Séance du 23 novembre 1998







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-55, M. Mélenchon propose d'insérer, après l'article 36, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les opérations portant sur les devises réalisées sur le marché des changes sont soumises à un impôt de 0,05 %.
« Cette disposition s'applique à compter du 1er janvier 1999. »
Par amendement n° I-107 rectifié, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est créé une taxe sur toutes les opérations d'achat et de vente de devises étrangères effectuées sur le territoire national.
« Le taux de cette taxe est fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie après l'avis du Gouverneur de la Banque de France et du Conseil national du crédit. »
L'amendement n° I-55 est-il soutenu ?...
La parole est à M. Foucaud, pour défendre l'amendement n° I-107 rectifié.
M. Thierry Foucaud. La crise financière internationale qui traverse depuis plusieurs mois les divers continents de la planète, et qui touche notamment l'Asie, l'Amérique latine et l'Europe de l'Est, montre à l'envi qu'il est largement temps de mettre un terme à la danse effrénée des capitaux, mais aussi à la spéculation permanente sur le dos des économies et des peuples.
Victimes de politiques économiques déstabilisant les fragiles et précaires équilibres sociaux qui ont été parfois péniblement constitués, la plupart des pays frappés par cette crise financière internationale sont aujourd'hui confrontés à des difficultés majeures.
C'est ainsi que le mode de développement tourné vers l'exportation, au détriment du développement de la demande intérieure, qui a été imposé aux nouveaux dragons industriels de l'Asie du Sud-Est, ou encore les politiques dites d'ajustement structurel édictées par le FMI et la Banque mondiale aux pays d'Amérique latine ont fait la démonstration de leur nocivité.
Les principaux problèmes sociaux de ces pays ne se sont pas résolus et il a fallu le passage d'un cyclone pour que les Etats de l'isthme centre-américain se retrouvent d'un seul coup rejetés plusieurs dizaines d'années en arrière.
Que dire des graves déséquilibres sociaux dont souffrent les pays d'Amérique latine, qui se sont traduits, notamment, par le développement d'une véritable narco-économie, dont l'essentiel des profits est d'ailleurs recyclé dans l'économie des pays développés ? Que dire encore des désordres écologiques, comme l'atteste, par exemple, la situation de la forêt amazonienne ?
Nous devons d'ailleurs, à ce stade de la réflexion, souligner que les désordres des marchés monétaires ne manquent également pas d'affecter les économies des pays développés, de par la mobilisation massive de capitaux utilisés pour juguler les effets dévastateurs de cette spéculation.
Chacun le sait ici, déjà depuis au moins vingt ans un Prix Nobel d'économie américain, James Tobin, a préconisé l'institution de la taxe que nous proposons, avec cet amendement n° I-107 rectifié, d'instituer.
Nul n'ignore également que si, ces dernières années, quand nous avions déjà avancé une telle proposition, il était assez commode pour certains de balayer d'un revers de main ce qui apparaissait un peu comme la lubie d'un universitaire farfelu, les données du problème sont aujourd'hui différentes, puisque l'instauration de la taxe Tobin est au centre de nombre d'articles de presse et de débats, y compris, par exemple, au sein du Conseil d'analyse économique mis en place à l'instigation du Premier ministre.
La controverse idéologique est d'ailleurs aujourd'hui à son comble, et il ne se passe pas de jour sans qu'un économiste, en général d'inspiration libérale, ne vienne apporter sa pierre à l'édifice de la contestation pure et simple du principe même du prélèvement dont nous parlons.
Pour autant, l'énormité des sommes mises en jeu chaque jour et les besoins sociaux et de développement durable que je viens de souligner appellent des solutions d'un autre niveau que celles qui sont régulièrement imposées aux peuples et aux nations de la planète dans son ensemble.
L'instauration du prélèvement sur les opérations d'achat et de revente de valeurs monétaires est, en effet, dans notre optique, un outil fondamental pour répondre aux défis qui nous sont lancés par notre temps.
Le produit de la taxe Tobin est, en particulier, destiné, dans notre esprit, à répondre, dans notre pays comme dans les autres pays développés, aux défis de l'exclusion sociale et de la lutte pour l'emploi et le développement économique.
Dans le cadre de la coopération internationale, ce prélèvement est directement destiné à favoriser l'allégement de la contrainte de la dette extérieure des pays en voie de développement et constitue, dans le même temps, un moyen de financer la prévention des déséquilibres sociaux dont ils souffrent, la prévention des risques d'insuffisance de la couverture des besoins alimentaires ou sanitaires ou bien encore des désordres environnementaux.
Je me permettrai de souligner ici que, de par le monde, notamment du fait du développement de nouvelles technologies de l'information, un forum permanent de réflexion et d'action pour l'instauration de la taxe Tobin s'est mis en place. Nous nous inscrivons clairement dans cette démarche.
Enfin, je soulignerai que l'instauration de la taxe Tobin correspond à une proposition formulée lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 1995 par Lionel Jospin lui-même et qu'une telle décision constituerait donc une sorte d'accomplissement d'une volonté politique déjà ancienne.
C'est donc sous le bénéfice de ces observations que je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous sommes en pleine irréalité. Toutes ces analyses sont certes intéressantes ; toutes ces idées sont astucieuses, voire, pour certaines, brillantes. Cela étant, le dispositif préconisé par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, pour être efficace, devrait être appliqué dans tous les pays de la planète de la même façon et au même taux. Il suffirait qu'un seul ne l'établisse pas...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il suffit qu'un commence !
M. Paul Loridant. C'est cela, la mondialisation !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si le parlement français adoptait le dispositif que vous préconisez, non seulement les mouvements spéculatifs ne cesseraient pas, mais on assisterait à des détournements de capitaux absolument prodigieux au détriment de la France. Voilà exactement ce qui se passerait.
M. Jacques Oudin. Absolument !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Evidemment, si par magie, un pouvoir monétaire mondial, une autorité de régulation mondiale, un législateur mondial, ce que vous voulez à l'échelon mondial...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il existe, ce pouvoir, mais il fait mal son travail !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... imposait la taxe Tobin au même taux et partout, le problème serait alors résolu. Mais on ne peut pas poser en hypothèse que le problème est résolu alors que l'on se situe ici dans l'irréalité absolue. On a l'impression de vivre dans un dessin animé !
Mes chers collègues, l'avis de la commission des finances ne peut être que tout à fait défavorable.
Mme Marie-Claude Beaudeau. M. Marini dans le rôle du méchant loup-garou !
M. Ivan Renar. Ou dans le rôle de la sorcière ! (Rires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. M. Foucaud a touché juste. Cette taxe Tobin suscitait, il est vrai, l'hilarité des libéraux ; on a même à l'instant parlé de dessin animé. Je n'ai rien contre les libéraux, qui prétendaient, voilà deux ans, que, dans le meilleur des mondes, le marché roi ferait régner une harmonie universelle. Mais, à l'été 1997, les sourires...
Mme Maryse Bergé-Lavigne. ... se sont figés !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... se sont en effet crispés. J'ai même entendu le Président de la République parler d'un code de la route pour régler les mouvements internationaux et la circulation complètement anarchique des capitaux. C'est qu'une crise, née en Asie, a gagné peu à peu tout le continent, atteignant la Russie et suscitant même des inquiétudes en Amérique latine.
Face à ce problème de faible stabilité des marchés financiers mondiaux, la France a formulé un certain nombre de propositions qui tendent à instaurer des règles susceptibles de conditionner ces mouvements de capitaux, en somme plus de transparence et de régulation.
S'agissant de la proposition de M. Tobin, que faire ?
Peut-on l'appliquer dans un seul pays, comme le prévoit l'amendement n° I-107 rectifié ? A cet égard, monsieur Foucaud, je m'abriterai derrière M. Tobin. En effet, il considère que sa taxe devrait être appliquée par l'ensemble des grands pays développés. Il l'a d'ailleurs dit dans un journal français, voilà quelque temps.
Peut-être cette taxe ne doit-elle pas être mise en oeuvre dans chaque parcelle du monde, quoique certains paradis fiscaux pourraient en tirer bénéfice s'ils échappaient à cette taxe. Il faudrait au moins qu'elle soit mise en oeuvre à une échelle suffisante, qui dépasse de très loin l'échelle française.
L'application de la taxe Tobin dans notre seul pays serait, à mon avis, nuisible pour l'activité de services financiers, qui sont des employeurs, et certains d'entre vous s'inquiètent parfois de la situation de telle ou telle banque.
La France n'est pas la bonne échelle pour appliquer cette taxe. C'est pourquoi je vous demande, monsieur Foucaud, de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-107 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je fais miens tous les arguments de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen. Cependant, après avoir entendu M. le rapporteur général et M. le secrétaire d'Etat - je n'avais d'ailleurs pas besoin de les entendre pour aller dans ce sens, tout le monde sait, je l'ai souvent dit ici, que je ne suis pas vraiment un adepte des plaisirs solitaires ! (Sourires) - je dirai que leur proposition est inadmissible si l'on ne veut pas isoler la France.
Ensuite, cette proposition est irrecevable, car autant je défendais tout à l'heure les prérogatives du Gouvernement en ce qui concerne l'épargne, autant je vois mal le Sénat accepter de transférer une partie du pouvoir qu'il tient de l'article 34 de la Constitution au pouvoir exécutif, puisqu'on nous propose, par cet amendement, de laisser le soin au ministre chargé de l'économie, au gouverneur de la Banque de France et au Conseil national du crédit de « mitonner » tous seuls dans leur coin le taux de la taxe en question.
Enfin, l'amendement me paraît incompatible avec l'idée formulée par M. Tobin, et je le dis amicalement à nos amis communistes, car, je le rappelle, le produit de la taxe doit aller à un fonds international, destiné à financer des opérations d'intérêt mondial. Or, sauf erreur de ma part, le produit de cette taxe irait au budget de l'Etat. On voit mal la France contribuer seule, en le reversant à on ne sait qui, à ce genre de dépenses sur le plan international.
Donc, à mon grand regret, je ne peux voter l'amendement n° I-107 rectifié, et mes amis socialistes non plus.
M. Jacques Oudin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. En l'occurrence, l'irréalité, justement exposée par M. le rapporteur général, fleurit dans toute sa splendeur.
Depuis le début du débat sur l'amendement n° I-107 rectifié, on a entendu parler de tout, sauf d'un mot : l'Europe. On s'était engagé, au sein de l'Europe, à une liberté de circulation des capitaux.
La conjonction de l'exception française, l'absence de référence à l'égard de ce qui sera bientôt notre cadre monétaire quotidien - l'Europe - avec cette volonté de créer unilatéralement en France une taxe mondiale me paraît ubuesque.
M. Ivan Renar. Utopique peut-être, mais pas ubuesque !
M. Jacques Oudin. Bien entendu, je partage le sentiment de mon collègue M. Charasse. Comme les membres de mon groupe, je suis contre cet amendement.
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement n° I-107 rectifié est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. J'ai bien compris le propos de M. le secrétaire d'Etat. Il n'est pas libéral, bien entendu...
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. En effet !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est une conjonction objective !
M. Thierry Foucaud. Nous maintenons cet amendement car une réflexion continue devra être menée sur cette question, qui nous paraît fondamentale.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-107 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels après l'article 7

M. le président. Par amendement n° I-220, M. Angels, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Demerliat, Haut, Lise, Massion, Miquel, Moreigne et Sergent, et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Au 5 bis de l'article 206 du code général des impôts, les mots : "agréées en application de l'article L. 128 du code du travail," sont remplacés par les mots : "conventionnées, visées à l'article L. 322-4-16-3 du code du travail, dont la gestion est désintéressée".
« II. - Au 1° bis du 7 de l'article 261 du code général des impôts, les mots : "agréées en application de l'article L. 128 du code du travail," sont remplacés par les mots : "conventionnées, visées à l'article L. 322-4-16-3 du code du travail, dont la gestion est désintéressée". »
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Il s'agit d'un amendement de coordination avec les dispositions de la loi de lutte contre les exclusions. Cette loi a en effet prévu que les associations intermédiaires qui sont aujourd'hui agréées signeront désormais une convention chaque année avec l'Etat. Ces conventions pourront prévoir des aides à l'ingénierie et aux postes d'accompagnement.
J'en profite pour rappeler le rôle fondamental que joue dans l'insertion des publics en difficulté le secteur des entreprises d'insertion et des associations intermédiaires.
Dans le projet de budget pour 1999, est prévue une augmentation significative de ses dotations, qui atteignent 363 millions de francs. Le nombre de personnes mises à disposition des entreprises par les associations intermédiaires a d'ailleurs fortement augmenté au cours des derniers mois, en corrélation avec le retour de la croissance économique.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Comme l'a dit M. Angels, il s'agit d'une disposition de coordination avec la loi de lutte contre les exclusions concernant l'impôt sur les sociétés, la TVA et certaines dispositions du code du travail.
Puisqu'il ne s'agit pas d'innovations par rapport à la loi de lutte contre les exclusions, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ? M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est, lui aussi, favorable à cet amendement.
M. Angels a présenté cet amendement comme une modeste disposition de coordination. Il s'agit, en réalité, d'un amendement très important, car les associations d'insertion jouent dans notre pays, notamment en direction des exclus, un rôle fondamental. Je salue cet amendement, qui permettra aux associations d'insertion de développer leur activité en toute sécurité fiscale.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-220, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 7.
Par amendement n° I-173, MM. Oudin, Besse, Braun, Cazalet, Chaumont, Delong, Gaillard, Haenel, Joyandet, Ostermann et Trégouët proposent d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A la fin de la première phrase du premier alinéa de l'article L. 208 du Livre des procédures fiscales, les mots : "dont le taux est celui de l'intérêt légal" sont remplacés par les mots : "dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts."
« II. - L'augmentation des charges résultant de l'application du I ci-dessus est compensée à due concurrence par une majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés à l'article 403 du même code. »
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. L'équité est une valeur à laquelle les Français sont très attachés. Ils estiment - et je crois que nous sommes nombreux à le faire - qu'il y a une différence de traitement qui n'est pas acceptable entre les intérêts moratoires qui sont appliqués au contribuable pour défaut ou insuffisance de paiement, ou pour versement tardif d'impôts, de droits, de taxes, de redevances diverses, au titre de l'article 1727 du code général des impôts, et ceux qui sont appliqués à l'Etat lorsque celui-ci est mauvais payeur, par exemple lorsqu'il est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul d'une imposition.
Il n'y a pas de raison objective pour que l'Etat, lorsqu'il se comporte en mauvais payeur à l'égard d'un contribuable, ne se voie pas appliquer les mêmes pénalités que les contribuables mauvais payeurs à l'égard de l'Etat.
Il s'agit d'un amendement de bon sens, d'un amendement d'équité, j'allais dire presque d'un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Notre collègue Jacques Oudin évoque en effet un sujet important.
Lorsque l'Etat réclame une somme à un contribuable de bonne foi, il lui demande effectivement de verser des intérêts moratoires ou des intérêts de retard, qui représentent un coût particulièrement important et dont le taux est très élevé par rapport aux taux du marché, au taux de l'argent à court terme.
M. Oudin a évoqué certaines références. Nous avons regardé quelles sont les définitions des taux de l'usure tels qu'ils sont établis dans différentes situations par le code de la consommation. Il s'agit, selon l'usage des prêts, de taux fixes ou de taux variables. Toutefois, certains taux de l'usure sont inférieurs au taux des intérêts de retard que l'Etat réclame au contribuable de bonne foi - j'insiste sur ce point - car, en l'occurrence, il s'agit bien des intérêts de retard, et non des pénalités qui sont des sanctions infligées à la suite de vérifications fiscales.
En revanche, lorsque l'Etat doit une certaine somme à tel ou tel partenaire économique, cette somme est certes affectée d'intérêts dits moratoires, mais leur taux est très inférieur à celui des intérêts de retard réclamés aux contribuables. Les intérêts de retard s'élèvent, me semble-t-il, à 0,75 point par mois, soit quelque 9 %. Ce chiffre est, à l'évidence, complètement en dehors de la réalité économique d'aujourd'hui.
La commission est, bien entendu, très sensible aux arguments développés à juste titre par notre collègue Jacques Oudin. Cela étant dit, nous préférerions avoir la possibilité de mettre au point ensemble un dispositif qui soit légèrement différent sur le plan technique. En effet, celui qui est prévu par cet amendement peut soulever, semble-t-il, un problème de recevabilité financière, puisqu'il augmente les charges de l'Etat.
Il doit être possible de trouver une solution juridiquement solide au regard des pouvoirs du Parlement. Elle pourrait consister à réduire le taux des intérêts de retard, plutôt qu'à augmenter celui des intérêts moratoires. J'aurais volontiers suggéré à notre collègue de bien vouloir retirer cet amendement, afin que nous le réexaminions sous une autre forme dans la deuxième partie du projet de loi de finances.
Il s'agit vraiment d'un message important : l'Etat n'est pas équitable. La démonstration en a déjà été faite. En effet, lorsqu'il doit de l'argent, il n'applique pas le taux qu'il demande lorsqu'il en réclame à tel ou tel de ses interlocuteurs, en particulier à des contribuables de bonne foi. Sans doute faut-il revenir à la notion d'un Etat plus équitable que ce n'est le cas à l'heure actuelle.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je crois que M. le rapporteur général s'est laissé quelque peu emporter.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument pas !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Il convient, en effet, de bien distinguer les intérêts moratoires et les intérêts de retard.
Imaginons qu'un contribuable ait un contentieux avec l'Etat et qu'au terme de la procédure contentieuse ce soit le contribuable qui gagne. A ce moment-là, l'Etat paie des intérêts moratoires. Si le contribuable perd, c'est lui qui paie les intérêts moratoires. Ce sont les mêmes intérêts. Lorsqu'il y un litige fiscal entre l'Etat et les contribuables, ce sont donc les mêmes intérêts qui sont payés de part et d'autre.
Pour les intérêts de retard, c'est tout à fait différent. Ils ont un but dissuasif. Je le dis très clairement : il s'agit d'éviter que certains contribuables ne fassent des arbitrages entre le fait de payer des impôts et le fait de ne pas les payer.
Il est très important, je crois, que tous les contribuables s'acquittent de leur impôt dans les délais fixés et ne soient pas incités à payer de plus en plus tard, en se disant que, parce qu'ils supporteront des intérêts de retard très faibles, ils ont à la limite intérêt à faire autre chose avec leur argent entre le moment où ils ne paient pas l'impôt et le moment où on le leur réclamera. Je trouve donc tout à fait normal que les intérêts de retard soient supérieurs aux intérêts moratoires.
M. le rapporteur général est prêt à ouvrir une réflexion sur ce point, mais il ne s'agit absolument pas de la même chose ! Dans un cas, il s'agit d'équité dans un litige entre un citoyen et l'Etat ; dans l'autre, il s'agit d'un dispositif qui a pour objet d'empêcher certains de nos concitoyens de faire de l'optimisation fiscale, procédé que la plupart d'entre nous condamnent.
Telles sont, monsieur Oudin, les raisons pour lesquelles je suis tout à fait défavorable à votre amendement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission préférerait avoir la possibilité de retravailler le texte de cet amendement. Tel qu'il est actuellement rédigé, bien qu'étant utile et opportun sur le fond, il ne peut pas, en effet, recueillir un avis favorable de sa part. Avec quelques progrès et un peu de travail, nous parviendrons sans doute à une rédaction tout à fait opérationnelle !
Je profite de cette intervention pour vous indiquer, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il n'est absolument pas dans notre propos de vouloir favoriser des arbitrages ou des optimisations de trésorerie entre les particuliers et l'Etat !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je vous remercie de le dire !
M. Philippe Marini, rapporteur général. La définition des intérêts de retard remonte à une époque relativement ancienne. Voilà de nombreuses années que le taux fixe de 0,75 point par mois a été défini et, lorsqu'il l'a été, le taux des marchés était beaucoup plus élevé et le différentiel infiniment plus faible qu'aujourd'hui.
Il faut donc trouver une formule qui, par rapport à un taux défini par référence au marché - l'intérêt légal, par exemple - entraîne un coût supplémentaire de deux ou trois points, sans qu'il soit nécessaire d'y revenir trop souvent. Cette formule permettrait ainsi d'intégrer les variations économiques dans la définition des intérêts de retard.
Une idée de ce genre nous semblerait aller dans le sens et de l'équité et des préoccupations de notre collègue M. Oudin. En outre, elle ne serait contraire ni à la bonne moralité fiscale ni à la gestion bien comprise, me semble-t-il, des intérêts - au sens large - de l'Etat.
M. Ivan Renar. Donc, l'amendement est inopportun !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous avez évoqué tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, deux cas de figure : celui du contentieux entre le redevable et l'Etat, et celui du contribuable qui fait de l'optimisation fiscale. Mais il y a également le cas du contribuable qui n'a pas la liquidité suffisante pour acquitter son impôt ! Je pense au contribuable qui est frappé par le décès d'un de ses proches : il se trouve devoir acquitter dans le délai de six mois des droits de mutation à titre gratuit mais il peut être dans l'impossibilité de payer parce qu'il n'a pas la liquidité suffisante ! Or, aujourd'hui, il se trouve frappé par un intérêt légal qui est, comme M. le rapporteur général le disait à l'instant, d'un taux réel extrêmement élevé.
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai besoin, pour voter, d'avoir l'assurance que vous ne négligerez pas cette question et que vous la considérerez pour la valeur qui est la sienne, car cette situation n'est pas satisfaisante.
Vous avez évoqué la situation des contribuables qui ne sont pas de bons citoyens. Mais c'est souvent le cas des différents gouvernements ! Or, Dieu merci, dans notre pays, certains contribuables sont dignes de respect et méritent aussi la considération du Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je voudrais répondre à M. le président de la commission des finances que, dans les cas sociaux qu'il a évoqués, en cas de difficultés à payer les droits de mutation dans les six mois, ...
M. Michel Charasse. Il y a remise !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... il arrive que les comptables publics du Trésor soient humains et accordent des délais de paiement, et ce sans intérêt moratoire : en cas d'étalement des paiements pour des raisons parfaitement justifiées, en général, il n'y a pas d'intérêts de retard.
Je crois donc très courtoisement, monsieur le président de la commission des finances, que l'exemple dramatique que vous avez choisi n'est pas le meilleur pour justifier votre position.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Le paiement différé supporte tout de même bien un intérêt légal !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-173.
M. Michel Charasse. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement nous gêne beaucoup, mes amis et moi. Nous comprenons bien la démarche de M. Oudin et, « brut de décoffrage », si je puis dire, nous considérons qu'elle n'est pas illégitime. Sur le fond, elle pose en tout cas, M. le rapporteur général et M. le président de la commission des finances l'ont dit, un vrai problème.
Cela étant, sur la forme, nous ne sommes pas en matière fiscale et, bien que l'amendement de M. Oudin soit gagé, il crée une charge, puisque les intérêts de retard représentent une dépense. Par conséquent, l'amendement ne devrait normalement pas être recevable... mais je n'invoque pas, monsieur le président, l'article 40, car cela ne se fait pas entre membres de la commission des finances. (Sourires.)
Par ailleurs, il y a deux choses dans l'amendement de M. Oudin : il y a la décision du tribunal et il y a le mauvais contribuable. Or, même s'il s'agit de rétablir une certaine égalité - ce qui est la démarche de M. Oudin - cette égalité n'existera jamais vraiment, puisque l'Etat conserve la possibilité de faire remise pour les pénalités, y compris pour les intérêts de retard.
Il faudrait donc, monsieur Oudin, pour que votre démarche soit complète, trouver un système qui tout d'abord soit gagé, parce que nous sommes ici dans le domaine des charges et non pas dans celui des recettes, et qui ensuite vous permette d'aller jusqu'au bout de votre raisonnement, en interdisant désormais à l'Etat de faire remise. Si l'on doit payer « plein pot » devant le tribunal parce que l'Etat a été condamné, il faut que, dans le cas inverse, celui qui est le mauvais payeur ne puisse pas obtenir une remise.
C'est en raison de ce déséquilibre et de l'absence de gage que nous ne voterons pas l'amendement n° I-173.
M. Lucien Neuwirth. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. M. le président de la commission des finances a présenté l'argument que je comptais présenter moi-même, mais il y a plus. En effet, l'attitude que vous adoptez, monsieur le secrétaire d'Etat, revient à mener une guerre de dissuasion : vous voulez dissuader le contribuable d'engager une action contentieuse en le menaçant, dans ce cas, de devoir payer les intérêts de retard. (M. le secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)
Que vous fassiez ou non des signes de dénégation, monsieur le secrétaire d'Etat, n'y change rien : telle est bien la situation dans sa brutalité, puisqu'un contribuable honnête mais qui n'est pas forcément un parfait connaisseur du code général des impôts hésitera à aller au contentieux, alors qu'il sait qu'il n'a pas tort et qu'il se sent dans son bon droit. Il craindra en effet, s'il est condamné, d'avoir à payer des intérêts de retard et non pas des intérêts moratoires.
Voilà pourquoi je suis tenté de suivre la suggestion que notre ami Michel Charasse vient de formuler à l'instant. Il faut que la situation soit équitable et que l'on sorte de cette attitude que je qualifierais presque de terrorisme intellectuel...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Lucien Neuwirth. ... et qui revient à pratiquer la dissuasion contre le contribuable qui voudrait aller au contentieux parce qu'il s'estime floué en le menaçant d'avoir à payer des pénalités de retard et non des intérêts moratoires.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est tout à fait juste !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, je crois que je me suis mal expliqué : nous ne cherchons pas à dissuader les contribuables de présenter un recours contentieux car, à l'issue de ce recours, il y a des intérêts moratoires et non pas des intérêts de retard.
J'ai essayé d'expliquer que, lorsqu'il y avait un recours contentieux, il y avait égalité : si c'est l'Etat qui gagne, le contribuable paie des intérêts moratoires ; mais, si c'est le contribuable qui gagne - et cela peut se produire - c'est l'Etat qui paie les intérêts moratoires, au même taux. J'ajoute que ces intérêts ne sont pas fiscalisés.
La question n'est donc pas là et, à cet égard, M. Charasse a dit deux choses très judicieuses.
La première, c'est qu'il faut distinguer les contribuables qui sont dans une situation de contentieux avec l'Etat - situation dans laquelle, je l'ai dit, le contribuable et l'Etat sont placés à égalité - et les contribuables qu'il a qualifiés de « mauvais », sachant, et j'en donne acte à M. le président de la commission des finances, que certains bons contribuables peuvent être dans l'incapacité de payer pour des raisons tout à fait valables, mais que ces derniers peuvent alors obtenir du comptable public un étalement.
La seconde remarque parfaitement sagace de M. Charasse, c'est que, même si je n'ai pas voulu interrompre le débat parce que le problème que vous soulevez, monsieur Oudin, passionne à l'évidence la Haute Assemblée, l'amendement n° I-173 n'est pas recevable au titre de l'article 40 de la Constitution car il crée une charge nouvelle.
M. Jacques Oudin. Je demande la parole.
M. Michel Charasse. L'article 40 est-il applicable ou non ?
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Je reconnais volontiers que l'amendement aurait pu être rédigé de façon un peu différente, mais je reconnais également avec vous qu'il pose un vrai problème.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes !
M. Jacques Oudin. Ce problème, c'est l'égalité de traitement, dans notre République, entre ceux qui ne paient pas les sommes qu'ils doivent, que la question se pose entre le contribuable et l'Etat ou entre l'Etat et le contribuable.
A cet égard, n'avons-nous pas voté, il y a quelques années, un texte qui impose aux collectivités locales, au-delà de quarante-cinq jours, des intérêts automatiques de retard ?
M. Michel Charasse. C'était en janvier 1986 !
M. Jacques Oudin. Certains d'entre nous, en tant que dirigeants de collectivités, ont eu à affronter ce texte. Le paradoxe réside donc dans ce fait : lorsque la collectivité ne peut pas payer son fournisseur parce qu'elle n'a pas reçu la subvention de l'Etat qui était affectée à l'investissement, l'Etat ne s'en soucie pas et le préfet impose à la collectivité de prendre en charge les intérêts de retard.
Une réflexion globale doit donc être conduite dans ce domaine. Autant j'ai écouté avec attention les observations de M. le rapporteur général et de M. le président de la commission des finances, autant, monsieur le secrétaire d'Etat, je regrette un peu que vous ayez, dans un premier temps, balayé le problème en nous disant qu'il y a les intérêts moratoires et les intérêts de retard, mais que, nous, nous n'avions rien compris.
Je remercie en tout cas notre collègue M. Charasse - même s'il s'est exprimé contre l'amendement - d'avoir posé le problème dans sa vraie dimension, celle de l'équité à rétablir entre tous les acteurs de la République. Il faut en effet que chacun se sente traité de la même manière.
Si une réflexion nouvelle doit être menée, je souhaite donc que notre commission des finances la poursuivre, en liaison avec le ministère, pour aboutir à une situation préférable à celle que nous connaissons et que nous critiquons à peu près tous sur les diverses travées de cette assemblée.
Sous réserve de ces explications, monsieur le président, je retire l'amendement n° I-173.
M. le président. L'amendement n° I-173 est retiré.

Article 8