Séance du 20 janvier 1999
DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL
DE LA COUR DES COMPTES
M. le président.
L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez introduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit selon le
cérémonial d'usage.)
Monsieur le Premier président, je suis heureux de vous accueillir et je vous
présente mes meilleurs voeux à vous, aux vôtres et pour la mission que vous
exercez à la Cour des comptes.
Cela dit, je vous invite à exposer les résultats de vos travaux.
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
Mesdames, messieurs les
sénateurs, je ne remplirai pas complètement la mission que vient de me confier
M. le président du Sénat. En effet, la présentation des résultats des travaux
de la Cour des comptes pourrait vous retenir un certain temps
(Sourires)...
M. le président.
Vous pouvez faire un résumé.
(Nouveaux sourires.)
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
... et j'ai bien compris que M.
Poncelet, qui a présidé la commission des finances de la Haute Assemblée,
s'exprimait de façon cérémonielle.
Ce rapport public que je vais vous remettre peut être consulté sur Internet,
dès à présent sous une forme résumée et d'ici à quelques jours dans son
intégralité. Pourtant, la formule d'un rapport imprimé, diffusé par le
Journal officiel
dans toutes les communes et édité par l'imprimerie des
Journaux officiels sous forme, à partir de cette année, d'un livre, signifie
bien que le rapport de la Cour des comptes est avant tout tourné vers
l'opinion.
Si je le remets aux deux assemblées le même jour qu'à M. le Président de la
République, c'est parce que ce rapport est un instrument d'information, en
particulier des parlementaires, en tant que responsables des décisions
budgétaires, du contrôle de l'exécution du budget et, depuis la réforme de la
Constitution, des lois de financement de la sécurité sociale et du contrôle de
leur mise en oeuvre.
Selon certaines informations qui me parviennent du ministère des finances et
du Parlement, les commissions parlementaires en général, notamment les
commissions des finances, souhaitent exercer davantage la fonction de contrôle
que les textes leur reconnaissent et cela rejoint les voeux de la Cour des
comptes, qui travaille en grande partie pour vous.
Comme nous avons marqué un progrès sensible dans le suivi des résultats des
interventions de la Cour, je prendrai quatre exemples qui peuvent être
significatifs.
Tout d'abord, le contrôle de la Caisse centrale de la Mutualité sociale
agricole avait fait l'objet de sévères critiques dans un précédent rapport
public. Le contrôle de la Cour a donné lieu à des réactions rapides, qui sont
connues en ce qui concerne la Mutualité sociale agricole. En effet, le conseil
d'administration a été suspendu, un administrateur provisoire désigné et les
instances dirigeantes de cette caisse ont été renouvelées. Hélas ! plusieurs
plaintes ont dû être déposées devant la juridiction pénale. Finalement, des
mesures ont été prises pour corriger les errements et pour renforcer le
contrôle de l'Etat.
Ce qui est positif, c'est que, comme souvent, le contrôle de la Cour, au-delà
du rôle de dévoilement pouvant conduire à des sanctions, a eu aussi un rôle de
prévention. En effet, à la suite de cette intervention, un certain nombre de
réformes ont été entreprises dans l'ensemble des organismes de mutualité. Cette
tendance, accompagnée par la nouvelle procédure des lois de financement de la
sécurité sociale, devrait conduire à un meilleur contrôle des finances
sociales.
Si la Constitution a été réformée sur ce point - c'est à l'initiative de l'un
de vos collègues, M. Oudin, qu'a été créé le premier rapport sur la sécurité
sociale - c'est parce que le montant des finances sociales dépasse de plusieurs
centaines de milliards de francs le montant du budget de l'Etat. A l'heure
actuelle - c'est le cas depuis déjà plusieurs années et ce sera sans doute
encore le cas pour l'avenir - le total des finances sociales représente en
effet 2 000 milliards de francs, contre 1 700 milliards de francs pour le
budget de l'Etat.
Nous continuerons dans cette voie, qui concerne votre fonction de contrôle
financier mais, au-delà, une autre fonction, le contrôle de cette grande
activité publique qu'est la sécurité sociale.
Le deuxième exemple que je prendrai concerne un autre domaine. Electricité de
France, à la suite de nos interventions, a été amenée à effectuer des
ajustements, des reprises de provisions et des rectifications. Celles-ci ont eu
d'importantes conséquences sur le plan financier, la plus visible étant le fait
que Electricité de France aura versé au titre de l'impôt sur les bénéfices, en
raison des redressements apportés, plus de 3 milliards de francs. Une telle
intervention a son intérêt puisqu'elle rétablit une certaine vérité.
J'en viens à mon troisième exemple. Il me paraît utile de rappeler que la Cour
des comptes travaille en étroite coopération avec les chambres régionales des
comptes. Les interventions répétées des juridictions financières à l'égard du
Syndicat des eaux d'Ile-de-France ont eu des conséquences importantes. En
effet, jusqu'à ces dernières années, ce syndicat était régi par un certain
nombre de dispositions et en particulier par un avenant qui avait pour effet de
limiter les appels à la concurrence. A la suite de nos constatations,
l'autorité préfectorale a déféré au tribunal administratif plus de trente
conventions particulières. Elles ont été annulées. L'année dernière, un avenant
a amélioré les termes de la convention sur différents points, à telle enseigne
que le prix de l'eau a baissé de 5 % pour les usagers.
Il s'agit là de résultats concrets, qui concernent des fractions importantes
de la population. Je pourrais en citer d'autres, mais vous en avez déjà entendu
parler.
S'agissant de l'ARC, l'Association pour la recherche sur le cancer,
l'intervention de la Cour n'a pas eu seulement pour conséquence de mettre fin
aux abus qui caractérisaient la gestion de cette association faisant appel à la
générosité publique. En effet, elle a conduit l'ensemble des associations de ce
genre à revenir à une nécessaire discipline financière et comptable. Les
contrôles que nous avons récemment menés sur d'autres associations ont montré -
et c'est heureux ! - que l'on n'y trouvait pas les mêmes désordres qu'à
l'ARC.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le rapport que je
vous remets aujourd'hui s'inscrit dans une longue tradition : celle de la
coopération entre la Cour des comptes et le Parlement. Il s'agit là de l'un des
rôles qui sont dévolus à la Cour par la Constitution.
Toutefois, il est dorénavant inexact de parler du rapport annuel de la Cour
des comptes. En effet, nous vous en transmettons régulièrement deux autres :
l'un concerne la sécurité sociale et l'autre l'exécution de la loi de
finances.
L'année prochaine, nous progresserons en vous fournissant encore plus tôt le
rapport sur l'exécution de la loi de finances. Ainsi, la commission des
finances du Sénat sera saisie de nos premières observations synthétiques ou
particulières sur l'exécution du budget précédent au moment même où elle
examinera le budget de l'exercice suivant.
Cela constitue un résultat appréciable. Il est dû en partie aux efforts
conjugués de l'administration des finances et des magistrats de la Cour des
comptes, mais on le doit surtout à la mise en oeuvre massive de l'informatique,
qui joue un rôle démocratique indirect.
Nous serons naturellement heureux de participer à tout ce qui pourra vous
aider dans ce sens. Je crois savoir qu'un certain nombre d'orientations sont
d'ores et déjà envisagées par le secrétaire d'Etat au budget pour élargir,
améliorer et approfondir les conditions du contrôle de la dépense publique. Il
s'interroge également sur certaines habitudes qui, après avoir paru éternelles,
se révèlent à l'usage devoir être légèrement modifiées. Il en va ainsi de la
règle de l'annualité budgétaire, très longtemps perçue comme une garantie
démocratique du pouvoir législatif face au pouvoir exécutif, mais qui
aujourd'hui, en termes de bonne gestion, est parfois une garantie illusoire.
Je conclurai en disant que je vous sais très intéressés par le fonctionnement
des chambres régionales des comptes, notamment tous ceux d'entre vous - et ils
sont très nombreux - qui ont des responsabilités d'élus locaux. Le nouveau
statut des chambres régionales des comptes devrait vous être soumis
prochainement. Aussi, je me permets de vous recommander de bien vouloir le
prendre en considération avec bienveillance. Voilà quelques années, j'étais
venu assister ici même dans les tribunes au débat aux termes duquel la position
et les perspectives professionnelles des magistrats des tribunaux
administratifs ont été renforcées. Il me paraît légitime que les magistrats des
chambres régionales des comptes bénéficient de conditions comparables, si ce
n'est rigoureusement identiques.
M. le président.
Monsieur le Premier président, permettez-moi de préciser que le Sénat a pris
une part active et importante dans cette réforme des chambres régionales des
comptes, mais je sais que vous partagez cette appréciation.
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
C'est bien pour cela que j'en
parlais ! Le groupe de travail du Sénat a été l'occasion de plusieurs
rencontres et d'une réflexion approfondie. J'ai réuni à trois reprises
l'ensemble des présidents de chambre régionale des comptes pour discuter des
questions que vous aviez soulevées. Je les ai consultés lorsque votre rapport a
été publié, et de nouveau collectivement quelques semaines après. J'en ai tiré
une analyse que j'ai transmise au ministre de l'intérieur, au ministre des
finances, au président de l'Assemblée nationale et à vous-même, monsieur le
président.
Je vous remets donc ce rapport en attendant que vous soyez branchés sur
Internet,...
M. le président.
Nous le sommes !
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
Vous aurez donc deux façons de
lire le rapport de la Cour.
M. le président.
En retour, je me permets de vous recommander de consulter le site du Sénat,
qui fonctionne très bien.
(Sourires.)
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
Je n'y manquerai pas. Cette
nouvelle technologie, qui est souvent accusée de présenter des risques pour les
libertés, voire de renforcer la technocratie, est un vrai progrès de la
démocratie.
(Applaudissements.)
M. le président.
Le Sénat donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Ainsi que vous aviez vous-même coutume de le
dire, monsieur le président du Sénat, lorsque vous présidiez notre commission
des finances, la publication du rapport annuel de la Cour des comptes marque un
temps fort de l'année politique. L'écho qu'il rencontre en témoigne amplement,
et je ne doute pas que les nouvelles technologies permettront d'accroître
encore cet écho.
La commission des finances et le Sénat tout entier accordent en effet,
monsieur le premier président, la plus grande importance aux travaux de la
Cour, comme à la coopération avec la rue Cambon.
La commission des finances s'applique à tirer les meilleurs fruits de
l'article 47 de la Constitution, selon lequel « la Cour des comptes assiste le
Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de
finances ».
Cette « assistance », si j'ose dire, s'est d'ailleurs progressivement enrichie
au fil des dernières années. Elle porte maintenant sur la préparation de
l'examen par le Parlement des lois de règlement, sur le débat d'orientation
budgétaire, pour lequel la Cour des comptes nous verse une contribution
précieuse, ainsi que sur les études générales ou demandes d'enquêtes que la
commission des finances peut demander à la Cour des comptes de conduire.
Par ailleurs, sur l'initiative du Parlement et notamment du Sénat, la haute
juridiction financière nous transmet les référés auxquels il n'a pas été
répondu sur le fond dans les six mois, comme toutes les communications de la
Cour des comptes aux ministres et aux autorités administratives compétentes,
dès lors qu'elles sont devenues définitives.
Je mentionnerai enfin, pour mémoire, la collaboration spécifique nouée entre
la Cour des comptes et la commission des affaires sociales du Sénat pour
l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Les modes de coopération institutionnelle entre la Cour des comptes et le
Sénat se sont donc considérablement enrichis. Il convient que nous nous en
réjouissions tous car, plus que jamais, s'impose l'ardente nécessité d'une
gestion efficace et économe des deniers publics. Comme MM. Jacques Bonnet et
Philippe Nasse l'affirmaient dans leur audit des finances publiques remis au
cours de l'été 1997 - ce point capital n'a sans doute pas été suffisamment
souligné ou remarqué - « la maîtrise de la dépense publique est la condition
sine qua non
de l'assainissement durable des finances de l'Etat ». Cela
me semble d'ailleurs devenu le pari du programme de stabilité 2000-2002 qui se
fixe de n'augmenter que d'un point, en valeur réelle, et sur trois ans, les
dépenses budgétaires. Les données des années récentes témoignent de l'ambition
de ce pari. Il s'agit - mais je n'insisterai bien entendu pas aujourd'hui sur
ce point - de l'esprit des deux derniers budgets alternatifs adoptés par le
Sénat.
Cette gestion économe et efficace appelle, à l'évidence, une relance des
activités de contrôle et d'évaluation des politiques publiques, conduites par
les institutions qui en ont la charge : le Parlement et la Cour des comptes.
Cette relance exige d'optimiser les procédures en vigueur, d'en lancer de
nouvelles ou d'en imaginer peut-être d'autres plus innovantes. Bref, il s'agit,
comme M. le président Christian Poncelet nous y conviait dans son discours du 7
octobre dernier, « de faire du contrôle une "seconde nature" et une activité
permanente du Sénat ».
La commission des finances y est prête ; c'est donc en son nom que j'exprime à
cette tribune sa détermination à « passer la vitesse supérieure » et à faire,
comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, de l'année 1999 « l'année du contrôle
», avec le concours de tous les rapporteurs spéciaux.
Cette action nouvelle revêtira diverses formes : j'envisage d'organiser des
débats en commission sur les référés demeurés sans suite. Ces débats pourraient
être contradictoires. Y seraient conviés le ministre compétent et un
représentant de la Cour des comptes. Je souhaite, en outre, prolonger les
expériences conduites l'année dernière, d'une part, en interrogeant sans délai
les ministres sur les suites qu'ils entendent réserver aux observations
critiques des lois de règlement relatives à la gestion des crédits budgétaires
et, d'autre part, en questionnant les tutelles et les présidents des
entreprises publiques sur les actions correctrices mises en place, au regard
des conclusions des rapports particuliers de la Cour des comptes sur la gestion
des entreprises publiques.
J'entends également relancer la procédure des enquêtes commandées à la Cour
des comptes, en application de l'article 47 de la Constitution, procédure qui
n'a pas connu, à ce jour, les résultats espérés. Une enquête de ce type
pourrait utilement consister dans l'audit de l'ordonnance organique du 2
janvier 1959 relative aux lois de finances. La compétence, l'expérience et la
mémoire de la Cour des comptes sont irremplaçables pour mettre en lumière les
aspects archaïques de cette ordonnance à valeur quasi constitutionnelle.
Monsieur le Premier président, je ne doute pas que la Cour des comptes, selon
des modalités à définir, nous apportera son concours éclairé pour cette tâche
indispensable à l'heure de l'harmonisation des politiques budgétaires des pays
de la zone euro.
Enfin - mais c'est une oeuvre de plus longue haleine - nous aurons à
travailler sur les modalités d'un « échange de cultures » entre la Cour des
comptes et le Sénat, et ce pour trouver les synergies nécessaires entre la Cour
des comptes européenne et les cours des comptes nationales afin de contrôler
l'utilisation des fonds communautaires, pour étoffer et pour rationaliser les
rapports d'activité des ministres, pour rendre plus compréhensibles et
utilisables les situations budgétaires mensuelles, pour permettre, dans des
conditions très précises, aux rapporteurs spéciaux de disposer des rapports
d'inspection.
Bien entendu, il appartiendra au Parlement de parfaire le fonctionnement de
l'Office d'évaluation des politiques publiques afin de lui donner pleine
efficacité.
Ces réformes prendront du temps. Mais le Sénat a toujours intégré le temps
dans son oeuvre. Il a toujours intégré la sagesse, la constance et la
détermination pour que la France continue à tenir son rang en Europe et dans le
monde.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées
socialistes.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
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