Séance du 9 décembre 1998






CONSEILS RÉGIONAUX

Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 81, 1998-1999), modifié par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux. [Rapport n° 95 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous présenter de manière succincte un projet de loi dont j'ai déjà eu l'occasion d'exposer devant vous les grands traits. En effet, l'adoption par le Sénat d'une question préalable en première lecture n'a pas permis l'échange de vues nécessaire entre les deux assemblées ni l'examen par l'Assemblée nationale des amendements issus du travail effectué par votre commission des lois.
C'est donc, par la force des choses, un texte très proche de celui que j'avais déjà été amené à vous présenter qui est soumis à votre examen en nouvelle lecture.
La modernisation de notre vie publique, généralement considérée comme nécessaire, comme l'a rappelé le Président de la République le 4 décembre dernier à Rennes, a conduit le Gouvernement à proposer une réforme du mode de scrutin régional.
Critiqué de toutes parts, le système actuel, fondé sur la proportionnelle intégrale, mérite à coup sûr d'être réformé. Ses résultats sont malheureusement connus : majorités relatives, instabilité, alliances contestées ; les régions en sont les premières victimes et les citoyens ne se reconnaissent plus dans leur représentation. Le Président de la République le soulignait il y a quelques jours : « Il faut d'abord que les régions soient gouvernables. »
Le débat sur le contenu de cette réforme est légitime et nécessaire ; mais le rejet préalable exprimé par le Sénat le 21 octobre n'était en rien conforme au souhait souvent exprimé d'une clarification des règles de la vie publique.
Les travaux de votre commission des lois et de votre rapporteur, M. Girod, méritent le plus grand intérêt. Je souhaiterais donc m'y reporter précisément.
Deux motions d'irrecevabilité visent à écarter le principe de parité dans l'établissement des listes. Ce principe a été adopté par l'Assemblée nationale, anticipant ainsi l'application de la réforme constitutionnelle portant sur l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats.
Vous rappelez que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 novembre 1982, avait considéré que l'institution d'un système de quota n'était pas conforme au texte de la Constitution. Mais peut-on considérer que, après le vote explicite par la représentation nationale, au moins en première lecture, de la réforme constitutionnelle, les choses resteront en l'état où elles étaient en 1982 ?
Le législateur n'est-il pas fondé à faire preuve d'anticipation, au moment où il adopte une réforme de notre texte fondamental visant à faciliter l'accès des femmes aux mandats électifs, et à en tirer les conséquences dès lors qu'un projet de mode de scrutin régional lui est soumis ? On ne peut, à mes yeux, souhaiter la modernisation de la vie politique et ne pas s'en donner les moyens !
La réforme constitutionnelle en cours ne conduit nullement à modifier les modes de scrutin existants, mais, lorsqu'un scrutin de liste est déjà établi, il est légitime de prendre en compte cette réforme. C'est d'ailleurs le propos qu'a tenu M. le Premier ministre il y a quelques minutes à l'Assemblée nationale : répondant au président du groupe Démocratie libérale, M. José Rossi, il lui a indiqué que nous devions aller dans le sens de la parité, mais que cela ne signifiait pas une modification du mode de scrutin et qu'il n'y avait pas d'arrière-pensées dans le projet de loi constitutionnelle.
Voilà pour les deux premières motions d'irrecevabilité.
Une troisième motion d'irrecevabilité concerne l'article 21 du projet de loi, qui définit une procédure dérogatoire d'adoption des budgets régionaux.
Pourtant, vous le savez, du fait de l'actuel mode de scrutin, de nombreux conseils régionaux sont dotés d'une simple majorité relative, qui rend leur gestion - et plus spécialement l'adoption de leur budget - très problématique.
Certes, la réponse à ces situations réside, à terme, dans le changement de mode de scrutin. Mais, en attendant, peut-on laisser ces régions à la merci des crises sans porter atteinte à l'institution régionale, sans la fragiliser dangereusement ?
Peut-on, en cas de difficulté majeure, faire du préfet l'arbitre de l'impuissance des assemblées régionales ? Vous évoquez à bon droit le principe de la libre administration des collectivités locales par des conseils élus. Mais si, dans de nombreuses régions, demain, le représentant de l'Etat devait arrêter les budgets, aurions-nous rempli nos obligations ?
Cette procédure dérogatoire s'éteindra d'elle-même dès que le nouveau mode de scrutin permettra de former des majorités de gestion stables. Mais elle est à présent urgente et nécessaire.
Je voudrais aborder maintenant les modifications substantielles que votre rapporteur propose quant au mode de scrutin.
Il s'agirait, en premier lieu, comme le souhaite le Gouvernement, d'instaurer un scrutin à deux tours, fondé sur la proportionnelle avec prime majoritaire. Il s'agit bien d'adapter le mode de scrutin municipal, qui a fait ses preuves. Mais les listes régionales seraient constituées de sections départementales, de sorte que le scrutin demeurerait départemental, tandis que la prime serait calculée au niveau régional.
L'intérêt d'un tel dispositif serait de garantir une représentation plus juste, notamment pour les départements à faible démographie. Mais convenez que sa complexité est immense ! De plus, la répartition des sièges gagnés du fait de la prime conduirait, dans certains départements, des listes minoritaires en voix à devenir majoritaires en sièges.
Définir un cadre régional pour des élections régionales me paraît plus simple et plus sage. La juste représentation de tous les départements me paraît pouvoir être obtenue par le simple bon sens des formations politiques, qui auront tout intérêt à veiller à l'équilibre géographique des candidatures.
Enfin, il convient de noter que, si l'on veut que la région s'affirme dans les domaines de l'aménagement du territoire et du développement économique, il est légitime que la circonscription électorale où s'expriment les suffrages de nos concitoyens soit bien la circonscription régionale.
J'ai bien noté aussi le désaccord formel qui se manifeste entre l'Assemblée nationale et le Sénat à propos des seuils nécessaires, d'abord pour qu'une liste puisse fusionner entre les deux tours, ensuite pour qu'une liste puisse se présenter au second tour, enfin pour qu'une liste puisse participer à la répartition des sièges.
M. le rapporteur rappelle mes propos à ce sujet : dans un domaine qui concerne aussi étroitement les règles de notre politique, le Parlement doit avoir le dernier mot.
Mais si la sagesse du Parlement doit prévaloir en matière de mode de scrutin, il m'incombait d'éclairer avec franchise le choix de l'Assemblée et de préciser les risques que comporterait, à mes yeux, un abaissement excessif des seuils. L'Assemblée nationale a ensuite pris sa décision.
Nous devons trouver le juste équilibre entre, d'une part, la représentation des diversités et des sensibilités politiques et, d'autre part, la définition de majorités stables.
L'existence d'une prime majoritaire éclaire la question d'un jour particulier puisqu'elle garantit qu'une majorité absolue pourra se dessiner dans les conseils régionaux. Cette situation autorise sans aucun doute une plus grande latitude pour la définition des seuils, mais avec le risque, là aussi, d'émiettement du suffrage. Toutefois, je le rappelle, le Parlement doit juger en pleine connaissance de cause.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi s'inscrit dans un ensemble de propositions visant à moderniser notre vie publique. Avec la réforme du cumul des mandats, la réforme constitutionnelle favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions, avec le changement de mode de scrutin régional, si longtemps attendu, nous voici à pied d'oeuvre.
Cette réforme appelle évidemment un débat. Celui-ci est engagé devant le Parlement depuis le 23 juin dernier. Je ne suis pas sûr que l'adoption de la question préalable en première lecture ait permis au Sénat d'y contribuer pleinement.
En tout cas, je peux affirmer que le Gouvernement a pris ses responsabilités pour affronter les difficultés nées de la situation actuelle dans nos régions et pour les résoudre.
Le dispositif qui est présenté aujourd'hui est en mesure de rendre les régions gouvernables, de représenter justement tous les courants politiques, de dessiner des majorités de gestion et, dans la période transitoire, de permettre l'adoption des budgets ou les clarifications rendues nécessaires. A ce titre, il peut donner un nouveau souffle à la démocratie locale.
Tel est l'esprit du projet de loi soumis à votre examen en nouvelle lecture. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc arrivés, dans le processus parlementaire, à la dernière lecture au Sénat d'un texte qui était promis, parfois attendu ou redouté et qui, en tout cas, laisse perplexes bon nombre de législateurs, en particulier de membres de la commission des lois.
Je ne referai pas l'exégèse de tout ce processus. Je rappellerai seulement qu'en 1996, si mes souvenirs sont exacts, un groupe de travail du Sénat avait procédé, à la demande de la commission des lois, à toute une série d'auditions, à de longues délibérations et qu'il avait adopté, à l'unanimité de ses membres - j'ai eu l'occasion de le rappeler quelquefois cruellement à tel ou tel ! - la position selon laquelle il n'était pas opportun de changer le mode d'élection à l'époque : nous étions à deux ans des élections régionales.
Parmi les arguments avancés - je me permets de le souligner devant le Sénat - il en est un qui avait été assez largement utilisé sur toutes les travées, et qui était que, au fond, une modification était hasardeuse parce qu'on ne savait pas à qui elle profiterait. Je l'ai encore dans les oreilles.
Cela signifie que, si tout le monde s'est rallié au statu quo , c'est non pas pour des motifs majeurs mais pour des motifs mineurs et qu'après tout le Gouverment de l'époque, prenant acte de cette situation, n'a peut-être pas été aussi condamnable qu'on le dit maintenant de n'avoir point bougé en la matière. S'il avait bougé, il aurait été en effet immédiatement soupçonné de chercher à porter atteinte aux intérêts électoraux des uns ou des autres, dans une période qui était sensible, et qui s'est avérée d'autant plus sensible qu'il y a eu une dissolution de l'Assemblée nationale et un changement de majorité.
Peut-être est-ce d'ailleurs ce même sentiment d'incertitude quant aux profits éventuels des uns et des autres qui a prévalu dans les délibérations internes du nouveau gouvernement et qui l'a amené à ne point présenter un nouveau mode d'élection des conseils régionaux, tout en se drapant de la vertu qui veut que l'on ne modifie pas les règles du jeu à moins d'un an de l'élection, sauf consensus général, qui, dans le traumatisme de l'instant, était a priori évidemment impossible.
Le Gouvernement, c'est vrai - il faut lui en donner acte - avait pris l'engagement de déposer, sitôt les élections passées, un projet de mode d'élection rénové à la lumière de l'expérience qui serait née de l'élection de 1998.
Les élections régionales ont eu lieu, et nul ne peut dénier au Gouvernement le fait que, sur ce point précis, il a tenu parole. Au lendemain des élections, ou très peu de temps après, il a en effet déposé un texte de réforme des élections des conseils régionaux.
Seulement voilà, ce texte, qui est à l'évidence un texte de fond, qui s'inscrit dans une démarche complexe englobant à la fois la répartition des pouvoirs entre les différents niveaux de l'administration territoriale de la République et la rénovation souhaitée, parfois caricaturée, de notre vie publique et du rôle de nos élus dans l'administration de notre pays, ce texte, dis-je, qui demande à la fois réflexion et prudence, qui demande à être inscrit dans un contexte général, a été assorti, au moment de son dépôt, d'une déclaration d'urgence, déclaration que rien ne justifie puisque, de toute façon, dans l'état actuel du droit, sauf dissolution générale prononcée par une loi, tous les conseils généraux ont leur vie fixée jusqu'à l'année 2004.
Si mes souvenirs sont encore exacts, nous sommes en 1998. Par conséquent, nous avons du temps avant que tombe le couperet de la dernière année avant l'élection, époque à laquelle la bienséance veut que l'on ne modifie pas le scrutin à venir.
M. Michel Caldaguès. Oui, mais il y a un truc !
M. Paul Girod, rapporteur. Cinq ans ! Pourtant, urgence déclarée en juin et délibération au forceps à tout prix pour en terminer avant le 31 décembre ! Nous sommes loin de la sérénité !
C'est un premier aspect des choses.
Mais à cela, il y a une raison, nous dit-on : il y a, dans le texte, une deuxième partie - je vous ai bien écouté, monsieur le ministre - destinée à faire en sorte que les préfets ne règlent point les budgets des conseils régionaux. Monsieur le ministre, c'est faux, totalement faux !
A en effet été promulguée le 7 mars dernier - si je me souviens bien - une loi, d'ailleurs validée extrêmement rapidement par le Conseil constitutionnel, qui prévoit tous les dispositifs nécessaires pour que les préfets n'aient pas leur mot à dire dans l'adoption des budgets régionaux. Nous ne sommes donc plus dans la situation que l'on invoquait l'année dernière, à savoir le risque d'une intrusion des préfets.
Le texte existe. Il n'a pas donné les résultats - il aurait peut-être fallu les définir un peu mieux , ces résultats ! - que certains espéraient. C'est vrai, en tout cas, dans deux régions parce que les présidents des régions concernés - ce n'est pas ma faute s'ils sont de vos amis, monsieur le ministre - ont totalement méconnu et le texte et l'esprit, ce qui fait que, c'est vrai, il y a eu intrusion du préfet.
Ce n'est donc pas une question de droit. C'est le fait de deux personnes. Et l'on vient nous dire, alors, que les conseils régionaux sont d'avance bloqués pour l'avenir parce que deux personnes, dans un passé proche, ont méconnu une loi que l'on venait de voter !
Admettez, monsieur le ministre, que la commission des lois s'interroge - c'est le moins que l'on puisse dire ! - sur la manière dont on conçoit l'administration de notre pays et sur la conception que l'on a aujourd'hui de la loi au niveau gouvernemental !
Par conséquent, le moins que l'on puisse dire également, c'est que l'urgence sur la deuxième partie du texte ne se justifie pas plus que sur la première. Il est en effet anormal de considérer une loi, dont on a dit à quel point elle était merveilleuse, extraordinaire, et qui a été validée par le Conseil constitutionnel malgré certaines réticences, comme morte quand on ne l'a pas fait vivre, de vouloir, dès lors, en imposer une autre et de se servir de cette autre pour justifier une urgence dans un domaine électoral qui ne la justifie en rien !
Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l'heure le dépôt de la question préalable au Sénat. Je veux, à cet égard, vous rappeler tout de même un certain nombre de choses.
La décision n'a été prise ni spontanément ni à l'avance.
En tant que rapporteur de la commission des lois - je parle sous le contrôle de son président - j'avais, en présentant mon rapport devant elle, fait remarquer que la déclaration d'urgence posait le problème d'une éventuelle question préalable, que je n'y étais, pour ma part, pas favorable à ce stade du débat et que je préférais proposer à la commission un certain nombre d'amendements, majeurs d'ailleurs, au texte qui nous venait de l'Assemblée nationale. La commission de lois m'avait suivi.
C'est le débat en séance publique lors de la discussion générale, c'est en particulier - permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre -, certaines de vos réponses qui ont amené certains de nos collègues aux responsabilités éminentes dans cette assemblée, c'est-à-dire les présidents de groupe,...
M. Henri de Raincourt. Merci pour eux !
M. Paul Girod, rapporteur ... à déposer une question préalable que le ton de la discussion justifiait et que, du coup, la commission des lois, prenant elle-même en considération les échanges qui avaient eu lieu en cette enceinte, a été amenée à accepter et, ensuite, à faire adopter.
Par conséquent, c'est non pas une volonté de blocage du Sénat mais la nature même du débat sur le projet qui a conduit au dépôt de la question préalable. Il faut que cela soit clairement établi.
M. Robert Bret. Ça c'est clair !
M. Paul Girod, rapporteur. Je vous remercie de le dire.
Alors, nous revient maintenant de l'Assemblée nationale, après l'échec prévisible d'une commission mixte paritaire engagée dans de telles conditions, un texte dont vous nous avez dit il y a quelques instants, monsieur le ministre, qu'il est à fort peu de choses près identique au premier texte de l'Assemblée nationale.
Le « fort peu de choses » n'est pas rien ! Le « fort peu de choses » est même fondamental.
Il y a deux parties dans le texte. Avec votre permission, mes chers collègues, je traiterai d'abord de la seconde, qui, à la limite, est la plus simple ; parce qu'elle est celle qui pose le plus de problèmes de principe, et au sein de laquelle, je serai amené à soulever une exception d'irrecevabilité constitutionnelle sur un article - c'est une procédure assez peu fréquente ! - qui entérine la prééminence exagérée des pouvoirs du président sur son propre conseil à travers cette nouvelle procédure d'adoption de trois documents budgétaires dans l'année.
Cette partie comporte un certain nombre d'anomalies, en particulier cette prééminence majeure du président du conseil régional sur le conseil, constitutionnellement seul responsable de la libre administration de la collectivité territoriale dont il est la représentation.
Je signale d'ailleurs au passage, monsieur le ministre, que, si la Constitution a prévu pour le Gouvernement, devant le Parlement, la procédure que l'on appelle le « 49-3 », elle l'a spécifiquement réservée au Gouvernement devant l'Assemblée nationale, ce qui exclut qu'elle puisse être appliquée par tout autre exécutif à toute autre assemblée délibérante. Sur ce point, nous verrons bien ce que décidera le Conseil constitutionnel.
Maintiendra-t-il la position qu'il a adoptée lorsqu'il a été saisi de la première loi, considérant que le système de la double délibération, de la motion de renvoi, qui était contenu dans cette loi et dont l'objet était d'éviter l'intrusion du préfet venant régler tout seul le budget de la région, était un progrès dans la responsabilité de l'assemblée délibérante ? Considérera-t-il que l'intrusion du président, piétinant allégrement un vote acquis de l'assemblée pour imposer autre chose, ressort de la libre administration des collectivités territoriales par un conseil librement élu ?
Cela fait partie des inconnues, pour le moins majeures, du texte que nous avons à examiner.
Restent d'autres dispositions variées.
L'une d'entre elles me paraît particulièrement contestable : le caractère public des délibérations des commissions permanentes.
Monsieur le ministre, il faut vraiment ignorer ce qu'est une commission permanente de collectivité territoriale pour envisager qu'elle puisse - sauf exception, bien entendu, qui attirera immédiatement l'attention - siéger en présence de la presse, alors qu'il s'agit de décisions ponctuelles qui ne sont que l'habilitation donnée au président d'appliquer les politiques librement - s'il y a encore une liberté en cette matière - définies par le conseil régional tout entier.
La seconde partie du texte comporte donc quelques anomalies de ce genre ; mais le Sénat essaiera d'y remédier.
J'en viens à la fameuse « affaire » du code électoral.
Mes chers collègues, je voudrais appeler votre attention sur un point précis de la procédure parlementaire afin que vous mesuriez bien quels sont, en cet instant du débat, notre pouvoir et nos capacités d'influence pour la suite.
Deux délibérations, une à l'Assemblée nationale et une au Sénat, se sont déroulées dans le cadre de la procédure d'urgence. Nous savons à quoi elles ont abouti : commission mixte paritaire et échec de celle-ci, c'était prévisible ; rétablissement par l'Assemblée nationale - avec les différences dont je viens de parler - de son texte d'origine ; aujourd'hui, nouvelle et dernière lecture au Sénat.
J'imagine, monsieur le ministre, que, si le Sénat n'est pas complètement d'accord avec l'Assemblée nationale, le Gouvernement va prendre la décision de faire délibérer celle-ci en dernier ressort. Cette prévision me semble assortie d'un certain coefficient de probabilités positives. Mais je ne suis pas Mme Soleil...
L'Assemblée nationale aura uniquement le choix - car elle ne délibère plus souverainement ; elle est complètement coincée - entre soit reprendre intégralement son propre texte soit reprendre son propre texte en acceptant un certain nombre d'amendements adoptés par le Sénat.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois a retenu une démarche à la fois prudente et, espère-t-elle, constructive, qui consiste à ne pas rebouleverser complètement le texte de l'Assemblée nationale en reprenant ses propres positions de première lecture. Ce faisant, la commission ne renonce pas pour autant aux positions de fond qu'elle a prises en première lecture, il faut que ce soit clair.
J'ai eu le sentiment que peu de membres de la commission des lois acceptaient de bon coeur l'idée d'abandonner, même pour des motifs tactiques - et il s'agit bien de motifs tactiques - la référence au scrutin départemental.
Mais si nous voulons que l'Assemblée nationale puisse tenir compte de certaines de nos objections, il faut les exprimer par des amendements ponctuels sur des points choisis, afin de lui permettre de se poser un certain nombre de questions.
Quels sont les points ponctuels qu'a retenus la commission des lois ?
La commission des lois n'a pas cédé à la tentation du scrutin à un tour. Si elle a accepté le scrutin à deux tours, je le répète, c'est dans le cadre de cette délibération qui n'est destinée qu'à encadrer les marges de manoeuvre de l'Assemblée nationale en dernière lecture.
Accepter le scrutin à deux tours...
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est déjà trop !
M. Paul Girod, rapporteur. Mon cher collègue, vous m'avez interrompu, je vous réponds tout de suite : si nous retenons le scrutin à un tour, ce n'est même pas la peine d'espérer que l'Assemblée nationale regarde quoi que ce soit ; d'avance, elle serait déliée de toute espèce de nécessité d'étudier ce que nous avons fait par le fait même que, dès le départ, nous aurions pris une position totalement différente de la sienne.
Le problème de la commission des lois est d'essayer d'amener l'Assemblée nationale à délibérer sur des points précis.
Nous avons donc accepté le scrutin à deux tours - avec tous les inconvénients que nous ne nous dissimulons pas - et le cadre régional du scrutin.
Monsieur le ministre, tout à l'heure, vous avez parlé de scrutin départemental. Non ! la liste sera régionale. Mais elle doit comporter un nombre normal de représentants par département pour éviter que les départements peu peuplés ne soient écrasés par le département le plus peuplé.
Demain, nous aurons ici un débat sur l'aménagement du territoire. J'entends demander à votre collègue ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire, qui, je crois, représentera le Gouvernement, s'il existe encore en France des territoires non urbains susceptibles de recueillir un peu d'attention de la part du Gouvernement...
Avec un système régional sans sectionnement départemental, que va-t-il se passer ?
Bien entendu, en région Picardie, qui est la mienne, cela ne posera pas de problème majeur. Mais en Rhône-Alpes, en Ile-de-France, en Midi-Pyrénées, en Aquitaine, dans les régions où la métropole régionale est majeure, que va-t-il se passer pour les départements les moins peuplés ?
Nous voyons très bien ce qui se profile, et, par conséquent, sur ce point précis, nous demandons que les départements les moins peuplés ne soient pas sous-représentés.
La deuxième série d'amendements a trait à ces fameux seuils, à propos desquels, monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure que le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale est à peu près identique à celui que nous avons examiné en première lecture.
Je m'inscris en faux contre cette affirmation, monsieur le ministre. Vous ne pouvez décemment pas soutenir que l'abaissement des seuils à 5 % pour se maintenir au second tour, à 3 % pour participer à la répartition des sièges et à 3 % pour fusionner les listes, assorti d'une prime limitée à 25 % pour la liste arrivée en tête, permet d'assurer les majorités dans les régions.
Ce n'est pas vrai, et votre seul objectif est en réalité de faire plaisir à certains de vos alliés de la majorité dite plurielle,...
M. Michel Duffour. Et alors, ce n'est pas un crime !
M. Paul Girod, rapporteur. ... qui, autant que je sache, ont prononcé quelques oukases à cet égard. Cela a d'ailleurs été dit sans fard à l'Assemblée nationale par le rapporteur du projet de loi, qui a bien expliqué qu'il s'agissait d'un texte élaboré en fonction de préoccupations politiques et qu'il n'était pas motivé par un souci de bonne administration. Par conséquent, il s'agit en réalité d'une manoeuvre purement qualifiée.
Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire que ce projet tient debout, dans la mesure où, en réalité, vous savez très bien qu'il s'agit pour vous d'essayer d'enfermer vos adversaires dans un piège, et non pas d'assurer aux régions une majorité stable.
L'objectif est bel et bien de mettre en place une majorité que vous avez choisie d'avance.
A cet égard, je me permettrai simplement de citer quelqu'un que, j'imagine, vous ne récuserez pas, à savoir le président Mitterrand. Il a dit, si ma mémoire est bonne - et je crois que j'étais présent - que les réformes électorales étaient des choses à manipuler avec précaution, parce qu'en général cela se retournait contre ceux qui les faisaient. Or je ne suis pas certain que, en l'occurrence, vous n'aboutissiez pas à une déconvenue, d'autant, monsieur le ministre - et je reviens là aux discussions de la première lecture - qu'il était ressorti très clairement de tous les débats que nous avons eus le sentiment général que l'on allait prendre prétexte de la deuxième partie du texte pour expliquer l'urgence, mais l'appliquer à la première partie, c'est-à-dire à la réforme électorale, avec l'espoir que l'on aurait à s'en servir prochainement.
Au reste, et j'attire votre attention sur ce point, je ne suis pas certain qu'il soit constitutionnel d'avoir des assemblées de même nature et fonctionnant en même temps mais élues selon des modes de scrutin différents. D'ailleurs, la commission des lois vous proposera - encore un point d'application d'une réforme électorale - d'exprimer clairement que tout ce dispositif ne s'applique qu'à compter des élections de 2004, et pas avant.
M. Michel Duffour. A tort !
M. Paul Girod, rapporteur. Nous verrons bien si c'est à tort, mon cher collègue.
Donc, pas avant 2004, et ce quelles que soient les manipulations sur le fonctionnement des conseils régionaux qui pourraient éventuellement être validées avant...
Mais, monsieur le ministre, à force de tirer sur les ficelles, il arrive qu'on les casse et, dans cette affaire, je crains que le Gouvernement, à force de vouloir tirer sur les ficelles, ne soit en train de créer une mécanique qui ne fera que plonger un peu plus les régions dans l'incertitude.
Dissoudre un conseil régional à la faveur d'un traquenard, cela peut s'expliquer. On peut aller à la chasse et espérer rapporter un gros gibier. (Sourires.) Mais, parfois, on est un peu étonné de n'avoir tiré qu'une grenouille ! (Nouveaux sourires.) J'ai connu cela, j'étais moi-même un peu chasseur dans le temps... encore que je n'aie jamais réussi à tuer une grenouille avec un plomb, car ce n'est pas une cible facile à toucher ! Reste que c'est de la manipulation, monsieur le ministre, de la manipulation !
Ce n'est pas grandir une institution que de s'en servir pour des démonstrations de second ordre.
La réalité, c'est que nous avons besoin de régions stables. Vous l'avez dit et tout le monde partage ce sentiment.
Vous avez évoqué la déclaration de Rennes ; je ne suis pas sûr que vous l'ayez très bien lue.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Si !
M. Paul Girod, rapporteur. Vous en avez tiré ce qui vous arrange et rejeté ce qui vous arrange moins !
M. Claude Estier. Il y avait tout et le contraire de tout dans cette déclaration !
M. Paul Girod, rapporteur. Il y avait un appel à la morale publique, un appel au sérieux pour traiter des rapports entre notre peuple, ses collectivités locales, de leur nécessaire évolution et de la réalité de la vie républicaine et de ses principes de base.
Or, monsieur le ministre, d'une certaine manière, le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale transgresse certains de ces principes de base.
C'est la raison de fond, mes chers collègues, des amendements qui vous seront présentés par la commission des lois et que, j'espère, le Sénat retiendra. J'espère surtout que, dans un ultime sursaut vers le sérieux, l'Assemblée nationale s'en saisira, les étudiera un par un, sans être obligée de se renier sur l'ensemble de ses positions.
Qu'elle revienne au sérieux dans l'affaire ! Qu'on n'ait pas un émiettement de la représentation par l'introduction du majoritaire dans le proportionnel. Qu'on évite les manipulations politiciennes.
Monsieur le ministre, j'ai été un peu dur à cette tribune, je ne l'ai pas été beaucoup moins dans mon rapport écrit.
Mes chers collègues, je crois que nous devons prendre conscience à la fois de la responsabilité qui est la nôtre en cet instant et de nos limites d'action. Telle est encore une fois la raison de ces amendements ciblés. Je reconnais qu'ils ne reflètent pas totalement notre sentiment sur le fond. Toutefois, dans la technique législative d'instruction des textes et dans la situation juridique dans laquelle se trouve l'Assemblée nationale, ils constituent pour le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, le dernier moyen d'appeler au sérieux, à l'abandon des petites manoeuvres, à une réalité qui s'impose à nous tous, celle de la libre administration de nos collectivités territoriales, de leur solidité, de leur sérieux et de leur fidélité aux principes républicains. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. J'ai bien apprécié les propos de M. le ministre au début de son intervention.
Il nous a d'abord dit qu'il y avait un réel problème de fond, et j'ai cru un instant qu'il allait nous écouter avec beaucoup d'attention et qu'il se ferait, devant l'Assemblée nationale, l'avocat des propositions honnêtes et intelligentes que le Sénat va adopter. Mais après l'avoir entendu jusqu'au bout, il me semble bien que c'est tout autre chose qui nous attend.
Monsieur le ministre, je tiens à vous rappeler que, si nous avons voté la question préalable en première lecture, c'est parce que, à l'issue de la discussion générale, vous nous avez dit que vous ne tiendriez compte d'aucun de nos amendements.
Vous aviez eu l'air d'estimer que le Sénat ne servait à rien dans cette affaire et que les dés étaient jetés.
Nous avons donc fait un effort méritoire, comme l'a dit M. le rapporteur, dont je salue le travail tout à fait remarquable. Pourtant, vous êtes allé encore plus loin dans votre déclaration liminaire aujourd'hui. Peut-être est-ce une manoeuvre délibérée de votre part ? Vous avez en effet justifié une atteinte évidente à la Constitution et à la décision du Conseil constitutionnel selon laquelle il est impossible de fixer des quotas en affirmant que l'Assemblée nationale a voté et que, par conséquent, il n'y a pas de raison de ne pas l'inscrire dans la loi.
Je vous rappelle à ce propos que le seul chef de gouvernement qui ait tenu dans le passé le même raisonnement que vous, c'est Staline. (Rires et exclamations sur les travées communistes.) Selon lui, il était possible de modifier la Constitution par une loi ordinaire. Il n'y a pas d'autres précédents historiques !
M. Guy Allouche. Queyranne égale Staline !
M. Patrice Gélard. Je trouve que vous allez un peu loin, monsieur le ministre. Il me semble que vous avez un peu oublié le contenu de la Constitution et son article 89, selon lequel, en matière de révision constitutionnelle, le Sénat a des droits égaux à ceux de l'Assemblée nationale.
Je vous renvoie également à un excellent article paru dans Le Monde d'avant-hier et signé de M. le doyen Vedel, pour qui le texte tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale ne signifie pas, en l'état, qu'il doive y avoir des quotas.
Pourtant, en l'occurrence, prévoir 50 % d'un sexe et 50 % de l'autre, cela veut bien dire que nous sommes en face de quotas.
Vous avez donc ôté le masque : en fait, vous voulez qu'il y ait des quotas !
On en discutera, mais je ne suis pas du tout convaincu que le Sénat puisse vous suivre dans cette voie car, si nous sommes pour la parité entre hommes et femmes, nous ne sommes pas pour autant partisans des formules qui ont apporté partout la preuve de leur effet néfaste.
Je ferme la parenthèse et j'en reviens au fond du texte qui nous est transmis de l'Assemblée nationale.
Il y a un vrai problème régional, nous en sommes tous convaincus. Ce problème mérite des solutions et nous avons, au sein du Sénat, constitué un groupe de travail sur cette question. Nous n'avons pas pu aboutir, on s'en souvient. Nous avions alors le temps devant nous. Rien ne justifiait l'urgence, on l'a déjà dit et je le répète, car je crois qu'il faut parfois enfoncer les clous.
Que dire à propos du texte que vous nous proposez ?
Il était certes nécessaire de réviser le mode de scrutin régional pour aboutir à une majorité stable et faire en sorte que les régions atteignent enfin le seuil de crédibilité qu'elles ont du mal à obtenir aux yeux de nos concitoyens.
Je reprocherai toutefois à ce projet de loi de n'être ni assez moderne ni assez audacieux en matière électorale. Vous reprenez en effet les modes de scrutin anciens, que vous aménagez comme vous pouvez.
En matière de mode d'élection aux conseils régionaux, on pouvait innover, on pouvait proposer un système à l'allemande, par exemple.
Il n'en est rien et l'on conserve le scrutin proportionnel, qui n'est pas un mode de scrutin très intéressant pour les électeurs puisqu'ils ne connaissent pas les candidats qui se présentent.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est exact !
M. Patrice Gélard. Dans une région, constituée de cinq départements parfois très éloignés les uns des autres, comment voulez-vous que l'électeur s'y retrouve ? Il ne connaîtra pas les candidats ; peut-être reconnaîtra-t-il un nom, même s'il est placé en dix-septième position sur la liste. Il ira alors pêcher à la ligne plutôt que de participer au scrutin.
Ce processus, on le connaît déjà, monsieur le ministre, malheureusement, pour les élections européennes. Les élections européennes ne sont qu'une lointaine préoccupation des Français parce que les électeurs ne connaissent pas les candidats qui se présentent.
On va pourtant faire la même chose avec le scrutin régional.
Je vous avoue que ma préférence pour les élections régionales aurait été un scrutin majoritaire pour la moitié des sièges et un scrutin à la proportionnelle pour l'autre moitié, soit un mode de scrutin que le parti socialiste lui-même avait envisagé à une époque.
Je regrette qu'on ne soit pas allé au bout du processus. Cela vous aurait peut-être permis d'éviter ce débat un peu stérile, où nous jouons les défenseurs de positions d'arrière-garde.
Selon moi, seul un mode de scrutin différent nous aurait permis d'approfondir réellement la réflexion.
Le scrutin proportionnel est un mode de scrutin qui fait courir le risque de l'émiettement, avez-vous dit au début de votre intervention, et c'est exact. Mais je déplore que vous n'ayez pas souligné devant l'Assemblée nationale que l'abaissement des seuils conduit à rendre le scrutin proportionnel totalement inutilisable.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Patrice Gélard. A la limite, on aurait pu retenir la proportionnelle intégrale sans aucun seuil ! On en connaît pourtant le résultat ! Les Polonais, qui l'ont essayé récemment, ont vu arriver quarante-huit partis au Parlement, dont certains aussi folkloriques que « Les Amis de la bière », dont le seul programme était la détaxation du demi de bière. (Sourires.)
On risque d'aboutir à ce résultat-là, vous le savez aussi bien que moi ! Le seuil à 5 %, même s'il n'est pas excellent, a maintenant plus de cinquante ans d'existence dans notre pratique électorale. En effet, en 1946 déjà, au moment du scrutin proportionnel, ce seuil était fixé à 5 %. Il est alors apparu insuffisant et il a fallu voter la malheureuse loi de 1950 sur les apparentements, qui n'était pas une merveille. Il n'en demeure pas moins que le seuil à 5 % fait partie de notre tradition.
Modifier le seuil traditionnel pour le ramener à 3 %, c'est porter un mauvais coup à la proportionnelle. Cela revient, plus précisément, à la discréditer.
Comme M. le rapporteur l'a excellemment dit, le fait de ramener le maintien au second tour de 10 % à 5 % va conduire à un résultat parfaitement prévisible : au second tour, ce ne sont pas deux listes qui subsisteront, mais trois, quatre, voire cinq listes qui se maintiendront. Cela permettra par ailleurs à ces listes de décider dans l'ombre, en dehors de l'électeur, quelles alliances - contre nature ou pas - elles concluront une fois le résultat acquis.
Je ne suis donc absolument pas satisfait du travail de l'Assemblée nationale en ce qui concerne le mode de scrutin.
Permettez-moi maintenant d'en venir à quelques interrogations quant à la constitutionnalité de certaines dispositions du texte que vous présentez, monsieur le ministre.
Le droit n'est pas fait pour être tordu. Le droit est droit, il n'est pas courbe. Or, on a l'impression avec ce texte que les possibilités juridiques ont été tordues au maximum, non pour atteindre un objectif net et clair - la bonne administration de la région - mais pour répondre à des préoccupations politiques mal avouées.
Pourquoi avoir décidé que, dorénavant, la primauté n'irait plus au doyen d'âge mais au benjamin, que ce soit pour la présidence des séances ou en cas d'égalité des voix ? C'est complètement ridicule, parce que vous touchez là à une tradition républicaine qui remonte au tout début de la République : l'institution du doyen d'âge remonte en effet à la Révolution française.
A mon avis, il s'agit là d'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et vous le remettez en cause. On peut le faire. Il faut certes que la loi évolue avec les moeurs. Mais, à ce moment-là, il faut modifier la Constitution et non la loi !
En l'occurrence, il s'agit d'une pure déclaration démagogique. On met le plus jeune à la place du plus vieux pour faire plaisir à quelques électeurs de plus. Et je ne suis même pas convaincu que cela leur fera plaisir !
Cette mesure relève de la simple démagogie et non de la volonté pourtant affirmée d'un bon fonctionnement des régions.
J'évoquerai également - mais M. le rapporteur en a déjà parlé - la durée du mandat régional, qui est ramenée à cinq ans sans étude préalable, sans discussion préalable, sans motif valable.
Cette disposition aurait pu répondre à une raison, monsieur le ministre : faire coïncider la durée du mandat régional avec celle du contrat de plan Etat-région. Alors, à la limite, j'aurais pu accepter votre choix. Un contrat de plan Etat-région de cinq ans correspondant à la durée du mandat régional, ce n'était pas idiot du tout, cela se justifiait.
Mais, puisque les contrats de plan Etat-région durent désormais non plus cinq ans, mais six à sept ans, vous ne permettrez donc même pas à un conseil régional de mener à terme le contrat Etat-région qu'il aura négocié. Au bout de cinq ans, ce sera terminé ! Les conseillers régionaux seront obligés de se représenter devant les électeurs !
Il n'y aura donc pas de lien logique entre les engagements pris à un moment donné et leur réalisation.
Là encore, il aurait fallu prendre le temps, réfléchir. Pourquoi pas cinq ans, disais-je, si cela se justifie ? Cela aurait été acceptable à cette condition.
Mais chacun d'entre nous sait bien qu'aujourd'hui cinq ans est un minimum, et que six ans, c'est mieux pour mener à bien une politique qu'on a lancée.
J'en reviens aux quelques motifs d'inconstitutionnalité que j'ai cru pouvoir relever.
Pour ce qui est de la parité hommes-femmes, l'inconstitutionnalité est manifeste.
Pour ce qui est de la primauté du benjamin sur le doyen d'âge, l'inconstitutionnalité est réelle, j'en suis convaincu.
Mais j'ai relevé d'autres irrégularités.
Qu'en est-il des sections départementales ? Je ne suis en effet pas du tout convaincu qu'il soit constitutionnel de faire en sorte que les électeurs sénatoriaux n'aient aucun rapport avec le département dans lequel ils seront appelés à voter.
Il est prévu par ailleurs prévu de rendre publiques les réunions des commissions permanentes. Cela me paraît relever de la pure démagogie. On ne réunira plus les commissions permanentes que pour la façade, les véritables décisions se prenant ailleurs.
Est-il conforme à la Constitution d'adopter un tel dispositif ? Ne revient-il pas aux collectivités locales de régler elles-mêmes un problème de cet ordre, sans que la loi intervienne ?
En outre, avec un tel système, M. le rapporteur l'a bien souligné, le président de la région peut se transformer en un dictateur régional, passer outre les décisions du conseil.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, pourquoi ne pas se lancer dans une autre expérience l'élection du président du conseil régional au suffrage universel direct, par exemple ? Seule une telle élection justifierait les pouvoirs que la loi va lui reconnaître.
Monsieur le ministre, le texte que nous examinons aujourd'hui et que nous avons tenté d'améliorer pour inciter l'Assemblée nationale à suivre certaines de nos recommandations est tellement tordu que le remède choisi risque d'entraîner l'aggravation du mal. Je crains que les conseils régionaux n'en sortent plus amoindris, plus malades qu'avant, moins crédibles au regard de l'opinion publique, parce que la loi n'est pas bonne.
Je me demande même si, par machiavélisme, vous n'avez pas voulu en fait que l'on saisisse le Conseil constitutionnel, et si, dès le départ, vous n'avez pas accepté un certain nombre de dispositions tout à fait invraisemblables pour que le Conseil constitutionnel les refuse.
Je me demande aussi dans quelle mesure vous n'avez pas été soumis dans cette affaire, d'abord et avant tout, à des pressions politiques pour que les conseils régionaux soient les plus proches possible de la représentation idéale de votre majorité plurielle.
Nous ne pouvons pas accepter qu'une loi soit faite en fonction des circonstances. Elle est faite pour l'avenir, pour le futur. C'est la raison pour laquelle je crois que nous avons fait un travail solide en proposant des amendements qui valent ce qu'ils valent, mais dont nous espérons qu'ils seront suivis par l'Assemblée nationale, faute de quoi je crains - je le dis franchement - que la loi qui sera votée par l'Assemblée nationale en dernière lecture ne soit tellement mauvaise dans la pratique, qu'elle doit, tôt au tard, revenir devant le Sénat. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Duffour. M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'occasion de la première lecture de ce texte au Sénat, le 20 octobre dernier, j'avais indiqué au nom de mon groupe les aspects que nous jugions positifs ou nécessaires, ainsi que ceux que nous estimions négatifs et sur lesquels nous émettions certaines réserves.
Au premier rang de nos critiques figuraient, dans le projet de loi, des seuils que nous considérions comme trop élevés pour la participation au second tour ou le bénéfice de la répartition des sièges. Je constate que vous revenez, monsieur le ministre, avec un texte nettement meilleur, et notre attitude va s'en ressentir sur les plans tant du débat que de nos appréciations.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tiens ! Tiens !
M. Michel Duffour. C'était pour nous une question importante. Nous nous sommes en effet beaucoup interrogés sur le fait de savoir si l'objet de tels seuils était le bon fonctionnement des conseils régionaux. De toute évidence, non, puisque les dispositions prévues pour favoriser l'émergence d'une majorité stable, avec notamment l'octroi d'une prime significative à la liste arrivée en tête, permettaient cette stabilité.
Notre crainte était alors - je n'y reviendrai pas - le franchissement d'une étape supplémentaire dans une bipolarisation de la vie politique que nous estimons mauvaise pour la vie citoyenne de notre pays. En effet, la conséquence essentielle d'un seuil trop élevé est de priver de toute réprésentation des courants minoritaires qui, pourtant, rassemblent une part importante de l'électorat et méritent donc d'être représentés.
Nous estimons que la démocratie ne peut se satisfaire d'une restriction du débat d'idées, car c'est dans la diversité et dans le pluralisme qu'elle puise sa vitalité.
La région est un échelon suffisamment important pour que le débat y prenne une dimension politique marquante.
La discussion que nous avons eue sur la question des seuils - je respecte les arguments qui ont été avancés par le Gouvernement - a, je le constate, porté ses fruits, et nous nous en félicitons.
La majorité des députés, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, a décidé la réduction significative des seuils. Il s'agit d'un geste politique important que nous approuvons pleinement.
M. le rapporteur et l'orateur précédent ont fantasmé sur d'éventuelles magouilles au sein de la majorité. Il faut vous y faire, messieurs. La majorité plurielle fait preuve de sa vitalité et de son sens du dialogue. Des désaccords nous opposent sur certains sujets. Nous les exprimons avec beaucoup de franchise.
A la différence de la droite, que nous avons vue pendant des années paralysée par des divisions internes - M. le rapporteur a fait l'historique à sa façon de la non-publication d'un texte au cours des dernières années -, qui est complètement empêtrée dans ses contradictions et qui n'a pas le courage de dépasser ses désaccords, et cela au grand jour, la majorié de la gauche plurielle a tout simplement réussi à se mettre d'accord et a faire converger ses différents points de vue.
Cette évolution, sur un point que nous estimons essentiel, nous conduit aujourd'hui, dans un esprit constructif et pour permettre aux régions de fonctionner dans de meilleures conditions, à approuver ce texte.
L'attitude de la majorité de droite, qui souhaite restaurer des seuils plus élevés, voire aller beaucoup plus loin que le texte initial comme elle le propose dans certains amendements, cette attitude ne nous surprend pas.
Que la droite sénatoriale veuille faire barrage à la reconnaissance du pluralisme politique à l'échelon régional ne nous étonne nullement, car la déformation du suffrage universel a malheureusement toujours été une constante de la droite française ! Il suffit de regarder le mode de scrutin sénatorial, ses aspects antidémocratiques évidents - mais qui ne le constate aujourd'hui ? - pour refuser à la majorité sénatoriale, qui défend bec et ongles ce mode de scrutin, de donner ici des leçons de démocratie !
Nous voterons donc contre les dispositions présentées par la commission des lois pour restaurer les seuils, que l'Assemblée nationale a réduits.
Nous nous opposons aussi - je le dis d'emblée, car nous n'interviendrons pas fréquemment dans cette discussion - à la volonté de la majorité sénatoriale de ralentir la discussion. Il aurait tout de même été beaucoup plus sain et productif...
M. Paul Girod, rapporteur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Duffour ?
M. Michel Duffour. Très volontiers, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Paul Girod, rapporteur. Très honnêtement, mon cher collègue, si nous avions vraiment voulu ralentir les débats, je vais vous dire ce que j'aurais pu être amené à faire, car c'était mon devoir de rapporteur : j'aurais pu demander à rencontrer M. le Premier ministre et M. le ministre de l'intérieur, et demander les résultats des simulations relatives aux abaissements de seuils.
Nous ne l'avons pas fait. Nous avons accepté d'entrer dans le jeu et de nous en tenir au calendrier qui nous était fixé. Mais nous n'avons pas cherché à ralentir le débat. Dans cette affaire, monsieur le ministre, nous somme blancs comme neige !
M. Henri de Raincourt. Clean !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Duffour.
M. Michel Duffour. Nous allons voir si ce souci d'avoir une discussion productive et rapide...
M. Jacques Larché. président de la commission des lois. Productive et rapide, c'est incompatible !
M. Michel Duffour. ... va finalement se confirmer dans les heures qui viennent !
M. Paul Girod, rapporteur. Ce n'est pas moi qui ai prévu pour cet après-midi la célébration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme !
M. Michel Duffour. En tout cas, pour ce qui est de la productivité, il est sûr que notre débat en première lecture n'aurait pas été conclu comme il l'a été et, s'agissant de la réforme du mode de scrutin régional, le Sénat aurait pu apporter sa pierre ! Je constate qu'il ne l'a pas fait. Notre Haute Assemblée avait pourtant besoin d'un débat utile.
Mais je pense que celui-ci est quelque peu biaisé en raison de la contradiction que je constate dans vos propos lorsque j'entends, d'un côté, des orateurs de la majorité sénatoriale défendre bec et ongles la circonscription départementale - que j'avais par ailleurs défendue moi-même - et, de l'autre, l'ancien Premier ministre, M. Juppé, « exécuter » les départements, voilà quelques jours ! J'attends donc les remarques que feront tout à l'heure les orateurs appartenant au même parti que M. Juppé,...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Vous avez une conception monolithique du parti !
M. Michel Duffour. ... pour voir quels sont véritablement les fondements de leur démarche !
S'agissant de la parité entre les hommes et les femmes, je m'étonne, alors que M. le Président de la République parle de modernité, d'entendre M. Gélard aborder le problème de manière extrêmement restrictive, sans trouver le souffle nécessaire pour accueillir favorablement le texte gouvernemental !
Je considère enfin, lorsque j'entends M. Gélard, déclarer que le scrutin proportionnel à l'allemande a son intérêt - ce dont je ne disconviens pas - alors que nous n'en avons jamais parlé au cours des deux derniers mois et qu'aucun amendement n'a été déposé à l'appui de cette affirmation, que les propos tenus manquent d'un certain sérieux ! Voilà ce que nous voulions dire dans ce débat.
Je tiens à rappeler les réserves que nous avions émises sur certains aspects du projet de loi et qui demeurent aujourd'hui.
La proportionnelle, je l'ai indiqué lors de la première lecture de ce texte, est source de démocratie, et non le contraire.
Nous maintenons également nos réserves sur la réduction de l'effet proportionnel dans le scrutin régional.
Nous reconnaissons cependant l'urgence qu'il y a à mettre en place des règles de fonctionnement pour les régions.
Enfin, tout en étant pleinement conscients des nécessités de l'heure, nous alertons le Sénat sur les risques d'enfermement dans un système s'apparentant au vote bloqué parlementaire - je n'en veux pas spécialement à M. Gélard ! - mais sans les excès qui ont été évoqués quant au danger d'un pouvoir dictatorial des présidents. Je ne pense pas que l'on puisse faire de telles remarques à propos de ce projet de loi.
Il sera important pour nous, à l'avenir, de faire le bilan d'un système qui est transitoire et d'en tirer les conclusions.
La volonté affichée par le Gouvernement et la majorité plurielle de l'Assemblée nationale de garantir la représentation des minorités mérite d'être soutenue. Nous défendrons donc le texte tel qu'il a été initialement proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher rapporteur, mes chers collègues, refusant de mettre rapidement un terme aux situations de blocage vécues par certains conseils régionaux du fait de l'absence de majorité stable, prétextant de l'utilisation de la procédure d'urgence et regrettant que la réforme du fonctionnement des conseils régionaux ne soit pas disjointe de la réforme du scrutin, le Sénat a rejeté le texte en première lecture après adoption d'une question préalable.
Réunie le 28 octobre dernier, la commission mixte paritaire a bien évidemment échoué. Conformément à l'article 45 de la Constitution, il était normal que l'Assemblée nationale reprenne le projet qu'elle avait précédemment adopté.
Ultime lecture, semble-t-il, que celle que nous avons aujourd'hui ! Séance de pure forme, car il est très peu probable que le Gouvernement suive la majorité sénatoriale dans ce qu'elle propose et que nos collègues députés acceptent la moindre proposition sénatoriale.
M. Jean-Pierre Raffarin. Il ne faut pas désespérer du Palais du Luxembourg ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Malgré les efforts de M. le rapporteur, la réflexion n'a guère progressé. En revanche, les conclusions de la commission des lois ont gagné en confusion et en contradictions ; je m'en expliquerai.
A l'occasion de cette discussion générale, je veux m'attarder sur les explications et motivations développées par M. le rapporteur dans la première partie de son rapport écrit, sur les critiques qu'elles m'inspirent, car, à l'appel des articles, peut-être aurai-je l'occasion d'expliquer les raisons pour lesquelles nous sommes opposés à ce que vous proposez.
Monsieur le rapporteur, permettez-moi de préciser, compte tenu des sentiments de confraternité et des liens qui nous unissent, qu'à travers vous je m'adresse également à la majorité sénatoriale. N'y voyez donc aucune attaque d'ordre personnel.
M. Paul Girod, rapporteur. Je n'aurais jamais pensé une seule seconde qu'une telle tactique puisse vous inspirer !
M. Guy Allouche. Je vous en remercie.
Pour ne pas trop étaler ses divisions et pour faire taire ses profondes divergences, la majorité sénatoriale a préféré adopter une question préalable en première lecture. Cher rapporteur, nous avons une profonde divergence sur l'interprétation de cette question préalable.
Je prétends que si elle est intervenue, aux termes du règlement, à la fin de la discussion générale, nous avions connaissance de son dépôt à l'ouverture de la séance,...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Et alors ?
M. Paul Girod, rapporteur. Vous aviez de meilleurs « espions » que moi !
M. Guy Allouche. ... tant et si bien que mes amis m'ont demandé de répondre également à la question préalable.
Par conséquent, ce n'est pas après la réponse du ministre que la majorité sénatoriale a décidé de déposer cette motion de procédure. C'est avant même que le débat s'ouvre. Il suffit de consulter l'heure à laquelle la motion a été déposée pour s'en rendre compte ! Monsieur Larché, je dis cela pour remettre les choses dans l'ordre chronologique. Ce n'est pas à la fin de la discussion générale que MM. de Raincourt, de Rohan et Arthuis ont pensé à la question préalable. Non ! c'était avant et c'était leur droit.
M. Henri de Raincourt. C'était une précaution que nous avions prise !
M. Guy Allouche. Merci de le préciser ! Par conséquent, cela infirme ce qu'a dit notre rapporteur.
M. Henri de Raincourt. Non !
M. Paul Girod, rapporteur. Absolument pas !
M. Guy Allouche. M. le rapporteur a bien précisé que c'était à la suite de la non-prise en considération par le ministre de ce qui avait été dit dans la discussion générale...
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Guy Allouche. Comment M. le ministre pouvait-il prétendre connaître vos remarques avant que le débat commence ?
M. Henri de Raincourt. Nous avons plusieurs cordes à notre arc !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Monsieur Allouche, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Guy Allouche. Je vous en prie, monsieur Larché.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je m'étonne toujours de la conception que nos collègues socialistes ont du débat parlementaire.
Comme l'a parfaitement dit le président de notre groupe, vous connaissant et connaissant votre entêtement sur les positions que vous prenez, il n'était pas du tout illégitime que nous prenions quelque précaution. Cette précaution, c'était la rédaction d'une question préalable.
Vous êtes trop respectueux de la procédure parlementaire pour ne pas vous souvenir qu'il a fallu réunir la commission des lois après la discussion générale et vous connaissez suffisamment la liberté de ton et d'opinion qui règne au sein de la commission des lois pour savoir que l'on ne pouvait pas du tout préjuger le sort qui serait réservé à cette question préalable.
La question préalable n'a donc pris une existence juridique qu'à partir du moment où, faisant ce qu'elle croyait être bon - mais elle aurait pu faire autrement -, la commission des lois a décidé de l'approuver.
Votre chronologie n'apporte absolument rien au débat ; elle montre simplement que vous avez été un peu dépités de la manoeuvre.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Je disais donc que, pour ne pas trop étaler ses divisions et faire taire ses profondes divergences, la majorité sénatoriale a préféré adopter une question préalable en première lecture.
Aujourd'hui, rappelée certainement à l'ordre par le Président de la République, qui a déclaré nécessaire de rendre gouvernables les régions précisément par une réforme du mode de scrutin, elle semble avoir pris conscience de ses erreurs, de ses incohérences et de ses inconséquences.
M. Hubert Haenel. Ce n'est pas le cas du Gouvernement !
M. Guy Allouche. Elle tente à présent d'y remédier, en acceptant de débattre, mais un peu tard.
Les arguments avancés par notre rapporteur ne résistent pas longtemps à l'analyse. Tous les reproches faits au Gouvernement et à la majorité de l'Assemblée nationale n'arriveront jamais à masquer un tant soit peu les profondes divergences que nous avons constatées depuis cinq ans, au sein de la droite, sur cette question. Vous tentez de faire diversion avec une proposition de dernière minute. Nul n'est dupe de la manoeuvre, et j'oserai employer une expression quelque peu familière : « il n'est pire sourd que celui qui ne veut rien entendre. »
Dès l'instant où le Sénat a considéré qu'il n'y avait pas lieu de délibérer, pourquoi faire reproche à l'Assemblée nationale de ne débattre que de ses proppres propositions. Que pouvait-elle faire d'autre ? Vous contestez l'urgence. Moi aussi, j'ai souvent contesté les déclarations d'urgence, et vous le savez.
M. Paul Girod, rapporteur. Vous avez là une belle occasion de déployer vos talents !
M. Guy Allouche. Vous contestez l'urgence déclarée qui interdirait à l'Assemblée nationale d'examiner les propositions du Sénat. Il aurait été préférable, mes chers collègues, que la Haute Assemblée les formule et les adopte en première lecture. Tel n'a pas été le cas. Et je vous renvoie à la conclusion de mon intervention contre la question préalable, dans laquelle je vous disais mot pour mot : « Vous laissez à nos amis de l'Assemblée nationale le soin de traiter de cette question. Ils ne s'en priveront pas. » N'est-ce pas, monsieur le président de Raincourt ? (M. de Raincourt acquiesce.)
Vous vous le rappelez. Donc, pourquoi faire reproche à l'Assemblée nationale de reprendre son travail.
Et que dire de l'argument savoureux utilisé par le rapporteur lorsqu'il écrit : « Le ministre se refusant à prendre en considération les propositions de votre commission des lois, le Sénat a finalement décidé, avec l'avis favorable de la commission des lois, d'adopter une question préalable. » C'est ce que vous avez écrit, monsieur le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Oui, c'est vrai !
M. Guy Allouche. Cependant, comme il est très peu probable que le Gouvernement vous suive aujourd'hui, qu'il accepte ce que j'ai appelé, vous me le pardonnerez, l'« usine à gaz » que vous avez proposée, est-ce à dire que nous serons saisis d'une deuxième question préalable à la fin de cette discussion générale ?
M. Henri de Raincourt. Vous verrez bien !
M. Guy Allouche. Si chaque fois que le Gouvernement s'exprime en contradiction profonde avec le Sénat, si chaque fois qu'il refuse les propositions sénatoriales, la droite sénatoriale adopte une question préalable, mes chers collègues, il n'y a plus de débat possible dans cette assemblée ! Cette autocensure joue contre vous - et contre nous tous - et c'est vous qui en quelque sorte portez atteinte à l'institution à laquelle vous et nous sommes attachés !
Au fait, qui décide au Sénat ? Est-ce le Gouvernement de la gauche plurielle ou est-ce la majorité sénatoriale ?
Si vous aviez réellement voulu que l'Assemblée nationale étudie et prenne éventuellement en considération les propositions alternatives du Sénat - à supposer qu'elles existent - il aurait fallu les formuler et les adopter.
Représentant des collectivités territoriales, le Sénat a en quelque sorte démissionné et laissé le soin à l'Assemblée nationale de définir l'avenir des conseils régionaux. C'est vous qui avez choisi de tronquer le débat. Telle est la réalité !
Je suis au regret de vous dire, monsieur le rapporteur, que, malgré vous, vous avez été l'otage de votre propre majorité. En commission des lois, puis en séance publique le 20 octobre dernier - vous l'avez redit tout à l'heure - vous aviez rejeté le principe de la question préalable au motif que cela serait mal interprété et qu'elle constituerait une réaction excessive.
M. Robert Bret. C'est vrai !
M. Guy Allouche. Vous l'avez dit en commission et à la tribune, vous l'avez écrit, vous l'avez répété tout à l'heure.
Pour autant et dans un second temps, face aux divergences clairement exprimées en séance, la commission des lois, qui s'est réunie à la fin de la discussion générale, a voté en faveur de cette question préalable. Non seulement vous ne vous êtes pas abstenu, monsieur le rapporteur, mais vous l'avez soutenue.
Vous n'avez de cesse de critiquer l'urgence. Mais il faut être sourd et aveugle pour ne pas s'apercevoir que, déjà, des conseils régionaux élus il y a à peine six mois ne fonctionnent pas et que d'autres, demain ou d'ici à 2004, risquent de connaître la même situation. Tout gouvernement qui laisserait se dégrader une telle situation serait à mes yeux irresponsable et coupable.
Oui, il y a urgence à sortir ces conseils régionaux des difficultés qu'ils rencontrent.
Oui, il y a urgence à préserver d'autres assemblées régionales de ces mêmes maux.
Oui, il y a urgence à changer de mode de scrutin, quand on sait, d'évidence, que l'actuel mode de scrutin ne répond plus ou ne répond pas au mal qui se développe.
M. le rapporteur a fait état du groupe de travail de la commission mis en place par la commission des lois en 1996. Pour y avoir participé assez activement, je puis attester que, effectivement, l'unanimité s'est faite, compte tenu des divergences qui existaient entre nous tous, sur l'idée qu'il ne fallait pas changer de mode de scrutin ; c'est exact.
Mais il y a eu l'alternance en 1997, et vous avez rappelé l'engagement du Premier ministre - ce dont vous lui avez donné acte, monsieur le rapporteur - de ne pas modifier les choses immédiatement. Dans la mesure où il n'y avait pas de consensus avant l'élection régionale, il a fallu attendre que celle-ci se déroule - on a vu avec quels résultats ! - pour que le Gouvernement prenne ses responsabilités.
M. Paul Girod, rapporteur. Très bien ! Parfait !
M. Guy Allouche. Il a pris ses responsabilités, le Parlement en débat.
M. Paul Girod, rapporteur. Personne ne conteste cela, monsieur Allouche, c'est l'urgence qui est contestée.
M. Guy Allouche. Je suis quand même étonné de voir, depuis quelques semaines, le nombre de propositions de mode de scrutin qui surgissent tout à coup ! Je ne veux pas les énumérer car ce serait trop long. Mais pourquoi cela n'a-t-il pas été fait avant, de 1993 à 1997 ?
Notre excellent collègue M. Gélard, dont on connaît la science constitutionnelle, vient de nous faire l'apologie du système allemand, rappelé par notre collègue M. Duffour. Or, voilà à peine quelques heures, dans l'enceinte de la commission des lois, j'ai entendu le même M. Gélard dire qu'en aucun cas le système français ne pouvait être comparé au système allemand, l'Allemagne étant un Etat fédéral.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Allons, allons, son propos portait sur un autre point !
M. Guy Allouche. Peut-être, mais en tout cas, le mode de scrutin utilisé dans un système fédéral ne peut s'appliquer dans un système centralisé comme le nôtre ! Il faut savoir choisir ses exemples !
Vous n'avez donc pas réussi à faire cette modification en quatre ans. Le Premier ministre a pris un engagement devant la représentation nationale, il l'a dit ici même au Sénat. Ce projet de loi concrétise cet engagement.
Je suis obligé de constater - et je ne suis pas le seul - que la droite oppose toujours des préalables aux projets du Gouvernement : il faut approfondir la décentralisation et adopter un statut de l'élu avant de parler du non-cumul des mandats ; il faut procéder à l'examen des autres volets de la réforme de la justice avant de ratifier la révision constitutionnelle sur l'indépendance du Conseil supérieur de la magistrature ; il faut redéfinir l'avenir des régions avant de modifier le mode de scrutin régional, etc., etc. Je pourrais multiplier les exemples !
Vous soulignez, pour aussitôt les stigmatiser, « les considérations politiques à l'origine de cette modification ». Oui, pourquoi ne pas le reconnaître ? Il est exact que cela a fait l'objet de négociations au sein de la gauche plurielle ! Et alors ? En quoi la concertation des composantes de la majorité est-elle condamnable ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Parce qu'elle est exclusive !
M. Guy Allouche. Cher monsieur Raffarin, n'y a-t-il pas concertation de la majorité sénatoriale ?
M. Henri de Raincourt. Si !
M. Guy Allouche. Celle-ci ne se réunit-elle pas pratiquement chaque semaine ?
M. Henri de Raincourt. Si !
M. Robert Bret. Cela n'a pas l'air de fonctionner !
M. Guy Allouche. Ne décide-t-elle pas pour l'ensemble de la majorité ?
M. Henri de Raincourt. Pas toujours.
M. Guy Allouche. Mais souvent ! Est-ce qu'on vous en fait le reproche ? Non. Alors !
Si, au sein de la gauche plurielle, les composantes politiques qui soutiennent le Gouvernement en place n'engageaient pas des discussions et des négociations, ce ne serait plus une gauche plurielle.
M. Michel Duffour. Très bien !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, oui, il y a eu des discussions, il y a eu des négociations, C'est la loi du genre et je ne pense pas qu'il faille balayer d'un revers de main ce genre de contacts qui existent entre formations politiques.
Comment ne pas être choqué par le comportement de la majorité sénatoriale, qui refuse de remédier aux dysfonctionnements de certains conseils régionaux en adoptant un amendement qui supprime tout le titre III ? Tout le travail de la commission a été focalisé, selon vos propres termes, sur la question des seuils, donc du mode de scrutin, alors qu'elle admet que l'urgence n'aurait dû porter que sur le seul fonctionnement des conseils régionaux.
M. Paul Girod, rapporteur. On ne peut pas admettre des mesures anticonstitutionnelles.
M. Guy Allouche. Que de contradictions, monsieur le rapporteur ! Vous auriez dû proposer, en toute logique - si tant est que la logique et la politique aillent de pair...
M. Henri de Raincourt. Pas toujours !
M. Guy Allouche. ... vous auriez dû proposer, dis-je, des amendements qui suppriment tous les articles relatifs au mode de scrutin pour présenter des articles alternatifs relatifs au fonctionnement des conseils régionaux. Vous avez fait l'inverse : vous supprimez les articles concernant les dysfonctionnement et vous n'amendez que ceux qui visent le mode de scrutin. Voilà la contradiction ! Voilà l'incohérence et l'inconséquence de votre attitude ! Je ne pouvais pas ne pas vous le faire remarquer.
Vous avez avancé un autre argument, monsieur le rapporteur : « Le choix de la circonscription électorale contribue à une politisation accrue des élections », écrivez-vous. Mais cet argument consiste tout simplement à vouloir nier le rôle politique des conseils régionaux, au niveau tant de leurs acteurs que de leurs compétences. Qu'il s'agisse de listes régionales ou de listes régionales à sections départementales, pour reprendre votre proposition, elles sont toutes présentées par des formations politiques. S'il est une assemblée territoriale qui a une fonction éminemment politique...
M. Jean-Pierre Raffarin. Politique ne veut pas dire partisane ! (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier. Ça vous va bien !
M. Guy Allouche. Monsieur Raffarin, je ne m'attendais pas à ce que ce soit vous qui disiez cela !
Enfin, la critique des seuils est pour vous sans appel. Vous affirmez que le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale a changé de nature et que l'abaissement proposé faciliterait la représentation des extrêmes.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est vrai !
M. Guy Allouche. Mais, mes chers collègues, n'avez-vous pas encore remarqué que les extrêmes dont vous parlez sont déjà représentés dans les conseils régionaux et que leurs scores électoraux dépassent de très loin le seuil proposé ?
M. Henri de Raincourt. Hélas !
M. Henri de Richemont. Grâce à vous ! Vous avez tout fait pour !
M. Paul Girod, rapporteur. C'est bien pour cette raison qu'il faut le remonter !
M. Guy Allouche. Tiens, c'est bizarre... Nous n'avons pas changé le mode de scrutin ! Et c'est à cause de nous que les dysfonctionnements se produisent ! On veut le changer, et c'est encore à cause de nous que cela ne va pas marcher ! Dans tous les cas de figure, nous sommes coupables !
M. Henri de Richemont. Ben oui !
M. Guy Allouche. Ce n'est pas nous qui avons pactisé avec l'extrême droite. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Henri de Richemont. Nous non plus !
M. Guy Allouche. Je ne mets pas tous les élus du RPR et de l'UDF dans le « même sac », si je puis dire !
M. Henri de Raincourt. Merci !
M. Guy Allouche. Parmi eux, je connais d'éminents républicains. Mais j'en connais d'autres qui n'hésitent pas et qui veulent continuer à pactiser avec l'extrême droite !
M. Henri de Richemont. Moi, j'en connais qui ont tout fait pour pousser l'extrême droite.
M. Guy Allouche. Depuis quarante-huit heures, certains de vos amis ouvrent les bras...
M. Dominique Leclerc. Assez d'hypocrisie.
M. Henri de Richemont. Avant 1981, il n'y avait pas d'extrême droite !
M. Guy Allouche. ... à une formation politique que j'exècre et que j'ai toujours combattue. Eux sont prêts à l'accepter comme si elle était blanchie.
En fait, le nouveau texte approfondit l'esprit de la réforme. Il s'agit d'un mode de scrutin proportionnel à deux tours, qui est désormais conforme à la tradition française où la diversité s'exprime avant que les rassemblements nécessaires à l'existence d'une majorité stable s'opèrent dans la clarté, la transparence. Ainsi, l'électeur peut choisir en connaissance de cause.
L'objectif que l'on cherche à atteindre par ce projet de loi est respecté : il s'agit de donner une meilleure légitimité aux régions, de garantir des majorités stables au sein des assemblées, tout en préservant la représentation des minorités, d'assurer une véritable lisibilité et une transparence pour le citoyen.
M. Henri de Richemont. Des mots !
M. Guy Allouche. En quoi l'assouplissement des seuils contredirait-il l'objectif de transparence ? C'est justement parce que tout sera clair pour le deuxième tour - soit le maintien, soit la fusion - que la transparence sera assurée sans attendre les manoeuvres, manoeuvres honteuses... (M. Dominique Leclerc s'esclaffe) connues de tous et que nous ne cesserons jamais de condamner.
N'est-ce pas le président du RPR, M. Philippe Séguin, qui, déplorant cette « honteuse exception française »...
M. Henri de Richemont. Les modes de scrutin ?
M. Guy Allouche. Il parlait des alliances.
M. Séguin a déclaré, voilà quelques jours, dans un hebdomadaire qui paraît le jeudi et qui ferait l'événement de ce jour...
M. Paul Girod, rapporteur. On se demande quel peut être cet hebdomadaire ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Voilà le document ! Il est daté du 19 au 25 novembre 1998 ! (M. Allouche présente un document à ses collègues.)
Je vous cite le président Séguin.
M. Hubert Haenel. Bonne lecture !
M. Guy Allouche. « Un accord entre élus, ça ne peut se prendre que devant les électeurs. Donc avant l'élection. Si on le passe après, sans avoir prévenu préalablement, il y a tromperie sur la marchandise. » Sur ce point précis, M. Séguin parle d'or.
M. Henri de Richemont. Toujours !
M. Guy Allouche. Pour moi, sur ce point précis !
En quoi l'assouplissement des seuils affecterait-il le fonctionnement des conseils généraux, dès l'instant où une majorité stable s'est dégagée grâce à la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête ?
M. le rapporteur n'hésite pas à affirmer que le projet de loi dont le Sénat est saisi en nouvelle lecture apparaît comme une « machine de guerre » politique et électoraliste, susceptible de déboucher sur des compromissions, de favoriser les intérêts de la majorité de l'Assemblée nationale et de constituer un obstacle sérieux à l'alternance régionale. Voilà ce que vous écrivez, monsieur le rapporteur ! Rien de moins que cela !
Une réflexion approfondie vous aurait conduit à constater que, contrairement à ce que vous affirmez, en abaissant les seuils, le Gouvernement n'oblige personne - j'y insiste - et en tout cas pas les composantes de sa majorité, à s'unir au second tour. Il respecte leur autonomie de décision, puisqu'elles pourront se maintenir, ce qui ne permettra pas, éventuellement, à la gauche dite « plurielle » d'arriver en tête et de bénéficier de la prime lui assurant une majorité stable.
M. Henri de Richemont. C'est généreux ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. La parcellisation que vous redoutez est un « plus » démocratique à partir du moment où une majorité politique cohérente et stable s'est dégagée.
M. Henri de Richemont. Le tout, c'est de nous empêcher d'avoir la majorité !
M. Guy Allouche. Si la gauche se parcellise, la droite devrait s'en réjouir, elle dont nous savons tous, et depuis longtemps, qu'elle est parfaitement unie au sein de l'Alliance, dont les partenaires sont d'accord sur tout et en tous domaines, au point de ne jamais rien négocier.
Pour ce qui est des compromissions que vous craignez, certains de vos amis politiques n'ont pas attendu la réforme du mode de scrutin pour passer à l'acte. Votre région, monsieur le rapporteur - j'en suis désolé, et je suppose que vous le regrettez comme moi - est un triste exemple à cet égard. Nous verrons d'ailleurs ce que feront les élus du RPR, de l'UDF et de Démocratie libérale, dont la collusion avec le Front national est patente, lors des votes des budgets des conseils régionaux. Ce qui s'est passé en Languedoc-Roussillon n'est pas de très bon augure sur ce plan.
Si nous savons depuis longtemps que l'on ne combat pas l'extrême droite avec le code électoral, il est tout aussi évident que ce n'est pas en pactisant avec elle ou en reprenant ses thèses racistes et xénophobes qu'elle reculera.
Quant au mode de scrutin que vous proposez, et que je qualifierai une nouvelle fois d'« usine à gaz », il est complexe et peu lisible. J'en veux pour preuve la mixité du cadre électoral ; le fait qu'une liste minoritaire dans un département puisse néanmoins se voir attribuer la majorité des sièges ; l'instauration d'un double seuil pour le maintien au second tour, à savoir 5 % à l'échelon départemental et 10 % à l'échelon régional. C'est vraiment très difficile à comprendre, et j'avoue que je n'ai pas compris !
M. Henri de Richemont. Vous ?
M. Guy Allouche. Moi, je n'ai pas compris, mon cher collègue, et comme je pense être à l'image du Français moyen...
M. Henri de Richemont. Mais non ! (Sourires.)
M. Hubert Haenel. Vous êtes mieux que cela !
M. Paul Girod, rapporteur. Puis-je vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Guy Allouche. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je suis navré de devoir vous interrompre, monsieur Allouche, mais vous savez qu'en matière électorale les mathématiques sont une chose et les préoccupations politiciennes une autre.
Vous dites que vous n'avez pas compris. Je crains que vous n'ayez tout simplement pas trouvé la manoeuvre politique qu'il y avait derrière la fixation de certains seuils.
M. Guy Allouche. Non.
M. Paul Girod, rapporteur. En fait de manoeuvre, il y a la déclinaison d'un principe simple : on ne peut pas représenter le peuple si l'on ne représente rien ! Telle est la réalité ! En vérité, dans cette affaire, en tout cas au niveau du rapporteur - et je vous prie, monsieur Allouche, de m'en donner acte - il y a jamais eu de conception partisane du système des seuils. Ce système, tel qu'il est conçu, se veut le reflet de la représentativité républicaine.
Puisque vous avez cité ma région, je souhaite que vous me donniez acte d'autre chose : dans mon département, où la majorité a changé dans un canton pour sept suffrages, les choses se sont passées de manière telle que, même à l'échelon national, nous avons été salués comme étant des républicains conséquents. Je ne voudrais donc pas que quiconque lisant les débats qui se tiennent ce soir au Sénat puisse déduire des propos que vous avez tenus sur ma région quoi que ce soit concernant mon honneur. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le rapporteur, je vous en donne acte, bien entendu ! Pour le cas où j'aurais été mal compris, j'indique qu'en aucun cas vous ni vos amis dans votre département ne pouvez être mis en cause. Que les choses soient claires : j'ai parlé de certains de vos amis politiques dans votre région.
Le système que vous proposez est difficile à comprendre. Il y avait plus simple à proposer pour veiller à la juste représentation des départements. Nous aussi nous sommes soucieux de voir les départements bien représentés ! Vous auriez pu suggérer, par exemple, l'obligation pour chaque liste régionale de respecter le nombre de candidats affectés à chaque département. Il est impensable, en effet, qu'un département soit totalement absent d'une assemblée régionale ; il y va de l'intérêt politique et électoral de chaque liste. En réalité, votre système exprime la crainte de ceux qui sont atteints - j'emploierai un néologisme - de « départementalite aiguë », et qui voient d'un oeil sombre l'émergence croissante des régions.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Guy Allouche. Monsieur le rapporteur, vous qui reprochiez au Gouvernement, avec l'ensemble de la droite, de ne pas avoir engagé une large concertation en vue de définir un mode de scrutin acceptable par l'ensemble des formations politiques républicaines, puis-je vous demander avec qui vous vous êtes concerté ?
Vos amis de la majorité sénatoriale ont découvert, comme nous-mêmes en commission, votre proposition, et vous ne pouvez pas dire que vous avez été unanimement suivi par les vôtres !
M. Jean-Pierre Raffarin. Pourquoi ne serions-nous pas pluriels, nous aussi ? (Sourires.)
M. Guy Allouche. Certes, il est du rôle du rapporteur de formuler des propositions, mais, en la circonstance, vous nous avez sorti ce mode de scrutin comme un magicien sort une colombe de son chapeau !
M. Paul Girod, rapporteur. Cela prouve que j'ai quelque talent !
M. Hubert Haenel. Généralement, c'est un lapin que l'on sort du chapeau ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Je préfère la colombe, monsieur Haenel, c'est plus symbolique, et c'est la paix !
En ce qui concerne le second volet du projet de loi, selon vous, l'institution du vote bloqué à l'article 21 serait contraire à la libre administration des collectivités territoriales, au motif qu'il dessaisit l'assemblée délibérante en matière de vote du budget.
Vous feignez de ne pas comprendre que cette procédure n'intervient qu'à l'issue d'un premier rejet du budget, donc après une première délibération. Le nouveau budget proposé par le président ne peut être modifié que par des amendements soutenus en première lecture et qui ne sont présentés qu'avec l'accord du bureau. Le président qui est élu par l'assemblée délibérante, je le rappelle, n'a donc pas un pouvoir absolu. Tout à l'heure, notre collègue Patrice Gélard a employé le terme de « dictateur », me semble-t-il, en parlant du président.
M. Paul Girod, rapporteur. Nous en parlerons lors de la discussion des articles, car ce n'est pas du tout cela ! C'est même le contraire !
M. Guy Allouche. Oui, nous en discuterons à l'occasion de l'examen dudit article.
M. Paul Girod, rapporteur. Il s'agit de l'ancienne loi !
M. Guy Allouche. Ce dispositif permet à la majorité sortie des urnes d'appliquer un budget qui est conforme aux engagements pris devant les électeurs.
Le système est équilibré. Un ultime recours est prévu : si une majorité absolue se dégage au sein de l'assemblée délibérante, elle a la possibilité de présenter un budget alternatif, avec un accord sur celui, ou celle, qui sera appelé à exercer la présidence.
Il ne suffit pas de se prononcer contre un budget. Encore faut-il être en mesure d'en proposer un autre qui recueille l'assentiment de la majorité absolue ! Il appartiendra alors au nouveau président d'assurer la bonne marche de l'assemblée régionale, le tout s'effectuant dans la clarté et la transparence grâce aux dispositions nouvelles.
Pour conclure mon propos, mes chers collègues, je dirai que le groupe socialiste, qui approuve non pas le texte issu des travaux de la commission des lois, mais le projet de loi, se félicite du fait que les conseils régionaux pourront disposer de moyens juridiques leur assurant un fonctionnement rationalisé.
La majorité sénatoriale, une fois encore, n'arrive pas à masquer ses divergences et ses incohérences, tant il est vrai que l'on ne peut, dans le même temps, dénoncer le malaise et les dysfonctionnements des conseils régionaux et plaider pour l'immobilisme en condamnant, notamment, l'urgence.
Le nouveau mode de scrutin régional, qui s'inspire largement du scrutin municipal, si décrié à l'époque et apprécié par tous aujourd'hui, adapté à la situation politique des régions, est parfaitement conforme à la tradition française. Il permettra l'expression des sensibilités politiques du pays, tout en dégageant une majorité stable. C'est ce compromis entre deux exigences démocratiques que nous approuvons. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Hubert Haenel. Allouche est un bon avocat !
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat de ce soir est intéressant et important, car nous savons tous qu'à l'arrière-plan de cette discussion sur le mode de scrutin régional et sur le fonctionnement des conseils régionaux trois questions de principe se profilent.
La première concerne l'avenir de la collectivité régionale, son efficacité et la place qu'elle doit prendre dans le paysage institutionnel français.
La deuxième a trait à l'éternel débat sur le mode de scrutin le meilleur,...
M. Hubert Haenel. Les deux sont liées !
M. Daniel Hoeffel. ... et la tentation est grande, à ce propos, d'ouvrir le débat sur la justice et l'efficacité qui peuvent se dégager de tel ou tel mode de scrutin et sur la difficulté qu'il y a à concilier justice et efficacité.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention les intervenants précédents et l'évocation, par certains d'entre eux, de modes de scrutin en vigueur dans d'autres pays européens. J'ajouterai à ce propos que chaque pays a sa mentalité et qu'à cette mentalité correspond une certaine conception des modes de scrutin. Il y a toujours quelque risque à vouloir transposer chez nous ce qui peut être valable à l'étranger compte tenu de notre mentalité latine quelque peu particulière.
M. Guy Allouche. Très juste !
M. Daniel Hoeffel. Par ailleurs, nous avons expérimenté en France, tout au long de nos républiques, quasiment tous les modes de scrutin possibles et imaginables. Nous avons même expérimenté, sous la IVe République, un mode de scrutin qui permettait aux candidats ayant recueilli le moins de voix d'être élus !
La troisième question de principe qui se profile derrière ce débat est celle du mode de fonctionnement des conseils régionaux et, d'une manière générale, de toute assemblée élue.
C'est dans ce contexte que nous abordons ce débat.
Je tiens à dire d'emblée qu'il convient d'exprimer notre reconnaissance au rapporteur de la commission des lois, M. Paul Girod.
M. Hubert Haenel. C'est vrai.
M. Daniel Hoeffel. Sur ces sujets ô combien délicats, qu'il est nécessaire de dépassionner au maximum - et nous avons pu constater, à travers les interventions que nous venons d'entendre, que cet exercice est difficile - il s'est livré à un travail sérieux, en ayant constamment la volonté d'être objectif et efficace. Vous ne serez donc pas surpris, monsieur le ministre, qu'après avoir exprimé, en première lecture, des positions quelque peu divergentes le groupe de l'Union centriste approuve aujourd'hui pleinement les conclusions qu'il a présentées.
En première lecture - j'y reviendrai rapidement car je ne veux pas prolonger inutilement ce débat - j'avais exprimé une double position.
En premier lieu, il me paraissait logique que la circonscription régionale soit la circonscription à l'intérieur de laquelle devaient se dérouler les élections régionales, tant il est vrai qu'il est toujours difficile d'expliquer à l'électeur de base que, pour l'élection régionale, c'est la circonscription départementale qui est choisie.
En second lieu, nous avions exprimé notre préférence pour un scrutin à un tour et nous vous avions mis en garde contre toutes les difficultés, toutes les sombres tractations et les manoeuvres complexes qui apparaissent nécessairement entre les deux tours d'une élection, quelle qu'elle soit.
Le choix de la circonscription régionale et d'un scrutin à un tour me paraissait être un gage d'efficacité et une garantie pour l'émergence de la collectivité régionale, à laquelle, personnellement, je crois profondément.
M. Auguste Cazalet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Cela ne signifie pas pour autant - je veux, d'emblée, rassurer M. le président de la commission des lois - qu'il convienne de jeter l'opprobre sur la collectivité départementale, à laquelle notre pays doit beaucoup...
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. ... et qui doit continuer à jouer son rôle.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Néanmoins, regardons l'avenir en face : l'émergence de la région est un phénomène inévitable, irréversible, et j'y crois.
M. Jean-Pierre Bel. Nous aussi !
M. Daniel Hoeffel. Tels sont les arguments qui étayaient notre position lors de la première lecture.
Mais nous en sommes, ce soir, à la nouvelle lecture et, je le répète, nous pensons que l'idéal est un objectif auquel il convient de ne jamais renoncer. Ce mode de scrutin idéal est encore lointain cependant il ne pourra être atteint que par étapes.
Je salue, à cet égard, les avancées positives qui ont été faites par notre rapporteur et qui vont incontestablement dans la bonne direction puisque, en l'occurrence, c'est la circonscription régionale qui est choisie dans son principe, les sections départementales étant néanmoins préservées. Ainsi, la circonscription régionale est reconnue mais elle s'accompagne d'une répartition équitable des sièges département par département. Concilier ces deux exigences était un exercice difficile. C'est donc un pas qui va dans la bonne direction.
L'autre élément du mode de scrutin régional - et nous pouvons le regretter, compte tenu des propos exprimés lors de la première lecture - c'est le maintien des deux tours. Mais, pour des raisons tout simplement réalistes, il fallait en passer par là. En effet, la représentation proportionnelle étant maintenue, tout le problème consistait à parvenir à une répartition juste des sièges, tout en évitant les excès d'une proportionnelle poussée à l'extrême. En effet, la proportionnelle n'est à la fois juste et efficace que dans la mesure où elle est encadrée et où l'on en évite les à-coups. Tel est l'objet de l'opportune proposition de la commission des lois.
En accordant une prime égale au quart des sièges à la liste arrivée en tête, la proposition s'inspire du mode de scrutin qui est en vigueur dans les grandes villes, tout en évitant le caractère pénalisant d'une prime trop forte, qui irait en fin de compte à l'encontre d'une répartition équitable des sièges.
En préconisant de maintenir à 5 % des suffrages exprimés le seuil permettant à une liste de fusionner avec une autre liste au deuxième tour, de fixer à 10 % le minimum pour le maintien d'une liste au deuxième tour et à 5 % le seuil permettant de participer à la répartition de sièges, M. le rapporteur évite les listes marginales et donc une dispersion de la représentation qui irait à l'encontre de l'objectif recherché. Compte tenu des progrès significatifs intervenus entre la première et la deuxième lecture, je suis persuadé que la commission et le Sénat contribueront à renforcer l'esprit régional et la collectivité régionale.
S'agissant du second volet du texte qui nous est soumis et qui concerne le fonctionnement des conseils régionaux, les choses me paraissent très claires : dès lors que le mode de scrutin permet de dégager une majorité, il est inutile de recourir à toute sorte d'artifices pour essayer de trouver des solutions aux dysfonctionnements.
Le mode de scrutin tel qu'il est présenté permet incontestablement, dans l'immense majorité des cas, de dégager spontanément une majorité. Dès lors, il est inutile de recourir à un vote bloqué, voire à l'adoption sans vote du budget de la région, ou de rendre publiques les réunions des commissions permanentes.
Nous sommes pour une région par adhésion et non pour une région par défaut.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Auguste Cazalet. C'est le bon sens !
M. Daniel Hoeffel. Voilà pourquoi il était nécessaire que, en toute clarté, la commission des lois et son rapporteur nous proposent de ne pas adopter toutes les dispositions concernant le fonctionnement des conseils régionaux. Cette seconde partie du texte tombera d'elle-même dès lors que nous nous serons efforcés, dans la première partie, de trouver une réponse claire pour le mode de scrutin.
M. Guy Allouche. Très bien !

M. Daniel Hoeffel. C'est pourquoi, mes chers collègues, après mûre réflexion, après avoir lu attentivement les conclusions présentées par M. le rapporteur, après avoir écouté les prises de position en faveur de ce texte ou contre celui-ci, nous soutiendrons, en toute objectivité et d'une manière dépassionnée, les conclusions de la commission des lois du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) 5