Séance du 29 juin 1998






RETRAITE ANTICIPÉE POUR LES ANCIENS
COMBATTANTS D'AFRIQUE DU NORD
CHÔMEURS EN FIN DE DROIT

Irrecevabilité
des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 521, 1997-1998) de M. Guy Fischer, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi (n° 390, 1997-1998) de MM. Robert Pagès, Guy Fischer, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Jean Dérian, Michel Duffour, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade tendant à accorder la retraite anticipée pour les anciens combattants chômeurs en fin de droit, justifiant de quarante années de cotisations diminuées du temps passé en Afrique du Nord.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Fischer, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à accorder aux anciens combattants d'Afrique du Nord qui sont chômeurs en fin de droit une retraite anticipée dès lors qu'ils justifient de quarante années de cotisations à l'assurance vieillesse. Une telle mesure pourrait concerner 15 000 personnes.
Ce texte est particulièrement important aux yeux de votre commission des affaires sociales car il s'inscrit dans un long débat que nous entretenons depuis près de quinze ans et qui porte sur la question de la retraite anticipée des anciens combattants d'Afrique du Nord.
Aussi le dispositif qui nous est soumis ne peut-il être apprécié à sa juste valeur sans un bref retour en arrière sur les débats passés.
Je rappelle, pour commencer, que la loi du 31 mars 1919 a posé le principe de la reconnaissance de la nation et du droit à réparation pour les anciens combattants et victimes de guerre, dans le respect de l'égalité entre les générations.
En application de ce droit à réparation, la loi du 21 novembre 1973 permettait aux anciens combattants et aux victimes de guerre de prendre leur retraite entre soixante et soixante-cinq ans en bénéficiant du taux plein qui leur aurait été reconnu à soixante-cinq ans. Comme vous le savez, l'ordonnance de 1982, en instituant la retraite à soixante ans, a mis fin en pratique à l'avantage relatif qui avait été consenti jusqu'alors aux anciens combattants, dans la mesure où la loi de 1973 n'avait nullement été modifiée en conséquence.
Les associations d'anciens combattants d'Afrique du Nord, réunies dans le Front uni, ont alors légitimement fait valoir que la troisième génération du feu, parce qu'elle est composée de soldats plus jeunes, serait, au moment de l'âge de la retraite, dans une situation moins favorable que celle de ses aînés alors qu'elle n'aurait pas démérité.
De nombreuses propositions de loi ont été déposées à partir de 1985 par des parlementaires de tous les groupes politiques de notre Haute Assemblée. Elles tendaient à rétablir le bénéfice de la retraite anticipée pour les anciens combattants d'Afrique du Nord. Votre commission décidait notamment, en 1989, de provoquer l'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de loi commune sur cette question importante, notre président, M. Jean-Pierre Fourcade, en étant le rapporteur, afin de donner à ce texte toute la solennité requise.
Après un vif débat en séance le 18 novembre 1991, la commission s'était finalement vu opposer l'article 40.
Depuis cette date, le débat sur la retraite anticipée a été profondément renouvelé.
En premier lieu, une commission tripartie composée de représentants du Parlement, du Front uni et du Gouvernement, et présidée par M. Chadelat, a procédé en 1996 à l'évaluation du coût d'une retraite anticipée pour tous les anciens combattants d'Afrique du Nord. Elle a conclu à un coût net total cumulé de 151 milliards de francs. Cette somme élevée semble rendre très délicate la mise en oeuvre d'une retraite anticipée généralisée. Mais cette revendication demeure d'une urgente actualité pour le Front uni.
En second lieu, de nombreuses mesures de solidarité ont été instaurées, le plus souvent à la demande du Parlement, en faveur des anciens combattants d'Afrique du Nord. Toutes ces mesures ont répondu à une même logique : il s'agissait de compenser l'impossibilité - ou le refus - de la retraite anticipée par la mise en place de réponses partielles ou ciblées aux problèmes rencontrés par les anciens d'Afrique du Nord.
Il ne s'agit pas ici de donner le détail sur ces mesures de solidarité. J'insisterai donc seulement sur les deux plus importantes.
La première est la loi du 3 janvier 1995. Cette loi visait à éviter que l'allongement de la durée de cotisation décidé en 1993 n'ait pour conséquence d'obliger certains anciens combattants d'Afrique du Nord à prendre leur retraite après soixante ans. Elle réintroduisait de la sorte le principe de l'avantage relatif en octroyant aux anciens combattants des réductions forfaitaires de durée de cotisation, en fonction du temps passé en Afrique du Nord.
La seconde mesure est la mise en place du Fonds de solidarité en faveur des anciens combattants d'Afrique du Nord. Ce fonds a été créé par la loi de finances pour 1992, puis modifié par les lois de finances pour 1995, 1996, 1997 et 1998. Il a pour vocation de verser une aide publique aux anciens combattants les plus en difficulté. Ainsi, deux conditions sont requises pour bénéficier du soutien des fonds : être au chômage depuis plus d'un an ou être en situation de travail précaire et disposer de ressources inférieures à 4 600 francs par mois.
Le fonds verse trois types d'aides : une allocation différentielle qui assure à tout bénéficiaire un revenu minimum garanti de 4 614 francs par mois ; une allocation de préparation à la retraite, qui est versée à ceux qui ont bénéficié de l'allocation différentielle pendant plus de six mois et qui est égale à 65 % du revenu de référence mais reste plafonnée à 7 177 francs ; depuis la loi de finances pour 1998, le fonds verse également aux chômeurs en fin de droits ayant cotisé pendant quarante annuités une majoration de l'allocation différentielle correspondant à un « revenu équivalent à une retraite anticipée de 5 600 francs net par mois ».
Au 31 août 1998, 37 700 anciens combattants bénéficiaient du soutien du Fonds de solidarité.
Dans ce contexte, face au coût de la retraite anticipée, face aux nouvelles mesures de solidarité, on aurait pu s'interroger sur la signification de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Or, il s'agit d'un texte à la fois nécessaire, attendu et réaliste.
Il est d'abord nécessaire.
Les anciens d'Afrique du Nord doivent, en effet, très souvent faire face à des difficultés d'insertion sociale et professionnelle très fortes. On estime ainsi que plus de 25 % des anciens combattants en âge de travailler sont au chômage ou en préretraite. Or, à cet âge-là, les risques de ne jamais retrouver un emploi avant la retraite sont, c'est évident, très forts. La durée moyenne de chômage des plus de cinquante ans est en effet de plus de deux ans.
Cette situation est d'autant plus préoccupante que les dispositifs de solidarité mis en place sont très imparfaits. Ainsi, la loi du 3 janvier 1995 n'a finalement concerné que 1 300 personnes en 1995 et en 1996. Mais, surtout, c'est le fonds de solidarité qui, en dépit de réformes continuelles, a fait la preuve de ses lacunes. Elles sont au nombre de deux.
D'abord, les aides versées par le fonds sont plafonnées à un niveau très bas : 4 600 francs pour l'allocation différentielle, 5 600 francs pour l'allocation différentielle « équivalente » à une retraite anticipée, 7 177 francs pour l'allocation de préparation à la retraite. Ces aides, à la différence des retraites, sont totalement déconnectées des revenus d'activité. En ce sens, l'allocation différentielle n'est qu'un minimum social supplémentaire tandis que l'allocation différentielle majorée et l'allocation de préparation à la retraite ne sont que des substituts très insuffisants à une réelle retraite anticipée.
Ensuite, si les aides sont insuffisantes quant à leur montant, trop peu de personnes en bénéficient. Alors que 140 000 anciens d'Afrique du Nord sont dans une situation difficile, seuls 38 000 reçoivent un soutien du fonds. C'est particulièrement le cas pour l'allocation différentielle majorée que le Gouvernement a pourtant présentée comme l'équivalent d'une retraite anticipée, et qui concerne moins de 6 000 personnes.
Les mesures de soutien ne semblent donc pas en mesure de répondre aux difficultés rencontrées par les anciens d'Afrique du Nord.
Si ce texte est nécessaire, il est aussi attendu.
Les anciens combattants ont risqué leur vie ou versé leur sang pour leur pays. Ils sont donc en droit d'attendre de la nation qu'elle exprime sa reconnaissance et sa solidarité. Or, là où les anciens combattants revendiquent un droit, une retraite, la nation se contente de leur accorder une aide sociale qui n'est bien souvent qu'une aumône. La nation maintient donc les anciens combattants dans une logique d'assistanat qui met leur dignité à rude épreuve. C'est pour cela que les anciens combattants attendent une retraite anticipée, même si elle ne devait toucher que quelques-uns, et non une quelconque allocation différentielle.
En ce sens, le versement d'une retraite anticipée aux anciens d'Afrique du Nord chômeurs en fin de droits constituerait un début de reconnaissance de la nation tout en permettant de répondre à un certain nombre de cas difficiles.
C'est aussi un texte attendu car il y a urgence, monsieur le secrétaire d'Etat. En 2002, les anciens combattants d'Afrique du Nord auront tous atteint l'âge de soixante ans. La notion même de retraite anticipée n'aura alors plus de signification.
L'an dernier, l'attente de ces anciens combattants semblait avoir été entendue par le Gouvernement. Durant la campagne électorale, M. Lionel Jospin s'était en effet engagé, auprès du Front uni, à « accorder la retraite anticipée pour les chômeurs en fin de droits justifiant de quarante annuités de cotisations diminuées du temps passé en Afrique du Nord ». Vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat aux anciens combattants, vous en aviez fait l'un de vos « quarante engagements pour 1998 ».
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Tout à fait !
M. Guy Fischer, rapporteur. Pourtant, le projet de loi de finances pour 1998 ne comportait aucune mesure en ce sens, et ce n'est qu'à la demande réitérée des parlementaires que le Gouvernement a présenté la disposition permettant aux chômeurs en fin de droits de bénéficier « d'un revenu équivalent à une retraite anticipée de 5 600 francs par mois », dans l'article 109 de la loi de finances.
Face à ces carences, la présente proposition de loi tend à reconnaître une réelle retraite anticipée pour ces personnes et non plus un « RMI ou une préretraite anciens combattants ».
C'est un texte nécessaire, attendu ; c'est aussi un texte réaliste.
La présente proposition de loi ne prévoit pas un bouleversement total de la législation régissant les retraites des anciens combattants. Elle vise simplement à apporter une réponse adaptée aux lacunes des mesures de solidarité existantes, tout en reconnaissant enfin le droit à une retraite anticipée pour les anciens combattants d'Afrique du Nord les plus en difficulté.
C'est en ce sens que le texte que nous examinons aujourd'hui peut être qualifié de réaliste. Il ne constitue qu'un premier pas dans le sens d'une meilleure reconnaissance par la nation de la situation des anciens combattants.
A cet égard, ce texte cherche à concilier deux impératifs : il vise à améliorer sensiblement la situation des anciens combattants les plus en difficulté, tout en ne constituant pas une charge trop lourde pour les finances publiques.
Sur le premier point, cette mesure est ciblée sur les anciens combattants les plus en difficulté. Il s'agit des chômeurs en fin de droit qui justifient de quarante annuités de cotisations vieillesse. Ces personnes sont incontestablement celles qui ont le plus besoin d'une retraite anticipée, d'une part, car elles risquent de ne plus retrouver d'emploi et, d'autre part, parce que, ayant cotisé quarante ans, elles ont bien souvent commencé à travailler très tôt, dès quatorze ou quinze ans, dans des conditions souvent fort pénibles. Réserver le bénéfice de la retraite anticipée aux anciens combattants les plus en difficulté est donc une mesure élémentaire de justice sociale.
Pour ces personnes - le présent texte ouvre une faculté de demander à bénéficier du droit à la retraite anticipée à taux plein. Dans la plupart des cas, une pension de retraite complète - régimes de base plus régimes complémentaires - leur garantirait un revenu supérieur à ce qu'elles perçoivent actuellement.
Ainsi, pour une personne touchant en fin de carrière le salaire médian, la pension de retraite serait de 8 093 francs. Rappelons que l'allocation différentielle majorée pour ces personnes n'est que de 5 600 francs et que le plafond de l'allocation de préparation à la retraite est de 7 177 francs.
Cependant, ce texte n'ouvre le droit à la retraite anticipée qu'à la demande de l'intéressé. Dans certains cas, en effet, les aides versées pourraient être supérieures à la pension vieillesse. Il s'agit donc d'une mesure souple.
C'est un texte réaliste également, car la charge financière reste très supportable. J'évalue ainsi le coût brut total de la mesure à 1,3 milliard de francs sur quatre ans, en ce qui concerne les régimes de base. Le coût net total sera bien inférieur, car cette charge nouvelle se substitue à des charges déjà existantes : aides versées par le fonds de solidarité, minima sociaux.
Mais ce texte doit s'appliquer aussi aux régimes de retraite complémentaire. La commission est bien évidemment consciente des difficultés financières que connaissent ces régimes. Elle estime donc nécessaire que le Gouvernement engage au plus vite - si, bien sûr, la présente proposition de loi est définitivement adoptée - une négociation avec ces régimes pour que le dispositif s'applique également aux retraites complémentaires, sous peine de vider la mesure de sa substance.
Dans ce contexte, et sans préjuger la position qu'adoptera le Gouvernement à l'égard de la présente proposition de loi, la commission souhaite également vous interroger, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la perspective d'une réforme du fonds de solidarité à l'occasion du prochain projet de loi de finances.
Le fonds doit évoluer pour apparaître non pas comme un dispensateur de secours aux effets limités, mais bien comme l'expression de l'attention que la nation porte aux plus modestes de ceux qui l'ont servie aux heures difficiles qu'elle a traversées.
Ainsi, pour pouvoir bénéficier de l'allocation de préparation à la retraite, les anciens combattants les plus en difficulté doivent passer, pendant six mois, par le filtre préalable de l'allocation différentielle. Or, de nombreux anciens combattants sont réticents à en demander le bénéfice car ils l'assimilent, non sans raison, à une forme d'assistance dégradante. Ils ne peuvent alors pas toucher l'allocation de préparation à la retraite.
Dès lors, ne serait-il pas possible de permettre aux chômeurs ayant cotisé pendant quarante annuités de bénéficier directement de l'allocation de préparation à la retraite, sans avoir à passer au préalable par l'allocation différentielle.
M. Robert Pagès. Très bien !
M. Guy Fischer, rapporteur. Une telle mesure permettrait de sortir de la logique d'assistanat inhérente à l'allocation différentielle, tout en autorisant à ces personnes à bénéficier d'une allocation comprise entre 5 600 francs et 7 177 francs, en fonction de leurs revenus passés d'activité, sans pour autant entraîner de charges supplémentaires pour les régimes complémentaires.
Mais revenons au texte qui vous est soumis aujourd'hui.
Il s'agit donc d'un texte nécessaire, attendu et réaliste. Mais il ne constitue qu'un premier pas dans le sens d'une meilleure reconnaissance d'un droit à la retraite anticipée pour les anciens combattants d'Afrique du Nord. S'adressant aux plus en difficulté, ce texte mériterait d'être complété par des mesures visant des anciens combattants dont la situation est moins fragile.
A cet égard, votre rapporteur est sensible à l'argumentation du Front uni, qui estime que la retraite anticipée permettrait de libérer des postes de travail pour les jeunes ou pour les demandeurs d'emploi.
C'est pourquoi la commission a estimé souhaitable que la présente proposition de loi, qui s'adresse aux chômeurs, soit prolongée par un effort particulier en faveur des anciens combattants encore en activité. Cet effort devrait porter en priorité sur ceux qu'une durée d'assurance validée insuffisante empêche de prendre leur retraite à soixante ans ou sur ceux qui sont exclus du bénéfice de l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE, pour ne pas avoir cotisé 160 trimestres.
Par conséquent, la commission souhaite vivement que le Gouvernement présente des mesures allant dans cette direction dans le prochain projet de loi de finances.
Ce texte ne constitue donc qu'un premier pas, mais il s'agit d'un premier pas nécessaire. C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales vous demande, mes chers collègues, d'adopter ses conclusions. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - MM. Clouet et Lauret applaudissent également.)
M. Robert Pagès. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette proposition de loi traite d'un sujet que les parlementaires connaissent bien et qui a longtemps opposé les associations d'anciens combattants aux pouvoirs publics. On se souvient par exemple des travaux de la commission Chadelat. Le coût de la retraite anticipée était alors fixé par l'administration à 150 milliards de francs. Les associations composant le Front uni retenaient pour leur part 35 milliards de francs. Ces chiffres ont dissuadé toute majorité d'avancer sur cette question.
Aujourd'hui, le temps a passé et il y a moins d'anciens combattants qui peuvent prétendre au bénéfice de la retraite anticipée. Le coût de la mesure doit donc être réévalué à la baisse. Entre-temps, des mesures ont été prises pour alléger les difficultés que connaissent les anciens combattants chômeurs.
Le gouvernement Jospin a porté à 5 600 francs par mois le montant de l'allocation différentielle. Bénéficient de cette disposition les anciens combattants chômeurs, quel que soit leur âge, en fin de droit ou pas, dès lors qu'ils ont cotisé quarante annuités. Ce système est donc nettement plus avantageux que celui qui est présenté par la proposition de loi car la retraite moyenne versée par la sécurité sociale s'élève à 5 100 francs. Nous étudions donc un dispositif d'un moindre intérêt que les mesures actuellement en vigueur. Par ailleurs, tout chômeur en fin de droit et qui a cotisé quarante annuités est assuré de percevoir 5 000 francs, grâce à une disposition adoptée par le Parlement.
On peut donc considérer que la proposition de loi rapportée par M. Fischer n'est pas de grande portée. Qui va réellement en bénéficier ? Qui sera intéressé par cette mesure ? Quel est l'objectif social réellement poursuivi ?
Le point le plus faible est l'absence de relations entre cette mesure et la lutte contre le chômage. Certes, les anciens combattants concernés auront naturellement un intérêt personnel à cette mesure. Mais rien n'indique que ces départs seront compensés par des embauches. Or, pour légitimer leurs revendications, les anciens combattants ont toujours mis en avant la nécessité de créer des emplois pour les jeunes.
Cet objectif ne sera pas atteint par le texte dont nous discutons. Il faut donc, pour être efficace et juste, imaginer une autre voie qui consisterait à faire bénéficier de façon systématique les anciens combattants du système ARPE.
Cette mesure bénéficierait à tous sans distinction et aurait le mérite de lier le départ à la retraite au recrutement d'un jeune.
D'une manière générale, la législation tient compte des difficultés dues au chômage chez les anciens combattants. Je rappelle l'existence de l'allocation différentielle, complétée par l'allocation de préparation à la retraite. Il est vrai qu'il manque une mesure qui allierait départ à la retraite et obligation d'embauche. Mais la proposition de M. Fischer, que je remercie d'avoir suscité ce débat utile, ne comble pas cette lacune et je réitère ma proposition concernant l'application du système ARPE.
L'idée de supprimer le stage de six mois imposé aux anciens combattants, pour passer de l'allocation différentielle à l'allocation de préparation à la retraite, mérite également toute notre attention, et je souhaite que vous étudiez sans délai cette piste, monsieur le secrétaire d'Etat.
En résumé, nous nous abstenons sur la proposition de loi, car nous voulons une mesure nettement plus favorable à l'emploi, pour marquer la vraie solidarité qui unit les anciens combattants aux jeunes générations.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de cette session, le Sénat est à nouveau conduit à examiner une proposition de loi relative à la retraite anticipée pour les anciens combattants d'Afrique du Nord.
Depuis de nombreuses années, les parlementaires communistes n'ont eu de cesse d'appuyer la demande - ô combien légitime ! - du monde combattant en faveur du droit à une retraite anticipée pour les personnes ayant servi en Afrique du Nord entre 1952 et 1962.
C'est donc tout naturellement que le groupe communiste républicain et citoyen s'est saisi de son droit d'initiative parlementaire pour déposer une proposition de loi permettant de répondre partiellement aux attentes de cette population.
Les multiples propositions de loi déposées aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale depuis plus de dix ans, et émanant de tous les groupes parlementaires de droite comme de gauche, reflètent l'intérêt des représentants de la nation pour ceux qui ont sacrifié une partie de leur jeunesse dans des conflits que, chacun le sait bien, tous n'approuvaient pas.
Est-il nécessaire de rappeler que 30 000 de ces combattants furent tués et que 300 000 en revinrent mutilés ou malades ?
Mais, au-delà des trausmatismes physiques apparents, il convient de prendre en considération le traumatisme social vécu par l'ensemble des rescapés qui n'ont pas toujours réussi à réintégrer une société française refusant d'assumer son passé colonial.
S'agissant de l'Algérie, sous couvert « d'opérations de maintien de l'ordre », c'est une véritable guerre qui était engagée contre le peuple algérien et contre les mouvements de libération nationale, une guerre de type colonialiste qui ne correspond pas à l'idée que nous, communistes, nous nous faisons de la France.
A cet égard, notre proposition de loi fait mention, dans son article 1er, de la « guerre d'Algérie ». Je regrette que la commission des affaires sociales du Sénat, au déplaisir de notre rapporteur, mon collègue et ami Guy Fischer, soit revenue sur cette rédaction pour évoquer des « opérations effectuées en Afrique du Nord ».
A maintes reprises, le chef de l'Etat, le Premier ministre et M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants ont utilisé le terme de « guerre d'Algérie », mais aucun texte juridique n'en fait état.
A l'heure où l'on parle de repentance, la France s'honorerait pourtant en reconnaissant, devant le peuple algérien et devant nos propres combattants, l'état de guerre qui a prévalu de 1954 à 1962 en Algérie.
Au droit à la retraite anticipée correspond la dette de l'Etat français envers les anciens combattants. Il n'est donc pas question d'un geste de charité ; il s'agit d'un devoir de réparation.
Enfin, aux traumatismes physiques et sociaux j'ajouterai les traumatismes économiques.
Notre proposition de loi limite le bénéfice de cette mesure aux chômeurs en fin de droit ayant cotisé 160 trimestres à l'assurance vieillesse. Par conséquent, elle vise des chômeurs trop âgés pour espérer retrouver un emploi.
Certes, nous ne partons pas de rien. En effet, des mesures spécifiques existent d'ores et déjà, sous forme d'aide sociale aux anciens combattants d'Afrique du Nord les plus en difficulté. Mon ami Guy Fischer a rappelé l'étendue des dispositifs existants, mis en place le plus souvent sous la pression du Parlement, de même qu'il en a parfaitement exposé les insuffisances et les limites.
La mesure que nous proposons ne prétend pas régler définitivement la situation de précarité des anciens combattants, mais il s'agit pour nous d'aller progressivement vers la reconnaissance d'un droit légitime pour les anciens combattants d'Afrique du Nord, à l'inverse de la logique d'assistanat qui a prévalu jusqu'ici. Notre excellente collègue Mme Gisèle Printz me permettra de lui dire que, si ce texte ne va pas assez loin, nous sommes prêts à aller beaucoup plus loin...
M. Guy Fischer, rapporteur. Tout à fait !
M. Robert Pagès. ... et à ouvrir le bénéfice de la retraite anticipée à l'ensemble des anciens combattants d'Algérie. Je crois que nous pouvons le faire, et nous sommes prêts à soutenir tout gouvernement qui s'engagerait dans ce sens. Je ferme la parenthèse.
Ce texte en appelle d'autres. Je crois savoir, d'ailleurs, que cela inquiète le Gouvernement, soucieux, et c'est légitime, de maîtriser la croissance des dépenses publiques. Or, pour 15 000 personnes concernées, la commission des affaires sociales a estimé à 1,3 milliard de francs le coût total de la mesure, et ce sur les quatre prochaines années, soit environ 300 millions de francs par exercice budgétaire. Autant dire que ce coût est sans commune mesure avec le chiffrage qui avait, en son temps, été publié dans le rapport Chadelat.
J'ajoute, mais M. le rapporteur l'a dit excellemment, que, bien évidemment, parallèlement disparaîtraient d'autres aides.
Cela étant, je vous le dis en toute amitié, monsieur le secrétaire d'Etat, et, à travers vous, à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le budget des anciens combattants diminue tous les ans, du fait de la disparition des parties prenantes. Or il suffirait que la diminution ne soit pas aussi rapide - je ne parle même pas d'augmentation - pour satisfaire une part importante des revendications avancées par le monde combattant.
Ainsi, si notre texte était retenu, nous rétablirions un « avantage relatif » que la loi du 21 novembre 1973 avait octroyé aux anciens combattants d'Afrique du Nord.
D'autre part, dès lors que les anciens combattants auront atteint l'âge de soixante ans vers 2002, au-delà de cette date, ce dispositif n'aura plus lieu d'être. Il y a donc urgence à intervenir pour réconcilier la nation et ses anciens combattants, d'autant plus que l'obstacle financier peut être surmonté sinon aisément du moins facilement.
Enfin, il convient de ne pas oublier que le Premier ministre, Lionel Jospin, s'était engagé au cours de la campagne des législatives de 1997 à accorder la retraite anticipée pour cette catégorie d'anciens combattants dans les conditions que je viens de dire. Le 8 mai 1997, M. Jospin déclarait, en effet, « dans un premier temps, nous nous engageons à accorder la retraite anticipée pour les chômeurs en fin de droit justifiant de quarante annuités de cotisations diminuées du temps passé en Afrique du Nord. Cette mesure constitue un début de reconnaissance envers les anciens combattants en Afrique du Nord et permettrait de répondre à un certain nombre de cas difficiles. »
Le groupe communiste républicain et citoyen donne l'occasion à ce gouvernement, que nous soutenons, de mettre ses actes en conformité avec ses paroles.
Aussi, je n'ose imaginer que ledit Gouvernement oppose une fin de non-recevoir à une mesure qu'il a lui-même défendue voilà un an. Un tel geste serait interprété, à juste titre, par les associations d'anciens combattants comme un acte de désertion de la part du Gouvernement au profit de considérations financières qui, selon nous, n'ont pas lieu d'être dans ce cas particulier.
Au moment où le Parlement discute du projet de loi de lutte contre les exclusions, il serait opportun de porter une attention particulière de la nation en direction des soldats français atteints une première fois par la guerre et menacés une seconde fois par le chômage et la précarité.
J'ajouterai que ces soldats sont ceux qui, comme beaucoup de ma génération, ont connu, quand ils étaient enfants, la guerre, ses privations et ses deuils.
Il s'agit donc d'une mesure de justice sociale, de reconnaissance nationale et enfin d'égalité avec les anciens combattants des deux guerres mondiales.
Ce serait, enfin, une juste récompense pour le travail accompli par les associations d'anciens combattants et la qualité des rencontres qu'elles ont pu mener avec de nombreux parlementaires, ainsi, je le sais, qu'avec le secrétariat d'Etat aux anciens combattants, qui fait preuve d'un grand esprit de coopération.
A la lumière de ces observations, mes chers collègues, je vous demande donc, au nom de mon groupe, d'adopter cette proposition de loi. Qu'il me soit permis de remercier et de féliciter mon collègue et ami Guy Fischer pour l'excellent travail qu'il a accompli en tant que rapporteur de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vous ferai d'abord part, au nom du groupe d'études des sénateurs anciens combattants que j'ai l'honneur de présider, de notre satisfaction de voir venir aujourd'hui en discussion l'importante question des droits des anciens combattants d'Afrique du Nord.
Mais cette satisfaction va plus loin : M. Guy Fischer qualifiait tout à l'heure, au nom de la commission des affaires sociales, cette proposition de loi de « texte nécessaire, attendu et réaliste ». Je partage très largement cette analyse.
Cette proposition de loi, en effet, a un double mérite : elle constitue, d'abord, un témoignage tangible de la reconnaissance de la nation envers ceux qui ont servi, pour elle, en Afrique du Nord ; il s'agit ensuite d'une mesure concrète de solidarité envers les anciens combattants les plus en difficulté.
Force est de constater que le principe de reconnaissance de la nation envers mes camarades combattants d'Afrique du Nord est actuellement mal appliqué.
La loi du 21 novembre 1973 permettait aux anciens combattants de prendre leur retraite entre soixante ans et soixante-cinq ans. En accordant la retraite à soixante ans, l'ordonnance de 1982 a mis fin à cet avantage relatif. Ainsi, comme le font valoir les associations d'anciens combattants, cette ordonnance a supprimé un avantage acquis par les anciens combattants de la troisième génération. Il s'agit d'une atteinte au principe de l'égalité des droits entre les différentes générations du feu.
Le Sénat a pris, en la matière, un certain nombre d'initiatives. A cet égard, M. Guy Fischer a rappelé la proposition de loi tendant à rétablir le bénéfice de la retraite anticipée pour les anciens combattants d'Afrique du Nord, qui fut examinée le 18 novembre 1991, proposition de loi à laquelle avait été opposé l'article 40 de la Constitution.
Certes, le coût global de la retraite anticipée est très élevé - la commission tripartite présidée par M. Chadelat l'a évalué à 151 milliards de francs - mais cela implique-t-il que la nation s'interdise toute forme de reconnaissance envers ceux qui ont risqué leur vie pour elle ? Nous ne le pensons pas.
Le texte beaucoup plus modeste que nous examinons aujourd'hui constitue un appréciable début de reconnaissance, quoique cette reconnaissance reste, bien sûr, limitée. Elle ne s'adresserait qu'à 15 000 anciens combattants d'Afrique du Nord, mais, en reconnaissant le droit à la retraite anticipée à ceux d'entre eux qui vivent les situations les plus précaires, qui sont aussi, bien souvent, ceux que leur séjour en Afrique du Nord a le plus marqués, la nation affirmerait sa solidarité avec tous les anciens d'Afrique du Nord.
Ce texte propose également une autre forme de reconnaissance. L'article 3 précise, en effet, que la durée de service en Afrique du Nord est assimilée, sans condition préalable, à une période d'assurance aux régimes de retraite.
Une telle disposition existe déjà dans notre législation. Toutefois, elle reste mal appliquée. Ceux qui n'ont pas directement exercé une activité professionnelle pour laquelle des cotisations ont été versées aux caisses de retraite dès leur retour d'Afrique du Nord n'en bénéficient pas. Cette interprétation très restrictive de la législation, en contradiction avec le principe d'égale reconnaissance, conduit ainsi certains agriculteurs, certains artisans, certains commerçants à devoir prendre leur retraite après leurs frères d'armes qui étaient salariés. Aussi cet article 3 me semble-t-il de nature à rétablir l'égalité de traitement entre les anciens combattants d'Afrique du Nord.
Si cette proposition de loi a le mérite de constituer un témoignage tangible de la reconnaissance de la nation, elle a également le mérite d'être une mesure concrète de solidarité envers les anciens combattants les plus en difficulté.
M. le rapporteur rappelait tout à l'heure les difficultés d'insertion sociale et professionnelles que rencontrent de nombreux anciens combattants d'Afrique du Nord. Ce n'est pas un vain mot : 40 000 d'entre eux doivent toucher les aides versées par le Fonds de solidarité pour ne pas avoir à vivre - ou à survivre - avec des minima sociaux.
Or le Fonds de solidarité reste très insuffisant. Il souffre, à mon avis, d'un défaut majeur : il entraîne les anciens combattants dans une logique d'assistance qu'ils ressentent comme une atteinte à leur dignité. Cet effet pervers avait déjà été souligné par notre regretté collègue Bernard Barbier, ancien président du groupe d'études des sénateurs anciens combattants, à qui je tiens à rendre hommage aujourd'hui.
On en arrive donc au paradoxe suivant : alors que les anciens combattants attendent un geste de reconnaissance de la nation, celle-ci cherche à le leur témoigner par des mesures d'assistance qu'ils jugent humiliantes.
C'est pourquoi la mesure proposée aujourd'hui me semble être une avancée intéressante. Elle substitue une logique de reconnaissance, celle du droit à la retraite anticipée, à une logique d'assistance pour ceux qui connaissent les situations les plus difficiles, les chômeurs en fin de droit, alors qu'ils n'ont pas démérité, loin s'en faut, et qu'ils justifient de quarante annuités de cotisations.
Cette mesure est d'autant plus intéressante qu'elle est financièrement très acceptable. La commission des affaires sociales avançait un chiffre brut de 1,3 milliard de francs sur quatre ans, sans compter les économies induites.
D'aucuns ne manqueront pas d'objecter qu'une telle mesure existe déjà. La loi de finances pour 1998, par son article 109 - Mme Printz l'a évoqué - a en effet réformé le Fonds de solidarité de telle sorte qu'il puisse verser un revenu équivalent à une retraite anticipée de 5 600 francs nets par mois pour les anciens combattants chômeurs en fin de droit ayant cotisé pendant quarante ans à l'assurance vieillesse.
Cet article 109 diffère pourtant profondément de la présente proposition de loi sur trois points fondamentaux.
Premièrement, cet article 109 ne rompt pas avec la logique d'assistanat du Fonds de solidarité : il s'agit non pas d'une réelle retraite anticipée, mais d'une simple aide sociale.
Deuxièmement, la prétendue « retraite anticipée » de l'article 109 est fixée à un montant unique de 5 600 francs. Ce montant est à la fois complètement déconnecté des revenus d'activité et tout à fait insuffisant.
Troisièmement, moins de 6 000 personnes touchent aujourd'hui ces 5 600 francs, alors que, aux termes du texte qui nous est proposé, 15 000 personnes se trouveraient concernées.
Pour toutes ces raisons, je ne peux qu'approuver la présente proposition de loi.
Tout en considérant qu'elle constitue une avancée sensible pour les anciens combattants d'Afrique du Nord, je rejoins la commission des affaires sociales pour estimer qu'elle n'est qu'une première étape.
Sans revenir sur l'ensemble des réformes souhaitables, j'insisterai ici sur la question plus générale de la retraite anticipée.
Cette proposition de loi a rouvert le débat sur la retraite anticipée des anciens combattants d'Afrique du Nord. J'ai entendu avec intérêt M. Fischer suggérer en outre une réforme des conditions d'attribution de l'allocation de préparation à la retraite. Nous connaissons et approuvons la position de M. Fourcade sur ce sujet. Ce sont évidemment des voies à explorer, mais je note qu'elles ne concernent que les chômeurs.
Or la politique en faveur des anciens combattants ne peut se limiter à une simple politique de traitement social du chômage. Il est donc nécessaire de prolonger cette proposition de loi par des mesures visant les anciens combattants qui sont toujours en activité.
Il serait, par exemple, possible d'ouvrir le droit à la retraite anticipée à ceux qu'une durée d'assurance vieillesse validée insuffisante empêchent de prendre leur retraite à soixante ans ou à ceux qui ne peuvent bénéficier du dispositif de l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE, pour ne pas avoir cotisé pendant 160 trimestres. Ces nouvelles avancées, auxquelles était très attaché notre regretté collègue Bernard Barbier, auraient l'avantage de libérer des emplois pour des chômeurs ou pour des jeunes n'ayant jamais travaillé.
J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement sera sensible à ces préoccupations, exprimées depuis si longtemps par l'ensemble des groupes de notre assemblée, et qu'il voudra bien y répondre de la manière la plus favorable, d'abord en soutenant la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui, ensuite en présentant de nouvelles mesures dans le prochain projet de loi de finances.
S'il en allait autrement, monsieur le secrétaire d'Etat, vous auriez beaucoup de mal à expliquer aux anciens combattants d'Afrique du Nord pourquoi, avec l'appui de notre collègue Mme Printz et du groupe socialiste, vous décevez, en bottant peu glorieusement en touche, les espoirs que le Gouvernement a lui-même suscités. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Lauret.
M. Edmond Lauret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il paraît tout à fait légitime que la reconnaissance et la solidarité de la nation s'exercent au profit des anciens combattants d'Afrique du Nord, comme elle s'est exercée au profit des générations antérieures.
Or, ainsi que l'a exposé notre rapporteur, le droit à la retraite anticipée constitue une très vieille revendication des anciens d'Afrique du Nord. Cependant, son coût financier extrêmement lourd pour le budget de l'Etat n'a jamais permis d'envisager l'instauration d'une telle mesure de façon généralisée.
Le précédent gouvernement avait néanmoins voulu prendre des mesures significatives au bénéfice des anciens d'Afrique du Nord.
D'une part, la loi du 3 janvier 1995 a introduit des mesures dérogatoires au droit commun en octroyant aux anciens combattants des réductions forfaitaires de cotisations.
D'autre part, le Fonds de solidarité a vu son champ d'application étendu, de même qu'a été élargie la nature des aides publiques versées.
Les anciens combattants qui vivent les situations les plus difficiles - ils sont plus de 37 000 - sont ainsi aidés financièrement en percevant un complément à leurs ressources.
Cependant, comme dans l'ensemble de la population française, les plus touchés par le fléau du chômage sont les plus de cinquante ans, en fin de droits, qui n'ont que très peu de chances de pouvoir se réinsérer sans aide dans le monde du travail.
Ainsi, bien des situations difficiles perdurent malgré les dispositifs de solidarité existants.
La proposition que nous examinons aujourd'hui vise, pour y remédier, à accorder un droit à la retraite anticipée pour les anciens d'Afrique du Nord chômeurs en fin de droits qui justifient de 160 trimestres de cotisation aux régimes d'assurance vieillesse.
Il s'agit de leur donner la faculté d'opter pour une retraite anticipée, susceptible d'améliorer la situation financière de la plupart d'entre eux.
Il me paraît extrêmement important, notamment sur un plan symbolique, que ce droit soit une simple faculté. Ainsi, les anciens combattants seront libres de demeurer dans leur situation actuelle ou d'opter pour la retraite anticipée.
Il convient en effet de respecter la volonté de chacun et de tenir compte des disparités dans les situations existantes, car les aides accordées en application des dispositifs de solidarité peuvent être supérieures aux droits à pension, en raison d'une activité professionnelle de trop courte durée.
En votant ce texte, nous franchirons une étape supplémentaire dans la reconnaissance et la solidarité de la nation à l'égard des anciens combattants d'Afrique du Nord. Durement marqués par les événements qu'ils ont vécus en Afrique du Nord, beaucoup ont sacrifié, ne l'oublions pas, une partie de leur jeunesse à la France.
Pour ces raisons, le groupe du RPR votera cette proposition de loi.
Je profite de l'examen de ce texte pour vous interroger, monsieur le secrétaire d'Etat, sur un sujet qui inquiète les anciens combattants, notamment ceux de l'Afrique du Nord : le devenir de l'ONAC, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
Son rôle est central, essentiel, dans l'exercice du devoir de reconnaissance de la nation à l'égard du monde combattant. Les anciens combattants y sont donc légitimement très attachés : il incarne la singularité du droit à réparation qui leur est dû.
Il serait important que vous puissiez réitérer, monsieur le secrétaire d'Etat, votre engagement quant à la pérennité de cet office. Le monde combattant devrait être définitivement rassuré sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis 1985 un certain nombre de propositions de loi ont été déposées sur le bureau de chacune des deux assemblées qui tendaient toutes à apporter une solution au problème de la retraite des anciens combattants d'Afrique du Nord.
Au demeurant, ce thème a occupé une place importante dans toutes les campagnes politiques qui se sont déroulées au cours de la même période.
Depuis 1985, en effet, la progression du chômage dans notre pays a été telle que de nombreux anciens combattants d'Afrique du Nord ont été, eux aussi, frappés par le fléau, et ceux-ci n'ont pas compris que leur participation aux opérations militaires en Algérie, au Maroc et en Tunisie, où ils ont souvent laissé une partie de leur santé, ne leur vale pas d'être prémunis contre la dégressivité des allocations de chômage.
Les propositions de loi qui ont fleuri depuis 1985 étaient de deux types : les unes étaient de portée globale et visaient à remettre en place la retraite anticipée, qui était une possibilité avant l'ordonnance de 1982 ; les autres tendaient, de manière plus spécifique, à améliorer le sort de ceux des anciens combattants qui se trouvaient confrontés au chômage, notamment ceux qui étaient en fin de droit.
En 1991, j'ai ainsi rapporté une proposition de loi qui avait pour objet de régler non l'ensemble du problème - le coût global de l'opération serait tel qu'aucun gouvernement, quelles que soient son orientation politique et sa volonté d'aboutir, ne pourrait y faire face - mais celui des anciens combattants victimes du chômage et se trouvant en fin de droit.
Le Gouvernement avait opposé l'article 40 de la Constitution à cette proposition de loi mais, par la suite, il avait rapidement mis en place le Fonds de solidarité.
Fort modeste au départ, celui-ci a progressivement gonflé, jusqu'à disposer aujourd'hui d'une ligne budgétaire de 1,574 milliard de francs, au bénéfice d'environ 40 000 personnes, ce qui correspond à un début de solution.
Ce Fonds de solidarité présente toutefois deux inconvénients.
Tout d'abord, il est ressenti par les intéressés comme un aspect particulier de l'aide sociale : les anciens combattants considèrent qu'ils sont mis sur le même plan que tous les demandeurs de minima sociaux.
Par ailleurs, son fonctionnement ayant été modifié pratiquement à chaque loi de finances eu égard aux inquiétudes que nourrissent les services de Bercy quant à son coût, on ne peut pas dire que sa mise en oeuvre soit un modèle de lisibilité.
Il reste que 1,5 milliard de francs, c'est une somme qui n'est pas négligeable et qui montre qu'un effort a été fait.
La présente proposition de loi constitue un pas nouveau vers une solution aux difficultés des chômeurs en fin de droit qui ont cotisé pendant quarante ans.
Voilà quelques semaines, nous avons voté un texte intéressant tous les travailleurs qui ont cotisé pendant quarante ans. Au lieu de leur ouvrir un droit à une retraite anticipée, on s'est contenté - c'est le Gouvernement qui a souhaité ce mécanisme - de prévoir le versement d'une allocation complémentaire leur assurant un revenu minimum.
Bien entendu, les anciens combattants bénéficieront comme les autres de ce dispositif, mais on n'a pas tenu compte de leurs problèmes spécifiques et on n'a pas pris en considération les titres qui leur donnent droit à la reconnaissance de la nation.
Je rappelle que, au moment de la réforme des régimes de retraite, il avait été décidé de ne pas appliquer l'augmentation du nombre de trimestres à ceux qui avaient servi en Afrique du Nord.
Malheureusement, les critères ayant fait l'objet d'âpres discussions au cours de diverses réunions interministérielles, la mesure n'a pas eu un grand effet ! On s'est arrangé pour que, dans les décrets d'application, les mailles du filet soient si serrées que presque personne ne puisse passer.
La proposition de M. Fischer, qui a été adoptée, je tiens à le souligner, à l'unanimité par la commission des affaires sociales, tend à donner à tous les anciens combattants chômeurs en fin de droit qui ont cotisé pendant quarante ans à l'assurance vieillesse et qui n'ont pas atteint à soixante ans la faculté de demander le bénéfice de la retraite anticipée.
On perçoit bien la différence existant entre un dispositif d'aide sociale ou d'allocations spécifiques, qui s'applique à l'ensemble des chômeurs en fin de droit, et la faculté d'adhésion à un mécanisme de retraite anticipée que prévoit cette proposition.
D'après le rapport Chadelat, cette disposition touchera 15 000 personnes. Par ailleurs, le coût, tel qu'il a été évalué par M. Fischer et par la commission, n'est pas très élevé : 1,3 milliard de francs. Ce chiffre est à rapprocher du milliard et demi de francs du Fonds de solidarité. J'ai cité les deux chiffres pour bien montrer qu'il n'y a pas une envolée financière fantastique.
M. Guy Fischer, rapporteur. Et c'est 1,3 milliard de francs sur quatre ans !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Effectivement !
Au demeurant, cette somme va s'imputer partiellement - dans quelles proportions ? Je n'en sais rien - sur le milliard et demi de francs du Fonds de solidarité.
Je considère qu'il s'agit d'une mesure sage.
Ainsi, les chômeurs en fin de droit qui ont cotisé à des régimes de retraite pendant quarante ans, mais qui n'ont pas combattu, percevront une allocation supplémentaire qui leur permettra de disposer d'un revenu minimum. Quant aux chômeurs en fin de droit anciens combattants, ils bénéficieront, du fait de cette qualité, d'un droit à la retraite anticipée.
Je crois que cette distinction n'est pas sans importance.
Il reste évidemment deux problèmes à régler.
Celui des retraites complémentaires est le plus délicat. Compte tenu de l'état actuel des ressources des régimes de retraite complémentaire, qu'il s'agisse de l'AGIRC, de l'ARRCO ou des autres, il est difficile de leur imposer des charges nouvelles.
Par conséquent, nous souhaitons voir le Gouvernement indiquer aux partenaires sociaux que, dans la remise en ordre des régimes de retraite complémentaire, la qualité d'ancien combattant pourrait être un paramètre à prendre en compte lors du calcul des taux de cotisation, des pensions, etc. J'espère que vous pourrez, tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, nous donner des assurances dans ce sens.
En vérité, il n'est pas possible d'aller au-delà d'une recommandation adressée aux régimes complémentaires, eu égard à leur situation financière difficile.
Le second problème qui reste à résoudre tient notamment au fonctionnement de l'ARPE. A cet égard, le Gouvernement pourrait suggérer aux partenaires sociaux que la qualité d'anciens combattants d'Afrique du Nord constitue un élément d'attribution de cette allocation, qui a pour contrepartie l'embauche de jeunes.
Si le Gouvernement de la République, à la demande du Parlement, notamment du Sénat, qui depuis longtemps s'intéresse à cette question, faisait cette double recommandation aux partenaires sociaux, la première relative à l'ARPE, la seconde concernant la modification du fonctionnement des régimes complémentaires de retraite, nous prouverions que nous continuons à nous occuper des anciens combattants.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons formulé une suggestion dans le rapport. Pour de nombreux anciens combattants, le passage obligatoire par le fonds de solidarité avec les inconvénients qui en résultent - instruction de dossier, enquête - pour obtenir l'allocation de préparation à la retraite n'est pas satisfaisant. L'intéressé est en effet obligé de passer par une aide sociale avant de pouvoir bénéficier de l'APR.
Si, dans le prochain projet de loi de finances, vous permettiez aux anciens combattants qui ont cotisé pendant plus de quarante ans d'accéder directement à l'APR, il s'agirait là d'un progrès. Vous montreriez que le Gouvernement est soucieux de passer progressivement d'une logique d'assistance à une logique de droit, ce qui, en l'occurrence, me paraît tout à fait légitime.
Tels sont les quelques éléments que je voulais ajouter aux excellentes interventions de mes collègues, MM. Cléach et Pagès. J'ai compris que le groupe socialiste s'abstiendrait afin de ne pas mettre le Gouvernement en difficulté.
Le problème des anciens combattants dépasse la sensibilité d'un gouvernement. Je me suis vu opposer l'article 40 de la Constitution en 1991. Mais un fonds de solidarité a été créé. Si jamais vous nous opposez à nouveau l'article 40 aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère que vous créerez dans les prochaines années un mécanisme aussi intéressant et qui apportera autant de garanties au monde des anciens combattants. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d'abord du travail que vous avez accompli. Il est toujours utile d'engager devant le Parlement un débat sur les problèmes concernant les anciens combattants et, plus particulièrement, leur retraite. Je me félicite du rapport de M. Fischer, qui contient d'ailleurs un certain nombre d'indications permettant à d'autres membres du Gouvernement, moins directement impliqués dans ces questions, de prendre conscience à la fois des revendications qui subsistent et des mesures qui ont été prises au fil des années.
Ce rapport montre aussi à quel point il est difficile d'appréhender la réalité. Vous avez réalisé un fantastique travail d'approximation s'agissant de l'appréciation des conséquences de telle ou telle mesure. Vous y avez été contraints, tout comme je le suis quotidiennement.
Naturellement - et M. le président Fourcade vient d'évoquer cette question à l'instant - ce rapport est incomplet dans la mesure où il ne traite pas du financement de la retraite complémentaire. Il est simplement proposé que le Gouvernement fasse des recommandations aux caisses de retraite complémentaire. Il ne prévoit pas de mécanisme financier permettant aux anciens combattants, le cas échéant, de prétendre à cette retraite, puisque le montant moyen de la retraite de la sécurité sociale est actuellement inférieur aux allocations servies notamment par le fonds de solidarité.
Par conséquent, tout se joue sur la question de la retraite complémentaire, et j'ai moi-même rencontré cette difficulté. J'y reviendrai dans un instant.
Le débat sur la retraite anticipée est, comme certains l'ont indiqué, un débat ancien, et j'y ai, pour ma part, participé lorsque j'étais parlementaire. J'ai même signé des propositions de loi sur ce sujet, qui n'ont, au demeurant, pas plus abouti que les autres. Mais, comme vient de le signaler M. Fourcade, tous ces textes ne sont pas lettre morte, car ils pèsent dans la discussion et influencent les rapports de forces ainsi que les décisions qui sont prises ensuite par les différents gouvernements. De ce point de vue, le débat d'aujourd'hui peut contribuer à résoudre un certain nombre de problèmes.
Il est vrai que toutes les majorités ont reculé devant le coût de la mesure, mais cette question dissimule, à mon avis, un débat plus profond. J'y reviendrai également dans un instant. La présente proposition de loi procède, ce qui est bien légitime, à des tâtonnements.
Par ailleurs, je regrette aussi que le mot « guerre », que j'emploie pour ma part, ne soit pas utilisé.
J'indique à M. Pagès que le Parlement aura sans doute prochainement - peut-être à la rentrée d'octobre - à connaître d'un texte qui permettra aussi, sous réserve de quelques analyses, car il ne faut pas tomber dans des difficultés juridiques inextricables, d'adapter la législation à la réalité et d'employer le mot « guerre », notamment sur les titres de pension des anciens combattants d'Afrique du Nord. J'y travaille actuellement, et j'ai bon espoir de parvenir rapidement à un texte.
Les anciens combattants d'Afrique du Nord bénéficient de la reconnaissance de la nation, de même que les autres générations du feu, à travers les dispositions du code des pensions militaires et d'invalidité. La loi prévoit d'ailleurs des droits identiques.
La France - je dis bien « la France », parce que cela engage toutes les majorités qui ont eu et qui ont à diriger notre pays - n'a pas été indifférente à l'égard du monde combattant, notamment des anciens combattants d'Afrique du Nord. Encore récemment, des dispositions ont été prises, et cet après-midi même, nous débattons de cette question, ce qui prouve combien la nation et ses représentants y sont attentifs.
Pour ma part, j'ai toujours essayé de travailler dans la loyauté et dans la clarté, parce que j'estime que l'exigence de vérité est une forme de respect qui doit être due au monde combattant.
S'agissant de l'ONAC, sujet qui est, certes, un peu en dehors de notre débat, j'indique que, au cours des deux derniers mois, nous avons élaboré, avec les représentants de son conseil d'administration, un texte d'orientation concernant la définition du rôle de cet office dans les dix ou quinze prochaines années. Ce texte a été approuvé à l'unanimité par le conseil d'administration, réuni mercredi dernier en séance plénière.
Je puis vous dire que le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et le Gouvernement tout entier tiennent comme à la prunelle de leurs yeux à l'ONAC, structure de proximité, et que notre objectif est plutôt de renforcer ses moyens dans les départements, notamment en lui adjoignant, à compter du 1er janvier 1999, des emplois-jeunes consacrés au travail de mémoire. De ce point de vue-là, monsieur le sénateur, vous pouvez donc être tout à fait rassuré.
J'en arrive maintenant au fond du texte. Je partage les mêmes objectifs que vous, à savoir la défense des intérêts des anciens combattants, notamment ceux qui sont les plus défavorisés. Toutefois, la proposition de loi ne semble pas avoir résolu une question de fond, et je vais m'en expliquer.
S'agissant de l'égalité entre les générations, je rappelle que, pour la génération 1939-1945, la prise en compte des services s'est exercée au prorata du temps passé sous les drapeaux, selon une règle de proportionnalité entre soixante et soixante-cinq ans. Ici, il n'est pas question de proportionnalité.
Le véritable problème réside dans la signification du verbe « participer ». L'article L. 351-8-1 qu'il est proposé d'insérer après l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale précise en effet : « Les assurés qui sont chômeurs en fin de droit et qui ont participé aux opérations militaires en Afrique du Nord... ». S'agit-il d'un engagement dans une unité combattante ? Faut-il avoir mis le pied en Afrique du Nord pour bénéficier de la disposition ? C'est d'ailleurs plutôt ce que je crois, puisque vous indiquez que ce texte vise à élargir le champ des dispositions qui sont souvent liées au titre de Reconnaissance de la nation ou à la carte d'ancien combattant. Je peux pousser le raisonnement jusqu'à l'absurde : il suffirait d'avoir séjourné un jour en Afrique du Nord au cours de la période indiquée pour pouvoir bénéficier de la retraite anticipée. Je ne sais pas gérer une telle situation. (M. Pagès proteste.)
C'est bien de cela qu'il s'agit, monsieur Pagès. Dans la mesure où le verbe « participer » n'est pas défini, le texte ne peut pas s'appliquer correctement.
Je vous rends attentif à cette difficulté, car un texte de loi doit être relativement précis.
J'aborderai maintenant d'autres questions de principe qui, d'ailleurs, dépassent le monde des anciens combattants proprement dit. Je le dis comme je le pense, à ce point du débat, ayant moi-même été élu de la nation et en tant que citoyen : est-il possible tout à la fois de diminuer le temps de travail hebdomadaire, de retarder l'âge de l'entrée dans la vie active de par l'allongement de la durée des études, d'interrompre son itinéraire professionnel pour participer à des stages de requalification, de réinsertion ou de mise à niveau et de réduire l'âge de la retraite par le biais d'une mesure de principe ? Personnellement, je ne le crois pas. Il ne me semble pas possible de faire tout cela en même temps. Mais il s'agit là d'une question de fond qui intéresse l'ensemble de la nation.
Cela ne signifie pas toutefois qu'il faut se contenter du chômage actuel, que nous souhaitons tous voir diminuer. Le premier objectif, en effet, est bien de créer des emplois par le biais de mesures diverses, telles que les emplois-jeunes, qu'il est, certes, possible de contester sur le plan politique, selon des options qui distinguent la gauche de la droite dans notre pays. En effet, des débats peuvent être engagés et vous en avez d'ailleurs eu un tout à l'heure, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la réduction des charges applicables aux bas salaires.
L'objectif prioritaire doit être de donner des emplois aux jeunes plutôt que d'abaisser l'âge de la retraite. Or cette proposition de loi ne comporte aucune contrepartie en termes d'emplois. Mais, me direz-vous, si une dizaine de milliers de personnes partent à la retraite, peut-être les entreprises procèderont-elles à des embauches à moins qu'elles n'améliorent leurs gains de productivité. Il n'y a donc pas de lien direct entre la proposition que vous faites et la création d'emplois.
Notre désaccord principal est de principe, comme je viens de l'indiquer, mais il tient également aux objectifs que vous affirmez. Certains orateurs ont rappelé les engagements pris par M. le Premier ministre au mois de mai 1997 ainsi que les quarante engagements que j'ai pris pour 1998.
Je suis tout de même très prudent. Pourquoi ? Lorsque j'ai été saisi de ce dossier, je me suis heurté au problème du financement de la retraite complémentaire. Il était probablement possible d'avancer sur le concept de la retraite de la sécurité sociale, et tel est finalement le sens de la mesure qui avait été prise l'an dernier par le Parlement.
Permettez-moi, à cet égard, de vous faire observer que j'avais émis le voeu, lors de l'examen du budget du secrétariat d'Etat aux anciens combattants, que certaines décisions soient prises dans le cadre du débat parlementaire afin de bien marquer le rôle du Parlement en ce qui concerne les questions relatives, notamment, aux anciens combattants.
C'est parce que j'avais été confronté au problème du financement des retraites complémentaires que j'avais pris la précaution d'écrire : « En revanche, il assumera lui-même la conduite à terme du dossier relatif aux chômeurs en fin de droit ayant quarante annuités dans la mesure où ils relèvent du fonds de solidarité. Il recherchera une mesure en leur faveur leur garantissant au moins une situation matérielle similaire à la pleine jouissance de leur pension de retraite. »
La proposition de loi atteindra-t-elle son objectif ? A ce propos, il subsiste, me semble-t-il, une incompréhension entre nous. Vous avez tous affirmé qu'il fallait venir en aide aux anciens combattants, aux chômeurs, aux chômeurs en fin de droits, donc à ceux qui éprouvent les plus grandes difficultés sociales. C'est bien de cela qu'il s'est agi dans le débat. Or, vous proposez de mettre en place un dispositif qui s'organise autour d'une option.
A ma connaissance, aux termes des textes applicables en la matière, qu'il s'agisse du code du travail et de l'ensemble des dispositions législatives régissant le Fonds de solidarité ou tout autre instrument de solidarité, les prestations versées aux chômeurs en fin de droit ou aux chômeurs en général cessent d'être versées dès que les intéressés remplissent les conditions de la loi pour percevoir leur retraite, même s'ils n'en demandent pas le bénéfice.
Il ne s'agit donc pas d'un système optionnel. Aussi les dispositions que vous préconisez pour les chômeurs en fin de droit justifiant de quarante annuités de cotisations diminuées du temps passé en Afrique du Nord s'appliqueront-elles à l'ensemble des chômeurs en fin de droit ayant cotisé pendant quarante annuités. Autrement dit, ils perdront tous les bénéfices dont il disposent si la rémunération qui leur est versée aujourd'hui est supérieure à ce qu'ils percevraient, en cas d'application de votre proposition de loi.
Parmi les personnes qui relèvent aujourd'hui du Fonds de solidarité amélioré et touchent 5 600 francs - cela concerne 8 000 personnes : 6 000 dépendent directement du fonds et 2 000 bénéficient de la mesure à travers l'APR, soit un seuil compris entre 4 600 francs et 5 600 francs - nombre d'entre elles risquent de voir leur situation remise en cause. En effet - et nous sommes là au coeur du dispositif - c'est la question de la retraite complémentaire qui est posée.
Quant aux personnes qui bénéficient de l'allocation pour les chômeurs âgés, le régime est encore plus intéressant, puisque l'indemnité versée correspond à 55 % du salaire brut non plafonné et est de l'ordre de 7 700 francs en moyenne. Ce dispositif concerne 54 000 personnes, dont 27 000 sont anciens combattants, selon nos estimations. Or, aux termes de la présente propositon de loi, leur situation risque d'être inférieure à celle qu'ils connaissent aujourd'hui, et ce sans pouvoir agir. En effet, les textes législatifs applicables en la matière ne permettent pas les options.
S'agissant de cet aspect, je ne comprends pas cette proposition de loi. En effet, elle ne constitue pas un avantage par rapport à l'ensemble du dispositif en vigueur.
Aussi, l'objectif affiché ne sera pas atteint. Des situations vont être remises en cause. Finalement, on risque de se retrouver dans cette situation incroyable où l'Etat contribuera aux caisses de retraite après avoir pris l'argent aux chômeurs et aux anciens combattants qui bénéficient actuellement de dispositifs sociaux. Certes, l'intention est bonne...
M. Hilaire Flandre. Ce n'est pas très convaincant !
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Je ne sais pas si c'est très convaincant. Je comprends que cela vous chagrine. Pour ma part, je vous indique les textes qui sont aujourd'hui applicables.
Si nous mettons en oeuvre la mesure que vous préconisez, elle ne pourra être optionnelle. En effet, elle sera obligatoire en vertu des textes qui régissent l'ensemble du dispositif de protection sociale du code de la sécurité sociale.
Je ne vous en fais pas grief. Je vous décris la réalité. Vous pouvez le vérifier en vous reportant aux textes. En effet, la situation que j'expose, je ne la crée pas pour la commodité du débat. Il ne peut y avoir de système optionnel dès lors que s'appliquera un régime général touchant les chômeurs en fin de droit justifiant de quarante annuités de cotisations diminuées du temps passé en Afrique du Nord.
Cela ne veut pas dire que votre proposition de loi ne répond pas au souci de prendre en considération la situation du monde des anciens combattants. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas ! Le monde des anciens combattants mérite effectivement l'attention que vous lui portez et que je lui porte, et donc que nous lui portons ensemble.
Le financement des retraites complémentaires - puisqu'il s'agit, comme l'a dit M. Fourcade, d'un système conventionnel, l'Etat fera des recommandations - représenterait quelque 4 milliards de francs. Ce n'est pas anodin. De plus, le budget de l'Etat devrait apporter une compensation si la recommandation n'était pas suivie d'effet.
Cela étant, je ne suis pas insensible à certain des arguments qui ont été développés cet après-midi. Les grands esprits se rencontrent dans certaines situations, dit-on. Vous avez travaillé de votre côté ; j'ai travaillé du mien sur les mêmes sujets. Nous partageons en effet les mêmes préoccupations.
Je travaille actuellement sur deux dispositifs.
Le premier vise à rendre l'ARPE obligatoire au bénéfice des anciens combattants. Il s'agit non pas d'une recommandation, mais de quelque chose de tangible. En effet, avec le dispositif de l'ARPE, il existe une contrepartie en emploi direct, puisque quand l'emploi est libéré par la personne concernée l'entreprise doit engager un jeune. Or, c'est bien l'axe central de toutes nos préoccupations actuelles, à savoir un mécanisme obligatoire pour faciliter l'emploi.
M. Marcel-Pierre Cléach. Pas pour les chômeurs !
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Le second dispositif sur lequel je travaille, c'est le sas de six mois avant de bénéficier de l'APR. A travers le débat relatif à cette proposition de loi, vous allez sans doute m'aider les uns et les autres à progresser sur ce sujet, et je vous en remercie.
Le sas de six mois est effectivement une complexité administrative. Je réfléchis donc également à sa suppression afin d'améliorer un certain nombre de situations ; j'ai bon espoir d'y parvenir.
Cela étant, s'agissant de l'objectif du dispositif proposé, je ne peux pas laisser voter un texte de loi avec les incertitudes, notamment financières, que je me suis efforcé de décrire. Je sens, bien évidemment, que vous allez me reprocher cela, même si je vous ai assuré que nous allions travailler ensemble sur les deux points que j'ai évoqués, à savoir l'ARPE et la suppression du sas de six mois.
M. Guy Fischer, rapporteur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Fischer, rapporteur. Je vous ai écouté très attentivement. Certes, vous invoquez une série d'arguments qui peuvent être fondés, vos conseillers techniques ayant peut-être une approche du texte différente de la nôtre.
Cela étant dit, je voudrais souligner un point.
Les études auxquelles j'ai procédé au cours des dernières semaines - j'ai dans mon dossier toutes les propositions de loi qui ont été présentées dans cette enceinte sur les problèmes spécifiques des anciens combattants chômeurs ou à la retraite anticipée - montrent que, dans la période récente, tous les groupes - et à un certain moment, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez été membre de l'un d'entre eux, notamment lors de la discussion d'une proposition de loi déposée en 1995 - ont étudié en détail le moyen d'améliorer la situation des anciens combattants chômeurs justifiant de quarante annuités de cotisations.
Je retiens de ce débat la volonté unanime, même si, en commission, elle a été exprimée, d'une manière différente par le groupe socialiste - d'entendre l'appel lancé par le Front uni, par toutes les organisations et par l'ensemble des parlementaires.
Nous souhaitons contribuer, par les débats parlementaires, à faire en sorte que, à l'occasion du projet de loi de finances pour 1999, des pas supplémentaires soient faits. Tel était le sens de cette proposition de loi présentée par M. Pagès et moi-même, et par les collègues de notre groupe.
M. Philippe François. Nous allons la voter !
M. Guy Fischer, rapporteur. Nous voulons que ce message soit entendu. Je ne doute pas qu'il le sera.
M. Alain Vasselle. Vive la majorité plurielle !
M. Hilaire Flandre. On va voter !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. M. le rapporteur a compris quelle serait ma conclusion, vous aussi d'ailleurs. (Sourires.)
M. Philippe François. Beau numéro de natation ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Ne vous faites pas de souci !
Vous le savez, je partage les préoccupations générales de la représentation nationale sur le dossier des anciens combattants. Depuis un an, je me suis efforcé de travailler dans la loyauté et la clarté, et j'ai dialogué, autant que possible, avec les représentants des anciens combattants.
Comme je le répète fréquemment : je dis souvent non et rarement oui. Mais c'est un devoir de correction vis-à-vis du monde des anciens combattants que d'exprimer les choses comme je les ressens et je les vois, de dire ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, d'assumer cette situation, et donc d'accepter d'être critiqué. C'est cela la démocratie.
Je peux tout de même témoigner de la volonté d'avancer à petits pas sur un certain nombre de dossiers.
S'agissant de la retraite anticipée, j'ai signé, je le répète, des propositions de loi qui n'ont jamais été examinées. Désormais, certaines propositions de loi peuvent au moins être discutées grâce au dispositif des « niches législatives ». Cela a permis, cet après-midi, d'évoquer une question très ancienne, qui n'a été résolue par personne, pas même par la majorité sénatoriale au cours des dernières années, pas plus que par des majorités plus anciennes.
Il est vrai que, au fil des ans, compte tenu de l'âge des bénéficiaires potentiels, la question...
M. Robert Pagès. Sera réglée !
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. ... se pose en termes très différents. Cependant la France et la majorité nationale s'efforcent d'apporter des réponses plus en termes de solidarité que de droit à réparation au sens strict. En effet, c'est la période qui le veut. Depuis un certain nombre d'années, la situation économique et sociale est difficile, comme le montre le nombre de chômeurs. Au cours des dernières années, les victimes du chômage ont en effet été principalement les femmes et les hommes de plus de cinquante ans, appartenant à la génération directe d'anciens combattants d'Afrique du Nord. Désormais, le chômage concerne, dans de fortes proportions, les jeunes. C'est vers eux que nous devons diriger le maximum de nos efforts en termes d'emploi.
Le dispositif de l'ARPE sur lequel je travaille est intéressant. En effet, pour un départ à la retraite avant l'âge de soixante ans, il y a création d'un emploi pour un jeune. C'est un dispositif qui, selon moi, doit être mis en oeuvre au regard des préoccupations de la commission des affaires sociales du Sénat.
Par ailleurs, il convient d'aménager le sas de six mois, de façon que, si la moindre ambiguïté subsistait, le monde des anciens combattants ne perçoive pas ces mesures comme négatives. Des termes un peu durs ont été employés, notamment le mot « aumône ». Il n'a jamais été dans l'esprit de la France de traiter ses anciens combattants avec indifférence ou simplement de leur faire la charité. Il ne s'agit pas de cela. Le droit à réparation existe, et il s'éteindra avec la disparition du dernier ancien combattant vivant sur le territoire français.
Aujourd'hui, dans une période particulièrement difficile, le Gouvernement cherche à mettre en oeuvre des systèmes de solidarité pour que personne - pas plus les anciens combattants que les autres - ne reste au bord du chemin. Tel a été l'objet de la disposition prévoyant un montant garanti de 5 600 francs. Le Gouvernement a ainsi voulu prendre en considération la situation des anciens combattants d'Afrique du Nord, réintégrer cette page d'histoire dans notre histoire, traiter avec le même respect, la même reconnaissance la génération d'Afrique du Nord et les autres générations, utiliser le mot : « guerre » pour qualifier ce qui s'est passé en Algérie, prendre des mesures notamment sur la délivrance de la carte d'ancien combattant en tenant compte des dix-huit mois de présence, et créer un mémorial national pour témoigner de ce devoir de mémoire à l'endroit de cette génération d'anciens combattants. Cependant,...
Cela ne règle pas tout, c'est évident. Mais soyez persuadés, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement a bien l'intention de continuer dans cette voie.
M. Robert Pagès. Cependant !
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. ... et pour clore le débat que nous avons engagé depuis maintenant un peu plus de deux heures, compte tenu des incertitudes que j'ai énoncées et des risques réels sur les situations actuelles - si les montants versés ne sont pas mirobolants, ils sont cependant supérieurs à la moyenne de la retraite de la sécurité sociale - risques auxquels je vais m'efforcer de vous sensibiliser dès demain à partir des analyses juridiques élaborées par le département ministériel des anciens combattants sur cette impossibilité de l'option, dès lors que la disposition doit s'appliquer à l'intégralité des situations visées - anciens combattants chômeurs en fin de droit justifiant de quarante annuités de cotisations diminuées du temps passé en Afrique du Nord - dans la mesure où la disposition serait préjudiciable à un nombre plus important de personnes que le nombre des anciens combattants dont vous voulez améliorer le sort, j'invoque l'article 40 de la Constitution sur cette proposition de loi.
M. Alain Vasselle. Ce n'était pas la peine d'en dire autant !
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. C'est toujours la peine...
M. le président. N'entamez pas un débat, s'il vous plaît !
Monsieur Clouet, la commission des finances estime-t-elle applicable l'article 40 de la Constitution ?
M. Jean Clouet, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, je fais partie de celles et de ceux qui se réjouissaient de voter...
M. le président. Pas de débat, mon cher collègue !
M. Jean Clouet, au nom de la commission des finances. Je vais répondre, monsieur le président !
M. le président. Répondez-moi par oui ou par non ! Le règlement est formel, il ne peut y avoir de débat sur ce point !
M. Jean Clouet, au nom de la commission des finances. Eh bien, à mon grand regret (Sourires) je réponds : oui.
M. le président. L'article 40 de la Constitution étant applicable, la proposition de loi n'est pas recevable.
Mes chers collègues, avant d'aborder la suite de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant dix minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-neuf heures.)