Séance du 8 juillet 1998
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Fischer pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, citoyens à part entière, les victimes de l'exclusion souffrant de la privation de leurs droits les plus élémentaires, les ménages vivant grâce aux minima sociaux ou aux faibles revenus tirés d'emplois précaire, attendent depuis fort longtemps déjà que les pouvoirs publics et l'Etat assument enfin leurs responsabilités.
Nous sommes devant un texte majeur de prévention et de lutte contre toutes les formes d'exclusion, texte que le Gouvernement entend compléter par d'autres dispositifs à venir, notamment la couverture maladie universelle et l'accès aux droits et à la justice.
Inquiets, des millions de Français avouent l'être, vivant au quotidien la grande pauvreté ou côtoyant des proches au chômage, surendettés, se privant de tout.
Comme la grande majorité d'entre eux, notre formation politique, consciente qu'une loi seule ne peut suffire, appelle de ses voeux un nouvel élan de la politique économique et sociale par des orientations nouvelles redonnant à l'homme la place qui lui revient au sein de la société.
Le texte tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, enrichi de nombreux amendements émanant des différentes composantes de la représentation nationale, emporte notre soutien, même si nous regrettons que sur les minima sociaux et l'assurance chômage une plus grande avancée n'ait pu être effectuée. Dans leur grande majorité, les associations ont salué ce texte.
Sur les volets emploi et santé, globalement nous sommes parvenus à un accord.
En revanche, nous divergeons encore sur le logement, le surendettement et l'éducation. Nos divergences d'approche sont apparues avec acuité, nos préoccupations et nos conceptions n'étant décidément pas identiques, et cela se comprend fort bien.
Lors du vote de ce texte en première lecture, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen avaient dû, à leur grand regret, s'abstenir, car ils ne pouvaient cautionner certains ajouts, à leur sens dangereux, ou certaines suppressions allant à l'encontre de l'objectif principal visé par le texte.
Aujourd'hui, après cette nouvelle lecture, nous nous trouvons face aux mêmes blocages - même si nous avons obtenu certaines avancées - et aux mêmes déséquilibres. Par conséquent, nous nous abstiendrons à nouveau. En effet, des dispositions, gages de sérieuses garanties pour les personnes surendettées, ont disparu, tout comme la taxe sur la vacance du logement : d'un côté, vous parlez de mixité sociale, mais, de l'autre, vous permettez à certaines communes de se « dédouaner », de ne pas participer à la conférence intercommunale. Votre démarche va donc à l'encontre de l'esprit de solidarité recherché, et cela aussi contribue à motiver notre abstention.
Nous sommes persuadés que, demain, l'Assemblée nationale, avec sagesse, reviendra sur les dispositions incriminées ; mais ce soir, en ce 8 juillet 1998, il faut saluer l'aboutissement d'années d'efforts inlassables des associations et organisations de chômeurs qui, j'en suis certain, trouveront dans ce texte des réponses à leurs attentes. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe socialiste avait décidé, au terme de la première lecture devant notre assemblée, d'émettre un vote favorable, dans l'espoir qu'une discussion de fond nous permettrait d'avancer vers un accord en commission mixte paritaire. Il n'en a pas été ainsi et chaque assemblée a repris l'essentiel de ses propositions.
Il demeure, et nous nous en réjouissons, que le dialogue entre l'Assemblée nationale et le Sénat a été exemplaire sur ce texte. Sans doute le regard attentif des grandes associations humanitaires et de lutte contre la pauvreté n'est-il pas étranger à ce fait.
Néanmoins, le texte issu ce soir des travaux du Sénat, assorti des amendements du rapporteur, est toujours porteur des points de désaccord que nous avons relevés en première lecture.
Nous regrettons, notamment, la persévérance de la majorité sénatoriale à proposer, dans tous les textes relatifs d'une manière quelconque à l'emploi, des dispositifs nouveaux d'exonérations de charges sociales, alors que nous sommes malheureusement conduits par les faits à douter de l'efficacité, quant à la création d'emplois, de ceux qui existent déjà.
Par conséquent, ceux que renferme le projet de loi tel qu'il ressort de nos travaux sont, à nos yeux, sujets à caution, et nous considérons qu'ils n'ont pas leur place dans ce texte.
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point au moment de la discussion du prochain projet de loi de finances.
C'est sur le volet logement que subsistent les points de désaccord les plus importants : je pense à la taxe sur la vacance, que vous avez supprimée, bien entendu, mais aussi au retour sur la loi Carrez, qui vide de leur sens les dispositions les plus contraignantes de la loi d'orientation pour la ville en matière de logements sociaux.
A cet égard, l'adhésion aux conférences intercommunales du logement ne doit pas pouvoir se faire à la carte, fût-ce au nom de la libre administration des collectivités locales. Cela aboutirait à créer entre elles une inégalité, selon qu'elles ont ou non conscience de leurs responsabilités en matière de politique de l'habitat. C'est une véritable prime aux égoïsmes locaux et un encouragement à la ségrégation sociale.
Nous voulons également que soit amélioré le fonctionnement des FSL afin d'éviter les disparités de traitement non justifiées que l'on constate aujourd'hui.
D'une façon générale, le Sénat s'est opposé aux mesures introduisant davantage de transparence en matière de logement, ce qui fait apparaître une dichotomie entre le discours de sa majorité et les pratiques que celle-ci souhaite voir perdurer dans les faits.
Nous regrettons également que la majorité du Sénat demeure strictement attachée à sa proposition sur les saisies immobilières, même si nous admettons qu'une réflexion plus approfondie s'impose pour trouver un système décent à l'égard des débiteurs insolvables et afin de mettre un terme aux abus constatés.
Enfin, nous demeurons en désaccord sur divers points tels que le rétablisserment des bourses, celui du CERC, ou encore la création du comité départemental de coordination des politiques de prévention.
Malgré les points de convergence qui peuvent être notés et qui marquent notre volonté commune d'oeuvrer sur le terrain, avec les associations, pour lutter contre l'exclusion, le groupe socialiste s'abstiendra sur ce projet de loi à l'issue de cette nouvelle lecture. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Tui.
M. Basile Tui. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voterai ce texte dont j'ai pu apprécier le bien-fondé au cours des multiples réunions de la commission des affaires sociales, au sein de laquelle j'ai l'honneur de siéger.
J'avais souhaité, abstraction faite de la discussion concernant la qualification d'un texte éventuel ultérieur, que le Gouvernement prenne l'engagement de mettre en place un dispositif de lutte contre les exclusions dans les territoires d'outre-mer.
Bien grande a été ma déception lorsqu'il a opposé l'article 40 de la Constitution à l'encontre de cette proposition, défendue par notre collègue M. Daniel Millaud, alors même qu'il a reconnu un peu plus tard ne pas avoir opposé cette argumentation à plusieurs de mes collègues métropolitains, estimant qu' « il était préférable d'avoir ce débat jusqu'au bout ».
J'aurais aimé que ce débat puisse être mené aussi concernant les territoires d'outre-mer et que le Gouvernement accepte l'idée de nous soumettre ultérieurement un texte. Bien sûr, il doit s'agir d'un projet de loi organique, mais ce texte devra surtout prévoir la possibilité de dégager les crédits nécessaires à la lutte contre les exclusions dans nos îles.
Je veux espérer que le Gouvernement prendra ce souhait en considération. C'est pourquoi je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Les membres du groupe auquel j'appartiens voteront ce texte, même si certains s'apprêtent à le faire avec quelque regret compte tenu de l'évolution qu'il a connue ici.
Quel que soit le côté de l'hémicycle sur lequel nous siégeons et quelle que soit l'assemblée dans laquelle nous siégeons, en tant que parlementaires, nous sommes unanimes pour affirmer que ne peut se relâcher la solidarité nationale en faveur de ceux qui connaissent les épreuves consécutives à la crise économique qui a sévi longtemps et qui, pour s'éloigner un peu, dispense encore des effets tels que tout le monde ne peut pas vraiment reprendre espoir.
Quoi qu'il en soit, ce texte va être adopté demain dans sa version définitive à l'Assemblée nationale, et nous devons veiller à ce qu'il ne se retourne pas contre ceux à qui nous voulons précisément tendre une main fraternelle. Or il est un certain nombre de dispositions auxquelles l'Assemblée nationale paraît tenir, ainsi que le Gouvernement, qui sont justement de nature à se retourner contre ceux que nous voulons aider.
Tout à l'heure, madame le secrétaire d'Etat, vous avez approuvé une dispositoin à laquelle le Sénat tenait concernant la fixation du « reste à vivre ». Sur ce point, je crains que l'Assemblée nationale ne suive ni le Sénat ni vous-même.
Quelle que soit la difficulté qu'il y a à vivre avec 2 600 francs par mois, il n'est pas de bonne technique ni de bonne psychologie de laisser penser qu'une personne bénéficiant des minima sociaux peut s'endetter encore et encore et se retrouver finalement avec les mêmes ressources !
Je crois, madame le secrétaire d'Etat, que vous avez, sur ce point, une opinion assez vosine de la nôtre, et je souhaite que l'Assemblée nationale comprenne enfin qu'à vouloir tout gommer d'avance on aboutit à l'inverse de ce que l'on veut.
Je voudrais maintenant revenir quelques instants sur la question de la saisie immobilière pour lancer en quelque sorte un message à l'Assemblée nationale.
Je veux lui dire qu'elle ne peut pas mettre un créancier qui a accepté de prêter de l'argent à quelqu'un, alors qu'il a éventuellement des ressources modestes, dans la situation de se retrouver acquéreur forcé d'un bien pour une somme qu'il ne peut pas payer, alors même qu'il n'a aucune possibilité de recours. Ainsi, ce créancier risquerait de se trouver mis lui-même devant de graves difficultés, soit pour avoir dû renoncer aux poursuites, soit pour avoir été déclaré fol-enchérisseur, la prescription étant alors trentenaire.
Cela signifie que plus personne n'acceptera une sûreté sur un bien immobilier, ce qui implique que ceux que nous voulons aider vont se trouver exclus, cette fois-ci, de toute possibilité d'achat.
Je voudrais que l'on mesure bien, au Palais-Bourbon, les conséquences d'un tel mécanisme et j'espère que la sagesse l'emportera ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette session se termine avec l'adoption du projet de loi contre les exclusions.
Nous sommes plus nombreux qu'à l'accoutumée à regretter, sur ces travées, qu'un accord n'ait pas pu être trouvé entre les deux chambres, si j'en juge par l'adhésion quasi unanime au texte résultant des travaux de la Haute Assemblée.
Cette adhésion a même dépassé le cadre de cette enceinte puisque les députés ont fait leurs un grand nombre de nos amendements.
A cette occasion, je me félicite, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, de la qualité de nos débats sur un sujet où la collaboration bicamérale prend toute sa dimension et montre toute sa vigueur.
Mais une fois ce texte adopté, nous n'en aurons pas terminé pour autant avec l'exclusion.
Qu'il y ait, dans un pays comme le nôtre, autant de pauvreté et de misère doit continuer, chaque jour, à nous interpeller.
Au-delà des statistiques, nous devons être attentifs à une donnée difficilement quantifiable : la souffrance des individus enfermés dans la spirale de la misère, laquelle n'est pas forcément criante, mais est toujours dégradante et paralysante. On ne peut passer à côté d'elle : on la voit, on la ressent sur le terrain.
Comme cela a été rappelé par notre rapporteur, Bernard Seillier, l'objectif est, bien sûr, l'accès aux soins pour tous. Rappelons-nous ce qu'en dit M. Xavier Emmanuelli, qui a quelques titres à en parler.
Or l'assurance maladie universelle passe par la définition d'une politique cohérente de santé publique et une réelle maîtrise des dépenses de santé, mise en place en concertation avec chacun des acteurs de la filière.
Pour vaincre l'exclusion, la loi seule ne suffira pas : l'essentiel est sa mise en oeuvre sur le terrain. Aussi le texte que nous venons de bâtir une nouvelle fois prévoit-il des outils d'intégration sociale et professionnelle.
Ces dispositifs peuvent assurer une transition vers une activité stable, de telle sorte que, à la fin du parcours, l'emploi soit au rendez-vous. C'est évidemment ce que nous souhaitons tous.
Les entreprises sont résolument associées à cet élan de solidarité, et elles devront faire preuve d'ambition autant que d'imagination. Pour les côtoyer quotidiennement dans nos départements, nous avons la conviction qu'elles y sont prêtes.
Cependant, comme vous avez pu le constater, madame le secrétaire d'Etat, nous sommes en désaccord avec votre politique de l'emploi, dirigée essentiellement vers le secteur public...
M. Alain Gournac. Ah ça oui !
Mme Anne Heinis. ... et très peu, beaucoup trop peu, vers l'économie marchande.
Un autre article nous sépare : il s'agit de l'article 30 instituant la taxe sur les logements vacants. Pourquoi ne pas modifier cet article pour chercher le consensus ? Pourquoi ne pas accepter notre position ? Elle est modérée puisqu'elle tend non pas à supprimer la taxe, mais à en exonérer ceux qui ne sont propriétaires que d'un logement, le leur.
Nous continuons d'être opposés à cet « impôt sanction » supplémentaire, qui éloignerait les bailleurs de la solidarité, il faut y prendre garde.
Enfin, le succès des mesures de lutte contre l'exclusion exige une gestion souple, au plus près des intéressés. Le poids des rapports humains est irremplaçable dans ce domaine.
Les modifications que nous avons adoptées au cours de ce débat ne laissent pas les élus à l'écart de la lutte contre les exclusions, et c'est heureux.
Cette lutte doit être permanente. Il ne suffira pas d'une loi pour venir à bout de la misère et il est dangereux de faire croire le contraire.
Si nous avons abordé ce débat avec courage et pugnacité, nous devons aussi faire preuve d'une grande modestie. Le texte que nous allons adopter ouvre des perspectives, même s'il est encore imparfait.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe des Républicains et Indépendants votera ce texte tel qu'il résulte des travaux de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau. Je rejoins tout à fait ce que ma collègue Mme Heinis vient de déclarer au nom de notre groupe. Je voudrais simplement y ajouter quelques réflexions personnelles.
Devant un texte aussi ample que celui-ci, qui touche des aspects très importants de la vie de nos concitoyens, deux questions doivent se poser : est-ce une loi nécessaire et s'agit-il d'une grande loi ?
Que cette loi soit nécessaire, je crois que personne n'en doute.
Une base avait été jetée avec le texte présenté par Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli, qui avait d'ailleurs été examiné par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Cette base était importante et intéressante, même si, compte tenu du changement de gouvernement qui a eu lieu peu après, elle pouvait recevoir des inflexions nouvelles que nous aurions parfaitement comprises.
En revanche, nous n'avons pas compris qu'il ait fallu un an pour relancer le travail de réflexion et de proposition s'agissant d'une situation qui était dénoncée comme étant devenue intolérable.
Il faut dire que nous étions un peu assommés par le résultat des élections législatives alors que d'autres étaient peut-être euphoriques ; peut-être était-ce dû aussi à l'été. Comme le chante Charles Aznavour, « la misère est moins triste au soleil ».
Après les difficultés sociales apparues dès l'automne, le Gouvernement a dû prendre des mesures d'urgence. Il a créé le fonds d'urgence sociale afin de colmater certaines situations qui étaient devenues intolérables.
A ce propos, je rappelle simplement - en l'occurrence, les parlementaires réagissent plus vite que le Gouvernement et ils peuvent plus facilement enclencher certains processus - que j'avais présenté une proposition de loi qui avait été votée par le Sénat mais qui a été récusée par le Gouvernement. M. Kouchner siégeait alors au banc du Gouvernement. Pourquoi ?
Il s'agissait simplement d'aider nos préfets qui nous alertaient en nous disant qu'en dépit de la création du fonds d'urgence sociale, ils n'avaient plus rien à apporter. Il fallait donc trouver ici ou là - pour certains conseils généraux tout au moins - une dizaine ou une quinzaine de millions de francs pour leur permettre de faire la soudure en attendant le vote de cette loi.
Finalement, le processus aurait pu être plus rapide. Maintenant, nous y sommes. Cette loi va être votée tout à l'heure par le Sénat avant de l'être demain par l'Assemblée nationale. A ce moment, je m'interroge sur le fait de savoir s'il s'agit ou non d'une grande loi.
Je crois que, grâce au travail accompli, en liaison étroite avec le Gouvernement, au sein de cette assemblée, notamment par M. le rapporteur et par la commission, des points très positifs ont été dégagés. Toutefois, à l'instar de mon collègue, M. Paul Girod, je me demande ce qu'il adviendra demain.
En effet, nous avons élagué un certain nombre d'éléments porteurs d'effets pervers et de difficultés auxquels il faudra très rapidement remédier, sauf à avoir une loi qui, par certains aspects, sera inapplicable. C'est dommage. Votre ambition était de présenter une loi destinée à apporter une solution à ces problèmes, qui sont effectivement devenus intolérables. J'ai, d'ailleurs, constaté tout à l'heure avec une certaine admiration que le Gouvernement tenait compte des points de vue exprimés par la commission pour tenter déjà de corriger certaines dispositions figurant dans le texte adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale porteurs d'un certain danger ou dépassant les limites acceptables.
Je souhaite que, au moins pour les amendements proposés par la commission que vous avez soutenus et qui étaient en contradiction avec certaines propositions adoptées par les députés, vous conserviez la même attitude devant nos collègues de l'Assemblée nationale.
Je voterai bien évidemment ce projet de loi car il représente un pas en avant que nous ne saurions récuser. Je me réjouis que de nombreux points aient recueilli un accord quasi unanime de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Avant de donner la parole à M. Gournac, je me permets de vous rappeler, mes chers collègues, qu'il est vingt heures. (Sourires.)
Vous avez la parole, mon cher collègue.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat - j'insiste sur le « le » ! - mes chers collègues, alors que nous devions tous nous unir pour proposer des solutions concrètes en matière de lutte contre l'exclusion des plus démunis, la nouvelle lecture, telle qu'elle s'est déroulée à l'Assemblée nationale, m'a profondément déçu.
Alors que le Sénat, sur l'initiative de ses rapporteurs, avait proposé un texte réaliste et équilibré, l'Assemblée nationale, tout en reconnaissant à de multiples reprises l'excellent travail que nous avions accompli, a rétabli en grande partie son texte pour des raisons purement idéologiques...
Mme Odette Terrade. Ah ?
M. Alain Gournac. ... et même parfois contre l'avis du Gouvernement.
Cela dit, le Sénat a accepté de poursuivre le dialogue et vient d'adopter les articles du projet de loi tel qu'ils ont été amendés sur proposition de la commission.
Il nous semble ainsi que nous avons abouti à un texte poursuivant fermement l'objectif initial de ramener les exclus sur le chemin de l'insertion.
Espérons que l'Assemblée nationale ne souhaitera pas, en dernière lecture, privilégier l'accès à l'emploi dans la sphère publique plutôt que dans le secteur marchand, maintenir contre la raison la taxe « d'inhabitation » ou encore afficher sa méfiance envers les collectivités locales, pourtant mises à contribution pour des sommes plus importantes !
C'est avec cet espoir que le groupe du RPR du Sénat votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat - et j'insiste sur le « la » ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicains et citoyen) - mes chers collègues, qu'ils soient élus de leurs départements ou qu'ils représentent, comme moi, nos compatriotes vivant hors de France, les sénateurs non inscrits partagent au quotidien les inquiétudes et les préoccupations de nos concitoyens face à la pauvreté et à l'exclusion qu'elle entraîne.
Tout au long de nos travaux, nous n'avons cessé de penser à ces hommes, à ces femmes, à ces familles qui se retrouvent péniblement au « bord du chemin », sur les difficiles voies de traverse qui divisent la France, pays riche pourtant, dont la société doit s'efforcer dans toute la mesure possible de faire preuve d'une plus grande solidarité nationale.
Cette solidarité passe par une éducation de qualité et par une formation professionnelle efficace, en ce sens qu'elle doit tendre à un seul et unique objectif - le plus précieux à nos yeux - celui de trouver un emploi stable pour protéger et faire vivre sa famille, celui de pouvoir affirmer sa dignité, de recouvrer ses droits à la citoyenneté et de faire valoir sa reconnaissance sociale par le travail.
Comme nombre de nos collègues, nous souhaitons un dispositif renforcé en faveur de l'insertion des chômeurs dans le secteur marchand, par un retour à l'activité économique des chercheurs d'emploi, qui serait stimulé par la baisse des charges salariales dans les entreprises.
Par ailleurs, si nous nous félicitons des avancées législatives dans la partie « prévention » du surendettement des ménages, nous regrettons que, dans son volet « accès aux soins », ce projet de loi ne prévoie pas la mise en place de la couverture médicale universelle, qui est reportée à une date ultérieure.
La qualité des travaux du Sénat sur le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions, débattu aujourd'hui en nouvelle lecture, va clairement en ce sens et correspond à une très forte attente de nos concitoyens. A cet égard, nous tenons tout particulièrement à féliciter et à remercier M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission, et M. Bernard Sellier, rapporteur, de la clarté de leurs analyses et de la justesse de leurs propositions en faveur d'un plus grand enrichissement du texte pour combattre, au mieux, les maux qui mènent à l'exclusion économique, sociale et civique dans notre pays.
Dans ces conditions, et convaincus que ce texte va dans le sens d'une lutte renforcée contre toutes les formes d'exclusion en France, les sénateurs non inscrits le voteront, tel qu'il ressort des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de nos travaux, je tiens d'abord à adresser mes remerciements les plus sincères à tous les présidents de séance qui se sont succédé pour diriger nos débats, à M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, à tous les rapporteurs pour avis de la première lecture, MM. Paul Girod, Gérard Braun, Philippe Richert, Paul Loridant et Jacques Oudin, qui ont apporté une compétence et des éclaircissements indispensables et qui ont permis d'éviter la constitution d'une commission spéciale.
Je remercie également nos collègues qui ont participé à nos travaux ainsi que les personnels du Sénat, qu'ils travaillent dans les commissions, au service de la séance, à celui des comptes rendus ou dans d'autres services.
A travers vous, madame la secrétaire d'Etat, mes remerciements s'adressent aussi à Mme la ministre, à Mme et MM. les secrétaires d'Etat qui se sont succédé au cours de ce débat, aux membres de leurs cabinets qui nous ont, par leur disponibilité, beaucoup aidé dans la préparation de nos travaux et lors des débats.
Tout le monde a fait preuve d'un état d'esprit constructif qui a beaucoup facilité la tâche des uns et des autres. Cet état d'esprit constructif était sans aucun doute inspiré par la priorité nationale, que nous reconnaissons a priori, à la lutte contre la pauvreté et contre les exclusions.
Lors de cette nouvelle lecture, un grand nombre d'amendements ont fait l'objet d'un avis favorable ou de sagesse du Gouvernement, et ce en dépit d'un dispositif volontairement resserré par la commission, et je souhaite vivement que l'Assemblée nationale, qui se prononcera en dernier ressort, puisse reprendre de nombreuses modifications que nous avons apportées ce soir au projet de loi.
Je veux souligner le rôle joué par les associations dans la lutte contre les exclusions. Ce rôle est indispensable tant dans la vie quotidienne que pour le travail législatif.
Je souhaite que les évaluations auxquelles donneront lieu les dispositions de ce texte permettent de confirmer la dynamique interne que j'ai déjà appelée de mes voeux et qui doit inspirer une technique législative particulière pour lutter contre la pauvreté et les exclusions.
Cette technique législative particulière vise à permettre, puisque c'est le seul objectif et la seule méthode de travail concevables, aux exclus d'être eux-mêmes les acteurs de leur libération non pas en se substituant au législateur, mais en étant les interlocuteurs d'un dialogue constructif tant avec ce dernier qu'avec le Gouvernement sans que personne puisse s'arroger le privilège ou la gloire d'être à l'initiative de toutes les mesures prises en ce domaine.
C'est pourquoi j'ai beaucoup insisté, mais peut-être pas assez - j'y reviendrai donc une dernière fois pour terminer mon propos - sur le rôle que devrait être, à mon avis, celui de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, d'où l'importance de son rattachement auprès de M. le Premier ministre, ainsi que sur celui du Conseil national de lutte contre les exclusions. Pour ce type d'actions que nous avons à mener, il est indispensable d'avoir un lieu au sein duquel le Gouvernement, les représentants du Parlement et les associations puissent se retrouver à l'échelon national pour dialoguer de manière constructive et constamment afin de faire vivre cette dynamique interne de la lutte contre les exclusions qui est incessante. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, personne ne comprendrait qu'au terme de nos débats je ne traduise pas le sentiment général de gratitude que nous éprouvons à l'égard de notre rapporteur Bernard Seillier (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE) car il a énormément travaillé. Il a procédé à de nombreuses auditions, il a discuté avec beaucoup de personnalités et si nos collègues de l'Assemblée nationale, en dépit des divergences idéologiques qui nous séparent, ont repris nombre de nos amendements, c'est parce que le travail de préparation a été tout à fait remarquable et je tiens à lui en rendre justice ce soir.
Dans ce long débat, avons-nous résisté à la tentation de généraliser l'assistance ? Avons-nous résisté à la tentation de revenir quelque peu sur la décentralisation, pour mettre en place des dispositifs centralisés ? Telles sont les deux inquiétudes que j'éprouve au terme de ces très longs travaux.
Je crois que nous avons accompli une tâche qui s'imposait, même si les associations de toute nature ainsi que ceux qui travaillent sur le terrain et qui sont au contact des plus démunis - je songe aux travailleurs sociaux, aux maires adjoints, aux conseillers municipaux et aux conseillers généraux - trouveront sans doute ce texte un peu compliqué et administratif. Il faudra lui donner vie, madame le secrétaire d'Etat, et certainement le corriger ici ou là. Mais je pense que c'est la première fois que l'on adoptait une approche globale des problèmes de l'exclusion ; c'est la première fois qu'on a voulu traiter en même temps les problèmes d'emploi, de logement, de surendettement, de santé, d'illettrisme, d'éducation et d'accès à la culture.
C'est donc, à mon avis, une oeuvre très importante que nous avons accomplie, et il se trouve que les méthodes adoptées, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, nous ont permis de dégager de nombreux points de convergence, en dépit de trois ou quatre points de désaccord.
Nous avons accompli, je le pense, du bon travail, mais seul le temps permettra de dire si nous avons réussi. Je tiens en tout cas, madame le secrétaire d'Etat, à remercier le Gouvernement de son ouverture d'esprit et de l'accord qu'il a donné à nombre de nos propositions. Je me réjouis également que le débat politique ait été finalement un peu escamoté s'agissant d'approfondir l'action contre l'exclusion. Tel était mon voeu en ouvrant le débat voilà quelques semaines. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je voudrais associer Mme Aubry et l'ensemble de mes collègues aux remerciements que M. le rapporteur a adressés tout à l'heure aux présidents, aux membres et aux personnels de la Haute Assemblée, notamment du service de la séance.
Il est vrai qu'il s'est agi d'un long travail, bien mené.
Après ces remerciements, je voudrais à mon tour me livrer à quelques réflexions.
Certes, le texte qui sera voté ce soir n'est pas celui que l'Assemblée nationale vous a transmis et peut-être pas celui qu'elle adoptera demain.
Cependant, à travers ce texte, on constate deux types de divergences. Certaines d'entre elles sont effectivement profondes, je pense à celles qui concernent le logement ; d'autres sont davantage liées au fait que les uns et les autres ont pu avoir la volonté farouche de prendre en charge ces exclusions avec lesquelles nous ne pouvons plus vivre, cette volonté farouche ayant pu parfois conduire à des excès dans les textes et c'est pourquoi, effectivement, nous devons être vigilants sur ce que nous sommes en train d'écrire.
Ces divergences, nous les regrettons certes, mais nous ne regrettons pas l'ambiance de travail et d'échanges ni le souci de prendre en charge collectivement un vrai problème social qui ont présidé aux travaux tant du Sénat que de l'Assemblée nationale.
Il me faut, bien sûr, remercier l'ensemble des associations - certaines ont d'ailleurs suivi nos débats depuis de nombreuses semaines - parce qu'elles ont porté la prise de conscience de l'existence du problème dans sa globalité et qu'elles porteront aussi l'application du texte, avec l'ensemble des acteurs socio-économiques du pays. Le travail ne fait donc que commencer.
Pour conclure, je reprendrai quelques-uns de vos propos, monsieur le président de la commission.
Certes, le travail a toujours été de qualité et nous avons appris beauxoup avec vous tous. Monsieur Fourcade, vous avez parlé d'assistance et de décentralisation.
S'agissant de décentralisation, je n'irai pas au-delà, car la proximité est une nécessité que le Gouvernement entend favoriser.
Vous avez aussi parlé de prise en charge par le Gouvernement tout entier, par M. le Premier ministre lui-même. Sachez qu'il n'y aurait pas eu un texte aussi interministériel soutenu par Mme Aubry sans volonté farouche du Premier ministre et de l'ensemble du Gouvernement.
Enfin, vous avez parlé d'assistance. A cet égard, vous n'avez pas de souci à vous faire. Nous n'avons pas parlé d'assistance ni ici ni à l'Assemblée nationale, nous avons simplement parlé de dignité des personnes qui n'ont pas eu la chance d'être physiquement, physiologiquement, économiquement en charge de leur propre vie. C'est cette dignité-là que nous souhaitons leur rendre, avec la démocratie qui nous tient tous à coeur. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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