Séance du 23 novembre 1998







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-134, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 2 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après l'article 231 bis N, il est inséré dans le code général des impôts un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... Les salaires versés par les associations à but non lucratif sont exonérés de la taxe sur les salaires. »
« II. - Le 6 de l'article 200 A du code général des impôts est ainsi rédigé :
« 6. - L'avantage mentionné au 1 de l'article 163 bis C est imposé au taux de 54 % ou, sur option du bénéficiaire, à l'impôt sur le revenu suivant les règles appliquées aux traitements et salaires. »
Par amendement n° I-63 rectifié, MM. Grignon, Hoeffel, Fréville, Lorrain, Richert et les membres du groupe de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 2 bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 231 bis P du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La même exonération s'applique aux rémunérations versées soit par une association agréée par l'Etat ayant pour objet ou pour activité exclusive la fourniture de services définis par l'article L. 129-1 du code du travail, soit par un organisme à but non lucratif ayant pour objet l'aide à domicile et habilité au titre de l'aide sociale ou conventionné par un organisme de sécurité sociale. »
« II. - Les pertes de recettes résultant, pour l'Etat, du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Foucaud, pour présenter l'amendement n° I-134.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement concerne l'assujettissement des associations à but non lucratif à la taxe sur les salaires.
Chacun ici connaît la portée du débat que nous ouvrons régulièrement sur le sujet à l'occasion de la discussion des projets de loi de finances.
En l'occurrence, les associations à but non lucratif sont soumises à la taxe sur les salaires de par leur exonération d'office de la taxe sur la valeur ajoutée.
Nous retrouvons sur cette question la problématique traditionnelle selon laquelle l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée ne dispense pas le contribuable d'en subir les conséquences puisque, pour l'ensemble des achats et des services extérieurs, les associations sont considérées, en matière de TVA, comme consommateurs fiscaux.
Nous savons aussi que la situation fiscale du secteur associatif a récemment fait l'objet d'une instruction fiscale qui a au moins le mérite de faire le point exact des données en cause.
Chacun sait encore que les plus petites des associations à but non lucratif, de par leur rôle dans le développement de la vie collective de nos concitoyens, bénéficient, à concurrence de 28 000 francs aujourd'hui, d'une franchise de taxe sur les salaires.
On pourra également relever que, sous certaines conditions, les emplois créés dans le secteur associatif bénéficient d'une exonération de taxe sur les salaires.
Pour autant, sur le fond, cette situation signifie que la taxe sur les salaires est par nature et par essence un impôt plus que discutable.
Je rappellerai à l'intention de nos collègues de la majorité sénatoriale qu'il avait été envisagé, au détour de la discussion de la loi de finances pour 1996 ou 1997, que soit éventuellement étudiée la possibilité de supprimer cette taxe qui, il convient de le rappeler, affecte particulièrement le secteur associatif ainsi qu'un certain nombre d'établissements publics dont la situation financière appelle pourtant des solutions appropriées.
C'est cette orientation que nous vous proposons ici de mettre en oeuvre pour ce que l'on a coutume d'appeler le « tiers secteur » et qui constitue réellement un important vecteur d'emplois.
On ne doit en effet pas oublier que des potentialités réelles de créations d'emplois existent au sein des 2,5 millions d'associations de notre pays et que, de surcroît, la suppression de la taxe sur les salaires pourrait offrir une possbilité de majoration des rémunérations versées aux salariés ou une modification de la nature de leur contrat de travail, les installant ainsi dans une plus grande permanence d'activité.
C'est sous le bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Fréville, pour défendre l'amendement n° I-63 rectifié.
M. Yves Fréville. Nous évoquons ici un problème que nous avons déjà traité indirectement lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale : il s'agit du régime fiscal auquel est soumise toute association d'aide à domicile.
Nous savons bien le rôle que jouent ces associations pour aider les personnes âgées en situation de dépendance. Afin de permettre le maintien à domicile, nous devons donc favoriser les services rendus par ces associations.
Nous sommes confrontés ici à des problèmes de distorsion de concurrence, qui interviennent essentiellement à l'occasion du choix entre l'embauche directe, de gré à gré, d'une personne assurant le service à domicile par la personne âgée et le service rendu par une association.
Une partie de cette distorsion a été réduite en ce qui concerne les charges patronales, à l'instigation de notre collègue M. Hoeffel. Reprise par le Gouvernement, cette idée a été acceptée lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale.
Mais une autre cause de distorsion est due à la taxe sur les salaires. Ainsi, lorsqu'une personne contracte directement, elle n'est pas assujettie à la taxe sur les salaires ; en revanche, si elle passe par une association, cette association y est assujettie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur général, nous avons pris soin de rectifier notre amendement en supprimant la référence aux entreprises, pour nous situer véritablement dans le secteur associatif, secteur désintéressé pour la fiscalité duquel vous avez présenté, monsieur le secrétaire d'Etat, des règles très claires.
Cet amendement vise donc à exonérer les associations à caractère désintéressé - agréées, bien sûr, pour l'aide sociale - du paiement de la taxe sur les salaires. L'objectif est de les placer à égalité avec les individus qui choisissent de traiter directement avec une personne pour apporter une aide à domicile aux personnes âgées.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-134 et I-63 rectifié ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si elle comprend bien la démarche suivie par les auteurs de l'amendement n° I-134, la commission des finances considère que le champ d'application de la première partie de cet amendement est trop vaste. En second lieu, elle estime que le gage proposé dans la seconde partie est inacceptable ou, en tout cas, non cohérent avec les conceptions économiques défendues par la majorité de la commission.
Elle est donc défavorable à l'amendement n° I-134.
Par ailleurs, comme l'ont dit ses auteurs, l'amendement n° I-63 rectifié vise à appliquer à des aides à domicile recrutées par l'intermédiaire d'organismes agréés le même régime que celui dont bénéficient les aides à domicile recrutées directement, à savoir l'exonération de la taxe sur les salaires.
La commission des finances a toujours été favorable aux mesures fiscales en faveur des associations. Elle l'a notamment montré lors de l'examen du dernier projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.
Il convient de rappeler aussi que ces associations, auxquelles nous nous intéressons très directement et dans la durée, bénéficient d'une exonération totale de charges patronales au titre des dispositions votées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
Le coût de la mesure préconisée par les auteurs de l'amendement n° I-63 rectifié serait, me dit-on, d'environ 200 millions de francs, ce qui me conduit... (M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Eh oui, ce n'est pas 1,2 ou 1,5 milliard de francs, comme tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat ! Nous nous efforçons d'examiner les mesures proposées en fonction aussi de l'importance de leur impact financier, pour autant que nous ayons les bons instruments de mesure. Mais on peut le supposer, puisque ce sont les mêmes que les vôtres !
Compte tenu de toutes ces considérations, la commission des finances a estimé pouvoir émettre un avis favorable sur l'amendement n° I-63 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s I-134 et I-63 rectifié ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. M. Foucaud a souligné, à juste titre, l'importance du tiers secteur non seulement pour faciliter la vie d'un certain nombre de nos concitoyens, mais aussi du simple point de vue de l'emploi. Le secteur associatif emploie, en effet, 1,3 million de salariés et bénéficie du concours de 7 millions de bénévoles. Il est donc tout à fait essentiel.
C'est d'ailleurs au nom de cette importance que le Gouvernement, dès sa formation, en juin 1997, a ouvert un chantier sur cette question, le Premier ministre ayant compris le désarroi de nombre d'associations victimes de contrôles fiscaux dus au fait que, ici ou là, la frontière entre associations à but non lucratif et activités lucratives n'était pas clairement délimitée.
Ce chantier a débouché sur une circulaire, le 15 septembre, qui a, semble-t-il, rassuré les associations, d'autant que les prélèvements résultant de contrôles fiscaux pour les associations de bonne foi ont été abandonnés.
M. Foucaud souhaite que la taxe sur les salaires, seul impôt payé par les associations, qui ne paient aucun des impôts à la charge des entreprises, soit supprimée, M. Fréville demandant, quant à lui, cette suppression uniquement pour les associations d'aide à domicile. L'inspiration, dans les deux cas, est généreuse : très généreuse chez M. Foucaud, généreuse chez M. Fréville.
Chacun sait que les associations bénéficient d'une exonération de taxe sur les salaires pour les six premiers salariés, dans l'hypothèse où ceux-ci sont payés au salaire minimum et employés à plein temps. Il y a donc déjà, en matière de taxe sur les salaires, ce que j'appellerai un « abattement à la base » qui profite - c'est tout à fait légitime - aux associations comportant moins de six salariés. L'effort fiscal est important puisque le coût de cette mesure, au demeurant parfaitement sensée, avoisine 1,2 milliard de francs.
Le Gouvernement, qui attache autant d'importance au secteur associatif que les auteurs des amendements, estime qu'il est difficile d'aller plus loin, notamment de supprimer totalement la taxe sur les salaires, puisqu'il y a déjà non seulement cet abattement à la base pour les six premiers salariés, qui rend beaucop de services aux associations, mais aussi le dispositif coûteux mis en place pour remettre à plat la situation fiscale des associations - j'en ai dit un mot tout à l'heure - et qu'au surplus il s'agit d'un prélèvement dont le produit n'est pas totalement négligeable.
Voilà pourquoi je demande à M. Foucaud de bien vouloir retirer l'amendement.
Quant à l'amendement n° I-63 rectifié, qui ne vise que les associations d'aide à domicile, on devrait très probablement, si on l'adoptait, étendre la mesure à toutes les associations, comme le souhaite d'ailleurs M. Foucaud. Même si l'amendement témoigne d'une certaine générosité, le Gouvernement ne peut donc que lui être défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-134.
M. Thierry Foucaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. M. le secrétaire d'Etat a rappelé l'importance du mouvement associatif, qui est un fort vecteur d'intégration, chose essentielle dans la situation que connaît notre pays.
A mon sens, nous ne faisons donc pas assez d'efforts en faveur de ce mouvement, et c'est la raison pour laquelle je maintiens l'amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-134, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-63 rectifié.
M. Jacques Machet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Le présent amendement vise à compléter le travail de résorption de la distorsion de concurrence existant entre l'emploi de gré à gré et l'offre professionnalisée des prestataires de services d'aide à domicile aux personnes âgées entamé lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dans lequel je me suis beaucoup investi, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat.
A cette occasion, il a été accordé - M. Fréville l'a dit, vous aussi - 100 % d'exonération de charges URSSAF pour les aides à domicile en contrat à durée indéterminée exerçant leurs activités chez des personnes handicapées dépendantes ou bénéficiant de l'aide ménagère.
Je note, au passage, qu'autrefois une ligne budgétaire était consacrée aux personnes handicapées et que tel n'est plus le cas aujourd'hui !
Le présent amendement vise à franchir une étape supplémentaire relative à la taxe sur les salaires. Celle-ci n'est pas due lorsque l'employeur est la personne âgée alors que les associations y sont soumises. Il est donc proposé d'exonérer les prestataires de services aux personnes âgées afin que la parité avec le gré à gré soit effective.
Il s'agit, à mon avis, d'une question d'équité et de dignité pour les personnes âgées, comme Alain Vasselle l'a souvent rappelé. Je compte donc sur le Sénat pour voter cet amendement.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. A titre personnel, je m'abstiendrai.
Je suis en effet convaincu que l'argumentation qui vient d'être présentée ne saurait échapper à la généralisation. Comment pourrait-on éviter d'étendre cette suppression de la taxe sur les salaires à toutes les associations travaillant dans les secteurs culturel, sanitaire et social ? Ainsi, une association oeuvrant, par exemple, en faveur des handicapés serait assujettie à la taxe sur les salaires alors que celle qui s'occupe de personnes âgées invalides et frappées de différents handicaps ne le serait pas ! C'est là une logique à laquelle il m'est difficile de souscrire.
Par ailleurs, il ne me paraît pas absurde que les associations qui emploient un grand nombre de salariés s'acquittent d'une taxe dont le taux n'est d'ailleurs pas très important et qui ne présente pas le caractère dissuasif ou le caractère de rupture de concurrence que l'on a bien voulu lui prêter.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-63 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 2 bis .

Article 3