Séance du 30 novembre 1998
M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : II. - Enseignement supérieur.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous présente, pour la quatrième fois, les dispositions du projet de budget pour l'enseignement supérieur. Avant d'examiner les problèmes de fond que pose l'examen de ce projet de budget, je citerai quelques chiffres pour en présenter l'enjeu.
D'un volume légèrement supérieur à 51 milliards de francs cette année, ce projet de budget enregistre une progression très importante de 5,48 %, qui marque bien la priorité donnée par le Gouvernement aux crédits de l'enseignement supérieur.
Quant aux effectifs, outre les 79 815 personnels enseignants, on compte environ 55 000 personnels administratifs et techniques, compte tenu des recrutements qui sont intervenus au cours de l'année.
Ce budget représente aujourd'hui - et c'est quand même, il faut le dire, un pourcentage très faible - 0,58 % du PIB national. J'ai cité ces quelques chiffres pour montrer quel est l'enjeu du débat sur le budget de l'enseignement supérieur. Cela étant, dans quel contexte s'inscrit celui-ci, quelles sont les priorités qu'il affirme, quelles questions fondamentales ayant une incidence majeure pour les années à venir recèle-t-il ?
Le contexte, monsieur le ministre - nous vous l'avions dit l'année dernière et je le répète cette année - est celui d'une incertitude de votre politique en matière universitaire. A la différence de ce qui prévaut dans le domaine scolaire, nous n'avons pas encore vu clairement - mais peut-être est-ce dû à une insuffisante information ou à une insuffisante intelligence de notre part - les grandes lignes de votre politique universitaire.
Je souhaite soulever trois questions fondamentales à cet égard, qui sont inspirées du rapport de M. Valade.
La première de ces questions qui marquent bien les incertitudes de la situation actuelle en matière universitaire est celle de l'évolution des effectifs.
Les effectifs sont en baisse et la diminution, qui était de plus de 20 000 étudiants l'an dernier, atteint cette année le chiffre de 14 000. Les effectifs universitaires s'élèvent aujourd'hui à 1,512 million d'étudiants, auxquels il faut ajouter les élèves des sections de techniciens supérieurs et des classes préparatoires aux grandes écoles, qui sont intégrés dans l'enseignement secondaire, et les étudiants de l'enseignement supérieur privé, pour un total évalué à environ 2,1 millions d'étudiants.
Ces effectifs ont donc baissé de près de 2 % une année, de 1,3 % l'année suivante, et les études prospectives montrent que, à moyen et à long termes, la baisse se poursuivra, et que c'est peut-être 200 000 étudiants de moins que les universités françaises auront à accueillir. Ces réflexions prospectives avaient été engagées voilà quelque temps dans les régions, lorsque l'on avait commencé à élaboré le schéma des formations. D'autres schémas sont actuellement en cours d'étude.
Notre question est simple : considérez-vous que la réduction du nombre des effectifs étudiants à l'université est inéluctable ? Doit-on en tirer les conséquences, en matière d'emplois mais aussi d'encadrement et de conditions d'accueil des étudiants dans les université ? Voilà la première grande incertitude en matière de politique universitaire.
La deuxième grande incertitude tient bien évidemment à la mise en oeuvre de la réforme Bayrou de 1997 concernant l'organisation des premiers cycles universitaires. En définitive, chaque université apprécie l'utilité, voire la nécessité, de mettre en place cette réforme et a la liberté d'adapter le dispositif.
Lors de votre audition par la commission des finances, monsieur le ministre, vous nous avez fait part de vos réflexions sur la mise en place de ce premier cycle universitaire. Vous nous avez notamment indiqué que le premier semestre dit « d'orientation » n'avait pas donné les résultats escomptés.
Là encore, notre question est simple : avez-vous l'intention de poursuivre l'application de la réforme du premier cycle universitaire dans l'ensemble des universités ? Une autre politique sera-t-elle préconisée ? Laissera-t-on les universités, dans le cadre de leur autonomie, prendre les dispositions qui leur paraîtront les meilleures ?
Ma troisième incertitude, à laquelle vous vous attendez inévitablement, tient aux conclusions qui seront tirées des rapports Fauroux et Attali. Qu'en est-il du rapprochement entre les universités et les grandes écoles ainsi que de la mise en place et de l'organisation du système « 3, 5 ou 8 », pour employer le jargon des spécialistes ? Les crédits nécessaires seront-ils dégagés ?
Ces questions expliquent, pour reprendre l'expression tout à fait appropriée de notre collègue Jacques Valade, notre « perplexité » en cette veille de l'année 1999 pour porter un jugement sur le budget de l'enseignement supérieur.
Après avoir cité ces quelques chiffres et présenté le contexte général très incertain dans lequel s'inscrit une politique universitaire dont les lignes, permettez-moi de vous le dire, ne sont pas très bien tracées, j'indiquerai maintenant quelques priorités qui trouvent, quant à elles, une traduction budgétaire très positive. (M. Carrère manifeste sa satisfaction.) Je constate que M. Carrère se réjouit de me voir dégager maintenant quelques aspects positifs de ce budget.
Le premier aspect positif tient à l'ouverture de l'université vers l'extérieur et à la mise en place de l'agence Edufrance. Face à la concurrence à laquelle se livrent les universités françaises, allemandes, anglaises et américaines, nous nous devons d'accueillir, dans des conditions convenables, un nombre toujours plus grand d'étudiants étrangers ayant un excellent niveau d'éducation, ces étudiants assumant, comme les étudiants français eux-mêmes, les mêmes charges financières. Il en va du rayonnement des sciences et de la langue française ainsi que de son influence.
L'objectif est extrêmement ambitieux. Il s'agit de faire passer progressivement de 130 000 à 500 000 le nombre d'étudiants étrangers accueillis dans les universités françaises.
Les crédits d'un montant de 100 millions de francs consacrés à l'agence Edufrance seront-ils suffisants ? Nous pouvons nous poser la question. En tout cas, cette ouverture sur l'extérieur est une bonne orientation.
De même, il est important et positif d'ouvrir l'université, de la mettre en relation avec les milieux professionnels. Le développement de la formation permanente et les formules alternant vie professionnelle et enseignement universitaire constituent de bonnes orientations.
La mise en place du plan social étudiant est également positive. Elle constitue la mesure la plus importante de ce budjet. En 1999, 830 millions de francs seront affectés à la mise en place de ce plan. L'augmentation du montant des bourses ainsi que l'élargissement du champ de ses bénéficiaires, l'accent mis sur les locaux d'accueil des étudiants, afin de leur permettre de devenir de vrais citoyens, autonomes, exerçant toutes leurs activités dans le milieu universitaire, l'amélioration des conditions de transports, notamment en Ile-de-France, le renforcement du réseau des résidences universitaires et de la restauration universitaire sont de bonnes initiatives. La première tranche de ce plan, évaluée à 7 milliards de francs, qui devrait commencer à s'appliquer en 1999, est très significative et constitue vraiment l'une des caractéristiques majeures de votre budget.
J'en viens maintenant aux interrogations que suscitent les emplois et le plan U3M.
S'agissant des emplois, un débat a lieu sur l'encadrement. Dans la mesure où les effectifs baissent et où, depuis cinq ans, tout particulièrement depuis l'année dernière, un programme important de recrutement a été lancé, le taux d'encadrement s'améliore. Pourtant, si nous effectuons des comparaisons avec d'autres pays, nous constatons que le taux d'encadrement des étudiants en France reste très faible.
Vous m'avez remis, vendredi dernier, une petite note sur la portée et la signification du taux d'encadrement actuel des étudiants. Nous nous demandons si la procédure de répartition des effectifs entre les universités est bien adaptée. Ne faudrait-il pas de nouveau réfléchir à une réforme de cette procédure, notamment dans le cadre des perspectives contractuelles qui lient désormais des universités de plus en plus autonomes avec le Gouvernement, avec l'Etat, avec le ministère de l'éducation nationale ? Une nouvelle réflexion sur les heures supplémentaires ne peut-elle pas être engagée ? Il est bon que ces dernières soient financées à la fois sur les crédits d'heures complémentaires et sur les crédits des emplois vacants. Cela donne beaucoup de souplesse - tout ne doit pas être rigide - mais il ne faudrait pas que cela nous empêche d'avoir une exacte appréciation de la répartition des emplois, de leur localisation et de leur qualification.
En 1999, aucun recrutement d'enseignant n'est apparemment prévu. Toutefois, il faut noter que 75 millions de francs sont consacrés à la création de 1 500 postes d'attaché temporaire d'enseignement et de recherche.
Par ailleurs, un peu plus de 800 emplois vont être créés dans les services administratifs et techniques, dont 150 dans les bibliothèques. Cette mesure est très positive, mais nous nous interrogeons réellement sur la gestion de la ressource humaine, ainsi que sur l'évolution du taux d'encadrement au cours des années à venir.
Ma deuxième question concerne bien évidemment le plan U3M. Compte tenu du peu de temps qui m'est imparti, il me sera difficile de traiter ce sujet mais je vais m'y essayer.
Ce plan, qui est une bonne initiative, prendra le relais du plan Université 2000 et des contrats de plan. Mais, aujourd'hui, les arbitrages ne sont pas encore rendus, tout au moins à notre connaissance. Quant comptez-vous y procéder, étant donné que la procédure est lancée à l'échelon tant national que régional ? Quel sera le coût de ce plan ? Sera-t-il de 40 milliards de francs, comme le plan précédent, ou sera-t-il plus élevé ? Quelle sera la répartition des charges entre l'Etat et les régions ?
Je rappelle que, depuis trois ans, je demande que les fonds de concours des régions aux universités soient hors TVA et que les participations de ces dernières donnent lieu à compensation de la TVA.
Notre collègue M. Charasse, qui n'est pas présentement parmi nous...
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est rare qu'il ne soit pas là !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. ... a publié une circulaire inadaptée. Aujourd'hui, les fonds de concours des régions aux universités doivent être exonérés de TVA. Il est normal que les équipements universitaires soient réalisés hors TVA même s'il s'agit d'un fonds de concours et même si la région n'est pas maître d'ouvrage. En effet, aujourd'hui, dans la plupart des cas, vous demandez que les universités soient maître d'ouvrage pour renforcer leur autonomie. C'est une bonne chose. La logique voudrait donc que les fonds de concours des régions soient hors TVA. Autrefois, nous pouvions un jour réaliser un bâtiment hors TVA en en assumant la maîtrise d'ouvrage alors que le lendemain l'Etat ou l'université pouvaient être le maître d'ouvrage.
Monsieur le ministre, je vous interroge donc sur le coût du plan U 3M, sur les modalités et le niveau des concours des collectivités territoriales, essentiellement des régions, ainsi que sur la place des universités en Ile-de-France. Le retard pris par cette région est considérable. Qu'en sera-t-il ? Parviendra-t-on à trouver un accord avec la région d'Ile-de-France pour rattraper le retard des universités parisiennes et remédier à l'insécurité ainsi qu'aux mauvaises conditions d'accueil ?
Avant même que ce plan soit mis au point, une première tranche de l'ordre de 1 milliard de francs apparaît dans le projet de budget pour 1999. Là, se pose le problème de la restructuration de Jussieu - je ne parle plus, pour répondre à vos voeux, monsieur le ministre, de désamiantage - qui va s'étaler sur sept ans et qui implique que des surfaces perdues soient compensées par la création de 30 000 mètres carrés de bâtiments.
Si l'on ajoute au milliard de francs les 2,8 milliards de francs correspondant aux opérations de déménagement et aux nouveaux locaux, nous parvenons à un total de 3,8 milliards de francs. Pourra-t-on s'en tenir à ce coût déjà très élevé ? Ne vaudrait-il pas mieux placer la restructuration de Jussieu hors plan U3M et hors contrat de plan Etat-région ?
J'en arrive à ma conclusion - M. le président va certainement me reprocher d'être toujours hors délai.
Mme Nelly Olin. Votre intervention est tellement intéressante !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. En descendant de la tribune, je vous remettrai, monsieur le ministre, le rapport de la mission que nous avons menée sur les bibliothèques universitaires et qui est intitulé : « Bibliothèque universitaire : le temps des mutations ». Comme les bibliothèques universitaires, l'université française est au temps des mutations et nous souhaiterions être mieux en mesure d'apprécier la première traduction de ce phénomène dans le projet de loi de finances pour 1999. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec un peu plus de 51 milliards de francs, les crédits de l'enseignement supérieur sont susceptibles de progresser de 5,4 % en 1999, soit une augmentation supérieure à celle de 1998, d'une ampleur comparable à celle de 1997.
En dépit d'un timide début de transfert des moyens entre l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur, il nous faut constater que ce dernier ne bénéficie que de 15 % du budget total de l'Education nationale et correspond seulement à 0,58 % du produit intérieur brut, soit un pourcentage sensiblement inférieur à celui qui est observé dans nombre de grands pays de tradition universitaire. Nous ne cessons d'ailleurs de le répéter depuis trop longtemps.
Avant d'examiner votre projet de budget, autant vous le dire d'emblée, monsieur le ministre, la commission des affaires culturelles et son rapporteur se sont interrogés, à l'instar de M. Lachenaud, sur la réalité de votre projet pour l'enseignement supérieur qui reste hypothéqué par de grandes incertitudes, que, pour l'instant, vous n'avez pas levées. Nous ne pouvons qu'exprimer notre perplexité à l'égard de votre budget : entre un mammouth impotent et une machine sans âme, il semble qu'il y ait une position d'équilibre que nous n'avons pas perçue. Nous souhaiterions que vous vous exprimiez à ce sujet.
En effet, alors que vous avez annoncé, ou engagé, de profondes réformes de l'enseignement scolaire, notamment pour le premier degré et les lycées, nous ne pouvons que constater et regretter que l'enseignement supérieur n'ait été l'objet de votre part que de propositions d'aménagement limitées ; celles-ci ne permettent pas d'appréhender la philosophie générale et les intentions du Gouvernement en ce qui concerne l'avenir de notre système universitaire.
Il est ainsi regrettable, comme l'a dit le rapporteur spécial, M. Lachenaud, que les perspectives ouvertes par l'excellent rapport de la commission Fauroux aient été négligées : celles-ci envisageaient, notamment, de clarifier les parcours professionnels, de simplifier les diplômes, de développer la coéducation avec l'entreprise par la voie de l'alternance, de réorganiser en profondeur les premiers cycles universitaires, de permettre aux professeurs agrégés de ces premiers cycles d'accéder à la recherche et, surtout, de renforcer l'autonomie des universités.
Quant au rapport Attali, qui procède d'une autre philosophie et à l'origine duquel vous êtes, force est de reconnaître que ses orientations, dont certaines sont dignes d'intérêt, sont pour l'instant, très sous-utilisées.
S'agissant, enfin, des réformes annoncées par votre prédécesseur, leur sort a été scellé de manière encore plus définitive : elles ont été, à l'exception de la réforme pédagogique des premiers cycles, purement et simplement abandonnées, qu'il s'agisse, par exemple, de la mise en place d'un statut social étudiant, d'une allocation sociale d'études ou de la prise en compte de l'insertion professionnelle des diplômés dans la politique contractuelle des établissements. Toutes ces propositions ont été jugées, selon les cas, infondées, dépourvues de moyens de financement ou insuffisamment expertisées. La commission des affaires culturelles estime que la qualité des travaux effectués au cours de ces « états généraux de l'université » et la mobilisation qu'ils ont impliquée méritaient de votre part une analyse plus attentive et une meilleure utilisation.
J'attire, une fois encore, votre attention, monsieur le ministre, sur le désarroi des étudiants et des familles et sur la lassitude des enseignants-chercheurs - nos collègues, monsieur le ministre - qui sont sans cesse sollicités, consultés et ne perçoivent pas la prise en considération de leurs propositions et de leurs efforts.
Monsieur le ministre, vous avez cependant engagé deux actions prioritaires tendant, l'une, à développer la formation permanente à l'université, l'autre, à ouvrir notre système universitaire sur l'extérieur.
Si ces priorités sont fondées, et nous sommes tout à fait en phase avec vous, nous estimons toutefois que la première de ces actions ne doit pas prendre le pas sur les activités traditionnelles de formation initiale et de recherche de l'université. Nous avons perçu en d'autres lieux des dérives du type de celle que j'évoque.
S'agissant de la seconde action prioritaire, il est vrai que nos universités n'accueillent aujourd'hui que 130 000 étudiants étrangers, dont le tiers en lettres et en sciences humaines, soit notablement moins que leurs homologues anglo-saxons. Si l'on peut constater, en effet, une désaffection de ces étudiants à l'égard de notre université, je suis persuadé que la qualité de nos formations et de nos travaux de recherche ne peut être mise en cause et que les raisons de cette désaffection doivent être recherchées ailleurs.
Le rapporteur de votre commission ne peut que se féliciter d'une plus grande ouverture de l'université sur l'extérieur, et de la création de l'agence Edufrance, qui sera chargée, sous la présidence, sans nul doute efficace, du professeur Charpak, de dynamiser et de faire connaître notre système universitaire.
J'estime cependant que les objectifs que vous vous assignez, en l'occurrence accueillir à moyen terme 600 000 étudiants étrangers,...
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Cinq cent mille !
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. Quoi qu'il en soit, ces objectifs sont trops ambitieux, voire irréalistes.
Comment, en effet, comptez-vous accueillir d'une manière convenable des effectifs aussi considérables qui représenteraient plus du quart des étudiants nationaux ? Avez-vous, par ailleurs, l'intention de faire payer à ces étudiants leurs études au juste prix ? Je crains, monsieur le ministre, que la mise en oeuvre d'un objectif aussi ambitieux ne suscite quelque inquiétude de la part de votre collègue chargé du ministère de l'intérieur.
Je vous avoue ensuite mon embarras pour porter un jugement sur la réorganisation annoncée des cursus universitaires : celle-ci constitue à l'évidence une nécessité,...
M. Jean-Louis Carrère. Ça, c'est un argument !
M. Jacques Valade, rapporteur pour avis. ... d'une part, pour améliorer la cohérence de nos parcours universitaires et, d'autre part, pour harmoniser nos diplômes au niveau européen ou international.
Les propositions formulées en ce domaine, d'après ce que l'on peut en connaître, inspirées notamment du rapport Attali et des réflexions du recteur Monteil, avec lequel je m'en suis entretenu - cela m'est relativement facile à Bordeaux - alors qu'est engagée une réforme des premiers cycles universitaires, apparaissent encore confuses et doivent nécessairement faire l'objet d'un arbitrage ministériel, qui tarde à venir.
Encore une fois, il n'y a pas de procès d'intention, contrairement à ce que certains pourraient penser ou dire, et nous attendons de vous entendre vous exprimer, monsieur le ministre.
La commission des affaires culturelles a exprimé certaines réserves sur un allongement systématique des cycles d'études initiaux dont certains, tels les BTS et les IUT, ont une finalité d'insertion professionnelle. Elle s'est également demandée si cet allongement n'était pas quelque peu contradictoire avec le souci de développer la formation permanente, tout au long de la vie professionnelle.
Je souhaiterais, par ailleurs, que vous puissiez fournir au Sénat des précisions sur l'avenir de la réforme pédagogique des premiers et des deuxièmes cycles universitaires engagée en 1997, qui est très inégalement appliquée et dont certaines modalités, présentées comme essentielles, par exemple le semestre de réorientation, sont en fait restées lettre morte.
J'ajouterai que la désaffection constatée à l'égard des études scientifiques, qui résulte pour partie de la prolifération des formations professionnalisées qualifiantes, est très préoccupante et qu'elle risque, à terme, de remettre en cause un nécessaire équilibre entre les formations supérieures.
J'aborderai maintenant les grandes lignes de votre projet de budget pour 1999.
Ses crédits progressent, même hors plan social étudiant, de manière non négligeable : ils permettront de « libérer » opportunément 1 500 emplois d'enseignants-chercheurs antérieurement réservés à l'accueil des attachés temporaires d'enseignement et de recherche, les ATER, de créer 800 emplois IATOS, dont 150 pour les bibliothèques universitaires, ce qui est tout à fait indispensable.
Par ailleurs, 2,43 milliards de francs seront consacrés à la recherche universitaire, je laisse le soin à M. Pierre Laffitte d'évoquer ce dossier qu'il connaît bien. Si la progression des crédits de la recherche universitaire est inférieure en 1999 à celle qui a été observée l'an dernier, elle reste cependant supérieure à celle qui concerne les crédits du CNRS et du BCRD.
J'en viens au plan social étudiant, qui constitue votre première priorité budgétaire.
Sa mise en oeuvre devrait mobiliser 7 milliards de francs pendant quatre ans et permettre, à terme, d'accorder une aide directe à 30 % des étudiants et d'augmenter de 15 % le niveau des aides : 808 millions de francs seront consacrés en 1999 au lancement des premières tranches de ce plan. Si ce plan social est, en effet, nécessaire pour accompagner la démocratisation de l'enseignement supérieur, la commission des affaires culturelles tient cependant à en souligner la portée limitée.
Il semble en effet, monsieur le ministre, que vous n'ayez guère tenu compte des conclusions du rapport Cieutat qui dénonçait le caractère peu redistributif des aides existantes ; vous avez apparemment abandonné l'idée d'un statut social étudiant et d'une allocation d'études généralisée ; vous maintenez en l'état l'allocation de logement sociale, l'ALS, dont vous connaissez le coût et qui reste insuffisamment ciblée ; vous ne touchez pas à un dispositif fiscal qui bénéficie davantage aux familles disposant de revenus élevés et vous n'avez pas encore défini de critère d'autonomie financière de l'étudiant pour le calcul des aides.
Je m'interroge, enfin, sur la pertinence des critères retenus pour l'attribution de deux cents bourses de mérite aux bacheliers les plus brillants, d'origine modeste, qui se destinent à la magistrature et à la haute fonction publique. Au-delà de la cible, trop limitée, je soulignerai le caractère sans doute médiatique, mais quasi symbolique d'une telle mesure, et son coût dérisoire qui doit être rapproché, par exemple, de l'effort des régions en matière d'aides aux étudiants, alors que tant de jeunes gens méritent un soutien de la même nature.
Pour terminer, j'évoquerai en quelques mots votre seconde priorité budgétaire : le programme U3M.
Ce programme a pour objet de répondre à des besoins de maintenance, de mise en sécurité et d'aménagement des locaux universitaires. Il intervient dans un contexte nouveau de baisse des effectifs étudiants, alors que le plan Université 2000 avait pour finalité de répondre à la montée de ces effectifs.
U3M sera financé, comme Université 2000, à parité, semble-t-il, par l'Etat et par les collectivités territoriales, au mépris, encore une fois, des règles de répartition des compétences, afin de pallier les carences de l'Etat. Ce programme sera intégré dans les contrats de plan du XIIe Plan, comme le schéma U 2000 l'avait été en partie dans le plan précédent.
La commission des affaires culturelles tient à souligner que la mise en oeuvre d'U3M devra être le fruit d'une véritable concertation avec les universitaires et les responsables régionaux, et non pas procéder d'une conception par trop jacobine de l'aménagement du territoire, qui risquerait, notamment, d'écarter les acteurs du monde universitaire.
Elle a, par ailleurs, exprimé la crainte que la mise en oeuvre du programme U3M n'ait pour conséquence de modifier l'actuelle carte universitaire, de remettre en question, dans un contexte de décroissance des effectifs, certaines délocalisations universitaires qui ont fait la preuve de leur utilité. Je souhaiterais à cet égard obtenir des assurances de votre part, monsieur le ministre, sur la pérennité de ce tissu universitaire et social qui permet de proposer, dans les villes moyennes, des enseignements de proximité, notamment aux étudiants d'origine modeste.
En guise de conclusion, monsieur le ministre, je ne peux que m'étonner d'un certain attentisme, surtout de votre part, concernant les nécessaires réformes de l'enseignement supérieur, et je ne résiste pas à la tentation de citer le fabuliste :
Ne faut-il que délibérer ?
La Cour en conseillers foisonne ?
Est-il besoin d'exécuter ?
L'on ne rencontre plus personne ?
Compte tenu des incertitudes subsistant quant à l'avenir de notre système
universitaire et d'une évolution des crédits qui ne paraît pas commandée par la
définition claire de véritables priorités, la commission des affaires
culturelles a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat pour l'adoption ou
le rejet des crédits de l'enseignement supérieur pour 1999 et est attentive aux
propositions formulées par la commission des finances.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 18 minutes ;
Groupe socialiste : 16 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 11 minutes.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de
l'enseignement supérieur pour 1999, tel qu'il nous est présenté cette année,
s'élève à 51 113,7 millions de francs en dépenses ordinaires et crédits de
paiement, soit une progression de 5,48 % par rapport à 1998.
A la lecture de ces chiffres, il apparaît que la part du budget de
l'enseignement supérieur ne cesse de croître, puisqu'il avait progressé de 3,05
% en 1998.
Trois axes majeurs se dégagent de votre budget : d'abord, l'amélioration des
moyens des établissements en emplois, crédits et mesures de personnel ;
ensuite, la poursuite de l'effort d'investissement dans le cadre de la
préparation du plan Université du troisième millénaire ; enfin, les engagements
du Gouvernement quant à la mise en oeuvre du plan social étudiant.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de m'attarder sur la situation
particulière de l'université des Antilles-Guyane, dont l'importance est
essentielle pour l'avenir de la formation de notre jeunesse.
En effet, cette université n'est pas sans connaître de nombreuses
difficultés.
Tout d'abord, elle a une autonomie financière inférieure à celle des
universités pluridisciplinaires de petite taille et inférieure à celle de
l'ensemble des universités.
Qu'il s'agisse du ratio ressources par étudiant, du taux d'investissement ou
encore du ratio dépenses universitaires et d'Etat en personnel par étudiant,
ils sont inférieurs à ceux qui sont constatés dans l'ensemble des
universités.
L'absence de fonds de roulement est un symptôme récurrent de l'absence de
moyens financiers dont souffre notre université.
Un autre problème, qu'il n'est pas simple de gérer, concerne l'intégration des
ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service, les IATOS.
En effet, l'insuffisance de notre encadrement nous a amenés à recruter des
personnels hors statut qui se trouvent aujourd'hui dans une situation de
précarité. Il serait tout à fait légitime que ces personnels, dont certains
travaillent depuis plus de dix ans à l'université, soient enfin titularisés.
Compte tenu de la gravité de la situation, des réponses doivent être apportées
afin de garantir à chaque étudiant les mêmes moyens que ceux dont bénéficient
les étudiants de métropole.
S'agissant du campus de Fouillole, je dirai simplement que la vétusté dans
laquelle se trouvent les bâtiments inquiète, non sans raison, les membres de la
communauté universitaire, d'autant que des accidents sont survenus l'année
dernière.
Monsieur le ministre, je souhaiterais maintenant attirer votre attention sur
le projet de création d'une université autonome en Guyane.
Très récemment, vous avez procédé à la nomination de M. Blamont que j'ai
rencontré et qui est chargé de conduire une concertation avec les décideurs
guyanais, afin de réfléchir aux modalités d'instauration d'une telle
université.
Je suis tout à fait favorable à ce projet, qui permettra de combler les
lacunes immenses de l'enseignement supérieur en Guyane et qui insufflera une
dynamique nouvelle au système éducatif guyanais dans son ensemble.
En effet, aujourd'hui, les étudiants guyanais souhaitant poursuivre leurs
études au-delà du DEUG sont dans l'obligation de partir étudier aux Antilles ou
en métropole. La mise en place de cette nouvelle université permettrait donc
aux étudiants guyanais d'obtenir un diplôme de licence dans les filières
classiques, tels, notamment, les lettres, le droit, l'économie, les
mathématiques. Cela favoriserait leur intégration dans les instituts
universitaires de formation des maîtres. En effet, actuellement, ce sont
surtout des étudiants en provenance de l'université des Antilles et des
universités et de la métropole qui intègrent l'IUFM de Guyane.
La formation de professeurs des écoles guyanais serait de nature à répondre à
la demande grandissante de nouveaux effectifs d'enseignants dans le premier
degré pour scolariser dans les prochaines années un afflux massif d'élèves.
En outre, les étudiants souhaitant poursuivre leurs études au-delà du DEUG,
jusqu'à l'agrégation, ce qui n'est pas possible en l'état actuel des choses à
l'université de Guyane, ne seront plus obligés de partir étudier à l'université
des Antilles.
S'agissant du statut de cette nouvelle université, je suis partisan de la
conclusion de conventions avec une université mère - aux Antilles ou en
métropole - pour une durée de trois ou cinq ans.
Par ailleurs, la création d'une université autonome de Guyane concomitamment à
la mise en place du parc du Sud souhaité par le Premier ministre serait
susceptible de favoriser l'instauration en Guyane d'un véritable pôle de
recherche scientifique. Ce dernier serait fondé sur un partenariat entre les
chercheurs du monde entier y travaillant et les étudiants chercheurs de cette
nouvelle université.
Voilà, monsieur le ministre, les quelques points sur lesquels je souhaitais
m'exprimer et sur lesquels j'attends des réponses.
M. le président.
La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon
intervention portera sur quatre aspects de la politique de l'enseignement
supérieur.
Permettez-moi tout d'abord d'évoquer la situation des cinq instituts
catholiques - Angers, Lille, Lyon, Paris et Toulouse - réunis au sein de
l'Union des établissements d'enseignement supérieur catholique, l'UDESCA, et
des quinze écoles d'ingénieurs ainsi que des six écoles de commerce et de
management rassemblées au sein de la Fédération des écoles supérieures
d'ingénieurs et de cadres, la FESIC, qui reçoivent de l'Etat des subventions de
fonctionnement inscrites à l'article 10, chapitre 43-11, au titre des
encouragements divers pour leurs 24 000 élèves éligibles à cette subvention.
M. Jean-Louis Carrère.
Vous n'allez pas les minorer, celles-là !
M. Jacques Legendre.
La somme globale inscrite au « bleu » budgétaire pour l'ensemble des
établissements supérieurs privés s'élève à 216,7 millions de francs comprenant,
pour la première fois, 2,3 millions de francs de mesures nouvelles au titre de
l'inflation.
Cette somme est inférieure de 12 millions de francs aux crédits votés pour
1997. De plus, elle ne compense pas la réduction budgétaire de 12 % décidée
durant le second semestre de 1997 au détriment de l'ensemble de l'enseignement
supérieur privé, réduction qui s'est traduite par une diminution brutale des
crédits de 21 millions de francs attribués à l'UDESCA et à la FESIC, même s'il
faut reconnaître le geste du ministère de l'éducation nationale, de la
recherche et de la technologie qui, en 1996, a alloué à l'UDESCA et à la FESIC
9 millions de francs de plus qu'en 1997. Il n'empêche qu'il aurait fallu, pour
retrouver le niveau de 1997, que ce ministère attribue au minimum, en 1999, 12
millions de francs supplémentaires !
Allouée dans le cadre d'une logique d'enveloppe globale, cette subvention ne
prend pas en compte l'augmentation des effectifs de l'UDESCA et de la FESIC. La
subvention par élève reste constante depuis 1990 et inférieure à 7 000 francs.
Une telle diminution de l'effort en francs constants oblige à augmenter
d'autant la charge des familles.
M. Jean-Louis Carrère.
Oh ! là ! là !
M. Jacques Legendre.
Est-ce juste, est-ce normal, alors que ces établissements, qui entretiennent
des relations de confiance et de partenariat avec l'enseignement supérieur
public, sont pleinement engagés dans la mission d'intérêt général de
l'enseignement supérieur ? Nous attendons de vous un effort significatif,
monsieur le ministre.
J'en viens maintenant à la création de l'agence Edufrance. Vous permettrez au
rapporteur pour avis des crédits de la francophonie de saluer cette décision.
Il est vrai que nos universités et grandes écoles reçoivent trop peu
d'étudiants étrangers,...
M. Pierre Laffitte.
C'est vrai !
M. Jacques Legendre.
... que nos concurrents, en particulier anglo-saxons, font mieux et qu'il est
donc urgent de réagir.
M. Pierre Laffitte.
Bravo !
M. Jacques Legendre.
Vos objectifs sont ambitieux, monsieur le ministre, très ambitieux : vous
voulez attirer dans notre enseignement supérieur des centaines de milliers
d'étudiants étrangers. Il ne suffit cependant pas seulement de le vouloir !
Il va falloir être concurrentiel, c'est-à-dire savoir se faire connaître,
savoir accueillir, savoir assurer un suivi. En aurons-nous les moyens ? Comment
seront financées les études de ces centaines de milliers d'étrangers ?
Allons-nous admettre qu'il est légitime qu'ils financent leurs études, comme
s'ils choisissaient d'aller aux Etats-Unis ou en Australie ? Allez-vous mettre
en application, en matière d'accueil et de visa, les excellentes propositions
contenues dans le rapport réalisé, à l'Assemblée nationale, par Mme
Alliot-Marie ? En clair, allons-nous nous décider à être présents de toutes nos
forces sur le marché européen et mondial de l'enseignement supérieur ?
Je crois que nous en avons les moyens intellectuels, et qu'il y va tout
simplement de notre rayonnement.
Je voudrais maintenant parler des antennes universitaires. Elles se sont
développées dans les années quatre-vingt, alors que les universités
s'inquiétaient de l'inflation galopante des effectifs de leurs premiers cycles,
mais elles sont maintenant remises en cause, alors que les effectifs globaux
des universités stagnent ou régressent. Je ne prétends pas qu'elles ont été
remises en cause par vous, monsieur le ministre, mais des universitaires ou des
syndicats d'enseignants s'en sont parfois chargés, et je crois donc que ce
problème doit être soulevé.
Evitons les mauvais procès et soyons clairs : je parle des antennes
universitaires de premier cycle situées dans les villes moyennes. Je ne réclame
pas la multiplication des universités départementales, car je suis de ceux qui
n'ont jamais oublié que l'université c'est de l'enseignement et de la
recherche, et que l'on ne saupoudre pas la recherche.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Très bien !
M. Jacques Legendre.
Mais les antennes universitaires sont un puissant instrument de
démocratisation de l'enseignement supérieur, et je me réjouis de voir notre
collègue Jacques Valade rappeler, dans son rapport, combien cette
démocratisation, qui conduit à l'égalité des chances, reste une exigence du
temps. Il est faux de dire que ces antennes dispensent un enseignement au
rabais. En effet, regardons les résultats ; on constate qu'ils sont souvent, au
contraire, supérieurs à ceux des premiers cycles surpeuplés des grandes
villes.
M. Claude Saunier.
C'est vrai !
M. Jacques Legendre.
Par ailleurs, ces antennes concourent à l'aménagement du territoire, en
garantissant aux villes moyennes la présence d'une matière grise plus que
jamais nécessaire. Par conséquent, premiers cycles de proximité et enseignement
supérieur professionnalisé, du type des instituts universitaires de technologie
ou des instituts universitaires professionnalisés, ont leur place dans les
villes moyennes. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour réaffirmer
cette vérité.
J'aborderai un dernier point que je crois important : il s'agit de la durée
des études supérieures qui ne cesse de s'allonger en France et en Europe. Nous
voilà maintenant parvenus à la norme 3-5-8. Est-ce vraiment une bonne chose
?
Pour avoir été, il y a longtemps déjà, secrétaire d'Etat à la formation
professionnelle, je crois à l'éducation permanente comme exigence d'avenir. Je
préférerais que l'on définisse une durée raisonnable d'enseignement
universitaire initial à condition que soit mis en place et garanti un système
de formation permanente et de reprise de compléments d'études tout au long de
la vie professionnelle.
Avez-vous, monsieur le ministre, des propositions à faire dans ce domaine ?
Accès démocratique à l'enseignement supérieur, reprise d'études facilitée et
garantie, tels sont quelques points qui me paraissent essentiels pour l'avenir,
mes chers collègues.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir
porté haut et fort l'exigence de conduire 80 % d'une classe d'âge au
baccalauréat, nous savions que, ce faisant, il faudrait donner davantage à
notre enseignement supérieur et à l'université.
Le projet de budget que nous examinons porte les traces de cette ambition en
enregistrant une progression de 5,48 % de ses crédits.
Pour autant, le chantier de la démocratisation de notre enseignement supérieur
est loin d'être achevé. Tout étant dans tout et le reste dans
Télémaque
(sourires),
la démocratisation de l'enseignement secondaire n'est pas
davantage atteinte ; un peu plus de 60 % d'une classe d'âge parvenant au
baccalauréat, c'est en deçà de l'objectif que nous nous étions fixé.
Néanmoins, demeure la nécessité d'accroître les connaissances de tous afin de
donner à notre pays la possibilité de répondre tant socialement
qu'économiquement aux enjeux du siècle à venir.
En outre, l'accès à l'université, en recul dans certaines disciplines, doit
s'accompagner d'un travail à conduire sur la qualité de notre enseignement.
La forte diminution du nombre d'étudiants en sciences exactes et en sciences
naturelles ne peut qu'inquiéter, alors que se développent toutes sortes de
théories irrationnelles ou sectatrices.
Avec l'école de la réussite qui reste à conquérir, il nous faut conquérir
également l'université de la réussite, et cela appelle des moyens financiers et
en personnel supplémentaires.
Il est indispensable de remplir ces conditions afin d'aborder la construction
de l'Université du troisième millénaire.
En l'espèce, nous partageons le souci du Premier ministre manifesté lors de
l'ouverture de la conférence mondiale sur l'enseignement supérieur de l'UNESCO
: il s'est dit attaché « comme tous les Européens au service public
d'éducation, donc au rôle essentiel de l'Etat garant de l'égalité des chances
».
Ce rôle de l'Etat, la discussion budgétaire constitue un moment privilégié
pour l'apprécier, et c'est capital pour moi qui suis d'une région bien peu
favorisée en matière d'infrastructures universitaires et de recherche, même si
le plan Université 2000 a nettement permis de rattraper un certain nombre de
retards.
J'ai évoqué tout à l'heure le défi de la qualité de notre enseignement
supérieur ; à cet égard, la politique de recrutement universitaire constitue
l'un des points faibles de ce projet de budget.
Le taux d'encadrement, qui était de 22,6 étudiants par enseignant à la rentrée
de 1995, passerait à 19,65 étudiants à la rentrée de 1999. Il y a certes un
progrès, mais nous sommes encore en deçà de la moyenne des pays industrialisés
dont le taux d'encadrement se situe aux alentours de 15 étudiants.
Du côté des personnels non enseignants IATOS, le recrutement est inférieur aux
années passées.
De ce point de vue, il convient de rappeler que le mouvement lycéen - ce n'est
pas si ancien ! - a mis en relief une forte demande en personnel afin
d'humaniser les structures scolaires ; cette revendication est partagée par de
nombreux étudiants.
La création d'auxiliaires de vie universitaire pourvue par des emplois-jeunes
ne doit pas conduire à favoriser la précarité de l'emploi dans l'enseignement
supérieur. D'autant que se pose la nécessité d'offrir aux jeunes bénéficiaires
d'emplois-jeunes une formation leur permettant à terme l'exercice d'un métier
durable, seule garantie, selon nous, de la pérennité et de l'efficacité de ce
dispositif.
Dans un environnement pas toujours facile, l'université, ses personnels
enseignants et non enseignants ont su faire face avec courage et volonté à
l'accès d'un nombre toujours plus important d'étudiants.
Il reste que l'une des faiblesses essentielles de notre enseignement supérieur
reste l'échec à l'université, qui est particulièrement élevé dans les premiers
cycles et dans l'accès à la recherche, où les jeunes issus de milieux
défavorisés sont particulièrement pénalisés.
Le projet de budget que nous examinons apporte des réponses en augmentant de
manière étalée le montant et le taux des bourses universitaires. C'est une très
bonne chose, mais il nous faut aller plus loin, afin de permettre une vie
étudiante conforme aux exigences de notre époque.
L'état sanitaire de la population étudiante est une préoccupation majeure, et
il faut oeuvrer à donner à la médecine universitaire les moyens de ses
missions.
La construction de logements étudiants doit être encore développée.
Nous ne sommes pas parvenus, on le voit, à satisfaire l'exigence des étudiants
d'un statut qui devrait venir prioritairement en aide aux plus défavorisés.
J'en viens à la question des bibliothèques, qui a récemment fait l'objet d'un
rapport remarquable de notre collègue M. Jean-Philippe Lachenaud. Le travail
universitaire repose pour beaucoup sur le travail personnel, et c'est pourquoi
les bibliothèques sont un élément clef de la vie universitaire.
L'arrivée de cent cinquante personnes pour renforcer les personnels des
bibliothèques est positive. Reste à régler la question des mètres carrés,
toujours notoirement insuffisants, et des personnels qui devront suivre.
S'agissant d'enseignement supérieur, la volonté budgétaire du Gouvernement est
marquée, même si de gros efforts restent à accomplir en matière d'emplois
publics, seuls remparts, selon nous, à l'envahissement du marché, générateurs,
en dépit des apparences, d'une croissance délaissée par le secteur marchand et
- nous y sommes très attachés - de progrès social.
Le plan Université du troisième millénaire, dont il est beaucoup question, ne
doit pas s'élaborer sans la réaffirmation essentielle du rôle de l'Etat. Il ne
serait pas raisonnable de nier les efforts consentis par les régions en matière
universitaire. Pour autant, un meilleur maillage du territoire national pour
les locaux universitaires, une plus grande égalité de traitement ne peuvent
être que le fait de la nation.
Un autre risque est de voir les collectivités territoriales amenées souvent,
quoi qu'elles en auront, à privilégier tel ou tel type d'implantation
universitaire.
Enfin, l'effort financier demandé aux conseils régionaux ne peut s'étendre à
l'infini, quand on sait que le schéma Université 2000 avait mobilisé 42
milliards de francs.
J'attire votre attention, monsieur le ministre, sur le fait qu'il serait
souhaitable d'associer l'ensemble de la représentation nationale à la
transformation de notre système universitaire.
Nous restons, pour notre part, extrêmement attachés aux principes de la loi
Savary sur l'enseignement supérieur. Nous pensons même que l'esprit qui
dominait alors n'a rien perdu de sa modernité et qu'il y a là matériau pour la
rénovation de notre université.
L'ouverture de l'université sur le monde, sur la ville, était l'un des axes
essentiels de la loi Savary. En ce sens, l'université conçue comme lieu
privilégié de la formation continue nous paraît conforme aux intérêts des
salariés et de l'enseignement supérieur lui-même.
Dans cette perspective, il importe avant tout que les formations continues
universitaires puissent déboucher sur des diplômes universitaires et
professionnels et qu'en outre les coûts des formations restent abordables à
chacun, qu'il dispose ou non d'un emploi.
Le budget que nous examinons marque en partie la place que le Gouvernement
accorde à notre enseignement supérieur. Bien sûr, nous sommes convaincus qu'il
convient d'aller plus loin et de consacrer une part importante de notre produit
intérieur brut au système éducatif : nous avançons l'idée d'un doublement de la
part actuelle du PIB de la nation.
Là encore, le sommet mondial de l'UNESCO ne nous dément pas, même si l'on peut
s'interroger sur certaines des solutions proposées.
L'expansion du nombre des étudiants est un phénomène mondial. A ce titre, la
France peut montrer l'exemple de coopérations renforcées pour aider à
l'implantation d'universités dans les pays en voie de développement. A n'en pas
douter, un grand nombre de nos jeunes docteurs seraient partie prenante dans de
tels projets.
L'université, lieu d'élaboration des connaissances et de la science, creuset
des laboratoires d'idées, doit aussi être le lieu de l'exercice de la
démocratie, d'une citoyenneté renforcée, de l'épanouissement individuel et de
l'accès aux savoirs pour tous.
La portée de la discussion budgétaire est donc fondamentale.
La diminution forfaitaire, opérée par la majorité sénatoriale, de plus de 500
millions de francs sur les crédits de l'enseignement supérieur révèle le
décalage qu'il y a entre les besoins de l'université et la logique comptable
qui prévaut encore ici dans cette enceinte.
En conclusion, monsieur le ministre, j'aurais volontiers voté votre budget,
mais la logique budgétaire de la majorité sénatoriale va à l'encontre de ce que
nous défendons. Aussi, nous ne voterons pas le projet de budget tel qu'il va
être amendé dans un instant.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Saunier.
M. Claude Saunier.
Monsieur le ministre, il y a un an, dans le cadre du débat budgétaire, je vous
avais demandé de bien vouloir dresser le bilan du plan Université 2000.
Cette initiative forte, à laquelle votre nom est associé, a donné un nouveau
souffle à l'enseignement universitaire à un moment où il traverse une situation
difficile face à la déferlante démocratique des effectifs étudiants.
Vous aviez alors donné votre accord pour établir ce bilan en partenariat
étroit avec le Sénat, en raison de la forte implication des collectivités
locales dans la réussite du plan Université 2000.
Nous sommes maintenant à quelques jours du rendez-vous que vous avez décidé
d'organiser à la fin de la semaine à la Sorbonne sous le titre
Quelle
université pour le troisième millénaire, de U 2000 à U3M.
Je voudrais vous
remercier très largement, monsieur le ministre, d'avoir respecté cet
engagement, auquel, je crois, le Sénat tenait beaucoup.
En ce qui concerne votre ministère, j'ai l'impression que les convergences sur
les différentes travées de notre assemblée montrent que vous nous proposez un
budget pour 1999 que l'on peut qualifier d'excellent. En effet, il faut
l'apprécier dans un contexte sensiblement différent de celui d'Université 2000
: nous constatons aujourd'hui une baisse sensible et durable des effectifs
étudiants. C'est donc en fonction de cette réalité qu'il convient d'apprécier
vos propositions.
Malgré la réduction des effectifs, les crédits destinés à l'enseignement
supérieur pour 1999 progressent de 5,4 % et dépassent la barre fatidique de 50
milliards de francs. Cette progression est plus de deux fois supérieure à celle
qui est enregistrée par les autres budgets civils de l'Etat.
Ces chiffres ont un sens : ils traduisent la volonté de votre gouvernement
d'apporter à notre jeunesse une formation de très haut niveau.
Entendons-nous : il ne s'agit pas d'approuver un budget parce qu'il est en
simple croissance, mais parce qu'il permet effectivement de donner à
l'institution universitaire de bons moyens de fonctionner.
Or ces moyens progressent. Ils vont permettre, en particulier, l'amélioration
du taux d'encadrement des étudiants.
Le nombre d'étudiants par enseignant, qui était en 1995 de 22,5, pourra ainsi
descendre de trois points, à 19,2. Même s'il y a encore des progrès à accomplir
- il suffit pour s'en rendre compte d'évoquer les chiffres qui ont été annoncés
par M. Renar voilà quelques instants - vous avez pris une bonne direction,
monsieur le ministre.
Vous avez également pris une bonne direction en ce qui concerne les emplois de
non-enseignants, qui croissent, en deux années budgétaires, de 2 000 postes, ce
qui est une rupture véritable par rapport au passé, lorsque, année après année,
on supprimait des postes de bibliothécaires, de personnels IATOS, ingénieurs,
administratifs, techniciens, ouvriers et de service, il n'y a pas si
longtemps.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Non ! Il ne faut pas exagérer !
M. Claude Saunier.
Enfin, vous avez ajouté des moyens de fonctionnement significatifs - 125
millions de francs - pour permettre aux établissements universitaires de mieux
travailler. Par ailleurs, 760 millions de francs permettront de réaliser la
mise en sécurité des bâtiments et vous avez annoncé votre intention de
mobiliser des moyens financiers importants pour la réalisation de l'université
du troisième millénaire, ce qui permettra à l'Etat d'honorer ses engagements.
C'est indispensable à l'heure où, les uns et les autres, nous allons nous
retrouver pour négocier les futurs contrats de plan.
Mais, au-delà du quantitatif, votre budget apporte - et c'est au moins aussi
important - des améliorations qualitatives déterminantes. Elles ont été
évoquées, je n'y reviendrai donc que très superficiellement.
La mise en oeuvre du plan social étudiant est l'une des priorités affichées
pour 1999, avec la volonté de rendre le système universitaire accessible au
plus grand nombre.
L'intérêt des mesures sociales envisagées est d'ailleurs unanimement salué,
aussi bien au Parlement que par l'ensemble des partenaires. Il est conforme au
principe républicain de l'égalité des chances.
Vous avez donc décidé d'ouvrir le chantier de la refonte et du renforcement
des aides aux étudiants. Les chiffres sont éloquents : d'ici à quatre ans, 30 %
des étudiants devraient bénéficier d'une aide - contre 21 % à l'heure actuelle
- et le niveau moyen des aides aura augmenté de 15 %. Ce sont, au total, près
de 25 000 étudiants supplémentaires qui devraient percevoir une aide. C'est un
acte très fort de justice sociale que vous accomplissez ainsi.
Vous allez également ouvrir un nouveau chantier auquel, nous le savons, vous
êtes extrêmement attaché, je veux parler des nouvelles technologies, dont on a
peu parlé cet après-midi. C'est la seconde grande avancée qualitative de votre
budget.
Chacun est maintenant convaincu que ce chantier constitue un impératif majeur
face à l'accélération des savoirs, à l'apparition de nouveaux besoins de
formation, au défi de l'internationalisation et à la nécessaire modernisation
pédagogique.
Il s'agit là d'une véritable course de vitesse par rapport aux systèmes
universitaires étrangers. Or, pour la première fois, nous examinons un projet
de budget qui contient des propositions concrètes et des moyens importants pour
satisfaire cet impératif : 192 millions de francs en fonctionnement, 400
emplois de jeunes docteurs dans les instituts universitaires de formation des
maîtres.
Je n'aurai garde, enfin, d'oublier votre volonté très forte d'ouverture sur le
monde par l'accueil massif d'étudiants étrangers. C'est là un instrument de
rayonnement de l'université française et de la France dans le monde.
Mais, au-delà de l'approbation globale que je vous apporte, je veux vous faire
part de quelques interrogations sur le fonctionnement des instituts
universitaires de technologie, les IUT, et sur l'aménagement du territoire.
S'agissant du fonctionnement des IUT, ma première préoccupation a trait à la
situation actuelle : leur création s'est révélée souvent coûteuse et elle ne
s'est pas toujours accompagnée des moyens financiers et des moyens en
personnels nécessaires.
J'évoquerai rapidement une situation que je connais bien, celle de l'IUT de
Lannion - Saint-Brieuc, dont les départements pourraient accueillir 40 %
d'étudiants supplémentaires. Les bâtiments existent, la demande est forte, mais
le nombre de places offertes reste insuffisant faute d'enseignants et de
personnels administratifs. Il y a là un véritable gâchis d'argent public, qui
pourrait être reproché aussi bien à l'Etat qu'aux collectivités locales. Votre
ministère doit en prendre conscience !
Ma seconde interrogation sur les IUT porte sur la présence significative
d'enseignants-chercheurs, chargés en particulier d'assurer une meilleure
articulation entre ces instituts et le monde des entreprises, et de meilleures
passerelles en direction des autres types d'enseignement supérieur.
Enfin, il me semble nécessaire de souligner que le temps d'une réflexion sur
l'avenir des IUT est venu. Le concept, au demeurant fécond, date des années
soixante. Or la technologie et le savoir ont évolué, les besoins des
entreprises se sont modifiés. Une réflexion fondée sur les nouvelles données de
la société s'impose donc.
Voilà qui me conduit à poser la question de l'articulation de l'enseignement
universitaire et de l'aménagement du territoire.
Je reprendrai à cet égard, pour les partager assez volontiers, les propos de
notre collègue M. Legendre : la répartition de l'intelligence est aujourd'hui
un élément déterminant de la création d'emplois et, donc, de l'aménagement du
territoire.
Or cette répartition est inégale. Elle se traduit par des concentrations qui
aggravent les difficultés de fonctionnement des universités, sans apporter une
efficacité pédagogique réelle. Elle peut donc être un facteur de
désertification de certaines régions.
Je tiens à être précis, pour ne pas accroître la confusion. Je pose
effectivement le principe que l'université est d'abord un instrument de
production et de transmission de la connaissance. Et je réfute toute
proposition de pulvérisation universitaire. Il ne s'agit donc nullement de
plaider pour la création de sortes de sous-universités pour territoires
défavorisés !
Je tiens cependant à poser clairement, monsieur le ministre, la question de la
présence universitaire dans les villes moyennes, en particulier à l'heure où la
décrue des effectifs d'étudiants pourrait conduire certaines institutions
universitaires à recentrer leurs moyens sur les seules métropoles régionales. A
cet égard, je souligne à nouveau que je partage l'analyse tout à fait
pertinente de M. Legendre.
M. Pierre Laffitte.
Très bien !
M. Claude Saunier.
Les villes moyennes ont fait la preuve de la réussite - réussite pédagogique
et réussite sociale - de l'implantation universitaire en leur sein.
M. Pierre Laffitte.
Tout à fait !
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Claude Saunier.
Sachez, monsieur le ministre, que je considère qu'en la matière le devoir de
l'Etat est d'assurer l'équité entre les différents territoires de la
République, dans la transparence financière et dans le respect des compétences
de chacun. L'Etat ne doit donc pas se défausser de ses propres
responsabilités.
Je sais que l'équilibre entre la nécessité de positionner notre université par
rapport à l'enjeu international et l'exigence d'une présence universitaire sur
l'ensemble du territoire est difficile à trouver.
Convaincu que l'approfondissement de la réflexion sur la notion de réseau
universitaire nous apportera une réponse, je souhaite qu'à l'occasion de ce
débat vous vous exprimiez sur ces propositions de mise en place de réseaux
universitaires.
Au-delà d'un budget qui ne semble susciter aucune opposition majeure, je
voudrais vous interroger d'une façon plus générale sur l'évolution de notre
enseignement supérieur.
Voilà quelques mois, vous avez confié à M. Attali une mission d'expertise de
notre enseignement supérieur sous un éclairage européen.
La lecture de son rapport est tout à fait édifiante. Les titres des différents
chapitres parlent d'eux-mêmes : « un système en péril ; l'excellence fragile ;
un système confus, héritage de longues luttes de pouvoir ; une qualité
maintenue mais fragile ; un Gulliver empêtré, confronté à quatre révolutions ;
des réformes urgentes... dans les universités et dans les grandes écoles ».
Quel que soit le talent de la commission de Jacques Attali, je ne suis pas sûr
de partager la totalité de son analyse et de ses propositions. Je pense que la
France a, effectivement, un enseignement supérieur de grande qualité qui nous
est envié par bien des pays dans le monde.
Il n'empêche que ce rapport pose de véritables questions que notre société ne
pourra durablement ignorer. Dans quelques jours, monsieur le ministre, vous
allez ouvrir à la Sorbonne le colloque auquel j'ai déjà fait allusion, consacré
au bilan d'Université 2000 et aux perspectives de l'Université du troisième
millénaire.
Je le dis, c'est une initiative heureuse, indispensable au moment où l'avenir
de la nation se joue, plus que jamais, sur la maîtrise de l'intelligence. Mais,
précisément parce que l'enjeu est véritablement majeur, il faut que nous nous
donnions, que vous vous donniez les moyens, monsieur le minsitre, d'une
mobilisation générale.
En clair, sur le plan local, la concertation doit être engagée par les
recteurs avec tous les partenaires - collectivités locales, entreprises,
notamment - en leur donnant les moyens et le temps d'une véritable
réflexion.
Sur le plan national, compte tenu de l'enjeu, il semblerait légitime
d'associer le Parlement à la réflexion par une discussion des analyses et des
propositions de votre ministère lors d'un débat public, et je rejoins
totalement la proposition de notre collègue M. Renar.
Dès aujourd'hui, le Sénat souhaiterait que vous nous donniez quelques
indications sur les orientations de votre ministère s'agissant d'un certain
nombre de questions : l'adaptation des cycles universitaires ; la mise en place
des réseaux, auxquels j'ai fait allusion ; l'organisation de plates-formes
universitaires dans les villes moyennes ; l'utilisation concrète des nouvelles
technologies dans les pratiques pédagogiques ; l'ouverture réelle de
l'enseignement supérieur aux besoins de la formation permanente ;
l'organisation des transferts de technologie en direction des entreprises ;
l'établissement de liens plus étroits entre l'enseignement supérieur et les
lycées, l'université et les grandes écoles ; enfin, l'intégration de
l'université dans les réseaux mondiaux de l'intelligence, mais votre
proposition va dans ce sens.
Je suis persuadé que le Sénat écoutera avec le plus grand intérêt les réponses
que vous donnerez à l'ensemble de ces questions.
J'ai, bien entendu, le sentiment d'avoir largement débordé le cadre d'un
simple débat budgétaire mais, vous le savez, la nation est légitimement
préoccupée par la formation de sa jeunesse.
Monsieur le ministre, le groupe socialiste sera très attentif aux initiatives
que vous prendrez pour préparer l'enseignement supérieur de notre pays aux
mutations du troisième millénaire.
Quant au projet de budget que vous nous soumettez, nous le voterons. A la
différence de tel ou tel rapporteur qui manifeste l'embarras de la majorité
sénatoriale en en appelant à la sagesse du Sénat...
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Quel embarras ?
M. Claude Saunier.
... et qui exprime très clairement son incohérence en reconnaissant les
avancées tout en restant incappable de souligner les insuffisances de votre
projet de budget, eh bien ! monsieur le ministre, et ce ne sera pas pour vous
surprendre,...
Mme Nelly Olin.
Ce n'est pas une surprise !
M. Claude Saunier.
... nous voterons votre projet de budget et non pas le projet de budget
rectifié.
Nous le voterons non pas par simple solidarité politique, encore que celle-ci
soit naturelle...
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Naturelle pour vous !
M. Claude Saunier.
... mais par conviction, parce qu'il porte la marque d'une véritable
dynamique, parce qu'il donne à notre enseignement supérieur les moyens de ses
missions, parce qu'il donne de véritables chances à la jeunesse et parce qu'il
ouvre des perspectives de développement de la connaissance indispensable à
l'avenir de notre pays.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le ministre, ouverture internationale, ouverture vers la société,
ouverture vers les entreprises... Je dirai : bravo !
Edufrance, déjà largement évoquée par la plupart de mes collègues, est une
ambition que je partage ; mais il faut, me semble-t-il, mobiliser des
partenaires institutionnels externes à votre ministère. Je pense en particulier
à des structures telles que les technopoles que je connais bien. L'association
France Technopole et chacune de nos grandes technopoles peuvent y contribuer
très largement, d'autant plus qu'elles sont liées sur le plan international à
l'association internationale des parcs scientifiques créée en 1984 à
Sophia-Antipolis.
Le développement de la formation en alternance suppose aussi des partenariats,
avec les unions professionnelles par exemple, déjà mobilisées par le ministère
qui s'intéresse à l'apprentissage. Aussi une véritable volonté commune me
paraît-elle essentielle pour développer cette formation en alternance, qui
n'est pas toujours aisée à mettre en place ; il faut trouver des partenaires
industriels qui acceptent d'accueillir des étudiants pendant une période
suffisante. Tel est le premier point de mon intervention.
Le deuxième point sur lequel je dirai quelques mots et qui a déjà été
largement entamé par les intervenants précédents est la mise en réseau.
Je crois véritablement que les nouvelles technologies sont une occasion
extraordinaire d'apporter une réponse à un certain nombre de problèmes
difficiles, notamment les antennes universitaires, notamment le renforcement
vers plus de capacités qui est souhaité par l'ensemble des populations autour
de ces antennes universitaires. M. Legendre, à juste titre, a évoqué la
démocratisation nécessaire et l'extension sur l'ensemble de notre territoire de
ces antennes.
Nous avons maintenant une solution pour répondre à cette demande grâce à
l'utilisation massive, à l'usage et à la pratique quotidienne et intelligente
des nouvelles technologies. Voilà un moteur considérable pour moderniser
l'ensemble du tissu français, mobiliser tous les partenaires : étudiants, mais
aussi professeurs et tous ceux qui vivent autour d'eux et de toutes les autres
institutions.
Certes, les grandes banques ou les grandes firmes ont une pratique
intelligente, mais au sein d'un système, souvent des Intranet un peu
mystérieux. On ne pourra diffuser vraiment une culture scientifique et
technologique moderne et moderniser notre pays qu'avec des réseaux impliquant
tout le système éducatif et un système ouvert, là aussi, aux collectivités
locales, à leurs points publics, bibliothèques, médiathèques, lieux
d'accueil.
C'est certainement dans le cadre de U3M qu'il faudra concevoir cette mise en
réseau. Il faudra aussi penser à la création de nouvelles antennes, y compris
des troisièmes cycles universitaires, par exemple dans des lieux où il n'y a
pas actuellement d'université mais où il y aurait un tissu industriel ou un
tissu de recherche qui soit capable de faire fonctionner des nouvelles
technologies en liaison étroite bien sûr avec une université mère.
Il s'agit là, vraiment, d'un outil majeur qui devrait nous permettre de mieux
employer les crédits que vous gérez.
Cette mise en réseau est essentielle pour l'aménagement du territoire. Elle
est essentielle pour la démocratisation, qui ne doit pas seulement concerner
les grandes métropoles. Dans ces grandes métropoles, on a parfois l'impression
que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les universités ne sont pas
aussi bien intégrées à la vie de la cité. Il faut le remarquer, ce n'est pas du
tout la même chose que lorsque, dans une ville comme Freiburg im Breisgau, que
notre ami M. Hoeffel connaît bien, c'est l'université qui est dominante. Il en
est de même à Princeton, cher collègue Maman.
Il est effectivement nécessaire de réviser certaines conceptions et, à cet
égard, je suis un peu inquiet d'apprendre que l'on va accorder des moyens
considérables aux seules universités parisiennes. Est-ce vraiment la tendance
de l'aménagement du territoire ? Je ne suis pas persuadé que ce soit la
tendance dans cette assemblée, excepté, bien entendu, pour les sénateurs de
Paris ; mais ils ne sont pas majoritaires.
La mise en réseau, c'est aussi un moyen de dispenser un peu partout
l'enseignement du chinois, du coréen, du japonais, ainsi que la formation au
design, à la conception de produits multimédia ; de préparer à bien des
nouveaux métiers qui doivent être accessibles partout en France.
En matière médicale, c'est également évident. Je pars demain pour Los Angeles
étudier le cas d'un hôpital qui a été détruit par un tremblement de terre voilà
cinq ans. Au lieu d'être reconstruit à l'identique, il offrira un nombre de
lits divisé par cinq et fonctionnera en réseau avec un grand débit. Il couvrira
les besoins d'une population d'un million de personnes. Avec l'appui
d'industriels tels les Télécom et Sun Microsystem, l'objectif sera de piloter
une opération impliquant la participation de nombreuses équipes médicales.
Certaines d'entre elles émaneront de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où
nous avons déjà conduit nombre d'expérimentations de télémédecine en réseau.
C'est affaire de volonté. Mais il faut en même temps prévoir qu'un nombre
considérable de personnes devront être formées et réorientées. Car il faut des
gens compétents à la fois en médecine et en systèmes de téléformation et
télédiagnostic, et, pour cela, il faut les former.
Troisième point : il faut attirer les étudiants étrangers. C'est très bien,
mais il faut attirer aussi des professeurs et des chercheurs de haut niveau.
A ce propos, j'évoquerai simplement l'équivalent des
faculty clubs,
qui
n'existent pas en France. Pour accueillir des chercheurs pendant un an, les
universitaires américains ont inventé la notion de
faculty clubs
, sorte
de petites villas Médicis scientifiques. Nous n'en avons pas en France et je
crois qu'il faudra en prévoir, notamment dans U3M et dans les prochains
contrats de plan Etat-région.
Le budget de l'enseignement supérieur, comme celui de la recherche, prépare et
garantit efficacement l'avenir d'une nation.
La commission des affaires culturelles s'en est remise à la sagesse du Sénat.
A mon avis, le budget de la recherche est de nature régalienne. C'est la raison
pour laquelle, à la condition que l'orientation des dépenses soit bien adaptée
- et je considère que votre projet de budget pour l'enseignement supérieur
oriente bien les dépenses - mon groupe, dans sa majorité, se prononcera en sa
faveur.
(Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Un budget en augmentation est-il forcément un bon budget ? Oui, s'il assure
l'avenir en définissant clairement de véritables priorités. Or, force est de
constater que ce n'est pas le cas. Malgré une augmentation de 5,48 %, votre
projet de budget ne parvient pas à me convaincre. Il manque d'orientations
fortes, de vision prospective, confirmant que l'enseignement supérieur est
encore une priorité nationale.
Fidèle à votre méthode, vous annoncez des réformes, vous ouvrez des chantiers
pour récolter ensuite les fruits de la contestation, tout simplement parce que
vous ignorez ou refusez un élément indispensable à toute volonté réformatrice :
la concertation. En fait, vous l'organisez en dernier recours lorsque les
situations se dégradent et deviennent intenables. Les lycéens peuvent en
témoigner.
Les grands axes de votre projet de budget tiennent en quelques mots : financer
la première tranche du plan social étudiant, améliorer les moyens de
fonctionnement des établissements et l'encadrement administratif, développer le
potentiel de recherche des universités et poursuivre l'effort de
construction.
Sur le premier point, je vous avoue ma déception. Alors que les étudiants
attendaient un véritable statut social, vous leur donnez un plan qui ne brille
ni par son ampleur ni par son originalité. En fait, vous avez ressorti des
cartons un projet élaboré alors que Lionel Jospin était ministre de l'éducation
nationale. Vous ne réformez pas le système des aides, pourtant jugé déficient.
Vous préférez faire du chiffre. Votre objectif à terme est d'accorder une aide
directe à 30 % des étudiants et d'augmenter de 15 % le niveau des aides. Nous
sommes encore loin du compte.
Je regrette également que vous ne soyez pas allé au bout de votre logique en
ce qui concerne les critères d'attribution des aides. A grands renforts de
déclarations, vous attribuez des bourses au mérite afin de prouver que le
Gouvernement vient en aide aux étudiants défavorisés. D'autres orateurs en ont
déjà parlé. Ramenons les choses à leur juste proportion : ces bourses ne
concerneront qu'un dix millième des effectifs étudiants.
En matière de construction, monsieur le ministre, votre budget compte sur
l'aide des collectivités locales pour financer une partie du programme
Université du troisième millénaire, et cela, bien entendu, au mépris des règles
de répartition des compétences.
Ce programme, dans son financement, ne diffère guère de son prédécesseur,
Université 2000. Ici encore, vous heurtez les acteurs du monde universitaire et
les responsables régionaux.
Le programme U3M devrait être le fruit d'une véritable concertation. Or ce
plan procède d'une conception purement jacobine de l'aménagement du territoire
qui, il faut bien le reconnaître, est la marque de ce gouvernement.
Sachez, monsieur le ministre, que les collectivités locales sont lasses
d'entrer dans une logique destinée simplement à pallier les carences de
l'Etat.
La délocalisation des premiers cycles universitaires est une expérience de
partenariat réussie entre les collectivités locales et l'Etat. Elle a fait
preuve de son utilité, en constituant un lien local entre le lycée et
l'université.
Vous qui ne jurez que par l'égalité des chances, n'est-ce pas là un bon
exemple de facilité d'accès à l'enseignement supérieur pour les enfants issus
de familles modestes ? Souhaitez-vous pérenniser ce système et reconnaître
enfin les collectivités locales comme des partenaires privilégiés, et non plus
comme de simples contributeurs ?
Vous découvrirez, monsieur le ministre, que travailler avec les collectivités,
c'est trouver des solutions proches des gens et des réalités locales. C'est
aussi éviter les dérives d'une centralisation excessive, qui conduirait, par
exemple, à implanter systématiquement une université de plein exercice dans
chaque département. Nous en avons déjà parlé : ce saupoudrage n'est pas
vraiment réaliste.
Un autre sujet d'inquiétude tient à la réorganisation annoncée des cursus
universitaires. Nous n'en savons guère plus.
S'agira-t-il de propositions inspirées par le rapport Attali, dont on a déjà
parlé, par les réflexions du confidentiel rapport Monteil ? Reprendrez-vous les
excellentes perspectives ouvertes par le rapport Fauroux ?
Tout comme le Sénat, l'université attend des réponses, des réponses capables
d'améliorer la cohérence du système universitaire. Comment ces orientations
vont-elles s'harmoniser avec la réforme des premiers cycles universitaires déjà
engagée et sur laquelle le Sénat souhaiterait également des informations
supplémentaires ?
Je tiens à souligner ici les grandes incertitudes qu'inspire la mise en oeuvre
du principe dit des « 3, 5 ou 8 », qui doit conduire, si j'en crois le rapport
Attali, à définir une nouvelle licence et une nouvelle maîtrise, voire à
remettre en cause les doctorats existants. J'attends sur ce point que vous nous
apportiez des précisions, monsieur le ministre.
Vous envisagez également la création d'une licence professionnelle, qui serait
ouverte aux étudiants des sections de techniciens supérieurs aux élèves des
IUT. Qu'en est-il exactement ? Cela signifie-t-il que, désormais, vous
accorderez une place plus importante à l'enseignement technique ?
Quels sont vos projets en matière de développement des stages professionnels
dans les formations générales et d'intégration des stages dans l'ensemble des
cursus universitaires professionnalisées ? Je tiens ici à relayer l'inquiétude
des étudiants de certaines filières professionnalisées comme les IUP, dont
l'insertion dans le monde de l'entreprise s'avère de plus en plus aléatoire.
Enfin, certaines insuffisances sont apparues dans la gestion et l'organisation
des IUT, qui assurent pourtant une formation d'excellence. Il serait
souhaitable d'améliorer leurs relations avec leurs universités de
rattachement.
En outre, ne pourrait-on pas coordonner les formations dispensées par ces
instituts avec celles des sections de techniciens supérieurs, surtout lorsque
les filières sont très proches ?
A ces difficultés techniques, s'ajoute un éparpillement géographique
totalement anarchique, aggravé par les choix d'implantation du plan Université
2000.
Monsieur le ministre, je ne doute pas que votre volonté d'améliorer la
situation soit réelle, je vous l'ai déjà dit à plusieurs reprises.
Malheureusement, je crois aussi - et je le regrette - que le Gouvernement s'est
un peu arrêté à la surface des choses, que ce projet de budget n'engendrera
aucun changement véritable : on apporte des modifications à la périphérie du
système, mais on évite soigneusement d'un consulter le coeur.
Pour ma part, j'ai plusieurs fois plaidé, depuis cette tribune, et ceci
n'engage que moi, en faveur d'un système universitaire où les mots « sélection
» et « argent » ne seraient plus tabous.
J'ai répété, et je répéterai toujours, au risque de lasser, que la pire des
sélections est la sélection par l'échec, celle qui est malheureusement à
l'oeuvre à presque tous les niveaux du système français.
Essayons une vraie sélection, une vraie orientation. Mettons tous nos efforts
en oeuvre, peut-être d'abord avec un certain pourcentage d'étudiants pour juger
les résultats obtenus. Je sais comment on peut organiser, et vous le savez
aussi bien que moi, monsieur le ministre, une véritable orientation.
Certains ont pu voir dans mes propos une atteinte à un principe auquel je suis
pourtant attaché, celui de l'égalité. Ils y ont vu, de bonne foi sans doute, la
volonté d'appliquer aveuglément des expériences anglo-saxonnes au modèle
républicain qui est le nôtre, et qui, je le répète également, doit le
demeurer.
J'apprécierais aussi que les études supérieures soient payantes, selon les
moyens financiers de chacun, avec un système étendu de bourses pour les moins
favorisés.
J'aimerais que l'on m'explique où se trouve l'égalité quand on constate que ce
sont majoritairement les étudiants d'origine socioculturelle modeste qui sont
les premières victimes du naufrage pédagogique que constitue, dans les
universités françaises, le passage du premier au deuxième cycle.
Monsieur le ministre, c'est parce que je ne me résous pas à ce naufrage que je
souhaite une réforme d'envergure de l'université française. Je suis en effet
convaincu que la pluralité des attentes du corps social par rapport à
l'université, que la diversité sociale des étudiants, que l'échec universitaire
et la durée des études sont des réalités nouvelles auxquelles il faudra bien,
un jour ou l'autre, apporter des réponses nouvelles.
Il est un autre domaine où l'on hésite entre l'irréalisme et la confusion. Je
veux, bien entendu, parler de l'agence Edufrance.
Attirer les étudiants étrangers en France ou vendre nos formations supérieures
à l'extérieur - ces formations supérieures sont excellentes, comparables à
celles de tous les systèmes étrangers, y compris au système anglo-saxon, mais
il faut savoir les vendre - est en soi une très grande idée trop longtemps
négligée.
Rendre les universités et les grandes écoles attractives aux étudiants
étrangers est effectivement un objectif majeur d'une compétition déjà fortement
engagée en Europe et bientôt à l'échelle mondiale.
En formant une élite étrangère, la France pourra renforcer son influence
culturelle et finalement économique face à l'omniprésence anglo-saxonne.
Mais peut-on raisonnablement vous suivre lorsque vous affirmez vouloir
accueillir 500 000 étudiants étrangers, soit près de 40 % de l'effectif total
inscrit dans nos universités. Cet objectif est-il vraiment réaliste ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Il s'agit de 25 % !
M. André Maman.
Dont acte. Je vous rappelle, monsieur le ministre, que cet objectif conduirait
notre pays à accueillir presque autant d'étudiants étrangers que les
Etats-Unis. Mais, aux Etats-Unis, il y a 3 000 universités et 9 500 000
étudiants ! La proportion n'est donc pas la même.
Nous devrons sélectionner ces étudiants, leur offrir des bourses d'études,
selon des critères qui restent à définir. Je souhaiterais connaître les moyens
financiers sur lesquels vous comptez pour répondre à cette exigence.
J'ai appris que les services culturels français à l'étranger seraient chargés
de ce travail. Je reviens d'un long voyage à l'étranger et j'ai pu constater
que nos services culturels sont débordés. Ils n'auraient absolument pas le
temps d'assurer cette sélection. Ils ne sauraient pas comment procéder,
d'autant que les modalités devraient varier selon les pays. En Inde, ce n'est
pas la même chose qu'au Congo ou en Indonésie qu'en Russie. L'idée est
magnifique, mais conviendrait peut-être d'affiner les résultats escomptés.
Nos diplômes sont-ils vraiment tous adaptés au marché international ?
Peuvent-ils concurrencer les masters américains ?
M. le président.
Il conviendrait de conclure, monsieur Maman.
M. André Maman.
J'ai presque fini, monsieur le président.
Aux Etats-Unis, lorsque l'étudiant étranger a fini ses études, on lui donne un
travail. Les Américains « ratissent » très large. Rien n'est innocent dans ce
pays ! En France, pourrions-nous offrir du travail à ces étudiants étrangers
?
Si l'idée est splendide, le résultat à en attendre est plus aléatoire.
Toutes les incertitudes et les interrogations que je viens de soulever
témoignent du manque de lisibilité de votre politique, monsieur le ministre. Le
budget que vous nous présentez manque sérieusement de clarté et de perspective,
bref, d'ambition. Ainsi, malgré la masse budgétaire dégagée, un budget en
augmentation n'est pas toujours un bon budget.
(Applaudissements sur les
travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur Maman, dans la fin de votre intervention, j'ai pu heureusement relever
un argument avec lequel je suis certes en désaccord complet, mais qui repose
sur une réalité. Pour le reste, monsieur le sénateur, vos remarques ont été
totalement irréalistes.
Le plan U3M serait, selon vous, une vision jacobine de l'université, alors que
je ne fais aucun plan national. Une large part de votre intervention ne
correspond ni à ce que je fais, ni à ce que je pense, ni à la réalité, il ne
s'agit que d'une série d'affirmations sans fondements. Et, s'agissant d'une de
vos seules remarques concrètes, je suis en désaccord total avec vous : je suis
notamment contre la sélection à l'entrée de l'université.
Nous sélectionnons d'une manière dure à l'entrée dans les grandes écoles et il
faut qu'il existe une seconde voie : l'université. C'est le système français.
Nous ne pouvons avoir deux systèmes de sélection dure.
Je suis également contre les études payantes à l'université. La tradition
européenne veut que l'enseignement soit gratuit et dispensé par l'Etat. C'est
le cas en Italie, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Grande-Bretagne. C'est une
base de la culture européenne. En aucun cas, je n'imiterai les Etats-Unis, je
l'affirme. Je suis attaché à notre culture européenne et à sa qualité.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Sur ces deux points, je suis en désaccord total avec vos propos, et de telles
politiques ne seront pas menées tant que je serai ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie.
J'aborderai maintenant les aspects principaux de ce budget et je répondrai aux
critiques, aux remarques et aux questions.
Tout d'abord, s'agissant des moyens, le retard est considérable dans
l'enseignement supérieur.
Pour illustrer cette affirmation, je ferai une comparaison : si notre pays
compte 350 000 enseignants dans l'enseignement secondaire, dans l'enseignement
supérieur, nous n'en dénombrons qu'environ 100 000 pour 2 millions d'étudiants.
Pour égaler les Etats-Unis, il nous faudrait recruter plusieurs centaines de
milliers de personnes, ce qui est évidemment hors de portée actuellement.
Je suis obligé de faire remarquer, sans ouvrir de polémique avec la droite,
que c'est Lionel Jospin qui a fait passer de 50 000 à 90 000 le nombre des
enseignants dans l'enseignement supérieur. Depuis lors, cet effectif s'est
stabilisé à cause d'un mode de recrutement ridicule, que l'on a supprimé, qui
correspondait à une recentralisation totale tendant à donner au comité
consultatif national le pouvoir absolu en matière de recrutement.
L'encadrement des étudiants est insuffisant, vous auriez donc le droit de dire
que le nombre des créations de postes est insuffisant. Mais je vous répondrai
tout à l'heure sur ce point.
L'enseignement supérieur, comme nul autre service public, a réussi, en trente
ans, à multiplier par cinq le nombre des enseignants et à améliorer la qualité
de l'enseignement qui est dispensé.
Sur ce point d'ailleurs, je suis d'accord avec vous, monsieur Maman :
l'enseignement qui est actuellement dispensé dans les grandes écoles et dans
les universités françaises n'a rien à envier à l'enseignement diffusé à travers
le monde.
M. André Maman.
Absolument !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
En disant cela, je rends hommage aux techniciens de l'enseignement supérieur,
qui ont réagi et réussi à répondre au défi terrible de la quantité.
Aujourd'hui, les Britanniques essaient de répondre avec énormément de
difficultés à ce problème, il faut le souligner.
A propos de l'évolution des savoirs, je dirai que l'on ne peut pas avoir
d'enseignement supérieur sans une recherche qui l'alimente, sinon il devient
vite comparable à celui d'un pays sous-développé.
Il est nécessaire que la recherche soit beaucoup plus liée avec l'enseignement
supérieur. Le système, imité d'autres systèmes tendant à fabriquer des
instituts de recherche trop éloignés de l'université, n'est pas le plus
rentable. Nous devons rapprocher, vous savez que je m'y emploie, le CNRS,
l'INSERM, etc., de l'université, de manière que l'innovation se transmette
immédiatement dans l'enseignement.
Aujourd'hui, il est un grand défi à relever, car on ne peut pas tout apprendre
à l'université. Il n'y aura plus de formation initiale ni de formation
continue. Il y aura un continuum : les bases seront enseignées dans le cadre de
la formation initiale ; le reste le sera grâce à la formation continue, au
coeur de laquelle doit se trouver notre université, et non, comme je l'entends
ici ou là, des officines ou autre chose du même genre. Non ! c'est
l'université, et, pour cela, elle doit développer son atout numéro un :
dispenser de la formation continue diplômante, que ce soit pour les formations
générales, scientifiques ou médicales.
S'agissant de la stratégie, il est un point sur lequel je suis presque
d'accord avec les propos des deux rapporteurs : je n'ai pas défini, pour
l'enseignement supérieur, un certain nombre de réformes bien carrées, comme je
l'ai fait pour les enseignements primaire et secondaire. Mais, excusez-moi de
vous le dire, c'est volontaire !
En effet, je voulais d'abord assembler les éléments du puzzle, assemblage qui
demande, monsieur Maman, des dizaines d'heures de négociations. Aucun ministre
de l'éducation nationale n'a reçu un aussi grand nombre de syndicats que moi.
Quand vous racontez que je n'ai pas négocié, je voudrais que vous vous mettiez
à ma place et que vous regardiez mon emploi du temps ! Encore une fois, cela
prend des dizaines d'heures ! Par ailleurs, certaines choses n'ont pas à être
annoncées sur la place publique. D'autres, en revanche, doivent l'être, pour
les faire progresser.
Ma politique est claire : je suis favorable à une plus grande autonomie des
universités, mais dans un cadre national. En effet, au moment où nous devons
affronter la compétition mondiale, nous ne pouvons pas ne pas avoir une
coordination nationale.
A cette fin, nous avons restauré la contractualisation avec les
établissements, politique que M. Bayrou avait, bien sûr, poursuivie, mais en
supprimant les postes d'enseignant. Or, à partir du moment où vous n'avez plus
le personnel pour contractualiser, le contrat perd une grande partie de son
intérêt !
Après la contractualisation, il faut entrer progressivement dans l'action.
Nous avons rénové le mode de recrutement. Cette année, nous avons recruté 5
000 nouveaux enseignants dans l'enseignement supérieur alors que 1 200
l'avaient été au cours de la période précédente. Nous avons modifié le système
de recrutement pour qu'il soit plus rapide et qu'il donne le dernier mot aux
universités, conformément au voeu général de donner à celles-ci plus
d'autonomie. Ce recrutement a permis, pour la première fois depuis longtemps,
de recruter la quasi-totalité des postes mis au concours.
Nous allons plus loin : nous sommes en train d'interdire les heures
supplémentaires et le recrutement de personnels temporaires sur des postes
fixes - je pense aux attachés temporaires d'enseignement et de recherche, les
ATER. Ainsi les postes seront progressivement pourvus dans les règles, et non
nomentanément par tel ou tel protégé qui ne passerait pas par les procédures
normales !
Il est vrai que nous n'avons pas augmenté le nombre de postes cette année.
Mais je reviendrai sur les problèmes non résolus à la fin de mon intervention,
car ils sont susceptibles de donner lieu à un débat au cours duquel toutes les
idées peuvent être émises et acceptées.
Pour recruter des gens, il faut non seulement puiser dans un vivier, mais
trouver un équilibre entre les remplacements, les départs à la retraite - qui
augmentent d'une manière considérable - et les créations de postes.
Je prendrai l'exemple d'une discipline particulière : le droit. Nous recrutons
de trente à trente-cinq professeurs de droit tous les deux ans - c'est un
concours d'agrégation. Mais partiront à la retraite 120 professeurs de droit
par an à partir de 2009 et 180 par an à partir de 2015.
Il faut aussi savoir que nous recruterons cette année 5 000 nouveaux
enseignants-chercheurs. Mais le vivier de notre recrutement d'enseignants
repose sur 10 000 thèses par an - dont 33 % sont faites par des étrangers - ce
qui ne nous permet pas de recruter en masse, comme nous aurions besoin de le
faire aujourd'hui !
Il est une autre chose que nous avons faite : le concours national sur la
formation continue. Cette année, treize universités sont restées ouvertes toute
l'année et ont dispensé une formation continue.
L'an prochain, le concours recommençant, ce sont vingt-six universités qui
seront pleinement intégrées dans la formation continue.
Je retiens la suggestion de M. Laffitte d'impliquer, en plus des grandes
entreprises, qui sont déjà complètement impliquées, les unions
professionnelles.
J'en viens à l'exposition au cours de laquelle nous avons présenté l'agence
Edufrance, que nous avons effectivement créée.
Lors de son inauguration à Mexico, 80 000 étudiants s'y sont rendus. Pour
l'inauguration de la deuxième exposition dans trois villes de l'Inde, ils sont
d'ores et déjà 30 000 !
M. Jacques Legendre.
Excellent !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Edufrance sera désormais une agence autonome du ministère. Mais ce n'est pas
moi qui assurait sa gestion.
Je souhaite que le nombre d'étudiants augmente considérablement. J'ai cité le
chiffre de 500 000, mais ne nous y arrêtons pas. Je souhaite aussi que les
étudiants étrangers, dans les grandes écoles, représentent près du tiers des
effectifs. C'est déjà vrai à l'ENA et à HEC. Nous souhaitons que cette
proportion augmente, car elle est révélatrice de l'influence de la France dans
le monde.
J'en reviens à Edufrance. Nous avons changé les visas étudiants pour instituer
une nouvelle procédure destinée aux étudiants et aux professeurs. Sans vouloir
mettre en cause qui que ce soit, je ne veux plus que nous assistions au
précédent spectacle de prix Nobel faisant trois fois de suite la queue à la
préfecture de police pour finalement écrire qu'ils ne remettraient plus les
pieds en France !
Il existe donc une nouvelle procédure pour l'accueil des scientifiques et des
étudiants étrangers. Au sein du conseil de patronage d'Edufrance siègent toutes
les entreprises françaises qui patronnent cette opération et qui financent une
série d'actions.
Mais, ce qui m'inquiète, ce n'est pas d'attirer les étudiants étrangers, c'est
de savoir comment ils seront accueillis en France. En effet, actuellement,
faute de systèmes d'accueil suffisants, les étudiants étrangers qui arrivent ne
sont pas bien accueillis.
C'est pourquoi nous avons demandé - cela fait partie de la politique
contractuelle avec les universités - que, dans chaque université, un
vice-président soit chargé des étudiants étrangers et que l'accueil soit
organisé. Je crois que cela va se faire dans un certain nombre de cas. Je suis
toutefois vigilant.
De la même manière, dans le plan U3M, un certain nombre de chambres seront
réservées aux étudiants étrangers. J'espère qu'ils seront bien accueillis.
J'en viens au plan social étudiants. Oui, M. Bayrou, que vous avez cité, en a
parlé, et il en a même parlé pendant trois ans, mais il n'avait pas un sou pour
ce plan. Or permettez-moi de vous dire qu'un plan social sans un sou, c'est un
peu un tambour qui est crevé aux deux bouts : aucun son n'en sort !
En l'occurrence, nous finançons ce plan puisque les sommes correspondantes
sont inscrites dans le budget que vous allez voter. C'est cela, l'essentiel.
Il est un point de principe sur lequel je veux revenir. Je maintiens qu'à
l'occasion d'un plan social il faut d'abord aider les enfants de famille
modeste.
L'idée qui consiste à dire que tous les étudiants sont égaux parce qu'ils sont
adultes au moment où ils arrivent à l'université est un principe qui repose,
certes, sur une certaine philosophie, mais qui, finalement, profite encore aux
enfants les plus aisés. Je ne prendrai qu'un seul exemple. Vous dites que c'est
facile, qu'il n'y a qu'à regarder si les enfants figurent ou non sur la feuille
d'impôts de leurs parents. Mais vous oubliez qu'à partir d'un certain revenu ce
genre de critère n'intervient plus. Par conséquent, vous pouvez très bien y
échapper.
Oui ! Ce plan social est un plan social, c'est-à-dire qu'il opère une
discrimination sociale. Le Gouvernement et le parti socialiste restent attachés
au principe selon lequel on aide plus ceux qui ont moins, et je continuerai à
défendre un tel principe !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Quel est mon programme de travail ?
La première priorité que j'ai annoncée, c'est l'harmonisation européenne. Elle
est indispensable pour que nos étudiants puissent voyager et pour que leurs
diplômes soient reconnus internationalement.
Actuellement, l'université délivre quatorze ou seize diplômes différents,
alors que les autres pays en ont trois. De plus, quand vous parlez de DEUST, de
MIAGE, de DEUG ou autre, personne n'y comprend rien hors de l'Hexagone, et même
parfois au sein de l'Hexagone !
Toutefois, je ne veux supprimer aucun diplôme, car les choses sont fragiles.
Nous commencerons donc cette réforme en mettant en relief un certain nombre de
niveaux. L'idée est de considérer la licence comme l'équivalent de ce que l'on
appelle la
graduation
aux Etats-Unis et d'instaurer un cursus avant
licence et un cursus après licence. Ce dernier comportera deux voies : une voie
longue, qui mène à la thèse, et une voie qui mène au mastaire. Je signale au
passage que cela s'écrira « mastaire » et non pas « mastère », pour une seule
raison, c'est que le mot « mastère » est breveté par les chambres de commerce
et qu'il faudrait payer des royalties !
(Sourires.)
Voila pourquoi nous avons modifié l'orthographe de ce terme.
M. André Maman.
On pourrait changer l'accent !
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Mettez deux « r » !
(Nouveaux sourires.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
J'ai choisi la terminaison « aire ». Cela fait un peu médiéval. C'est peut-être
mon goût pour le Moyen Age !
Quoi qu'il en soit, nous allons vers cette harmonisation européenne. Nous
allons surtout vers le rapprochement entre l'université et les grandes écoles,
car la véritable innovation, c'est que les grandes écoles décerneront les mêmes
diplômes que les universités : la licence technologique au bout d'un an, puis
le mastaire. Il y aura donc interpénétration. Enfin, il y a pour les grandes
écoles le concours traditionnel,...
M. André Maman.
Le mot « concours » me fait peur !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie...
que, je vous le dis tout de suite, je n'ai pas l'intention de modifier malgré
son coût élevé.
Contrairement à ce qu'a publié la presse, le coût du concours d'entrée à
l'Ecole normale supérieure est de 25 millions de francs pour recruter 200
personnes. C'est un petit détail ! Pour la totalité des examens et concours en
France, nous dépensons 1,2 milliard de francs.
En outre, pour les Européens et les jeunes Français en fin de licence, un
concours sur dossier et entretien sera mis en place, comme c'est le cas dans
toutes les universités du monde.
S'agissant du rapport Attali, on y trouve beaucoup d'éléments. C'est le
rapport Attali ! Quand je confie un rapport à un groupe d'éminentes personnes,
je ne vais pas les contrôler ! Sinon ce n'est pas la peine, autant que je fasse
moi-même le rapport ! Elles sont donc libres et moi aussi : après, je prends ce
qui m'intéresse. Un rapport contient des réflexions dont certaines seront
peut-être reprises plus tard. Je ne suis donc pas engagé par ce rapport.
Je tiens toutefois à rendre hommage à Jacques Attali, car il a fait un travail
formidable. Il est à l'origine du rapprochement « psychologique » entre les
grandes écoles et les universités. C'est lui qui a réussi cette avancée
supplémentaire très utile, même si, dans ce domaine, d'autres avaient déjà
ouvert des chemins.
La deuxième priorité concerne le premier cycle. Je vais vous en dire deux mots
et vous donner quelques chiffres.
Je me suis occupé du problème du premier cycle car, je suis bien obligé de
vous le dire, la réforme que vous attribuez à M. Bayrou est la réforme que nous
avons mise au point avec Lionel Jospin : unités capitalisables, etc.
Le résultat est que le premier cycle n'est plus du tout le désastre qu'il
était voilà quelques années. Les chiffres vont vous surprendre. Le taux de
réussite des premiers cycles sur trois ans est de 55 %. Mais, mesdames,
messieurs les sénateurs, si vous calculiez le taux de réussite des classes
préparatoires sur deux ans, vous verriez qu'il n'est pas si bon : il est
simplement de 73 % ou 74 %.
Autrement dit, la différence entre les taux de réussite des classes
préparatoires, où l'on prend des élèves sélectionnés, et celui des universités
n'est pas très élevée.
Ainsi, je le répète, le taux de réussite du premier cycle dans les universités
s'est considérablement amélioré par rapport à ce qu'il était voilà une douzaine
d'années.
Mais ce n'est pas suffisant. Par conséquent, nous avons commencé une série
d'expérimentations d'enseignement en petites classes pour six universités
scientifiques, dont la vôtre, à Bordeaux, monsieur le rapporteur pour avis. Cet
enseignement en petites classes sera amélioré au moyen de colles,
d'interrogations, de corrections de copies, etc. Nous progressons dans ce
domaine, et je crois que nous allons dans une bonne direction.
Les premiers cycles de droit et d'économie se sont beaucoup améliorés.
Je ne vous cache pas que des problèmes subsistent. Par exemple, dans certains
premiers cycles, il y a pléthore de candidats ; je pense aux premiers cycles de
psychologie ou encore - c'est la grande mode maintenant - au premier cycle de
sciences et techniques des activités physiques et sportives, STAPS. A moins de
faire faire de la gymnastique obligatoire à toute personne de sept à
soixante-dix-sept ans, cela va poser un vrai problème !
Je voudrais évoquer une troisième opération : le programme U3M.
D'abord, monsieur le sénateur, il n'y a aucun plan national dans ce domaine. A
ce propos, je tiens à préciser qu'il y a sans doute une petite nuance de
sensibilité entre le ministère de l'aménagement du territoire et le ministère
de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Il semble y avoir...
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Moi, je n'ai pas demandé que les recteurs élaborent un plan qui s'oppose au
plan...
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Fait par les préfets !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Oui, mais il n'y a pas que cela. Il y a des commissions mixtes coprésidées par
les recteurs et les préfets qui font remonter les propositions. En tout cas,
moi, je ne travaille pas à partir d'un plan national. Je veux que les
propositions viennent du bas.
Pour ma part, j'ai défini un certain nombre de cadrages, et parmi eux figurent
le problème des réseaux et le problème des nouvelles technologies.
S'agissant de ce dernier point, je n'ai rien à retirer à ce qu'a dit M.
Laffitte ; c'est pratiquement ce que j'ai écrit.
Je ne sais pas comment sera organisée demain, la recherche. Je pense qu'il y
aura de nombreux petits centres qui seront liés entre eux par des réseaux de
communication rapide. Les villes moyennes seraient tout à fait habilitées, à
condition qu'elles aient consacré les moyens nécessaires pour être connectées à
des universités de grande taille, à travailler de cette manière. Aussi je n'ai
absolument pas l'intention de supprimer les antennes implantées dans les villes
moyennes ; j'ai au contraire envie de les intégrer dans des réseaux régionaux.
Une partie des crédits du plan Université 2000 devraient être consacrés à
installer des câbles optiques à grande vitesse. Sur le plan national, il
conviendra d'accroître la capacité du réseau RENATER pour atteindre des débits
comparables à ceux des réseaux américains, de manière à pouvoir transmettre à
la fois des calculs, des informations et des communications.
Ce plan n'est donc pas directement la continuation du plan Université 2000.
C'est un autre concept qui doit, en priorité, intégrer les nouvelles
technologies.
Faut-il faire cours dans de grands amphis ? Le professeur ne pourrait-il au
contraire travailler dans une petite salle, avec quelques étudiants, d'autres
étudiants participant, dans d'autres petites salles, à l'enseignement dispensé
? Dès lors, pourquoi ces salles seraient-elles dans le même lieu ? Telles sont
les vraies questions du XXIe siècle. C'est en y répondant que nous devons
évoluer. Sur ce point, il n'y a pas de divergence entre nous.
En tout cas, une chose est sûre : nous avons décidé qu'un quart des crédits
affectés à la réalisation du plan soit consacré aux étudiants, qu'il s'agisse
des logements, des bibliothèques de travail - sur lesquels nous avons un grand
retard - ou de l'équipement en matériel.
Si j'affirme que l'Université Paris-Centre est une priorité, c'est que
l'Ile-de-France a été négligée, que l'on n'a rien pu faire pour elle dans le
précédent plan. Il faudra bien trouver des logements pour les étudiants de
Paris-Centre ! Ce ne sera pas facile. Il reviendra au maire de Paris de faire
des propositions dans ce domaine, et je crois qu'il les fera.
L'autre grande priorité de ma politique est d'intégrer davantage la recherche
universitaire. J'y reviendrai tout à l'heure lors de l'examen de projet de
budget sur la recherche et la technologie.
Quand je dis qu'il faut rapprocher le CNRS et les universités, je ne veux pas
dire qu'il faut faire évoluer l'université par le CNRS. Au contraire, il faut
intégrer la production du savoir, et sa transmission doit être immédiate. On
doit arriver à fabriquer des centres regroupant diverses structures dans un
même environnement : une université, des grandes écoles - il est important, par
exemple, que les écoles de commerce ne soient pas éloignées des écoles
d'ingénieurs, les créations d'entreprises s'effectuant généralement par les
diplômés des deux - mais aussi d'entreprises innovantes.
La semaine prochaine, nous lancerons le premier concours d'entreprises
innovantes dans le domaine des nouvelles technologies. Je suis à peu près
certain que ce seront les jeunes qui proposeront le plus et non pas les
chercheurs confirmés, blanchis sous le harnois et confortablement installés
dans leur laboratoire.
Enfin, dernière priorité pour l'an prochain, la formation des enseignants.
Les IUFM doivent être rénovés pour prendre un caractère beaucoup plus
professionnel.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Très bien !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je ne pense pas que les cours de philosophie pédagogique soient la première des
priorités. En revanche, dispenser des cours sur les solutions à apporter aux
problèmes de la drogue et de la violence, sur la façon de se comporter dans un
certain nombre de quartiers difficiles, sur les progrès de la cognition et les
usages des nouvelles technologies, sur la manière d'enseigner la morale
civique,...
M. Lucien Lanier.
Très bien !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
... tout cela me paraît beaucoup plus important que des élucubrations
abstraites sur la pédagogie abstraite.
(Très bien ! sur plusieurs
travées.)
S'agissant de la formation des enseignants du supérieur, il est prévu de «
réactiver » rapidement les CIES, les centres d'initiation à l'enseignement
supérieur, que l'on avait un peu laissés de côté dans la législature
précédente.
M. Lachenaud a évoqué le problème des heures complémentaires. Nous essayons de
les contrôler en interdisant déjà les heures supplémentaires à partir des
postes vacants. Nous allons en limiter le nombre par enseignant du
supérieur.
M. André Maman.
A combien ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
A quatre-vingt-quinze heures.
Monsieur Othily, je suis d'accord avec les propos que vous avez tenus sur les
universités d'Antilles-Guyane et sur la création d'une université en Guyane.
C'est d'ailleurs moi qui ai proposé celle-ci ; je ne vais donc pas me déjuger
aujourd'hui.
Il faut laisser faire M. Jacques Blamont, qui a de bonnes idées, et ne pas
aller trop vite. En effet, le recteur, très enthousiaste, a tendance à faire
des annonces tous les jours, mais il faut attendre qu'il y ait assez
d'étudiants, sinon ce ne serait pas sérieux. En tout état de cause, il faut
aller vers la création d'une université en Guyane, tout comme on a installé une
université autonome en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti.
Malgré les injonctions de M. le président, qui, je l'espère, voudra bien me
laisser parler encore une minute, je ne résisterai pas au plaisir de dire à M.
Legendre que la réduction des crédits destinés aux instituts catholiques a été
décidée par M. François Bayrou, qui a pourtant, semble-t-il, des sympathies
pour ce genre d'établissement. Eh bien, figurez-vous que, pour ma part, j'ai
rétabli en partie les crédits alloués aux instituts catholiques, car je pense,
tout comme vous, monsieur Legendre, qu'ils rendent de grands services et qu'ils
comprennent de bonnes équipes. Par conséquent, nous avons augmenté leur budget
de 5,8 % cette année afin de rattraper les dégâts qui avaient été faits par mon
prédécesseur.
M. Jacques Legendre.
Encore un effort !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Continuez !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je vous le signale. Comme on dit, il faut se méfier de ses amis !
(Sourires.)
Monsieur Renar, vous connaissez mon engagement en faveur des universités du
Nord-Pas-de-Calais. Je persévérerai dans cette voie.
Enfin, j'ai déjà répondu à MM. Saunier et Maman, et j'indique à M. Laffitte
que je suis d'accord avec lui.
Monsieur le président, j'en ai terminé, avec un léger retard, dont je vous
prie de bien vouloir m'excuser.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que
sur certaines travées de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et
C, et concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : II. -
Enseignement supérieur.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 727 842 328 francs. »