Séance du 25 juin 1998
ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT
M. le président.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une
fin de session, c'est un moment important, émouvant, d'autant que, cette année,
un tiers de nos collègues sont renouvelables. Certains se représentent,
d'autres pas - j'y reviendrai tout à l'heure. C'est donc avec un sentiment
particulier que je m'exprimerai en cet instant.
Je veux vous faire part de quelques chiffres importants : au cours de cette
session, nous aurons siégé 101 jours, soit 597 heures de séance publique, dont
333 heures pour le législatif, 103 heures pour le contrôle et 146 heures pour
le budget.
Quarante textes ont été approuvé : vingt-sept ont été adoptés en termes
identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat et, sur treize textes,
l'Assemblée nationale a eu le dernier mot.
Tous les textes importants, sauf le projet de loi relatif aux trente-cinq
heures, ont été déclarés d'urgence. Monsieur le ministre, nous le déplorons et
souhaitons qu'à l'avenir beaucoup moins de textes soient déclarés d'urgence.
Sur les 3 106 amendements déposés par des sénateurs depuis le mois d'octobre,
1 692 ont été adoptés, 45 % d'entre eux étant finalement retenus par
l'Assemblée nationale, ce qui n'est pas négligeable.
Malheureusement, nous aurons eu à connaître deux sessions extraordinaires :
une première s'est tenue au mois de septembre dernier et une seconde, assez
courte d'ailleurs, aura lieu en juillet. Cette dernière permettra sans doute de
répondre au désir du Gouvernement de mettre quelque peu à jour la
Constitution.
Nous avons eu pourtant quelques semaines calmes. Il nous faudra, pour
l'avenir, améliorer l'organisation de nos travaux. Si, certaines semaines, nous
avons été, sinon inactifs, du moins peu actifs, à d'autres périodes, nous avons
dû siéger de nuit - encore que des progrès aient été accomplis en ce domaine,
notamment lors de la discussion budgétaire !
Dans un autre ordre d'idée, je dirai que, parfois, le bicaméralisme a été
malmené. Ainsi, seulement un projet de loi sur cinq a été déposé en première
lecture sur le bureau du Sénat.
Toutefois, sur certains textes importants, l'Assemblée nationale a retenu des
amendements émanant du Sénat : sur le projet de loi de finances, sur les
projets de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier,
ainsi que sur les dispositions relatives aux allocations familiales.
En ce domaine, nous avions prévu qu'il faudrait revenir sur la décision prise.
Le Sénat a, là, joué un rôle !
Nous avons entendu quelques déclarations de M. le Premier ministre sur le
Sénat qui s'inscrivaient plus dans un contexte politique que dans le cadre d'un
raisonnement institutionnel fondé. C'est dommage ! Mais les choses sont en
train de s'arranger.
Ces déclarations n'ont pas été du goût des Sénateurs ni, surtout, du président
du Sénat. Je le dis car il faut dire tout ce que l'on a à dire.
Nous avons, quant à nous, essayé de favoriser les voies du dialogue et nous
continuerons à agir ainsi.
Nous serons ouverts à toutes les modifications possibles. Mais nous ferons
preuve de fermeté. Nous souhaitons vivement que tout se passe dans la bonne
humeur, dans la clarté et, surtout, dans le respect des uns et des autres.
La mission de contrôle du Sénat - et je veux insister sur ce point - a été
plus affirmée que par le passé. Mais les commissions d'enquête et les missions
d'information ne sont pas encore assez nombreuses à mon goût. Je souhaite que
leur nombre s'accroisse, car c'est le rôle du Sénat que de contrôler l'action
du Gouvernement et d'apporter des éclairages, non seulement pour le présent,
mais ausssi pour l'avenir. En ce domaine, nous avons encore beaucoup à
faire.
Les commissions permanentes ont beaucoup travaillé. Elles ont tenu 505
réunions et siégé 975 heures, ce qui est considérable.
Je remercie les présidents de commission d'avoir tant travaillé et avec tant
d'intelligence.
Je pense, par exemple, à M. Fourcade, qui, lors de la préparation du projet de
loi relatif aux trente-cinq heures, a accompli un travail colossal ! Nous
verrons, au moment de l'application de ce texte, le bien-fondé de nombre de ses
observations !
Cette mission de contrôle est extrêmement importante, je souhaite que chacun
d'entre nous en prenne conscience et puisse s'y livrer encore davantage.
Son accomplissement est difficile et prend beaucoup de temps. Mais je vous
assure que j'en constate les répercussions dans le public.
Le travail du Sénat est très apprécié ; on m'en parle souvent. On trouve que
le Sénat sert vraiment à quelque chose qu'il apporte une touche de calme, de
sérénité et d'intelligence au débat politique.
Mers chers collègues, je vous incite beaucoup à participer à ces missions et
commissions...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On n'est jamais si bien servi que par soi-même !
M. le président.
C'est ce que l'on me dit. Alors, je vous en fait part !
Des améliorations doivent être apportées à l'organisation de nos travaux, je
le disais voilà un instant.
Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, nous devons essayer de
nous rencontrer plus souvent encore. Il y a aujourd'hui trop de vides et de
pleins dans notre ordre du jour !
Le déroulement de la séance de questions d'actualité au Gouvernement doit être
revu, pas tant en ce qui concerne les interventions des sénateurs, qui sont
raisonnables et dépassent rarement les deux minutes et demie qui leur sont
allouées, qu'en ce qui concerne celles des ministres, qui sont souvent plus
bavards. Ils lisent généralement des textes préparés par leurs collaborateurs,
des textes trop longs. Du coup, ces séances manquent souvent de spontanéité.
M. Alain Gournac.
C'est très vrai !
M. le président.
Mais nous pourrons, je pense, remédier à ce défaut. Nous nous y appliquerons,
car nous portons un grand intérêt à ces séances.
Je veux maintenant insister sur les réformes institutionnelles, car c'est un
sujet extrêmement important.
Nous nous rendrons à Versailles dans quelques jours pour une première réforme
de la Constitution.
A ce propos, je suis quelque peu inquiet du nombre de réformes
constitutionnelles qui sont déposées sur le bureau des assemblées.
Une réforme constitutionnelle est un exercice difficile. Pour moi, la
Constitution, c'est une sorte d'objet d'art, qui a été ciselé dans le passé par
des artistes et qu'il ne faut pas trop défigurer, remanier. Il faut y aller
prudemment.
Sur ce point, le Sénat exercera sa mission de surveillance et, éventuellement,
il modifiera les textes qui lui seront présentés. Il ne faudrait pas que, de
modification en modification de la Constitution, nous finissions par nous
retrouver dans une nouvelle République. Et cela risque de nous arriver !
(Aplaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains
et Indépendants et sur certaines travées du RDSE).
Nous verrons bien ! Le Sénat, qui a certains pouvoirs, en a beaucoup dans ce
domaine-là, et il pourra faire valoir son point de vue.
Il n'est pas question, pour nous, de tomber dans une opposition systématique.
Il faudra un dialogue.
Il n'en demeure pas moins que je suis très inquiet de la multiplicité des
propositions de réformes constitutionnelles ; il y a là une permanence dans
l'esprit du Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et du Président de la République !
M. le président.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur ce qui nous attend pour les
prochaines années, et dès l'année prochaine.
Je souhaiterais que le Sénat mette en place des groupes de travail, notamment
sur le thème de la mondialisation, qui aura des conséquences sur nos vies, sur
nos institutions, sur l'Europe.
Je relève à ce titre que le Sénat a adopté l'euro dans des conditions tout à
fait correctes.
J'ai tenu plusieurs réunions en province ces derniers temps : l'une à Vichy,
l'autre à Auch, et je me rendrais prochainement dans le Cher. Au cours de ces
réunions, je suis toujours étonné par les questions que posent les maires et
nos concitoyens. La mondialisation, ils ne connaissent pas encore. C'est
compréhensible : peut-être l'information n'a-t-elle pas été assez complète dans
ce domaine. Il faut donc la compléter. Leur curiosité est grande.
La mondialisation, c'est, à mon avis, un thème qu'il faut aborder avec
précaution, mais c'est un phénomène irréversible. Au Sénat, nous devons
travailler sur le sujet pour voir ses implications, ses conséquences, car nous
pouvons contribuer à informer nos concitoyens.
M. Paul Loridant.
On peut leur apprendre la Bourse !
M. le président.
Nous leur apprendrons tout ce qu'ils auront besoin de savoir, mon cher
collègue !
Il faut que le Sénat soit à la pointe de la réflexion sur une évolution qui
laissera certainement sur le bas-côté de la route bien des personnes ! En
effet, la mondialisation va remettre en cause beaucoup de métiers existants.
Mais elle va aussi en créer de nouveaux. A cet égard, le Sénat a beaucoup à
dire. Sans doute faudra-t-il travailler sur l'association de ces trois mots :
mondialisation, exclusion et formation.
Il faudra - et je ne veux pas nuire là au ministère de l'éducation nationale -
décentraliser la formation.
A ce propos, je veux dire que le Sénat est une institution politique qui
travaille étroitement avec les collectivités locales - qu'il s'agisse de la
formation continue ou de la formation initiale. C'est grâce à cette
décentralisation que nous réduirons l'exclusion. Le Sénat peut, dans ce
domaine, jouer le rôle important qui est le sien.
Enfin, de grands textes nous seront soumis, sur lesquels nous serons parfois
en désaccord avec le Gouvernement. Mais nous représentons, aux termes de la
Constitution, les collectivités locales et le territoire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La Constitution ne parle pas du territoire !
M. le président.
Il est dit dans la Constitution que nous représentons le territoire, monsieur
Dreyfus-Schmidt !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Absolument !
M. le président.
A l'avenir, nous serons donc vigilants, car le territoire représente, au-delà
du Sénat, une richesse extraordinaire pour les institutions. Il ne faut pas
galvauder le territoire. Il ne faut pas concentrer tous les habitants au même
endroit. Le bonheur n'est pas nécessairement dans la concentration ; il est
aussi dans la dispersion. Nous avons, là encore, un rôle considérable à
jouer.
Un important projet de loi sur l'aménagement du territoire nous sera
prochainement soumis, qui, sans doute, nous occupera beaucoup. Je vous
demanderai, mes chers collègues, d'être très vigilants, car ce texte
constituera un point d'orgue et le Sénat devra montrer aux collectivités
locales qu'il les représente avec efficacité.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Je voudrais maintenant m'adresser à ceux de mes collègues qui vont se
représenter. Je leur souhaite de revenir parmi nous.
Je veux remercier ceux qui vont nous quitter. Je m'adresse là à tous ceux qui
ne se représentent pas, sur quelque travée qu'ils siègent, car ce qui
caractérise cette maison, c'est sa convivialité transversale. Et je souhaite
que ce climat perdure.
Je remercie les vice-présidents. Ils me remplacent beaucoup plus souvent
peut-être qu'à leur tour, et ils le font, je crois, avec plaisir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est vrai !
M. le président.
La modification de la Constitution votée voilà quelque temps a facilité leur
tâche, puisque nous avons réussi à ne pas siéger plus de trois jours par
semaine, à l'exception d'un vendredi parfois et d'un lundi, mais très rarement,
et à ne siéger que peu de nuits.
La tâche fut donc moins lourde. Quoi qu'il en soit, les vice-présidents ont
été très dévoués, et je veux leur donner un coup de chapeau particulier.
Je remercie également les questeurs, qui gèrent au jour le jour cette maison.
Ils ont préparé cette année un bon budget, qui a été accepté hier. Vraiment,
ils apportent beaucoup à cette maison.
Je remercie également le bureau, qui se réunit régulièrement tous les mois.
C'est finalement « le patron » de cette maison, c'est lui qui prend toutes les
décisions. Ses membres sont très ponctuels, et le bureau se réunit toujours au
complet.
Monsieur le ministre, je voudrais aussi vous remercier, ainsi que vos
collaborateurs. Vous avez fait, je crois, tout ce que vous pouviez pour que les
relations entre le Gouvernement et le Sénat soient bonnes. De temps en temps,
nous nous sommes un petit peu « accrochés », ce qui est normal, mais je dois à
la vérité de dire que vous avez toujours tenté de mettre de l'huile dans les
rouages. Soyez-en vraiment remercié.
Je voudrais dire aux présidents de groupe combien ils sont précieux quand il y
a des problèmes. En effet, quand je ne sais pas quoi répondre à telle ou telle
question qui se pose, je les réunis. Ils sont toujours disponibles pour
m'apporter leurs lumières.
Je ne suis là que pour représenter les présidents de groupe, particulièrement
ceux de la majorité, puisque les présidents des groupes de l'opposition ne
diront pas exactement comme moi... Ceux de la majorité éclairent bien mon
chemin.
Je voudrais bien entendu remercier aussi les présidents des commissions
permanentes, qui, comme je le disais tout à l'heure, ont fait, cette année, un
travail exceptionnel. Ils ne sont pas toujours payés de retour, quand le Sénat
n'est pas suivi par l'Assemblée nationale ou qu'il l'est avec un certain
retard.
Le travail des commissions a, cette année, vraiment permis au Sénat
d'influencer l'opinion publique, et parfois le Gouvernement. Je tiens à dire
aux présidents des commissions permanentes qu'ils ont été formidables !
Je veux enfin remercier les fonctionnaires de la maison, tous les
fonctionnaires, de tous grades, qui ont eu à subir, si je puis dire, des
réformes internes importantes ; en effet, à la fin de l'année dernière, onze
directeurs ont changé d'affectation, une direction générale et deux directions
ont été créées. Les fonctionnaires ont accepté ces transformations avec
beaucoup de gentillesse, beaucoup de compréhension et même un grand sourire. Je
m'en réjouis, car, ainsi, cette maison se dynamise, et c'est tout à fait
important. Sans le dévouement de chacun, nous n'aurions pas réussi à moderniser
le Sénat comme nous l'avons fait dans les domaines des technologies nouvelles,
de la communication...
Grâce au service des relations internationales, des sénats se créent un peu
partout. Les fonctionnaires de ce service ont aidé à la création de sept sénats
en Afrique et en Europe centrale, et ils ont encore cinq ou six projets de
sénats sous le coude ! Il est important que le Sénat soit présent dans le monde
entier par l'intermédiaire de ses fonctionnaires.
Je félicite également les personnels des groupes parlementaires. Ils ne
rechignent jamais à travailler la nuit s'il le faut. Ils apportent leurs
conseils au président et aux membres de leur groupe ; ils sont toujours sur la
brèche. Je veux leur dire combien j'apprécie leur présence.
Enfin, je voudrais dire un mot aux journalistes.
Je souhaite qu'ils participent encore plus souvent à nos travaux : bien au
courant de nos travaux, ils pourront bien les répercuter ; ils feront savoir
que le Sénat, c'est le lieu où l'on est indépendant, tout en étant respectueux
des autres.
Nous sommes effectivement indépendants. Nous n'avons pas de leçon à recevoir.
Nous faisons notre travail, sans influence extérieure, en toute liberté
d'action. Parfois, un conflit nous oppose à X ou à Y, au Gouvernement... Mais
ce n'est pas grave. Nous arriverons toujours à avancer si vous êtes, messieurs
les ministres, compréhensifs à l'égard de nos propositions.
Personne n'a la science infuse, pas plus vous que nous. Mais le dialogue
politique est important. Quand on refuse le dialogue, les choses ne marchent
pas.
Je souhaite vivement que l'année 1998-1999 soit l'exemple même du dialogue
politique que la Constitution prévoit entre l'Assemblée nationale et le Sénat,
entre le Premier ministre et le Gouvernement, et le Sénat. Vous verrez que
dialogue ne veut pas dire opposition. Il veut dire amélioration des textes.
Merci à tous et bonnes vacances ! Elles seront repoussées de quinze jours,
mais, après, vous pourrez en profiter. Ce n'est pas moi qui vous les accorde,
c'est la Constitution !
(Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelques jours, la première session
parlementaire qu'a connue le Gouvernement issu des élections de juin 1997
s'achèvera. Nous ne serons pas encore en vacances pour autant, puisque vous
savez qu'une session extraordinaire, demandée par le Premier ministre au
Président de la République, doit permettre d'achever nos travaux et de voter
définitivement le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les
exclusions et, pour l'Assemblée nationale, d'engager la réforme du mode de
scrutin pour les élections européennes.
Cet ordre du jour reflète bien la méthode parlementaire de ce gouvernement.
Dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, le Premier ministre
avait évoqué le respect des engagements pris devant le peuple français et
l'exigence d'une action réformatrice progressive, maîtrisée et inscrite dans la
durée, à l'écoute des Français, condition de son efficacité.
C'est ce que le Gouvernement a entrepris au Parlement, qui est redevenu le
siège privilégié et naturel de la vie politique française, non seulement parce
que le Gouvernement y trouve la source de sa légitimité, mais également parce
que les parlementaires sont étroitement associés à l'élaboration de la décision
gouvernementale, par exemple avec le débat d'orientation budgétaire qui vient
d'être organisé dans les deux assemblées.
Dresser le bilan d'une session parlementaire appelle immanquablement la
comparaison avec la session précédente. Or - faut-il le rappeler ? - la
configuration institutionnelle n'est pas comparable. Les comparaisons
pertinentes devraient s'effectuer avec la période 1988-1993.
Comme tout nouveau gouvernement, celui auquel j'ai l'honneur d'appartenir a
engagé de nombreuses réformes, qui se sont traduites par de nombreux textes
législatifs. Comme tout gouvernement issu d'une majorité différente de celle du
Sénat, ce gouvernement s'est davantage appuyé sur l'Assemblée nationale pour
faire voter ses réformes, ce qui a eu plusieurs conséquences sur l'utilisation
des procédures parlementaires.
Lors de cette première session, le Gouvernement a essayé de concilier un
rythme dense de réformes et le rythme particulier du Sénat.
Mon ministère s'est efforcé ainsi de « lisser » l'examen des textes afin
d'éviter les traditionnelles bousculades de la fin du mois de décembre et de
juin. Le Sénat pourra, après son renouvellement, commencer la session 1998-1999
dès le 13 octobre avec des navettes diverses.
Mon ministère s'est par ailleurs attaché à programmer le travail du Sénat sur
quatre, voire cinq semaines. Je reconnais que, si nous avons fait des progrès,
il en reste à faire si nous voulons répondre à vos voeux, monsieur le
président, de voir les travaux du Sénat programmés sur deux ou trois mois, ce
que ne permet pas toujours l'action gouvernementale.
Le Gouvernement a par ailleurs respecté la nouvelle organisation de la semaine
parlementaire sur les mardi, mercredi et jeudi, et n'a, hors la période
budgétaire, demandé et obtenu du Sénat que deux lundi, y compris lundi
prochain, et un seul vendredi. Autant que possible, le Gouvernement a essayé de
ne pas faire siéger le Sénat la nuit.
De même, et surtout, la limite des jours de séance fixée, depuis la réforme
constitutionnelle de 1995, à 120 jours, sera loin d'être atteinte : au 30 juin,
le Sénat aura siégé 103 jours seulement.
Ces éléments montrent la possibilité de concilier une forte activité
réformatrice et législative et un rythme de travail régulier et maîtrisé.
Après un an, on peut constater une large application des engagements de la
déclaration de politique générale du Premier ministre du 19 juin 1997.
Le bilan législatif comporte des réformes entreprises par le précédent
gouvernement et qui n'ont pu être menées à bien en raison de la dissolution.
Ont ainsi été adoptées, dans une orientation légèrement différente, la réforme
du service national, la loi d'orientation sur la pêche maritime et, différente
de façon plus substantielle, la loi d'orientation de lutte contre les
exclusions.
A ce propos, le gouvernement précédent avait annoncé, en juin 1996, que cette
réforme devait aboutir à l'automne 1996. Ce gouvernement a réalisé cette
réforme en trois mois. Cela a été possible grâce aux efforts du Sénat,
notamment en termes de calendrier. Le Gouvernement ne l'ignore pas.
Parmi les principales réformes annoncées dans la déclaration de politique
générale du Premier ministre et adoptées, on peut recenser la loi relative au
développement d'activités pour l'emploi des jeunes, discutée en moins d'un
mois, la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, la
réforme du droit de la nationalité, les lois relatives à l'entrée et au séjour
des étrangers, à la réduction du temps de travail, à la commission du secret de
la défense nationale, à la répression des infractions sexuelles, enfin, et
surtout, à la lutte contre les exclusions.
L'autre catégorie de réformes proposées par la nouvelle majorité à l'Assemblée
nationale correspond à l'actualité plus ou moins immédiate. Je citerai : la loi
tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur
routier, la loi prévoyant le recrutement exceptionnel de magistrats, la loi
relative à la sécurité des activités sportives, la loi relative au
fonctionnement des conseils régionaux ou la loi déterminant les conditions
juridiques de la profession d'artisan boulanger.
Enfin, la dernière catégorie de réformes concerne la construction de l'Europe
: outre la modification du statut de la Banque de France, je mentionne la loi
organique permettant aux citoyens de l'Union européenne de participer aux
élections municipales ou la transposition de plusieurs directives, parfois
anciennes.
Dans le passé, vous avez souvent critiqué, monsieur le président, et à juste
titre, les lois votées à crédit. Aucune de ces lois n'encourt ce reproche.
Pour tous ces textes, je tiens, au nom du Gouvernement, à remercier le Sénat
de sa participation à l'amélioration de la qualité de la loi.
Nul ne conteste l'utilité du bicamérisme lorsqu'il s'exprime ainsi.
L'initiative parlementaire a pris une part importante dans l'activité
législative.
Vous avez souvent dit, monsieur le président, qu'il ne fallait pas trop
légiférer. J'abonde dans votre sens, car peu légiférer facilite aussi mon
travail, et celui de mes collaborateurs.
Il faut surtout légiférer à bon escient. C'est ainsi que le bilan quantitatif
des lois adoptées s'inscrit dans la moyenne, comme pour toutes les premières
sessions qui suivent une nouvelle législature.
Je veux rendre un hommage à la qualité de l'initiative parlementaire, qui a
été particulièrement développée cette session.
Sur les quarante-six lois qui seront définitivement adoptées d'ici à la fin de
la session extraordinaire, et hors conventions internationales, seize sont
d'initiative parlementaire, soit 35 %, un pourcentage rarement atteint. Sur ces
seize lois d'origine parlementaire, six proviennent du Sénat. La plus marquante
réforme profondément la sécurité sanitaire du pays, à laquelle vous étiez très
attachés.
Trois lois dont la discussion a été entamée sous la précédente législature ont
été votées conformes par le Sénat dans le cadre de la séance mensuelle réservée
à l'initiative parlementaire par l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, et
une proposition de loi issue de l'opposition à l'Assemblée nationale a été
adoptée sans modification par le Sénat. On est donc passé d'une maîtrise
absolue de l'ordre du jour par le Gouvernement à une maîtrise partagée, comme
l'a voulu le Constituant en 1995.
Bien entendu, en raison de sa légitimité parlementaire, le Gouvernement a
souvent donné la priorité d'examen et le dernier mot à l'Assemblée
nationale.
Cela est normal lorsque les majorités des deux assemblées sont différentes.
Nous savons tous que la force de la Constitution de 1958, c'est sa souplesse,
et cela implique une double lecture du bicamérisme suivant le vote des
électeurs.
La procédure d'urgence n'a pas été utilisée pour tous les textes importants,
je pense notamment à la réduction du temps de travail. Même si elle l'a été à
plusieurs reprises, le Gouvernement l'assume, car, pour chacun de ces textes,
elle était justifiée, notamment par l'attente, de la part de l'opinion, de
réformes, longtemps différées ou très attendues.
Au demeurant, avec treize déclarations d'urgence pour les projets de loi, la
session qui s'achève peut se comparer avantageusement aux sessions précédentes.
L'urgence a été invoquée onze fois en 1996-1997, pour une session écourtée,
quinze fois en 1995-1996, vingt-huit fois en 1994 ! Le Gouvernement n'a donc
pas abusé de cette procédure.
Enfin, si de nombreuses commissions mixtes paritaires ont échoué et si le
dernier mot a été donné à l'Assemblée nationale, certaines réformes ont
rencontré l'accord des deux assemblées.
Sur les quarante-six lois qui seront adoptées d'ici à l'été, trente et une ont
été adoptées dans les même termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, dont
six après accord en commission mixte paritaire. L'Assemblée nationale a statué
définitivement sur treize projets de loi et deux propositions de loi.
Nul ne s'en étonnera compte tenu des majorités opposées des deux
assemblées.
On notera cependant que des textes importants ont rencontré un accord en
commission mixte paritaire, vous l'avez d'ailleur rappelé, monsieur le
président : les textes relatifs à l'institution des agences sanitaires, à la
répression de la délinquance sexuelle, à la réforme de la Banque de France, au
transport routier, à la pêche maritime.
Enfin, j'insisterai particulièrement sur le pourcentage d'amendements du Sénat
repris par l'Assemblée nationale. Avec 45 %, ce pourcentage, naturellement
inférieur à celui de la session précédente, montre que le dialogue constructif
entre les deux assemblées existe malgré les divergences politiques, normales en
démocratie.
Par ailleurs, le Sénat garde des instruments de contrôle et les a pleinement
utilisés. Il les utilise même davantage aujourd'hui qu'hier.
Le contrôle traditionnel exercé par le biais des questions orales sans débat
et des questions d'actualité n'a pas démenti son intérêt. Dans la session
parlementaire, 6328 questions écrites ont été posées par des sénateurs à ce
jour et 5 226 réponses ont été apportées. Je sais que les délais sont parfois
trop longs. Je le répète souvent à mes collègues ministres, dont les services
sont parfois débordés : le courrier parlementaire doit être traité en priorité,
car vous êtes les interlocuteurs privilégiés des ministères.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Pendant la même période, 264
questions orales sans débat ont été posées, ainsi que 185 questions d'actualité
au cours de dix-sept séances dans chaque cas. Je pense que la présence des
ministres a été satisfaisante, même si elle peut encore s'améliorer.
En matière européenne, outre l'adoption de deux résolutions en séance publique
et de six en commission, trois questions orales avec débat ont rythmé les
travaux du Sénat.
Outre trois débats prébudgétaires et le débat d'orientation budgétaire, promis
dans la déclaration de politique générale de juin 1997, quatre débats ont été
organisés : sur l'accord multilatéral sur les investissements, la réforme de la
justice, le financement du TGV-Est et la toxicomanie.
Je relève, en revanche, une rupture avec la législature précédente en matière
de création de commissions d'enquête. Alors qu'aucune n'avait été constituée
entre 1993 et 1997 - il me semble pourtant que certaines matières auraient pu
bénéficier de l'intérêt et de la sagacité du Sénat - quatre commissions
d'enquête ont fonctionné de décembre 1997 à juin 1998, soit autant qu'en 1990
et 1991, qui avaient déjà été des années record dans le domaine du contrôle
parlementaire sénatorial. Les commissions d'enquête fonctionnent beaucoup au
Sénat lorsque la gauche est au pouvoir.
M. Josselin de Rohan.
Parce qu'il y a lieu de le faire ! C'est normal !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Depuis 1958, il y en a eu
vingt-cinq sur la gestion des gouvernements de gauche et seulement neuf lorsque
la droite était au pouvoir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Enfin, preuve que le Sénat
n'est pas marginalisé, le bicamérisme égalitaire a joué et va jouer pour la
discussion des lois organiques et des réformes constitutionnelles proposées par
le Gouvernement avec l'accord de M. le Président de la République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
S'agissant des premières, j'ai
noté l'accord entre les deux assemblées sur la loi organique du 25 mai 1998
déterminant les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution
relatif à l'exercice, par les citoyens de l'Union européenne résidant en France
autres que les ressortissants français, du droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales, alors que les points de vue étaient, au départ, assez
éloignés. J'espère que le dialogue sera aussi fructueux pour la loi organique
relative au cumul des mandats !
M. Alain Vasselle.
Ah, ça !
M. Josselin de Rohan.
Dites cela à vos amis de l'Assemblée nationale !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je ne peux que me féliciter des
discussions engagées entre les présidents des commissions des lois des deux
assemblées sur la première réforme constitutionnelle relative à la
Nouvelle-Calédonie. Elles doivent permettre de satisfaire aux exigences du
calendrier tout en donnant l'occasion au Sénat de faire valoir son point de vue
juridique sur le « rapatriement » des dispositions de la loi constitutionnelle
dans le corps même de la Constitution du 4 octobre 1958. Ainsi, le Congrès
pourra, vraisemblablement, se réunir à Versailles le lundi 6 juillet afin
d'adopter définitivement cette révision, étape importante dans le processus de
paix en Nouvelle-Calédonie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
D'autres réformes
constitutionnelles sont en cours ou seront entreprises.
Alors que l'Assemblée nationale avait voté à une très forte majorité, dans
tous les groupes politiques, la réforme du Conseil supérieur de la
magistrature, le Sénat vient d'y apporter des amendements qui nécessitent une
deuxième lecture du texte à l'automne.
Le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les
hommes, adopté la semaine dernière en conseil des ministres, constitue un
élément important de la modernisation de la vie politique puisqu'il favorisera
une meilleure participation des femmes au fonctionnement des institutions de la
République. Il sera également abordé par le Sénat cet automne.
Enfin, j'évoquerai la réforme constitutionnelle préalable à la ratification du
traité d'Amsterdam, dont le Parlement sera également saisi à l'automne.
Le Sénat donnera, pour toutes ces réformes, son point de vue, lequel devra
être concilié avec celui de l'Assemblée nationale, et le Gouvernement
s'efforcera de rapprocher les positions.
La modernisation de la vie politique n'est pas achevée ; elle est juste
entamée.
Moderniser, c'est remédier aux anachronismes, adapter les institutions aux
réalités politiques et sociales qui permettront à la France d'entrer dans le
troisième millénaire.
Je suis persuadé que le Sénat, soucieux de modernité, comme en témoigne le
développement de l'utilisation des technologies de l'information en son sein,
ne s'exclura pas, le moment venu, de ce processus de modernisation qui concerne
tous les pouvoirs, l'exécutif, le judiciaire, comme le législatif, et toutes
les institutions.
Permettez-moi en conclusion, monsieur le président, de m'associer aux
remerciements que vous avez adressés au personnel du Sénat. Il lui a été
beaucoup demandé, et même si le Gouvernement s'est efforcé d'éviter les débats
s'achevant au petit matin, quelques séances ont occupé certaines de ses
soirées.
Aux sénateurs qui vont entrer en campagne électorale, je souhaite bonne
chance.
A tous, j'adresse mes remerciements pour le dialogue pratiqué entre les
ministres et le Sénat, la recherche commune de l'intérêt général qui a
transcendé parfois les clivages politiques, sans concessions réciproques, mais
dans le climat de courtoisie et de sérénité qui caractérise la Haute Assemblée.
(Applaudissements.)
M. le président.
Le Sénat va interrompre ses travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures
quarante-cinq, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)