Séance du 26 janvier 1999
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à
l'égalité entre les femmes et les hommes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en
guise d'introduction à mon bref propos, j'indiquerai que, par référence à ce
qu'a dit le précédent orateur qui est intervenu avant la suspension de séance,
ma révolution culturelle est faite depuis longtemps.
Dès 1971, un tiers des membres de mon conseil municipal étaient des femmes. En
1967, j'ai eu une suppléante, qui est devenue députée lorsque je suis entré au
Gouvernement ; elle a siégé pendant deux législatures à l'Assemblée
nationale.
Les membres de la commission des lois ont eu le privilège d'entendre, dans un
silence qui, il faut bien le dire, est assez inhabituel, une grande dame, dont
la force de conviction n'avait d'égale que la hauteur de vue, leur expliquer
les raisons pour lesquelles elle était hostile au principe de ce qu'il est
convenu d'appeler la « parité hommes-femmes ».
Professeur de philosophie à l'Ecole polytechnique, elle avait reçu, nous
a-t-elle dit, mandat de ses élèves féminines de les laver de l'humiliation que
représente à leurs yeux ce terme de « parité ».
Invitant les commissaires à se méfier des fausses évidences, elle a dénoncé la
manipulation des concepts, la détérioration du concept d'universalité au profit
d'un droit à la différence, celui-là même qui a permis à de tristes théoriciens
de l'extrême droite de justifier les pires excès des régimes racistes.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Le dualisme du projet de loi constitutionnelle, a-t-elle affirmé, ouvre
la voie au multidifférencialisme. A ses yeux, comme, en son temps, à ceux de
Simone de Beauvoir, le remède proposé est pire que le mal et, après avoir
rappelé que c'est une assemblée d'hommes qui a donné l'IVG aux femmes,
d'avancer plaisamment : « Si l'on s'engage dans la voie du projet de loi,
demain, dans un jury d'assises, un violeur dira : Je ne veux pas être jugé par
des femmes. »
(Exclamations sur plusieurs travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Les perspectives de l'échec de la république universelle
l'inquiètent : « Les lobbies sont déjà en place, qui viendront réclamer leurs
quotas de noirs, de beurs, d'homosexuels... » Ne jouez pas au coup par coup,
nous a-t-elle adjuré, mais voyez plutôt le coup d'après.
Les Etats-Unis ont aujourd'hui compris les méfaits de la doctrine de la Cour
suprême
separate but equal,
qui a abouti trop longtemps à justifier
l'apartheid dans les Etats du Sud. Et ce sont aujourd'hui les professeurs
noirs, avec les quotas qui conduisent certains à les décrédibiliser, qui sont
depuis quelque temps les premiers à demander qu'on en finisse avec ces
quotas.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Mme Hélène Luc.
C'est insupportable !
Mme Odette Terrade.
Les femmes ne sont pas des quotas !
M. Christian Bonnet.
L'évolution ô combien souhaitable se fera naturellement, On ne tardera pas à
le vérifier lorsque l'on connaîtra la composition des listes pour les élections
européennes. La sanction, selon moi, sera rude pour ceux qui n'auraient pas
compris la nécessité de faire leur place aux femmes, et en bonne place
s'entend.
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Alain Vasselle.
Très bien !
Mme Hélène Luc.
Qu'avez-vous fait dans vos groupes ? Il faut bien reconnaître que vous avez
échoué jusqu'à présent. Il faut donc faire autre chose !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie, laissez l'orateur s'exprimer. Vous ne
pouvez demander à vous exprimer dans le calme si vous perturbez vous-mêmes les
autres orateurs. Ecoutons donc M. Bonnet en silence.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. Christian Bonnet.
Le principal mérite de ce débat sera d'avoir fait comprendre aux têtes des
listes qui paraissent devoir prendre le départ pour le scrutin du mois de juin
qu'elles ne peuvent pas ruser avec la place qu'occuperont les femmes sur leurs
listes.
M. Jean-Marie Poirier.
Très bien !
M. Christian Bonnet.
En ce domaine, la vie politique est en retard sur l'évolution de la société -
cela est indéniable - mais si la prise de conscience a été lente à venir, elle
est là.
Ainsi, la semaine dernière, sur les trois nominations en jeu au CSA, le
Conseil supérieur de l'audiovisuel, deux ont profité à des femmes, et Mme le
garde des sceaux est, au demeurant, une brillante illustration de la place
éminente que des femmes remarquables peuvent prendre dans notre vie politique.
Il est donc véritablement paradoxal de la voir défendre un texte qui sacrifie à
ce travers bien français qui consiste à tout prétendre régler par la loi.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Dominique Braye.
Ça, c'est sûr !
Mme Hélène Luc.
Quand ça ne fonctionne pas, on ne peut pas faire autrement !
M. Christian Bonnet.
La commission des lois, dont la conviction majoritaire s'est trouvée renforcée
par l'argumentation développée devant elle, a décidé, plutôt que d'amender
l'article 3 de la Constitution, de procéder à une adjonction à l'article 4 qui
traite de la place des partis dans l'organisation des pouvoirs publics. Cette
suggestion venait - le procès-verbal de la commission en fait foi - de
l'autorité à laquelle je faisais allusion en commençant mon propos.
Soucieuse de ne pas paraître indifférente au problème posé - mais mal posé -
par le projet de loi et estimant que sa solution réside dans une politique
volontariste à l'intérieur des formations politiques, elle a voté un amendement
se décomposant en deux parties bien distinctes.
La première, qui pose le principe selon lequel les partis « favorisent un égal
accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives », n'a pas donné lieu à
discussion. La seconde, en revanche, a prêté à discussion. Elle dispose en
effet, depuis un vote intervenu ce matin même en commission, que « les règles
relatives à leur financement public peuvent contribuer à la mise en oeuvre des
principes énoncés aux alinéas précédents. »
Ces principes, ce sont la souveraineté, la démocratie et l'égal accès des
hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
Or, nous sommes un certain nombre à estimer qu'il n'est pas convenable -
qualificatif à prendre dans sa plus large acception - d'introduire dans la
Constitution une question relative au financement des partis politiques. Ce
serait là une grande et affligeante première dans la mesure où elle abaisserait
une loi constitutionnelle au niveau d'une loi ordinaire. Ne touchez aux lois
que d'une main tremblante, écrivait Montesquieu.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Christian Bonnet.
Et c'est avec plus de précautions encore, des précautions infinies, qu'il
convient de toucher à la loi suprême, à la loi fondamentale, que des
modifications incessantes n'ont, ces temps, que par trop tendance à banaliser
et à fragiliser.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
Grande première, disais-je, grande et paradoxale première dans la mesure
où, dans le souci de faire aux femmes qui le désirent la place qu'elles
méritent dans notre vie publique, on en viendrait à les humilier en faisant
d'elles un enjeu financier !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Telles sont les raisons pour lesquelles, bien qu'il n'ait pas eu l'aval
de la commission, mais assuré du concours de nombre de mes amis, je défendrai,
lors de la discussion des articles, un sous-amendement tendant à la suppression
du second alinéa du texte proposé par la commission pour l'article 4 de la
Constitution.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
depuis cinq mille ans, depuis qu'a commencé à se mettre en place une société
hiérarchisée, avec Etat, culte, armée, organisation socio-économique, les
pouvoirs - tous les pouvoirs - ont été exclusivement exercés par des hommes.
Un sénateur du RPR.
Et Cléopâtre ?
M. Yvon Collin.
Bien sûr, mes chers collègues, nous ne pouvons sérieusement porter, à nous
seuls, ici, la responsabilité de cinquante siècles d'histoire, et ce d'autant
moins que les revendications des mouvements féministes en termes de pouvoir ou
de place des femmes dans la vie publique n'ont véritablement pris leur essor
que depuis les années soixante-dix. Notre responsabilité se limite donc à ce
qui s'est passé ces trente dernières années, et force est de constater que les
évolutions sont lentes - c'est le moins que l'on puisse dire ! - quels que
soient les domaines.
Certes, l'accès massif à un travail salarié a donné aux femmes une autonomie
financière qu'elles n'avaient pas auparavant ; mais, dans tous les pays du
monde, y compris le nôtre, à travail égal, le salaire est inégal entre les
hommes et les femmes. Ajoutons - circonstance aggravante - que le chômage
touche davantage les femmes que les hommes.
Certes, nous dira-t-on, les femmes ont gagné la bataille du droit à la
contraception et à l'interruption volontaire de grossesse. Il faut toutefois
signaler que les trop nombreux signes d'atteintes à ces droits dans plusieurs
pays du monde, même en Europe, nous imposent à tous une vigilance de tout
instant.
Certes, s'agissant des droits politiques, les femmes, à force de courage et de
détermination, les ont obtenus. Mais là aussi, le triomphalisme n'est pas
complètement de mise. Si les droits sont là, il n'en est pas de même des
résultats en termes d'occupation des mandats électoraux. La difficulté consiste
donc, aujourd'hui, à accroître la place des femmes dans la vie publique.
Nous connaissons les chiffres. La France est caractérisée par un énorme retard
dans l'accès des femmes aux fonctions politiques. Notre pays est confronté à
une situation de quasi-blocage qui évolue très lentement, ce que quelques
constats éclairent : il y avait autant de femmes parlementaires en 1946 au sein
de l'Assemblée constituante qu'en 1993 au sein de l'Assemblée nationale. Il a
fallu attendre 1983 pour atteindre le taux de 10 % de femmes dans les conseils
municipaux...
Mme Danièle Pourtaud.
8 % !
M. Yvon Collin.
... et 1995 pour arriver à 20 %. Les femmes représentent moins de 10 % des
maires, et, de plus, à de rares exceptions près, elles sont à la tête de
communes de moins de 2 000 habitants. Très peu nombreuses au sein des conseils
généraux et du Parlement, elles sont également écartées des présidences de
structures intercommunales et, bien sûr, sauf un ou deux cas, des présidences
des conseils régionaux et généraux.
Mme Danièle Pourtaud.
Bravo !
M. Yvon Collin.
Pourquoi une telle situation existet-elle ? Une explication est souvent
avancée : le caractère latin méditerranéen, dont la France participerait,
serait plus machiste que le caractère nordique ou anglo-saxon.
Cette explication ne peut nous satisfaire, car les pays européens du Sud -
l'Italie, l'Espagne et le Portugal - dépassent largement la France, qui, on le
sait, rivalise avec la Grèce... pour la dernière place ! Surtout, il faut bien
constater que la Grande-Bretagne est également très en retard, phénomène qui a
peut-être été occulté par la longue présence de Mme Thatcher aux affaires du
pays.
On peut alors se poser la question du poids de l'histoire. La France et la
Grande-Bretagne sont les deux pays qui ont mené les premiers combats
démocratiques et gagné les premières victoires. La démocratie a bâti pendant
des décennies - un siècle et demi pour notre pays - une image masculine qui se
prévalait en plus d'universalité. On se rappelle Olympe de Gouges - c'est une
fierté de mon département, puisqu'elle était montalbanaise - qui habitait non
loin d'ici et écrivit la première déclaration des droits des femmes : « La
femme, disait-elle, a le droit de monter à l'échafaud. Il faut qu'elle ait le
droit de monter à la tribune. » On connaît son sort : elle monta à l'échafaud !
Et il fallut cent cinquante ans aux femmes, non pour monter à la tribune mais
pour avoir le droit de vote.
Les autres pays ont vu les hommes et les femmes accéder plus tard, presque en
même temps pour l'un et l'autre sexe, à la citoyenneté. Peut-être est-ce pour
cela, d'ailleurs, qu'ils ont moins de réticences à répartir plus équitablement
les responsabilités politiques ?
On peut aussi avancer l'idée que les femmes françaises disposent d'atouts qui
peuvent se retourner contre elles pour l'exercice de responsabilités
politiques. Ainsi, la France est le deuxième pays européen en termes de travail
salarié féminin, et le premier pays en ce qui concerne le travail féminin à
plein temps.
Mme Hélène Luc.
Tout à fait !
M. Yvon Collin.
La plus grande autonomie financière et psychologique donne une liberté que le
temps consacré au travail peut à l'évidence réduire pour des activités
politiques.
(Protestations sur certaines travées socialistes.)
Mme Hélène Luc.
Il ne faut pas le prendre comme ça !
M. Yvon Collin.
Il est aussi permis de signaler que la prise de pouvoir passe par des rites,
des méthodes façonnées par les hommes. La politique, on le sait, est un combat
permanent pour s'imposer, en premier lieu, au sein de son parti politique - ce
n'est pas facile - ensuite face à l'adversaire et, enfin, pour imposer ses
idées. Les hommes, de tout temps majoritairement au pouvoir, ont construit des
armes éloigné de la sensibilité féminine.
Mes chers collègues, quelles que soient les raisons de la faiblesse numérique
des femmes dans la vie politique, si l'on se réfère au rythme de progression
actuel, il faudra encore cinq cents ans pour arriver à la parité.
Parce que les évolutions naturelles sont lentes, il est nécessaire de
provoquer une arrivée massive des femmes dans le champ du pouvoir politique par
le biais législatif et préalablement par celui d'une révision de la
Constitution.
En effet, même si, en droit, l'égale éligibilité des hommes et des femmes est
établie, seule la mention explicite de ce droit dans la Constitution permettra
d'adopter des lois favorisant la parité.
Le présent projet de loi constitutionnelle s'inscrit dans cette démarche qui
n'est pas, c'est vrai, sans soulever des querelles juridiques.
Ceux qui s'opposent à cette modification avancent notamment le principe
d'universalité. Ainsi, selon certains, la représentation des femmes « ès
qualités » mettrait à mal ce principe et ouvrirait la porte à des
représentations spécifiques des différentes couches, classes, catégories de la
société.
Les radicaux de gauche, attachés à l'intégrité de la République, ne peuvent
qu'être extrêmement sensibles à cet argument. Pourtant, ils sont favorables à
cette modification de l'article 3 de la Constitution, considérant que les
femmes ne sont pas une catégorie ou une couche spécifique de la population.
(Très bien ! et applaudissements sur certaines travées socialistes.)
Elles sont, comme les hommes, l'humanité même. Sans les femmes, comme sans les
hommes, il n'y aurait pas d'humanité !
(Très bien ! et applaudissements sur
les mêmes travées.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Yvon Collin.
L'argument de l'universalité ne peut donc être retourné contre elles. Depuis
deux cents ans, la vie politique démocratique française a vu décliner
l'universalité au masculin. La conséquence en est l'injustice, mais pas
seulement. Un individu ne peut bien marcher que sur ses deux jambes.
La démocratie ne peut fonctionner harmonieusement qu'en faisant participer à
la décision non pas des femmes et des hommes, mais le féminin et le masculin,
dans leurs différences mais aussi dans leur égalité.
Cette égalité est souvent mise en cause dans le droit, et, dans les pays
développés, dans les faits.
Dire que les femmes et les hommes sont différents et que, en conjuguant ces
différences, ils ne peuvent que rendre le monde meilleur, ce n'est pas
s'attaquer à l'égalité ; au contraire, c'est dire que l'universalité ne peut
être que mixte, féminine et masculine.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, nous sommes tous d'accord pour constater qu'il y a un problème
dans la vie politique française : la sous-représentation des femmes au
Parlement et parmi les titulaires des fonctions et mandats électifs.
On a même entendu dire, ce matin, que la France - triste record ! - était la
lanterne rouge des démocraties quant à la représentation féminine.
M. Claude Estier.
C'est vrai !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
C'est la vérité !
M. Patrice Gélard.
Je crois que nous sommes tous d'accord pour porter le diagnostic, pour
constater cette évidence. Toutefois, nous divergeons sur les thérapeutiques à
employer.
M. Henri Weber.
C'est vrai également !
M. Patrice Gélard.
En d'autres termes, il y a un problème, même s'il n'est peut-être pas
forcément d'une actualité brûlante, comme certains voudraient nous le faire
croire.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Oh !
M. Patrice Gélard.
Ainsi, la manifestation qui a eu lieu tout à l'heure devant le Sénat n'est pas
tout à fait représentative. Certes, les sondages d'opinion n'ont pas encore
fait état d'une exigence absolue, mais c'est politiquement correct.
M. Dominique Braye.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
On aura tout entendu !
M. Patrice Gélard.
Je voudrais reprendre le diagnostic et évoquer les remèdes.
En ce qui concerne le diagnostic, je conviens de la sous-représentation des
femmes dans la vie politique.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il est difficile de dire le contraire !
M. Patrice Gélard.
Mais relativisons quelque peu. On l'a dit, il y a une extension considérable
des femmes au travail. On l'a dit également, il y a une extension considérable
des femmes responsables, tant dans la fonction publique que dans le secteur
privé. La France devance même, à cet égard, les pays nordiques, qui sont
pourtant champions toutes catégories quant à la représentation féminine dans
leur parlement.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience d'enseignant : d'année en
année, j'ai vu le nombre des étudiants diminuer, tandis que celui des
étudiantes augmentait. Mais cela, c'est secondaire. Ce que j'ai surtout vu,
c'est que les étudiantes étaient les meilleures, qu'elles obtenaient
systématiquement les meilleures places, les meilleures mentions et qu'elles
étaient fréquemment majors de leur promotion. C'est un phénomène général que
l'on constate non pas seulement dans les facultés de droit, mais aussi dans les
écoles d'ingénieurs : on pourrait citer le cas de l'Ecole polytechnique, de
l'Ecole centrale, de HEC, où les majors de promotion sont de plus en plus
fréquemment des femmes qui, dès lors, obtiennent de plus en plus souvent des
emplois de la plus haute responsabilité.
On assiste également à une féminisation croissante, dans des proportions très
élevées, de corps entiers d'activité professionnelle : nous connaissons tous la
situation de l'enseignement, où 65 % des enseignants sont des femmes, de la
magistrature, du métier d'avocat, des métiers sociaux et des métiers de la
santé, de la fonction publique, où le nombre des femmes dépassent souvent très
largement celui des hommes.
M. Dominique Braye.
Eh oui !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Cela dépend du grade !
M. Patrice Gélard.
Nous devons aussi constater - évidemment, l'évolution est lente, mais réelle -
l'augmentation croissante du nombre des femmes dans les conseils municipaux -
dans le mien, il y en a 45 % - ...
Mme Hélène Luc.
C'est bien !
M. Patrice Gélard.
... dans les conseils généraux, dans les conseils régionaux, parmi les députés
européens et parmi les maires. Il est vrai - nous en sommes tous d'accord - que
beaucoup de progrès restent à faire au niveau des conseils généraux, des
conseils régionaux et, bien entendu, du Parlement.
On a dit beaucoup de choses sur la situation dans les pays étrangers, et je
voudrais tout de même relativiser quelque peu les propos tenus à cet égard :
exception faite des démocraties du nord de l'Europe, qui ont une tradition de
représentation féminine forte et ancienne, on ne peut généraliser ce qui a été
dit par les uns ou par les autres sur les autres pays européens. Les choses
sont beaucoup plus compliquées qu'il ne le paraît et mériteraient souvent une
analyse plus fine, notamment en ce qui concerne les lois ayant favorisé la
place des femmes, ici ou là, dans les pays étrangers. On a oublié de dire, par
exemple, que le Sénat américain ne compte que deux femmes sénateurs. Ce n'est
pas assez, nous le reconnaissons tous.
Mme Dinah Derycke.
Ce n'est pas une référence !
Mme Nicole Borvo.
Bravo le Sénat français !
M. Patrice Gélard.
J'estime dommage que les femmes interviennent par des protestations diverses,
car, ce faisant, elles ne donnent pas un bon exemple pour la suite !
(Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Maîtrisez-vous, mesdames !
M. Claude Estier.
Vous n'intervenez jamais comme cela ?
M. Patrice Gélard.
Non, je n'interviens pas !
M. Claude Estier.
Pas vous peut-être, mais les membres de votre groupe le font ! Votre collègue
Dominique Braye, par exemple !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie ! Seul M. Gélard a la parole, nous
l'écoutons !
M. Patrice Gélard.
Qui est responsable de cette situation ? Ce n'est pas la Constitution :
celle-ci garantit pleinement l'égalité de l'homme et de la femme dans plusieurs
articles, que ce soit au travers de l'article Ier ou de l'article VI de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - je ne vais pas les rappeler,
vous les connaissez tous par coeur - ou encore de l'alinéa 3 du préambule de la
Constitution de 1946, ou de l'article 1er de notre Constitution.
Nous avons dit et répété que la femme était l'égale de l'homme ou que l'homme
était l'égal de la femme, et cette égalité absolue est garantie dans le texte
constitutionnel.
Dans ce cas, me direz-vous, pourquoi déposer un projet de loi afin de
favoriser cette égalité ou de déterminer les conditions dans lesquelles elle
pourrait être mieux réalisée ? Tout simplement parce que nous reconnaissons
qu'il existe des blocages dans notre société.
Qui est le responsable réel de cette situation ? Est-ce le législateur ? C'est
ce qu'on voudrait nous faire croire. Mais le législateur n'est pas en cause !
En effet, dans le passé, il a pris un certain nombre de mesures pour favoriser
ou aider les femmes à accomplir un certain nombre de tâches, et je n'entrerai
pas dans le détail des divers aménagements qui ont été opérés dans le cadre de
la fonction publique, des conventions collectives ou de la législation
concernant, par exemple, les victimes de guerre ou les veuves de guerre.
Peut-être ces aménagements sont-ils insuffisants, et sans doute pouvons-nous
regretter de ne pas être allés plus loin dans le statut de l'élu ou dans le
statut du candidat aux élections, ce qui aurait peut-être permis aux femmes de
se présenter plus librement auxdites élections. Mais rien n'a été fait pour
favoriser, justement, l'égalité de situation d'une femme et d'un homme
lorsqu'ils se présentent à une élection, et on peut le déplorer.
Toutefois, le législateur est resté fidèle à la conception générale de notre
Constitution, il est resté attaché au principe d'égalité, au principe
d'universalité, au principe d'intégration, et il a toujours été hostile, depuis
la Révolution française, à toute mesure législative qui instaurerait des
catégories.
Alors, si ce n'est pas le législateur, peut-être est-ce la société qui est
responsable ! Il existe, en effet, une vieille règle que tous les chercheurs en
sociologie et en science politique ont mise en évidence : il faut toujours un
certain temps pour que les psychologies, pour que les mentalités s'adaptent à
des situations nouvelles. Des études anciennes ont ainsi démontré que, sous la
IIIe République, le maire aristocrate restait maire alors que l'aristocratie
n'avait plus de raison d'être. Et l'on observe aujourd'hui ce même phénomène :
les hommes restent là parce qu'il y a une tradition, parce que des habitudes
ont été prises et que la société ne les a pas changées.
La loi n'a jamais modifié les mentalités ! Lorsqu'elle veut le faire, elle
risque de s'engager dans un processus dangereux, car la loi ne fait que suivre
les mentalités.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
C'est faux !
M. Patrice Gélard.
Alors, qui est coupable si ce n'est ni la société ni le législateur ? Eh bien,
ce coupable, montrons-le du doigt : ce sont les partis politiques.
Il n'y a pas eu besoin de loi dans les pays scandinaves ou dans les autres
démocraties européennes pour faire en sorte que la représentation féminine soit
à peu près égale à celle des hommes.
Ce sont donc les partis politiques qui n'ont pas fait l'effort nécessaire pour
permettre que, lors des investitures puis des campagnes électorales, les femmes
puissent bénéficier d'une situation comparable à celle des hommes.
Il est vrai que le militantisme féminin a été plus tardif que le militantisme
masculin, mais on peut regretter que les partis politiques français,
contrairement, par exemple, aux partis politiques allemands, britanniques ou
américains, n'aient pas fait l'effort que le parti conservateur et le parti
travailliste en Grande-Bretagne, la SPD et le CDU en Allemagne, le parti
démocrate et le parti républicain aux Etats-Unis ont pu réaliser. Dans ces
différents pays, dans chaque circonscription, il y a un vice-président homme et
un vice-président femme ou bien, lorsque le secrétaire est un homme, le
secrétaire adjoint est une femme et inversement.
Il existe cependant chez nous une exception qu'il convient de saluer : c'est
celle du parti communiste qui, depuis très longtemps, a fait dans ce domaine
des efforts que les autres partis auraient intérêt à suivre, je dois le
reconaître.
Mme Hélène Luc.
Merci !
M. Claude Estier.
Et le parti socialiste ?
M. Patrice Gélard.
Le parti socialiste a fait des efforts récents, je le reconnais, mais dans un
contexte très facile, celui de la dissolution, qui lui a permis, compte tenu du
très petit nombre d'élus dont il disposait, de présenter dans toutes les
circonscriptions des candidats nouveaux.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier.
Merci Chirac !
Mme Nicole Borvo.
C'est en effet le responsable !
M. le président.
Monsieur Gélard, ne distribuez pas les mérites, sinon nous n'en sortirons pas
!
M. Patrice Gélard.
J'arrête, monsieur le président !
La raison essentielle de la réforme qu'on nous propose, nous la connaissons :
il s'agit de faire sauter le verrou des décisions du Conseil constitutionnel de
1982 et de 1999.
M. Henri Weber.
Exactement !
M. Patrice Gélard.
C'est la seule motivation !
M. Henri Weber.
En effet, c'est la seule !
M. Pierre Mauroy.
Non, il y en a d'autres !
Mme Nicole Borvo.
Mettez-vous d'accord !
(Sourires.)
M. Patrice Gélard.
Il s'agit de permettre l'instauration de quotas lors des élections.
(Ah ! sur les travées socialistes.)
Or sans doute, à cet égard, d'autres
solutions étaient-elles possibles. Mais on ne les a ni explorées, ni analysées,
ni discutées.
M. Marcel Debarge.
On attend !
Mme Hélène Luc.
Bien sûr !
M. Patrice Gélard.
Les autres formules possibles consistaient tout d'abord à modifier la
Constitution en visant directement le régime des élections. Le droit électoral
devenait ainsi partie intégrante du droit constitutionnel. Mais on ne l'a pas
fait, car cela aurait pu nous entraîner trop loin.
La deuxième solution consistait, tout en modifiant la Constitution, à renvoyer
à la loi organique pour tout ce qui concerne le droit électoral. On ne l'a pas
fait non plus.
D'autres solutions ont cependant été proposées. Celle du Gouvernement
consistait à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et
mandats. Mais, comme l'a justement souligné le doyen Vedel, dans un article
paru dans le journal
le Monde
, cette solution aurait obligé le
législateur à demander à chaque fois au Conseil constitutionnel si le projet de
loi, quel qu'il soit, dont il était saisi était ou non conforme à ce principe.
Il se serait ainsi défaussé de son pouvoir législatif sur le Conseil
constitutionnel.
Quant à déterminer les conditions d'exercice de ce principe, cela implique
qu'à l'occasion de l'examen de chaque nouvelle loi électorale le Conseil
constitutionnel pourra estimer que la loi n'a pas assez tenu compte de la
nécessité de déterminer les conditions d'égal accès des hommes et des
femmes.
En d'autres termes, adopter le texte retenu par l'Assemblée nationale nous
aurait obligés, à chaque modification de notre droit électoral, à intégrer la
dimension d'égalité.
Mme Danièle Pourtaud.
Eh oui !
M. Pierre Mauroy.
C'est normal !
M. Patrice Gélard.
Nous aurions ainsi été contraints d'instaurer, si ce n'est des quotas du moins
des mesures contraignantes pour chaque élection. Or ces mesures portent
gravement atteinte à la liberté d'expression du suffrage, à la liberté de
candidature et à l'égalité, donc à des principes républicains et démocratiques
intangibles.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Parmi les autres solutions possibles, j'en ai déjà indiqué une tout à
l'heure : favoriser, lors des campagnes électorales, les possibilités de
candidature pour les femmes. Mais il en est encore d'autres, qui consistent,
par exemple, à interdire brutalement la réélection. On peut utiliser n'importe
quelle formule et n'importe quelle arme, mais, en interdisant la réélection, on
ouvre la possibilité, à chaque réélection, à de nouveaux candidats - donc à des
candidats femmes - de se présenter.
Voilà pourquoi j'estime que nous devons nous rallier au texte proposé par la
commission des lois. A notre sens, en effet, les quotas sous-tendus par le
projet de loi adopté par l'Assemblée nationale sont contraires au principe
essentiel sur lequel reposent notre République et notre démocratie, car ils
portent atteinte non seulement au principe d'égalité, en particulier à
l'égalité des mérites et des talents dont il est fait mention à l'article VI de
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais aussi à des droits et
à des libertés essentiels : le droit et la liberté de suffrage, le droit et la
liberté d'être librement candidat aux élections.
Analysons un peu plus en profondeur le système des quotas.
D'abord, je rappelle que, si nous avons parfois pratiqué dans notre pays le
système des quotas, nous n'en sommes pas glorieux pour autant. Ainsi, lorsque
nous avons établi le système du double collège en Algérie ou en Afrique noire,
il s'agissait bien de quotas puisqu'il s'agissait alors de favoriser la
population métropolitaine.
(Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
C'est bien ce que nous avons fait sous la IVe République, et nous n'avons
pas à en être fiers !
M. Marcel Debarge.
Aucun rapport !
M. Patrice Gélard.
Si, il y a un rapport : ce sont des quotas !
Mme Dinah Derycke.
Non, cela n'a aucun rapport !
Mme Hélène Luc.
Et pourquoi pas les quotas laitiers ?
M. Patrice Gélard.
Notre droit administratif et notre droit du travail comportent aussi, ou ont
comporté, certaines dispositions s'apparentant aux quotas. Il en est ainsi de
certains emplois réservés pour les veuves de guerre, ou encore de la
législation sur les handicapés.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Elle se défend !
M. Patrice Gélard.
Nous savons que la réglementation européenne autorise ce type de dispositions
dans la vie professionnelle ; mais, là, nous sommes dans la vie politique !
Où a-t-on pratiqué les quotas dans la vie politique ? Le rapport présenté par
M. Cabanel mentionne un certain nombre d'Etats, mais sa liste est incomplète et
imparfaite. En effet, outre l'Argentine, le Brésil et la Corée - ce dernier
pays les a d'ailleurs supprimés dans sa nouvelle Constitution -, le Népal, le
Bangladesh et le Pakistan pratiquent les quotas. Mais quelle sorte de quotas ?
Au Bangladesh, au Pakistan et au Népal, étant donné que les femmes ne peuvent
pas être élues députées, ce sont les députés hommes qui élisent les députées
femmes, ce qui est assez extraordinaire !
(Murmures sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Nicole Borvo.
Quelle comparaison !
M. Patrice Gélard.
En d'autres termes, lorsque des quotas ont été imposés dans une Constitution,
ils ont le plus souvent été le fait de régimes non démocratiques, de régimes
qui ne respectent pas les droits de l'homme, notamment en matière d'égalité
entre l'homme et la femme.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Claude Estier.
Vous n'avez pas de meilleures références ?
Mme Nicole Borvo.
C'est triste !
Mme Hélène Luc.
Oui, c'est vraiment triste !
M. Patrice Gélard.
Ajoutons que, autrefois, les pays communistes avaient tous établi un système
non officiel de quotas pour organiser leurs élections.
M. Dominique Braye.
On a vu ce que cela a donné !
M. Patrice Gélard.
Il y avait ainsi 35 % de femmes, 25 % de jeunes, 22 % de vieux, 14 % de
kolkhoziens, tant d'ouvriers, etc., afin que la représentation politique soit
la plus proche possible des statistiques officielles de la composition de la
population.
M. Dominique Braye.
Officielles !
M. Henri Weber.
Nous sommes en démocratie !
M. Patrice Gélard.
Justement, monsieur Weber, j'y viens : le système des quotas a été supprimé
lorsque ces pays sont devenus démocratiques.
M. Lucien Lanier.
Très bien !
M. Patrice Gélard.
Résultat, on s'est aperçu que, systématiquement, les règles qui avaient été
imposées avant cette suppression ont été remises en cause.
Mme Hélène Luc.
J'en ai assez d'entendre parler de quotas à propos des femmes !
M. Patrice Gélard.
J'ajoute que toute discrimination positive consistant à favoriser un groupe au
détriment d'un autre est dégradante et dévalorisante pour ceux qui en
bénéficient.
(Nouveaux applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Claude Estier.
Mais les femmes ne sont pas un groupe !
M. Patrice Gélard.
Partout où des quotas ont été mis en place, que ce soit dans la vie
professionnelle, dans la vie militaire ou dans la vie politique, ceux qui en
ont bénéficié ont été dévalorisés.
Mme Hélène Luc.
Les femmes sont une catégorie, pas un quota !
M. Patrice Gélard.
Ensuite, toute discrimination positive est attentatoire à la liberté de choix,
à la liberté d'expression des suffrages, à la liberté de candidature et à la
théorie du mandat représentatif.
Je suis donc favorable au choix de la commission des lois, qui considère qu'il
est nécessaire de trouver une solution à la sous-représentation féminine dans
nos assemblées ; je suis également favorable à l'alinéa supplémentaire que M.
le rapporteur nous propose d'insérer dans le texte, parce qu'il permet de
donner une consistance charnelle à un principe que nous voulons affirmer dans
la Constitution.
Mme Nicole Borvo.
Charnelle ? C'est intéressant !
M. Claude Estier.
Le fric !
M. Patrice Gélard.
Pas forcément : cela peut prendre d'autres aspects !
Enfin, nous sommes tous convaincus qu'un problème existe, et qu'il faut le
résoudre. Mais les partis politiques sont en première ligne dans cette affaire
!
Mme Odette Terrade.
Certes !
M. Patrice Gélard.
Il n'appartient pas au législateur, au nom de ce problème, de jouer avec les
principes fondamentaux de la République et de la démocratie en remettant, même
partiellement, même temporairement, ces principes en jeu. Ce serait alors trop
dangereux, et cela risquerait de conduire rapidement à toutes les dérives,
comme ce fut le cas chaque fois que des quotas ont été imposés ici ou là.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour exprimer mon soutien
aux revendications exprimées par les manifestants qui se sont réunis à midi
devant le Sénat
(Exclamations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains
et Indépendants)
à l'appel des associations et du collectif « Droit des
femmes » pour protester contre la décision de la commission des lois du Sénat
de modifier totalement la philosophie du projet de loi constitutionnelle qui
nous est soumis aujourd'hui.
Je crois d'ailleurs savoir que M. le président du Sénat a reçu tout à l'heure,
avant la séance, une délégation de ces manifestants.
M. le président.
Le président est très démocrate, madame !
Mme Odette Terrade.
Par l'annulation de la modification constitutionnelle initialement prévue à
l'article 3 et en proposant de modifier, cette fois, l'article 4, la Haute
Assemblée, si elle suit l'avis de la majorité de la commission des lois,
assignerait aux seuls partis politiques la responsabilité de « favoriser l'égal
accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ».
C'est dire combien des résultats significatifs pour une juste représentation
des femmes dans les assemblées politiques seraient plus longs à obtenir !
C'est dire également combien le Sénat, comme par le passé, adopterait une
position passéiste et figée et prendrait la responsabilité d'être en décalage
avec la vie réelle !
Nous avons, au contraire, je le pense, le devoir d'offrir de notre chambre une
image moderne, ouverte sur la société, attentive aux aspirations populaires,
qui, sur ce sujet de la parité, sont très largement unanimes.
Au travers de la commission des lois, la droite sénatoriale entend, en fait,
minimiser la portée du projet de loi constitutionnelle.
Au-delà de l'effet d'annonce, qui pourrait paraître séducteur, il s'agit bien
de dénaturer le texte initial en portant gravement atteinte à la possibilité de
mettre en oeuvre des dispositions législatives futures qui feraient vivre le
principe de parité.
C'est, bien sûr, également une manoeuvre pour tenter de reporter à une date
ultérieure la réunion du Parlement en Congrès.
Les associations féministes et féminines, les citoyennes et les citoyens, les
élus qui déplorent la sous-représentation des femmes et veulent y remédier
l'ont d'ailleurs bien compris. Depuis l'annonce de la proposition de la
commission des lois, la mobilisation ne s'est pas fait attendre pour rappeler
l'exigence que les femmes occupent dans la vie politique une place
proportionnelle à celle qu'elles occupent dans la société.
Vendredi dernier, au Sénat, sur l'initiative de mon groupe et du groupe
communiste de l'Assemblée nationale, s'est tenue une « rencontre pour réussir
la parité » qui a réuni près de cent personnes. Cette initiative a donné lieu à
une motion, signée par l'ensemble des participants, ayant pour objet de
témoigner de la détermination des femmes, face à la décision de la commission
des lois, de soutenir l'appel au rassemblement lancé par plusieurs
associations, ce mardi, devant le Sénat, et de faire connaître leur colère à M.
le Président de la République et à M. le Premier ministre, qui s'étaient
formellement engagés à faire aboutir la parité pour moderniser réellement la
vie politique et renforcer la démocratie.
De plus, les participants à cette rencontre ont réaffirmé leur volonté de voir
adopté conforme le texte voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, afin de
permettre la tenue du Congrès de Versailles le 8 mars, ainsi que leur
détermination à veiller à l'application de la loi constitutionnelle par
l'adoption de lois et la publication de décrets d'application nécessaires à la
concrétisation de l'objectif de parité.
Ces revendications sont claires. Elles traduisent l'aspiration à un plus juste
accès des femmes dans la vie politique, aspiration aujourd'hui partagée par
près de 80 % de nos concitoyens, las de constater, une fois encore, un écart
aussi important entre les principes et les faits.
En effet, personne ne peut nier, pas même la commission des lois du Sénat,
l'écart « choquant », pour reprendre l'expression du Conseil d'Etat, entre la
part des femmes dans la population et leur représentation dans les assemblées
politiques.
La France est, avec la Grèce, - cela a été dit - le pays européen où les
femmes sont le moins représentées au Parlement. Nos assemblées sont
respectivement à 90 % et à 94,1 % masculines. Nous ne sommes que 10,9 % de
femmes à l'Assemblée nationale, et 5,9 % au Sénat.
Comment une assemblée qui compte seulement 19 femmes sur 321 membres peut-elle
prétendre être représentative de la société ? Au rythme du dernier
renouvellement triennal de septembre, où une seule femme sur 102 sénateurs a
été élue - il s'agit de notre collègue socialiste Yolande Boyer - c'est en
siècles qu'il nous faudra compter pour noter une évolution significative !
Il faut également souligner les différences de traitement de l'égalité des
sexes par chacun des groupes représentés. En effet, sur dix-neuf sénatrices,
cinq sont membres du groupe communiste républicain et citoyen, qui ne compte
que seize élus. La présidence de celui-ci est assurée par une femme, mon amie
Hélène Luc, sénatrice du Val-de-Marne.
Au total, le Parlement compte 82 femmes parmi ses 893 élus, soit 9,18 %, alors
que les femmes représentent 51 % de la population et 53 % du corps
électoral.
Mme la garde des sceaux l'a rappelé ce matin, la situation n'est guère plus
brillante pour les autres mandats : 21 % de conseillères municipales, mais
seulement 7 % de femmes maires ; aucune femme dans 23 conseils généraux, une
seule présidente de conseil général sur 104 ; deux femmes à la tête de conseils
régionaux. Et l'on pourrait continuer encore longtemps cette énumération !
Au-delà de ces chiffres, peu glorieux, il y a un autre constat, à mon sens
plus fondamental : ce déficit de femmes dans notre vie politique constitue un
déficit majeur pour la démocratie. Combattre ce déficit revêt l'importance d'un
véritable enjeu de société puisque cela permettra de corriger une situation qui
a figure de démocratie inachevée du fait du choix, qui a jusqu'à présent
prévalu, de se priver de la moitié de l'humanité.
Le principe d'égalité existe depuis longtemps dans notre droit, et pourtant,
dans les faits, on est loin du compte. Il est par conséquent grand temps
d'avoir une démarche volontariste. Modifier notre Constitution, qui, certes,
contenait déjà ce principe, est une étape afin de passer d'un principe de
proclamation à un principe de réalité.
Dans ce contexte, la parité devient un objectif, un instrument à faire de
l'égalité. Car le concept fondamental est, bien entendu, l'égalité des sexes
dans tous les domaines : politique, certes, mais également social, économique
et familial.
Certains objectent que la parité remettrait précisément en cause l'égalité des
citoyens puisqu'elle introduirait une discrimination positive. Mais force est
de constater que, au fil du temps, l'universalisme n'a servi que les hommes et
leur pouvoir ! Aussi, la mixité de l'humanité me paraît plus garante de
démocratie que la neutralité de sexe que certains prêtent à la citoyenneté.
Par ailleurs, la dérive de catégorisation ne me semble pas planer sur notre
droit fondamental, tant il est vrai que l'on ne pourrait réduire les femmes à
une catégorie sociale, et encore moins à une minorité. Elles sont, je le
rappelle, au même titre que les hommes, une composante de l'humanité qui
traverse toutes les catégories.
Notre attachement à voir un plus grand nombre de femmes participer à la vie
publique ne tient ni du paternalisme ni de l'idéalisme. La féminisation de
notre vie politique ne se substituera pas au débat d'idées nécessaire à une
démocratie. Elle renforcera cette dernière en la rendant plus représentative de
la société. C'est, à notre sens, une mesure de justice.
J'entends également certaines voix s'élever pour dire que c'est aux électeurs
qu'il appartient de choisir. Je partage, pour ma part, l'avis de M.
Carcassonne, professeur de droit public auditionné par la commission des lois,
qui considère qu'on ne peut invoquer la liberté de l'électeur pour s'opposer à
la parité puisque, en l'absence de possibilité de panachage, l'électeur est
d'ores et déjà privé de liberté dans la plupart des scrutins.
M. Henri Weber.
C'est exact !
Mme Odette Terrade.
Quant à l'argument selon lequel l'instauration de la parité conduisant à
l'augmentation du nombre de femmes élues aboutirait, en fait, à leur
dévalorisation, voire à une fragilisation de leur situation, permettez-moi de
retourner quelque peu la remarque. En effet, celle-ci est alors valable pour
les hommes, qui, durant de longues années, ont été les seuls à avoir accès aux
assemblées politiques.
Veuillez m'excuser cette liberté de langage, mes chers collègues, mais il est
bien malheureux que la peur de « l'homme potiche » n'ait jamais hanté les
esprits, alors qu'elle semble devenir une préoccupation majeure, y compris dans
notre éminente assemblée, dès qu'il s'agit de femmes !
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
Oui, il est urgent de mettre un terme à l'exclusion des femmes de la
représentation politique. C'est pourquoi le Gouvernement a saisi les deux
assemblées d'un projet de loi constitutionnelle.
A cet égard, madame la ministre, le choix de la voie référendaire n'aurait-il
pas été plus judicieux que celui de la saisine du Parlement ?
L'un des objectifs majeurs du projet de loi constitutionnelle que nous
examinons aujourd'hui est de faire sauter le verrou posé par le Conseil
constitutionnel depuis sa décision du 18 novembre 1982, confirmée plus
récemment par celle du 14 janvier dernier.
Le débat à l'Assemblée nationale a, de notre point de vue, enrichi le texte
initial, en rendant la marge d'appréciation du juge constitutionnel plus
infime. Il laisse ainsi au législateur la responsabilité du choix des moyens
pour mettre en oeuvre l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et aux fonctions électives.
Cette mesure me paraît, de plus, offrir davantage de garanties pour mettre en
oeuvre les autres réformes législatives qui contribueront, effectivement, à
l'égalité des femmes et des hommes.
C'est pour les mêmes raisons que le groupe communiste à l'Assemblée nationale
avait voté avec enthousiasme ce projet de loi constitutionelle ainsi amendé, en
appelant de ses voeux des réformes ultérieures assurant un égal accès des
femmes et des hommes à la représentation politique.
En effet, la meilleure des lois, fût-elle constitutionnelle, ne permettra pas,
à elle seule, un plus grand accès des femmes à la vie politique, aux fonctions
et mandats électifs. D'autres lois seront nécessaires pour que cette réforme
constitutionnelle ne reste pas lettre morte et ne s'en tienne pas seulement à
une portée symbolique. Des mesures volontaristes sont indispensables, telles
que celles qui portent sur le statut de l'élu, le non-cumul des mandats et la
révision des modes de scrutin. On constate en effet que les scrutins à la
proportionnelle facilitent, de fait, l'élection de femmes.
Notre souhait de réformes complémentaires vise non pas à remplacer une élite
masculine par une élite féminine, mais à faire qu'un plus grand nombre de nos
concitoyens et de nos concitoyennes participent à la vie politique et
investissent les lieux de décision.
Au-delà de la sphère du politique, il y a aussi, bien sûr, toutes les pistes
de lois à envisager pour lutter efficacement contre les discriminations dans le
monde professionnel, tant du point de vue du salaire que du point de vue de la
carrière. C'est la première attente des Françaises interrogées dans une toute
récente enquête d'un magazine féminin. Notre rôle de parlementaires est
d'apporter des solutions concrètes à ces problèmes majeurs.
Madame la ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse
d'avoir pu m'exprimer, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, sur
ce sujet de l'égalité des femmes et des hommes, qui, vous l'avez compris, me
tient particulièrement à coeur.
Les embûches et les étapes ont été nombreuses dans la lutte des femmes pour
conquérir leurs droits et parvenir à l'égalité. Je pense notamment au droit de
vote, au droit à l'IGV, à l'accès à la contraception, aux luttes pour l'emploi,
aux luttes pour l'égalité professionnelle.
Aujourd'hui, tout n'est pas réglé, loin s'en faut. Pourtant, cette
modification constitutionnelle peut être un levier pour la conquête d'une plus
grande égalité des sexes, à la hauteur d'une société moderne et démocratique du
troisième millénaire. Le groupe communiste républicain et citoyen est fier d'y
prendre sa part.
Aussi, nous nous opposerons aux amendements de la commission des lois,
préférant la version issue des travaux de l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Madame Luc, Mme Terrade a été écoutée attentivement. J'espère qu'il en sera de
même pour les autres orateurs. Je vous en remercie à l'avance.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
La parole est à M. Weber.
Mme Hélène Luc.
Bien sûr, nous allons écouter attentivement M. Weber !
(Rires.)
M. Henri Weber.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, j'ai écouté, pour ma part, avec beaucoup d'attention les
interventions de nos collègues de la majorité sénatoriale. Ils ne m'ont pas
convaincu.
On peut, je crois, ramener les arguments qui nous ont été proposés aux trois
grands types d'objections que les conservateurs opposent habituellement aux
grandes réformes démocratiques.
(Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste.)
Le premier de ces arguments est l'argument de l'effet pervers. La mesure
que vous projetez, vient de nous dire à l'instant notre collègue Patrice
Gélard, produira exactement l'effet contraire à celui que vous recherchez. En
favorisant les candidatures féminines, votre loi va aboutir à la «
dévalorisation » des femmes élues. L'idée va s'imposer qu'une grande majorité
d'entre elles doivent leur mandat moins à leur mérite qu'à leur appartenance
sexuelle. Leur autorité, leur image, n'en sortiront pas grandies, et encore
moins celles de notre représentation nationale.
Le deuxième argument, également classique, est celui de l'inanité : la réforme
que vous proposez, a dit ce matin notre collègue Guy Cabanel, est vaine et
inutile, car l'évolution spontanée de notre société conduit naturellement et
sans heurt au même résultat. La longue marche des femmes vers l'égalité s'est
accélérée depuis vingt ans. Les Françaises, comme l'ont déjà fait avant elles
les Scandinaves, conquerront la parité par leur propre mouvement, sans qu'il
soit nécessaire de recourir, une fois de plus, à la loi.
Le troisième argument est celui de la mise en péril. En votant cette mesure,
nous a expliqué notre collègue Jacques Larché, vous allez ouvrir la boîte de
Pandore du communautarisme et mille diables vont vous sauter au visage. Si des
mesures spécifiques sont prises en faveur des candidatures féminines, au nom de
quoi refuseriez-vous des soutiens analogues aux catégories sociales qui
s'estiment injustement sous-représentées : les « Afro-Français » - si je me
souviens bien de son expression puisée aux meilleures sources du
Nouvel
Observateur -
les ouvriers, les chômeurs de longue durée ?
Où irait notre République, a-t-il ajouté, si elle désignait ses représentants
non plus sur des qualités universelles, communes aussi bien aux hommes qu'aux
femmes, aux riches qu'aux pauvres, aux noirs qu'aux blancs, aux croyants qu'aux
mécréants - l'intelligence, l'efficacité, le dévouement au bien public - mais
sur les traits particuliers qui différencient les citoyens les uns des autres
?
Vous ai-je bien entendu ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Non !
M. Henri Weber.
Si !
Ces trois arguments, qu'on va sans doute entendre à nouveau cet après-midi, à
mon sens, ne résistent pas à l'analyse.
S'agissant du premier, je ferai remarquer, tout comme notre collègue Patrice
Gélard, qu'il ne manque pas de femmes compétentes, énergiques, courageuses,
qualifiées, dans notre pays pour exercer des mandats électifs, bien au
contraire. Vous en incarnez, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat,
deux exemples remarquables, et vous n'êtes pas seules dans votre cas ni au
Gouvernement ni dans notre pays, loin de là ! Mais force est de constater que
ces capacités ne sont pas souvent sollicitées et,
a fortiori
désignées,
pour les candidatures. D'autres l'ont dit avant moi : si les partis politiques
avaient fait leur travail, en matière d'investiture, nous ne serions pas la
lanterne rouge de l'Europe en matière de présence des femmes dans notre
Parlement et nous n'aurions pas, aujourd'hui, à recourir à l'aiguillon de la
loi.
A ce sujet, je n'aurai pas le masochisme de tenir la balance égale entre les
partis de gauche et de droite. Les premiers ont fait un véritable effort pour
promouvoir la mixité. On ne peut pas en dire autant des seconds.
Si la loi incite et contraint nos partis à présenter davantage de candidates,
je ne crois pas que la représentation nationale aura à en rougir ni les
électeurs à en souffrir.
Aujourd'hui, on compte 120 étudiantes pour 100 étudiants dans nos universités.
Les leaders du dernier mouvement lycéen étaient des lycéennes. De nombreuses
femmes animent nos syndicats et nos associations. Ce ne sont pas les femmes
capables qui manquent, c'est la volonté de leur faire toute leur place.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
L'argument de l'inanité ne tient pas non plus.
Je ne nie pas que de grands progrès aient été accomplis dans la marche vers
l'égalité entre hommes et femmes, et j'ai même la faiblesse de croire que le
mouvement de mai 68 y est pour quelque chose.
Mais Mme Nicole Péry nous a rappelé des chiffres accablants : plus on
s'approche des postes de pouvoir et de prestige, plus la résistance à la
féminisation est forte, plus la présence des femmes est rare. La sphère de la
représentation politique - on l'a vu encore récemment au Congrès de Versailles
- reste largement une chasse gardée. Si l'on s'abandonne au mouvement naturel
de la société, nos enfants et petits-enfants reprendront ce débat dans trente
ans, à peu près au point où nous l'aurons laissé.
Par la brèche ouverte dans l'universalisme républicain, a dit notre collègue
M. Richert, vont s'engouffrer immanquablement d'autres catégories sociales qui
feront valoir elles aussi leur droit à être justement représentées.
A cette objection, vous avez répondu par avance, madame la ministre - ainsi
que plusieurs de nos collègues, dont Mme Derycke et M. Collin - en rappelant
que les femmes ne constituaient ni une minorité, ni une communauté, ni une
catégorie sociale, mais l'autre moitié de l'humanité. J'ajouterai que cette
autre moitié a longtemps été exclue de la citoyenneté, non pas seulement de
fait, comme l'ont été les ouvriers au xixe siècle, ou comme le sont les beurs
et les blacks aujourd'hui, mais de droit, et ce n'est pas une mince
différence.
On agite le spectre d'une République sexuée, alors que pendant près de deux
siècles elle a simplement été sexiste. C'est sous le gouvernement de Léon Blum,
en juin 1936, qu'ont été désignées les premières femmes ministres. Ces
ministres femmes n'avaient pas le droit de vote, « grâce », en particulier, à
la vigilance patriarcale du Sénat. La République a tenu les femmes à distance
de la vie publique. Son suffrage, prétendument universel, n'était que masculin,
sa citoyenneté confinait les femmes dans la sphère privée, son code civil les
traitait voilà peu de temps encore en mineures. La République leur doit
réparation. Elle doit amorcer la pompe qui introduira la mixité effective et la
féminisation de nos institutions.
M. Jean Chérioux.
On n'a pas attendu après vous !
M. Henri Weber.
Les femmes n'auraient pas besoin de discriminations positives pour tenir toute
leur place dans nos assemblées si elles n'étaient pas victimes de tant de
discriminations négatives !
Faciliter leur intégration complète dans notre démocratie, ce n'est pas faire
le lit de la République des quotas, et pas davantage de la République des
genres ; c'est donner au contraire un contenu concret à ces principes
d'universalisme républicain dont nous nous réclamons les uns et les autres.
Cette intégration passe par un plus juste partage des tâches éducatives et
ménagères dans les foyers, par la fin de la double journée de travail, mais
aussi par moins de prévention et d'obstruction de la part des appareils
politiques au moment des désignations aux mandats électifs.
Nous sommes tout autant que vous opposés au communautarisme qui, au demeurant,
est étranger à notre culture politique et à nos traditions, mais nous refusons
de faire de cette opposition un prétexte à l'immobilisme.
Mes chers collègues, l'amendement que nous soumet la commission des lois nous
paraît inopportun pour au moins deux raisons.
La première tient au caractère purement incantatoire de sa formulation : les
partis « favorisent l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats
électoraux... ». Les partis de gauche, vous l'avez reconnu, ont fait des
efforts dans ce sens : le parti socialiste a présenté 30 % de candidates aux
dernières élections législatives et sa liste pour les élections européennes
respectera, comme la précédente, une stricte parité. Je suis curieux de savoir
comment seront composées les vôtres, messieurs de la majorité !
M. Hubert Falco.
La liberté !
M. Henri Weber.
On prend rendez-vous et l'on verra bien !
M. Jean Chérioux.
On n'attend pas après vous !
M. Hubert Falco.
La liberté, mon cher ami !
M. le président.
Je vous prie de bien vouloir poursuivre, monsieur Weber.
M. Henri Weber.
Qu'est-ce qui peut pousser, en effet, les partis conservateurs, si l'on vous
suivait, à se comporter demain autrement qu'hier ? Absolument rien, sinon des
incitations financières qui doivent, au demeurant, rester modérées « pour ne
pas compromettre l'expression démocratique des divers courants d'opinion ».
En limitant les moyens de favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux
mandats électoraux à de modestes « malus » financiers, la commission des lois
révèle tout l'enthousiasme que lui inspire cette bataille pour une véritable
égalité dans l'exercice de la souveraineté.
Avec un tel amendement, mes chers collègues, le Conseil Constitutionnel
pourrait de nouveau retoquer, comme en 1982, un projet de loi proposant
modestement qu'aucune liste aux élections régionales ne puissent compter plus
de 75 % de membres d'un même sexe.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, l'amendement que vous nous
proposez est moins restrictif et plus précis. Il se garde bien d'anticiper sur
les modalités des scrutins qui est l'affaire du législateur, mais il autorise
celui-ci à promouvoir effectivement le principe de mixité, qui est l'autre nom
du principe d'égalité. C'est pourquoi les sénateurs socialistes le voteront
sans réserve.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, depuis quelques années, un mouvement, dont
l'ampleur s'accentue, s'est développé en faveur d'une meilleure participation
des femmes à la vie publique et aux responsabilités politiques.
Evolution des temps ?
Traduction d'un sentiment qui s'affirme ? Selon les sondages, 82 % des
Français sont favorables à la féminisation de la vie politique.
Inquiétudes électorales du monde politique ? Il y a 53 % d'électrices...
Poids grandissant des femmes, fatiguées des barrages qu'elles doivent
franchir, dans un monde qu'elles estiment trop accaparé et trop marqué par
l'élément masculin ?
Insatisfaction de la population qui ne trouve pas les réponses qu'elle attend
dans la vie politique ?
Sans doute toutes ces raisons, qui ne sont pas limitatives, ont-elles leur
poids respectif ; toujours est-il que la loi s'empare aujourd'hui de ce grave
sujet, dans lequel la France ne brille pas par un état d'avancement excessif
!
Mme Nicole Borvo.
C'est joliment dit !
Mme Anne Heinis.
Elle est avant-dernière au classement général dans l'Union européenne, juste
avant la Grèce, avec 82 femmes sur 893 parlementaires, soit 9,18 %, dont 19 au
Sénat sur 321, soit 5,9 %.
Mais il y a des signes intéressants qui se profilent et je n'en citerai que
deux : 30 % des Français élus au Parlement européen sont des femmes, contre 20
% en 1984, et le pourcentage des femmes élues dans les conseils municipaux
progresse très régulièrement. Elles étaient 14 % en 1983, 17,7 % en 1989, 21,7
% en 1995, et c'est bien là qu'est le vivier futur.
Tout sujet grave demande le temps de la réflexion, des échanges pour arriver à
un débat approfondi avant l'élaboration de solutions, et c'est ce qui a
manqué.
Bien sûr, le Sénat et l'Assemblée nationale ont procédé aux auditions d'usage
au Parlement. Mais la solution était choisie d'avance : la parité, sans aucune
autre alternative, ce qui laissait peu de place à une discussion largement
ouverte...
M. René-Pierre Signé.
Il y a bien longtemps qu'on en parle !
Mme Anne Heinis.
... et qui aurait peut-être permis d'envisager d'autres choix, d'y préparer
les esprits avant de devoir en arriver à modifier la Constitution.
Je regrette, entre autres choses, que la mission d'information du Sénat,
malgré ma demande, n'ait pas auditionné quelques très jeunes femmes pour
connaître leur vision des choses. Je doute qu'elle soit la même que celle de
leur mère au même âge !
En témoignent les réactions des jeunes filles élèves à l'Ecole polytechnique
qui se sont senties humiliées par le principe de la parité et des quotas qui
les dévalorisent, et qui ont demandé à leur professeur Mme Badinter de nous
faire part de leur indignation.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
Rassemblement pour la République.)
Modifier la Constitution est un acte grave. Aucun pays du Nord que l'on
nous cite en exemple n'a utilisé ce moyen.
Ce sont les partis politiques eux-mêmes qui ont fixé des règles au sein de
leurs formations ; cela est tout de même à méditer !
A l'époque où l'on se plaint, à juste titre, de la perte de repères, on ne
devrait, à mon sens, toucher à la Constitution qu'avec des doigts de velours et
seulement en cas d'absolue nécessité.
Or, tant la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans ses articles
Ier, III et VI, que le préambule de la Constitution de 1946, intégré dans la
Constitution de 1958, posent formellement les principes nécessaires : « La loi
garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de
l'homme. »
Depuis l'origine, toute la difficulté, en France, réside dans la mise en
oeuvre de ces principes, qui relève plus de la volonté politique et de
l'évolution des mentalités que de la loi constitutionnelle.
C'est sur l'éducation et la formation des esprits, en particulier au sens
civique, que devront porter nos efforts. Anne-Marie Couderc souligne très
justement qu'il faudra une grande volonté de la part de tous les acteurs,
hommes et femmes, car il faudra que les partis politiques, encore à dominante
masculine, acceptent de jouer le jeu et que les femmes acceptent de s'investir
courageusement, faute de quoi les dés seront pipés !
Laurence Parisot, P-DG de l'IFOP à trente et un ans, dit : « Je n'ai pas eu
besoin de quota pour réussir, j'ai eu besoin de travail et de courage. »
(Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Odette Terrade.
Tout dépend des situations et des milieux sociaux !
M. René-Pierre Signé.
Mauvaise démonstration !
Mme Anne Heinis.
Elle ajoute : « Ce qui compte le plus pour une femme, c'est l'exemplarité.
Plus les femmes verront des femmes qui réussissent, plus elles prendront
confiance en elles pour se lancer à leur tour, sans complexe. » C'est
exactement la même chose en politique !
Sur un autre plan, la notion de « parité », sous son apparente simplicité,
pose de nombreux problèmes.
Elle pose d'abord un problème d'ordre constitutionnel qui a amené
successivement l'Assemblée nationale puis le Sénat à modifier le projet
initial, la commission des lois du Sénat renvoyant à juste titre le texte aux
partis politiques directement concernés.
Egalité de nombre ? Egalité d'accès ? Egalité de résultats ? Egalité des
chances ? L'approche est complexe.
En tout état de cause, seule la proportionnelle, avec les risques de
politisation excessive et les vices de blocage de l'exécutif qu'on lui connaît,
permet l'égalité du nombre, excluant du même coup le scrutin uninominal, qui
seul permet l'émergence de candidats libres, garantie de liberté.
(Très bien
! sur les travées du RPR.)
A titre d'exemple, en 1986, la proportionnelle, avec 33 % de candidates,
n'a donné que 5,89 % de femmes élues, tout simplement parce que les femmes
n'étaient pas dans un rang éligible. Dont acte !
C'est donc à très juste titre que M. Allouche pose la question de la
compatibilité entre une logique philosophique universaliste et la logique
d'action politique. C'est là toute l'ambiguïté, car ces deux logiques ne sont
pas du même ordre. La première répond, en effet, à une logique de
représentation, et la seconde à une logique d'action.
Non ! le nombre n'est pas tout, même s'il est important, et le risque de
n'avoir aucun poids politique parce qu'on ne représente que des « quotas »
existe bel et bien, comme le souligent Françoise Hostalier, ainsi qu'Evelyne
Pisier et bien d'autres.
Dans l'action, la détermination des responsables pèse lourd.
Ainsi, aux dernières élections législatives, la volonté politique de leur
leader, favorisée par le fait qu'ils avaient moins de sortants, a permis aux
partis de gauche de faire élire un nombre de femmes députés considérablement
plus important que par le passé, alors qu'il n'y avait eu, entre 1993 et 1997,
ni mesures contraignantes ou incitatives, ni modification du mode de scrutin.
Quel excellent exemple !
En outre, l'effet « quota » peut se retourner contre le but que l'on se fixe.
Les Américains en font l'amère expérience, car les gens ne sont plus choisis
pour leurs compétences et leurs qualités, mais en fonction de simples critères
mathématiques. Ils ne sont plus que des pions.
M. Lucien Lanier.
Très bien !
Mme Anne Heinis.
Il faudra bien qu'un jour le balancier revienne à un certain équilibre entre
une conception de la femme presque uniquement considérée comme génitrice de la
tribu ou du clan, pour laquelle les progrès techniques et sociaux peuvent
alléger - Dieu merci ! - de nombreuses contraintes, et une conception éthérée
et immatérielle selon laquelle nous sommes tous des êtres asexués.
Oui ! hommes et femmes, nous sommes égaux en droit et en dignité, mais nous
sommes différents et faits pour être complémentaires, ce qu'on oublie trop.
C'est vrai dans l'ordre naturel, mais aussi dans l'ordre des sociétés, si l'on
veut que celles-ci soient harmonieuses et équilibrées, ce qui n'est pas
exactement le cas.
Pardonnez-moi de vous le dire, madame le garde des sceaux, le gadget de la
féminisation autoritaire des titres et des fonctions ne me paraît ni conforme
au génie de notre langue, qui a ses subtilités admirables et particulières, ni
porteur de progrès, car il ne faut pas rendre petits de grands sujets par
l'insignifiance des moyens qu'on leur attache. En agissant ainsi, on les
défavorise.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Que les femmes, puisqu'il s'agit d'elles, prennent garde à ne pas être élues
a minima,
c'est-à-dire par défaut, alors que l'objectif est qu'elles
puissent apporter leurs capacités et leur spécificité aux différents niveaux
d'exercice des responsabilités, et ce en coresponsabilité avec les hommes.
Faciliter l'accès des femmes à la vie politique est une chose, et il faut le
faire. Vous imaginez bien, mes chers collègues, que ne je peux que le souhaiter
et y participer dans la mesure de mes moyens.
Mais les femmes ont-elles tellement envie d'aller dans la politique telle
qu'elle est pratiquée actuellement ? C'est aussi une question importante
!...
Et, si le spectacle du champ politique transformé en arène permanente déplaît
tant à nos concitoyens qu'ils s'en détournent de plus en plus, disons, pour
faire une concession grammaticale qu'il déplaît encore plus à nos concitoyennes
!
A ce titre, le langage est parfois tragiquement révélateur. Un des domaines où
l'on entend qualifier un homme de « tueur » est le milieu politique, même s'il
en est d'autres... On ne parle pas de « tueuse » ! Souhaitons qu'on n'en arrive
pas là !
En réalité, nous avons besoin de combats loyaux, car la politique est toujours
un combat, mais elle ne doit pas être réduite à un champ de bataille, à des
affrontements stériles forts loin des préoccupations de la population.
Si les femmes, pour différentes raisons, ont encore peu investi le domaine
politique, en revanche, en moins d'un demi-siècle, elles en ont pris d'autres
d'assaut, en particulier le monde du travail, ce qui n'est pas sans poser
parfois quelques problèmes d'équilibre et d'efficacité dans certains métiers,
comme l'enseignement, la magistrature, le milieu hospitalier et bien d'autres,
qui ont besoin d'une mixité adaptée.
Nous sommes le pays développé avec le plus fort taux d'activité féminin : 45,7
% en moyenne, mais 73 % dans la tranche d'âge de vingt-cinq à quarante-neuf
ans.
En outre, les femmes représentent 34 % des cadres et des professions
intellectuelles, contre 25 % voilà quelques années, 86 % du corps infirmier, 77
% dans la santé et le social, avec 41 % du corps médical.
Il faut également noter qu'il y a un homme pour vingt-cinq femmes dans la
dernière promotion des médecins scolaires.
Les femmes représentent 45 % des effectifs de la magistrature, 65 % de
l'enseignement primaire, 50 % de l'enseignement secondaire, contre seulement 10
% de professeurs d'université.
Malheureusement, on retrouve cette décroissance des taux en fonction du
niveau, un peu partout, car les femmes accèdent encore assez peu aux postes de
décision, ce qui est dommage, notamment à la haute fonction publique désignée
par le Gouvernement. Sans doute celui-ci, madame le garde des sceaux, qui nous
donne des leçons aujourd'hui, serait-il le bienvenu en donnant l'exemple,
d'autant que, l'an dernier, au concours de l'ENA, 40 % des reçus étaient des
filles.
Dans le milieu de l'entreprise, les femmes représentent 26 % des chefs
d'entreprises, mais 30 % des créateurs d'entreprises, de taille assez petite
puisqu'elles ne dirigent aucune des cent premières entreprises françaises bien
qu'à taille égale leurs entreprises affichent, en moyenne, de meilleurs
résultats.
Il convient toutefois de noter une exception intéressante, les femmes ne
constituent que 4,2 % de la population carcérale.
Serait-ce un progrès que d'en compter 50 % ? Je ne le crois pas et, sans
doute, vous non plus.
De ces quelques chiffres, on peut, me semble-t-il, tirer quelques
enseignements.
Une évolution dynamique est en cours et, contrairement à ce que croient
certains en toute bonne foi, je pense qu'elle va s'accélérer, car cette fin de
siècle va vite, jusqu'à ce que le mouvement change de nature, avec une nouvelle
distribution des cartes.
Prééminence des femmes après celle des hommes ? Ce serait tout aussi
fâcheux.
Equilibre constructif enfin trouvé ? Ce serait l'idéal, car il me semble que
nous sommes faits pour que nos qualités respectives se complètent et nos
défauts se compensent. Il n'y pas une partie de l'humanité qui soit meilleure
que l'autre !
Ces chiffres semblent bien montrer aussi que les femmes veulent user de leur
liberté relativement nouvelle, historiquement, pour faire les choix qui leur
conviennent, dans les domaines qui les attirent, ce qui me semble bien loin
d'une sorte d'égalitarisme paritaire.
Il ne faut pas confondre discrimination et différence. La discrimination est
arbitraire, alors que la liberté se nourrit de la différence, à condition que
la liberté ne soit pas écrasante, sous peine de s'autodétruire, entraînant dans
sa chute les plus faibles et les moins armés pour combattre.
Mais c'est là un autre débat ! Et le débat d'aujourd'hui, c'est la
modification de l'article 4 de la Constitution.
Le Sénat, fidèle en cela à sa tradition qui est de privilégier les solutions
constructives par rapport à un simple refus, nous propose de confier aux partis
politiques la responsabilité de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes
aux mandats électoraux et aux fonctions électives ; mais il faudra que les
partis fassent beaucoup d'efforts !
Le Sénat nous propose également de permettre que les règles relatives au
financement public des partis politiques puissent contribuer à la mise en
oeuvre de ce principe.
Mais des amendements vont peut-être modifier ces propositions.
Mme Tasca, dans son rapport, résume parfaitement la situation telle qu'elle se
présente aujourd'hui : « Curieux pays que celui où nous vivons, les principaux
responsables politiques s'accordent sur le constat et les solutions qui
pourraient améliorer la place faite aux femmes dans la vie publique française,
mais ils jugent nécessaire que des lois, y compris constitutionnelles, les y
contraignent. Le juridisme étatique français s'exprime ici avec éclat, mais
peut-on échapper à sa culture et à son histoire ? »
Ce que j'aurais souhaité, c'est justement qu'on échappe enfin à ce carcan qui
nous paralyse dans tous les domaines.
Je réaffirme donc mon hostilité profonde à la modification de la Constitution
sur ce sujet qui aurait mérité, à mon sens, une approche beaucoup plus large et
non une sorte de détournement politique de la question. La modification
éventuelle de la Constitution n'aurait dû être qu'une hypothèse en cas de
nécessité, pour permettre l'aboutissement des discussions.
Je suis également défavorable à l'introduction dans la Constitution des
éléments relatifs au financement des partis. Ce n'est pas la place de tels
dispositifs.
Mon objectif est, non seulement de ne pas nuire à la cause de la féminisation
de la vie politique - que je défends - mais de la servir.
M. René-Pierre Signé.
Vous le faites fort mal !
Mme Anne Heinis.
Or, aucun des textes dont nous avons débattus ne donne vraiment
satisfaction.
Je déplore d'être obligée de me prononcer sur un projet de loi qui risque de
se transformer en un piège. En conséquence, personnellement, je réserve mon
vote jusqu'à la fin des débats.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, je tiens à souligner l'excellente qualité du
travail effectué par la commission des lois et dire combien j'ai apprécié les
interventions de mes collègues de la majorité sur le présent texte de loi. Je
m'associe à leurs remarques. Permettez-moi cependant d'apporter ma modeste
contribution.
Le constat qui est sans appel de l'insuffisante représentation des femmes dans
la vie politique française ne doit pas nous conduire aujourd'hui à un simple
vote de « bonne conscience ». Le projet de révision constitutionnelle qui nous
est soumis est critiquable à plusieurs égards et semble oublier, voire ignorer,
les principes qui fondent la démocratie et notre droit constitutionnel. Non
seulement ce projet porte atteinte à l'indivisibilité de la souveraineté, dont
le citoyen est titulaire, mais il risque également de porter atteinte à la
dignité de la femme dans les implications qu'il comporte.
Est-il besoin de procéder à une révison surabondante, alors que le principe
d'égalité des sexes est déjà consacré par notre texte constitutionnel ? En
effet, le troisième alinéa du préambule de la constitution de 1946 précise que
« la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux
de l'homme ».
Si le terme de parité n'apparaît pas dans la rédaction actuelle du projet de
loi, c'est bien de l'égalité parfaite qu'il s'agit ; il suffit pour cela de se
reporter à l'exposé des motifs. Or ce projet - tant dans sa rédaction initiale
que dans celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale - impliquera la
faculté accordée au législateur d'établir des quotas.
Cette révision n'a finalement qu'un seul but : inscrire la discrimination
positive dans notre Constitution et ainsi surmonter la censure du juge
constitutionnel qui, dans sa décision du 18 novembre 1982, rappelait le
principe de l'indivisibilité du peuple et de la République.
Cette importante décision du Conseil constitutionnel a servi de fondement à la
décision non moins importante du 9 mai 1991 refusant la notion de « peuple
corse ». J'ajouterai également que la même application de la jurisprudence de
1982 vient d'être faite par le Conseil constitutionnel le 14 janvier 1999
concernant la loi sur le mode de scrutin régional ; MM. Bonnet et Gélard l'ont
rappelé à juste titre.
Si la jurisprudence que je viens de rappeler est moins fondée sur l'égalité
que sur l'indivisibilité du peuple français, c'est bien à ce principe qu'il est
porté atteinte aujourd'hui par ce projet de loi.
Les dispositions de l'article 3 de la Constitution consacrent le principe
selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple », le caractère «
universel, égal et secret » du suffrage, la qualité d'électeurs des « nationaux
français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques
».
Les dispositions de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyende 1789 proclament l'égalité devant la loi.
Le rapprochement de ces deux articles s'oppose à toute division par catégories
des électeurs ou des éligibles. Ce point a été souligné par le professeur Jean
Boulouis, que je me permets de citer : « Il paraît ainsi tout à fait clair
qu'il ne s'agit par tant d'égalité que d'identité, les citoyens n'étant pas
identiques parce qu'ils sont égaux, mais étant égaux parce que leur qualité les
fait par définition identiques, "toute division par catégorie des électeurs en
des éligibles" ne pouvant qu'être exclue ».
Une différenciation au sein du corps électoral risquerait d'ouvrir la boîte de
Pandore de tous les communautarismes.
(M. Claude Estier proteste.)
Pourquoi ne pas pousser la logique de la parité à d'autres catégories de la
population, notamment en matière socioprofessionnelle ou encore religieuse ?
Combien de personnes se sont émues du nombre important de fonctionnaires qui
siégeaient à l'Assemblée nationale ? On pourrait très bien dénoncer également
cette surreprésentation d'un corps professionnel et demander que soit assurée
une plus juste répartition des différentes professions au sein d'une assemblée
!
M. Claude Estier.
Cela n'a rien à voir !
M. Jean Chérioux.
Cela n'a rien à voir parce que cela vous gêne !
M. Alain Vasselle.
L'égalité ne se fonde pas sur la différenciation. L'humanité est universelle
et irréductible ; ce principe transcende les différences catégorielles. Revenir
sur le principe d'universalité équivaut à revenir sur les fondements de notre
République et de la démocratie. Nous risquons aujourd'hui d'introduire, pour
reprendre l'expression d'Elisabeth Badinter, le biologique dans le
politique.
M. Henri Weber.
Pauvre Elisabeth !
M. Alain Vasselle.
Il faudrait éviter que le remède ne soit pire que le mal. Une égalité
effective dans la représentation des institutions publiques, acquise au moyen
de quotas, n'est qu'une humiliation supplémentaire infligée à la femme
(M. Claude Estier proteste),
car, d'une façon générale, la règle du
quota, même décidée avec des intentions louables, n'est pas exempte de
conséquences dangereuses. Au-delà des discriminations à rebours qu'elle peut
entraîner, cette règle peut se retourner contre les femmes et faire planer un
doute sur la qualité des personnes concernées.
Ces conséquences ont pu être observées dans la pratique des politiques
d'
affirmative action
aux Etats-Unis. Si la Cour suprême n'a pas condamné
ces politiques, elle en a restreint considérablement aujourd'hui
l'utilisation.
Sur le plan communautaire, le débat reste encore très vif. Dans un arrêt du 17
octobre 1995 - l'arrêt Kalanke - la Cour de justice des Communautés européennes
a considéré que la discrimination positive était contraire à une directive de
1976 interdisant toute discrimination fondée sur le sexe. Bien que la Cour ait
nuancé récemment son interprétation dans un arrêt du 11 novembre 1997 - l'arrêt
Marschall - le débat n'est pas clos. Si le traité d'Amsterdam admet la
discrimination positive, ce n'est que dans le domaine professionnel, et non
dans le domaine de la représentation politique.
Nos regards doivent également se tourner vers nos voisins. On nous cite très
souvent les pays nordiques en exemple. En effet, en Suède, 43 % de femmes
siègent au Parlement. La France à côté fait figure de mauvaise élève. Cependant
ces pays n'ont pas garanti une bonne représentation des femmes dans la vie
politique en modifiant leur Constitution ! L'égal accès des femmes aux
institutions publiques a été réalisé par des mesures volontaristes à
l'intérieur des partis politiques. La Belgique a bien essayé d'imposer des
quotas à 25 % lors des élections municipales de 1994, mais le taux n'a pas été
atteint, faute de candidates !
Au problème que je viens de soulever s'ajoute l'ambiguïté d'une rédaction
imprécise de l'article unique du projet de loi que le texte voté par
l'Assemblée nationale n'a pas levée. En effet, le texte initial du projet
dispose : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
et fonctions. » Le texte adopté par l'Assemblée nationale dispose : « La loi
détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes
et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »
Le terme « favorise » substitué au terme « détermine » accentue-t-il ou
atténue-t-il l'obligation de faire ce qui incombe ici au législateur ? Car il
s'agit bien d'un blanc-seing qui lui sera donné par le constituant.
Comme l'a souligné d'ailleurs le doyen Georges Vedel, « le projet de révision
n'énonce aucun principe qui pourrait guider le législateur. Le vrai débat de
principe n'est pas celui de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui est
réglé depuis un demi-siècle, mais celui de savoir jusqu'où, pour assurer
l'égalité de fait entre les deux sexes, on peut limiter en droit la liberté de
choix de l'électeur ».
La liste des problèmes soulevés ne s'arrête pas là. Le principe d'égal accès
aux mandats électoraux serait difficilement réalisable dans le cadre des
scrutins uninominaux. Faudrait-il réserver des circonscriptions aux femmes et
des circonscriptions aux hommes ? Sur quels critères ?
Assurément, il faut réaliser l'égalité entre les hommes et les femmes dans les
institutions publiques. Cependant, si vous me permettez cette formule, parce
que la femme est un homme comme un autre, il ne faut pas modifier notre texte
fondamental.
Rien dans la loi aujourd'hui ne s'oppose ou n'interdit à une femme de se
porter candidate à des élections, que ce soit dans le cadre d'élections
organisées au scrutin uninominal majoritaire à deux tours ou dans le cadre
d'élections à la proportionnelle.
Pour assurer l'effectivité de l'égalité des sexes, d'autres voies restent
ouvertes, d'autres pistes doivent être examinées, au premier rang desquelles je
citerai la volonté des partis politiques. Parce que les partis concourent à
l'expression du suffrage, ceux-ci doivent prendre leurs responsabilités et
accélérer un processus déjà amorcé ces dernières années.
La commission des lois a proposé un amendement tendant à une nouvelle
rédaction de l'article unique du projet de loi consitutionnelle pour compléter
non plus l'article 3 de la Constitution, mais l'article 4.
L'incitation des partis politiques à présenter un plus grand nombre de femmes
pourrait, selon M. le rapporteur, se réaliser, en particulier par la modulation
du financement public des partis.
L'amendement proposé par la commission des lois complète de la manière
suivante l'article de la Constitution : les partis politiques « favorisent
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives ».
« Les règles relatives à leur financement public peuvent contribuer à la mise
en oeuvre du principe énoncé à l'alinéa précédent. »
Si le premier alinéa ne pose pas de problème de fond, il en va tout autrement
de ce dernier alinéa que je viens de rappeler. La rédaction adoptée ne permet
pas de nous garantir l'absence de mesure législative mettant en oeuvre le
principe d'égalité par l'intermédiaire soit de primes incitatrices, soit de
sanctions réductrices qu'il faudrait à mon sens rejeter. Je partage donc le
point de vue de M. Bonnet et je soutiendrai son amendement tendant à supprimer
ce second alinéa.
A la volonté des partis politiques doit s'ajouter une mobilisation plus
importante des femmes. L'insuffisante représentation de celles-ci ne résulte
pas exclusivement de l'attitude des hommes.
Ce projet de loi constitutionnelle soulève de nombreuses critiques et
interrogations. Appartient-il à l'Etat de prôner un certain modèle ? La
représentation politique se fonde-t-elle sur ce qui différencie ou sur ce qui
est commun ? A-t-on le droit de modifier la conception de la souveraineté et de
son mode d'exercice ?
Mes chers collègues, je laisse à vos réflexions ces questions et j'espère que
nous trouverons la réponse à travers votre vote majoritaire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, mon intervention vient en complément de celle de
ma collègue Odette Terrade, dont je partage totalement l'analyse.
Le groupe communiste républicain et citoyen a deux représentants, Robert Bret
et moi-même, au sein de la commission des lois. Je veux ici brièvement évoquer
notre étonnement sur le cours pris par la discussion au sein de cette
commission et sur l'art qu'ont nos collègues de droite de contourner les vraies
questions. Je voudrais aussi dire que nous désapprouvons les conclusions de la
commission des lois.
Il y a manifestement un déphasage considérable entre les messages délivrés par
la Haute Assemblée et l'aspiration à la modernisation de la vie politique dont
la parité est un pilier. A cet égard, il faut donc se méfier des sondages
évoqués tout à l'heure par M. le président de la commission des lois.
L'opinion publique n'aime pas les gadgets, le clinquant d'annonces non suivies
d'effet. Ce fut d'ailleurs fatal au Gouvernement Juppé si hâtivement constitué
en 1995.
Ce qui est proposé aujourd'hui répond au contraire à une aspiration profonde
de la société et est porté par un gouvernement au sein duquel les femmes jouent
un grand rôle et donnent, par leur talent, leur dynamisme et leur simplicité,
une nouvelle dimension à la pratique gouvernementale.
La parité, même si elle doit rester un chantier sur lequel il faut travailler
avec beaucoup de patience, sera, si elle est votée, un tournant important de la
vie politique française.
Face à cela, que dit la commission des lois ? Son président et son rapporteur
l'ont rappelé.
Premièrement - cela a déjà été dit - notre commission s'appuie sur la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, article VI : « La loi
est l'expression de la volonté générale. (...) Tous les citoyens étant égaux à
ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois
publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs
vertus et de leurs talents. »
Dès lors, en quoi la parité serait-elle discriminatoire ? La discrimination
n'est-elle pas dans l'emploi du mot : « citoyen », qui est au seul genre
masculin, puisque c'est de cela qu'il s'est agi ?
Il y a en fait une réticence tenace à conjuguer l'universalisme dans sa
totalité.
Le second argument réside dans cette insistance de la commission à souligner
que l'on glisserait vers le communautarisme après une telle révision
constitutionnelle. Mais y a-t-il un seul parti politique qui défende les
quotas, qui demande une place particulière pour une minorité religieuse,
ethnique ou culturelle ? Pourquoi agiter ce leurre, alors que les femmes ne
sont pas une catégorie, mais qu'elles sont la moitié de l'humanité ?
(Très
bien ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Enfin, la commission a conclu - on l'a entendu dans la bouche de divers
orateurs - à la responsabilité des partis politiques. Certes, ceux-ci ont leur
responsabilité mais, mes chers collègues, une responsabilité inégale. Nous ne
sommes pas exactement sur le même plan par rapport à cela, y compris dans les
scrutins de liste, comme le rappelait M. le rapporteur. Ainsi, en 1994, lors
des dernières élections européennes, seules les listes se réclamant de la
gauche et de l'extrême gauche ont atteint la parité.
Mais le parti communiste français, qui a dans ce domaine une tradition que
vous n'avez pas, a accompli des efforts que vous n'avez pas fais !
M. Alain Vasselle.
Vous n'avez pas eu besoin de la loi pour cela !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous avez remplacé une femme au Sénat !
M. Michel Duffour.
Je suis l'un des représentants du département des Hauts-de-Seine, avec vous,
monsieur Ceccaldi-Raynaud. Sur trois députés communistes, deux sont des femmes
; sur cinq municipalités, trois sont dirigées par des femmes !
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Michel Duffour.
Dans un département où nous avons fait des efforts...
M. Alain Gournac.
Continuez !
M. Michel Duffour.
... et où nous avons obtenu des résultats, nous convenons nous-mêmes qu'il
faut évidemment aller plus loin, car la lenteur des changements est trop
grande. Il est donc indispensable de légiférer pour, progressivement
probablement, mais rapidement à coup sûr, changer la donne sur ce plan-là.
M. Alain Vasselle.
C'est un signe de faiblesse !
M. Michel Duffour.
C'est un signe de force, monsieur Vasselle !
M. Alain Vasselle.
Vous n'êtes pas capables tout seul d'augmenter le nombre de femmes, il vous
faut une loi pour y parvenir. C'est de la faiblesse, c'est de l'incapacité !
M. Michel Duffour.
Vous, dans l'Oise, vous ne pourriez pas citer des chiffres comparables !
M. le président.
Monsieur Vasselle, vous avez été écouté silencieusement ; veuillez faire en
sorte qu'il en aille de même pour vos collègues.
M. Alain Vasselle.
C'est parce qu'il n'y avait rien à redire à ce que j'ai dit !
M. Michel Duffour.
M. Gélard a affirmé que nous étions tous d'accord sur le constat - il serait
difficile de ne pas l'être - mais que nous n'étions pas d'accord sur les
thérapies. Mais a-t-on entendu dans cette partie de l'hémicycle l'ébauche d'une
thérapie quelconque ?...
J'ai entendu M. Gélard parler du Bangladesh,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Parlez-nous des Hauts-de-Seine !
M. Michel Duffour.
... de l'Union soviétique, du Pakistan pour conclure, avec raison, que
l'exemple ne pouvait venir de là mais qu'il n'y avait aucune solution pour un
régime démocratique.
Soyons francs, dans toute la discussion qui s'est déroulée en commission, se
profilait en arrière-pensée la crainte d'un changement de mode de scrutin. Vous
le savez : nous sommes, nous, communistes, partisans de la proportionnelle.
Nous pensons que c'est le meilleur scrutin et que, à court terme, il sera
nécessaire d'insuffler une dose de proportionnelle, mais, aujourd'hui, ce n'est
pas la question.
Alors, mes chers collègues, va-t-on sacrifier la parité, qui est une question
de principe, une question de civilisation, une question fondamentale, à des
craintes subalternes sur un mode de scrutin ?
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, les réformes constitutionnelles sont pour nous
l'occasion d'un véritable retour aux sources. Elles nous permettent
d'appréhender ce qui constitue l'essence même de notre République ; elles
requièrent que nous nous plongions dans les débats passionnants, souvent
divergents, qui animent habituellement plutôt nos philosophes, sociologues ou
anthropologues.
Aujourd'hui, notre objectif - partagé, je l'espère - est de tendre, plus
encore qu'hier, vers une réelle démocratie, vers un « pouvoir du peuple » plus
accompli, une démocratie dont les institutions ont trop longtemps confisqué le
droit de vote à une partie du peuple puisque 1789 n'a pas voulu des deux sexes
en politique, une démocratie au sein de laquelle la fonction représentative
demeure, dans les faits, très difficilement accessible à l'une des deux
composantes de notre société.
Cette aspiration légitime rencontre l'adhésion d'une large majorité des
Français. Toutefois, les moyens pour y parvenir semblent nous diviser.
Il y a ceux pour qui seules des initiatives volontaristes permettront de
surmonter ce qui fait obstacle à l'accession des femmes aux mandats électoraux
et aux fonctions électives. Et puis il y a ceux qui préfèrent, encore et
toujours, miser sur la bonne volonté des partis politiques.
C'est cette approche qu'entend privilégier la majorité sénatoriale. C'est
cette approche qui nous vaut aujourd'hui l'avant-dernière place au palmarès
européen de la présence des femmes dans les assemblées.
Mes chers collègues, la proposition que nous soumet la commission des lois,
c'est un enterrement de première classe des espoirs suscités par la
mobilisation des femmes, par les bons résultats obtenus par les candidates aux
dernières législatives, par les engagements des plus hauts responsables de
notre pays que sont le Président de la République et le Premier ministre.
Au coeur de notre débat figurent les principes fondateurs que sont la
souveraineté, la liberté et l'égalité du peuple, l'universalité du suffrage.
Ils furent des concepts d'émancipation mais consitutent aujourd'hui, ironie du
sort, des obstacles aux mesures volontaristes qui sont, indéniablement, un
préalable à l'amélioration de la représentation des femmes dans nos assemblées.
Les exégètes du principe d'universalisme en sont eux-mêmes bien conscients.
Le Président de la République, le Premier ministre et nos collègues députés,
en modifiant l'article 3, nous proposent d'envisager que l'expression de la
souveraineté tienne compte désormais d'une réalité bien tangible : la mixité du
peuple français, la mixité des citoyens électeurs et, en conséquence, la mixité
de ceux qui les représentent.
Cette proposition est-elle si iconoclaste et si porteuse de dérives vers un
communautarisme, étranger jusqu'ici au système français ?
Permettez-moi d'éprouver un malaise face à certaines assimilations tendant à
mettre sur le même plan les aspirations vers une plus juste représentation des
femmes et celles de communautés se constituant sur la base d'une origine, d'une
religion ou d'un handicap commun.
Nos discussions suscitent une autre question : les femmes élues
apportent-elles « un plus » au débat politique, ont-elles une réelle
spécificité ?
Après tout, des lois aussi fondamentales que celles qui portaient sur la
contraception, la dépénalisation de l'avortement, l'autorité parentale ont été
portées, votées par des hommes. MM. Badinter et Neuwirth peuvent en
témoigner.
Mais ne croyez-vous pas que des assemblées plus féminisées auraient engagé ces
réformes plus tôt ?
Mes chers collègues, hommes ou femmes, nous sommes élus pour défendre et pour
incarner des projets politiques dans lesquels se retrouvent nos concitoyens.
Nous contribuons chacune, chacun, par notre expérience, par notre parcours, à
apporter des éclairages différents à nos travaux parlementaires.
Ce n'est pas, me semble-t-il, prendre le risque de sombrer dans un «
différentialisme », sujet de bien des polémiques, que de vouloir se donner les
moyens d'instaurer un plus juste équilibre de nos assemblées.
Par ailleurs, soumettre au suffrage des électeurs des listes composées à
parité d'hommes et de femmes est-elle une violation de la liberté de l'électeur
?
Je relève que l'on ne s'est guère posé cette question au cours des nombreuses
élections où la plupart des listes étaient essentiellement, pour ne pas dire «
exclusivement », composées d'hommes ?
Qui peut, aujourd'hui, raisonnablement prétendre que les stratégies
volontaristes mises en oeuvre aux élections européennes ou législatives ont
violé la liberté de l'électeur, sauf à renoncer au système d'investiture par
les partis politiques ?
Notre collègue Dinah Derycke a bien su, ce matin, décoder ce que sous-tendent
les craintes de la majorité sénatoriale, qui, de toute évidence, redoute de
devoir recourir à la loi, expression de la volonté générale, élaborée par des
représentants élus, pour déterminer les conditions d'égal accès des hommes et
des femmes aux mandats électoraux.
Alors que l'accent est mis depuis plusieurs années sur le renforcement du rôle
du législateur, c'est un renoncement surprenant.
La majorité sénatoriale a déjà refusé le projet de loi tendant à limiter les
possibilités de cumuler les mandats, projet qui pourtant contribuerait au
rééquilibrage de la participation des femmes et des hommes dans les assemblées
élues.
Va-t-elle de nouveau enrayer le processus de modernisation de la vie publique
si nécessaire à notre démocratie ?
Nous attendons depuis trop longtemps que, dans la sphère politique, l'égalité,
pilier de la devise de notre République, n'en reste pas au stade de la
déclaration de principe.
C'est ce défi que nous devons relever aujourd'hui. A chacun de prendre ses
responsabilités, mes chers collègues. Les socialistes prendront les leurs !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou.
« Pour que la société soit transformée ne faut-il pas que la femme intervienne
aujourd'hui dans les affaires publiques ? ». Ainsi s'exprimait George Sand en
1848. Depuis, la situation des femmes en politique a certes évolué, mais à pas
comptés.
Cent ans après, grâce au général de Gaulle, nous avons enfin obtenu le droit
de vote. Mais que d'obstacles à franchir encore pour que la représentation des
femmes ne reste pas aussi faible, sinon marginale !
En effet, après plus de cinquante ans d'exercice des droits civiques, nous,
les femmes parlementaires, ne représentons toujours que 10,5 % des députés et
moins de 6 % des sénateurs.
A eux seuls, ces deux chiffres montrent à quel point les femmes sont encore
très largement tenues à l'écart de la vie politique et du pouvoir.
Cette « exception française » que constitue la faible représentation des
femmes en politique nous distingue singulièrement des autres démocraties
européennes. La France est, avec la Grèce, la lanterne rouge des pays européens
dans ce domaine.
Comment expliquer cette situation ?
Il y a certes un héritage historique, mais aussi le fait que, dans nos
mentalités, il est dans l'ordre naturel des choses de répartir les rôles entre
hommes et femmes en réservant aux hommes la vie publique et aux femmes les
responsabilités de la vie privée.
Mais le passé n'explique pas tout. En Espagne, notre pays voisin au même passé
religieux et culturel que le nôtre, après qu'ont été prises des initiatives
pour féminiser l'institution, il y a près de 25 % de femmes au Parlement.
A titre personnel, pour avoir été pendant plusieurs années la seule femme
présidente d'un conseil général, ayant occupé pendant neuf années cette
fonction, j'ai pu mesurer le privilège que constituait parfois l'exception mais
aussi les difficultés qu'il fallait surmonter. J'ai pu constater qu'il régnait
une certaine méfiance à l'égard des actions conduites par une femme exerçant un
véritable pouvoir décisionnel et que des jugements beaucoup plus sévères leur
étaient réservés. En effet, nos mentalités réservent presque exclusivement ce
pouvoir décisionnel aux hommes.
(Mmes Cerisier-ben Guiga, Printz et Terrade
applaudissent.)
Je veux bien croire qu'il se dessine aujourd'hui une évolution plus favorable
et je m'en réjouis.
Cependant, je suis convaincue que seule la présence d'un plus grand nombre de
femmes dans la vie politique permettra d'accélérer cette évolution.
(Applaudissements sur certaines travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
En effet, ce déséquilibre contribue beaucoup plus qu'il n'y paraît au
décalage entre la société civile et la classe politique.
Cette situation me semble constituer un grave danger pour l'équilibre de notre
démocratie, qui devrait être le reflet de notre société composée pour plus de
la moitié de femmes.
Aujourd'hui, chacun est désormais convaincu que le faible nombre de femmes
élues constitue à la fois une injustice flagrante et le signe d'un
dysfonctionnement de la démocratie.
Face à ce constat d'échec, comment pouvons-nous favoriser l'accès des femmes
aux mandats électoraux et aux fonctions électives ?
Ici même, au Sénat, nous avions engagé une réflexion à ce sujet au sein de la
mission commune présidée par Mme Olin, chargée d'étudier la place et le rôle
des femmes dans la vie publique.
Plusieurs solutions avaient été examinées, parmi lesquelles la parité et la
modulation du financement public des partis politiques en fonction de la
proportion des candidatures féminines.
Aucune de ces solutions n'est véritablement satisfaisante et, pour ma part, je
trouve choquant que nous soyons dans l'obligation d'imposer la contrainte pour
corriger une lacune criante, parce que les partis n'ont pas su mettre en oeuvre
la responsabilité qu'ils détiennent de l'article 4, parce qu'ils n'ont pas su
favoriser l'accès des femmes en politique.
Je me réjouis néanmoins aujourd'hui de la tenue de ce débat, qui présente à
mon sens un immense avantage : celui de sensibiliser l'opinion publique,
d'ailleurs favorable à ce courant.
Si la parité n'est sans doute pas une recette miracle, je crains que ceux qui
feignent de croire qu'il est possible aux femmes d'acquérir sans modification
des textes les droits auxquels elles peuvent prétendre ne se trompent.
Mme Odette Terrade.
Eh oui !
Mme Janine Bardou.
La modification qui nous est proposée est donc une étape nécessaire. Elle ne
doit plus être retardée.
Je ne sous-estime pas, cependant, les réserves que suscite ce texte, notamment
de la part des juristes qui s'opposent à ce projet au nom de leur attachement
au principe de l'universalité. Je ne sous-estime pas non plus le danger d'une
dérive vers l'instauration d'un scrutin à la proportionnelle.
Très attachée au scrutin uninominal, je n'oublie pas l'exemple des élections
législatives de 1986, où 33 % des femmes étaient candidates alors que seulement
5,89 % d'entre elles furent élues.
Nous pouvons donc en déduire que, malgré certaines promesses électorales de
l'époque, les femmes n'étaient pas les mieux placées sur les listes ; dans le
choix qu'ils font pour désigner leurs candidats, les partis restent maîtres du
jeu.
Les bureaux des partis politiques, presque exclusivement masculins, n'hésitent
pas à se montrer généreux en donnant les circonscriptions les plus
difficiles... aux femmes.
Mme Odette Terrade.
C'est vrai !
Mme Janine Bardou.
Dans ces conditions, confier, dans la Constitution, aux partis politiques la
responsabilité de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
et fonctions politiques ne me semble pas la meilleure solution. Nous ne voulons
point que nous soit octroyée une faveur mais nous voulons faire en sorte que la
mixité trouve sa traduction politique dans la parité et que les femmes soient
présentes dans toutes les instances de décision de notre société.
Nous devons faire confiance aux femmes. Aussi, malgré ses insuffisances, je
voterai le projet de loi tel qu'il nous est proposé.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de soulever quelques
questions.
A quelle fin le Président de la République et le Gouvernement ont-ils soumis
au Parlement ce projet de loi organique ? Il me semble que le Président de la
République comme le Gouvernement ont voulu que le législateur puisse prendre
toutes les dispositions nécessaires afin de donner aux citoyens de sexe féminin
une juste place dans la représentation nationale.
Or, que nous propose pour sa part la commission des lois du Sénat ? Elle nous
suggère de former un voeu pieux et de confier cette mission aux seuls partis
politiques, en feignant de croire que ceux-ci agiront demain autrement qu'ils
ne l'ont fait depuis un demi-siècle, sans qu'il soit le moins du monde
nécessaire d'exercer une contrainte sur eux.
Que signifie cette attitude ? Elle traduit le fait que, une fois de plus, la
majorité sénatoriale, fidèle à sa vocation conservatrice, cherche à retarder,
et si possible à bloquer pour de bon, une réforme profonde de la société, même
si cette réforme est voulue par le Président de la République. La majorité
sénatoriale ne veut d'aucun dispositif contraignant dont l'Assemblée nationale
aurait la maîtrise, surtout s'il s'agit d'instaurer des quotas... Elle pourrait
dire : « cachez ce quota que je ne saurais voir ».
(Sourires.)
Mais l'existence depuis cinquante ans d'un quota implicite de 90 %
d'hommes dans la représentation nationale n'a guère offensé votre sourcilleux
sens de l'égalité, chers collègues de la majorité. Et encore, si nous sommes en
deçà du seuil des 95 %, c'est grâce à la prise de conscience récente des seuls
partis de gauche !
Plus sérieusement, c'est en pensant à toutes les générations de femmes privées
de la possibilité de dire le droit et subissant celui qui était édicté par les
seuls hommes, c'est en pensant à la génération des femmes qui ont tenu la
France à bout de bras pendant toute la guerre de 1914-1918 et que la Haute
Assemblée a privées du droit de vote jusqu'en 1944 - il s'agit de nos
grands-mères, ce n'est pas si loin ! - que je développerai brièvement deux
arguments en faveur du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis
aujourd'hui.
Tout d'abord, il me paraît évident qu'il sera nécessaire de prendre des
mesures contraignantes diversifiées pour venir à bout de l'un des blocages les
plus anciens et les plus forts de notre société, celui qui tend à éliminer les
femmes de la vie politique.
Ensuite, la société française, devenue mixte au cours de ce siècle, ne peut se
reconnaître que dans une représentation nationale elle aussi mixte.
Ainsi, cette représentation nationale, et tout particulièrement le Sénat,
passablement discrédité dans l'opinion depuis des années - et cela va en
s'aggravant
(Mme Terrade approuve) -
retrouverait une crédibilité qu'elle est en
train de perdre.
Je rappelle, après d'autres orateurs qui m'ont précédée, que c'est l'histoire
qui a fait que femmes et hommes ne sont pas à égalité aujourd'hui devant la
politique, que les hommes ont confisqué l'universalité républicaine depuis que
la République existe, qu'eux seuls ont eu le droit de penser la République et
que, lorsqu'une femme leur a contesté ce monopole, elle a terminé sa vie sur
l'échafaud.
Mais il y a plus grave et plus proche de nous : rien, dans l'éducation de la
majorité des femmes jusqu'aux années soixante-dix, ne les préparait à une
carrière politique, et aucun modèle valorisant de femme politique n'a été
proposé aux femmes de ma génération. Ainsi, les grandes féministes étaient
absentes de nos manuels scolaires, et elles le sont d'ailleurs encore.
Mais surtout, plus profondément, l'éducation familiale et scolaire a longtemps
installé un terrible sentiment d'infériorité au coeur du psychisme des femmes.
Rien, dans l'éducation des filles, ne valorisait l'affirmation de soi, la prise
de responsabilités, au contraire de ce qui prévalait pour l'éducation des
garçons, à la même époque et dans les mêmes milieux. Comment peut-on dire que
nous abordons la compétition politique avec des chances égales, quand toutes
les qualités nécessaires à cette activité ont été soigneusement développées
chez les hommes et cessent tout juste aujourd'hui d'être réprimées chez les
femmes ? Prendre des mesures volontaristes s'impose avec d'autant plus de force
que les femmes doivent surmonter les handicaps souvent inconscients installés
dans leur esprit par des millénaires d'oppression.
Je n'aurai pas le temps d'aborder dans tous ses détails la question de la
transposition de la mixité dans la représentation nationale, mais dites-vous
bien, mes chers collègues, que la société française a tant gagné à la mixité
dans tous les domaines de la vie au cours de ce siècle
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen)
qu'elle attend avec impatience que la
mixité touche enfin le monde politique.
Je dirai en conclusion que l'instauration d'un égal accès des femmes et des
hommes à la vie politique est une exigence de justice. Donner enfin la parole
aux femmes, permettre aux citoyennes d'avoir prise sur leur vie, traiter dans
le débat politique les dénis de droit et les injustices qui sont aujourd'hui
passés sous silence parce que seules les femmes en sont victimes contribuerait
à rétablir la confiance du peuple à l'égard de la classe politique.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, « les femmes : quelle puissance ! », s'exclamait
Michelet. Et pourtant, bien rares sont les silhouettes féminines qui ont pu,
ici ou là, jadis ou naguère, incarner le pouvoir ou se glisser dans ses
allées.
Partout, l'établissement des systèmes représentatifs s'est traduit par un
cantonnement des femmes dans la sphère privée, et il aura fallu presque tout un
siècle pour que, de la Finlande en 1906 à la Suisse en 1971, l'Europe
occidentale réalise, en leur permettant de voter, l'« admission des femmes au
droit de cité » que Condorcet, seul ou presque, appelait de ses voeux à l'aube
de la Révolution.
Ce n'est qu'à partir de 1944 que les Françaises, sous la IVe République,
commencèrent à user du droit d'éligibilité, acquis peu après le droit de vote.
Mais les pratiques issues des institutions de 1958 ont maintenu le plus souvent
à moins de 2 % la proportion des femmes à l'Assemblée nationale.
La situation actuelle n'est pas beaucoup plus brillante. En effet, seulement
63 sièges de députés sur 577, soit 10,9 %, sont occupés par des femmes. Certes,
ce pourcentage est encore plus faible en Grèce, où il atteint 6,3 %, mais la
Suède fait beaucoup mieux avec 40,4 %.
Dans ces conditions, pour corriger une situation que chacun s'accorde à juger
insatisfaisante, la tentation est évidemment forte, surtout dans un pays comme
le nôtre, marqué par l'empreinte du droit romain et du code Napoléon, de
recourir à une démarche normative.
Cette démarche fut d'ailleurs engagée par le précédent gouvernement. Le
Premier ministre s'était alors prononcé sur « la place des femmes dans la vie
publique », observant que « nous continuons à vivre, en quelque sorte, sous
l'empire de la loi salique ».
Son successeur a conforté cette approche, tout en reconnaissant, dans sa
déclaration de politique générale du 19 juin 1997, que, dans ce domaine, « le
progrès passe d'abord par l'évolution des mentalités et le changement des
comportements ».
Il a néanmoins jugé nécessaire d'« aller plus loin » et a annoncé une révision
de la Constitution « afin d'y inscrire l'objectif de la parité entre les hommes
et les femmes ». Si nous ne pouvons, madame le ministre, que faire nôtre
l'objectif affiché, nous devons cependant dire toutes nos craintes quant à la
méthode retenue.
En effet, sous couvert de parité, ce projet de loi organique vise
exclusivement à rendre constitutionnelles des lois qui instaureront des quotas
de femmes.
Permettez-moi, à cet égard, de formuler trois remarques.
La première est d'ordre constitutionnel. J'observe que, aux termes de
l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », et que, selon
l'article VI du même texte, tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi,
ils sont « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics,
selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de
leurs talents ».
Dès lors, je note qu'à moins de supprimer ce dernier article, toute loi
imposant des quotas, même après la modification constitutionnelle que vous nous
proposez, madame le ministre, restera en contradiction avec ce principe
fondateur de notre démocratie.
Ma deuxième remarque - mais ce point a déjà été longuement souligné - aura
trait à la dignité des femmes et à l'atteinte qui sera portée à celle-ci au
travers de leur citoyenneté. En effet, avec l'instauration de quotas, les
femmes ne seront plus réellement respectées dans leur dimension citoyenne,
puisque leurs pouvoirs de représentativité dépendront en réalité des quotas à
atteindre.
Ainsi, et je sais bien que ce propos n'est pas du goût de tous, on ne sera pas
très éloigné du slogan : « il suffit d'être femme pour être élue », avec tout
ce que cela peut comporter de valeurs collectivement négatives pour les femmes.
A cet égard, je le répète à la suite d'autres orateurs qui m'ont précédé, la
pertinence des propos d'Elisabeth Badinter ne peut manquer de nous frapper.
(Exclamations amusées sur les travées socialistes.)
Troisième remarque, j'observe que les avancées constatées dans la
représentativité politique des femmes relèvent de décisions partisanes et non
de contraintes normatives, l'exemple belge étant à cet égard peu probant.
En effet, Valéry Giscard d'Estaing a été le premier chef d'Etat de la Ve
République à se préoccuper non seulement d'améliorer la « condition féminine »,
mais encore de féminiser les institutions politiques.
M. Jean-Claude Gaudin.
Cela ne lui a pas réussi !
M. Bernard Plasait.
En sept ans, vingt et un portefeuilles ministériels ont ainsi été attribués à
des femmes. La décision prise par le parti socialiste de s'imposer un quota de
quelque 30 % de candidates pour les élections législatives de 1997...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Cela a marché !
M. Bernard Plasait.
... a permis l'élection de quarante-deux femmes dans ses rangs.
M. Henri Weber.
Bravo à lui !
M. Bernard Plasait.
Encore faut-il mentionner le fait que l'objectif des 30 % de candidatures n'a
pas été atteint, et que 30 % de candidates ne signifie pas 30 % d'élues !
M. Claude Estier.
C'est quand même mieux que 5 % !
M. Bernard Plasait.
Cette dernière remarque me conduit à dire combien j'approuve la démarche de la
commission des lois, qui propose de rattacher les nouvelles dispositions non à
l'article 3, mais à l'article 4 de la Constitution,...
M. Jean-Claude Gaudin.
Très bien !
M. Bernard Plasait.
... mais elle m'oblige aussi à insister sur les implications qu'entraînera
mécaniquement une telle modification sur les modes de scrutin. Il est en effet
clair qu'un système de quotas serait incompatible avec le mode de scrutin
majoritaire.
M. Henri de Richemont.
C'est vrai !
M. Bernard Plasait.
Quoi qu'il en soit, je crois vraiment que c'est seulement dans la mobilisation
des femmes elles-mêmes et dans le volontarisme des partis que réside la clé de
l'accès des femmes aux responsabilités.
A cet égard, j'ai entendu tout à l'heure avec beaucoup d'intérêt, et même avec
beaucoup d'émotion, l'excellente intervention de ma collègue Anne Heinis, qui
a, je crois, remarquablement exprimé la vérité.
Dans l'éternel débat, ouvert par Montesquieu, entre l'action par la loi et
l'action par les moeurs, les expériences européennes donnent incontestablement
le pas à celle-ci sur celle-là. La Haute Assemblée trace la meilleure voie pour
la nécessaire évolution des mentalités et des comportements. J'ai écouté tout à
l'heure, avec beaucoup d'intérêt là aussi, notre collègue Christian Bonnet,
dont je partage totalement le souci de ne pas réduire la Constitution à un
inventaire à la Prévert en introduisant des mesures d'incitation financière qui
n'ont aucunement leur place dans la charte fondamentale de notre démocratie. Je
crois que notre assemblée serait bien inspirée d'écouter sa sagesse, ainsi que
celle de Mme Heinis.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Gaudin.
Bravo !
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux
en droit », proclamait, en 1789, la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen.
« En 1848, les Français ont obtenu le suffrage universel », affirmaient mes
livres scolaires. C'est ce que j'ai cru longtemps !
Mais il faut bien se rendre à l'évidence : l'histoire de notre pays porte en
elle cette étrange contradiction, longtemps dissimulée : l'homme universel de
la Déclaration de 1789 était masculin. Il priva les femmes, pendant plus de
cent cinquante ans, de leur droit légitime à prendre part aux affaires de la
cité.
Il faudra attendre l'ordonnance de 1944, prise par le Conseil national de la
Résistance...
De nombreux sénateurs du RPR.
Non ! Par le général de Gaulle !
Mme Danièle Pourtaud.
... par le Conseil national de la Résistance, disais-je, pour réparer cette
injustice.
(Protestations vives et prolongées sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin.
Impossible !
M. Guy Cabanel,
rapporteur.
C'était le Comité français de libération nationale !
M. le président.
Mes chers collègues, laissez Mme Pourtaud s'exprimer ! Elle seule a la parole
!
Mme Danièle Pourtaud.
Nous consulterons donc les historiens
(Vives exclamations sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants),
mais il ne change rien à vos
contestations qu'il s'agissait d'une ordonnance de 1944 qui a enfin réparé
cette injustice et a rendu aux femmes la citoyenneté, c'est-à-dire non
seulement leur droit d'électeur
(M. Charles Ceccaldi-Raynaud
s'exclame)...
M. le président.
Monsieur Ceccaldi-Raynaud, ménagez-vous, s'il vous plaît !
(Sourires.)
Mme Danièle Pourtaud.
Cette ordonnance de 1944, disais-je, a donc rendu aux femmes leur citoyenneté,
c'est-à-dire non seulement leur droit d'électeur, mais aussi leur droit à
l'éligibilité.
M. René-Georges Laurin.
Et qui a pris l'ordonnance de 1944 ?
M. Claude Estier.
Le général de Gaulle, d'accord !
Mme Danièle Pourtaud.
L'affaire était-elle réglée pour autant ? J'aurais aimé pouvoir répondre par
un « oui » clair et définitif.
Mais si j'interviens aujourd'hui, c'est pour défendre la nécessité de mesures
volontaristes afin d'organiser les conditions d'un égal accès des femmes et des
hommes à l'éligibilité, ce qui implique - nous le savons tous - une
modification constitutionnelle.
Un sénateur sur les travées des Républicains et Indépendants.
Non !
Mme Danièle Pourtaud.
Des mesures volontaristes sont donc nécessaires et, faute de temps, je ne
citerai que deux motivations essentielles à cet égard : d'une part, il faut
s'opposer au poids de notre mémoire collective, à cette histoire d'hommes qui a
exclu pendant plus d'un siècle les femmes de la sphère publique, les cantonnant
à la sphère privée ; d'autre part, il faut lutter contre la persistance, depuis
la Libération, d'une sous-représentation scandaleuse des femmes dans toutes les
assemblées politiques.
A mon tour, je ne ferai qu'évoquer le poids de l'histoire.
En fait, jusqu'en 1944, les femmes furent, à l'égal des hommes, de tous les
combats pour la liberté - en 1789, en 1848, en 1871, pendant la guerre de
1914-1918 et, bien sûr, entre 1939 et 1945 - sans jamais se voir reconnaître
leur droit de participer à la vie publique.
Pendant cent cinquante ans - mais est-ce vraiment oublié ? On pourrait en
douter en écoutant, ce matin encore, certains discours - a subsisté, à des
degrés divers, cette croyance insensée selon laquelle la libération politique
de la femme représenterait un danger pour la sauvegarde de la famille. C'est ce
qui explique que la première proposition de loi en faveur du droit de vote des
femmes, en 1902, envisageait de l'accorder aux femmes majeures, célibataires,
veuves ou divorcées ! Elle fut néanmoins repoussée. Pas moins de trente-huit
propositions de loi furent ensuite déposées, sans succès. C'est de cette
histoire-là que nous sommes, tous et toutes, les héritiers.
Il ne faut pas, néanmoins, rejeter aujourd'hui l'universalisme, cette «
égalité des êtres », par-delà leurs différences, « à jouir de tous les droits
fondamentaux », comme le rappelait Robert Badinter, il y a quelques jours, à
l'UNESCO, en célébrant le cinquantième anniversaire de la Déclaration
universelle des droits de l'homme.
En revanche, ce que je condamne absolument, c'est une lecture masculine
erronée, une application inachevée de l'universalisme, qui, trop longtemps, non
seulement a exclu les femmes du droit de vote et de l'éligibilité, mais laissa
aussi perdurer l'esclavage.
(Protestations sur les travées du RPR.)
Cet héritage, malgré des avancées majeures, pèse encore dans l'inconscient
collectif de ma génération et de la génération précédente.
En effet, si, en 1944, cessa l'exclusion, on oublia de concevoir l'inclusion
réelle des femmes dans la vie publique.
J'en viens maintenant au constat accablant et inacceptable pour toutes les
Françaises, et, je l'espère, pour tous les Français.
Par le nombre de femmes qui siègent à l'Assemblée nationale - ne parlons pas
du Sénat ! - la France, comme de nombreux intervenants l'ont souligné avant
moi, est bel et bien la lanterne rouge de l'Europe.
Et, malheureusement, les choses n'évoluent pas spontanément dans le sens de
l'égalité, comme préfèrent le laisser croire certains orateurs de la majorité
sénatoriale. La preuve en est que les femmes étaient plus nombreuses à
l'Assemblée nationale en 1946 qu'en mai 1997, avant les dernières élections.
Si, en 1998, le nombre de conseillères régionales a doublé, on a pu constater
aux dernières élections cantonales et sénatoriales que cet élan s'était arrêté
tout net !
C'est pourquoi je crois en une mobilisation à la fois constante et volontaire
à tous les niveaux de notre société. En d'autres termes, la parité est une
ambition à la fois juridique et culturelle. Ce que nous voulons, c'est que
cette modification constitutionnelle inaugure une évolution irréversible des
mentalités et des comportements dans notre pays. De nombreuses femmes aspirent
en effet à un meilleur partage des responsabilités familiales. Ce n'est un
secret pour personne : le militantisme politique, chemin normal pour accéder
aux responsabilités électives, s'exerce d'abord le soir et le week-end !
Par ailleurs, au-delà de toute interprétation philosophique, cette
modification de notre Constitution correspond à une démarche pragmatique. Elle
permettra de faire sauter le célèbre verrou du Conseil constitutionnel de 1982,
reverrouillé le 14 janvier dernier. Bref, cette modification constitutionnelle
est un outil pour produire de l'égalité.
Après cette loi d'habilitation constitutionnelle, il sera nécessaire d'adopter
une ou des lois d'application afin d'obliger les partis à présenter un nombre
égal d'hommes et de femmes à la candidature, et ce, pour tous les modes de
scrutin.
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin.
Voilà ce que cela cachait !
Un sénateur du RPR.
Les quotas !
M. Claude Estier.
La candidature !
Mme Danièle Pourtaud.
Nous ne devons pas non plus négliger les voies indirectes qui contribuent à la
réalisation de notre objectif, comme, par exemple, la limitation du cumul des
mandats. Je pense aussi, madame la ministre, à la proposition de loi que
viennent de déposer les membres des deux groupes parlementaires socialistes,
visant à créer une délégation parlementaire « aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes », dans chacune des
assemblées. J'espère qu'elle sera inscrite rapidement à l'ordre du jour.
En conclusion, mes chers collègues, vous me permettrez de déplorer que la
majorité sénatoriale s'obstine à vouloir au mieux retarder, au pis empêcher la
fin de cette injustice, en dépit des engagements présidentiels et au mépris de
l'opinion publique.
(Protestations sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
C'est vous qui le dites !
Mme Danièle Pourtaud.
Cette tradition machiste n'est pas une nouveauté puisque la Haute Assemblée
avait fait échouer à six reprises, dans l'entre-deux-guerres, des propositions
de loi en faveur du vote des femmes. J'espère que, cette fois-ci, nous pourrons
aboutir.
Je me battrai, quant à moi, pour que nous puissions très vite, par des lois,
rendre efficiente cette modification de notre Constitution et concrétiser
l'objectif de parité. Mais j'espère aussi que nous pourrons, un jour, voter,
sans remords, leur suppression, à moins qu'elles ne deviennent indispensables
pour préserver la place des hommes...
(Rires.)
M. Jean-Claude Gaudin.
Ne nous provoquez pas !
Mme Danièle Pourtaud.
« L'égalité n'est jamais acquise, c'est toujours un combat ! », disait voilà
peu de temps, François Mitterrand.
(Applaudissements sur les travées
socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les
travées du RPR.)
M. Jean-Claude Gaudin.
Oh ! là là !
M. Guy Cabanel,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Cabanel,
rapporteur.
Monsieur le président, avec votre autorisation, j'entends
éclairer un point d'histoire. Je n'ai pas voulu interrompre Mme Pourtaud, même
si, comme d'autres, j'ai dit que l'ordonnance avait été prise non par le
Conseil national de la Résistance mais par le Comité français de libération
nationale.
Je voudrais bien situer l'événement : au printemps 1942, le général de Gaulle,
alors qu'il était sur des territoires limités et disposait de capacités
restreintes pour parler au nom de la France, avait déjà annoncé que, après la
libération du territoire, les femmes voteraient comme les hommes et seraient
éligibles comme eux.
En 1994, le Comité français de libération nationale réunissait auprès de lui
une assemblée consultative provisoire qui comprenait des élus des trois
départements algériens, lesquels, selon la vieille loi Tréveneuc, avaient des
droits à la représentation nationale hors du territoire envahi. Il avait
ajouté, à la demande du Conseil national de la Résistance, un autre tiers de
résistants venant de la résistance intérieure, qui étaient souvent amené par
des Lysander ou par des sous-marins venant près des côtes françaises, et un
tiers représentant la résistance extérieure, c'est-à-dire le mouvement des
Français libres et la petite résistance Nord-Africaine qui avait favorisé le
débarquement.
Cette assemblée a eu à débattre, en mars 1994, de l'esquisse de ce qui serait
l'ordonnance du 21 avril 1944 pour l'organisation des pouvoirs publics à la
libération du territoire national. Fernand Grenier, officier communiste
incarcéré en Afrique du Nord sous Vichy et libéré lors des événements ayant
suivi le débarquement américain, avait même déposé un amendement visant à
accorder dès l'instant même le droit de vote et l'égibilité aux femmes ; mais
cet amendement avait été rejeté par cette assemblée encore - peut-être était-ce
une tradition des assemblées en France ? - et le général de Gaulle imposa
alors, dans l'ordonnance du 21 avril 1944, ce qui devint l'article 14, article
prophétique, qui disposait que, après la libération de l'ensemble du territoire
national, à la première élection où le peuple français pourrait s'exprimer pour
désigner ses représentants nationaux, les femmes comme les hommes auraient le
droit de vote et d'égibilité. Nous étions le 21 avril 1944.
(Très bien ! et
applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin.
Mme Pourtaud n'était pas née !
Mme Nicole Borvo.
Merci de la démonstration !
Mme Odette Terrade.
Et les femmes ont voté pour la première fois aux élections municipales d'avril
et de mai 1945 !
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, le point de vue que je vais exprimer n'engage que
moi, mais il témoigne de convictions qui sont chez moi profondes et que je
partage entièrement avec ma femme.
La révision qui nous est proposée soulève trois ordres de questions :
philosophique, constitutionnelle, politique. Et toutes ces questions se
situent, c'est vrai, à un niveau élevé de réflexion.
Le débat philosophique, on le sait, divise notamment les féministes. Il porte
sur le concept d'humanité. Que cette dernière soit composée physiquement de
femmes et d'hommes implique-t-il que l'on doive la considérer par essence comme
duale ? Je le dis clairement, je ne le pense pas plus qu'Elisabeth Badinter.
L'humanité est une à travers ses composantes. Elle est ce qui est commun à
tous les êtres humains, au-delà de toute distinction. C'est pourquoi
l'universalité - j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'exprimer à ce sujet -
est le propre des droits de l'homme, sauf à en dénaturer la portée. Les droits
de l'homme sont ceux de tous les êtres humains, sans que l'on puisse considérer
ce que sont leur sexe, leur race ou toute autre considération. Et même si, pour
notre honte, il est arrivé à nos sociétés d'y déroger, cette universalité ne
souffre, à mon sens, aucune distinction, même sexuelle.
En un mot, mes chers collègues, je ne crois pas et je n'ai jamais cru qu'il
existe une différence de nature entre homme et femme que l'on puisse ériger en
principe politique.
(Applaudissements sur certaines travées des Républicains
et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Je remarque d'ailleurs, mes chers collègues, que c'est cette prétendue
différence que les misogynes ont, tout au long de l'histoire, invoquée pour
tenir précisément les femmes à l'écart des responsabilités politiques.
Pour ma part, je le dis simplement : toutes les femmes que j'ai connues dans
ma vie professionnelle, à l'université, au Palais, dans la vie publique et
politique, ne me sont jamais apparues différentes des hommes. Il n'est pas deux
façons - l'une masculine, l'autre féminine - d'enseigner, d'écrire, de plaider,
de juger, de légiférer ou de gouverner !
A ce dernier égard, je considère que nombre de femmes témoignent de vertus de
caractère, de sang-froid et d'autorité, vertus que, bien à tort - ou bien à la
légère - on se plaît à qualifier de viriles.
M. Bernard Plasait.
Très bien !
M. Robert Badinter.
Au-delà de la question philosophique, le projet de révision, par nature, nous
posait une question constitutionnelle fondamentale. Et notre rapporteur en a, à
cet égard, avec précision et éloquence, défini les termes.
Ce qui est constitutionnellement en question dans cette révision, c'est ce qui
est au coeur même de notre Constitution, à savoir la question de la
souveraineté. L'article 3 de notre Constitution est clair : « La souveraineté
nationale appartient au peuple... »
Or, selon ce qui a toujours été la conception républicaine de la démocratie,
le peuple français est composé de tous les citoyens français à l'encontre
desquels ou entre lesquels aucune distinction quelle qu'elle soit - le Conseil
constitutionnel l'a rappelé dans sa décision relative au peuple corse - ne
saurait être faite.
La souveraineté, comme la République, est un tout indivisible. Aussi,
voyez-vous, lorsque j'entends, comme je l'ai entendu ce matin, que la
souveraineté devrait s'incarner dans les deux moitiés de l'humanité que sont
les femmes et les hommes, j'avoue que je ne peux pas suivre cette
argumentation. Je ne conçois pas ce que serait une souveraineté ainsi incarnée
en deux parties, pas plus d'ailleurs que je ne conçois, je le reconnais, ce
qu'est un universalisme concret : l'universalisme est l'universalisme tout
court !
Je remarque - et je conclurai sur ce point - que, s'agissant de principes
constitutionnels, dans aucune démocratie, pas même dans les Etats d'Europe du
Nord, et Dieu sait qu'ils sont bien plus avancés que nous et qu'ils montrent la
voie en ce domaine, le principe ou l'objectif de parité n'a été inscrit dans la
Constitution.
J'en arrive à la question qui, elle, est purement politique : pour autant,
pouvons-nous accepter l'état de choses existant ? Assurément non !
A cet égard, je vais abandonner les grands principes et redevenir plus
concret. De quoi s'agit-il ? S'il s'agit des élections au scrutin de liste, il
n'y a rien de plus facile ! Très franchement, il suffit, pour les partis, de
désigner comme candidats à égalité et, je me plais à le marquer, à mon sens
alternativement, femmes et hommes, la désignation de la tête de liste - on en
revient toujours au choix des personnes ! - relevant du choix des militants ou
des instances du parti.
Les partis de gauche et, en premier lieu, historiquement, le parti communiste,
ont, à cet égard, adopté cette pratique, et ils s'en sont trouvés très bien.
Peut-on imposer, par la loi, dès lors que la Constitution le prévoirait, cette
règle aux partis politiques ? Au regard des décisions du Conseil
constitutionnel, la réponse est très claire : oui, on le peut, rien ne
l'interdit, car il n'existe pas en France, je le rappelle, de principes
supraconstitutionnels.
Dès lors, puisqu'il s'agit, en réalité, de faire figurer sur les listes de
candidats au scrutin proportionnel un nombre égal de femmes et d'hommes, cela
relève bien de la désignation des candidats par les partis politiques !
Quant au scrutin d'arrondissement, il est évident que l'on voit mal comment, à
cet égard, on pourrait interdire à tout citoyen qui satisfait aux conditions
d'éligibilité, qu'il s'agisse d'une femme ou d'un homme, de se présenter !
C'est un droit fondamental pour tout citoyen, en dehors de toute question de
sexe.
Dès lors, de quoi s'agit-il dans le domaine des scrutins uninominaux ? Il
s'agit de susciter un nombre égal de candidates femmes, notamment dans les
circonscriptions où le parti a une chance sérieuse de voir élire son candidat,
et cette investiture-là relève aussi des partis politiques.
Je suis donc forcé de conclure que, constitutionnellement, sauf à vouloir
changer la nature de la souveraineté, c'est bien à l'article 4, qui concerne le
rôle des partis politiques dans la démocratie, et non pas à l'article 3, qui
concerne la souveraineté nationale, que la révision doit trouver sa place.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Mais, si elle y trouve sa place, encore faut-il qu'elle atteigne aussi
une indiscutable effectivité, et je suis au regret de dire que celle-ci
n'apparaît pas, à mon sens, dans l'amendement de la commission des lois.
En effet, pourquoi sommes-nous ici réunis ? Pour débattre d'une révision
constitutionnelle. A cause, vous l'avez très bien dit, madame le garde des
sceaux, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, jurisprudence qui, au
regard des principes existants, est parfaitement justifiée.
Cela signifie, en clair, qu'il nous faut procéder à une révision
constitutionnelle qui, pour être effective, doit comporter une disposition
habilitant le législateur à définir de façon contraignante les conditions de
mise en oeuvre par les partis politiques de l'égal accès des femmes et des
hommes aux mandats et aux fonctions électives. Faute de cela, cette révision ne
pourrait, je le pense, atteindre son objectif, qui consiste tout de même à
aller - c'est en tout cas bien le pouvoir du constituant - au-delà de ce que le
Conseil constitutionnel a jugé... et d'ailleurs, sur ce point, bien jugé.
A partir de ces considérations, ma conclusion sera brève.
La contribution la plus précieuse que la culture européenne aura apportée à la
cause de la liberté, c'est l'invention de la démocratie. Or la démocratie
repose sur l'idée simple et forte que la façon la plus heureuse pour un peuple
d'être gouverné est de se gouverner lui-même en choisissant librement, à
intervalles réguliers, ses représentants.
La contribution la plus précieuse, à mon sens, que la France aura apportée à
cette idée démocratique, c'est l'invention de la République une et indivisible
- que je qualifierai, pourquoi pas, d'universelle - une République composée de
citoyens qui jouissent tous de droits semblables, sans distinction aucune entre
eux, qu'il s'agisse, bien entendu, de cette distinction physique que l'on a
évoquée et qui est bien évidemment le lot commun de l'humanité, mais aussi de
toutes les autres : de la race, des opinions, des origines ou des croyances
religieuses. Je n'ai pas besoin, à cet égard, de rappeler la Déclaration
universelle des droits de l'homme ou la Convention européenne : tous des
citoyens, rien que des citoyens.
Voilà les fondements de notre République. Elle n'a jamais été une mosaïque de
communautés ni une juxtaposition de composants différents. Elle ne connaît et
n'a jamais connu que des individus, des êtres humains et des citoyens, sans
discrimination aucune.
Certains - et de mes meilleurs amis - ont souligné avec raison que, longtemps,
très longtemps - je dirai trop longtemps - la République n'a pas eu le courage
de conformer ses lois à ses principes et qu'elle a refusé, au mépris de
l'universalité qu'elle proclamait, l'égalité des droits politiques, notamment
aux femmes. Mais gardons-nous de tirer de ce que furent des défaillances
honteuses ou des discriminations odieuses un enseignement contraire à la vérité
!
Lorsque les républicains ont manqué aux droits de l'homme, ils ont trahi les
fondements même de la République, c'est-à-dire l'universalité des droits de
l'homme et le refus de toute distinction ou discrimination entre les citoyens.
Je crois profondément que c'est ce message-là qui donne à l'idée républicaine,
en France et hors de France, sa grandeur.
Rien n'est plus précieux, en tout cas pour nous, que cette universalité, qui
traduit si fortement l'unité de l'espèce humaine, l'identité commune à tous les
êtres humains, au-delà de toutes leurs différences, seraient-elles de sexe.
(Applaudissements prolongés sur certaines travées des groupes socialiste et
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et sur certaines travées du
RDSE.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à
bien vous écouter, on pourrait penser que vous êtes tous d'accord sur un
constat : les femmes ne sont pas assez représentées dans la vie politique
française.
Par exemple, monsieur Gélard, vous verriez d'un bon oeil une féminisation
accrue des conseils municipaux, des conseils généraux, des conseils régionaux,
voire du Parlement. D'ailleurs, vous avez cité l'exemple de votre propre
conseil municipal, au sein duquel les femmes sont présentes à 45 %, ce dont je
vous félicite.
Il est vrai que, les femmes, il est de bon ton de les couvrir de fleurs.
M. Henri de Richemont.
C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Vous dites même que, parmi vos étudiants, ce sont vos
étudiantes qui se distinguent le plus. J'avoue éprouver quelques craintes
devant de tels éloges !
Mme Nicole Borvo.
Moi aussi !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Car de quoi sont-ils suivis ces éloges, je vous le
demande ? Où sont ensuite ces femmes brillantes ?
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Où sont, dans le même ordre d'idées, tous ces jeunes
beurs, tous ces jeunes blacks qui sont aujourd'hui diplômés de nos universités
et que l'on ne trouve plus nulle part, ni dans l'administration, ni dans nos
partis politiques, ni dans les fonctions électives ?
(Applaudissements sur
les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. Patrice Gélard.
Elles sont dans les palais de justice, magistrates, avocates !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Ou à la première présidence de la
Cour de cassation !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
De quoi, par conséquent, ces éloges sont-ils suivis
?
Face à ce constat, j'entend dire que la Constitution n'est pas responsable du
phénomène,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... que l'égalité est garantie dans tous les
domaines,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... que le législateur lui-même n'est pas
responsable...
M. Paul Masson.
C'est le peuple qui est responsable !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... et que, d'ailleurs, des mesures ont été prises.
Mais alors, face à un tel constat, que faire ? Que proposez-vous ?
Si j'ai bien écouté, la plupart d'entre vous proposent tout simplement de s'en
remettre aux partis politiques pour favoriser l'accès des femmes aux mandats
électoraux et fonctions électives.
Si j'ai bien écouté, le mouvement naturel et l'évolution spontanée des choses
nous conduiront à la parité !
Plusieurs sénateurs du RPR.
Oui !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Laissez-moi vous dire qu'il y a une légère
contradiction à soutenir que les partis sont responsables et à en faire le
remède à une situation qu'ils ont soit créée soit tolérée !
M. René-Georges Laurin.
Et améliorée !
M. Henri Weber.
Perpétuée !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Comme l'a fort bien fait remarquer M. Weber, avec toute
la dialectique qui est la sienne, chaque fois qu'une grande réforme de société
est proposée, on trouve toujours des conservateurs pour dire qu'elle produira
un effet contraire à celui qu'on vise, qu'elle est inutile puisque le temps y
pourvoira et, enfin, qu'elle met en péril nos principes les plus sacrés.
M. Paul Masson.
C'est le débat démocratique !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Laissez-moi vous redire que la parité ne remet
nullement en cause les principes de 1789.
L'égalité entre les hommes et les femmes est notre seul véritable principe
constitutionnel. La question qui se pose est celle de sa réalisation effective
et, pour cela, je ne fais confiance ni à l'évolution spontanée des choses ni,
permettez-moi de le dire, aux seuls partis politiques, quoi-que je fasse plus
confiance aux partis politiques de gauche
(Protestations sur les travées du
RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. -
Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen),
...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ça, on le sait !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ce n'est pas un scoop !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... qui ont montré récemment qu'ils savaient tout de
même aller dans le sens de la modernité, qu'aux partis politiques de droite.
(Brouhaha sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, laissez Mme le garde des sceaux s'exprimer !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je fais confiance au législateur pour prendre ses
responsabilités.
Plusieurs sénateurs du RPR.
C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Vous craignez, dites-vous, que le projet de loi
constitutionnelle ne conduise à une république sexuée. Mais, comme l'a dit M.
Weber - je le cite de nouveau avec plaisir - cela fait deux cents ans que vous
supportez sans inconvénient une république sexiste !
M. Henri de Richemont.
Mais non, ce n'est pas vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Vous craignez que l'on n'ouvre la boîte de Pandore.
Mais, comme l'a très bien dit Mme Dinah Derycke, ce n'est pas aller contre
l'universalité que de dire que la loi organise les conditions de l'égal accès
des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.
Bien entendu, nous n'acceptons pas - pas plus, d'ailleurs, que le Conseil
constitutionnel - que le peuple soit une addition de catégories ou que
certaines sections du peuple s'attribuent la souveraineté.
M. Henri de Richemont.
C'est pourtant ce que vous faites !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mais il ne s'agit pas que de cela. Il s'agit de prendre
en compte le fait que l'universel humain est constitué d'hommes et de femmes.
D'ailleurs, les hommes demeurent libres et égaux en droit ; et de qui
naissent-ils si ce n'est d'un homme et d'une femme ?
M. Henri de Richemont.
Et le PACS, alors ?
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Ce que nous voulons, c'est que le souverain cesse de
s'identifier avec un universel uniquement masculin, et, pour cela, je préfère
faire confiance aux mesures que prendra le législateur plutôt qu'aux partis
politiques, qui, dans leur bienveillante bonté, finiraient bien, j'en suis
sûre, dans quelques siècles, par faire une place égale aux femmes et aux hommes
!
A ceux qui invoquent la liberté de l'électeur, je dirai que cette liberté n'a
pas empêché, pendant des siècles, que cet électeur n'ait le choix qu'entre un
homme et un autre homme.
M. Paul Masson.
Jeanne d'Arc !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Au fond, si vous êtes tous d'accord sur le constat,
nombre d'entre vous me semblent surtout d'accord pour ne rien faire !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Chaque fois que j'entends dire qu'il
faut laisser les mentalités évoluer, qu'on ne change pas la société par décret,
j'entends, en réalité, une réticence à agir - réticence pour ne pas dire plus,
naturellement !
Je crois, comme l'ont très bien dit Mmes Dieulangard et Pourtaud, que l'heure
d'agir est en effet arrivée et qu'il convient que le législateur prenne toutes
ses responsabilités.
Nous avons entendu deux interventions dissonantes par rapport à la dominante
des groupes politiques : celle de Mme Bardou, à droite de cette assemblée,
celle de M. Badinter, à gauche.
Je veux tout d'abord remercier Mme Bardou de ses propos et la féliciter de son
indépendance d'esprit.
Je dirai à M. Robert Badinter qu'il a, en effet, dans sa position, le mérite
de la continuité, le mérite de la cohérence avec sa conception de
l'universalisme, qui n'est pas la mienne, et aussi le mérite de la solidarité
intellectuelle avec sa femme, ce dont je le félicite. Je respecte cette
approche.
M. Michel Charasse.
C'est un républicain !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Cette approche philosophique, je la respecte, mais je
constate qu'elle a servi, trop souvent, à masquer un sexisme de fait
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)
et à admettre au même rang que les hommes uniquement celles des femmes qui,
en effet, n'avaient en tête que de ressembler aux hommes, quelquefois même de
singer les hommes.
Je crois, moi, que l'on peut vouloir l'égalité dans la différence.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Ces deux interventions montrent en tout cas que, au-delà des clivages
politiques, c'est bien d'un débat de société fondamental qu'il s'agit ici.
Il faut que les femmes soient aidées par le législateur à accéder aux mandats
et aux fonctions électives dont elles ont été trop longtemps privées. Il est
temps de ne plus s'accommoder de cette situation, de ne plus faire simplement
confiance à l'évolution naturelle des choses. Il est temps que le législateur
puisse prendre les mesures qui s'imposent.
C'est la raison pour laquelle j'invite le Sénat à adopter le texte que
l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité des votants, tous groupes politiques
confondus.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article additionnel avant l'article unique
(réservé)