Séance du 20 janvier 1999
LOI D'ORIENTATION AGRICOLE
Suite de la discussion d'un projet de loi,
déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 18,
1998-1999) d'orientation agricole, adopté par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence. [Rapport n° 129 ; avis n°s 132 et 151 (1998-1999).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est une
évidence, la discussion de ce projet de loi représente un moment de première
importance pour l'agriculture française - qui est une part essentielle de
l'économie du pays - mais aussi, me semble-t-il, pour une possible meilleure
harmonie de notre société.
Longue série que celle des lois agricoles, vous l'avez rappelé hier, monsieur
le ministre. Et après bien d'autres, ce projet de loi voulu hier et présenté
aujourd'hui prend sa place à l'heure des changements entraînés par la
mondialisation et qui font obligation à l'agriculture, pour le moins me
semble-t-il, de disposer de points de repère.
Ces points de repère sont bien nécessaires dans le contexte européen, vous
l'avez aussi rappelé, monsieur le ministre ; avec les difficiles négociations
sur Agenda 2000, sur les fonds structurels entre autres. Vous avez souligné que
vous aviez énoncé quelques idées simples avec une fermeté dont nous souhaitons
qu'elle perdure.
Les points de repère sont nécessaires aussi dans l'optique de liens sociaux,
je l'ai dit, qui doivent être renforcés entre les agriculteurs - ils sont trop
souvent perçus comme les bénéficiaires de primes diverses, d'indemnités variées
- et une grande partie de la société. J'ai bien entendu vos conclusions à cet
égard, monsieur le ministre, à savoir une réorientation des aides, une aide à
la personne et à l'exploitation. En résumé, il s'agit, me semble-t-il, de faire
preuve de transparence et de moralisation.
Une première mesure apaisante à mes yeux va dans ce sens ; c'est la
proposition de la commission des affaires économiques de supprimer l'article 6,
dont on a pu découvrir sur le terrain combien il était source de conflit -
conflit dont l'importance m'a surpris, je ne saurais le cacher - entre
l'agriculture et le secteur de l'artisanat. Cette opposition est paradoxale :
on a l'impression de deux lectures différentes d'un même texte ! Il me semble
qu'une réflexion s'impose, car il y a là un problème que l'on ne peut
éluder.
Une autre mesure est susceptible de favoriser la compréhension entre les
catégories sociales. Certes, c'est une question très ponctuelle, mais elle est
sensible sur le terrain : c'est la nécessaire réciprocité en matière de
construction de locaux d'habitation ou professionnels à proximité de bâtiments
agricoles.
Le contrat territorial d'exploitation, qui est une pièce essentielle du projet
de loi, peut-il contribuer, lui aussi, à une amélioration des relations
sociales ? Certes, ce n'est pas sa première raison d'être, mais ce peut être le
cas, me semble-t-il, s'il s'agit de faire en sorte que le contenu du contrat
proposé aux agriculteurs soit effectivement en relation avec les situations
spécifiques qui existent dans les différentes petites régions agricoles.
Autrement dit, il faut éviter le monolithisme, que vous condamniez hier,
monsieur le ministre.
Le contrat territorial d'exploitation suscite bien souvent une grande attente,
et il serait regrettable qu'il soit un échec. Il ne faudrait pas que les
objectifs affichés, à savoir l'emploi, l'occupation équilibrée du territoire,
la préservation des ressources naturelles, et surtout une agriculture
productrice de valeur ajoutée - aspect qu'il n'est pas question de nier,
avez-vous dit, monsieur le ministre - soient fâcheusement freinés par un
alourdissement excessif des procédures - on a pu parler ici ou là de « contrats
suradministrés » - et par un renforcement excessif du nécessaire contrôle des
structures.
Surtout, il ne faut pas que fassent défaut les financements nécessaires. Tous
nos interlocuteurs insistent sur ce point. A cet égard, ces derniers expriment
une crainte fondamentale, car il est vrai que l'absence de financement au
montant nécessaire peut être cause d'un échec regrettable.
Comment ne pas noter de ce point de vue le ferme espoir que nous avons -
l'expression est faible - qu'il ne sera pas fait appel aux collectivités
locales pour le financement ?
Le contrat territorial d'exploitation soulève une grande attente que l'on ne
saurait décevoir, pour peu aussi, que, comme le propose la commission saisie au
fond, soient bien circonscrits sa teneur et son champ d'action, ce qui n'exclut
pas une nécessaire souplesse permettant une adaptation à la diversité. Comme
vous l'avez dit hier encore, monsieur le ministre : vous avez bien l'intention
de tirer le meilleur parti de ce qui se sera passé dans la phase de
préfiguration.
Le temps qui m'est imparti ne me permet pas d'évoquer bien d'autres aspects
d'un projet de loi dont je redis l'importance. Je me contenterai donc de mettre
l'accent sur deux points qui soulèvent des difficultés dans ma région : la
politique de la montagne et l'installation des jeunes.
Dans une réponse récente à une question écrite concernant la politique de la
montagne vous me rappeliez la position de la Cour de justice des Communautés
européennes et vous me donniez rendez-vous à la présentation du texte en
discussion aujourd'hui.
Lors du CIAT du 15 décembre dernier, le Gouvernement a manifesté son intention
de remobiliser les moyens et les instruments spécifiques à la politique de la
montagne.
Si la création d'une interprofession de la montagne peut constituer un outil
important, je ne suis pas persuadé - c'est l'autre aspect des choses - que
l'utilisation de matières premières provenant d'autres Etats de l'Union pour
l'élaboration de produits transformés satisfasse grand monde.
Par ailleurs, il convient que l'objectif environnemental ne prenne pas le pas
sur le caractère économique. C'est là une question de fond.
Vous avez déclaré hier qu'il n'était pas question de nier cet aspect. J'y
reviens cependant aujourd'hui parce que le risque est réel, en zone de montagne
plus qu'ailleurs.
Il faut faire en sorte que des moyens soient donnés pour faire face aux
problèmes, tenant aux bâtiments d'élevage, à la mécanisation et à la collecte
laitière. C'est particulièrement en zone de montagne.
Est-il besoin d'insister sur la difficulté de maintenir une agriculture
compétitive dans les zones défavorisées ? La dotation aux jeunes agriculteurs,
diluée dans celles qui sont accordées en plaine, n'a-t-elle pas perdu de son
intérêt ?
Pourtant, dans les régions où la tradition le dispute fortement à la
modernité, où les situations sont très diverses, c'est la venue de jeunes qui
pourra confirmer la notion d'entrepreneur.
M. Gérard César.
Ah oui !
M. Georges Mouly.
Je ne saurais traiter de l'ensemble des mesures proposées.
Je note qu'en faveur des jeunes, vous avez parlé hier, monsieur le ministre,
d'une politique ambitieuse et de dispositifs efficaces. Nous jouons là une
partie essentielle et capitale. Chacun souhaite que les jeunes ne soient pas
déçus ; ils sont l'avenir.
Je souhaite que cet avenir, nous le bâtissions, comme l'a dit M.
François-Poncet, à partir de l'excellent travail de la commission des affaires
économiques en particulier, mais aussi de la commission des affaires
culturelles et de la commission des affaires sociales.
(Applaudissements sur
les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Je tiens tout d'abord à féliciter notre collègue M. Michel Souplet pour la
qualité de son rapport et la pertinence de ses observations.
Vous avez en effet su, monsieur le rapporteur, parfaitement souligner les
insuffisances de certaines dispositions du texte ainsi que le renforcement
excessif du contrôle des structures et les carences stratégiques de ce projet
de loi. Par carence stratégique, j'entends aussi financement du CTE, mais le
président Jean François-Poncet l'a lui-même souligné hier.
Aussi, l'ensemble des propositions que notre groupe présentera au cours de
cette discussion, loin de remettre en cause votre démarche, monsieur le
ministre, renforcera le dispositif que vous préconisez dans l'intérêt des
agriculteurs.
L'agriculture française doit aujourd'hui se donner les moyens de répondre à
des enjeux fondamentaux : signature des futurs contrats de plan Etat-région,
réforme de la politique agricole commune et des fonds structurels européens,
future organisation mondiale du commerce.
Comme le Président de la République l'a exprimé, à l'occasion de sa rencontre
avec la profession agricole à Aurillac, le 2 octobre 1998, l'objectif pour
notre pays doit être de défendre et de promouvoir son modèle agricole.
Cet objectif de promotion du modèle agricole est essentiel lorsque l'on sait
que le secteur agricole gère encore 85 % de notre territoire, que le nombre
total d'emplois induits par l'agriculture est de près de 3,5 millions, ou
encore que le secteur agroalimentaire est celui qui enregistre le plus
important excédent commercial cette année avec 64 milliards de francs.
Premier exportateur mondial de produits agricoles transformés et deuxième
exportateur mondial de produits agricoles, notre pays doit continuer à
s'appuyer sur la vocation économique de son agriculture, qui est la seule
garantie d'une valorisation concrète et durable de notre espace agricole, de la
préservation et de la création d'un maximum d'emplois en milieu rural.
Le modèle agricole français des vingt prochaines années sera donc la
résultante des grands choix stratégiques qui doivent être définis
aujourd'hui.
Or, le projet de loi d'orientation agricole que vous nous proposez, monsieur
le ministre, loin de répondre à cette attente, fonctionnarise notre agriculture
et suradministre le secteur agricole français, alors même que tous les pays
européens ont rompu avec ce désastreux modèle.
Ce constat est d'autant plus déplorable qu'il ne pourra faire l'objet d'un
débat approfondi au Parlement puisque, une fois de plus, le Gouvernement a
déclaré d'urgence ce projet de loi.
L'ossature de ce texte, le contrat territorial d'exploitation, crée un
véritable lien de subordination entre l'Etat et les agriculteurs. De chef
d'entreprise responsable et innovant, l'agriculteur français devient un
contractuel de l'administration devant répondre impérativement à des
contraintes sociales et environnementales.
A ce titre, le Sénat et le rapporteur pour avis de la commission des affaires
économiques et du Plan du budget de l'agriculture que je suis ont déjà pu
constater que le budget de l'agriculture pour l'année 1999 confirme cette
orientation du Gouvernement, puisque les 300 millions de francs inscrits pour
ces contrats sont obtenus par des redéploiements budgétaires aboutissant à
vider les chapitres réservés au fonds de gestion de l'espace rural, aux
opérations groupées d'aménagement foncier, aux offices agricoles ou encore au
fonds d'installation en agriculture, c'est-à-dire aux prêts aux jeunes
agriculteurs.
Par cette façon de procéder, le Gouvernement manifeste clairement l'intérêt
qu'il porte à l'agriculture française, puisqu'il déshabille Pierre pour
habiller Paul. En effet, dans le même temps, et pour les trente-cinq heures, il
débloque 750 millions de francs en faveur d'EDF et de GDF !
Il faut également nous indiquer, monsieur le ministre, les actions qui seront
amputées au bénéfice de ces contrats et mesurer toutes les conséquences de
cette opération idéologique. Celle-ci est, en définitive, un piège pour la
profession, car les moyens financiers ne pourront pas suivre et les
agriculteurs trompés par le mirage du CTEI vivront des désillusions.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Gérard Cornu.
Très bien !
M. Gérard César.
En effet, si l'on réduit le budget des offices, il faut que les agriculteurs
sachent qu'on affaiblit les capacités de soutien à l'organisation des filières
et à la compétitivité des entreprises. De même, en ponctionnant sur les crédits
d'installation, on porte atteinte à une politique au moment où elle donne des
résultats encourageants.
Je me permets d'ailleurs de vous rappeler que, de 1994 à 1997, grâce à une
politique volontariste du gouvernement précédent, les installations ont connu
une évolution de près de 25 %. Or, aujourd'hui, elles affichent, et ce depuis
août 1997, une chute inquiétante de 10 %.
D'ailleurs, juste après votre nomination, monsieur le ministre, vous avez
refusé - ce que je comprends compte tenu des calendriers - de vous expliquer
sur ce constat et d'exposer votre position lors de la séance des questions au
Gouvernement, le 27 octobre 1998, à l'Assemblée nationale.
En outre, vous vous êtes contenté, lors de vos auditions devant les
commissions permanentes du Sénat et de l'Assemblée nationale, d'annoncer qu'un
bilan serait dressé à la fin de l'année dernière. Or, à ce jour, aucun bilan
n'a toujours été dressé. J'espère donc, monsieur le ministre, qu'au cours de ce
débat sur le projet de loi d'orientation vous répondrez à ces questions
importantes pour l'avenir de l'agriculture.
Ensuite, monsieur le ministre, vous comptez sur les futurs contrats de plan
Etat-région pour financer les CTE. Là aussi, cette ponction s'effectuera au
détriment des actions mises en oeuvre par les collectivités territoriales et
locales en faveur des agriculteurs et du développement économique du secteur
agricole.
La vocation économique de notre agriculture est clairement ignorée.
Enfin, vous comptez sur des transferts de crédits européens. Vous semblez
accepter ainsi une modulation des aides européennes afin d'en affecter une
partie à ces contrats, mais reste il bien sûr, vous le savez bien, à connaître
l'avis de nos partenaires européens. Or il n'est pas certain, selon moi, que
les Allemands, qui donnent plus qu'ils ne reçoivent pour la PAC, acceptent de
payer pour les contrats territoriaux d'exploitation français.
Toutefois, à supposer qu'ils soient d'accord, notre agriculture risque alors
de tomber dans un piège redoutable dont vous semblez avoir sous-estimé les
dangers. Ce piège n'est autre que la renationalisation de la PAC, dont le grand
perdant serait l'agriculteur français, une renationalisation à laquelle le
groupe du RPR est farouchement opposé.
Par cette démarche, le Gouvernement place la France hors du jeu des
négociations européennes et internationales et en position de faiblesse face à
ses concurrents.
M. Auguste Cazalet.
Bravo !
M. Gérard César.
Pour hâter la socialisation de notre agriculture, on propose, sans attendre le
vote de cette loi, et par l'intermédiaire du représentant de l'Etat dans chaque
département, c'est-à-dire le préfet, de mettre en place les contrats
territoriaux d'exploitation, en retenant leur cahier des charges, en
préaffectant les crédits alloués par la dernière loi de finances et en
élaborant un programme de mise en oeuvre pour cette année.
Je peux le confirmer, monsieur le ministre, parce que, il y a quelques jours,
j'ai vu une circulaire de l'ANDA qui prévoit, sans attendre le vote de la loi,
de mettre en place dans chaque département des aides, des cahiers des charges.
A quoi sert le Parlement si les circulaires sont envoyées avant le vote de la
loi. S'il en est ainsi, il n'y a plus besoin de Parlement, il n'y a qu'à faire
uniquement des règlements administratifs.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Cette socialisation de notre agriculture s'affirme également par un
renforcement drastique du contrôle des structures, allant jusqu'à mettre en
place l'autorisation administrative d'exploitation préalable pour un fils qui
reprend l'entreprise agricole familiale.
Non seulement ce dispositif porte atteinte au droit de la propriété, mais il
stoppe également l'incitation à la transmission et à l'installation des jeunes.
Je m'interroge d'ailleurs sur le fait de savoir si cette disposition est
conforme au droit civil. La commission des lois du Sénat pourrait être saisie
de cette affaire.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RPR propose au Sénat trois grandes
modifications.
Tout d'abord, au contrat territorial d'exploitation, qui cantonne
l'agriculteur français au rôle de jardinier de l'espace, notre groupe oppose un
contrat d'entreprise agricole, qui replace la vocation économique de notre
agriculture au centre de la politique agricole commune.
D'ailleurs Mme Lambert, qui siégeait au banc de la commission hier après-midi,
a souhaité l'institution d'un contrat territorial d'entreprise. Etait-ce un
lapsus ?...
M. Raymond Courrière.
Bien sûr !
M. Gérard César.
Cela m'étonnerait ! J'imagine plutôt que les anciens du SNJA sont prêts à
approuver la proposition du groupe du RPR sur le contrat d'entreprise
agricole.
M. Philippe François.
Vous désavouez Mme Lambert !
M. Raymond Courrière.
Pas du tout, mais vous, vous voulez faire disparaître les agriculteurs !
M. Gérard César.
Reconnus comme des chefs d'entreprise responsables, les agriculteurs pourront
souscrire un contrat d'entreprise agricole, dont l'objectif est de développer
un projet économique global. Ce contrat concerne la production agricole et
comporte un ensemble d'engagements portant sur les orientations de production
de l'exploitation et sur la contribution de l'activité de l'exploitation à la
vie et au développement du tissu rural, dans le prolongement de l'activité
agricole.
Le contrat d'entreprise agricole tend ainsi à lier les deux fonctions de
l'agriculture : produire et conserver le territoire.
M. Raymond Courrière.
Produire à bas prix, selon vous !
M. Gérard César.
Un agriculteur, c'est d'abord et avant tout un producteur. C'est parce qu'il
produit qu'il contribue à l'entretien et au développement de notre patrimoine
rural et qu'il fait vivre nos campagnes.
M. Philippe François.
Très juste !
M. Gérard César.
Ensuite, à des aides financières qui sont conditionnées par la signature du
contrat territorial d'exploitation ou par des impératifs environnementaux,
chers à Mme Voynet, ou sociaux, notre groupe oppose un volet fiscal qui
transforme l'exploitation agricole en entreprise agricole et qui encourage
l'installation, la transmission et l'investissement.
Nous proposons, notamment, de créer un bail d'entreprise qui serait cessible,
un fonds agricole qui transpose en agriculture le fonds de commerce, un
dispositif qui applique un abattement sur la plus-value de cession dans le cas
d'une transmission d'entreprise agricole, ou encore d'étendre le taux de 0,60 %
des transactions foncières à l'ensemble du territoire et non plus aux seules
zones de développement prioritaire.
En outre, nous proposons que l'aide financière de l'Etat aille en priorité à
l'installation des jeunes agriculteurs, à la modernisation, au regroupement, à
la reconversion partielle ou totale des entreprises en vue d'en améliorer la
viabilité, à la création et au développement d'entreprises agricoles à
responsabilité personnelle, qui contribuent au développement local, à la
reconnaissance de l'exploitation agricole en tant qu'entreprise agricole et à
l'adaptation du système d'exploitation aux exigences économiques du marché.
Ce volet fiscal tend ainsi à libérer les énergies et à favoriser les
initiatives.
(M. Courrière proteste.)
Enfin, à un renforcement drastique du contrôle des structures, qui
concerne les installations, les agrandissements et les cessions d'entreprises
agricoles, notre groupe oppose un système adapté et assoupli.
Nous proposons ainsi que le critère de détermination de l'unité de référence
soit constitué par le résultat brut d'exploitation départementale à l'hectare,
comme pour la détermination du prix du fermage, que le seuil fixé par le schéma
départemental des structures soit compris entre une fois et trois fois l'unité
de référence, que le contrôle soit limité au sein des sociétés agricoles à
l'installation et au départ d'associés exploitants et que la transmission des
exploitations familiales soit protégée.
Sur ce dernier point, le dispositif s'inspire de la loi de 1996 relative aux
sociétés anonymes et rend libres les cessions et les transmissions entre
conjoints, ascendants et descendants, jusqu'au quatrième degré, pour les
entreprises dont la superficie est inférieure à un seuil de trois fois l'unité
de référence.
Ce système assoupli et adapté tend ainsi à fonder le contrôle des structures
sur une approche économique.
Par ailleurs, je me permets d'appeler l'attention du Gouvernement sur
l'impérieuse nécessité de revaloriser définitivement les retraites agricoles -
tous mes collègues sont intervenus en ce sens - pour toutes les catégories, que
ce soient les chefs d'exploitation, les veufs et les veuves, les aides
familiaux et les conjoints d'exploitants agricoles, afin que le minimum de
retraite soit progressivement porté à 75 % du SMIC net au 30 juin 2002,
c'est-à-dire à la fin de la législature.
Une attention toute particulière doit être consacrée aux mesures envisagées
pour revaloriser plus rapidement les plus faibles pensions afin que celles-ci
puissent bénéficier de cette mesure dès le 1er janvier 2000.
M. Raymond Courrière.
Et Juppé qu'avait-il fait ?
M. Gérard César.
Il les avait augmentées, mon cher collègue !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Eh oui !
Le gouvernement actuel les a également augmentées ; il faut le reconnaître ;
chacun a fait un effort, mais il reste beaucoup à faire !
M. Raymond Courrière.
On ne dit pas la même chose quand on est au pouvoir et quand on est dans
l'opposition !
M. Gérard César.
Nous l'avions dit aussi et M. Juppé l'a fait en matière de retraites agricoles
!
M. Raymond Courrière.
On nous a vu au pouvoir ! C'est facile... la démagogie.
M. le président.
Mes chers collègues, le débat étant organisé, il ne peut y avoir ni
interruption ni interpellation ! Chacun doit respecter l'orateur qui
s'exprime.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Gérard César.
Je vous remercie, monsieur le président.
Une attention particulière - j'insiste sur ce point car il est important -
doit être consacrée aux mesures envisagées pour revaloriser les retraites
agricoles. Cette décision doit être prise sans plus tarder quand on sait que
ces retraites sont les plus faibles de toutes les catégories sociales ; 90 %
d'entre elles se situent en effet au-dessous de 3 000 francs par mois.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Gérard César.
En outre, la retraite des non-salariés agricoles repose aujourd'hui sur un
équilibre fragile. A l'instar des autres catégories professionnelles, il est
urgent d'envisager, sur la base d'études plus approfondies et selon les
souhaits exprimés par la profession, l'instauration d'un régime de retraite
complémentaire obligatoire pour cette catégorie.
Je terminerai mon propos en insistant sur la nécessaire mise en place d'un
véritable mécanisme d'assurance récoltes permettant aux entreprises agricoles
de se prémunir efficacement contre les risques climatiques et économiques. Je
laisse à mes collègues le soin de développer d'autres points du projet.
En effet, plutôt que de présenter au Parlement un énième rapport sur cette
question plus ou moins suivi d'effets, il est préférable de lui soumettre
rapidement un mécanisme qui s'inspire des systèmes comparables
outre-Atlantique, au Canada ou aux Etats-Unis, et qui s'articule avec le régime
actuellement en vigueur des calamités agricoles, c'est-à-dire la loi de 1964,
que nous connaissons bien les uns et les autres. J'ai d'ailleurs souligné, à
l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 1999, que le
fonds des calamités n'était pas alimenté.
Pour conclure, je tiens à dire que toutes ces propositions du groupe du RPR
constituent l'affirmation de la double vocation de notre agriculture, une
agriculture économique, d'entreprise, territoriale, productive, humaine et
sociale. Elles s'opposent à un texte gouvernemental qui nie l'une des deux
vocations de notre modèle agricole, sa vocation économique.
Or, comme l'a dit le Président de la République, « notre agriculture ne peut
s'abstraire des réalités économiques... Pour que notre agriculture joue un rôle
majeur en Europe et dans le monde et pour qu'elle garde à notre pays, dans
chacune de nos régions, cet art de vivre qui nous est tant envié par ailleurs,
il faut lui donner les perspectives que mérite une grande ambition ».
Il faut bien le reconnaître, ces perspectives ne sont pas tracées dans le
projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.
Mes chers collègues, dans un environnement international et communautaire
grevé d'incertitudes, il est pourtant devenu impératif de doter notre
agriculture, en perpétuelle mutation, des instruments nécessaires pour lui
permettre de répondre pleinement à cette ambition affirmée par le Président de
la République.
Ce n'est malheureusement pas votre priorité, monsieur le ministre, et je le
regrette.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Monsieur César, vous avez légèrement dépassé le temps de parole qui vous était
imparti.
Plusieurs sénateurs du RPR.
C'est parce qu'il a été interrompu !
M. le président.
J'appelle l'ensemble des orateurs inscrits à ne pas trop abuser de la
bienveillance du président !
M. Gérard César.
Je vous remercie, monsieur le président.
M. le président.
La parole et à M. Vidal.
M. Marcel Vidal.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre
agriculture doit répondre aujourd'hui à un triple défi : économique, social et
environnemental.
Après la formidable mutation engagée à partir de 1960, alors que les exigences
de modernisation et de productivité primaient sur toutes les autres
considérations, nous devons définir, pour le prochain millénaire, un nouveau
contrat entre la nation et l'agriculture.
Car si la France est aujourd'hui la première puissance agricole de l'Union
européenne et le deuxième exportateur mondial, elle a perdu, au cours des
quarante dernières années, 4 millions d'actifs agricoles, avec toutes les
conséquences que nous connaissons sur les plans humain et social, mais aussi
toutes les répercussions en matière d'aménagement du territoire ou de gestion
et d'entretien des espaces naturels.
A la veille de la réforme de la politique agricole commune et des négociations
de l'organisation commune des marchés, il était donc indispensable et pertinent
d'anticiper sur ces deux échéances en fixant un cadre rénové et ambitieux pour
notre agriculture, tout en préservant sa spécificité.
Les contrats territoriaux d'exploitation que définit la loi d'orientation
sont, à juste titre, la parfaite démonstration de cette volonté d'innovation,
qui suppose de concilier des objectifs de production à forte valeur ajoutée
avec des activités et des services non marchands dans les domaines de
l'environnement et de l'occupation du territoire.
C'est donc bien une nouvelle approche de la politique agricole que vous nous
proposez, monsieur le ministre, en fixant à notre agriculture un rôle essentiel
dans les échanges mondiaux, mais aussi en redonnant aux exploitants agricoles
une vocation de gardiens et de gestionnaires des espaces sensibles.
Cette conception selon laquelle l'agriculture de notre pays a pour vocation de
répondre à des besoins alimentaires internationaux tout en favorisant la
création d'exploitations, selon laquelle le respect de l'environnement et la
mise en valeur du territoire sont aussi importants que la qualité et le coût
des productions, nous la partageons pleinement.
Pour ma part, j'insisterai sur deux points : l'importance de l'installation
des jeunes agriculteurs et le rôle de l'enseignement agricole.
Ce projet de loi introduit une disposition importante dans ce domaine en
permettant une installation progressive des jeunes qui, pour des raisons
financières ou techniques, se voyaient dans l'obligation de renoncer à un
projet professionnel.
C'est là, monsieur le ministre, une véritable innovation de nature à desserrer
l'étau qui bloquait de nombreux candidats à l'installation ; mais il faudra par
ailleurs s'assurer de la nécessaire évolution des missions des SAFER, notamment
de leur rôle d'attribution des terres qui, il faut bien le reconnaître, ne
reflétait pas toujours la diversité des candidats à l'installation selon les
régions.
Enfin, il conviendra d'encourager aussi les organismes bancaires, notamment le
Crédit agricole, à être de véritables partenaires financiers de ces projets
d'installation, non seulement par une politique incitative des taux d'emprunt,
mais aussi par un renforcement des fonds d'installation des jeunes
agriculteurs, et, dans ce domaine, l'Etat a un rôle important à jouer.
Cette politique d'installation serait vaine, si elle ne s'accompagnait pas
d'une modernisation des outils de formation.
Ce projet de loi d'orientation, qui comporte un très important chapitre
relatif à l'enseignement, à la recherche et à la formation, ouvre des
perspectives nouvelles en reconnaissant, pour la première fois, dans le champ
de compétence de cet enseignement, les métiers de la forêt ou de l'aquaculture
ainsi que toutes les activités liées à l'aménagement de l'espace, à la gestion
de l'eau ou de l'environnement.
Enfin, dans le domaine de l'enseignement supérieur agricole, je soulignerai
l'excellente disposition autorisant les formations doctorales.
Cette mesure contribuera à renforcer, sur le plan international, l'image de
notre communauté scientifique, dont l'excellent site de recherche d'Agropolis
implanté à Montpellier est un « ambassadeur » remarquable.
Le nouveau contenu de l'enseignement agricole est donc bien une réponse
adaptée non seulement aux nouveaux défis de l'agriculture, mais aussi aux
enjeux importants que sont la gestion de l'espace et la protection de
l'environnement.
Nous sommes convaincus de l'existence de gisements d'emplois dans ces
domaines, de la pertinence qu'il y a à favoriser l'émergence de nouveaux
métiers et, aussi, de l'intérêt qui réside dans la mise en valeur des
territoires et de leurs paysages.
Je citerai les initiatives qui ont été prises dans le midi de la France grâce
au plan de relance de l'oléiculture financé à la fois par l'Etat et l'Union
européenne.
Ce plan a permis à de jeunes agriculteurs de diversifier leur activité en les
associant à une démarche de restauration des vergers et de mise en valeur du
territoire. Ainsi ce plan a-t-il favorisé, d'une part, la promotion des
produits de l'olive, d'autre part, des initiatives dans les domaines
touristique et culturel, grâce à la mise en place de « routes de l'olivier ». A
cet égard, les actions conduites à Nyons, dans la Drôme, me paraissent
exemplaires.
Voyez dans ce témoignage celui de la réussite d'un projet dans lequel
l'agriculture renoue avec les préoccupations environnementales. C'est tout le
sens de votre projet de loi, monsieur le ministre.
Nous nous félicitons de cette ambition que vous donnez à l'agriculture de
notre pays, en souhaitant qu'elle soit imitée, sous votre impulsion, à
l'échelle de l'Union européenne.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Je m'adresserai tout d'abord au rapporteur, notre ami Michel Souplet, pour le
féliciter de l'excellent travail que la commission des affaires économiques et
du Plan a fait et lui dire que le rapport qu'elle a élaboré est digne de son
sujet.
Aussi curieux que cela puisse paraître, monsieur le ministre, je me suis
interrogé pour savoir si je devais intervenir dans la discussion générale de ce
projet de loi. Malgré toute la passion que vous me connaissez sur ce sujet et
mon passé de dirigeant agricole, je me demandais en effet si les discussions
générales ne sont pas un lieu commun où chacun se fait un peu plaisir en
reconstruisant une agriculture, en refaisant l'inventaire de tout ce que l'on
pourrait faire, de tout ce que l'on fait ou de tout ce que l'on ne fait pas
pour l'agriculture. Finalement, je me suis décidé à apporter ma pierre.
Une loi d'orientation était-elle nécessaire ? Tout le monde connaît bien
l'historique de ce texte.
Le Président de la République va au congrès de la Fédération nationale des
syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA ; M. Vasseur propose un texte ; on
fait une dissolution ;...
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
« On ? »
M. Marcel Deneux.
... le Gouvernement actuel reprend le texte ; un ministre est nommé, puis un
second... Mais le projet de loi d'orientation tombe finalement dans le même
travers que tous les précédents !
J'avais largement contribué à la rédaction de la loi qualifiée déjà «
d'orientation » en 1960. Dans les dix mois qui ont suivi, nous nous sommes
aperçus qu'une loi complémentaire était nécessaire. Vous n'éviterez pas cette
difficulté, monsieur le ministre, et vous ne ferez pas l'économie d'une telle
loi ! En effet, on reproche ici ou là à ce texte - et les reproches sont fondés
- de ne pas tenir compte de l'action de production, de manquer de notions
économiques, de ne rien prévoir en matière de fiscalité.
S'il s'agit vraiment d'un texte donnant une orientation nouvelle,
l'agriculture doit donc être prise dans sa globalité ; or le projet n'est pas
suffisant. En effet, malgré des propositions intéressantes, ce texte comporte
beaucoup de lacunes que je veux signaler, même si je n'ai pas le temps de les
traiter. Il ne contient aucune disposition sur l'organisation économique de la
production, sur les retraites, qui sont insuffisantes, sur la transmission de
l'entreprise, sur la politique des structures et sa compatibilité avec la
politique européenne d'aujourd'hui et encore plus de demain.
Je voudrais aborder quelques points sur la politique agricole, monsieur le
ministre.
Quel sera, demain, le degré de compétitivité de l'agriculture française au
sein de la concurrence à la fois européenne et mondiale ?
A ce sujet, quelles réflexions faisons-nous sur le modèle européen, un modèle
agricole qui bat en brèche le comportement des pays développés et qui fait
payer le contribuables plus que le consommateur.
Dans les pays riches, est-il normal, quand l'agriculture est efficace et
compétitive, que les prix payés par le consommateur ne soient pas au niveau du
prix de revient des meilleurs ?
Demain, en Europe, le niveau de prix devra-t-il être nécessairement bas et ce,
me dit-on, pour préparer l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale ? Je
le comprends, mais je pense que c'est un faux problème.
Le niveau des aides publiques est devenu insupportable. Il nous faut donc
maintenant réfléchir, en même temps que s'annonce la réforme avec Agenda 2000,
aux moyens d'augmenter le prix du marché intérieur. C'est possible et,
finalement, cela coûtera moins cher.
M. Charles Revet.
Ce sera plus logique !
M. Marcel Deneux.
Il convient également de revoir le niveau des restitutions. Je livre cet
élément à votre réflexion à l'occasion de ce débat. La politique actuelle est
suicidaire.
Enfin, au-delà des considérations économiques, il est clair que le modèle
européen d'agriculture que nous souhaitons a des fondements à la fois
sociologiques - nous ne voulons pas, par exemple, d'un modèle américain - et
économiques. Nous voulons qu'il soit adapté aux spécificités européennes, à
savoir un espace agricole très habité, peuplé de consommateurs riches, dotés
d'une agriculture efficace, attachés à l'aménagement du territoire, à leurs
paysages, un espace géré par des agriculteurs efficaces et connaissant bien
leur métier.
Revenons-en au projet de loi qui nous occupe aujourd'hui.
Pour moi, il est évident que, lorsqu'on parle de l'agriculteur, on a l'image
d'un univers, d'un homme qui se veut entrepreneur, indépendant autant que
possible, libre, robuste, travailleur, respectueux de son travail, de son
environnement et des autres. Il est tout à fait débrouillard, au point que,
parfois, le « système D » remplace la formation professionnelle qu'il n'a pas
toujours eue. L'agriculteur, c'est quelqu'un qui travaille dans un lieu où des
hommes responsables peuvent s'épanouir dans leur travail. L'agriculteur est
aussi un homme de bon sens doué de facultés d'adaptation rapides et constantes,
autrement dit un homme qui met son intelligence au service de son travail et de
son métier.
A force de vouloir améliorer les conditions de travail de cet agriculteur,
contre son gré parfois, en l'incluant dans des schémas trop rigides ou trop
classiques, peu adaptés à ce qu'il souhaite, on ne le dynamise plus, on ne
l'aide plus, on risque même parfois de l'effrayer.
Je vais évoquer maintenant le contrat territorial d'exploitation, sujet autour
duquel s'est instaurée une polémique.
Cette notion de contrat est fondamentale en économie. Plutôt que d'en faire
seulement un instrument de bureaucratie ou d'encadrement tendant à
l'environnement ne pourrait-on pas aussi s'en servir pour orienter la
production, pour l'organiser ? A-t-on besoin de légiférer pour apprendre aux
agriculteurs à entretenir et respecter la nature ? Ils le font tous les jours,
depuis des siècles et des générations. Ils en parlent et ils sont fiers de le
faire. « Beau » est un maître mot de leur activité. Qui n'a pas entendu un
paysan s'exclamer : « Que la plaine est belle ! Que mon pré est beau ! »
Mais - c'est sans doute un signe des temps - la collectivité nationale ne
reconnaît pas cette fonction comme faisant partie de l'activité constante de
l'agriculture. C'est sans doute un moyen de les intégrer dans cette société
moderne, qui n'est plus une société paysanne, en établissant de manière un peu
solennelle un contrat entre le pays et son agriculture.
Ainsi, la notion de contrat est fondamentale. Alors, trop ou pas assez : tels
sont les deux écueils entre lesquels vous devez naviguer, monsieur le
ministre.
En découlera pour certains - ils l'ont dit - une agriculture encadrée,
socialisée, ne pouvant plus respirer, pour d'autres, au contraire, une
agriculture mettant en valeur tout son potentiel de développement : autrement
dit, pour ces derniers, les contrats permettraient un épanouissement économique
et social dans toute sa plénitude.
On peut d'ailleurs à cette occasion - on a déjà commencé - engager une
réflexion sur la politique de développement qu'il est souhaitable de mettre en
oeuvre pour promouvoir une agriculture moderne. Mais les disparités régionales
sont telles que l'on doit se féliciter que cette réflexion ait lieu dans la
plupart des départements. On peut ainsi raisonnablement espérer que
l'application de la politique des CTE se fera en tenant compte très largement
des diversités régionales et des aspirations des acteurs locaux.
C'est le sens que je veux donner aux consultations départementales en cours et
au rôle, renforcé par le projet que nous allons examiner, des commissions
départementales d'orientation agricole, les CDOA.
Ma vision est plutôt économique. Assurer l'installation et développer l'emploi
au travail d'outils économiques performants, c'est rendre les agriculteurs plus
autonomes financièrement et ainsi leur permettre de générer des richesses.
Si les CTE permettent d'accompagner, à travers la mobilisation des moyens
financiers publics, les exploitants engagés dans des projets de développement
en cohérence avec la politique agricole globale, je dis oui.
En revanche, les CTE ne devront en aucun cas se substituer à la politique
agricole commune fondée à la fois sur l'organisation des marchés et sur des
financements assurant les équilibres territoriaux.
Renationaliser des crédits européens pour financer les CTE serait une erreur
historique et impardonnable, en contradiction avec les principes fondateurs de
l'Europe agricole et de l'Union européenne.
Le CTE ne doit pas non plus se traduire par une accumulation de contraintes
supplémentaires ; au contraire, il doit favoriser par tous les moyens les
démarches incitatives.
Je souhaite que les CTE soient de véritables contrats qui lient les
entreprises au territoire et, surtout, permettent leur développement. Sans
vouloir être exhaustif, le temps ne me le permet pas, je citerai quatre axes
d'application des familles de contrats.
Premier axe : les productions animales et végétales ; bien entendu, des
nuances existent entre les unes et les autres.
Deuxième axe : l'agriculture biologique dont il faut accompagner le
développement. Si les crédits actuellement en vigueur étaient amenés à
disparaître, il faudrait prendre le relais. La France a beaucoup de retard en
la matière.
Troisième axe : les productions relevant d'un signe de qualité ; le texte
actuel y consacre une large part.
Quatrième axe : l'agrotourisme et les produits de la ferme. Dans ce domaine,
un gros travail réglementaire, voire législatif, est nécessaire de façon à
faire cohabiter sans distorsion de concurrence les différents acteurs du monde
rural.
Toute exploitation déjà engagée ou ayant un projet dans un ou plusieurs des
axes mentionnés ci-dessus devrait pouvoir signer un contrat.
Dans le passé, nous avons trop souvent souffert de ne pas avoir su accompagner
les agriculteurs désireux d'entreprendre en ne mettant en avant que les
critères d'exclusion, les risques ou les contraintes.
Moi, je dis oui au CTE, outil d'accompagnement efficace du développement de
toutes les exploitations agricoles au sein de filières performantes,
elles-mêmes bien organisées.
Cependant, un problème se pose dans la dénomination de ces contrats.
Toutes les tendances qui se sont exprimées ont émis des critiques. Certaines
en ont même fait une campagne nationale. Et pourtant, tout le monde est
partisan d'une agriculture meilleure, plus forte, mieux organisée. Alors il y a
un problème d'intitulé. Est-ce un problème de mots ou un problème de fond ?
Notre ami Gérard César vient à l'instant de faire une proposition qui m'étonne
un peu. Il préférerait parler de contrat d'entreprise agricole. Or en même
temps on nous dit, et à juste titre, qu'il est dangereux de lier l'entreprise à
l'Etat au risque de s'orienter vers une véritable socialisation. Il y a là une
contradiction qui mérite d'être levée.
Pour ma part, je tiens au « T » du CTE, c'est-à-dire à la liaison avec le
territoire.
Aussi, je me permettrai de vous faire une suggestion, monsieur le ministre, au
cas où la dénomination de ces contrats devait évoluer. J'ai entendu hier
Christiane Lambert parler de contrat territorial, non pas d'exploitation, mais
d'entreprise. Ce n'était peut-être pas un lapsus ! Je crois, en ce qui me
concerne, qu'il serait bon de parler de CTEA, c'est-à-dire de contrat
territorial d'entreprise agricole ; cette formule aurait à mon sens le mérite
de rallier tous les suffrages et de mieux traduire ce que nous voulons faire.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Je livre cette proposition à votre réflexion, monsieur le ministre !
Pour conclure, je souhaite que cette loi contribue, dans la longue route qui
n'est pas achevée de l'adaptation de l'agriculture aux temps modernes, à donner
plus de bonheur aux agriculteurs : c'est notre souhait le plus cher.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Ambroise Dupont.
M. Ambroise Dupont.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fixer les
grandes orientations de notre agriculture pour les décennies à venir est un
rude défi, et tous les collègues qui m'ont précédé l'ont bien dit.
En effet, nous attendons de cette loi d'orientation agricole, monsieur le
ministre, beaucoup d'ambition, d'autant plus que nous sommes à la veille de
décisions importantes qui seront prises dans le cadre de la réforme de la
politique agricole commune ou du prochain cycle de renégociation de
l'Organisation mondiale du commerce.
Nous espérons beaucoup du ferme propos que vous avez tenu à ce sujet. Je suis
sûr que nos travaux contribueront à relever le rude défi que j'évoquais :
développer notre agriculture et la réconcilier avec nos concitoyens.
Rapporteur pour avis du budget de l'environnement, je suis sensible, monsieur
le ministre, à votre souci de promouvoir une agriculture plus respectueuse de
l'environnement. Cependant, il me semble que, si les gains formidables de
productivité que notre agriculture a connus au cours des trente-cinq dernières
années ont parfois été réalisés au détriment des préoccupations
environnementales, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il y a bien longtemps que
l'on ne peut plus envisager une installation en agriculture sans se préoccuper
de l'environnement.
Depuis vingt ans, le recours aux pesticides et aux engrais azotés a beaucoup
diminué. Des mesures incitatives en faveur des analyses de sol ont été prises.
Bref, des progrès ont été faits au fur et à mesure que les nouvelles attentes
des citoyens et des consommateurs apparaissaient : vous les connaissez, une
préoccupation accrue de la santé et de la nutrition, un attachement aux
produits de qualité, un retour aux sources et aux racines, un souci de
préservation des ressources naturelles et des territoires, sans parler
naturellement de la « crise de la vache folle », qui a largement ouvert les
yeux de nos concitoyens sur les limites du productivisme et sur les impératifs
de sécurité pour la santé de l'homme. Il faut continuer !
Toutefois, votre conception de l'environnement me paraît réductrice de la
fonction de production de notre agriculture et, par là même, de sa capacité
d'exportation. Non, nos agriculteurs ne peuvent pas être seulement « des
producteurs de services et de paysages » - et pourtant Dieu sait si je suis
attaché à cet aspect ! - comme cela est indiqué dans l'exposé des motifs du
projet de loi ; ils ont bien vocation à être des entrepreneurs, des producteurs
et des exportateurs.
Je ne parlerai pas de la vocation économique de notre agriculture. Ce point a
été excellemment présenté et développé par notre collègue Michel Souplet, qui a
bien montré que notre agriculture ne peut être présente sur nos territoires que
si elle est également présente sur les marchés et que l'on ne peut opposer la
vocation d'exportation à la présence territoriale ou à l'exigence de qualité,
pas plus que l'on ne peut opposer les producteurs en mettant, d'un côté, les
jardiniers du xxie siècle et, de l'autre, les exportateurs. Notre agriculture
doit rester présente sous toutes ses formes sur l'ensemble du territoire.
Je dirai quelques mots sur le contrat territorial d'exploitation, le CTE,
avant d'évoquer les problèmes de qualité et la place du cheval dans l'économie
agricole.
Ce CTE, dispositif qui vise à inscrire l'exploitation agricole dans une
démarche contractuelle et à rétribuer d'autres fonctions que la production,
part d'une bonne intention et d'un grand projet. Cependant, je crains que les
modalités prévues pour appliquer une telle politique ne provoquent, de par leur
caractère quelque peu bureaucratique, une « suradministration » de
l'agriculture.
Nombre de nos collègues l'ont souligné en s'interrogeant sur les moyens qui
peuvent y être consacrés. Vous nous avez rassurés, monsieur le ministre, mais
quelques questions demeurent.
Comment allez-vous choisir les premiers contrats, comment allez-vous
sélectionner les demandeurs ? Comment s'articuleront ces contrats avec les
zones protégées soit par Natura 2000, soit par des ZNIEFF, les zones naturelles
d'intérêt écologique, faunistique et floristique ? Comment imaginer que, dans
ces secteurs, de tels contrats pourraient s'arrêter au bout de cinq ans ? Ne
va-t-on pas vers de nouveaux « droits à produire » avec toutes les injustices
que cela peut induire ?
Il s'agit non pas de financements nouveaux, mais d'un redéploiement de moyens,
ce qui suppose - tout le monde l'a dit - la réduction d'autres lignes
budgétaires, et je m'inquiète pour celles qui seront amputées au bénéfice des
CTE.
Le plus grand flou règne également sur les aides européenne affectées aux CTE.
Le Gouvernement souhaite que la France redevienne une force de proposition dans
la politique agricole européenne ; nous l'espérons. Le CTE peut être l'axe
majeur de cette nouvelle position. Qu'en penseront nos partenaires ? Ne
risque-t-on pas de conforter la thèse de la renationalisation de la politique
agricole commune ? Là aussi, nous attendons des éclaircissements, car vous
savez que nous sommes très attachés au maintien de cette politique agricole
commune. Reste la tâche de définir la pratique de ces CTE ; de virtuels, il
faudra qu'ils deviennent concrets.
J'évoquais à l'instant l'exigence de qualité et de sécurité des consommateurs.
J'aurais aimé que soit nettement abordé dans ce texte, et non pas seulement au
détour d'un amendement à l'Assemblée nationale, le problème des organismes
génétiquement modifiés. C'est un sujet capital pour l'avenir, et nos
concitoyens doivent avoir confiance dans les produits agricoles et
alimentaires. Cela ne va pas sans une recherche scientifique préalable et une
réflexion éthique. J'approuve, pour ma part, le principe du dispositif de
biovigilance mis en place et je pense qu'il est nécessaire d'instaurer une
stricte réglementation en matière d'OGM. Je sais que certains de nos collègues
aimeraient aller plus vite, mais il me semble que la prudence s'impose dans ce
domaine si délicat. L'exemple de la vache folle est là pour nous le
rappeler.
De même, l'épandage des boues des stations d'épuration appelle des
dispositions durables. On ne peut engager l'avenir que sur des bases acceptées
par tous. En ce domaine aussi, nous aurons très rapidement besoin de réponses,
même si l'exercice n'est pas facile.
Il y a, dans notre agriculture de qualité identifiée, de larges possibilités
pour la promotion de nos produits. Vous le savez, j'avais approuvé la loi de
1990 présentée par M. Nallet sur les appellations d'origine contrôlées, les
AOC. Elle me paraît reposer sur de grands principes qu'il ne faudrait pas voir
oubliés à travers la multiplication des signes de reconnaissance ; ces grands
principes, ce sont : le lien avec le terroir, la typicité des produits et le
savoir-faire des hommes.
J'approuve donc totalement le renforcement des syndicats de producteurs, sur
lesquels doit reposer la défense des AOC. Sensible aux arguments de la
commission quant aux problèmes posés par l'IGP, l'indication géographique
protégée, je m'interroge cependant sur sa position tendant à la maintenir en
dehors du champ de compétence de l'institut national des appellations
d'origine, l'INAO. Que deviendront ces IGP « électrons libres » ? Sans doute le
débat nous éclairera-t-il sur ce point.
Je pense que l'INAO, au-delà de ses missions traditionnelles, devrait mener
une véritable politique d'information et de communication sur les AOC, sur leur
lien avec le terroir et la spécificité des productions, afin de mieux éclairer
le consommateur. Mais il faut lui donner les moyens d'agir dans ce sens.
Je ne peux terminer ce propos trop limité sans évoquer la place du cheval dans
notre agriculture, qui représente une activité économique à part entière. Notre
commission en a bien conscience puisqu'elle en évoque les différents aspects.
S'appuyant sur la jurisprudence et notamment sur un arrêt de la Cour de
cassation, elle semble considérer que c'est à juste titre que les entraîneurs
de chevaux de course ne sont pas reconnus comme pratiquant une activité
agricole, que ce soit par nature ou par relation. Cela me paraît discutable.
J'ai, en d'autres circonstances, présenté un amendement qui tendait à les
faire assujettir au régime des bénéfices agricoles, sans arriver à convaincre
M. le secrétaire d'Etat au budget du véritable caractère agricole de leur
activité. Et le sujet reste d'actualité ; il l'est même plus que jamais.
L'entraînement des chevaux de course n'a d'autre but que de sélectionner les
meilleurs chevaux sur le plan de la reproduction et est ainsi, me semble-t-il,
directement lié à l'activité élevage ; son assujetissement à la MSA le fait
bien ressortir au secteur agricole.
Naturellement, le jeu, qui finance les courses et tout le secteur équestre,
jette une lumière un peu différente, mais il me semble que la nature de ce
secteur hippique et les emplois qu'il crée justifieraient bien la
reconnaissance de cette activité comme activité agricole. Je souhaite, monsieur
le ministre, que votre action aille dans ce sens. Elle serait bien perçue et
justifiée aux yeux de nombreux professionnels.
Le cheval, dans notre pays, relève d'une vraie activité agricole, utilisatrice
de terres sans droits à produire - c'est appréciable - créatrice d'emplois -
c'est encore mieux ! - aussi bien dans le secteur de l'élevage que dans celui
du sport ou du loisir, et qui est respectueuse de l'environnement. Ce secteur
mérite sans nul doute une attention vigilante, sans arrière-pensées. Les
courses contribuent aussi au budget de l'Etat, ne l'oublions pas.
Dans le projet de loi de M. Vasseur était envisagée une réforme des Haras
nationaux, et je sais, monsieur le ministre, que vous prévoyez de nous
présenter un texte spécifique à ce sujet. Il faut en effet moderniser leur
activité. Dans un domaine largement mondialisé, il faut leur donner la
possibilité d'intervenir en soutien du secteur professionnel pour offrir à
notre pays des reproducteurs de grande qualité, que nous ne pouvons attirer
aujourd'hui faute d'une fiscalité adaptée. Il faut aussi, naturellement, leur
confier toutes les tâches « régaliennes » qui s'imposent.
Monsieur le ministre, tels sont les quelques points sur lesquels je voulais
attirer votre attention.
Notre agriculture mérite qu'on porte sur elle un regard vraiment nouveau et
qu'on lui accorde une grande liberté d'entreprendre. Elle a prouvé qu'elle
savait toujours s'adapter, comme M. François-Poncet l'a brillamment rappelé. Ce
projet de loi trace-t-il vraiment les lignes directrices dont nous avons besoin
pour les années à venir ? Les CTE peuvent-ils placer la France en position de
force dans les futures discussions européennes ? Opposer la performance
économique et la valorisatoion du territoire n'est pas, à mon sens, la bonne
façon de consolider notre agriculture pour qu'elle conserve sa première place
en Europe. Mais j'espère dans votre volonté, monsieur le ministre, et dans les
travaux de notre assemblée pour qu'elle y parvienne.
Je conclurai en adressant des félicitations à nos rapporteurs pour avis, MM.
Vecten et Leclerc, mais surtout à M. Souplet, rapporteur de la commission des
affaires économiques, qui a accompli un travail considérable, prouvant sa très
grande connaissance de notre agriculture et sa foi dans nos agriculteurs.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le président, mes chers collègues,
permettez-moi d'évoquer un souvenir etde vous faire une confession, puis une
lecture du projet de loi d'orientation qui vous expliqueront ma position sur ce
texte.
Le souvenir remonte à une vingtaine d'années. C'était au moment de la
discussion de la loi d'orientation présentée par M. Méhaignerie. A l'époque, le
Sénat hésitait beaucoup à renforcer encore le contrôle des structures,
constatant la limite que l'on introduisait par là sur le droit de propriété et
sur la liberté de contracter ou d'entreprendre.
Un argument l'a emporté, et ce que je veux confesser, c'est le sentiment
d'avoir joué un rôle dans sa prise en considération, malgré ma très récente
entrée - à l'époque ! - dans cette assemblée.
Cet argument consistait à dire que, dans certaines régions, la pyramide des
âges était tellement déséquilibrée qu'il fallait faire de la place, de force,
pour les jeunes en situation de s'installer. Sinon, il n'y aurait pas asssez
d'agriculteurs actifs au moment de la disparition des exploitants déjà âgés -
ils constituaient l'immense majorité - et cela même si s'étaient produit
entre-temps des regroupements d'exploitations sur des unités de dimensions
inconnues, y compris dans les régions de grande culture.
Je dois avouer que, par rapport à tout cela, j'éprouve aujourd'hui, non pas un
remords, certes, mais une gêne obscure, selon la formule célèbre.
En effet, d'évolution en évolution, nous en arrivons au présent texte, suivant
en cela un phénomène que nous connaissons bien, celui que nous avons observé
avec la dotation globale de fonctionnement, au départ dispositif de liberté
pour les communes, aujourd'hui dispositif d'encadrement et d'incitation
contraignant.
M. Charles Revet.
Tout à fait ! Il faut le rappeler !
M. Paul Girod.
Quelle lecture peut-on faire, en effet, de ce projet de loi d'orientation ?
Monsieur le ministre, pardonnez-moi de forcer un peu le trait, mais je ne suis
pas certain qu'on ne puisse pas employer les termes auxquels je vais
recourir.
L'agriculteur, même propriétaire exploitant, y devient une sorte de métayer de
l'administration, dominé par un suzerain,...
M. Philippe François.
Belle formule !
M. Paul Girod.
... qui sera de fait le préfet ou le directeur départemental de l'agriculture
et à qui il se devra, au préalable, de faire acte d'allégeance sous forme de
contrat territorial d'exploitation.
M. Charles Revet.
C'est très clairement dit !
M. Philippe François.
Parfaitement !
M. Paul Girod.
Disparaissent toute réelle liberté d'association, toute souplesse de gestion
et, à l'extrême, toute possibilité de solidarité familiale envers celui qui
reprend la ferme.
Or nous sommes en guerre économique. L'Etat, le suzerain, se doit, comme
jadis, de lever l'ost, et l'ost, aujourd'hui, s'appelle compétitivité.
Est-ce le moment d'employer un concept qui réduit au rôle de manant celui qui
gère de fait notre seule richesse naturelle ? Et est-ce le moyen de le motiver
?
Je rends hommage, monsieur le ministre, à votre fermeté à Bruxelles mais je
dois désapprouver la logique plus administrative qu'économique de votre
texte.
Je crains qu'en s'en sentant proches certaines organisations agricoles ne
s'engagent ainsi dans un marché de dupes. Malgré l'excellence du travail de nos
rapporteurs, qui cherchent à éviter le pire, le mieux, pour moi, ne saurait
conduire à aller au-delà d'une abstention navrée.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. François.
M. Philippe François.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique
agricole est, par excellence, une politique européenne : la majeure partie des
dépenses publiques pour l'agriculture provient du budget communautaire ;
l'essentiel de la législation sur les marchés est décidé directement par la
Communauté. Le contexte européen est donc déterminant lorsqu'il s'agit
d'apprécier un projet de loi d'orientation agricole.
Or ce qui caractérise aujourd'hui le contexte européen, c'est qu'il est en
pleine évolution, et nous ne savons pas quel sera le résultat de cette
évolution.
La Communauté s'est engagée, depuis près d'un an, dans une discussion de
grande ampleur autour de l'Agenda 2000 de la Commission européenne, qui
comprend un ensemble de propositions concernant les principaux aspects de la
politique agricole. Le Sénat a d'ailleurs pleinement participé à ce débat ; on
me permettra, sur ce point, de faire référence au rapport de la mission
d'information sur la réforme de la PAC, publié l'été dernier, et à la
résolution du Sénat adoptée il y a un mois sur la base de ce rapport.
Nous sommes entrés, désormais, dans la phase décisive des négociations sur la
réforme de la PAC puisqu'il reste prévu - c'est l'objectif de la présidence
allemande - de parvenir à un accord global à la fin du mois de mars ; mais nous
savons depuis quelques jours que l'Allemagne souhaite avancer cette date d'un
mois. Je rappelle que les négociations portent également sur les perspectives
financières de l'Union, avec la controverse que l'on sait sur un éventuel
cofinancement des dépenses agricoles.
Comme le cadre futur de notre agriculture dépend avant tout du résultat de ces
négociations, il est quelque peu singulier de débattre maintenant d'une loi
d'orientation agricole. Je ne dis pas qu'une nouvelle loi d'orientation soit
intrinsèquement inutile. Lorsqu'elle a été mise en chantier, il y a deux ans et
demi, par Philippe Vasseur, les échéances européennes étaient encore
lointaines, et l'exercice avait un sens. Nous pouvions nous doter d'une base
solide avant le début des négociations avec nos partenaires. Dès lors que
celles-ci sont sur le point de se terminer, n'est-il pas ou trop tard ou trop
tôt pour se prononcer sur un texte national d'orientation et, par surcroît, en
urgence ?
M. Georges Gruillot.
Très juste !
M. Philippe François.
Quelle en est la raison, monsieur le ministre ?
Faute de connaître précisément la nouvelle « règle du jeu » européenne, nous
allons débattre dans une demi-obscurité, au risque de devoir, à bref délai,
reprendre notre ouvrage.
Tout cela n'est pas de bonne méthode : la sagesse serait d'attendre quelques
mois de plus pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause et de
concentrer pour l'instant notre vigilance sur la réforme en cours d'élaboration
à Bruxelles, qui est loin d'être sans risque pour l'agriculture française.
Car nous devons savoir que la tentation grandit, chez plusieurs de nos
partenaires et même au sein de la Commission européenne, de procéder à une
certaine renationalisation de la politique agricole commune. Sous couvert de
subsidiarité, on risque d'arriver à une situation où la gestion des aides
n'obéirait plus à des règles communes et où ces aides seraient en partie à la
charge des Etats. Or une telle évolution serait doublement dangereuse.
Si la gestion des aides n'était plus suffisamment encadrée, on risquerait
d'aboutir à de nouvelles distorsions de concurence entre les producteurs des
différents Etats membres, en fonction des priorités qui seraient retenues par
chaque Etat. Il serait tout de même paradoxal, au moment où la réalisation de
l'euro établit enfin, sur le plan monétaire, la loyauté de la concurrence entre
les Etats membres, que la concurrence se trouve à nouveau faussée par une
gestion différenciée des aides !
L'idée d'un cofinancement des aides est tout aussi pernicieuse. Tout d'abord,
elle irait directement à l'encontre de nos intérêts. Pour dire les choses
schématiquement, il y a deux grandes masses dans le budget communautaire : les
dépenses agricoles et les dépenses structurelles. Mais chaque fois que nous
versons dix-huit euros au budget agricole de l'Union européenne, nous en
recevons vingt-quatre ou vingt-cinq en retour, alors que,
a contrario,
quand nous versons dix-huit euros au budget commun au titre des fonds
structurels, nous n'en recevons que neuf en retour. Par conséquent, si l'on
réduisait la prise en charge par l'Union européenne des dépenses agricoles,
cela se traduirait par une perte sèche pour notre budget national, sans
compensation possible.
Par ailleurs, la tentation serait grande d'ôter tout caractère obligatoire à
la part des dépenses qui serait à la charge des Etats : on imagine aisément que
les pressions dans ce sens seraient fortes, quand on voit quelles controverses
souvent démagogiques entourent les aides européennes à l'agriculture. Mais ce
serait alors mettre le doigt dans un engrenage, et la politique agricole
cesserait peu à peu d'être commune.
Face à ces perspectives inquiétantes, la réponse de la France devrait être
ferme et cohérente. Or le projet de loi d'orientation agricole, notamment le
principal dispositif qu'il prévoit, à savoir le contrat territorial
d'exploitation, tend au résultat exactement inverse : en s'engageant dans un
système de modulation nationale des aides et en brouillant la frontière entre
le financement communautaire et le financement national, on ouvre la porte aux
évolutions qu'il faudrait au contraire contrecarrer. Alors que, à Bruxelles,
nous nous opposons, en principe, aux tendances à la renationalisation de la
politique agricole commune qui se font jour, nous nous lançons, à l'échelon
national, dans une démarche qui, d'une certaine manière, anticipe cette
renationalisation. Quel bel argument pour nos partenaires !
Sous sa forme actuelle, le projet de loi d'orientation agricole paraît donc
doublement inopportun.
D'une part, compte tenu du calendrier européen, il ne vient pas à son heure.
Aristote disait, je crois, qu'une grande partie de l'art politique est d'agir
au moment opportun,...
M. René-Pierre Signé.
Quelles références !
M. Philippe François.
... or le Gouvernement a manifestement oublié ce précepte.
D'autre part, le contenu même du texte affaiblit la position de la France dans
les négociations en cours. Je vois mal, dans ces conditions, ce que nous avons
à gagner en l'adoptant maintenant dans la rédaction qui nous est proposée.
Mais il y a plus préoccupant encore. Si, par la force des choses, nous ne
connaissons pas le contenu de l'accord qui doit intervenir en mars, ou
peut-être même en février, nous connaissons du moins certaines des exigences
européennes et internationales auxquelles nos agriculteurs, dans l'avenir,
seront confrontés. Ainsi, nous savons que la population mondiale augmentera de
30 % ou de 40 % dans les prochaines décennies. Nous savons que le prochain
cycle de négociations commerciales internationales se traduira par une
ouverture accrue des marchés. Etre compétitifs sur le marché européen, qui
s'aggrandira suite à l'élargissement de l'Union européenne, mais aussi et
surtout sur le marché international, sera donc une exigence fondamentale qui
s'imposera à nos producteurs.
M. Raymond Courrière.
C'est une erreur !
M. Philippe François.
Si nous ne savons pas prendre en compte cette exigence, nous n'assurerons pas
l'avenir de l'agriculture française.
M. René-Pierre Signé.
Parce que vous l'avez assuré, vous !
M. Philippe François.
Cela ne signifie pas, bien au contraire, qu'il faille sacrifier à cette
exigence les impératifs de sécurité et de qualité des produits, ni l'ambition
d'assurer une occupation harmonieuse de l'espace.
M. Raymond Courrière.
Et la solidarité ?
M. Philippe François.
Je ne sache pas que la recherche de la qualité et de la sécurité ait jamais
empêché de vendre, pourvu que l'on soit capable de faire connaître au
consommateur les efforts accomplis. L'utilisation de l'espace ne saurait être
non plus un handicap, dès lors que l'on s'attache à l'organiser et à
l'encourager, au lieu de l'entraver par une fiscalité mal adaptée et
confiscatoire.
En réalité, ce serait une erreur particulièrement grave que d'opposer entre
elles les différentes exigences auxquelles notre agriculture devra faire face.
Des entreprises agricoles qui ne seraient pas compétitives n'auraient aucune
chance de développer des productions de qualité, ni de contribuer à
l'aménagement de l'espace : dans un climat de concurrence accrue, elles ne
pourraient en réalité que dépérir.
Ne croyons pas, mes chers collègues, que la place qu'occupent nos productions
agricoles dans les échanges internationaux nous soit due. Souvenez-vous que,
pendant des décennies, la France a connu un solde largement déficitaire de ses
échanges agricoles. Si nous n'y prenons garde, si nous renonçons au choix de
l'ouverture, de la modernisation et de l'acceptation des disciplines du marché,
nous cesserons d'être l'une des grandes puissances agricoles et
agroalimentaires.
Cela ne signifie naturellement pas que l'avenir de notre agriculture passe par
l'acceptation d'un libéralisme mondial sans règles, où la spécificité de
l'agriculture européenne serait ignorée, où les exigences sociales et
sanitaires seraient méconnues.
M. René-Pierre Signé.
Tout cela est contradictoire !
M. Philippe François.
Bien au contraire, il faut se battre pour instaurer un libéralisme équilibré
et ordonné, où la concurrence s'établit en tenant compte équitablement de
l'ensemble de ces contraintes. Mais si nous voulons faire valider, dans les
négociations internationales, les grandes lignes du modèle agricole européen,
c'est précisément pour pouvoir participer à l'expansion du marché mondial, en
nous y montrant compétitifs.
Le projet de loi qui nous est soumis correspond-il à cette orientation
essentielle ?
M. Raymond Courrière.
Oui !
M. Jean-Marc Pastor.
Il est bon !
M. Philippe François.
Je ne veux pas faire de procès d'intention, et j'admets volontiers que les
différentes fonctions que remplissent les agriculteurs doivent être mieux
reconnues. Mais je crains fort que les moyens retenus n'aillent à l'encontre
des intérêts à long terme de notre agriculture. A force de dissocier les aides
à l'agriculture de toute logique de production, on risque d'entrer de plus en
plus dans une démarche malthusienne, où le souci de répartition prévaut sur
l'objectif d'expansion.
M. Raymond Courrière.
Caricature !
M. Philippe François.
Le système actuel des aides n'est sans doute pas parfaitement équitable ;
aucun ne l'est dans aucun domaine. Mais si le rééquilibrage revient à
décourager la productivité, l'innovation et la croissance, le remède sera pire
que le mal.
M. Raymond Courrière.
C'est le productivisme que vous prônez !
M. Philippe François.
Et si, pour parvenir à ce rééquilibrage, on doit, pour reprendre l'expression
du Président de la République, « bureaucratiser » encore davantage une
agriculture qui n'est déjà que trop administrée,...
M. René-Pierre Signé.
Oh !
M. Philippe François.
... le remède sera carrément un poison. Encadrer les agriculteurs par une
armée de fonctionnaires...
M. René-Pierre Signé.
Ils n'aiment pas les fonctionnaires !
M. Philippe François.
... n'est pas la bonne recette pour faire en sorte que les productions
répondent aux besoins : s'il y a des leçons à tirer de l'histoire, c'en est
une.
On aura compris, bien entendu, que je suis enclin au plus profond scepticisme
devant le projet de loi qui nous est soumis. En effet, une loi d'orientation a
pour objet de préparer l'avenir, or ce texte me paraît relever davantage d'une
logique de stagnation que d'une réelle ambition pour notre agriculture. A cet
égard, je tiens à remercier mon collègue et ami Michel Souplet, qui, dans
l'exercice de sa mission de rapporteur, a accompli un travail constructif qui
souligne sa compétence en la matière.
Afin de le soutenir, il faudra, au cours de ce débat que les uns et les autres
apportent à cette tentative maladroite et inopportune des éléments
complémentaires qui seront nécessaires pour faire valoir une vision plus
dynamique de l'agriculture française, laquelle aurait tout à perdre à succomber
à la tentation du repli.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lejeune, dont je salue la première intervention à la
tribune.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. André Lejeune.
Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur le ministre, je ne vous surprendrai pas en disant que mon propos sera
différent de celui des derniers orateurs qui m'ont précédé, s'agissant en
particulier des contrats territoriaux d'exploitation.
Créés par l'article 2 de votre projet de loi, ils en constituent l'une des
principales innovations. Ils sont la traduction d'une politique agricole
centrée sur le territoire et conciliant agriculture et société.
Ainsi, les multiples fonctions de l'agriculture sont enfin reconnues. En
effet, aujourd'hui, le métier d'agriculteur ne se limite plus à la seule
fonction de production ou de transformation : le secteur agricole rend de
nombreux services à la société, tant dans le domaine social, de par sa
contribution à la création d'emplois, que dans celui de l'environnement, en
permettant une meilleure occupation du territoire en milieu rural et en
préservant les ressources naturelles.
C'est donc l'utilité publique de ce secteur qui est enfin reconnue, et qui
sera rémunérée en conséquence. Les agriculteurs ne s'y sont pas trompés, comme
en témoigne le nombre important de départements qui se sont portés volontaires
pour mener l'expérimentation.
M. Raymond Courrière.
Bien sûr !
M. André Lejeune.
Comme vous nous l'avez confirmé, monsieur le ministre, nos partenaires
européens eux-mêmes sont d'ailleurs très intéressés par le contenu et les
objectifs du CTE.
A propos de l'Europe, permettez-moi, monsieur le ministre, de profiter du
temps de parole qui m'est accordé pour vous demander de rester très vigilant
lors des négociations relatives à la politique agricole commune. En effet, le «
paquet Santer » est en l'état inacceptable, surtout pour les régions
d'élevage.
Je suis d'ailleurs convaincu de votre détermination à cet égard - vous l'avez
réaffirmée hier - tout comme je suis convaincu de la profonde utilité de la
mise en place des contrats territoriaux d'exploitation pour l'avenir de notre
agriculture.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. André Lejeune.
Fondés sur le principe de l'adhésion volontaire, élaborés au plus près du
terrain, c'est-à-dire à l'échelon départemental, dans le respect des
orientations définies à l'échelon national, ces contrats doivent permettre
l'amélioration qualitative des produits et la diversification des activités,
laquelle est nécessaire au maintien et à la création d'emplois, ainsi qu'à
l'installation des jeunes en milieu rural.
L'existence d'exploitations viables sur l'ensemble du territoire est un gage
de pérennité du tissu économique et d'occupation harmonieuse de l'espace dans
nos zones rurales. Sans elles, nos campagnes meurent de la conjugaison du
dépeuplement et de l'expansion des friches. En tant qu'élu de la Creuse, je
sais de quoi je parle.
En outre, un développement durable de l'agriculture ne peut s'envisager que
s'il concerne l'ensemble du territoire et favorise la bonne gestion de
l'espace. Or les contrats territoriaux d'exploitation traduisent une profonde
modification de la conception du soutien de l'Etat à l'agriculture.
A cet égard, le financement prévu, qui atteint 450 millions de francs pour
1999 et qui doit être mis en place en septembre, doit permettre, quoi qu'en
disent ceux qui le critiquent, d'assurer un démarrage dans de bonnes conditions
du dispositif des CTE. Il doit être évolutif, et l'affectation des crédits doit
permettre d'instaurer une équité réelle entre toutes les régions et tous les
types de production. Pour cela, le montant des aides financières doit tenir
compte du climat et de la capacité du sol à produire, ainsi que des handicaps
naturels et des difficultés rencontrées par les producteurs.
En tout état de cause, les CTE sont un outil incitatif, et il est souhaitable
que des expérimentations aient lieu avant que ne soient pris les décrets
d'application de la loi.
Dans ces conditions, je suis persuadé que les contrats territoriaux
d'exploitation seront un instrument efficace au service d'un nouveau mode de
développement des exploitations. Ayons confiance ! Faisons confiance à nos
agriculteurs, mais, de grâce, renonçons à ces procès d'intention que l'on a
trop souvent entendus ces jours-ci !
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Christian Poncelet remplace M. Guy Allouche au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. Mes chers collègues, nous allons accueillir M. le Premier président de la Cour des comptes.
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