Séance du 15 décembre 1998
M. le président. Par amendement n° 24, M. Marini, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 17, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le dernier alinéa de l'article 71 de la loi de finances pour 1993 (n° 92-1376 du 30 décembre 1992), les mots : "les reversements au budget général" sont supprimés. »
M. le rapporteur général vient de défendre cet amendement.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. M. le rapporteur général, par cet amendement, pose un problème de principe et met en garde le Gouvernement contre la tentation de financer des dépenses de fonctionnement avec le produit de la cession de parts de capital détenues par l'Etat.
En droit, lorsqu'un compte d'affectation spéciale dégage un excédent, celui-ci peut être reversé - c'est une faculté, qui n'est pas utilisée mais qui existe - au budget général. De ce point de vue, le compte d'affectation des produits de cessions de titres, parts et droits de sociétés n'a rien d'exceptionnel : il est dans le droit commun des comptes d'affectation spéciale.
De plus, le budget général peut très bien supporter des dotations en capital au budget des charges communes, par le truchement du chapitre 54-90.
C'est là que nous passons du principe à la pratique.
J'ai le souvenir qu'entre 1993 et 1995 certains produits des privatisations ont été rattachés directement aux recettes du budget général. Je comprends bien, monsieur le rapporteur général, que vous souhaitiez nous mettre en garde contre des comportements qui ont été observés au cours de cette période. Je prends cet avertissement comme venant de quelqu'un qui a vécu, en matière budgétaire, de belles et de moins belles périodes !
En droit budgétaire, la possibilité de reverser des excédents de ce compte d'affectation spéciale vers le budget général est une faculté qui existe pour ce compte comme pour d'autres. Rassurez-vous, monsieur le rapporteur général, je ne compte pas en abuser, contrairement à ce qu'ont fait mes prédécesseurs entre 1993 et 1995. C'est pourquoi je demande le rejet de votre amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 24.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le rapporteur général, j'estime que votre conception de la gestion du patrimoine de la nation est tout à fait contestable. Vous nous proposez une mesure qui consiste à recapitaliser des entreprises publiques grâce au produit de la vente d'autres entreprises publiques. Il s'agit en quelque sorte de socialiser les pertes avant de privatiser les futurs profits.
L'expérience de la cession de la Compagnie générale maritime devrait pourtant vous avoir fait réfléchir ! Il est vrai que vous avez défendu cette cession, à l'époque, sans la moindre hésitation.
Pour notre part, nous sommes favorables à l'interruption pure et simple du processus de cession des titres du secteur public.
Nous ne sommes pas convaincus, par exemple, du bien-fondé de ces cessions dans le cadre d'une stratégie industrielle globale. A nos yeux, une telle stratégie peut fort bien s'accommoder d'une démarche de développement de coopérations mutuellement avantageuses entre partenaires publics et privés. Nous sommes encore plus circonspects quant à la procédure que nous propose la commission des finances, d'autant qu'elle s'inscrit dans une logique tout à fait étrangère à la politique industrielle et économique qui peut être menée dans notre pays ; elle relève plutôt de l'obsession de la réduction de la dette publique par tous les moyens.
Nous semble également pour le moins discutable l'idée selon laquelle seul le secteur privé serait susceptible de gérer convenablement certaines activités. La manière dont nous avons été contraints de venir au secours de certaines banques et compagnies d'assurances privées mises à mal par le krach immobilier des années 1993 à 1996 fournit une bonne illustration du contraire.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre l'amendement n° 24.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteurgénéral.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le secrétaire d'Etat, notre amendement est en fait l'expression d'une sorte de jurisprudence constante de la commission des finances sur la conception que nous estimons juste des comptes d'affectation spéciale. Nous considérons que, si est maintenue la possibilité d'un reversement du solde au budget général, il y a un risque ou une tentation pour les années de vaches maigres.
Nous ne regardons pas derrière nous, nous regardons devant nous, et nous souhaitons que la gestion budgétaire soit de plus en plus efficace et utile à l'économie nationale.
Je voudrais également répondre à Mme Beaudeau que, si l'on se limitait à des cessions comme celles de la Compagnie générale maritime, il n'y aurait pas grand-chose dans le compte d'affectation spéciale en question.
L'intention qui sous-tend cet amendement porte sur des opérations d'une autre ampleur qui pourraient avoir lieu un jour : la privatisation intégrale de France Télécom ou l'ouverture au moins partielle du capital - lorsqu'il sera constitué - de EDF-GDF. L'importance des enjeux impliquerait alors une parfaite clarté quant à l'affectation du produit de telles cessions au désendettement de l'Etat ou à la réalisation d'autres investissements au sein de ce qui, au moins temporairement, demeurerait le secteur public.
Ce sont ces considérations de portée générale qui sont à la base de cet amendement, lequel se situe, je le répète, dans la cohérence de la jurisprudence que la commission des finances s'efforce d'établir avec constance sur ces sujets de droit budgétaire.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je voudrais rassurer Mme Beaudeau. Il existe des entreprises publiques auxquelles le Gouvernement, la majorité qui le soutient et le pays tout entier sont très attachés. Je pense ici notamment à Réseau ferré de France, qu'il faut doter en capital pour que les investissements ferroviaires puissent se poursuivre, ou à Charbonnages de France, qui est une fort belle entreprise. Il est nécessaire que la collectivité nationale apporte des fonds propres à ces entreprises pour leur permettre de mener leurs activités. Le Gouvernement considère qu'il convient, pour ce faire, d'utiliser le produit de cessions d'actifs détenus par l'Etat.
Ces cessions ne sont pas motivées par une sorte d'acharnement à privatiser, tel celui qu'on a pu observer dans une période antérieure. Elles ont pour objet soit de respecter les engagements européens, soit de permettre aux entreprises en question d'assurer leur avenir industriel dans la compétition européenne et dans la compétition mondiale.
J'en viens maintenant à la question posée par M. Marini.
Je respecte tout à fait la constance prudentielle, si je puis dire, de la commission des finances qu'incarnent ici son président et son rapporteur général.
Monsieur le rapporteur général, selon vous, en cas de vaches maigres, nous pourrions avoir la tentation d'utiliser les produits de ce compte d'affectation spéciale. La France a connu sept années de vaches maigres, de 1991 à 1997, pendant lesquelles la croissance a été particulièrement faible, son taux annuel étant de l'ordre de 1,3 %. Si je file votre métaphore biblique, nous sommes maintenant, je l'espère, au début d'une période de sept années de vaches grasses durant lesquelles nous n'aurons pas l'occasion d'éprouver la tentation que vous indiquez. (Sourires.)
M. Gérard Braun. Dieu vous entende !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Prions !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Priez, oui ! Très sincèrement, l'amendement vise à supprimer, en fait, une faculté qui existe pour tous les comptes d'affectation spéciale. Je ne vois pas pourquoi, monsieur le rapporteur général, vous mettez le doigt plus particulièrement sur le compte d'affectation « Produits de cessions de titres, parts et droits de sociétés ».
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 24, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 17.
Articles 18 et 19