Séance du 23 novembre 1998
M. le président. Par amendement n° I-97, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les sommes prévues en réparation des préjudices visés aux articles 9 et 11 de la loi n° 82-1021 du 3 décembre 1982 relative au règlement de certaines situations résultant des événements d'Afrique du Nord, de la guerre d'Indochine ou de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas comprises dans le total des revenus servant de base à l'impôt sur le revenu.
« II. - Les pertes de recettes résultant de l'application du I sont compensées par une majoration à due concurrence des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement reprend, dans des termes identiques, celui que notre groupe avait déposé dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, en mai dernier.
Je saisis cette occasion pour vous rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous avions également proposé un amendement visant à abroger le décret n° 94-993 du 16 novembre 1994. Sur ce sujet, où en est-on de la consultation interministérielle que votre collègue, M. le ministre de la fonction publique, avait annoncée en décembre dernier ?
Pour en revenir à l'objet du présent amendement, la loi du 3 décembre 1982 a donné droit aux fonctionnaires rapatriés et anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale d'obtenir réparation, avec de nombreuses années de retard, des préjudices de carrière subis pendant la guerre.
L'administration fiscale a considéré les sommes versées aux intéressés comme des rappels de traitement soumis, à ce titre, à l'impôt sur le revenu.
Par notre amendement, nous demandons que ces sommes soient considérées comme une indemnité forfaitaire, donc qu'elles ne soient pas imposables.
Le système fiscal en vigueur est, de surcroît, particulièrement injuste. Ces rappels, qui portent sur de nombreuses années, sont dévalorisés : il conviendrait de les multiplier par six, alors que les sommes perçues au titre de la période où les anciens francs avaient cours sont arbitrairement divisées par cent. Ces sommes étant perçues sur une seule année, elles donnent lieu, en plus, à un prélèvement fiscal démesuré. La situation familiale des intéressés pendant leur carrière est ignorée. Enfin, l'administration applique la CSG sur la totalité des rappels, alors que la loi sur la CSG n'est pas rétroactive.
Les associations attendent une décision, monsieur le secrétaire d'Etat, et le groupe communiste républicain et citoyen demande au Sénat d'adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Lors d'un débat récent sur ce même sujet, mon prédécesseur, M. Lambert, aujourd'hui président de la commission des finances, avait rappelé la situation de ces fonctionnaires dont les carrières ont été perturbées par la Seconde Guerre mondiale ou par la guerre d'Indochine ou par les événements d'Afrique du Nord : les intéressés ont bénéficié d'une reconstitution de leur carrière et donc du rappel des traitements correspondants.
Ces sommes constituent fiscalement un revenu et sont intégrées de plein droit dans l'assiette de leur impôt sur le revenu.
M. Lambert rappelait aussi que le code général des impôts comporte un article n° 163-0 A, qui dispose que : « Lorsque au cours d'une année un contribuable a réalisé un revenu qui par sa nature n'est pas susceptible d'être recueilli annuellement et que le montant de ce revenu exceptionnel dépasse la moyenne des revenus nets d'après lesquels ce contribuable a été soumis à l'impôt sur le revenu au titre des trois dernières années, l'intéressé peut demander que l'impôt correspondant soit calculé en ajoutant la quart du revenu exceptionnel net à son revenu net global imposable et en multipliant par quatre la cotisation supplémentaire ainsi obtenue. »
Il a semblé que ce dispositif pouvait répondre aux situations particulières ici visées qui méritent que la Haute Assemblée y porte un intérêt tout particulier. Je suppose que le Gouvernement partagera cet intérêt, et c'est pourquoi je me tourne vers lui pour entendre son avis.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. En cette affaire, on peut dire qu'il y a un argument juridique et un argument humain.
L'argument juridique est clair, monsieur Foucaud : ces sommes sont versées pour réparer un préjudice financier. Par conséquent, conformément à l'article 12 du code général des impôts, elles sont assimilables à des revenus, comme la cour administrative d'appel de Bordeaux l'a confirmé récemment encore.
Certes, et c'est l'argument humain, ces versements peuvent susciter de grandes difficultés pour certains de ceux qui en sont les bénéficiaires.
Face à ce problème humain, deux solutions humaines peuvent être retenues.
Premièrement, on peut faire en sorte que la déclaration de ces sommes, plutôt que d'être concentrée sur une seule année, ce qui poserait bien sûr des problèmes de progressivité considérables, soit étalée sur plusieurs années ; c'est l'article 163-OA qu'a cité le rapporteur général et que chacun ne connaît pas forcément.
Deuxièmement, il est possible à ceux qui éprouveraient vraiment des difficultés à acquitter cet impôt d'obtenir des délais de paiement auprès du comptable du Trésor. J'ai donné des instructions particulières pour que les situations individuelles, s'agissant de personnes auxquelles la patrie est redevable, soient considérées avec bienveillance.
Aussi bien juridiquement qu'humainement, monsieur Foucaud, ces raisons me semblent justifier le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° I-97 est retiré.
Par amendement n° I-210, M. Mélenchon, Mme Bergé-Lavigne, MM. Angels, Charasse, Demerliat, Haut, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le montant total des réductions d'impôt sur le revenu et des déductions pratiquées sur le revenu global est plafonné pour la fraction supérieure à 20 000 F, à hauteur de 75 % du montant de l'impôt sur le revenu du redevable. »
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Après l'inégalité fondamentale entre revenus du capital et revenus du travail, j'évoque à présent l'inégalité sur laquelle débouche le mode de prélèvement opéré dans le cadre de l'impôt direct.
On sait que cet impôt est déjà particulièrement faible si on le compare à ce qui se pratique dans le reste de l'Europe, ou même dans la zone OCDE. Notre impôt sur le revenu est, en effet, égal à 6,6 % du produit intérieur brut, alors qu'il est égal, dans la moyenne des pays européens, à 11,3 % ...
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Jean Chérioux. Il faut ajouter la CSG !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... et, dans l'ensemble des pays de la zone OCDE, à 10,4 %, si l'on se réfère aux derniers chiffres publiés par cette organisation.
Mais ce n'est pas tout, et j'en viens à l'objet de mon amendement.
L'impôt sur le revenu est plus faiblement progressif qu'on ne pourrait le croire au vu du seul barème d'imposition, comme l'a d'ailleurs tout récemment reconnu dans son rapport le Conseil d'analyse économique, confirmant d'ailleurs les conclusions de tous les rapports qui ont pu être publiés dans le passé à ce sujet.
Comment expliquer ce constat ? Par une même raison : l'assiette de l'impôt sur le revenu est faible. Même élevés, des taux marginaux, sur lesquels nous discutons à perte de vue, empêchent une contribution par rapport aux véritables capacités contributives des contribuables et une véritable distribution des revenus.
Cette donnée s'applique de deux manières. D'une part, certains revenus, ceux de l'épargne, bénéficient d'un régime dérogatoire du droit commun et donc d'une fiscalité allégée, ce qui n'est déjà pas mal. D'autre part, on constate que les contribuables aux revenus les plus élevés parviennent à échapper au barème par le biais des réductions d'impôt ou des déductions pratiquées sur le revenu. On sait que cet exercice peut, parfois, conduire le contribuable à n'avoir plus rien à payer, comme l'actualité récente nous en a fourni un exemple assez lamentable.
En d'autres termes, le barème que nous votons pourtant chaque année a, pour cette catégorie de contribuables, une portée souvent virtuelle. C'est précisément pour répondre à cette triste réalité fiscale que cet amendement a été déposé. Le groupe socialiste avait d'ailleurs déjà agi de même les années précédentes, vous vous en souvenez, mes chers collègues. Précisons donc notre démarche.
Aujourd'hui, dans notre pays, les contribuables titulaires des revenus les plus élevés, qui leur permettent non seulement de vivre - ce qui est bien le moins - de vivre très aisément - ce qui est déjà remarquable - mais aussi de vivre très tranquillement et, qui plus est, de réaliser des dépenses et des placements considérables, voient leur impôts minoré en fonction de ces dépenses mêmes. On assiste donc à une dénaturation ex post du principe même de l'impôt sur le revenu.
En somme, la progressivité du barème joue à plein pour les contribuables qui n'ont, eux, que les moyens de vivre normalement, dirai-je, alors que ses effets se ralentissent au profit des contribuables qui ont suffisamment d'argent pour réaliser des dépenses éligibles aux avantages fiscaux. C'est immoral !
Si l'on examine chacune de ces réductions d'impôt ou de ces déductions du revenu, on trouve toujours de bonnes raisons pour les justifier, et même des raisons économiques. Est-il normal, cependant, qu'un contribuable qui a les moyens d'effectuer l'ensemble des dépenses éligibles à des avantages fiscaux acquitte le même impôt qu'un contribuable à revenus moyens, voire aucun impôt du tout ? Mes amis et moi-même répondons sans ambiguïté par la négative.
C'est pourquoi cet amendement vise, au-delà d'un certain seuil, à plafonner le montant de ces réductions et déductions en fonction de l'impôt à payer. Le montant total des réductions d'impôt sur le revenu et des déductions pratiquées sur le revenu global serait plafonné, pour la fraction supérieure à 20 000 francs, à 75 % du montant de l'impôt sur le revenu du redevable.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Au risque de surprendre M. le secrétaire d'Etat, je dirai que la majorité de la commission n'adhère évidemment pas au raisonnement présenté par M. Mélenchon.
Les législations spécifiques prévoyant des réductions d'impôt de caractère incitatif pour certaines catégories de dépenses ou d'investissements obéissent à une logique qui a été adoptée par le Parlement à un moment donné. Domaine par domaine, mesure par mesure, ces réductions d'impôt ont leur justification et leur portée économique.
Vouloir revenir sur toutes ces législations et tous ces votes du Parlement, en plafonnant la portée globale des réductions par rapport aux revenus d'un contribuable, ne semble pas, aux yeux de la majorité de la commission, une démarche convaincante. Nous aurons l'occasion un peu plus tard d'évoquer un autre plafonnement préconisé par la commission et qui, lui, est beaucoup plus conforme au bon sens : celui de l'ensemble des charges fiscales d'un contribuable par rapport à son revenu. Cela semble avoir un sens, une signification, alors que la démarche que vous nous proposez, monsieur Mélenchon, vient contrarier, au détour d'un article, toutes sortes de politiques sectorielles, d'incitations mises en place par le législateur dans chaque cas avec de bonnes raisons.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement partage l'intention qui est à la source de l'amendement défendu par M. Mélenchon et selon laquelle un certain nombre de contribuables fortunés abusent de l'évasion fiscale. En utilisant les conseils rémunérés de personnes compétentes, ils parviennent, à la limite, à ne plus payer d'impôt. C'est cette injustice fondamentale que M. Mélenchon dénonce à juste titre.
Deux façons permettent de s'attaquer à cela : ou bien on met en place un plafond global - et c'est la démarche qui sous-tend cet amendement - ou bien on essaie d'opérer niche fiscale par niche fiscale, c'est-à-dire que l'on tente de réduire les possibilités d'évasion fiscale qui, à l'évidence, sont outrancières, et telle est la démarche du Gouvernement.
La proposition faite par M. Mélenchon comporte, à mon avis, un risque : celui qu'un certain nombre de contribuables fassent en sorte d'atteindre le plafond, c'est-à-dire qu'ils essaient de cumuler les possibilités d'exonération jusqu'à concurrence de ce fameux plafond de 75 % du montant de leur impôt sur le revenu. De plus, on réclamera ici ou là la création de nouvelles niches fiscales, en arguant de l'existence du plafond proposé par M. Mélenchon pour affirmer que cela n'aura pas d'importance.
Monsieur Mélenchon, la démarche que vous suggérez comporte en fait le risque d'amener trop de contribuables à chercher à atteindre le plafond que vous souhaitez instaurer.
La démarche du Gouvernement est différente : elle consiste à réduire une par une les possibilités d'évasion fiscale.
Je citerai trois mesures.
La première décision a été de réduire de moitié le montant de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, qui a été abaissée de 90 000 francs à 45 000 francs.
La deuxième a été la suppression du régime des quirats, et je sais que M. Oudin l'a regrettée.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il n'est pas le seul !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Ce dispositif était, à l'évidence, la source d'une évasion fiscale scandaleuse. Ce régime est remplacé par un dispositif d'amortissement exceptionnel qui satisfait les professionnels.
La troisième mesure consiste - nous aurons l'occasion d'en reparler - en un certain nombre de dispositions fiscales pour l'investissement outre-mer. L'investissement outre-mer est à l'évidence une très bonne chose, mais certains ont détourné sa finalité, qui est d'assurer le développement économique des départements et territoires d'outre-mer, pour s'exonérer complètement du paiement de l'impôt.
Je dirai donc à M. Mélenchon que son objectif est celui du Gouvernement, mais que ce dernier pense qu'il est plus sûr, même si cela est sans doute un peu moins spectaculaire, de s'attaquer aux sources de l'évasion fiscale une par une - et peut-être en découvrira-t-on d'autres encore dans la suite de ce débat - plutôt que de fixer un plafond qui pourrait très vite apparaître comme une sorte de seuil à atteindre pour trop de contribuables fortunés. Compte tenu de ces explications, je suggère à M. Mélenchon de retirer cet amendement.
M. le président. Monsieur Mélenchon, que pensez-vous de la suggestion de M. le secrétaire d'Etat ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Je médite !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-210.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour application de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. La démarche de notre collègue Jean-Luc Mélenchon et de ses amis du groupe socialiste n'est pas anormale puisque je me souviens que, voilà quelques années, nous avions voté une disposition tendant à ce que l'on ne puisse pas bénéficier des exonérations d'impôts locaux car, par l'addition de déductions successives, on en arrivait à ne plus être imposable sur le revenu. Par conséquent, la démarche de M. Mélenchon mérite réflexion.
Mais ce que je voudrais demander au Gouvernement, c'est que, sur cette affaire, il demande un rapport au Conseil des impôts pour mesurer les effets des déductions sur la proportionnalité de l'impôt sur le revenu et l'égalité devant l'impôt, afin que l'on sache qui en profite, où il se situe dans l'échelle des revenus, etc.
Je voterai, bien sûr, l'amendement n° I-210, mais si nous pouvions dans l'avenir, monsieur le secrétaire d'Etat, être informés par un organisme un peu objectif et qui n'est pas suspect, le Conseil des impôts, ce serait assez éclairant pour les débats futurs.
M. Jean-Pierre Demerliat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat. Monsieur le secrétaire d'Etat, en maintenant cet amendement, le groupe socialiste n'entend nullement être discourtois à l'égard du Gouvernement ou de vous-même. Mais le seuil choisi, qui est matérialisé par un abattement à la base de 20 000 francs, et le montant du plafonnement à 75 % du montant de l'impôt sur le revenu montrent, à l'évidence, que notre amendement n'est pas confiscatoire. Nous aurions pu faire beaucoup plus !
Notre amendement, rédigé non pas comme un amendement d'appel mais de manière responsable, vise à freiner une tendance malsaine du point de vue de l'éthique fiscale.
C'est pourquoi je ne comprends pas que le Gouvernement ne l'ait pas accepté l'année dernière, car nous l'avions déjà présenté. Je vous propose aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'examiner encore plus attentivement, en voulant bien reconnaître qu'il ne dénature en rien les objectifs d'incitation économique auxquels peut prétendre chacun des allégements d'impôt visés, et en en comprenant la portée symbolique. Le législateur ne peut continuer à accepter d'offrir à certains contribuables les moyens d'échapper, même partiellement, à l'impôt.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. A ce point de la discussion, je ne me sens pas moins déterminé que je l'étais tout à l'heure.
D'abord, marquons ce point, nous sommes bien d'accord pour dire qu'il est choquant et immoral d'admettre que des contribuables qui ont d'importants revenus soient exonérés d'impôt par l'addition d'un certain nombre de déductions. Dès lors que nous sommes d'accord sur ce point, il est immoral de ne pas contribuer à l'effort collectif.
On voit que tout est affaire de curseur. Lorsque M. le rapporteur général affirme que ces déductions ont été imaginées au cas par cas pour favoriser certains processus économiques, il dit une chose. Quand M. le secrétaire d'Etat rétorque qu'il est préférable de combattre niche fiscale par niche fiscale il dit, vous en conviendrez, tout autre chose.
A cet instant, j'accepte de préjuger que l'ensemble de ce que par ailleurs je serai tenté d'appeler, avec M. le secrétaire d'Etat, des « niches fiscales » seraient toutes des incitations économiques. Vous le voyez, je parle d'un bon coeur, car je ne le pense pas. Mais faisons comme si c'était le cas. Il n'en resterait pas moins, monsieur le rapporteur général, que, lorsque l'on décide de telles déductions, on le fait par rapport à l'objet que l'on essaie d'encourager, et non par rapport au contribuable que l'on essaie, lui aussi, d'encourager. Si vous imaginez telle ou telle déduction pour telle ou telle opération, vous n'avez jamais en vue - dans cet hémicycle nous n'avons jamais en vue - d'ajouter un avantage de plus qui, cumulé à tous les autres, permettrait de parvenir à ce résultat que le contribuable ne paie plus rien.
Voilà pourquoi il me paraît légitime et compatible d'imaginer tout à la fois des déductions dans un cas et par ailleurs un plafonnement. Car vous pourriez avoir un contribuable disposant de revenus importants qui utilise tel placement parce que celui-ci donne lieu à telle déduction. Cela ne nous oblige pas à les cumuler avec toutes les autres jusqu'au point de ne plus rien payer.
C'est pourquoi on peut cumuler, me semble-t-il, et l'idée d'un plafonnement et l'idée de déductions à vocation d'incitation économique. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas qu'il y ait dans cet hémicycle, sur quelque travée que ce soit, un seul parlementaire qui ne soit pas profondément choqué lorsqu'il apprend que telle ou telle personne qui a d'importants revenus et joue dans notre société une fonction éminente ne paie aucun impôt.
Dans les temps difficiles que nous vivons, pour le plus grand nombre, et à un moment où l'argent s'étale avec une telle arrogance et une telle impudence,...
M. Michel Charasse. Avec une telle insolence !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... il est juste que le législateur vienne dire qu'il y a une limite à tout cela et que tous les Français, quel que soit leur rang de puissance, sont appelés à contribuer à proportion de leurs moyens à l'effort collectif que consent le pays pour ses enfants.
M. Jean Chérioux. Tout le monde n'a pas un yacht !
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la logique de M. Mélenchon n'est pas absurde. Je me souviens que des discussions du même type ont déjà eu lieu en 1990-1992.
Je ferai tout de même deux observations.
D'abord, sur le plan technique, on ne peut pas confondre, comme cela est fait dans votre amendement, les réductions d'impôt et les déductions du revenu. Nous disposons de deux systèmes d'aides tout à fait différents : l'un où l'on diminue le revenu imposable et qui s'applique sur la totalité du revenu ; l'autre qui réduit l'impôt. Additionner l'un et l'autre comme vous le faites, c'est additionner des torchons et des serviettes.
M. Jean Chérioux. M. Mélenchon n'est pas à ça près !
M. Yves Fréville. Il s'agit là d'un problème que l'on n'a jamais su résoudre et qui ne pourra être réglé, comme l'a dit M. le rapporteur général, que par une réforme générale de l'impôt pour ajuster ces deux types d'aides.
Par ailleurs, il faudrait au moins, lorsque l'on examine les réductions d'impôt au cas par cas, respecter les limites que vous avez fixées. Or, je me souviens de la discussion sur les SOFICA, les sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuel, où l'on trouvait de bonnes raisons pour ne pas appliquer les plafonds que vous-même proposez ici pour la totalité des déductions et que vous refusez d'appliquer aux cas particuliers.
Je serais tout à fait d'accord pour que vous donniez l'exemple, c'est-à-dire pour que vous appliquiez pour les différentes déductions que vous défendez la norme générale que vous proposez.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° I-210, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2 bis