Séance du 19 novembre 1998
LOI DE FINANCES POUR 1999
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 1999, adopté
par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
serais tenté d'ajouter une petite dose d'humour à celui qui a régné en fin
d'après-midi dans cet hémicycle, en disant que je suis navré de ne m'adresser
qu'au secrétaire d'Etat au budget, non soutenu dans son effort par le ministre
de l'économie. Ne nous a-t-on pas expliqué que le budget était au service de
l'économie ? Je sais bien que le Gouvernement est un, mais je suis tout de même
navré, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas, en cet instant,
l'appui du ministre de l'économie.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je ferai face !
M. Paul Girod.
Je n'en doute pas une seconde ! Il reste que j'aurais été content qu'il puisse
écouter aussi mes arguments.
Monsieur le secrétaire d'Etat, voilà un projet de budget où 68 milliards de
francs de dépenses de fonctionnement sont couvertes par l'endettement. C'est un
fait sur lequel on peut réfléchir, gloser, dont on peut s'indigner ou
simplement s'inquiéter. Je suis plûtôt dans le camp des inquiets. Ce
gouvernement n'est, certes, pas le premier à procéder ainsi, je vous en donne
acte, mais il est le premier à le faire dans une période où la croissance
revient. Si j'ai bien entendu tout à l'heure M. le ministre de l'économie, il
était heureux de constater que la croissance était au rendez-vous qu'il lui
avait fixé.
De quelques souvenirs de mes études d'économie et des lectures que j'ai pu
faire depuis, j'ai retenu que l'économie connaissait au moins une constante,
une loi quasi physique, qu'on appelle l'hystérèse : ce terme décrit le décalage
temporel existant, dans un cycle, entre des phénomènes qui s'enchaînent, entre
la cause et l'effet.
Quelqu'un vous a rappelé tout à l'heure que, naguère, l'héritage laissé par
vos amis avait été difficile, qu'il avait fallu redresser la situation, que
nous avions subi l'hystérèse, c'est-à-dire les effets à retardement de
l'exaltation budgétaire, et que vous bénéficiiez, vous, maintenant, de cette
hystérèse, mais avec des effets inverses, se traduisant par un retour de la
croissance.
Je ne suis malheureusement pas sûr que vous ne soyez pas en train de la
détruire dans une nouvelle exaltation budgétaire. Celle-ci est effectivement un
peu inquiétante dans la mesure où certaines mesures à venir vont être financées
par l'emprunt et où celles qui sont pérennes, par définition, se
renouvelleront. Ainsi, nous ne pourrons pas permettre à notre économie de
profiter de la reprise, une reprise dont personne ne conteste l'existence, même
si l'on peut éventuellement s'interroger sur son origine.
Je crois savoir que le prochain collectif, qui comporte 15 milliards de
recettes supplémentaires, sera en partie consacré à régler quelques dettes qui
traînent...
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Depuis quand ?
M. Paul Girod.
... mais aussi à financer quelques mesures nouvelles...
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Non !
M. Paul Girod.
... dont les effets se feront sentir bien au-delà du collectif.
M. le ministre de l'économie nous a expliqué avec autant d'humour que de
conviction qu'il était nécessaire de consacrer une partie du budget de la
France à alimenter la consommation, justifiant par là telle augmentation sans
frein du traitement des fonctionnaires ou telle augmentation mal maîtrisée des
dépenses du RMI.
Je crains que vous n'ayez oublié que ce que vous injectez dans la consommation
pour soutenir la croissance, c'est de l'argent qui a d'abord été confisqué à
cette même consommation, étant entendu que le fonctionnement de l'Etat est tel
que l'influence de ce qui va être distribué n'est pas à la hauteur de
l'influence de ce qui a été confisqué. Vous suivez une philosophie que l'on
peut comprendre, certes, mais qu'il me paraît difficile d'appliquer trop
longtemps.
Mais j'en viens plus particulièrement aux problèmes intéressant les
collectivités locales, dont nous sommes ici les représentants. Je vais, bien
entendu, vous parler de la réforme de la taxe professionnelle.
Celle-ci a un côté spectaculaire. Mon collègue Jean-Pierre Fourcade a démontré
que son incidence sur l'emploi n'était pas aussi nette que vous le pensez et
qu'il aurait peut-être mieux valu s'occuper de la modernisation des
entreprises. L'investissement d'aujourd'hui étant le profit de demain et le
salaire d'après-demain, mieux vaut s'occuper d'abord de l'investissement plutôt
que du salaire.
Quoi qu'il en soit, je ne suis pas absolument convaincu que les raisonnements
que vous tenez à partir d'une moyenne nationale soient pertinents, d'autant que
vous prétendez cibler la mesure et que vous opérez des distinctions entre les
industries de main-d'oeuvre, le bâtiment, etc. Dans cette affaire, on fait tout
de même disparaître une partie des ressources habituelles des collectivités
locales. Mais avez-vous mesuré les effets de cette mesure aux extrêmes ? Dans
certaines communes, la taxe professionnelle représente plus de 50 % des
recettes - parfois beaucoup plus - et la structure de la taxe professionnelle
est telle que la part de main-d'oeuvre y est bien supérieure à 35 %.
Quel va être le devenir des finances de ces communes, qui vont se voir privées
d'un système évolutif pour se voir appliquer un système figé ? Cela mérite
qu'on y réfléchisse.
On nous a dit aussi que l'indexation était forcément sympathique -
l'indexation de la compensation, s'entend, pas celle du dégrèvement : vieux
problème ! - mais force m'est de relever quelques contradictions.
Vous allez indexer la compensation, qui sera la dernière marge de manoeuvre
des collectivités locales avant la « pressurisation » des ménages, nécessaire
si un problème se pose à elles à terme.
Dès lors, il y a bien une contradiction avec l'encouragement apporté à la
consommation.
Par ailleurs, pour l'indexation, le taux retenu est 2,8 %. Cependant, dans la
loi de financement de la sécurité sociale, il est question de 4,6 %
d'augmentation des salaires. Il y a quelque chose qui ne colle pas !
Les collectivités territoriales sont d'autant plus fondées à se méfier
qu'elles ont déjà donné ! Ce n'est pas la première fois qu'on les prive d'un
impôt et qu'on compense, comme dirait la sagesse populaire, avec des élastiques
; ce n'est pas la première fois que la manière dont on compense ne vaut pas ce
dont on a privé les collectivités territoriales : nous avons eu les distorsions
de la DGF, le transfert des compétences sur des références biaisées, etc. Les
régions, par exemple, se rappellent ce qui s'est passé avec les lycées.
Bref, nous avons l'expérience de ce que l'on appelle l'effet de ciseau, et
nous avons donc quelques raisons de craindre un effet du même genre avec ce qui
va advenir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je crois que vous aurez beaucoup de mal à faire
admettre aux collectivités territoriales que, une fois le système intégré dans
la DGF, il n'y aura pas, sur celle-ci et sur cette compensation, les mêmes
manipulations que celles que nous avons connues par le passé.
Et puis la croissance par la consommation, cela signifie l'augmentation de la
masse salariale, c'est-à-dire l'évolution très positive de ce dont vous privez
les collectivités territoriales, avec, comme par hasard, une référence centrée
sur 1997.
De la même manière, vous pensez compenser la diminution des droits de mutation
à partir de références anciennes.
Autrement dit, les références sur lesquelles vous vous appuyez sont
antérieures au retour à une évolution positive. Puis-je me permettre de vous
rappeller que c'est ce que les collectivités territoriales ont connu
lorsqu'elles ont reçu, par exemple, la compétence des lycées, après que l'Etat
eut arrêté pendant deux ans d'en construire un seul et calculé sa compensation
à partir de cette période ? Je me souviens d'avoir commis un rapport sur ce
sujet pour le compte de l'observatoire des finances locales.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez dit que, de 1992 à 1997, l'évolution
de la masse salariale avait été de 10,5 % et que la compensation, telle que
vous la calculez, aurait été de 12 %. Je vous ferai remarquer que vous avez
choisi, comme par hasard, la plus mauvaise période de référence pour
l'évolution de la masse salariale et la meilleure période de référence pour le
reste.
Dans le même temps, le Gouvernement auquel vous appartenez fait reposer toute
l'évolution des finances locales et toute la perspective de dynamisme sur la
notion d'intercommunalité.
Or les zones communautaires n'en sont encore qu'au stade de la mise en place,
surtout en milieu rural. Et c'est sur ces zones que vont éventuellement venir
s'implanter des entreprises, au bénéfice de tous.
Autrement dit, vous fondez votre intercommunalité sur des entreprises qui
s'installeront dans des zones que l'on crée en ce moment. Où est la référence
1997 pour celles-là ? Comment pouvez-vous croire une seule seconde que les
collectivités territoriales vont être en mesure de développer une politique
intercommunale d'expansion économique quand vous commencez par supprimer d'un
trait de plume 35 %, en moyenne, parfois davantage, des retombées fiscales
qu'elles sont susceptibles d'attendre ?
Comment cela va-t-il se passer ?
Comment pouvez-vous imaginer que les dispsoitions que vous nous demandez de
prendre maintenant seront compatibles avec les textes relatifs à l'aménagement
du territoire et à l'intercommunalité que vous allez nous présenter dans quatre
ou cinq mois ?
Pour ma part, je suis persuadé qu'il y a une contradiction de fond et que,
malheureusement - mais j'ai adressé le même reproche aux gouvernements de
droite - vous êtes en train de légiférer au niveau des intentions plus qu'au
niveau du réel soutien à l'économie.
Cela me désole profondément parce que j'aimerais qu'un jour nous arrivions à
dépasser nos clivages politiques pour mener une vraie politique d'assistance à
la croissance. Mais nous n'y parviendrons sûrement pas en décourageant les
collectivités locales, qui vont être à la fois, d'une certaine manière,
bénéficiaires et victimes des investissements dont elles ont besoin et dont les
entreprises ont besoin.
Pour l'heure, je crains de voir une contradiction fondamentale dans la
démarche du Gouvernement. C'est une des raisons pour lesquelles j'aurai
beaucoup de mal à voter ce projet de budget, à moins que les discussions et les
navettes successives ne permettent d'y apporter des modifications
substantielles. Malheureusement, je n'y crois qu'à moitié.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
tout pays qui renonce à poursuivre son effort pour développer ses
investissements et ses infrastructures est un pays qui abandonne ses ambitions
et le rôle qu'il entend jouer dans le concert des nations.
Sous cet angle, quel jugement peut-on porter sur le projet de budget pour 1999
? Il est largement pessimiste, voire totalement négatif.
Ce gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, comme tous les gouvernements
socialistes qui l'ont précédé, a d'excellentes dispositions pour ponctionner et
redistribuer les richesses, pour revaloriser, réhabiliter et augmenter les
dépenses publiques - tout particulièrement les dépenses de fonctionnement -
ainsi que pour créer des taxes nouvelles.
Mais, bien entendu, vous avez une faiblesse, qui est la contrepartie de cette
tendance à la dérive des dépenses de fonctionnement : vous procédez à
l'ajustement des finances publiques par la réduction des dépenses
d'investissement qui sont de la compétence de l'Etat.
Du point de vue macro-économique, l'investissement est créateur de richesses
et d'emplois futurs. Ce sont des notions simples, que chacun a bien assimilées
depuis longtemps, au moins dans notre assemblée.
Dans son excellente étude, notre rapporteur général cite Jacques Méraud, qui,
dans son analyse sur les collectivités locales et l'économie nationale,
souligne que, « dans le cas des administrations locales, ce sont les variations
de l'investissement qui influent le plus sur la croissance nationale, et cela
dans un sens positif : plus l'investissement public local augmente, plus le PIB
est stimulé ». Il ajoute : « On observe un effet stimulant analogue de
l'investissement des administrations locales sur la productivité et l'emploi du
secteur privé. Il y a là une manifestation significative de ce que l'on appelle
la "croissance endogène" ».
Si je parle d'abord de l'investissement public local, c'est qu'il a désormais
dépassé, et de loin, le montant des investissements civils de l'Etat.
Vous avez heureusement préservé, au moins avant la régulation budgétaire -
nous verrons après ! - les dépenses militaires en capital, qui s'élèveraient en
1999 à 86 milliards de francs, soit une croissance de 6,2 %. En revanche, les
dépenses civiles de l'Etat, à structure budgétaire constante, s'établiraient à
72 milliards de francs, soit une diminution de 0,3 %.
Je ne m'arrêterai pas sur le fait que toutes ces dépenses sont exclusivement
financées par l'emprunt - M. le rapporteur général l'a dit - emprunt qui, au
passage, finance également des dépenses de fonctionnement : voilà, à nos yeux
d'élus locaux, le comble des turpitudes financières, nous qui sommes sous la
surveillance constante et sourcilleuse des chambres régionales des comptes...
(M. le rapporteur général fait un signe d'assentiment.)
Je tiens tout de même à souligner que votre recours à l'endettement est tel
que vous êtes contraint de réduire tous les secteurs de l'investissement.
Si l'on observe votre situation budgétaire au 31 août 1998, les dépenses
civiles en capital ont baissé en un an de 13,1 % par rapport au mois d'août
1997, donc après votre arrivée aux affaires, alors que les dépenses ordinaires
ont augmenté pendant la même période de 2,4 %.
Comme l'a souligné encore M. le rapporteur général, vos deux véritables
priorités budgétaires sont les interventions sociales et les rémunérations
publiques, auxquelles s'ajoutera prochainement l'explosion programmée des
retraites des fonctionnaires, que vous commencez à camoufler en autorisant la
Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL,
à emprunter pour équilibrer ses comptes, que vous avez auparavant
volontairement déséquilibrés.
En tant que rapporteur pour avis de la commission des finances du projet de
loi sur le financement de la sécurité sociale pour 1999, j'ai souligné
l'étonnante tromperie qui consiste à faire croire que vous maîtrisez
l'évolution des dépenses sociales alors que le taux directeur de l'objectif
national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, qui a été fixé en 1997 à 1,7
%, s'est élevé à 2,2 % en 1998, et à 2,6 % en 1999. Voilà ce que l'on appelle
une courbe de maîtrise des dépenses !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ce n'est pas vraiment cela !
M. Jacques Oudin.
Mais, si le taux de 1997 a été respecté, celui de 1998 sera réalisé à hauteur
de 3,4 %, ce qui enlève déjà toute signification au taux directeur prévu pour
1999.
Rapporteur spécial des crédits du ministère de la santé et de la solidarité,
je m'étonnerai dans quelques jours, à cette tribune, en concordance avec les
observations de la Cour des comptes, de constater la croissance constante de
certaines prestations, comme celle du RMI, en dépit de l'évolution positive de
la conjoncture et de l'emploi, comme le rappelait voilà quelques instants ici
même M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Tout cela pour souligner, monsieur le secrétaire d'Etat, que, non seulement
vous n'avez aucune volonté de maîtriser la croissance des dépenses de
fonctionnement mais que, de surcroît, vous vous évertuez à les stimuler.
Le résultat d'une telle politique est donc de freiner, de réduire et de
diminuer les crédits d'investissement de l'Etat, et cela dans à peu près tous
les domaines et pour tous les budgets que nous aurons à examiner au cours des
prochains jours.
Cet hémicycle a déjà retenti des protestations et des récriminations de nos
collèges au sujet de la capacité de l'Etat à respecter ses engagements en ce
qui concerne les contrats de plan avec les régions. Notre assemblée s'est
également émue de votre volonté affichée de modifier à la baisse les
investissements dans les secteurs vitaux pour le développement économique futur
de notre pays.
Deux commissions d'enquête sénatoriales ont été constituées et ont élaboré des
rapports dont la qualité n'a fait l'objet d'aucune critique, tant pour le
diagnostic que pour les propositions. Il s'agissait de la commission d'enquête
sur l'énergie et de celle sur les grandes infrastructures, c'est-à-dire les
autoroutes, le rail et les voies fluviales.
Toutes les études que nous avons effectuées convergent malheureusement sur une
analyse pessimiste de l'évolution future de nos investissements structurants et
sur la volonté affichée du Gouvernement de limiter, voire de réduire ses
efforts dans ces domaines.
Or il s'agit, je le répète, de l'avenir de notre pays et de sa place au coeur
de l'Europe, car la géographie en a fait, c'est ainsi, une plaque tournante ou
une plaque centrale dans de nombreux secteurs, plus particulièrement dans celui
des transports.
De même que, durant les siècles passés, la France s'est bâtie autour de ses
infrastructures routières et ferroviaires, de même, au cours des décennies
futures, l'Europe se construira autour de son réseau autoroutier, de son réseau
ferré à grande vitesse, de son réseau aérien, et, partiellement, de son réseau
fluvial et portuaire.
Je laisserai de côté, pour m'en féliciter, la décision prise par votre
gouvernement - vous voyez que je suis objectif - de confirmer l'extension de
l'aéroport Roissy - Charles-de-Gaulle grâce à l'aménagement de deux pistes
supplémentaires, qui permettront d'en faire l'un des principaux centres
européens de transit et de répartition de trafics.
En revanche, que dire de la lenteur avec laquelle, faute de moyens financiers
adéquats, se développe le réseau ferré à grande vitesse ? L'est, si cher au
coeur du président Poncelet, n'est toujours pas desservi ; nos amis espagnols,
qui m'ont reçu récemment, attendent que la liaison Perpignan - Figueras soit
achevée ; et nos amis bretons ont les mêmes impatiences.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Quant à la liaison Rouen -
Alençon...
M. Jacques Oudin.
N'en parlons pas !
(Sourires.)
Le projet de canal Rhin-Rhône a été abandonné, et ainsi s'est évanouie une
grande ambition nationale. Les autres aménagements prévus tels que les liaisons
Seine-Est et Seine-Nord, chères également au coeur de notre rapporteur
général,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout à fait !
M. Jacques Oudin.
... avancent presque aussi lentement... qu'une péniche à l'arrêt !
Quant à notre réseau fluvial, il est dans un état d'entretien qui nous place
en queue des pays européens.
Parmi les autres grandes infrastructures de transport, il y a les autoroutes.
J'ai eu la chance, dans ma carrière, monsieur le secrétaire d'Etat, de
commencer à travailler auprès d'un des grands aménageurs de notre territoire,
Olivier Guichard. Partie très en retard par rapport à ses voisins européens, la
France a mis au point un dispositif efficace qui lui a permis d'aménager des
milliers de kilomètres d'autoroutes concédés.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Exact !
M. Jacques Oudin.
Ce réseau est loin d'être achevé, mais il a un triple objet qui en fait un
outil essentiel dans la compétitivité globale de notre économie.
Premièrement, il doit permettre de désenclaver les régions éloignées ou
difficiles d'accès, en particulier les zones littorales ou les zones
montagneuses.
Deuxièmement, le projet vise à faciliter le développement économique, car les
systèmes de production et de stockage ont évolué de telle façon que les pièces
ou les produits finis sont davantage sur la route et l'autoroute que dans les
hangars ou sur les chaînes de production. Il n'y a plus guère d'entreprises qui
acceptent désormais de s'implanter ou de se développer si elles ne sont pas
situées à proximité d'un échangeur autoroutier ou d'une voie rapide.
Enfin, troisièmement, ce réseau tend à relier la France à l'Europe, car notre
pays a vocation, ai-je dit, à être la plaque tournante autoroutière de
l'Europe. C'est une évidence que comprennent bien nos amis espagnols,
portugais, anglais, belges, allemands, hollandais ou italiens. Je souhaite que
les autorités françaises en soient toujours persuadées.
Car il est évident que, dans un marché unique qui se développe, qui voit les
échanges croître plus vite que les richesses nationales et la part de la route
s'accroître au détriment de tous les autres modes de transport, il est
indispensable d'achever au plus vite notre réseau autoroutier.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Absolument !
M. Jacques Oudin.
En 1994, le Gouvernement s'était engagé à l'achever en dix ans, pour 2005
donc. Cet objectif est désormais totalement abandonné.
En effet, nous savons depuis longtemps - cela ne date pas d'aujourd'hui - que
les directions de votre ministère, que ce soit celle du budget ou celle du
Trésor, ne sont pas favorables aux autoroutes.
(M. le secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)
Nous savons aussi,
et c'est un comble, que le ministère de l'aménagement du territoire et de
l'environnement leur est hostile. Nous savons encore que le ministère des
transports ne porte d'intérêt qu'au réseau ferroviaire. Nous savons, dans ces
conditions, que 1 587 kilomètres d'autoroutes ont été soit reportés, soit
retardés, soit annulés. J'ai lu, à cette tribune, le 7 avril dernier, la liste
de toutes les sections menacées : personne ne m'a contredit !
Pour justifier son hostilité aux autoroutes, le Gouvernement a avancé toutes
sortes d'arguments, qui sont tous indéfendables.
On nous a ainsi expliqué que les autauroutes étaient trop chers, car leur coût
au kilomètre avait augmenté de 40 % en cinq ans. C'est exact, mais c'est nous -
Gouvernement et Parlement - qui l'avons voulu en votant des contraintes
nouvelles issues des lois sur les paysages, sur le bruit et sur l'eau.
On nous a de même expliqué que les sociétés d'autoroutes avaient un déficit de
150 milliards de francs et ne pourraient pas faire face à leurs échéances : on
a confondu tout simplement endettement et déficit. Vous savez bien qu'une
section d'autoroute atteint le « grand équilibre » financier si son trafic est
égal à 20 000 véhicules par jour. Or la moyenne du trafic journalier de tout le
réseau concédé est de 25 000 véhicules par jours. Ce réseau est donc
rentable.
Certes, certaines sections sont déficitaires et d'autres excédentaires. C'est
la raison pour laquelle le gouvernement d'Edouard Balladur avait réformé, le
système autoroutier entre 1993 et 1994, en regroupant les sociétés et en
aménageant le système de péréquation des péages. Cela a permis de donner une
impulsion décisive à la mise en chantier de nouvelles sections
autoroutières.
Vous vivez encore sur cet acquis, mais la décroissance des mises en service va
apparaître rapidement.
On nous a encore expliqué que le système français était contraire aux règles
européennes, mais le rapport de la commission d'enquête du Sénat a fait justice
de cette affirmation.
Or, curieusement, on ne nous a jamais parlé de la sécurité renforcée que
procurent les autoroutes, alors même que le Gouvernement tient de grands
discours généreux sur la sécurité routière.
Pourtant, chacun sait qu'une autoroute est cinq fois plus sûre qu'une route
normale et plus sûre qu'une voie rapide traditionnelle. Supportant près de 20 %
du trafic national, les autoroutes engendrent moins de 3 % des tués sur les 8
000 que l'on compte annuellement dans les accidents de la route.
N'oubliez jamais, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un kilomètre d'autoroute
en moins, c'est souvent un mort en plus !
Au nombre des autres grands renoncements de la politique gouvernementale, je
citerai l'abandon de notre ambition maritime.
Le Parlement avait voté, en juillet 1996, la loi sur le financement des parts
de copropriétés de navires, les fameux quirats. J'avais été modestement un des
acteurs de cette réforme présentée par M. Bernard Pons.
En décembre 1997, soit dix-huit mois plus tard, ces dispositions étaient
abrogées, faisant ainsi de la France un des champions du « yo-yo fiscal »,
c'est-à-dire de l'incertitude fiscale.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Par pure idéologie !
M. Jacques Oudin.
Pendant sa très brève existence, ce nouveau système fiscal avait suscité un
intérêt évident et l'on voyait renaître notre développement maritime. Près de
cinquante projets avaient été préparés, dont une vingtaine de navires de
commerce. Tout cela a donc été quasiment annulé, quasiment, car il y a un
dispositif de remplacement, mais il n'a plus qu'un intérêt limité.
Votre méthode, qui consiste à abroger par un simple article de la loi de
finances ce que le Parlement a mis des mois et des semaines à élaborer après de
nombreux débats, me paraît particulièrement méprisante à l'égard du travail
parlementaire.
Quant aux ambitions que nous avions mises dans le développement de nos
programmes portuaires, elles ont également été limitées, au point que la France
continuera à être à la remorque des grands ports de la mer du Nord. Limités
dans leurs accès autoroutiers et ferroviaires, nos ports font figure de parents
pauvres à l'échelon européen.
Un dernier mot sur notre flotte de commerce : la France est la quatrième
puissance exportatrice, sa flotte occupe le vingt-huitième rang mondial, je
crois, après celle des Chypriotes. Cela se passe de commentaires.
Je conclurai mon propos, monsieur le secrétaire d'Etat, en vous parlant
d'histoires d'eau.
(Sourires.)
M. Denis Badré.
Allons bon !
M. Jacques Oudin.
L'article 30 de votre projet de loi de finances créant la TGAP, la taxe
générale sur les activités polluantes, suscite des interrogations qui se
transforment vite en inquiétudes dès que l'on perce les intentions du
Gouvernement. Certes, regrouper des taxes et simplifier un dispositif peut être
louable en soi. Mais s'il s'agit, là encore, de modifier par un simple article
d'une loi de finances...
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Mais c'est le rôle de la loi de finances !
M. Jacques Oudin.
... les dispositifs débattus et mis en place par cinq lois votées par le
Parlement, le procédé nous paraît un peu cavalier.
Quand, de surcroît, il s'agit de centraliser toutes ces ressources auprès du
Trésor, alors que le Parlement avait souhaité les affecter à un organisme
déterminé, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME,
pour remplir des missions spécifiques, cela nous paraît tout à la fois
dangereux et inadapté au regard des objectifs poursuivis.
Quand, enfin, le Gouvernement annonce qu'il envisage d'étendre ce système,
l'an prochain, à toutes les agences de l'eau et de reprendre ainsi, au moins,
12 milliards de francs, cela nous paraît inacceptable.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Recentralisation !
M. Jacques Oudin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il existe, dans notre pays, deux secteurs
d'investissements publics qui fonctionnent bien car ils s'autofinancent. Le
premier, c'est le secteur autoroutier car les dépenses sont gagées par les
recettes futures des péages.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Pas toujours !
M. Jacques Oudin.
Le second, c'est le secteur de l'eau car les investissements nécessaires et
considérables sont largement financés par les redevances perçues par les
agences de l'eau.
Pendant la décennie quatre-vingt, les investissements dans le secteur de l'eau
ont baissé. Nous nous trouvions, à cette époque, dans une situation difficile.
C'est le gouvernement de Michel Rocard qui a redressé la situation avec la loi
sur l'eau de 1992 et le Ve programme des agences de l'eau. L'oeuvre engagée a
été poursuivie par les gouvernements d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé. De 40
milliards de francs de travaux pour le Ve programme, les investissements ont
atteint 90 milliards de francs pour le VIe programme et s'élèveront à 105
milliards de francs pour le VIIe programme.
Dans les deux cas, recettes de péages et redevances sur l'eau, vous avez été
et vous êtes toujours tentés de centraliser ces ressources au niveau du Trésor.
Cela peut se comprendre quand on a la responsabilité de gérer un déficit
budgétaire de 236 milliards de francs.
La méthode est toujours la même. Pour le secteur routier, vous aviez envisagé
de créer une holding « Routes de France » qui aurait centralisé les recettes de
péages et les crédits routiers - qui, au demeurant, baissent de 10 % dans le
projet de budget pour 1999 - pour répartir, ensuite, pour partie, ces crédits
sur l'ensemble du réseau routier. C'est l'exemple même d'une politique de
saupoudrage, opposée à une politique d'équipements structurants.
Pour l'eau, toutes les redevances devraient aller au Trésor mais seule une
partie retournerait au financement des investissements destinés à l'eau. Cette
fuite, cette perte en ligne due à l'affectation de ces ressources à d'autres
usages que l'eau a été baptisée du nom pompeux de « double dividende » : c'est
la plus vaste escroquerie intellectuelle qui ait jamais été présentée au
Parlement !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Oh !
M. Jacques Oudin.
Bref, ne vous étonnez pas, dans ces conditions, monsieur le secrétaire d'Etat,
que la commission des finances du Sénat ait décidé de supprimer l'article
30.
Certes, tout dispositif peut être amélioré. Cela est certainement le cas des
agences de l'eau. Mais elles ont permis à la France de faire des progrès
considérables, de bâtir, avec nos grandes entreprises spécialisées, une « école
de l'eau » parmi les plus performantes du monde, de mettre en oeuvre des
dispositifs que l'Europe et les autres pays souhaitent transposer avec ces
trois principes essentiels : une gestion décentralisée par bassin, une gestion
démocratique avec tous les usagers, un autofinancement et une adéquation entre
les recettes et les dépenses à l'échelon local.
C'est l'ensemble de ce dispositif que vous détruirez en procédant à une
centralisation, source d'évasion financière, au mépris de ce que la nation et
son Parlement ont souhaité en votant, à l'unanimité, les lois de 1964 et de
1992.
Enfin, je ne dirai qu'un mot d'une inquiétude à long terme : notre capacité à
maintenir notre potentiel électronucléaire. Une des premières décisions du
Gouvernement auquel vous appartenez a été d'arrêter Super-Phénix.
A terme, quelle sera votre politique pour le maintien, le renouvellement,
voire le développement, de notre parc de centrales nucléaires ? Nous avons un
des potentiels les plus performants du monde, des équipes de chercheurs et
d'ingénieurs qui font autorité, des capacités d'exportation considérables pour
peu que nous puissions mieux nous associer avec nos amis allemands. En
maîtrisant et en améliorant davantage les techniques de traitement des déchets,
nous avons, nous aurons, avec l'énergie nucléaire une des énergies les plus
écologiques qui soit car elle ne produit pas de gaz à effet de serre.
L'avenir de notre pays est largement conditionné par ses capacités à
investir.
Nous nous réjouissons que l'investissement des entreprises ait repris une
croissance nouvelle.
Nous souhaitons que nos collectivités locales puissent continuer à disposer
des ressources suffisantes afin de poursuivre leur politique d'aménagement.
Nous critiquons vivement l'incapacité de l'Etat à maintenir son effort
d'investissement pour compenser son laxisme en matière d'augmentation des
dépenses de fonctionnement.
Bref, pour toutes ces raisons, vous le pensez bien, monsieur le secrétaire
d'Etat, il nous est impossible de voter un tel projet de budget.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous vous étiez fixé deux objectifs lors de la
présentation des orientations budgétaires : le ralentissement de la dette et
une progression limitée des dépenses publiques.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Il y en avait d'autres !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Vous aviez également prévu le redéploiement des crédits existants et de
nouvelles sollicitations des comptes du Trésor, avec une pression fiscale ne
devant pas s'accroître, des réformes modestes en matière de fiscalité du
patrimoine et des réformes plus marquées mais plus contestables en ce qui
concerne la fiscalité locale.
Ces objectifs ont été tenus, mais les propositions faites constituent un
projet de loi de finances pour 1999 comportant des mesures qui, pour la plupart
d'entre elles, sont inspirées par des intentions de progrès, mais qui manquent
de détermination dans l'expression et le chiffrage et qui reposent sur un
certain nombre d'incertitudes.
Or, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit du premier projet de budget du
gouvernement de la gauche plurielle issu des élections de 1997. On pouvait
espérer un budget plus important, comportant des réformes de structures plus
vastes, un budget plus généreux en matière d'emploi, de logement et de réponses
aux besoins sociaux.
On aurait pu espérer aussi une réforme fiscale avec un renforcement de
l'efficacité et de la justice sociale par l'impôt sur le revenu, et par la
taxation des revenus financiers par l'extension de l'impôt de solidarité sur la
fortune.
Je ferai donc un certain nombre de remarques.
Première remarque : le périmètre de la loi de finances est élargi de 45,6
milliards de francs, à la suite d'une recommandation de la Cour des comptes.
Des fonds de concours ont été réintroduits dans le budget. Il est juste que les
crédits de paiement des retraites des postiers, des dépenses relatives au
logement, au fonds de soutien aux hydrocarbures soient inscrits au budget
général.
Nous approuvons pleinement cette mesure de transparence. Nous souhaiterions
que soit revue la possibilité dont le Gouvernement dispose pour annuler des
crédits en cours d'exercice, par le jeu de l'article 13 de l'ordonnance du 2
janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Les
gouvernements ne devraient pas être autorisés à amputer les crédits par simple
arrêté, sans avis du Parlement.
Il est juste que l'allocation de parent isolé soit prise en charge par le
budget de l'Etat, et non par la sécurité sociale. Un droit se définit par une
reconnaissance budgétaire. A ce propos, envisagez-vous d'inscrire au budget de
1999 l'allocation de rentrée scolaire exceptionnelle de 1 600 francs par enfant
perçue par certaines familles ? Il y a certainement encore d'autres dépenses
qui doivent être inscrites au budget de l'Etat.
Ma deuxième remarque est plus politique. L'inscription de votre démarche
budgétaire dans le respect des critères de convergence de l'Union européenne
aura pour conséquence de limiter la portée de mesures nouvelles des titres IV,
V et VI de la deuxième partie, mais aussi de marquer la conception générale de
la fiscalité dans notre pays et son devenir. Cela sera perceptible en ce qui
concerne les droits d'accises sur les produits pétroliers et la fiscalité de
l'environnement et du patrimoine.
Ma troisième remarque porte sur l'incertitude de certaines ressources liées à
la croissance espérée. Cette incertitude est fondée sur un taux de croissance
de 2,7 % en 1999, alors que l'OCDE se montre plus réservée et que la plupart
des organismes de prévisions le situent plutôt au niveau de 2,3 %.
Incertitude également, qui a été expliquée clairement par M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, sur le point de savoir si la
France et l'Europe seront capables de maintenir le taux de croissance actuelle
pendans les cinq années à venir. Nous pensons qu'une revalorisation du Smic,
des pensions, des salaires, des minima sociaux, une baisse de TVA sur les
produits de consommation courante seraient autant de moyens efficaces pour
garantir cette croissance.
Ma quatrième remarque porte sur les faiblesses des modifications de structures
pour faire avancer une politique de gauche.
M. Lionel Jospin a écrit : « Il s'agit d'équilibrer par la politique et
l'action de l'Etat les déséquilibres que produit le capitalisme. L'économie de
marché oui, une société de marché non. »
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Belle formule !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
L'existence d'une fiscalité nouvelle fondée sur l'équité, la sincérité des
ressources et la transparence dans l'imposition nous paraît être un élément
premier des réformes de structures.
Après ces remarques, je voudrais, au nom du groupe communiste républicain et
citoyen, formuler un certain nombre d'interrogations.
Il est vrai que, jusqu'à ce projet de budget, la tendance consistait plutôt à
polariser les fruits de la croissance en direction des plus grandes
entreprises, des contribuables les plus aisés et de la spéculation
financière.
Nous constatons avec intérêt que la philosophie générale qui sous-tend le
projet de loi de finances et que nous soutenons se fonde beaucoup plus sur la
recherche d'une croissance économique réelle appuyée sur le développement de la
demande intérieure.
Nous observons de manière positive les mesures de réduction de la TVA sur les
abonnements EDF et GDF, ou encore l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir
pour les particuliers.
Pourquoi ne retenez-vous pas notre proposition de réduction de TVA sur
d'autres produits, notamment les produits alimentaires courants ? Je pense,
entre autres produits, au chocolat.
Pourquoi ne voulez-vous pas réduire la TVA sur les services funéraires, sur
l'utilisation des installations sportives, sur l'énergie calorifique fournie
par les réseaux de chaleur ? Pourquoi ne voulez-vous pas exonérer de taxe sur
les salaires les associations à but non lucratif ? Vous le savez, ces
réductions favoriseraient l'emploi.
De la même façon, nous apprécions positivement les mesures concernant
l'imposition sur les grandes fortunes.
Pourquoi ne voulez-vous pas aller encore vers plus de justice fiscale en
prenant en compte les biens professionnelles et les oeuvres d'art dans
l'assiette de l'ISF ? Et pourquoi refuser de modifier le plafond ?
Ces mesures, nous vous les proposerons de nouveau car ce sont des mesures de
justice fiscale et elles pourraient rapporter des montants intéressants, comme,
d'ailleurs, la taxe sur les opérations d'achat ou de vente des dévises
étrangères.
Une autre interrogation forte porte sur la fiscalité locale, Monsieur le
secrétaire d'Etat, vous avez relancé le débat sur la réforme de cette fiscalité
liée au devenir des relations de l'Etat avec les collectivités locales.
Les principales mesures fiscales que vous proposez, qui génèrent un coût pour
l'Etat, portent sur la question de la compensation des allégements de fiscalité
locale annoncée : plus de 8 milliards de francs sont consacrés à l'allégement
des droits de mutation à titre onéreux perçus par les régions et par les
départements, et la réforme engagée de la taxe professionnelle par suppression
de la part sur les salaires dans l'assiette de la taxe, représente, en valeur
nette, un peu moins que cette somme.
Une question est posée. Vous prétendez que la réduction puis l'extinction de
la part sur les salaires auront des répercussions sur l'emploi. Nous vous
demandons de préciser votre position, monsieur le secrétaire d'Etat.
Selon le rapport Migaud, cette mesure permettrait de créer environ 25 000
emplois, ce qui est bien peu au regard des besoins. Mais si à l'issue de la
première année les collectivités territoriales ne perdront rien, qu'en
sera-t-il ensuite ?
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, les élus sont très inquiets en
ce qui concerne la pérennité de la mesure. Les finances locales sortent d'un
purgatoire de trois ans dû au pacte de stabilité.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Il faut le dire !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Le bilan est désastreux : 7 milliards de francs ont été perdus sous le
gouvernement de M. Juppé, alors que l'on aurait pu récupérer 19 milliards de
francs supplémentaires si les collectivités territoriales avaient pu bénéficier
des fruits de la croissance.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre proposition visant à faire progresser de
2,75 % la dotation globale de fonctionnenment ne nous satisfait pas. Le taux de
la dotation de compensation de la taxe professionnelle baissera de 11,2 %, sauf
pour les communes bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine ou de la
dotation de solidarité rurale. La perte globale sera tout de même de 7,4 %. La
dotation de compensation de la taxe professionnelle diminuera plus en un an que
durant le pacte de stabilité. Si le maintien en 1999 du taux de cotisation à la
CNRACL, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales,
nous agrée, cela ne devrait pas vous dispenser de remettre en cause
compensation et surcompensation.
En fait, monsieur le secrétaire d'Etat, les solutions que vous proposez sont
des solutions d'attente.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous êtes bien bonne !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
La suppression pendant cinq ans de la part sur les salaires dans le calcul de
la taxe professionnelle se traduira par un transfert de 54 milliards de francs,
mais celui-ci ne sera que très partiel.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous regretterez votre bienveillance, madame Beaudeau
!
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il s'effectuera donc au détriment des finances locales. A terme, la taxe
professionnelle sera payée à 60 % par les contribuables.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les collectivités locales perdront un sixième de leur pouvoir fiscal, monsieur
le secrétaire d'Etat.
MM. Alain Lambert,
président de la commission des finances,
et Philippe Marini,
rapporteur général.
Et voilà !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
En modifiant la taxe professionnelle, vous soulagez, c'est sûr, les finances
patronales.
(M. le président de la commission des finances rit.)
Vous
allez porter un coup sévère à la vie de nos communes, qui perdront le pouvoir
de décider d'une partie de leur impôt.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Absolument !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Perdant le pouvoir de percevoir pleinement la taxe professionnelle, les
communes perdront une part importante de leur pouvoir de décision. C'est
indéniable !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est très juste !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
La taxe professionnelle, c'est l'âme et l'arme de beaucoup de communes
françaises. Je voudrais vous faire une suggestion, monsieur le secrétaire
d'Etat : l'ensemble des actifs financiers représentait 26 000 milliards de
francs en 1997, soit dix-huit fois le budget de l'Etat. Là, M. le rapporteur
général ne dit plus que j'ai raison ! Avec un taux d'imposition de 0,3 % de ces
actifs, monsieur le rapporteur général, nous obtiendrions 78 milliards de
francs. Nous dépasserions les 54 milliards de francs qui manqueront aux
communes.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Les actifs risquent de partir !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous aurons l'occasion de redéfinir nos propositions au cours de la discussion
des articles.
A ce propos, je voudrais vous dire, mesdames, messieurs de la majorité
sénatoriale, que vous êtes mal placés pour faire des critiques. N'est-ce pas
vous qui, en 1993, avez enclenché ce processus dévastateur pour les finances
locales en votant la réforme de la DGF, en abaissant le niveau de compensation
de la TVA, grevant les investissements, en abaissant la dotation de
compensation de la taxe professionnelle, en décidant d'un allégement
transitoire de 16 % de la taxe professionnelle, en changeant les règles de
plafonnement des taxes locales et en décidant la quasi-disparition des
exonérations de taxes foncières ?
M. Michel Sergent.
Eh bien...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Cela représente un héritage lourd et un relais difficile à assumer.
(Ah oui
! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Notre honnêteté politique nous conduit à dire ici à la majorité de la
commission des finances et à son rapporteur général qu'ils ne devraient pas
avoir la mémoire aussi courte.
Tout au long du débat, monsieur le secrétaire d'Etat, nous reviendrons, en
défendant nos amendements, sur cette réforme fiscale, pour démontrer que
celle-ci devrait répondre à trois exigences : la justice dans la répartition du
financement de la dépense publique, la redistribution effective des fruits de
la croissance, l'efficacité économique et sociale, avec, bien entendu, la
satisfaction des besoins sociaux pour objectif.
Je voudrais faire une observation s'agissant de la privatisation du Crédit
Lyonnais, monsieur le secrétaire d'Etat.
MM. Alain Lambert,
président de la commission des finances,
et
Philippe Marini,
rapporteur général.
Ah !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Dans sa note de présentation des comptes spéciaux du Trésor, mon ami Paul
Loridant remarque que les recettes affectées au compte d'affectation spéciale
pourraient atteindre 58 milliards de francs, contre 28 milliards de francs
inscrits au projet de budget. Parmi les postes de recettes, on relève les
privatisations d'Air France, du GAN et de France Télécom, mais celle du Crédit
Lyonnais n'apparaît pas.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Très surprenant !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je vous demande donc de nous confirmer qu'il n'est plus dans votre intention
de privatiser le Crédit Lyonnais, la dernière grande banque publique
populaire.
La privatisation signifierait que, après sa remise à flots grâce aux deniers
publics, la bonne banque serait vendue au privé, alors que, en revanche, la
mauvaise banque, celle des actifs compromis gérés par le Consortium de
réalisation, resterait à la charge de la collectivité nationale jusqu'en 2014.
Ni l'Etat, ni les 5 millions de clients du Crédit Lyonnais, ni les salariés qui
souffrent des choix de leurs dirigeants d'hier et d'aujourd'hui, ni les
contribuables n'ont intérêt à ce que l'on poursuive dans une voie socialement
injuste et économiquement dangereuse.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous confirmer que le Crédit
Lyonnais ne sera pas privatisé ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Excellente question !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, nos propositions visent à faire
en sorte que ce projet de budget permette le progrès social et la justice
fiscale. Nous ne suivrons pas la commission des finances,...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Dommage !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quelle déception !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... laquelle envisage au contraire de réduire les dépenses de 26 milliards de
francs.
Nous combattrons les amendements qui réduisent les dépenses publiques et les
dépenses sociales.
Je ne prendrai qu'un seul exemple : dans les charges communes, au chapitre
44-91, vous proposez, monsieur le rapporteur général, une économie de 2,1
milliards de francs sur les crédits d'encouragement à la construction
immobilière. Concrètement, cette réduction porterait sur les primes à la
construction concernant les habitations à loyer modéré, les logements financés
par les prêts spéciaux du Crédit foncier de France, les prêts consentis aux
fonctionnaires, l'amélioration de l'habitat rural, les départements d'outre-mer
et les prêts locatifs aidés.
Nous ne laisserons pas pervertir un budget, qui présente encore pourtant des
faiblesses et des insuffisances, pour en faire un budget d'austérité et de
régression sociale. Notre groupe sera là aux côtés du Gouvernement.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ah !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais, pour terminer, vous demander si
vous confirmez l'organisation d'un débat sur l'évolution du secteur financier
public et le rôle de ce dernier dans l'économie nationale. Une réforme du
crédit est indispensable afin d'inciter les entreprises, les PME, à investir
dans le développement de l'industrie et des services. Comment l'Etat
pourrait-il mettre en oeuvre une telle orientation nationale sans disposer
d'établissements publics lui permettant d'impulser ses objectifs ?
Voilà un thème complémentaire du débat. L'acceptez-vous, et ce bien entendu,
avant la discussion du projet de loi de modification des statuts de la Caisse
d'épargne ?
Cette année, notre débat budgétaire, en plein coeur du mouvement social, sera
inédit et conquérant. Certaines de nos propositions ont déjà été retenues à
l'Assemblée nationale. Nous poursuivrons ici, au Sénat, un débat que nous
voulons franc et positif.
Un budget tenant les engagements, c'est possible, monsieur le secrétaire
d'Etat !
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'examen du projet de loi de finances donne l'occasion de faire le point sur la
politique fiscale que mène le Gouvernement et permet également aux
parlementaires de préciser leurs choix.
Pour quelques instants, je voudrais revenir sur les propos tenus par M. le
rapporteur général à l'ouverture de notre débat, propos confirmés, si je puis
dire, par M. le président de la commission des finances.
Vos arguments contre le projet de budget du Gouvernement et l'esprit qui
préside à votre contre-proposition ne sont pas nouveaux. Ils ont été maintes
fois réaffirmés dans cette enceinte - martelés, oserai-je même dire - par la
majorité sénatoriale, et par la droite dans son ensemble. Je ne vous en fais
pas grief, bien sûr, car je pense que ces propos s'inscrivent au coeur même de
vos convictions, et il est clair que celles-ci restent invariables en matière
fiscale.
Pour vous et vos amis, il faut que régresse de manière impérieuse et sans
relâche le niveau des dépenses de l'Etat.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Des dépenses de fonctionnement
!
M. Marc Massion.
C'est un
leitmotiv
permanent dont vous ne vous fatiguez pas mais qui a
lassé les Français !
En effet, vous êtes intimement convaincu que l'Etat est à l'origine, sinon de
tous les maux de notre société, en tout cas d'un bon nombre.
Cette idée est effectivement ancrée au coeur de la doctrine libérale. Cette
école préfère laisser totalement libre cours à l'intervention du marché, à
l'initiative individuelle et aux modes de financements privés plutôt que de
déveloper des mécanismes de solidarité et d'offrir des services publics
répondant aux besoins de la population.
Mais - faut-il vous le rappeler ? - ce type de choix libéral ne se retrouve
pas dans l'histoire de notre pays, dans l'histoire de la République ! En
revanche, on a une parfaite illustration des effets dévastateurs de cette
politique dans les pays qui ont toujours laissé, tout au long de leur histoire,
le champ libre à ces thèses ; je pense ici, en particulier, aux Etats-Unis.
Je ne peux m'empêcher de rappeler un chiffre publié voilà quelques mois dans
un quotidien : 40 % des Américains qui se situent en dessous du seuil de
pauvreté sont des personnes travaillant ou ayant, dans leur cellule familiale,
quelqu'un qui travaille.
Le fameux
Struggle for life
ne crée pas que des Bill Gates ! La réalité
est bien plus complexe. Il n'y a pas que des créations d'emplois qualifiés ou
suffisamment rémunérateurs pour vivre décemment dans ce pays. Robert Reich
souligne lui-même que les créations d'emplois qualifiés profitent
essentiellement à ceux qui possèdent déjà un haut niveau d'éducation, et il
revendique l'intervention de l'Etat afin de donner à chacun un bagage éducatif
suffisant.
Aujourd'hui, aux Etats-Unis, les écarts de richesse se sont creusés. Ainsi,
la part du PIB perçue par les 5 % les plus riches de la population est
effectivement passée, dans ce pays, de 16,5 % en 1974 à 21,1 % en 1994. Quant à
la part des plus pauvres, elle a, elle, diminué, passant de 4,8 % à 3,6 % !
Qu'il n'y ait pas, toutefois, d'ambiguïté : il ne s'agit pas dans mon esprit
de lancer un quelconque anathème. Tous les choix politiques se respectent en
tout cas, presque tous.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais nous, nous n'avons pas parlé des Etats-Unis !
M. Marc Massion.
Je souhaite seulement que certains de ces choix ne soient pas des exemples
pour notre pays.
Il s'agit, en effet, de savoir ce que l'on veut. Il ne suffit pas de dire
qu'il y a trop de dépenses publiques. En fait, les tenants du libéralisme
critiquent non pas tellement les dépenses en elles-mêmes, mais bien plutôt le
fait qu'elles soient publiques, c'est-à-dire payées, au travers du budget de
l'Etat ou des autres administrations publiques, par l'impôt des contribuables.
Il est important de le souligner parce que les dépenses dont il est question
correspondent à des besoins indispensables pour la quasi-intégralité de nos
concitoyens.
N'oublions pas que le budget de l'Etat est donné comme incompressible pour une
part substantielle de ses dotations.
M. Alain Lambert,
président de la commission de finances.
C'est bien son drame !
M. Marc Massion.
Le taux de 90 % est souvent cité. Quel que soit le niveau où l'on mettra le
curseur, et sans entrer dans des débats d'experts, qui ira dire que notre pays
a trop d'instituteurs, d'infirmières, de juges, ou de policiers ? J'oserai dire
personne ! D'ailleurs, l'opposition elle-même est fort peu prolixe lorsqu'on
l'interroge pour savoir où elle souhaite réaliser des coupes budgétaires,
...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous le disons !
M. Marc Massion.
... d'autant que nos collègues tenants de cette politique au Parlement se
gardent bien, le plus souvent, de l'appliquer dans les collectivités
territoriales qu'ils dirigent. Mieux même, et évidemment quand le Gouvernement
est de gauche, on voit ici et là des voeux émis et des motions votées pour
demander, à la suite de telle ou telle difficulté locale, plus de policiers,
plus d'infirmières, plus d'enseignants.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
C'est vrai !
M. Marc Massion.
Et pourtant, j'entends depuis toujours déclarer par la majorité sénatoriale,
surtout d'ailleurs quand elle est dans l'opposition, qu'il convient de «
s'attaquer aux composantes les plus rigides de la dépense publique, en
particulier les dépenses de la fonction publique ».
Qui ira dire que les remboursements de sécurité sociale sont trop élévés ou
que l'on pourrait se passer de bon nombre de services publics municipaux ou
encore qu'il convient de diminuer les interventions économiques de l'Etat dont
le rôle est d'être contracyclique et donc bénéfique en terme de croissance ?
En France, personne n'est réellement jamais passé aux actes en s'attaquant à
de prétendus « gisements » où l'argent public serait affecté à des missions
stériles, voire néfastes, improductives au niveau tant social qu'économique.
Pour ma part, je pense que la raison en est qu'une telle entreprise n'est
possible qu'à l'extrême marge.
Nous croyons, en revanche, à la nécessité d'améliorer l'efficacité de la
dépense publique. Cela relève d'une tout autre démarche qui consiste à redonner
encore plus de poids et d'effet à l'action publique : en clair et en tout cas,
faire mieux et non pas faire moins.
Malheureusement pour elle mais heureusement pour le pays, à chaque fois que la
droite est au pouvoir, ses discours ne sont pas suivis d'actes. Non seulement
le niveau des prélèvements obligatoires s'accroît - la période 1993-1997 en est
un exemple criant - mais le volume des dépenses n'est nullement maîtrisé à la
baisse.
Je ne reviendrai pas sur le détail de l'audit réalisé voilà un an et demi lors
du retour de la gauche au pouvoir.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il faisait de bonnes
préconisations.
M. Marc Massion.
Cet audit illustrait bien ces dérapages, ce dont tout le monde se souvient
encore.
C'est comme si, d'une certaine manière, vous n'osiez pas aller jusqu'au bout
de vos convictions, qui sont sincères, j'en suis sûr, mais qui sont très
difficiles à mettre en oeuvre dans notre pays où chacun a une bonne conscience
des atouts dont il dispose, en matière de service public en particulier, et
qu'il souhaite préserver. Dès lors, quel jugement convient-il d'apporter ?
Faut-il considérer que ce que vous dites est critiquable en soi, ou bien que
c'est critiquable parce que vous ne faites pas ce que vous dites ?
J'ai envie de répondre doublement de façon positive. Cela ne signifie pas que
votre démarche soit paradoxale. Mais je crois seulement que votre discours, qui
est bien sûr l'expression de votre pensée, ne peut être transformé en actes
contre la volonté de la population.
Concernant le niveau des prélèvements obligatoires, je pense qu'il serait
enfin temps que les responsables politiques de droite dans notre pays arrêtent
de nous faire le reproche d'augmenter systématiquement les impôts. D'une part,
parce que cela fait maintenant près de quinze ans que nous nous appliquons à
les réduire et que nous y réussissons, d'autre part, parce que, bien qu'elle
souhaite les baisser, la droite les augmente quand elle est au pouvoir.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres, que personne ne peut objectivement,
voire honnêtement, contester.
Je sais bien, chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous vous
efforcez toujours d'expliquer que si la gauche peut baisser les impôts, c'est
grâce à la gestion passée de la droite et que si la droite augmente les impôts,
c'est à cause des prétendues erreurs de la gauche.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La tendance est pourtant là !
M. Marc Massion.
Je dirai seulement que ce raisonnement requiert beaucoup d'acrobaties
intellectuelles qui ne trompent pas - ou en tout cas plus - les Français.
Pour notre part, nous assumons notre politique, qu'elle offre de bons ou de
moins bons résultats et, pour l'instant, force est de constater que cela va
plutôt dans le bon sens.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il y a des hauts et des bas !
M. Marc Massion.
Vouloir baisser les prélèvements obligatoires est une orientation qu'il est
souhaitable d'envisager non par principe mais parce que c'est un choix
politique possible.
Les comparaisons internationales des recettes publiques des différents pays
dans le monde sont toujours à prendre avec beaucoup de circonspection, parce
que, en regard de ces recettes, les systèmes de dépenses publiques ne sont pas
homogènes entre ces pays. Il est donc illusoire de vouloir séparer ces deux
volets - les recettes et les dépenses - qui n'ont de sens que reliés l'un à
l'autre.
Les impôts servent une politique et, partant, un choix de société. Certes, les
contribuables les plus aisés ne reçoivent jamais autant que ce qu'ils donnent.
Mais est-ce critiquable ? Je ne le pense pas. C'est le principe même de la
solidarité !
La question est moins de baisser l'impôt que de se demander quel impôt doit
être baissé. Certes, si l'on choisit, comme le fait en général l'opposition, de
baisser l'impôt pour les plus riches, ces derniers étant moins nombreux que les
autres, il est possible d'envisager des baisses d'impôt individuelles et
substantielles. Cela a été le cas de la dernière réforme du barème de l'impôt
sur le revenu en 1996, qui a bien profité à ceux qui en ont bénéficié. Sauf
qu'au total la moitié de la population - ceux de nos concitoyens qui sont les
plus modestes - en a été écartée.
En revanche, si l'on souhaite abaisser l'impôt pour le plus grand nombre, une
telle politique a un coût élevé - c'est vrai - et ne passe pas forcément par
des baisses d'impôt substantielles pour chacun. C'est pourtant cette politique
qu'il convient de mettre en oeuvre, pour des raisons de justice mais aussi
d'efficacité économique : l'orientation de la présente loi de finances est là
pour le démontrer.
La croissance d'un pays n'est pas uniquement alimentée par les couches les
plus aisées de la société. Au contraire, même, la demande intérieure dépend
essentiellement des couches modestes et moyennes de la population : le nombre
compense la moindre ampleur du pouvoir d'achat individuel.
L'efficacité économique peut aller de pair avec la justice sociale, et donc
avec la cohésion sociale.
Il convient d'abaisser des impôts qui, d'une part, sont appliqués au plus
grand nombre et, d'autre part, reposent sur des fondements injustes.
Le choix s'impose de lui-même : il s'agit en effet de diminuer les
prélèvements indirects, et ce d'autant que ces derniers occupent une place trop
importante dans la structure de nos prélèvements. C'est ce qu'a amorcé le
Gouvernement dans cette loi de finances et qu'il faudra, bien entendu,
poursuivre.
Il est possible - et même souhaitable - de réfléchir également à une baisse
d'impôt opérée sur la taxe d'habitation. Trop d'injustices se concentrent
encore sur cet impôt, souvent très lourd pour nombre d'assujettis. Nous
souhaitons qu'un travail conjoint du Gouvernement et de sa majorité sur ce
sujet puisse se concrétiser dans les mois à venir.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cela a l'air difficile !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faut prendre tout le temps nécessaire !
M. Marc Massion.
Le Gouvernement affronte les difficultés les unes après les autres et les
résout les unes après les autres, contre votre volonté mais avec l'assentiment
du peuple.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ne nous pressons pas !
M. Marc Massion.
Toutes ces réformes coûtent cher. Mais nous avons, pour y faire face, la
ressource des plus-values de recettes fiscales apportées par la croissance
ainsi que celle qui est dégagée par notre politique de justice fiscale visant
les plus gros patrimoines.
Je ne voudrais pas clore mon propos sans parler de la fraude fiscale. Ce
fléau, qui résulte du comportement incivique de certains de nos concitoyens,
est absolument révoltant, non pas uniquement pour des raisons de morale mais
parce que cette fraude ne peut qu'amener en chaîne un sentiment d'injustice et,
à l'extrême, d'intolérance fiscale chez les autres contribuables, qui
s'acquittent, eux, honnêtement de leur dû.
Tout cela est détestable et mérite d'être combattu, comme le font déjà les
services de l'administration fiscale avec opiniâtreté et efficacité. Ainsi, 70
milliards de francs ont été récupérés en 1997, mais il reste encore une fraude
estimée entre 200 milliards et 400 milliards de francs.
Je me félicite des résultats importants enregistrés par le Gouvernement en
quelques mois et, surtout, de son souci d'aller plus encore de l'avant, comme
le montre l'important volet consacré à ce sujet dans le texte du projet de loi
de finances.
Je ne doute pas que la majorité sénatoriale sera d'accord avec le Gouvernement
pour donner encore plus de moyens humains aux services spécialisés dans cette
tâche difficile et pourtant indispensable.
En revanche, nous sommes plus que dubitatifs sur certains effets pervers que
risque d'impliquer le dispositif nouveau sur les micro-entreprises,...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Dans le bâtiment en particulier
!
M. Marc Massion.
... mais nous aurons l'occasion de nous exprimer plus en détail à l'occasion
de la discussion de l'article en cause.
Pour revenir à des considérations plus extra-territoriales, je voudrais
ajouter que rien ne pourra être entrepris chez nous , si, dans le même temps,
des initiatives similaires ne sont pas également engagées par Bruxelles sur le
même sujet.
C'est pourquoi, en ce qui concerne la TVA intracommunautaire, sur laquelle il
reste beaucoup à faire, j'aimerais connaître l'état d'avancement des mesures
qui sont envisagées en liaison avec nos partenaires européens.
Si l'on ne se donne pas les moyens, dans le cadre de la zone euro, d'établir
un code de bonne conduite fiscale, toute volonté de justice risquera d'en
rester au stade des bonnes intentions.
En conclusion, je dirai que, selon nous, le Gouvernement est sur la bonne
voie. Son action allie ambition et rigueur et il peut être sûr de trouver
auprès de nous soutien sans faille et disponibilité pour travailler ensemble
aux actions à mener à l'avenir pour conforter une politique de réforme déjà
bien engagée.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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