Séance du 12 juin 1998
M. le président. Par amendement n° 312, Mme Cerisier-ben Guiga et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 40, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le droit à revenir en France et à y résider doit être effectivement garanti par l'Etat pour tous les Français.»
La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. J'apporte cet amendement depuis une planète dans laquelle la Révolution de 1789 ne semble pas avoir réellement produit tous ses effets, et je n'évoque pas les autres révolutions qui ont suivi dans notre pays : je veux parler des postes diplomatiques à l'étranger.
Cet amendement vise, conformément à la philosophie de ce projet de loi, à rendre un droit fondamental effectif pour tous les citoyens. En effet, le droit fondamental de revenir sur le territoire national et d'y résider est dénié fréquemment à de nombreux Français établis à l'étranger.
Que se passe-t-il dans nos consulats ? A nos compatriotes qui demandent l'aide au rapatriement parce qu'ils sont démunis, il est répondu que « le rapatriement n'est pas un droit mais une faveur ».
Je vais maintenant parfois employer un vocabulaire qui vous paraîtra désuet, mais c'est celui qui est en usage dans nos postes diplomatiques. A qui cette « faveur » est-elle octroyée ? A des « indigents » - c'est le terme en usage, je n'y puis rien ! - dont l'insertion en France sera absolument garantie par leur formation intellectuelle ou professionnelle jugée suffisante.
C'est donc la quadrature du cercle ! Si ce Français est devenu indigent, c'est parce qu'il est très désarmé face aux difficultés sociales et professionnelles qu'il rencontre dans son pays de résidence et qu'il le sera de toute évidence encore plus en France. Comme, de plus, c'est souvent un métis, binational, au statut social dégradé de Madagascar, de Djibouti ou d'Afrique de l'Ouest, un rejet culturel évident renforce l'analyse négative et souvent justifiée de sa capacité d'insertion en France.
A l'origine de ce refus d'assurer le retour en France d'un citoyen français en détresse figure essentiellement l'incapacité d'assumer le coût financier du rapatriement, tant pour le ministère des affaires étrangères que pour le centre d'entraide aux rapatriés.
Le facteur aggravant est que les crédits d'aide sociale du ministère des affaires étrangères, qui sont bloqués à 90,3 millions de francs depuis plusieurs années - j'ai vérifié le chiffre - ne permettent plus de renouveler les allocations à durée déterminée consenties à ces indigents, sauf si ces derniers sont handicapés ou âgés de plus de soixante-cinq ans.
Dans nos postes diplomatiques, tout se passe comme si, en France, on supprimait brutalement le RMI à un bénéficiaire au motif qu'il le perçoit depuis six mois ou un an et alors même que sa situation ne s'est pas améliorée.
La réaction des allocataires totalement privés de ressources et incapables de trouver un emploi dans des pays où l'activité économique est quasi nulle, comme c'est le cas à Madagascar ou à Djibouti, est de demander le rapatriement. Cela explique l'augmentation de ce type de requête, qui est de moins en moins satisfait.
Il est vrai que, pour des personnes qui ne sont pas adaptées à la vie dans notre pays, une aide sociale à l'insertion serait préférable à un retour en France. Mais nous n'avons rien pour ces Français : ni allocation veuvage, ni allocation de parent isolé, ni allocation orphelin, encore moins de RMI !
Cette situation de détresse non secourue renforce notre détermination à demander que le droit de revenir en France et d'y résider soit effectivement garanti par la loi, afin de corriger une pratique administrative qui n'est pas conforme aux principes fondamentaux de la République et qui, elle, est malheureusement avérée.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je comprends parfaitement les préoccupations des Français de l'étranger. Nous n'avons jamais eu pour intention, malgré certains avis que nous sommes amenés à émettre, d'être indifférents à leur sort.
En revanche, nous nous sommes inscrits dans la philosophie de ce projet de loi, qui est de permettre l'accès de tous aux droits de tous, sans stigmatiser ou procéder à des discriminations positives en faveur de telle ou telle catégorie de Français en fonction de leur situation territoriale, qu'ils soient en France ou hors de France.
Cet amendement, qui porte sur le grave problème du rapatriement - et non pas seulement du retour - des personnes en difficulté à l'étranger pourrait, me semble-t-il, dans sa rédaction actuelle, soulever des difficultés au regard de la conduite des relations internationales de la France, s'agissant notamment de personnes frappées, à tort ou à raison, par des décisions de justice à l'étranger.
C'est pourquoi la commission souhaiterait connaître l'avis de la commission des lois...
M. Paul Girod, rapporteur pour avis. C'est le même !
M. Bernard Seillier, rapporteur. ... et, en tout cas, être éclairée par celui du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement éclairera modérément !
Madame le sénateur, nous sommes là entre une logique qui appartiendrait aux affaires sociales et une autre logique qui appartiendrait aux affaires étrangères.
Je suis sensible, comme M. le rapporteur, à vos arguments. Mais, pour avoir beaucoup voyagé dans des conditions difficiles, je trouve très dangereux de prévoir une formulation aussi large, qui dépasse à l'évidence l'intention de ses auteurs et le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions.
Cette formulation est en effet susceptible d'encourager des départs à l'étranger sans qu'ait été prévu le financement du retour, qui incomberait alors à l'Etat, ce qui est tout de même un peu désolant, ne serait-ce qu'au regard de l'article 40 de la Constitution. Personne, ici, ne le souhaite.
En revanche, sur le problème important que vous soulevez, nous sommes très sensibles à la condition de nos compatriotes en difficulté à l'étranger. Je crois que Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité a promis qu'un rapport soit confié à une personnalité pour que nous puissions voir ensemble dans quelles circonstances, comment et selon quelles modalités de financement, nous pourrions faire face à ces demandes.
En attendant, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 312.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 312.
Mme Cerisier-ben Guiga. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. J'ai été tout à fait sensible à vos arguments, monsieur le secrétaire d'Etat. Je comprends parfaitement que l'on s'inquiète de la capacité de financer une règle aussi générale.
Néanmoins, il est quand même aberrant d'entendre dire que le droit a être rapatrié vers la France est une « faveur ». Nous nous inscrivons là dans une logique qui n'est pas du tout la logique républicaine.
Si vous saviez comment sont reçus nos malheureux compatriotes en détresse dans nos consulats qui, certes, n'en peuvent mais, en raison d'un manque réel de moyens ! On leur oppose une attitude paternaliste, une attitude de rejet, qui est insupportable quand on pense aux principes de l'égalité républicaine.
M. Jean Chérioux. C'est l'assistance généralisée !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Quant le Titanic fait naufrage et qu'on est à proximité, on envoie des bouées à ceux qui se noient ! Quand des Français sont en perdition dans des pays eux-mêmes en perdition, la moindre des choses me paraît être de leur lancer aussi une bouée. Il ne s'agit pas d'assistance !
Je maintiendrai cet amendement, parce que le droit de revenir dans le pays natal est garanti par des pays beaucoup plus pauvres que la France. Ainsi, en 1945, la Finlande, dont la population était de cinq millions d'habitants, a accueilli sans lésiner sur les moyens un million de réfugiés ! Par ailleurs, en Israël, le droit à l'alyah est parfaitement reconnu et les moyens nécessaires sont mis en oeuvre. Mais la France, quant à elle, ne prévoit rien, ni aide locale ni aide au retour en France pour des Français qui n'ont pas réussi leur expatriation et qui rencontrent les plus grandes difficultés.
Ces gens font naufrage, et nous ne leur lançons pas la bouée de secours que l'on doit jeter à un compatriote. C'est pourquoi je tiens à témoigner et à maintenir cet amendement.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Madame le sénateur, permettez-moi de vous dire que je vous trouve excessive. Je comprends - les opérations de sauvetage, je m'y connais un peu ! - le souci qui vous anime : vous voulez que soient secourus nos compatriotes en détresse à l'étranger. Mais c'est ce qui se passe dans tous les cas !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Non !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Certes, je sais quelles difficultés il y a à frapper à la porte d'un consulat et je sais quel accueil - très variable, d'ailleurs, suivant les postes - est réservé à nos compatriotes.
Mais vous êtes en train de demander, madame, que, quelles que soient les modalités du voyage, le retour soit assuré. Il y a là, par rapport aux difficultés que l'on doit affronter quand on prend une décision d'expatriation, quelque chose d'excessif que je tiens à souligner.
Je reconnais cependant volontiers qu'il serait d'abord nécessaire que l'accueil dans nos consultats comme dans nos ambassades, quelles que soient la nature et les conditions de celui qui frappe à la porte, soit parfois meilleur. Je vous l'accorde, je l'ai expérimenté moi-même.
Cela étant, vous évoquez le droit au retour en prenant des exemples qui ne sont vraiment pas en rapport avec le texte que nous examinons. L'aventure qui consiste - je vous le dis comme je le pense, à titre tout à fait personnel - à aller affronter des risques à l'étranger est noble. Mais je pense que l'on doit également concevoir qu'en cas d'échec on se rapatriera soi-même, sauf dans certains cas très particuliers où, finalement, la France le fera.
Aussi, établir ce dispositif dans la loi serait excessif.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 312, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 41