
intermédiaires et les logements en accession à la propriété financés par le
prêt à taux zéro.
La commission des affaires économiques s'est montrée très réservée à ce sujet,
considérant que des modifications de cette importance allaient bouleverser les
obligations pesant sur les communes.
M. le ministre délégué à la ville a fait part de son souhait d'une réflexion
globale concernant la politique de la ville. Il nous a semblé plus raisonnable
d'attendre cette échéance et de ne pas remettre en cause de façon anticipée le
dispositif législatif existant.
Mes chers collègues, votre commission des affaires économiques a adopté les
dispositions qu'elle a examinées, assorties des amendements que votre
rapporteur lui a soumis, dans un esprit constructif et afin de parvenir à des
solutions réellement efficaces s'agissant du logement des personnes
défavorisées.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Oudin, rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des
finances s'est saisie pour avis de certaines dispositions à caractère fiscal ou
financier du présent projet de loi d'orientation. Par ailleurs, elle souhaite
contribuer au débat en évaluant le coût de ce texte et en restituant celui-ci
dans le contexte plus général de la politique budgétaire.
Je vais tout d'abord indiquer brièvement la position de la commission sur les
dispositions de nature fiscale ou financière, peu nombreuses d'ailleurs, dont
elle s'est saisie.
Seul point de désaccord radical, et notre position rejoint celle qui vient
d'être exprimée à l'instant : la commission des finances est opposée à la
création d'une taxe sur les logements vacants, qui répond surtout à un souci
d'affichage politique et qui lui paraît inapplicable.
Par ailleurs, elle propose de compenser les pertes de recettes résultant des
allégements de taxe d'habitation et de taxe foncière sur les propriétés bâties.
Il s'agit là d'une position de principe : les collectivités locales n'ont pas à
supporter le coût des politiques nationales de solidarité, dont elles n'ont pas
la compétence.
La commission des finances propose également de mieux cibler certaines
dispositions, dont la rédaction actuelle lui paraît excéder l'objectif de lutte
contre les exclusions. Tel est le sens de ses amendements portant sur
l'exonération de taxe foncière, sur l'exonération d'impôt sur le revenu au
titre des travaux réalisés dans le cadre d'un bail à réhabilitation, sur
l'exonération de timbre fiscal pour les cartes d'identité, ainsi que sur les «
chèques d'accompagnement personnalisé ».
Enfin, la commission des finances propose de donner un tour moins contraignant
au droit au compte bancaire et de laisser ainsi une place aux négociations
contractuelles.
J'en viens maintenant au cadrage financier du projet de loi.
Dans la perspective de la prochaine loi de finances, le Gouvernement a déclaré
la lutte contre l'exclusion priorité budgétaire. Je voudrais toutefois rappeler
qu'il ne peut s'agir que d'une priorité dérivée par rapport à la politique de
l'emploi.
En effet, la politique de lutte contre les exclusions ne saurait se substituer
à la politique de l'emploi. La privation d'emploi, nous le savons, est la
principale cause d'exclusion, par rapport à laquelle le présent projet de loi
d'orientation n'apporte que des solutions palliatives.
Ce rappel a son importance, car les choix faits par le Gouvernement en matière
de politique de l'emploi ne sont pas ceux de la commission des finances et de
la majorité du Sénat.
Qu'il s'agisse de la relance des emplois publics, de la restriction du
dispositif d'allégement des charges sur les bas salaires ou de l'imposition
autoritaire d'une réduction de la durée du travail, nous avons déjà eu
l'occasion d'exprimer notre désaccord dans cet hémicycle.
S'il y a divergence sur la politique de l'emploi, il existe en revanche un
consensus sur les modalités de la lutte contre les exclusions. A cet égard, il
est significatif que le présent projet de loi d'orientation reprenne beaucoup
des dispositions du projet de loi de cohésion sociale présenté par le
gouvernement de M. Alain Juppé, voilà un peu plus d'un an.
Cependant, la commission des finances entend rester dans son rôle en rappelant
que le consensus sur la nécessité d'agir plus efficacement contre l'exclusion
ne saurait justifier n'importe quel niveau de dépenses publiques. La contrainte
financière s'impose ici comme ailleurs, et il s'agit non pas tant de dépenser
plus que de dépenser mieux.
Je voudrais rappeler, car c'est une évidence trop souvent oubliée, qu'une
dépense publique n'est pas justifiée du seul fait qu'elle a une finalité
sociale. Elle doit aussi satisfaire aux règles élémentaires de bonne gestion
des deniers publics et s'inscrire dans une logique coût-avantage rationnelle.
Hélas ! nous en sommes souvent loin, comme le constate périodiquement la Cour
des comptes, et comme nous avons souvent l'occasion de le rappeler ici.
Le fonds d'urgence social mis en place en début d'année est un véritable cas
d'école. Ce dispositif improvisé nous montre comment une logique purement
sociale, dont je ne nie pas la légitimité, peut aboutir à l'engagement
inconsidéré de crédits publics. En effet, par l'intermédiaire de ce fonds, un
milliard de francs ont été dépensés en un temps record, sans critères
d'attribution définis, sans examen sérieux des cas individuels et sans
conditions, au risque de déstabiliser le travail de terrain accompli depuis des
années par les intervenants sociaux. Ce constat, ce n'est pas moi qui le fais,
c'est Mme Join-Lambert elle-même, dans son récent rapport au Premier
ministre.
Dépenser à bon escient n'est pas suffisant ; encore faut-il que le financement
de la lutte contre les exclusions soit gagé sur une véritable rigueur
budgétaire.
A cet égard, madame la ministre, nous ne pouvons que nous féliciter de vos
déclarations devant la commission des finances. Vous nous avez annoncé que le
projet de loi d'orientation serait financé par redéploiement de crédits. Vous
nous avez également indiqué que des économies étaient attendues sur les
dépenses pour l'emploi, ainsi que sur les crédits des minima sociaux.
Toutefois, au-delà de ces déclarations d'intention, nous ne pouvons qu'être
inquiets devant les orientations retenues par le ministre de l'économie et des
finances pour le prochain budget. Après des années d'une certaine rigueur, il
semblerait que le Gouvernement s'apprête à laisser dériver à nouveau les
dépenses de l'Etat.
Nous aborderons ces questions plus en détail dans quelque temps, à l'occasion
du prochain débat d'orientation budgétaire. Néanmoins, ce retour à un certain
laxisme financier, sous couvert d'une croissance spontanée des recettes, me
conduit à douter de la réalité des redéploiements budgétaires annoncés pour
financer le présent projet de loi d'orientation.
Venons-en à l'évaluation du coût du présent projet de loi d'orientation.
Il convient tout d'abord de dissiper la confusion qui a été entretenue lors
des débats préparatoires entre, d'une part, le programme de prévention et de
lutte contre les exclusions et, d'autre part, le projet de loi
stricto
sensu.
La commission des finances partage pleinement l'analyse de la
commission des affaires sociales : manifestement, vous avez été amenée, madame
la ministre, à additionner des mesures très hétérogènes dans le seul but de
majorer optiquement le montant total des crédits consacrés à la lutte contre
les exclusions.
Outre les dispositions contenues dans le texte, le programme inclut des
mesures « déjà annoncées » par le Gouvernement, notamment dans la loi de
finances de 1998. A l'inverse, il inclut aussi des mesures « à venir », à
savoir des dispositifs réglementaires ou d'autres projets de loi.
Le coût global de ce programme est estimé à 51,4 milliards de francs sur trois
ans. Je n'ai pas pu vérifier le détail de cette évaluation, car, bien que je
les ai demandées, les fiches de calcul ne m'ont pas été communiquées, et cela
en dépit de votre engagement en commission des finances.
Toutefois, en opérant les reclassements nécessaires, dont le détail figure
dans mon rapport écrit, j'ai trouvé des écarts significatifs avec les chiffres
qui accompagnent le projet de loi : les mesures déjà annoncées s'élèvent à 16,2
milliards de francs ; et non pas à 15,8 milliards de francs, les mesures à
venir s'élèvent à 8,4 milliards de francs, et non pas à 5 milliards de francs ;
et les cofinancements s'élèvent à 7,5 milliards de francs, et non pas à 8,1
milliards de francs.
Par conséquent, au sein de l'ensemble du programme, la part du coût budgétaire
pour l'Etat du projet de loi d'orientation au sens strict s'élève à 15,9
milliards de francs sur trois ans, contre 22,4 milliards de francs annoncés. Ce
chiffre de 15,9 milliards de francs est d'ailleurs pleinement cohérent avec
celui de 18 milliards de francs avancé par le rapporteur de la commission des
affaires sociales. La différence s'explique par le fait que j'ai reclassé en
mesures à venir certaines mesures qu'il a, pour sa part, admises comme pouvant
se rattacher au projet de loi.
Cet engagement budgétaire de l'Etat est concentré à 80 % sur les aides à
l'emploi. Sa montée en charge est fortement progressive : 1,092 milliard de
francs pour 1998, 5,450 milliards de francs pour 1999 et 9,400 milliards de
francs pour 2000.
Le coût en année pleine de ce texte est donc légèrement inférieur à 10
milliards de francs. Il est intéressant de le rapprocher du coût budgétaire en
année pleine du récent accord salarial dans la fonction publique, qui est
estimé à 12 milliards de francs. Mes chers collègues, chacun pourra ainsi juger
des véritables priorités du Gouvernement, par-delà certains effets
d'annonce.
M. Charles Descours.
Très bien !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Concrètement, l'Etat ne s'engage donc, en 1998, que
pour un milliard de francs au titre du présent projet de loi d'orientation.
Seul ce coût budgétaire en première année d'application peut être comparé au
coût prévisionnel du projet de loi de cohésion sociale présenté par le
gouvernement précédent. A l'époque, ce coût avait été évalué à 2,5 milliards de
francs, dont 1,7 milliard de francs étaient prélevés sur le budget du logement
et 768 millions de francs sur celui des affaires sociales. Tout autre
rapprochement de chiffres serait, à mes yeux, dépourvu de signification.
Les cofinancements attendus sont importants. Avec un montant de 7,5 milliards
de francs, ils représentent près de la moitié de l'effort budgétaire de l'Etat.
Les collectivités locales sont sollicitées - elles n'ont pas encore, je le
signale, donné leur accord - pour apporter 45 % de ces cofinancements. Ceux-ci
sont essentiels pour financer certaines des « mesures phares » du projet de loi
d'orientation, telles que le programme TRACE, pour lequel l'Etat n'apportera
que 761 millions de francs sur les 5,132 milliards de francs prévus.
Quant aux programmes locaux d'insertion par l'économique, ils sont
intégralement cofinancés, pour un montant de 1,6 milliard de francs, à la fois
par les collectivités locales et le Fonds social européen.
Enfin, pour évaluer de manière complète le coût budgétaire du présent projet
de loi d'orientation, il faut prendre en compte les modifications apportées par
l'Assemblée nationale. Selon un chiffrage non exhaustif, je le reconnais, la
dépense a été alourdie en première lecture par les députés d'au moins 425
millions de francs, soit 1,275 milliard de francs sur trois ans. L'essentiel de
ce coût supplémentaire correspond à la suppression de la taxe forfaitaire sur
les frais d'huissier de justice, dont le coût est estimé à 360 millions de
francs. La commission des finances est d'ailleurs opposée - tout comme le
Gouvernement, je le souligne - à cette mesure de suppression.
La récapitulation, quelque peu rébarbative, je l'admets, du coût des mesures à
laquelle je viens de procéder relève d'un pur contrôle de cohérence. Je
voudrais aller un peu au-delà en m'interrogeant sur la fiabilité des
évaluations présentées.
J'observe, tout d'abord, que la plupart des chiffrages reposent sur des
hypothèses de limitation quantitative des bénéficiaires. Celles-ci semblent
fragiles au regard de l'importance des besoins, qui m'a été confirmée par
toutes les personnes que j'ai pu auditionner ou contacter par écrit. Même s'il
ne s'agit pas, juridiquement, de dispositifs « à guichet ouvert », il sera
difficile de refuser des demandes en cours d'année simplement parce que les
crédits initialement prévus seront épuisés.
De même, certains dispositifs sont expérimentaux, mais leur généralisation
n'est pas chiffrée, bien que présentée comme certaine. D'autres mesures sont
réputées n'avoir aucun coût, alors même qu'elles tendent à créer des
dispositifs ou à élargir le champ de dispositifs existants. Enfin, les charges
de gestion supplémentaires pour les administrations publiques sont
systématiquement minimisées, voire considérées comme nulles, alors qu'elles
impliquent parfois des créations de postes.
De manière plus indirecte, je crois qu'il ne faut pas sous-estimer l'effet
inflationniste potentiel de l'amélioration de l'information des populations
concernées sur leurs droits. L'expérience prouve que, indépendamment de toute
extension juridique, le seul renforcement, souhaitable, d'ailleurs, de l'accès
effectif aux droits sociaux accroît considérablement les dépenses
afférentes.
Le projet de loi d'orientation prévoit, en particulier, d'harmoniser et
d'étendre les mécanismes dits « d'intéressement », qui permettent de cumuler
dans certaines limites une rémunération d'activité avec un minimum social. Ce
dispositif est judicieux - nous l'avons dit - car il facilite les processus de
réinsertion en limitant les effets pervers des « trappes à inactivité ».
Néanmoins, il est susceptible d'engendrer des effets d'aubaine et des fraudes
pures et simples, tant de la part des bénéficiaires que de celle des
entreprises qui les emploient.
Par ailleurs, ce mécanisme d'intéressement est considéré par le Gouvernement
comme n'ayant aucun coût, avis que nous ne partageons pas. En effet,
l'accroissement des dépenses de minima sociaux généré dans un premier temps
serait compensé, dans un second temps, par la sortie des bénéficiaires des
dispositifs d'assistance. C'est du moins ce qu'indique le Gouvernement.
A l'image de l'ensemble du présent projet de loi d'orientation, ce
raisonnement repose sur un pari dont on ne peut que souhaiter le succès, mais
qui reste, à nos yeux, assez audacieux. Rien ne garantit que les effets
positifs de ce texte seront suffisamment rapides et probants pour que les
économies réalisées équilibrent les dépenses nouvelles.
C'est pourquoi, mes chers collègues, il est impératif de prévoir un
financement par redéploiement budgétaire. Seule cette règle de prudence est
susceptible de ménager l'avenir sans compromettre le redressement des finances
publiques, qui conditionne une croissance saine et créatrice d'emplois.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant, rapporteur pour avis.
M. Paul Loridant,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
ministre, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la fin
des années quatre-vingt a vu la montée d'un phénomène inquiétant : le
surendettement des ménages. Ainsi, en 1989, près de 200 000 ménages se
trouvaient dans l'incapacité de faire face aux échéances de remboursement des
prêts qu'ils avaient contractés.
En outre, faute d'une procédure permettant de traiter l'ensemble des créances,
les débiteurs défaillants devaient assigner séparément chacun de leurs
créanciers pour obtenir du juge autant de moratoires.
La loi du 31 décembre 1989, dite loi Neiertz, relative à la prévention et au
règlement amiable des difficultés liées au surendettement des particuliers et
des familles, a rompu avec cette démarche bilatérale et a institué un
dispositif offrant une vue d'ensemble de la situation du débiteur et des
possibilités de traitement global.
Ce dispositif a été amélioré par la loi du 8 février 1995 relative à
l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et
administrative, qui a renforcé le rôle des commissions de surendettement. En
outre, il a contribué à désengorger les tribunaux.
Cette procédure a d'ores et déjà connu un grand succès. En effet, entre le 1er
mars 1989 et le 31 décembre 1997, quelque 620 000 dossiers ont été transmis aux
commissions de surendettement.
Pourtant, ce dispositif semble aujourd'hui atteindre ses limites en raison
d'un changement de nature du surendettement, ainsi que l'a indiqué tout à
l'heure Mme Lebranchu.
En effet, les personnes concernées par la loi de 1989 étaient essentiellement
ce que l'on appelle communément des « surendettés actifs », c'est-à-dire des
ménages qui s'étaient volontairement endettés au-delà de leur capacité de
remboursement.
Or, depuis 1993, on constate un accroissement du nombre des « surendettés
passifs », c'est-à-dire des ménages qui sont devenus surendettés à la suite
d'une diminution de leurs ressources, celle-ci découlant, le plus souvent, d'un
accident de la vie, tel que le chômage, la séparation ou la longue maladie.
Le rapport d'information sur le surendettement que j'avais rédigé avec notre
collègue Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des finances et de la
commission des lois réunies, faisait déjà état d'analyses préoccupantes quant à
l'évolution de la capacité de remboursement des ménages, fortement compromise
par la crise économique.
En effet, l'évolution de la nature même du surendettement « grippe » le
dispositif : ainsi le nombre de dossiers déposés augmente-t-il fortement depuis
la fin de l'année 1995.
Le premier trimestre 1998 est celui qui connaît le nombre de dépôts le plus
élevé depuis l'entrée en vigueur de la procédure, avec une progression de 21 %
par rapport au premier trimestre 1997.
Or cette augmentation du nombre des dossiers déposés semble liée au
développement des moratoires. En effet, faute de revenus suffisants de la part
des débiteurs, les commissions de surendettement doivent recourir de plus en
plus souvent à cette procédure.
Il apparaît ainsi que, en 1997, la part des plans de redressement comportant
des moratoires, phase amiable et phase de recommandation confondues, est passée
de 33,5 % en mars à 42,6 % en décembre.
Or la multiplication de ces moratoires risque de conduire le système actuel de
traitement du surendettement vers une impasse dans la mesure où les cas
d'amélioration de la situation du débiteur ne sont, hélas ! trois fois hélas !
que trop peu fréquents.
En conséquence, lorsque la période fixée par le moratoire est écoulée, le
dossier est généralement déposé à nouveau auprès des commissions de
surendettement. Celles-ci n'ont alors guère d'autre solution que de proposer un
nouveau moratoire.
La multiplication des réexamens engorge déjà les commissions, sans pour autant
apporter une solution définitive à ces cas difficiles. Devant ce phénomène, le
Gouvernement a présenté un nouveau dispositif qui tient compte de
l'insolvabilité de certains débiteurs et en tire les conséquences.
Ce dispositif, prévu par le présent projet de loi, maintient la phase amiable
et la phase de recommandations. Toutefois, la nature des recommandations varie
selon la situation du débiteur. Si la commission constate l'insolvabilité
durable du débiteur, elle peut recommander un moratoire pour une durée qui ne
peut excéder trois ans. A l'issue de cette période, la commission réexamine la
situation du débiteur. Si ce dernier reste insolvable, la commission peut
proposer la réduction ou l'effacement de tout ou partie des dettes.
Ce dispositif doit donc permettre de résoudre les cas les plus graves. Il est
cependant strictement encadré pour éviter tout détournement de procédure. Ainsi
celle-ci est-elle placée sous le contrôle du juge, qui doit homologuer la
décision de la commission et peut revenir sur les propositions de celle-ci s'il
estime qu'elles ne sont pas adaptées à la situation du débiteur.
En outre, le débiteur ayant bénéficié d'un effacement de dettes est inscrit au
fichier des incidents de paiement pendant huit ans et ne peut obtenir un nouvel
effacement de dettes durant cette période.
Je tiens à faire remarquer que le texte initial proposé par le Gouvernement
excluait les dettes fiscales, parafiscales ou envers les organismes de sécurité
sociale non seulement du moratoire, mais également du dispositif de réduction
ou d'effacement des dettes.
L'Assemblée nationale a supprimé cette mesure afin d'établir une égalité entre
les créanciers et a, par là même, satisfait une revendication ancienne des
établissements de crédit et des professions bancaires.
Pourtant, cette banalisation des dettes fiscales paraît dangereuse à la
commission des finances, alors même que ces dettes se trouvent en nombre très
réduit dans les dossiers des débiteurs susceptibles de bénéficier du nouveau
dispositif.
En outre, l'administration fiscale - Mme la ministre l'a dit tout à l'heure -
dispose déjà d'une procédure spécifique de remise gracieuse qui donne
globalement satisfaction.
En conclusion, je souhaite présenter quelques observations complémentaires sur
le présent projet de loi d'orientation.
Je ne peux que me féliciter que ce texte soit largement inspiré du rapport sur
le surendettement rédigé avec notre collègue Jean-Jacques Hyest. Toutefois, ce
constat n'empêche pas certaines critiques.
Tout d'abord, la dimension sociale n'est pas assez prise en compte, aussi bien
dans l'instruction des dossiers que dans le suivi du plan de redressement.
Ensuite, aucune mesure n'est arrêté pour remédier à l'absence de statistiques.
Dans notre rapport d'information, nous avions déjà soulevé et regretté cette
lacune. Or les auditions menées dans le cadre de l'examen du présent projet de
loi d'orientation nous ont montré que cette lacune était loin d'être compensée.
Ainsi le Gouvernement prend-il des dispositions sans toujours mesurer
exactement leur impact, faute de statistiques fines et pertinentes.
Enfin, je suis persuadé que ce texte aurait mérité de constituer un projet de
loi à part entière, notamment par souci de meilleure lisibilité.
Certes, la nature du surendettement a évolué et le nombre de surendettés
passifs a fortement augmenté. La réalité du surendettement reste cependant
complexe et mêle les deux composantes que sont le surendettement passif et le
surendettement actif, lequel ne devait pas nécessairement figurer dans le
projet de loi d'orientation relatif àla lutte contre les exclusions.
Ainsi, les surendettés sont loin d'être tous des exclus et seuls 7 % des
dossiers laissent apparaître un endettement non bancaire. Dès lors, il ne
faudrait pas confondre traitement du surendettement et assistanat.
Ces observations étant faites et sous réserve de l'adoption des amendements
qu'elle vous présentera, la commission des finances émet un avis favorable sur
le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions, en
particulier sur le volet consacré au surendettement des ménages.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod, rapporteur pour avis.
M. Paul Girod,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, madame le ministre, madame, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'interviens en tant que rapporteur
pour avis, au nom de la commission des lois « constitutionnelles ». Je rappelle
cet adjectif, car je serai conduit à y faire allusion au cours de mon
exposé.
La commission des lois est saisie, dans le cadre des accords avec les autres
commissions, spécialement la commission des affaires sociales, de sept domaines
d'importance, de longueur et de complexité inégales.
Premier domaine : les sanctions pénales contre les marchands de sommeil ; il
s'agit de l'article 65, qui ne pose pas beaucoup de problèmes.
Deuxième domaine : le droit au compte bancaire ; il s'agit de l'article 73,
qui ne soulève pas non plus d'énormes difficultés.
Troisième domaine : l'exercice de la citoyenneté ; il s'agit du titre Ier,
chapitre IV, articles 40, 41 et 41
bis
. Ces dispositions concernent
l'inscription sur les listes électorales des personnes sans domicile fixe,
l'aide juridictionnelle de ces personnes sans domicile fixe et l'information
des détenus avant leur libération, matières qui revêtent, elles aussi, une
importance inégale et qui peuvent poser problème ; j'y reviendrai dans quelques
instants.
Quatrième domaine : le surendettement ; il s'agit du titre II, chapitre Ier,
articles 42 A à 52
quater
. Notre collègue Paul Loridant vient de
s'exprimer avec talent et compétence sur ce sujet puisqu'il avait animé, avec
notre collègue Jean-Jacques Hyest, un groupe de travail qui a établi un rapport
fort intéressant en la matière. Globalement, nous avons formulé des
observations assez voisines des leurs, à quelques détails près.
Cinquième domaine : les saisies immobilières ; il s'agit du titre II, chapitre
II, articles 53 A à 57. Les procédures de saisie avaient été réformées par la
loi de janvier 1998, mais elles sont maintenant remises en cause. Ces mesures
tendent, en principe, à éviter la ruine du saisi et les petites manoeuvres
astucieuses de ceux qui profitent d'une saisie pour faire une bonne affaire.
Sixième domaine : la prévention des expulsions ; il s'agit du chapitre III,
section 1, articles 58 à 63
bis.
Enfin septième domaine : l'accès au droit au logement par l'exercice de la
réquisition. Il découle des dispositions obsolètes de 1945, qui furent prises
pour reloger - en période de crise, j'y reviendrai aussi - nos compatriotes
victimes des destructions de la guerre. Il s'agit de tirer les leçons de
l'obsolescence de cette législation telle qu'on a pu la ressentir lors des
campagnes de réquisitions qui ont eu lieu dans la région parisienne. Elles ont
porté sur 872 logements en 1995 et en 1996. Ces réquisitions ne se sont pas
faites facilement et leur base juridique n'est pas suffisamment sûre. C'est
l'objet de l'article 31, énorme article.
La philosophie générale de ce projet de loi est schématiquement la suivante :
celui qui est en situation d'exclusion a droit, sinon à tout, du moins à une
attention privilégiée. Personne ne conteste une telle position dans son
essence, pas plus d'ailleurs le Gouvernement actuel que le précédent, et encore
moins le Président de la République, qui avait fait de cette constatation un
des arguments forts de sa campagne pour l'élection présidentielle.
La commission des lois a une attitude voisine de celle qu'ont adoptée les
autres commissions : elle est disposée à prendre en compte les dispositifs
proposés, sous un certain nombre de réserves. En effet, nous souhaitons que les
mesures qui vont être prises ne se retournent pas contre ceux au bénéfice
desquels elles sont arrêtées, moins par l'application des dispositifs à leur
situation personnelle que par la modification de l'ambiance qui entoure les
raisons pour lesquelles ils sont en situation d'exclusion.
Je prendrai deux exemples.
Le premier, c'est le cautionnement. Il faut maintenir l'efficacité de ce
dispositif. Or un certain nombre d'ajouts de l'Assemblée nationale nous
semblent dangereux.
Le second exemple, c'est la protection de la personne qui fait l'objet d'une
saisie immobilière. En effet, certains dispositifs, tels qu'ils nous sont
proposés, risquent d'aboutir à la généralisation des folles enchères et, par
conséquent, à la ruine à la fois du saisi et du créancier. Certains dispositifs
risquent même d'aboutir à une très désagréable atmosphère dans certaines
communes vis-à-vis des SDF inscrits sur les listes électorales s'il y a, à
terme, possibilité de renversement de la majorité du conseil municipal au
profit des seuls nouveaux inscrits sur lesdites listes.
La première préoccupation de la commission des lois concerne donc des
dispositions sur lesquelles il faut être vigilant, car elles risquent de se
retourner contre ceux au bénéfice desquels on veut agir.
La deuxième préoccupation de la commission est d'éviter le plus possible
l'explosion du contentieux.
Enfin, sa troisième préoccupation est ne pas accepter, incidemment, un
changement de type de société, par le biais de certaines mesures partielles qui
introduiraient dans notre droit des nouveautés dont les conséquences peuvent
aller très loin.
A cet égard, je prendrai encore deux exemples. Le premier concerne tout ce qui
a trait aux troubles du voisinage à l'occasion des expulsions. Le second vise
tout ce qui a trait au droit de propriété. Certains disent que ce droit
fondamental risque d'être désormais exercé de manière administrativement
surveillée. Ainsi, on aboutirait, ici ou là, à des acquisitions forcées ; on
donnerait trop de moyens à l'expulsé de mauvaise foi pour se maintenir dans les
lieux, de plus, dans des conditions qui ne concernent pas seulement le domicile
principal.
En revanche, la commission des lois accepte sans difficulté le principe de
l'inscription des SDF sur les listes électorales, le principe du droit au
compte, les nouvelles dispositions sur le surendettement - notre ami Paul
Loridant les a résumées tout à l'heure - avec une nouvelle composition de la
commission de surendettement, l'allongement des plans d'apurement sur huit ans,
au lieu de cinq ans, et avec la possibilité, sous le contrôle du juge, de voir
apparaître un moratoire général de trois ans et, éventuellement, l'effacement
des dettes au terme de ce délai. Ces innovations peuvent se révéler utiles.
Elles découlent d'ailleurs des recommandations du rapport qui avait été déposé
devant le Sénat par nos collègues MM. Hyest et Loridant.
De même, la commission des lois accepte l'introduction d'un traitement le plus
en amont possible du cas des expulsés, afin que l'on puisse mobiliser en leur
faveur un certain nombre de moyens qui existent, mais qui, pour l'instant, sont
un peu absents de la procédure mise en place.
De même, la commission des lois accepte la procédure des réquisitions
a
priori
pour le relogement des personnes défavorisées, mais à condition que
cela ne pose pas exagérément des problèmes de principe ; j'y reviendrai à la
fin de mon intervention.
La commission des lois proposera une série d'améliorations techniques. Vous me
permettrez, mes chers collègues, d'aller d'un sujet à l'autre, car c'est plutôt
par une classification des modes de réponse de la commission des lois que par
une classification des domaines que je voudrais présenter mon rapport.
J'évoquerai d'abord les améliorations techniques. La commission des lois a
déposé soixante-deux amendements. Une bonne trentaine d'entre eux sont d'ordre
rédactionnel. Ils visent soit à préciser un terme ou une date, soit à remettre
en ordre le texte, afin que les problèmes de principe soient énoncés avant les
dispositifs d'application. Cela ne devrait pas, me semble-t-il, soulever de
difficulté majeure.
La commission proposera un certain nombre d'améliorations relatives à la
composition de la commission départementale de surendettement. A cet égard, il
peut exister une divergence d'appréciation d'une commission à l'autre, en
particulier en ce qui concerne la présence d'un travailleur social avec voix
consultative. Dans l'esprit de la commission des lois, il s'agit de permettre
d'assurer le suivi social et, surtout, d'avoir confirmation, par une personne
qui pratique l'intervention sociale en permanence, que les dispositifs d'aide
qui peuvent être mobilisés le sont effectivement.
La commission suggérera également de purger le projet de loi de quelques
dispositions qui semblent dangereuses. Là encore, il s'agit d'améliorations
techniques. Elle proposera, en particulier, de prévenir le fait que la majorité
au sein d'un conseil municipal puisse basculer de par la présence sur les
listes électorales d'un nombre très important de SDF. En effet, dans les
petites communes, le nombre de SDF peut quelquefois être plus important que
celui des habitants. Ainsi, dans mon propre canton, une commune risque de se
retrouver dans cette situation.
La commission proposera aussi de ne pas remettre exagérément en cause, comme
l'a fait l'Assemblée nationale, le rôle du cautionnement en matière de
surendettement.
En effet, la caution peut éventuellement se retrouver en situation de
surendettement par mise en jeu de ses obligations. C'est prévisible et c'est
prévu. Cependant, il ne faut pas vider l'idée même de cautionnement de toute
réalité, sinon le cautionnement gratuit disparaîtra purement et simplement.
Nous verrons alors apparaître au détriment des personnes surendettées, la
notion selon laquelle il n'y a plus de cautionnement que payant, ce qui, bien
entendu, contribuera à supprimer dans la vie quotidienne d'un certain nombre de
personnes des possibilités qui leur sont actuellement offertes.
Enfin, la commission proposera d'introduire un peu plus de souplesse dans la
définition du « reste à vivre ». Il s'agit d'un élément important du
dispositif, afin, notamment, que les droits de la personne démunie ne soient
pas exagérément supérieurs aux droits de celui qui a essayé de l'aider à un
moment donné et qui est par la suite devant une difficulté.
De la même manière, la commission suggérera d'éviter le maintien abusif dans
les lieux.
J'en viens aux problèmes majeurs.
Nous avons une différence d'appréciation avec la commission des finances en ce
qui concerne la prise en compte ou non des dettes fiscales dans le dispositif
de moratoire ou d'effacement des dettes.
Certes, l'Etat est un créancier différent des autres. Certes, la nature des
dettes fiscales et parafiscales ou de sécurité sociale est évidemment
différente de celle des autres dettes. Cependant, à un moment où l'on va, sous
contrôle du juge, dans des cas rares, envisager le report ou l'annulation de
dettes - l'Etat a certes un système d'effacement préalable, mais, entre
parenthèses, il n'est pas tellement différent de celui d'un créancier courant
qui peut, à tout moment, abandonner la créance qu'il détient ; il n'y a donc
pas de différence d'essence, contrairement à ce que l'on nous dit - il est tout
de même surprenant que celui qui appelle à la solidarité nationale, qui va
peut-être amener un créancier de bonne foi à voir sa créance effacée par une
décision du juge, s'exonère tout seul de la procédure alors que c'est lui qui
est à l'origine de l'innovation juridique. D'autant que l'un des arguments
invoqués est le fait que le trésorier-payeur général ou le directeur des
services fiscaux présent au sein de la commission de surendettement peut
disposer de certains éléments concernant la réalité de l'honnêteté du
surendetté qu'il ne pourra communiquer à la commission de surendettement, mais
qui le conduiront à refuser d'apurer les dettes vis-à-vis de l'Etat, alors que
la recommandation de la commission proposera l'effacement des autres dettes.
Cette différence de traitement laisse la commission des lois perplexe,
d'autant que si c'est pour préserver le principe d'autonomie du Trésor, je
signale que bien d'autres principes sont franchement mis à mal dans ce projet
de loi et qu'ils sont de nature au moins équivalente.
Un autre problème majeur concerne les saisies immobilières.
Le Sénat a adopté, il n'y a pas tellement longtemps, une loi qui a été
promulguée en janvier 1998 et qui permet, en gros, au saisi de ne pas voir son
bien mis en vente au prix réclamé par son créancier - lequel est bien souvent
très inférieur à la valeur réelle du bien, parce que la créance ne porte que
sur une somme plus modeste - et par conséquent au juge de rétablir une certaine
moralité lors de la première mise aux enchères. Mais s'il n'y a pas d'acheteur
lors de la première mise aux enchères, que se passe-t-il ?
Les textes en vigueur - mais qui ne sont guère appliqués, parce que la
Chancellerie ne les apprécie apparemment pas beaucoup - stipulent que l'on
procède à une deuxième mise aux enchères. Les enchères sont alors descendantes
à partir du prix fixé par le juge, et la mécanique repart dès l'instant où
quelqu'un se porte acquéreur au-dessus du prix réclamé par le créancier et en
dessous du prix fixé par le juge. Quand je dis que la mécanique repart, cela
signifie que les enchères peuvent ensuite remonter.
Le vrai problème - que nous vous proposerons d'ailleurs, mes chers collègues,
d'aider à résoudre - est celui de la publicité. Celle-ci est nécessaire pour
attirer suffisamment de monde et pour que s'instaure un vrai marché au moment
de l'attribution. Le système qui nous est proposé est le suivant : il est
maintenant question, si la seconde série d'enchères n'a rien donné, de
proclamer le créancier acquéreur d'office au prix fixé par le juge.
Apparemment, ce dispositif est très satisfaisant, mais le créancier n'a pas
forcément les moyens de débourser la différence existant entre le montant de sa
créance et le prix fixé par le juge. Il le pourra d'autant moins que, dans bien
des cas, ce sont des copropriétés qui réclameront, en fonction de leur
privilège, le paiement des charges de copropriété, et qu'elles ne seront pas
forcément pour autant en situation de devenir elles-mêmes copropriétaires, de
surcroît s'il s'agit d'une personne morale et, de plus, avec la perspective de
devenir propriétaire d'un logement qui sera évidemment vacant et qui risque
donc d'être réquisitionné par la suite ! Devant tant d'incertitudes, la
commission des lois a décidé de proposer de « laisser vivre », au moins pour
quelque temps, le dispositif que nous avons arrêté ensemble et qui, en
définitive, semble plus favorable même au saisi car, si le créancier ne lève
pas son titre de propriété dans les deux mois, on repart en folle enchère, donc
avec une mise à prix à zéro ; par conséquent, cette fois-là, nous risquons de
trouver un débiteur spolié et un créancier spolié aussi. A ce niveau-là, il
faut faire extrêmement attention à ce genre de disposition.
De la même manière, mais le problème est assez compliqué, nous pensons que
l'on ne peut exagérément allonger les délais des procédures. Dans un certain
nombre de cas, les délais s'ajoutent aux délais. Il nous semble que nous
pouvons les rassembler de manière un peu plus cohérente pour faire en sorte,
par exemple, qu'entre le premier incident de paiement d'un locataire, qui n'est
pas forcément de bonne foi, et le début de la procédure d'expulsion, il ne
s'écoule pas huit ou dix mois. On doit pouvoir concentrer tout cela. Même s'il
est normal que l'on alerte le préfet plus tôt et que l'on essaie de mettre en
place un certain nombre de dispositifs pour aider l'expulsé, il ne faut pas
exagérer l'allongement des délais.
Mais les problèmes deviennent plus graves encore quand on en vient à la
transparence. Dans la réquisition, vous avez un propriétaire qui va se faire
dépouiller, pendant une durée assez longue, de son bien, bien sur lequel on va
faire un certain nombre de travaux. Il nous semble au moins logique que le
propriétaire en soit informé, ce qui n'est pas expressément prévu.
De même, il semble logique que la caution qui a accordé sa confiance à une
personne qui s'est endettée soit informée du déroulement des paiements du
cautionné. Par conséquent, cela pose, selon moi, un certain nombre de problèmes
de transparence qu'il convient d'examiner d'une manière un peu plus logique.
Puisque nous nous rapprochons de ce qui constitue le noeud de la difficulté
née au sein de la commission des lois, je veux parler des réquisitions, je
voudrais dire que celles-ci pourraient s'adresser à tous les locaux vacants
existant dans des communes - je dis bien des « communes » et non pas des «
agglomérations » - où l'on constate une inadéquation majeure entre l'offre de
logements et la demande de logements des personnes disposant de revenus
modestes. L'appréciation de ce déséquilibre mériterait sûrement d'être assez
largement précisée.
Je sais bien que les articles relatifs à la taxation des logements vacants
donnent un début de définition ; mais ce n'est pas, paraît-il, exactement la
même, et le moins que l'on puisse dire est que l'on n'y voit pas très clair :
peut-être cela relève-t-il du domaine réglementaire ? Peut-être, monsieur le
secrétaire d'Etat, pourrez-vous nous donner quelques éléments d'appréciation et
d'information sur ce sujet. En tout cas, cela s'adresse à toute personne
morale. Or une société civile immobilière, SCI, formée de deux personnes est
une personne morale. Pense-t-on appliquer la possibilité de réquisition à tous
les logements n'appartenant pas à un propriétaire physique individuel
clairement défini ? Cela nous semble excessif. En effet, beaucoup de nos
concitoyens ont été amenés, pour des raisons familiales, à mettre leur
propriété en SCI familiale. Il nous semble donc qu'une précaution élémentaire
consisterait au moins à les sortir du champ d'application de la loi : sinon,
nous allons répandre la terreur chez les propriétaires, ce qui contribuera,
comme certaines exagérations, nous semble-t-il, de la modification des
procédures d'expulsion, à raréfier encore les logements offerts...
M. Gérard Braun,
rapporteur pour avis.
Tout à fait !
M. Paul Girod,
rapporteur pour avis.
... parce que l'on prendra des dispositions pour
échapper à cette mise en tutelle du droit de propriété.
J'en arrive à ce qui constitue, pour la commission des lois
constitutionnelles, un réel problème de fond : le choc qui existe, quelle que
soit la pureté des intentions, au sein de l'article 31 entre, d'une part, le
droit de propriété figurant à l'article 17 de la Déclaration des droits de
l'homme et dont la valeur constitutionnelle majeure est rappelée à toutes les
occasions par le Conseil constitutionnel, et, d'autre part, l'objectif à valeur
constitutionnelle du droit au logement, défini par la décision n° 94-359 de
janvier 1995.
Il y a là, indubitablement, à travers le problème de la réquisition, le choc
de deux principes de valeur constitutionnelle. Jusqu'où peut-on aller pour que
ce choc n'aboutisse pas à une modification de fond du droit de la propriété,
qui est une base de notre société ? Monsieur le ministre, ce projet de loi
reprend assez largement le texte relatif à la cohésion sociale déposé par le
gouvernement précédent, et vous vous êtes donc calqué sur le dispositif du bail
à réhabilitation, notamment s'agissant de la durée. Nous le comprenons bien,
mais le bail à réhabilitation est le résultat d'un contrat librement passé
entre un propriétaire et un réhabiliteur. Or, nous n'en sommes plus là ! Le
préfet, à la suite de toute une procédure sur laquelle nous aurons à préciser
un certain nombre d'étapes, réquisitionne, met à la disposition d'un
attributaire - monsieur le ministre, il serait bon que l'on sache avant la
réquisition qui est l'attributaire ! - qui lui-même met en place des
bénéficiaires, lesquels, s'ils restent dans le logement à la fin de la période
de réquisition, créent un trouble au détriment du propriétaire. Tout cela est
assez complexe, mais nous sommes tout de même face à un système qui a été
qualifié non sans raison d'expropriation à durée limitée et sans indemnisation
préalable.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Mes chers collègues, la situation n'est pas aussi simple, car, en fait, il
s'agit d'une question de degré. Quand vous légiférez sur des points concernant
des domaines aussi fondamentaux, en raisonnant sur le degré, le moins que l'on
puisse dire est qu'il faut avancer dans ce domaine d'un pas prudent. Comme nous
le savons tous, nous sommes confrontés à une situation qui est, pour une part,
une situation de crise, à l'instar de ce qui s'est passé en 1945, quand ont été
mises en place les réquisitions au bénéfice des sinistrés. Un logement pourra
être réquisitionné pour douze ans parce que des travaux importants doivent être
réalisés ; ces travaux seront effectués par l'attributaire mais, en définitive,
c'est le propriétaire qui les financera dans la mesure où son indemnité sera
diminuée de l'amortissement des travaux. Or, le propriétaire se retrouvera, au
bout de douze ans, avec un local totalement différent de celui qui avait été
réquisitionné ! Le local aura même peut-être changé de nature : on
réquisitionne, par exemple, des bureaux, et on restitue des appartements ! Vous
ne pouvez tout de même pas prétendre que cela ne perturbe pas sérieusement
l'exercice du droit de propriété !
Encore une fois, la commission des lois est d'accord sur le fait que l'on
procède ainsi parce que nous sommes en situation de crise. Mais elle ne
souhaite pas que les réquisitions soient opérées de manière définitive.
C'est la raison pour laquelle - ce sera peut-être l'aspect le plus important
et le plus discuté de l'apport de la commission des lois - elle vous proposera,
par un amendement, d'ouvrir cette possibilité pour des réquisitions non pas
d'une durée de cinq ans, mais lancées pour les cinq années qui viennent. A
l'issue de cette période, nous nous retrouverons pour voir si le dispositif a
été efficace, ce dont certains doutent, si l'usage que l'on en a fait reste ou
non compatible avec la notion fondamentale du droit de propriété et, par
conséquent, s'il y a lieu ou non de prolonger le système expérimenté.
Mais le choc de ces deux principes de valeur constitutionnelle est
suffisamment fondamental pour que la commission des lois ait pris l'initiative
de proposer cette limitation dans le temps du dispositif qui nous est
soumis.
La commission des lois a donc déposé toute une série d'amendements
d'importance inégale mais dont l'adoption conditionne le fait qu'elle émette,
en fin de parcours, un avis favorable au texte qui nous sera soumis.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
le Sénat s'est attaché à procéder à un examen très attentif du projet de loi
relatif à la lutte contre les exclusions. Il est parfaitement conscient de
l'importance des sujets dont nous allons débattre pendant plusieurs jours. Il a
procédé à cet examen dans le souci d'améliorer le dispositif qui nous est
proposé et d'en corriger quelques imperfections.
A l'inverse de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, où une commission
spéciale avait été constituée, au Sénat, cinq commissions, dont vous venez
d'entendre les différents rapporteurs, se sont penchées sur le texte et ont
déposés trois cents amendements, auxquels viendront s'ajouter les deux cents
amendements déposé par nos collègues. Cela signifie, donc que l'examen de ces
cinq cents amendements nécessitera un assez long débat.
Je voudrais féliciter les différents rapporteurs du souci qui a été le leur de
procéder à un très grand nombre d'auditions, de coordonner leurs efforts et de
mettre l'accent, chacun, sur un aspect du texte. Il n'y a que peu de
recoupements dans les différents rapports, et même s'il y a quelques
divergences entre les positions des diverses commissions sur quelques sujets
sensibles, ainsi que vous l'avez noté, madame la ministre, je pense que nous
arriverons à un débat constructif, intéressant et assez homogène.
Je limiterai mon propos à deux observations.
Ma première observation vise à saluer le travail de réflexion conduit sur le
terrain depuis de nombreuses années. Le concept même d'exclusion remonte aux
travaux de René Lenoir en 1974, et c'est ce concept qui nous avait guidés dans
l'élaboration de la loi de 1975, première loi à s'occuper de manière globale
d'un certain nombre d'exclus. Les travaux du Conseil économique et social en
1987, puis en 1995, ont été déterminants dans la prise de conscience des
menaces pesant sur la cohésion de notre société. Les très nombreuses
associations travaillant un peu partout sur le terrain ont permis de faire
avancer le débat.
Permettez-moi, mes chers collègues, de rendre ici un hommage tout particulier
à l'action inlassable de Mme Geneviève de Gaulle-Antonioz pour que soit reconnu
l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux, fondé sur l'égale dignité de
tous les êtres humains. Nous avons tous été témoins de sa profonde connaissance
de la réalité sur le terrain des phénomènes de pauvreté et de précarité, tant à
l'occasion de sa venue à plusieurs reprises devant la commission des affaires
sociales que lors de la présentation qu'elle a faite à l'Assemblée nationale
voilà un an, au début de l'examen du projet de loi relatif au renforcement de
la cohésion sociale.
En effet, mes chers collègues, deux gouvernements successifs procédant de deux
majorités différentes manifestent une préoccupation commune et avancent des
mesures qui, même si elles divergent parfois, sont relativement proches.
Aussi, madame la ministre, permettez-moi de dire, de manière légère, que les
propos faisant état d'une rupture entre le projet de loi relatif au
renforcement de la cohésion sociale, présenté l'an dernier par MM. Barrot et
Emmanuelli, et le projet de loi actuel m'ont paru quelque peu excessifs.
J'observe d'ailleurs que le discours du Gouvernement a évolué dans le temps,
ce dont je félicite Mmes et MM. les ministres : de la « rupture » annoncée à
l'issue du Conseil des ministres du 4 mars, on est passé au « tournant
significatif » dans l'exposé des motifs du projet de loi adopté le 25 mars, et
on reconnaît aujourd'hui que le projet de loi de l'ancienne majorité
constituait la « première étape » de l'actuel projet de loi.
Plus de modestie à l'origine aurait sans doute permis de réunir une majorité
plus grande autour du texte que nous discutons aujourd'hui !
(Murmures sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
D'autant que,
l'année dernière, l'opposition de l'époque avait émis un certain nombre de
critiques véhémentes...
M. Alain Gournac.
Ah oui !
M. Guy Fischer.
On les maintient !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Je constate que les
dispositions critiquées alors n'ont pas été modifiées dans le texte actuel, et
nous verrons tout à l'heure, demain et après-demain, ce qui se passera.
M. Claude Estier.
S'il n'y avait pas eu la dissolution...
Mme Joëlle Dusseau.
Ah ! Si Chirac n'avait pas dissous !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Mes chers collègues, il
me paraît normal qu'un texte d'orientation de cette nature comporte un certain
nombre de déclarations de principe.
Un tel projet de loi doit avoir une valeur pédagogique et de mobilisation qui
va de pair avec une action quotidienne sur le terrain relevant moins de
dispositions législatives que du comportement des acteurs locaux.
A cet égard, je regrette quelque peu que l'actuel projet de loi se contente
trop souvent de créer de nouvelles institutions ou de nouveaux comités sans
envisager plus précisément les moyens techniques et financiers qui leur seront
attribués.
Ma seconde observation portera sur ce qui, de mon point de vue, manque au
projet de loi : la place donnée dans ce texte à la famille et à l'école me
semble insuffisante.
La difficulté de s'insérer dans le monde du travail et la perte d'emploi
constituent évidemment l'une des sources du phénomène d'exclusion. Si tout le
monde en convient, il n'en demeure pas moins que ce drame ne saurait être
réduit aux simples effets de la mutation économique que nous vivons.
La croissance et les créations d'emplois qu'elle induit n'ont pas ou peu ont
d'effets d'entraînement sur une frange particulièrement fragile de la
population qui reste « au bord de la route » et que ne sauraient concerner le
plan emplois-jeunes, la réduction du temps de travail et les mesures
traditionnelles d'aide à l'emploi.
Au regard des moyens financiers considérables dont ont été assorties les
récentes politiques d'aide à l'emploi, l'article 1er du projet de loi, qui
qualifie la lutte contre les exclusions d'« impératif national » ou de «
priorité de l'ensemble des politiques publiques de la nation », reste, par
comparaison, au stade de la simple déclaration de principe.
M. Oudin a tenté, tout à l'heure, de faire un cadrage financier, ce dont je le
remercie. M. Seillier a précisé les différents éléments visant à une
amélioration des dispositifs économiques, et j'ai noté avec satisfaction,
madame la ministre, que vous aviez trouvé positif le travail de la commission
des affaires sociales à cet égard et estimé que nous parviendrions à nous
mettre d'accord sur un certain nombre de dispositifs.
Mais je crois, comme beaucoup d'entre vous, mes chers collègues que, à
l'origine de l'exclusion, se situe très souvent une fracture familiale.
La lutte contre les exclusions doit donner une priorité à la prévention qui
passe par le renforcement de la cellule familiale et par la réforme de l'école,
qui sont les deux modes d'apprentissage fondamentaux permettant de réagir aux
accidents de la vie.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
De ce point de vue,
force est de constater que la politique familiale du Gouvernement ne sera
annoncée qu'à l'issue du débat parlementaire sur le projet de loi de lutte
contre l'exclusion. Les discussions, qui ont porté sur la mise sous conditions
de ressources des allocations familiales, n'ont abordé la politique de la
famille que sous un angle partiel.
La teneur politique familiale du Gouvernement sera annoncée le 12 juin par le
Premier ministre. Nous aurons alors achevé l'examen du projet de loi.
La politique de la famille, qui est un élément fondamental de la prévention de
l'exclusion est, à mon avis, trop extérieure à la discussion que nous allons
avoir.
M. Jacques Machet.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Mais c'est évidemment
une réforme profonde de notre système éducatif qui est nécessaire pour lutter
contre l'exclusion.
Certes, l'introduction dans le projet de loi d'un volet consacré à
l'illettrisme est, par la force des choses, nécessaire ; mais ce volet, mes
chers collègues, est un constat d'échec effrayant.
Lors du long débat que nous avons mené sur les trente-cinq heures, vous aviez
souligné, madame la ministre, combien la situation était différente, en matière
de service public, entre notre pays et les Etats-Unis. Mais nous comptons
aujourd'hui, d'après l'INSEE, 2 300 000 adultes en situation d'illettrisme.
Cette situation me paraît grave car, nous le constatons tous sur le terrain,
c'est un des facteurs essentiels de l'exclusion.
Dans la résolution adoptée par le Conseil européen, en décembre dernier, sur
les lignes directrices pour l'emploi, il était prévu que nous devions «
faciliter le passage de l'école au travail » et il était demandé aux Etats «
d'améliorer la qualité de leur système scolaire, afin de réduire
substantiellement le nombre de jeunes qui quittent prématurément le système
scolaire, et de doter les jeunes d'une plus grande capacité d'adaptation aux
mutations technologiques et économiques ».
Ce chantier me semble absolument prioritaire, la capacité de notre système
éducatif de donner une formation à chacun, madame la secrétaire d'Etat, lui
permettant de trouver un premier emploi et de réagir aux évolutions
technologiques et économiques de notre société. C'est la clé du dispositif,
c'est une cause de l'exclusion, et je crois qu'il faut s'occuper des causes
autant que des effets des mécanismes d'exclusion.
Après la famille et l'école, M. Seillier a dit tout à l'heure ce qu'il fallait
penser du problème de l'accès de tous à la santé ; nous aurons l'occasion d'en
rediscuter. Ce sont là des sujets fondamentaux qui seront abordés plus tard et
en d'autres occasions.
C'est la raison pour laquelle, dans son état actuel, ce projet de loi me
paraît encore lacunaire. Il me paraît trop centralisé, car les pouvoirs des
préfets y sont très fortement renforcés.
M. Alain Gournac.
Que reste-t-il aux collectivités locales ?
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
On revient ainsi sur un
certain nombre d'éléments de la décentralisation.
Pour ne pas prolonger le débat, je me contenterai, en conclusion, de formuler
deux voeux.
Le premier est que nous restions à tout prix humbles devant les réalités. Nous
devons être pragmatiques, nous devons renoncer aux effets d'annonce et essayer
de sortir des clichés habituels sur la France duale. Nous devons nous en tenir
à l'état sociologique actuel de notre pays, sans nous référer trop souvent au
siècle passé.
Mon second voeu est que nous élaborions des dispositions applicables au plus
près du terrain, en partant de l'action essentielle des communes, de leurs
centres d'action sociale et des départements.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Depuis la
décentralisation, nous avons appris à travailler ensemble sur ces sujets...
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... et ce n'est pas la
création de comités de liaison ou d'organismes nouveaux qui améliorera les
choses. Ce qui améliorera la situation, ce sont le décloisonnement et la mise
en commun des moyens pour obtenir des effets communs.
Puis-je ajouter que, l'espace d'un instant, mes chers collègues, les clivages
politiques pourraient s'estomper pour nous permettre de retrouver un peu plus
d'humanisme, pour essayer de nous rassembler davantage et de nous rapprocher de
nos collègues de l'Assemblée nationale ? Il est sans doute un peu utopique de
le dire, mais, monsieur le président, mes chers collègues, pourquoi ne pas
essayer ?
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes sont
les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 61 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 45 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly.
Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire
d'Etat, j'ai le sentiment qu'à cette heure tout a été dit, excellemment dit,
voire brillamment dit. Tous les arguments devront maintenant se décliner lors
de la discussion des articles et, pour ce qui me concerne, je me limiterai à
une brève intervention.
Projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale, projet de loi
d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions : ces deux textes sont
l'expression d'une volonté partagée, sinon de voir disparaître - c'est bien le
but, mais ne rêvons pas - du moins d'atténuer et de prévenir les situations de
détresse qui se sont multipliées avec la montée du chômage et qui frappent
quelque 15 % de nos concitoyens en état de pauvreté.
Ces situations ont un caractère insupportable qui s'est traduit voilà peu par
les mouvements de chômeurs, à l'occasion desquels a dû être mis en place de
fonds d'urgence sociale, solution ponctuelle qui est, me semble-t-il, la
parfaite démonstration de la nécessité d'une politique plus large, plus
cohérente et durable.
Chacun appréciera, je pense, que le débat sur un sujet d'une telle importance
s'instaure ici. M. le président Fourcade l'a dit dans un esprit constructif, et
je veux saluer ici l'excellence du travail de nos rapporteurs, particulièrement
de M. Seillier, au nom de la commission des affaires sociales - dont je suis
membre - qui nous a présenté un excellent rapport, reflet du travail que sait
habituellement fournir, n'est-il pas vrai, la Haute Assemblée.
Il y a mieux à faire, en tout cas, que de balayer d'un revers de main un texte
- je parle du premier texte sur la cohésion sociale - qualifié par nos
collègues de l'Assemblée nationale de « bavard », alors qu'y sont cependant
empruntées bien des mesures qui nous sont proposées aujourd'hui.
J'espère qu'à la sagesse de notre assemblée et à la qualité du travail
effectué par les commissions le Gouvernement répondra par une écoute et une
volonté de dialogue à l'image de la volonté qu'il a - et dont personnellement
je ne doute pas un instant - de lutter effectivement contre le fléau de la
misère aux multiples facettes.
Le premier outil essentiel de l'insertion est l'emploi. Que de mesures prises
en la matière depuis bien des années ! Le résultat est là qui doit nous
inciter, me semble-t-il, les uns et les autres, à l'humilité. N'est-il pas
jusqu'aux emplois-jeunes qui n'ont pas donné à ce jour, on ne peut que le
regretter - et je ne fais que le regretter - les résultats escomptés dans le
domaine marchand associatif ou celui des collectivités locales ?
Aujourd'hui, des mesures sont proposées, dont certaines sont nouvelles et
bienvenues. Il en sera longuement débattu, ainsi que de leurs insuffisances,
mais là n'est pas mon propos.
En ce qui me concerne, je voudrais me borner à formuler quelques
réflexions.
Tout d'abord, je voudrais exprimer le souhait que la plus grande clarté et la
plus grande cohérence possibles soient apportées dans des dispositifs qui sont
divers et multiples, comme le veulent peut-être, il est vrai, des situations
elles-mêmes diverses, afin d'aboutir par là même à une simplification. Il
s'agit de faire en sorte que chacun puisse être rapidement et bien informé de
la nature et de l'étendue de ses droits, des pistes possibles en matière
d'insertion, de réinsertion, de formation et d'accès à l'emploi.
Ma deuxième réflexion portera sur l'importance de l'activation, chaque fois
que c'est possible, des dépenses passives. Je n'insiste pas sur ce point, car
cela semble à chacun d'une importance certaine.
Par ailleurs, je voudrais évoquer l'aide aux chômeurs créateurs de très
petites entreprises. Des milliers de chômeurs se sont sortis de leur situation
de cette façon, et je persiste à penser que mettre en place un dispositif
similaire à l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'entreprise, l'ACCRE,
serait une bonne formule.
Troisième réflexion, comment ne pas mettre l'accent sur la nécessaire qualité
de l'accueil dans les antennes des ASSEDIC et dans les permanences de l'ANPE
?
Je ne doute pas que les personnels concernés soient de qualité, et je sais en
tout cas la difficulté de leur tâche. Cela étant, la personne au chômage est
souvent si fragilisée, démoralisée, voire destructurée, et sa situation si
délicate qu'il convient de lui garantir une bonne qualité d'accueil et une
grande capacité d'écoute de la part des agents chargés de la recevoir. Or on
peut regretter que celles-ci ne soient pas toujours manifestes, et je parle
d'expérience.
A mes yeux, cette nécessaire simplification des textes, et peut-être plus
encore la simplification des instruments de leur mise en oeuvre, est préférable
à l'empilement des structures. La remarque, formulée à l'occasion de ce volet «
emploi », vaut d'ailleurs pour d'autres parties du texte. Ainsi, au sujet du
logement, monsieur le secrétaire d'Etat, à propos duquel un responsable
qualifié parlait de « suréglementation », je ferai deux réflexions.
La première concerne le principe de la décentralisation. Le texte ne va-t-il
pas, en la matière - mais c'est vrai pour d'autres volets du texte - dans le
sens d'une moindre autonomie des communes ?
M. Alain Gournac.
Bien sûr !
M. Charles Descours.
Très bien !
M. Georges Mouly.
Et, à vrai dire, n'est-ce pas là, plus généralement, une des tendances du
présent projet de loi pour ce qui concerne les collectivités locales ? Il leur
est demandé, chacun le sait, toujours plus, alors que chacun connaît également
le poids financier du volet social de leur politique.
La seconde remarque concerne le milieu rural qui, monsieur le secrétaire
d'Etat, n'est pas épargné par l'exclusion. Là aussi, il convient de développer
une politique du logement plus dynamique. Mais ce n'est pas nouveau pour vous,
j'imagine, monsieur le secrétaire d'Etat !
Bien d'autres considérations pourraient être faites à propos de bien d'autres
aspects du texte, mais je m'y refuse, non seulement parce que le temps m'est
limité, mais aussi et surtout parce que nous reviendrons plus précisément sur
ces problèmes au cours d'une discussion des articles qui promet d'être riche et
que je souhaite fructueuse.
Avant d'arrêter là mon propos et après avoir appelé votre attention sur
quelques points d'ordre plus général, je voudrais cependant formuler un
espoir.
La lutte contre les exclusions est, par définition et par essence même, une
grande mission que, en tant qu'élus et responsables, nous ne saurions que
partager. Telle fut d'ailleurs la première volonté affichée par M. le Président
de la République. Quant aux acteurs du terrain - j'y reviens - ils sont prêts à
participer à l'action, qu'il s'agisse des élus des communes ou des
départements, des assistants sociaux, des CCAS ou des agents de prévention,
tous acteurs sociaux qu'il convient, me semble-t-il - et c'est peut-être un
risque - de ne pas court-circuiter. Ne sont-ils pas les garants d'une
nécessaire action cohérente dans la durée ?
Je citerai ici Mme de Gaulle-Anthonioz : « La lutte contre les exclusions
sociales constitue un impératif national, fondé sur le respect de l'égale
dignité de tous les êtres humains ». Quelle belle formule ! Puisse-t-elle
devenir réalité grâce à la volonté de tous et à la bonne volonté de chacun !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer. (
Exclamations sur les travées du RPR. -
Applaudissements sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.
)
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi de commencer mon propos par ce mot :
« Enfin ! »
Enfin, aujourd'hui et durant toute cette semaine, nous allons débattre du
projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions !
Ce dispositif général et transversal, évitant l'écueil de la simple
réaffirmation de grands principes, s'attachant à garantir à tous l'accès aux
droits fondamentaux, marie avec justesse mesures d'urgence et mesures inscrites
dans la durée, mesures préventives pour briser l'isolement et la grande
détresse de millions de nos concitoyens relégués au rang d'assistés.
Le défi à relever est de taille tant, d'une part, le nombre de « sans » - sans
emploi, sans logement, sans revenus, sans soins, sans espoirs - est
impressionnant et tant, d'autre part, les souffrances, les cassures,
l'exclusion, processus multidimensionnel, a rongé et continue inexorablement de
ronger, de fragiliser le lien social, notre société.
Depuis de longues années déjà, les associations sont mobilisées sur le terrain
pour pallier les carences des politiques trop superficielles et sectorielles.
Au quotidien, elles côtoient la misère, elles croisent le regard de toutes
celles et de tous ceux qui vivent « la galère ».
Leur évolution est allée de pair avec celle de la grande pauvreté. Alors qu'au
départ la plupart d'entre elles concevaient leur mission comme une intervention
ponctuelle, le plus souvent d'aide alimentaire, par la force des choses elles
ont été contraintes de développer d'autres types d'aides permanentes pour
soutenir durablement les personnes nécessiteuses.
L'exemple des « Restos du coeur » est significatif, les « Relais du coeur »
intervenant maintenant sur le terrain de l'insertion, du logement ou en
direction des jeunes mamans.
Décidé à combattre la grande pauvreté et la précarité économique et sociale,
dénoncées notamment par le père Joseph Wresinski et par Geneviève de
Gaulle-Anthonioz dans leurs rapports respectifs au Conseil économique et
social, le mouvement associatif, réuni notamment au sein du réseau Alerte, n'a
eu de cesse d'élaborer des propositions concrètes et de s'acharner pour qu'une
réponse globale à la hauteur des besoins, et prenant en compte l'individualité
de chaque situation, puisse émerger.
Votre projet de loi, madame la ministre, bien que trop « timide » sur certains
points - j'aurai l'occasion d'y revenir - est l'aboutissement de ce combat ; je
tenais à le rappeler.
C'est aussi le témoignage que le gouvernement de la gauche plurielle entend «
changer de logique » pour construire une société où chacun ait le droit de
cité, de bénéficier d'un meilleur partage des richesses, tant matérielles que
culturelles.
Nous avons tous en tête les chiffres publiés dans diverses enquêtes. Ainsi,
sept millions de personnes sont touchées par le chômage et le sous-emploi et
six millions de Français survivent grâce aux minima sociaux.
Pourtant, je doute que nous ayons tous conscience de la réalité des précarités
vécues au quotidien. En effet, comment vivent les personnes, les familles, avec
des ressources inférieures au seuil de pauvreté, c'est-à-dire 3 800 francs par
mois, ou 7 900 francs pour un couple ? Elles renoncent bien souvent à tout : à
se nourrir convenablement, à se soigner, à s'ouvrir sur l'extérieur par les
loisirs.
Le mouvement des chômeurs de décembre dernier a permis de mettre des visages
sur les statistiques, sur les enquêtes d'opinion, de mettre en avant des
revendications légitimes de dignité et de mieux vivre.
Je ne prétends pas que la gauche plurielle ait le monopole de l'approche et du
traitement de l'exclusion.
M. Charles Descours.
Bravo !
M. Guy Fischer.
Je constate seulement que les méthodes divergent parce que, à la base, notre
conception de la société et de la place de l'individu au sein de celle-ci est
parfois différente.
Dans un récent sondage réalisé par CSA pour le journal
La Croix
, 57 %
des Français avouaient leur sentiment d'insécurité, percevant l'exclusion comme
une menace personnelle. Interrogés sur les remèdes, ils sont plus de 80 % à
penser qu'une loi ne suffira pas à faire reculer l'exclusion, alors qu'un
changement de politique économique leur semble salutaire.
Las d'attendre de telles réformes, voilà un an, les Français ont sanctionné la
politique libérale du gouvernement de M. Juppé.
Mort-né, le projet de loi de cohésion sociale, présenté juste avant la
dissolution par l'ancienne majorité, loin de recueillir le satisfecit des
associations, ne rompait nullement avec les logiques précédentes de traitement
social
a posteriori.
Refusant de cautionner un texte caractérisé, d'une part, par l'indigence de
ses moyens au regard des besoins et, d'autre part, par le refus de s'attaquer
aux causes de la crise en poursuivant une logique ultralibérale, les députés
communistes avaient alors déposé une question préalable.
L'actuel Gouvernement, conscient que le seul retour à la croissance ne serait
pas en mesure de régler tous les problèmes, s'est attaché à mettre sur pied un
plan sur trois ans pour reconnaître aux plus démunis l'accès à tous les droits,
pour prévenir les exclusions, pour faire participer les exclus à leur
réinsertion et pour mobiliser tous les acteurs.
Mais il a aussi décidé de mener d'autres réformes - les 35 heures, les
emplois-jeunes - et de soutenir la croissance.
Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui traite des droits à l'emploi,
à la santé, au logement et à l'innovation, du droit à la culture et à
l'éducation, aux vacances ainsi que des situations de surendettement et de la
prévention des expulsions. De plus, des textes importants, tel que celui qui
est relatif à l'assurance maladie universelle, à l'accès au droit et à la
justice, viendront compléter, à l'automne, cette démarche de sortie de la
misère par un retour à l'autonomie financière.
Largement amendé à l'Assemblée nationale, ce texte est fort des précisions et
garanties supplémentaires obtenues, notamment, grâce à l'investissement des
députés communistes. Ses idées fortes et les dispositifs prévus dans ses
différents volets reçoivent notre approbation.
Toutefois, nous déplorons que son épine dorsale, c'est-à-dire son financement,
ait suscité peu de solutions novatrices.
Evidemment, 51 milliards de francs sur trois ans, c'est une somme importante !
Mais, pour une grande part, le financement des mesures se fera par
redéploiements et par appel aux financements croisés : FSE, collectivités. Une
nouvelle fois, celles-ci seront fortement mises à contribution, au moment où
leurs difficultés ne font que s'accroître.
C'est un fait que nous regrettons vivement, car il témoigne d'une certaine
frilosité du Gouvernement, qui, coincé par les contraintes budgétaires
européennes, a du mal à assurer, par des financements nouveaux et lisibles, des
réformes qu'il sait pourtant nécessaires, voire incontournables.
Récemment, dans un avis sur la conjoncture économique au premier semestre
1998, le Conseil économique et social invitait le Gouvernement à infléchir
certains de ses choix budgétaires afin de consacrer davantage de ressources à
la réduction de la fracture sociale par une augmentation des minima sociaux et
des bas salaires.
Ce que le groupe communiste républicain et citoyen appelle de ses voeux, ce
n'est rien d'autre que des choix politiques courageux, des mesures de haute
visibilité, telle qu'une redistribution substantielle et équitable des fruits
de la croissance.
Seul un second souffle social, permettant l'augmentation du SMIC, des minima
sociaux, des retraites,...
M. Charles Descours.
Eh oui ! Que fait le Gouvernement ?
M. Guy Fischer...
l'octroi d'une allocation de recherche d'emploi pour les jeunes, couplé à des
réformes de la fiscalité et du crédit, serait de nature à convaincre d''un
changement radical dans l'appréhension du problème de l'exclusion.
Autre regret, qui va dans le même sens : l'absence des entreprises, qui ont
tout de même une large part de responsabilité ! Lorsque celles-ci licencient à
tour de bras, se servent de la main-d'oeuvre intérimaire comme d'un facteur
d'ajustement pour préserver, voire accroître, leur compétitivité, sans toucher
aux dividendes, n'engendrent-elles pas l'exclusion ?
Les entreprises sont visées à l'article 1er parmi les acteurs de la lutte
contre les exclusions.
Je doute que cette mention légale suffise à responsabiliser le grand patronat.
Nous attendons avec impatience, madame la ministre, votre projet de loi relatif
aux licenciements économiques.
J'aurais souhaité que les entreprises soient mises à contribution
financièrement, qu'elles supportent les charges des destructions d'emplois,
qu'elles soient beaucoup plus associées à l'insertion, à la formation et à la
qualification des personnes en difficulté.
Rapidement, je veux vous livrer mon sentiment sur le volet emploi, qui renvoie
à ma réflexion précédente.
Evidemment, le programme TRACE, trajet d'accès à l'emploi, et l'ouverture des
contrats de qualification aux adultes sont des mesures nouvelles que je salue.
Vis-à-vis des contrats emploi-solidarité, les CES, et des contrats emplois
consolidés, les CEC, ce panel de contrats aidés, je serai un peu plus
réservé.
L'ensemble de nos amendements et de nos interventions sur les quinze articles
relatifs à l'emploi visent quasiment le même objectif.
Nous voulons éviter que, au nom de la solidarité nationale, on laisse se créer
un tiers secteur d'activités financé sur fonds publics et régi par des règles
dérogatoires à celles de l'ensemble des salariés.
Gardons-nous de mettre en place des mesures répondant à l'urgence, mais qui,
en fait, permettraient à l'entreprise de se désengager et de déstructurer un
peu plus l'emploi !
Soyez assurée, madame la ministre, qu'avec Nicole Borvo et Odette Terrade, qui
s'exprimeront également au nom de notre groupe, nous participerons largement
aux débats sur ce projet de loi tant attendu par nos concitoyens les plus
démunis.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Madame la ministre, après les rapporteurs et M. le président de la commission
des affaires sociales, qui ont bien analysé ce projet et qui ont souligné le
consensus dont il fait l'objet malgré les quelque 500 amendements déposés, je
ne serais pas dans mon rôle si je n'en pointais pas les insuffisances.
Je vous ai bien écoutée et je vais vous citer : « La réalité ne corrobore pas
les grands principes constitutionnels ; « La République pour tous », « la
démocratie pour tous », « citoyens à part entière ». C'était beau comme du
Victor Hugo ou du Zola !
Mais votre projet ne recouvre pas non plus, malheureusement, toutes ces belles
intentions ! Pourquoi ? Parce qu'il y a un grand manque, à savoir la prise en
compte de la santé, et vous le savez bien !
Le droit à la santé, au travers de la couverture maladie universelle, est, à
mon sens, le plus fondamental, le plus élémentaire. On ne peut pas être digne
si l'on ne peut pas être soigné convenablement. C'est l'égalité de base.
Or, paradoxalement, vous renvoyez à plus tard le projet instaurant la
couverture maladie universelle. Pourquoi ce retard ? Vous ne l'avez dit
clairement ni en commission ni à la tribune. Cela nous inquiète, car, depuis le
temps que l'on parle de cette loi sur les exclusions ou sur la cohésion
sociale, nous connaissons la difficulté qu'il y a à créer cette assurance et
nous craignons, en réalité, que ce retard ne soit qu'une absence de réponse
crédible. En effet, vous annoncez la discussion de ce projet de loi en même
temps que celle de la loi de financement de la sécurité sociale, en octobre ou
en novembre.
Il est bien évident que, si cette couverture maladie universelle était
insuffisante, c'est tout le projet de loi relatif à la lutte contre les
exclusions qui n'aurait été qu'un rideau de fumée. J'ose espérer que c'est là
une méthode que le Gouvernement auquel vous participez n'utiliserait pas.
Ce manque criant dans ce projet ne vous a évidemment pas échappé. Vous avez
essayé de le masquer en parlant, par exemple, du rôle social de l'hôpital. J'ai
le regret de vous dire que, jusqu'à présent, y compris après votre intervention
à la tribune, nous n'avons pas clairement compris ce qu'était ce rôle social de
l'hôpital. Mais surtout, rôle social de l'hôpital ou couverture maladie
universelle, qui paiera ? C'est là la vraie question.
Les dépenses d'assurance maladie sont en équilibre instable. Je vous donne
d'ailleurs acte, madame la ministre, que, devant la commission des comptes de
la sécurité sociale et même depuis, vous avez eu non pas un profil bas mais
pour le moins une attitude modeste s'agissant de l'équilibre des comptes, ce en
quoi vous avez eu raison. En effet, depuis quelques mois, les dépenses
d'assurance maladie, notamment les dépenses liées à la médecine de ville,
dérapent.
Comment allons-nous financer ces nouvelles dépenses - rôle social de
l'hôpital, assurance maladie universelle - y compris ces consultations, dont
vous ne voudrez évidemment pas faire des consultations « ghettos » réservées
aux personnes en difficulté dans les hôpitaux ? Se pose donc un problème.
Malgré un objectif nationalisé des dépenses d'assurance maladie, ONDAM, assez
favorable, le budget des hôpitaux, vous le savez mieux que moi, sera, cette
année, extrêmement difficile à tenir, faute d'une restructuration hospitalière
volontariste que vous n'avez pas encore entreprise ou que vous n'avez pas voulu
entreprendre.
Pour financer, deux solutions existent : ou bien l'on augmente les
prélèvements par le biais des cotisations de la contribution sociale
généralisée, ce qui serait évidemment scandaleux puisque dans le domaine des
prélèvements la France est dans le peloton de tête en Europe, et j'ose espérer
que Bercy, à cet égard, nous protégera d'un prélèvement supplémentaire ; ou
bien, au bout du compte, le poids du financement retombera sur les
collectivités locales, notamment sur les départements, par le biais de l'action
sanitaire et sociale, et c'est là notre grande crainte.
Nous craignons beaucoup, si cette disposition et un certain nombre d'autres,
relevées par mes amis au cours des interventions précédentes, sont adoptées,
que les collectivités locales ne soient mises à contribution non pas, cette
fois, pour quelques centaines de millions de francs - ce serait déjà beaucoup !
- mais pour des sommes beaucoup plus importantes.
Les conseillers généraux que nous sommes savent bien que, depuis quelques
années, les budgets sociaux des départements ont dérapé, pour atteindre une
croissance à deux chiffres. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus supporter cette
croissance à deux chiffres, sauf à perdre toute possibilité d'investir.
Telles sont les lacunes que je voulais relever dans votre projet de loi,
madame la ministre, ce côté humain de la prise en charge de la santé pour les
plus démunis, et son coût financier qui m'inquiète, et ce en tant que
rapporteur de la loi sur le financement de la sécurité sociale, de conseiller
général et de médecin. Si l'on ne prend pas en compte la santé de nos
concitoyens, évidemment, on ne fait rien !
En conclusion, nous voterons ce projet de loi, sous réserve de l'adoption des
amendements qui seront proposés par nos commissions. Je me réjouis que, sur un
sujet aussi grave, l'opposition d'aujourd'hui ait eu un ton plus constructif
que l'opposition de l'année dernière...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est que le texte est meilleur
!
M. Charles Descours.
Non, il n'est pas meilleur, c'est pareil !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Non !
M. Charles Descours.
Vous trouvez que « contre les exclusions » c'est meilleur que « pour la
cohésion sociale » ? Pas moi !
Mais chacun voit midi à sa porte et, je le dis très sincèrement, il est bon
qu'il y ait un certain unanimisme face à la situation des Français les plus
démunis. Je serai bien sûr très attentif, aux mois d'octobre et novembre, au
projet de loi relatif à l'assurance maladie universelle.
Sous réserve de l'adoption des amendements dont nous allons discuter dans
quelques heures, je voterai avec mes amis ce projet de loi.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Tui.
M. Basile Tui.
Madame le ministre, ce projet de loi de lutte contre les exclusions répond,
vous l'avez affirmé, à un impératif national tendant à assurer la cohésion
sociale. Toutes les dispositions sont donc fondées, à juste titre, sur le
respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et visent à traiter
efficacement toutes les situations d'urgence ainsi qu'à les prévenir, sauf,
peut-être, dans les territoires d'outre-mer...
En effet, aucune mention n'est faite de ces territoires, pourtant partie
intégrante de la République.
S'agit-il d'une « exclusion » volontaire et définitive ou, tout simplement,
considérez-vous que la politique sociale dans les territoires d'outre-mer
relève uniquement de la compétence territoriale à laquelle vous n'envisagez pas
de participer ? En effet, il faut rappeler que l'outre-mer, en général, n'a en
aucun cas été associé à la consultation précédant ce projet de loi.
Un projet de loi postérieur, peut-être organique, devra-t-il nous être soumis
? A moins que vous ne considériez que ces territoires, à la géographie
difficile, ne connaissent pas les mêmes problèmes que la métropole ou les
départements d'outre-mer, s'agissant surtout des plus démunis.
Certes, les situations sont différentes, pour des raisons évidentes liées à
l'éloignement, à l'insularité et, surtout, à l'absence de ressources naturelles
du sous-sol dans mon territoire, mais elles n'en sont pas moins graves et
préoccupantes. De surcroît, les territoires d'outre-mer sont, comme la
métropole, frappés de plein fouet par l'exclusion.
Ainsi, dans le territoire des îles de Wallis-et-Futuna, que j'ai l'honneur de
représenter à la Haute Assemblée, la précarité et la pauvreté sont le quotidien
d'une grande partie de la population - quelque 80 % - dans un univers où
l'emploi est minoritaire puisqu'il concerne un huitième des personnes
actives.
La majeure partie des foyers est, en effet, sans ressources financières et vit
dans une autosubsistance irrégulière et insuffisante pour faire face à tous les
frais fixes quotidiens : eau, électricité, frais annexes à la scolarisation.
Il existe donc une véritable fracture sociale entre salariés et non-salariés,
qui s'aggrave très rapidement et pourrait devenir explosive.
Dans ce contexte, pourquoi ne pas envisager, comme je vous l'avais demandé
dans ma question orale du 2 juin, la création d'un revenu minimum de
subsistance, à l'instar du revenu minimum de croissance qui existe en
Nouvelle-Calédonie ? De même, il serait indispensable d'étendre le régime des
allocations familiales au bénéfice de tous les enfants des non-salariés et non
pas uniquement, comme c'est le cas actuellement, aux quatre premiers enfants. A
cet égard, il faudrait que l'Etat s'engage à revoir l'ensemble du dispositif
des allocations familiales et accepte d'envisager son financement dès le projet
de loi de finances pour 1999.
D'autres dispositions du présent texte pourraient également être adaptées aux
territoires d'outre-mer, afin d'améliorer les prestations sociales servies dans
mon territoire, en matière d'hébergement et de construction de logements
sociaux notamment.
Il faut ajouter au chapitre de la précarité le problème du surendettement des
ménages auquel nous sommes aujourd'hui confrontés. En effet, en l'absence de
recours à l'emprunt de la part du territoire pour les opérations
d'investissement, c'est la consommation des ménages, soutenue par un appel
accru au crédit, qui a été le principal moteur de l'activité en 1997.
La situation n'est désormais plus tenable. Aux problèmes d'emploi, de
surendettement et, donc, de paupérisation constante, que je viens d'évoquer,
s'ajoute celui du système éducatif.
Ainsi, les jeunes Wallisiens et Futuniens ne peuvent poursuivre leurs études
au-delà du secondaire, car aucune formation post-baccalauréat n'est dispensée
dans mon territoire. Très rares sont ceux qui peuvent venir en métropole, et
deux voies s'ouvrent donc le plus souvent à eux : rester dans les îles, sans
qualification ni perspectives, avec les risques liés au désoeuvrement que cela
comporte, ou partir pour la Nouvelle-Calédonie pour tenter de poursuivre leurs
études ou trouver un emploi.
Et là, madame le ministre, je me dois d'aborder un nouveau problème crucial :
celui du départ pour ce pôle d'attraction, le plus proche de nous, qu'est la
Nouvelle-Calédonie.
En effet, de nombreux jeunes partent tenter leur chance dans cet autre
territoire du Pacifique. Ils essaient parfois de s'inscrire à l'université ou
dans d'autres établissements, ce dans la mesure des places disponibles
puisqu'ils ne sont pas originaires du territoire. En outre, les problèmes
matériels auxquels ils sont confrontés justifieraient un développement des
bourses pouvant leur être attribuées.
La recherche d'emploi est également un des motifs principaux de ces départs, «
forcés » pourrait-on dire. Mais, là encore, la situation n'est pas simple, car
la quête est difficile et pas toujours « assouvie ».
Dans ces conditions, la précarité existe et se développe. Les squatters, par
exemple, sont de plus en plus nombreux et posent avec force le problème du
logement de ces gens déracinés, souvent sans qualification et, donc, sans
ressources suffisantes pour vivre dans des conditions convenables.
Les difficultés rencontrées par cette communauté sont d'autant plus graves que
cette « immigration » est importante et quasi inévitable, voire indispensable,
pour un territoire aux ressources insuffisantes.
Il m'appartient, d'ailleurs, à ce stade de mon intervention, d'interroger le
Gouvernement sur certaines des dispositions de l'accord de Nouméa.
Ainsi, au 3-1-1, 1er alinéa : « La Nouvelle-Calédonie mettra en place, en
liaison avec l'Etat, des mesures destinées à offrir des garanties particulières
pour garantir le droit à l'emploi de ses habitants. La réglementation sur
l'entrée des personnes non établies en Nouvelle-Calédonie sera confortée. » Ou
encore, au 3-2-1, 7e alinéa : « Les relations de la Nouvelle-Calédonie avec le
territoire des îles Wallis-et-Futuna seront précisées par un accord
particulier. »
Le Gouvernement pourrait-il m'éclairer, non seulement sur l'étendue des
compétences accordées à ce territoire en matière de droit à l'emploi, mais
également sur le contenu potentiel de l'accord prévu ? L'Etat, garant actuel
des droits de notre communauté, sera-t-il partie prenante à l'élaboration de
cet accord ? Quelles en seront les conséquences pour les Wallisiens et les
Futuniens ?
Par ailleurs, je souhaiterais, avant de conclure, insister de nouveau sur les
réelles exclusions qui sont vécues par de nombreux foyers de mon territoire.
Les situations d'urgence existent, de plus en plus nombreuses, et amplifiées
par l'éloignement, l'insularité et, je le répète, l'absence de ressources
naturelles du sous-sol.
Il serait donc indispensable de présenter un projet de loi supplémentaire afin
que la lutte contre les exclusions soit aussi mise en oeuvre de façon efficace
dans les territoires d'outre-mer et, tout particulièrement, dans mon
territoire.
Il me semble en effet, en toute objectivité, que l'intérêt que la France a
porté aux îles Wallis-et-Futuna n'est pas à la mesure des problèmes rencontrés
dans ce territoire. Peut-être s'agit-il d'un simple retard par rapport à la
Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie française ? Il est temps, aujourd'hui, que
les habitants de ces îles bénéficient du même traitement que tous leurs
compatriotes du Pacifique français.
C'est pourquoi je demande au Gouvernement de ne pas exclure les territoires
d'outre-mer de l'ensemble du dispositif prévu par ce texte, ou tout au moins de
ses objectifs, en l'adaptant progressivement à chaque territoire, en y alignant
les prestations servies.
Il faudra, bien sûr, tenir compte des spécificités géographiques déjà évoquées
et des statuts particuliers de chacun, ce qui implique le vote d'un texte
distinct. C'est pourquoi j'envisage de présenter ultérieurement, avec le
soutien de l'ensemble de mon groupe, un amendement tendant à proposer
l'élaboration d'une loi de programmation, avant la fin de l'année 1998.
Le Gouvernement serait-il prêt à agir en ce sens, dès maintenant ? Telle est
la question que je pose, en conclusion.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'objectif du Gouvernement, en présentant ce projet de loi en
urgence, est celui de chacun des membres de cette assemblée. En effet,
l'exclusion ne laisse personne indifférent et il est intolérable que, dans
notre pays, nombre de nos concitoyens vivent dans la plus complète précarité et
ne jouissent pas d'un bien-être minimum.
Depuis près de vingt ans, et en dépit du développement des richesses de notre
société et de la croissance continue du revenu national, qui a plus que doublé
depuis 1970, nous avons tous constaté que la pauvreté et l'exclusion ne font
qu'empirer. Cette logique absurde ne doit cependant pas faire de l'exclusion
professionnelle et sociale un processus inexorable.
En voulant lutter contre ses effets, les gouvernements successifs ont
involontairement institutionnalisé cette nouvelle pauvreté, affirmant leur
propre incapacité de créer des emplois durables. A cet égard, l'échec patent du
revenu minimum d'insertion doit nous servir de leçon. Conçu en 1988 comme une
aide provisoire devant permettre aux sans emploi de retrouver facilement leur
place dans la société, il sert, hélas ! avant tout - et pour longtemps - à
pérenniser des situations intolérables de pauvreté, à construire un terrible «
statut d'exclu à la française » avec le soutien de l'aide publique et du
contribuable.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui en première et unique
lecture au Sénat est - nous en convenons bien - la juste continuation du texte
de MM. Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli sur la « cohésion sociale » élaboré
après concertation des associations de solidarité, après consultation du
Conseil économique et social, et après écoute - tout le monde l'a souligné -
puis prise en compte des propositions soumises par Mme Geneviève de
Gaulle-Anthonioz.
Il est en effet trop rare pour oublier de le souligner que deux majorités
politiques successives déposent, à une année d'intervalle, un texte de loi
comparable sur une question aussi fondamentale que le renforcement de la
communauté nationale contre l'accentuation de la fracture sociale qu'avait
dénoncée le Président de la République dès 1995.
A la source de toute exclusion se trouve, bien évidemment, le chômage : 37 %
des demandeurs d'emplois sont chômeurs de longue durée. A ce constat terrible
viennent s'ajouter la précarité des travailleurs les moins qualifiés, mais
également l'isolement, les problèmes de santé, la perte d'un logement ou le
surendettement des ménages.
Les sénateurs non inscrits au nom desquels je m'exprime s'affirment clairement
dans la droite ligne défendue par la commission des affaires sociales du Sénat
à travers l'excellent travail d'analyse et de propositions constructives de ses
membres, en particulier de notre collègue rapporteur M. Bernard Seillier.
Madame la ministre, j'émettrai quatre réserves importantes sur votre texte.
La première concerne l'exclusion, véritable drame national, qui ne doit plus
être une fatalité dans notre pays. En effet, cette lutte permanente contre la
pauvreté et l'exclusion doit passer par l'éradication pure et simple de
l'assistanat en France.
L'assistanat, et la « déresponsabilisation » qu'il entraîne, s'affirme comme
une solution d'autant plus redoutable qu'il devient plus commode dans un pays
riche. Dans les faits, comment peut-on concrètement inciter un chômeur à
chercher du travail en France ou à l'étranger si les aides cumulées que les
pouvoirs publics lui offrent sont comparables à un salaire minimum ?
Comme cela a été judicieusement mis en évidence par les orateurs qui m'ont
précédé à cette tribune, ce texte ne doit aucunement créer un nouveau « droit
aux exclus ». Il doit permettre un « meilleur accès aux droits de tous ». Nous
y veillerons dans le cadre du débat sur les articles et les amendements qui ont
été déposés.
A cet effet, nous souhaitons que soit donné au travail et à la dignité qu'il
sous-tend la priorité sur l'assistanat. Le Gouvernement doit en conséquence
consacrer les moyens nécessaires à l'insertion par l'emploi et à la défense de
la structure familiale comme rempart contre l'exclusion.
MM. Jacques Habert et Jacques Machet.
Très bien !
M. Philippe Darniche.
La situation dans laquelle nous nous trouvons est terrible. Notre société
devient une simple juxtaposition de cellules qui ne communiquent plus entre
elles et dont la principale, je parle de la cellule familiale, fait purement et
simplement défaut à force d'être mise à mal socialement, économiquement et
fiscalement.
Nous le savons tous : il n'existe pas de cohésion sociale sans ce sentiment
fort d'appartenir à une communauté d'êtres humains responsables. Les droits de
l'homme, inscrits dans notre Déclaration universelle, imposent le respect des
devoirs imprescriptibles les plus simples, donc les plus essentiels, à savoir
les droits au logement, aux soins, à l'insertion par l'emploi, aux loisirs, à
la culture et au sport. Ce texte doit donc veiller à leur application concrète
et permanente par la prise de mesures elles aussi concrètes.
A cet égard, le chapitre relatif aux droits à l'égalité des chances par
l'éducation et à la culture va dans le bon sens, mais il ne va pas assez loin,
comme l'a fait justement remarquer tout à l'heure notre collègue M. Richert.
Concernant ces problèmes essentiels, on recense aujourd'hui dans notre pays
près de 2,4 millions de personnes - soit près de 6 % des plus de dix-huit ans -
qui auraient des difficultés à parler, à lire ou à écrire notre langue. Plus de
50 000 jeunes sortent chaque année de notre système éducatif sans aucune
qualification. La lutte contre l'illettrisme doit donc devenir une véritable «
priorité nationale » et non se caractériser par le simple retour de l'aide à la
scolarité par un système de bourses des collèges.
J'ai déposé trois amendements à l'article 78 pour que la lutte contre
l'illettrisme devienne un chapitre à part entière de ce projet de loi - il
deviendrait le chapitre VI - et que le Gouvernement s'engage à présenter,
avant le 1er janvier de l'année prochaine, un plan quinquennal de lutte contre
ce terrible fléau.
Ma deuxième réserve porte sur la solidarité qui doit s'exercer au bénéfice de
tous, sans exception.
C'est la raison pour laquelle nous refusons le postulat selon lequel
l'exclusion sociale et professionnelle ne peut débuter qu'à l'âge de seize ans.
Il est regrettable de constater que des milliers de jeunes de cet âge quittent
l'école sans la maîtrise de la lecture, de l'écriture ou du calcul. Comment,
dans ces conditions, s'étonner de leur difficulté à entrer de plain-pied dans
le monde du travail ?
C'est pourquoi la prévention doit être l'un des vecteurs clés de ce projet de
loi.
Ma troisième réserve concerne le financement du projet de loi. L'ampleur
apparente du dispositif et des moyens financiers annoncés dépend en effet
largement des efforts engagés par les partenaires de l'Etat, notamment les
collectivités locales.
Pour financer ce plan triennal, le Gouvernement prévoit 51 milliards de francs
sur trois ans, dont 38 milliards de francs à la charge de l'Etat, parmi
lesquels 22 milliards de francs sont des crédits supplémentaires à dégager.
Pour la seule année 1998, 2,7 milliards de francs doivent être redéployés.
Toutefois, à l'heure où je parle, personne n'est en mesure d'indiquer
clairement sur quels postes budgétaires les crédits correspondants seront
dégagés.
Ainsi, l'opacité du financement de ce projet de loi prépare des redéploiements
nuisibles à la politique de retour à l'emploi dans notre pays. Il menace, entre
autres, l'allégement des charges sociales, qui pèsent sur les bas salaires,
déjà remis en cause par la loi de finances pour 1998. Cette politique reste
pourtant à nos yeux la plus efficace pour faciliter l'insertion dans l'emploi
des personnes peu qualifiées.
Par ailleurs, si les simulations budgétaires du Gouvernement sont bien
incluses dans ce projet de loi pour les dépenses relatives à « l'assurance
maladie universelle », je regrette comme nombre d'orateurs que son dispositif
législatif ne figure pas dans le présent projet de loi.
Ma quatrième réserve a trait au fait que votre projet de loi de lutte contre
les exclusions privilégie l'accès à l'emploi non marchand au détriment de
l'emploi d'insertion en entreprise.
Nous regrettons qu'il ne soit, pour nombre de mesures, qu'une succession
d'intentions et un rappel de grands principes.
Le plus déplacé de ces effets d'annonce consiste à déclarer que plus de 51
milliards de francs seraient dépensés en trois ans. Mais ce que nos concitoyens
doivent clairement savoir, c'est que ce montant comprend des crédits existants
- plus de 2 milliards de francs au titre des fonds sociaux européens - qui
seront transférés aux régions, sans parler des mesures non financées.
Par ailleurs, en ce qui concerne les 5 milliards de francs affectés au titre
du projet de loi sur « l'assurance maladie universelle », nous souhaiterions
savoir, puisque nous y sommes favorables, s'ils seront financés par un
relèvement des cotisations, par une réduction des taux de remboursement ou par
une baisse des dépenses médicales.
Autre « effet d'annonce », le Gouvernement affirme qu'il entend garantir
l'accès à l'eau, à l'électricité et au gaz. Mais, « comme par magie », il omet
de dire que la convention de solidarité sur l'électricité, comme celle de
l'eau, date de novembre 1996 et que plus de 150 000 familles ont, depuis cette
date, été aidées par EDF-GDF, donc par la solidarité des contribuables.
En ce qui concerne le domaine de l'accès aux soins, les dispositions contenues
dans ce projet de loi restent encore très symboliques. Très concrètement,
comment entendez-vous lutter, madame la ministre, pour que 10 % de ménages qui
vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit près d'un Français sur trois,
cessent de renoncer à se soigner, faute d'argent ? N'est-il pas regrettable que
les crédits du budget de la santé destinés aux exclus aient diminué en 1998
alors même que ce texte vise à renforcer la mission sociale de l'hôpital ?
Comme pour le constat dressé par notre éminent rapporteur, nous regrettons
sincèrement que l'institution de la couverture maladie universelle ne soit pas
inscrite dans ce projet de loi. Nous souhaitons au contraire que ce texte de
loi affirme son principe à compter du 1er janvier 1999, ainsi que le transfert
à l'Etat des compétences sanitaires des départements et l'institution d'une
visite médicale gratuite pour les élèves des écoles, des collèges et des
lycées, dans certaines zones ou établissements dits « prioritaires ».
Enfin, madame la ministre, votre projet de loi, s'il proclame le « droit au
logement », ne crée en pratique aucun nouveau logement pour résoudre le
problème. A cet effet, si la taxation des logements vacants n'est aucunement de
nature à remettre des logements sur le marché, elle découragera purement et
simplement le logement locatif privé.
En effet, un constat simple s'impose : on construit peu de « vrais » logements
sociaux en France, car ceux-ci coûtent trop cher. En réalité, en matière
d'offre de logements vacants, il serait préférable, pour que les choses bougent
et que la situation change, de supprimer un certain nombre d'obligations
inutiles, en renforçant, par exemple, le dispositif de garantie de paiement des
loyers impayés ou en simplifiant les procédures de déclaration des revenus
fonciers pour les logements remis sur le marché après une vacance de deux
ans.
La taxe sur les logements vacants, que vous comptez instituer à l'article 30
de ce texte, nous semble par ailleurs constituer une atteinte grave au droit de
propriété et une injustice flagrante, puisqu'elle va décourager
l'investissement des personnes privées dans les logements locatifs, qui, moins
nombreux, deviendront plus chers. C'est le sens des deux amendements déposés
par nos trois collègues sénateurs non inscrits représentant les Français
établis hors de France sur une mesure qui risque fortement de dissuader les
non-résidents expatriés de posséder dorénavant et librement une habitation dans
notre pays.
M. Jacques Habert.
C'est tout à fait exact !
M. Philippe Darniche.
Enfin, madame la ministre, j'en viens au point essentiel de réserve marquée
sur ce texte, tel qu'il nous est présenté : nous aurions souhaité que ce projet
de loi privilégie avant tout l'accès au travail et l'insertion en
entreprise.
Afin de faciliter durablement l'accès à l'emploi dans les entreprises, il nous
paraît nécessaire d'activer les dépenses passives du RMI en permettant
effectivement aux titulaires de l'allocation depuis deux ans de prendre un
emploi rémunéré à mi-temps dans le cadre d'un contrat initiative-emploi, un
CIE, tout en continuant à percevoir une allocation complémentaire de « revenu
minimum d'activité ».
De plus, nous souhaitons que soit instaurée une exonération complète des
charges sociales d'embauche de tout titulaire d'un minimum social depuis deux
ans.
Nous nous inquiétons également de l'alourdissement des contraintes qui pèsent
sur les collectivités locales. Ainsi, en ce qui concerne les fonds d'aide aux
jeunes, les FAJ, et les fonds de solidarité pour le logement, les FSL, qui sont
tous deux cofinancés par l'Etat et les départements, nous sommes opposés au
fait qu'en vertu de ce texte de loi l'Etat, seul, ait les moyens de mobiliser à
son profit ces deux dispositifs, alors même que ceux-ci doivent, et c'est leur
force, être gérés de manière souple au niveau local et non centralisés à
l'échelon national.
Pour aller plus en profondeur dans ce raisonnement, pourquoi donc accroître
l'importance du rôle du préfet dans l'application des accords collectifs
départementaux qui seraient dès lors passés avec les organismes d'HLM pour
favoriser l'accueil des populations en difficulté dans le parc locatif social
?
Enfin, l'action des conférences intercommunales du logement, les CIL, nous
paraît plus conçue comme un pur prolongement territorial de l'action
préfectorale que comme le moyen efficace d'associer les maires, dans une
politique de proximité, à l'amélioration de la politique d'atribution des
logements sociaux aux personnes les plus défavorisées. C'est la raison pour
laquelle ces conférences doivent retrouver, à nos yeux, une fonction de
concertation dans l'attribution des logements sociaux, en permettant aux
communes de refuser, dans un certain délai, d'en faire partie par décision
motivée et en autorisant la création de conférences communales.
Mon dernier propos tient enfin à mettre fortement l'accent sur le volet «
prévention » de la lutte contre l'exclusion.
L'illettrisme n'est pas seulement un handicap social et culturel, c'est aussi
une cause évidente de chômage. C'est en soutenant, en « amont », dans leur
travail préventif de tous les jours, les parents et leurs enfants, les
enseignants et leurs élèves que nous réduirons la fracture sociale du «
non-partage du savoir et des connaissances ».
Pourquoi donc se persuader qu'on continue à donner le baccalauréat à 80 %
d'une classe d'âge lorsqu'on voit le nombre de jeunes « laissés sur le carreau
» et qui souffrent de n'avoir pas appris ou qui ont appris les bases de la
lecture, de l'écriture et du calcul et souffrent d'avoir oublié ?
Pour nous, ce « volet préventif » passe incontestablement par le soutien actif
aux familles et par l'accès de tous à l'activité sportive, à la culture et aux
loisirs.
M. le président.
Mon cher collègue, votre temps de parole était de dix minutes et vous en êtes
déjà à quinze minutes.
(Exclamations.)
Il vous faut conclure !
M. Philippe Darniche.
Je vous demande de m'excuser, monsieur le président.
M. Michel Mercier.
C'était pourtant intéressant !
M. Philippe Darniche.
Le sport est une véritable « école de citoyenneté » où les jeunes peuvent
apprendre à vivre en groupe et à maîtriser leur violence. L'aide de la
structure familiale et associative doit également être renforcée pour éviter à
ces jeunes de tomber dans la spirale infernale de l'exclusion et de passer à
côté de leur existence.
J'en arrive à ma conclusion, monsieur le président.
M. le président.
Mon cher collègue, nous devons suspendre nos travaux à vingt heures si nous
voulons les reprendre à vingt-deux heures. Or, si je vous ai donné la parole,
c'est parce que vous n'étiez inscrit que pour dix minutes !
Veuillez donc conclure.
M. Philippe Darniche.
Pour être franc, j'aurais souhaité voter une « grande loi » qui encourage
l'initiative individuelle, et non l'assistanat public, qui redonne le goût de
la responsabilité à nos concitoyens, et non la facilité du laxisme et de la «
déresponsabilisation ». Enfin, nous aurions aimé voter une « grande loi » qui
favorise le partage généreux dans le sens d'une plus grande coordination et
d'une plus grande proximité.
Lutter contre l'exclusion, ce n'est pas uniquement prendre en compte les
difficultés des personnes les plus démunies de notre société. C'est aussi
prendre des mesures significatives qui favoriseront la création d'emplois
privés qui, seuls, permettront de réduire fortement le chômage en France.
La réduction des charges, insupportables pour nos entreprises et nos citoyens,
demeure la première des grandes orientations qui, si elle ne figure pas - et je
le comprends - dans votre projet de loi, doit cependant demeurer au centre de
vos réflexions.
Si certains articles nous semblent bons, nous les voterons. Mais, avant toute
chose, nous soutiendrons clairement et fermement les amendements de la
commission des affaires sociales sur ce texte, car ils nous paraissent
parfaitement adaptés au combat permanent que doit être la lutte quotidienne et
réaliste contre l'exclusion dans notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous
les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.