Séance du 26 janvier 1999






ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES
ET LES HOMMES

Adoption d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 130, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. [Rapport n° 156 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux. Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Assemblée nationale a adopté, le 15 décembre dernier, à l'unanimité des suffrages exprimés, tous groupes politiques confondus, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité des femmes et des hommes qui est soumis à votre discussion aujourd'hui.
Ce texte a pour objet d'introduire dans notre Constitution l'objectif de la parité entre les femmes et les hommes dans les mandats électoraux et les fonctions électives. Il concrétise ainsi la volonté du Premier ministre, approuvé en cela par le Président de la République, de moderniser notre démocratie en donnant toute leur place aux femmes dans la vie publique.
Je souhaiterais d'abord vous rappeler que, pour donner un contenu concret à l'égalité des femmes et des hommes dans l'accès aux mandats et fonctions politiques, une révision constitutionnelle est nécessaire pour des raisons que je vais expliciter.
Après avoir précisé le contenu et la portée de cette modification constitutionnelle, je voudrais vous indiquer pourquoi le Gouvernement ne peut accepter l'amendement de votre commission des lois.
La nécessité de réviser la Constitution résulte d'abord du constat que l'on peut faire sur la place des femmes dans la vie politique.
Personne ne conteste aujourd'hui l'idée que les femmes devraient être plus présentes dans les assemblées élues et qu'elles devraient être plus nombreuses à exercer des fonctions électives.
Depuis la Révolution française, nombre de femmes, parfois au prix de leur vie, se sont battues pour que soient reconnus leurs droits de femmes et de citoyennes.
Depuis une cinquantaine d'années, les femmes se sont efforcées pied à pied de conquérir leur indépendance.
Simone de Beauvoir - on célèbre cette année le cinquantième anniversaire de la parution du Deuxième sexe - y a contribué considérablement.
Les femmes ont pu accéder, depuis la fin du siècle dernier, à l'éducation, à la culture. Plus récemment, elles se sont libérées du carcan juridique que leur avait imposé le code civil napoléonien. Désormais, elles peuvent disposer légalement du fruit de leur travail et décider librement de leur vie. A cet égard, l'évolution législative des années soixante-dix a été décisive.
Elles peuvent aussi recourir à l'interruption volontaire de grossesse grâce au courage et à l'obstination de Simone Veil, à qui je veux rendre hommage, et qui a fait voter, en 1975, la loi à laquelle nous sommes toutes et tous attachés.
Certes, bien du chemin reste à parcourir pour que l'égalité sociale et professionnelle soit complète entre les femmes et les hommes. Je pense en particulier à la question des salaires, mais aussi à la représentation insuffisante de celles-ci dans les emplois de direction, et ce dans le secteur privé comme dans le secteur public. Néanmoins, des progrès réels ont pu être accomplis partout.
Il est pourtant un domaine où les choses ne se sont pas améliorées avec le temps - et cela, bien que, à la Libération, le général de Gaulle et le Comité de libération nationale aient donné le droit de vote aux femmes - c'est celui de la place des femmes dans la vie politique.
Je tiens à le rappeler de nouveau, car nombreux sont nos concitoyens qui l'ignorent encore, surtout les jeunes, sans doute parce qu'ils ne peuvent même pas l'imaginer : la France est, avec la Grèce, la lanterne rouge des pays européens en ce qui concerne la représentation des femmes au Parlement.
Alors que les pays scandinaves comptent 40 % de femmes parmi leurs députés, les Pays-Bas 36 %, l'Autriche, l'Allemagne et l'Espagne 25 %, nous n'avons que 10,9 % de femmes à l'Assemblée nationale et - puis-je y insister ? - 5 % au Sénat, soit 19 femmes sur 321 sénateurs.
Malheureusement, un constat de même nature doit être fait pour les assemblées des collectivités locales et leur exécutif. Une seule femme est présidente d'un conseil général et deux seulement président un conseil régional.
Cet écart entre la part des femmes dans la population et leur représentation dans les assemblées politiques est à mes yeux choquant. Cette mise à l'écart des femmes me semble un archaïsme que nous ne devons plus supporter.
Elle me paraît constituer un grave danger pour l'équilibre de notre démocratie. Elle isole le monde politique du reste de la société. Elle engendre un décalage, source d'incompréhensions. Ainsi que le soulignait le rapport remis au Premier ministre en janvier 1997 par l'Observatoire de la parité, elle conduit à une « démocratie inachevée ».
Néanmoins, force est bien de constater que, sur le plan juridique, les femmes disposent en principe des mêmes droits que les hommes.
Depuis l'ordonnance du 21 avril 1944 - je le rappelais voilà un instant - elles ont le droit de vote et sont éligibles dans les mêmes conditions que les hommes.
Je rappelle également que le préambule de la constitution de 1946 - qui est aussi celui de notre Constitution - proclame que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes ».
Personne ne contestera pourtant que, malgré ce principe constitutionnel, l'égalité est restée en réalité lettre morte en politique.
Dans ce domaine, des résistances sociales, culturelles, psychologiques, linguistiques font obstacle à ce que les femmes occupent toute leur place.
Bien sûr, je ne méconnais pas le travail qui a été fait, et que j'approuve, dans le sens de l'égalité des hommes et des femmes. Ce travail a emprunté un chemin fondamental qui consiste à ignorer la différence des sexes pour répartir les places et les fonctions. Sans distinction de sexe, on doit pouvoir, dans notre pays, et on peut en effet, devenir avocat, médecin, pilote d'avion, informaticien, conducteur ou conductrice de bus...
La question qui est posée aujourd'hui est la suivante, et elle me paraît d'une autre portée : cette stratégie qui a consisté à ignorer la différence des sexes est-elle aujourd'hui la meilleure pour réaliser l'égalité des sexes au regard des mandats et des fonctions politiques ?
A cette question, je réponds sans hésiter comme le fait la philosophe Sylviane Agacinski : l'absence de prise en considération de la différence sexuelle en politique a conduit à l'exclusion des femmes. L'universalisme abstrait qui ne veut connaître que le citoyen, et non les hommes et les femmes, couvre un sexisme de droit, comme en 1789, ou un sexisme de fait, comme aujourd'hui. Il nous faut donc prendre en considération la différence sexuelle pour mettre fin à l'exclusion des femmes de la vie politique.
C'est pourquoi je suis convaincue qu'il nous faut dépasser le cadre de l'universalisme abstrait, qui ne veut connaître que le citoyen, et non les hommes et les femmes. Je l'ai dit devant l'Assemblée nationale, je le redis devant vous : la souveraineté doit s'incarner dans les deux moitiés de l'humanité que sont les hommes et les femmes.
Je ne crois pas que ce soit renier l'universalisme. Je ne crois pas que ce soit risquer de dévier vers le communautarisme car, à la vérité, on trouve des femmes dans toutes les catégories. L'humanité étant composée pour moitié d'hommes et de femmes, je crois que c'est une autre conception de l'universalisme que nous proposons avec ce texte.
Or, pour adopter les mesures concrètes permettant de lever les barrières qui empêchent aujourd'hui les femmes d'exercer pleinement leurs droits et leurs responsabilités politiques, il est nécessaire, sur le plan juridique, de réviser notre Constitution.
En effet, si l'on veut tendre vers l'objectif de parité dont a parlé le Premier ministre, et si on estime, comme je le fais, que cet objectif est souhaitable pour moderniser notre vie politique et renforcer la légitimité de la politique, il apparaît que les mesures incitatives sont insuffisantes et que les mesures législatives sont interdites.
Les mesures incitatives sont insuffisantes, on l'a vu, puisque la proportion des femmes dans les assemblées politiques est restée à peu près la même que celle qui existait en 1946.
Les mesures législatives sont interdites puisque, en 1982, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi portant réforme des élections municipales qui limitait à 75 % les personnes du même sexe qui pouvaient figurer sur une liste.
Se référant à l'article 3 de la Constitution et à l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel a fondé son invalidation sur le principe général selon lequel il n'existe en droit français que des citoyens dont l'accès au droit de vote et à l'éligibilité n'a de limites que l'âge, la nationalité et la capacité. Il a donc jugé que l'instauration de quotas était inconstitutionnelle.
Il a confirmé cette jurisprudence, le 14 janvier dernier, à propos de la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux, des conseillers de l'assemblée de Corse et au fonctionnement de ces mêmes conseils. Seize ans après, le Conseil constitutionnel a repris mot pour mot ce qu'il avait dit en 1982 : il maintient qu'aucune distinction ne peut être faite entre les électeurs ou les éligibles en raison de leur sexe et il applique sa jurisprudence relative aux quotas sans prendre en compte le fait que la disposition censurée instituait non des quotas, mais la parité.
Bien entendu, je ne commenterai pas plus avant cette décision, mais elle donne incontestablement raison à ceux qui, comme moi, pensent que cette jurisprudence ne peut être surmontée que par une révision de la Constitution.
Il y a d'ailleurs au moins un point sur lequel je suis d'accord avec le professeur Vedel, pour lequel j'ai le plus grand respect et que la commission des lois du Sénat a entendu le 16 décembre dernier : comme il l'écrivait en 1992, « si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, le Souverain, à condition de paraître en majesté comme Constituant, peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes, avec les députés, les représentants du souverain. Vous pouvez donc, si vous le souhaitez, modifier la Constitution. Il n'y a pas de gouvernement des juges dans notre pays, et, par conséquent, vous pouvez dire, comme vos collègues de l'Assemblée nationale, qu'il appartiendra désormais à la loi de déterminer les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions publiques.
A partir du moment où l'on estime, ainsi que j'en suis profondément convaincue, que la parité est souhaitable, il est nécessaire de changer la Constitution, conformément au principe fondamental du gouvernement républicain qui reconnaît au peuple le droit de changer la Constitution lorsqu'il la croit contraire à son bonheur.
Je voudrais maintenant évoquer le bien-fondé de la révision constitutionnelle, ainsi que le contenu et la portée du projet de loi constitutionnelle qui a été adopté par l'Assemblée nationale.
S'agissant du contenu de celui-ci, l'objectif visé par le Gouvernement est d'introduire la parité entre les femmes et les hommes dans la vie politique. Ce concept, adopté d'abord par les militants écologistes et féministes, a été repris par le Conseil de l'Europe au début des années quatre-vingt-dix. Il implique que la répartition des hommes et des femmes dans les instances politiques reflète leur répartition dans la population. J'insiste sur le fait qu'il doit bien sûr être entendu non pas comme un principe arithmétique rigide, mais comme un instrument que le législateur peut se donner pour faire en sorte que l'égalité de droit entre les femmes et les hommes ait un contenu concret.
Le Conseil des ministres avait choisi d'insérer à l'article 3 de la Constitution, qui porte sur la souveraineté nationale, la disposition selon laquelle « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ». L'objet de cette révision constitutionnelle est en effet d'autoriser le législateur à fixer les conditions dans lesquelles l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions pouvait être organisé. Celui-ci doit pouvoir choisir les mesures qu'il estime appropriées, qu'il s'agisse d'obligations ou d'incitations - j'insiste sur le fait que les deux possibilités sont ouvertes - pour rendre effective l'égalité des femmes et des hommes dans la vie politique.
La commission des lois de l'Assemblée nationale, tout en partageant totalement les intentions du Gouvernement, a cependant retenu une autre rédaction. Elle a souhaité substituer au verbe « favoriser », choisi par le Gouvernement, le verbe « déterminer ». Le Gouvernement est convaincu de la pertinence de ce choix, car le terme « favorise » pouvait apparaître comme péjoratif pour les femmes. Il risquait de donner à croire que leur accession aux responsabilités politiques résultait d'une faveur qui leur aurait été accordée par les hommes. Ce n'est pas, bien sûr, l'intention du Gouvernement. Il est clair que la révision doit conduire non pas à une préférence automatique donnée aux femmes, mais évidemment à une reconnaissance de leurs qualités.
En outre, la commission des lois de l'Assemblée nationale pouvait estimer que, en utilisant le terme « favoriser », le constituant entendait limiter la liberté d'appréciation du Parlement. Certains parlementaires craignaient que la formulation adoptée par le Gouvernement ne conduisît le Conseil consitutionnel à contrôler, pour chaque loi, si le législateur avait bien favorisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Il est clair, dans l'esprit du Gouvernement, que le législateur doit disposer de la liberté d'appréciation nécessaire pour retenir les mesures qu'il juge adaptées tout en respectant, bien évidemment, les autres normes constitutionnelles qui s'imposent à lui.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'est montré favorable à la solution choisie par l'Assemblée nationale, qui permet de donner au législateur la compétence pour intervenir, sans emporter d'obligation d'agir dans un sens ou dans un autre ou d'employer une méthode plutôt qu'une autre.
Enfin, l'Assemblée nationale a souhaité préciser le champ d'application du principe de l'égal accès des femmes et des hommes, en disant qu'étaient concernés les mandats électoraux et les fonctions électives. Cela signifie clairement que sont visées les élections à caractère politique, telles qu'elles sont, par exemple, énumérées à l'article L.O. 141 du code électoral, qui ne fait d'ailleurs pas de véritable distinction entre les expressions « mandats électoraux » et « fonctions électives ».
Par ailleurs, le champ d'application de la disposition inclut aussi l'élection des juges de prud'hommes, en vertu d'une décision du Conseil constitutionnel en date du 17 janvier 1979, mais non l'élection des représentants des assurés sociaux, en vertu d'une autre décision en date du 14 décembre 1982.
J'en viens maintenant à la portée de la révision constitutionnelle.
Je souhaiterais d'abord rassurer ceux qui craignent qu'elle ne conduise à une dérive communautariste ouvrant à toute minorité, ethnique, géographique, linguistique ou religieuse, le droit de réclamer des mesures de discrimination positive en sa faveur. Il doit être bien clair que la révision qui vous est proposée ne remet pas en cause le principe d'égalité entre citoyens conçu de façon abstraite, sans considération de race, de religion, d'opinion ou de catégorie.
En effet, les femmes ne sont ni une communauté ni une minorité. Elles sont tout simplement la moitié de l'humanité. Le sexe est un état de la personne, il ne saurait se réduire à une catégorie, car il transcende tous les groupes. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Par conséquent, l'instauration de la parité entre les femmes et les hommes n'est pas de nature à justifier l'émission de revendications paritaires par certaines catégories.
La révision constitutionnelle vise non à remettre en cause les principes de 1789 sur lesquels notre système politique est fondé, mais au contraire à leur donner un contenu concret dans le domaine particulier de l'exercice des responsabilités politiques par les femmes et les hommes. Faut-il d'ailleurs rappeler que la Déclaration de 1789 n'a pas suffi à elle seule à abolir l'esclavage, ni à faire reconnaître le droit de vote des femmes, et qu'il a bien fallu, ensuite, élaborer des lois pour que ces principes fondamentaux puissent être appliqués ? (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant de la position de la commission des lois du Sénat, celle-ci propose, en premier lieu, d'inscrire la révision constitutionnelle non pas à l'article 3 de notre Constitution, mais à son article 4, et, en second lieu, de modifier profondément la rédaction du texte adoptée par l'Assemblée nationale.
Je voudrais vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi le Gouvernement ne saurait être favorable à cette approche qui, à ses yeux, est beaucoup trop réductrice.
S'agissant de l'insertion dans la Constitution de la modification proposée, je rappellerai d'abord que le projet de révision constitutionnelle vise à introduire dans notre ordre juridique l'idée fondamentale selon laquelle la souveraineté s'incarne dans les hommes et les femmes, et non dans un citoyen dénué de sexe. L'expérience a d'ailleurs prouvé que celui-ci est en réalité un homme !
C'est pourquoi le Gouvernement considère, en accord avec le Président de la République, qu'il est important d'inscrire l'objectif de parité à l'article 3 de notre Constitution, lequel traite des conditions d'exercice de la souveraineté. Son insertion à l'article 4 le priverait de toute sa signification philosophique.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est d'ailleurs sans doute aussi pour cela que cette modification est proposée.
Je rappellerai ensuite que la révision constitutionnelle qui vous est soumise aujourd'hui s'inscrit dans un contexte juridique particulier. En effet, elle est une réponse à la jurisprudence du Conseil constitutionnel que j'ai rappelée tout à l'heure et qui, au nom d'une conception universelle du citoyen, a interdit au législateur de tenir compte du sexe des candidats pour promouvoir l'accès des femmes aux responsabilités politiques. Des deux décisions du Conseil constitutionnel de 1982 et de 1999, il résulte à l'évidence qu'une loi imposant des quotas ou des candidatures paritaires contredirait le principe d'universalité du suffrage que la haute juridiction fait dériver clairement de l'article 3 de la Constitution. Cette conception de l'universalité est celle du Conseil constitutionnel, mais l'on peut en adopter une autre, car il n'existe pas une définition unique de l'universalisme.
Le juge constitutionnel a fondé son raisonnement principalement sur l'article 3 de la Constitution et, accessoirement, sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il a en effet estimé que ces textes s'opposaient à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles pour tout suffrage politique. Si l'on souhaite moderniser notre vie politique en assurant la participation effective des femmes, il est donc nécessaire de modifier l'article 3 de la Constitution. L'inscription de la réforme à l'article 3 n'a pas seulement une dimension philosophique, elle a aussi une dimension juridique.
Je précise enfin que, en faisant porter la révision constitutionnelle sur le seul article 3, le projet de loi qui est soumis au Sénat n'exclut en rien l'adoption, que certains semblent souhaiter, de mesures concernant les partis politiques, s'agissant notamment de leur financement public.
En effet, l'article 3 de la Constitution régit la souveraineté et le droit de suffrage. Dans la mesure où les partis, aux termes mêmes de l'article 4, « concourent à l'expression du suffrage », l'objectif de parité inscrit à l'article 3 les concernera aussi. Il doit être bien clair que la modification envisagée de l'article 3 de la Constitution autorise le Parlement à adopter, s'il le souhaite, les mesures financières qu'il estimera appropriées pour inciter les partis à ouvrir leurs candidatures aux femmes.
Le fait que la modification de l'article 3 autorise le législateur à adopter des mesures d'incitation financière permet en outre de faire l'économie d'une constitutionnalisation du financement public des partis. Est-il vraiment souhaitable de constitutionnaliser ce financement public ? Je ne le crois pas.
J'en viens maintenant au contenu de la nouvelle règle constitutionnelle.
Si je pense qu'il est contestable de vouloir inscrire celle-ci à l'article 4 de la Constitution, je crois qu'il est encore plus difficile d'accepter la rédaction du texte retenue par la commission des lois du Sénat. Dire avec elle que « les partis favorisent l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives », c'est reporter sur les seuls partis politiques une vague obligation morale, en faisant totalement abstraction de la compétence du législateur.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le constituant ne saurait prier les partis politiques d'agir.
Mme Hélène Luc. Bien sûr !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il ne peut qu'inviter le législateur à prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ainsi, non seulement l'amendement de la commission des lois insère la révision constitutionnelle à l'article 4 de la Constitution réduisant le champ d'extension de la réforme aux seuls partis politiques, mais, de plus, il leur transfère la responsabilité de donner aux femmes la place qui leur revient dans l'action politique.
Le législateur demeure dès lors dépourvu de moyen d'action, si ce n'est par l'intermédiaire du financement public des partis.
Vous l'avez compris, je ne suis pas favorable à un tel système, qui conduit en réalité à priver le législateur des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la parité. Or, il est essentiel que la responsabilité de cette mise en oeuvre pèse sur lui et non sur les partis. Comme l'a déclaré Mme Roselyne Bachelot, dont je partage le sentiment,...
M. Hilaire Flandre. Sur ce point !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Sur ce point comme sur d'autres, notamment le pacte civil de solidarité, monsieur le sénateur !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Même combat !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Comme l'a déclaré Mme Roselyne Bachelot, disais-je, « il faut bien établir que c'est la loi qui assure l'égal accès et que renvoyer à l'organisation des partis relève d'une mauvaise appréciation des mécanismes qui ont conduit à l'exclusion des femmes de la vie politique ».
M. Henri Weber. Très juste !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Jusqu'à présent, lesdits partis, hormis sous l'influence de certains responsables politiques, loin d'encourager les femmes souhaitant s'engager, ont, au contraire, tout fait pour les empêcher d'exercer des responsabilités.
Dois-je rappeler ce que disait le sénateur Bérard en 1919 pour justifier, si l'on peut dire, que le droit de vote ne soit pas octroyé aux femmes ? Il affirmait : « L'immense majorité des femmes de France, si vaillantes et si pleines de bons sens (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen), repousse le présent qu'on veut lui faire ; l'immense majorité des femmes de France ne veut pas du bulletin de vote (Nouveaux sourires sur les mêmes travées) : elle estime qu'elle n'a pas à quitter le foyer pour aller au forum, elle estime que la maison familiale, avec les enfants à élever, suffit largement à sa tâche et que, en ce domaine, la mission est assez haute, assez noble, assez grande ; elle estime que là se borne sa tâche pour la patrie. »
Mme Hélène Luc. Dans cette assemblée, il y a encore des hommes qui pensent ainsi !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, la parité n'est pas un présent qu'on offre aux femmes ! Je ne peux pas croire que le Sénat, en vidant de son contenu la réforme proposée par le Gouvernement et le Président de la République, veuille être un obstacle, comme voilà quatre-vingts ans maintenant, à une disposition que notre pays réclame.
Le constituant ne peut pas s'en remettre à la seule bienveillance des partis politiques pour réaliser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Le législateur doit prendre ses responsabilités comme il l'a fait, par exemple, en imposant aux partis, par le biais de lois simples, des règles afférentes au financement public.
Par conséquent, si les partis politiques doivent contribuer essentiellement à l'égal accès des femmes et des hommes à la vie publique, ce ne peut être que dans des conditions que la loi détermine.
On pourrait objecter qu'imposer une telle règle aux partis ce serait limiter la liberté de choix des électeurs. Mais dois-je rappeler qu'au scrutin proportionnel où les listes sont bloquées il n'y a pas plus de choix donné aux électeurs de voter pour un tel ou une telle ?
M. Hilaire Flandre. C'est bien vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cela n'a jamis soulevé de problème consitutionnel.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Scrutin majoritaire !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Malgré le travail remarquable accompli par votre commission et par son rapporteur, auquel je veux rendre hommage, la proposition qu'elle présente ne me semble pas correspondre à la grande réforme voulue par le Gouvernement et attendue avec impatience par l'ensemble du peuple français qui ne comprend pas pourquoi les femmes ne peuvent avoir la place qui leur revient dans la vie politique.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est pourquoi je vous demanderai d'adopter le texte retenu par l'Assemblée nationale, qui me semble de nature à contribuer à la modernisation de notre vie politique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, mon propos s'inscrit en toute complémentarité de l'intervention que vient de faire, avec talent et conviction, Mme Elisabeth Guigou.
La dimension historique de ce que l'on peut appeler « la marche des femmes » permet de mieux comprendre le débat de ce jour sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions, aux décisions politiques et, disons-le, au partage du pouvoir.
Cette longue marche est jalonnée de noms de femmes et d'hommes célèbres pour leur action. Le temps manquerait pour évoquer chaque mémoire. Je pourrais choisir Olympe de Gouges et la célèbre phrase qu'elle a prononcée en 1791 : « La femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit aussi avoir le droit de monter à la tribune. »
Je pourrais également évoquer la mémoire de François Poulain de la Barre qui, voilà trois cents ans, déclarait : « Toutes les lois semblent n'avoir été faites que pour maintenir les hommes dans la position où ils sont. » Je pourrais encore citer Condorcet qui, en 1787, parlant de l'exclusion des femmes, affirmait : « Songez qu'il s'agit des droits de la moitié du genre humain. »
Déjà en 1919, comme en 1938, le débat sur le droit de vote des femmes dans cette assembée avait donné lieu à de vifs échanges pour se terminer en 1944, comme l'a rappelé Mme Elisabeth Guigou, par une décision prise par ordonnance !
Vous me permettrez de reprendre d'un mot l'argumentation juridique et l'interrogation philosophique qu'un tel sujet sur l'égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités politiques mérite, argumentation et interrogation qui sont très présentes depuis plusieurs semaines dans les milieux concernés et dans la presse.
Une conception historique des droits universels, le débat sur la dialectique « nature-culture » qui façonne la femme et qui a traversé la réflexion de mes vingt ans, voire de mes trente ans, et la vôtre, j'en suis persuadée, aboutissent aujourd'hui à un constat : rien n'a changé dans la représentation du peuple, ou si peu.
Depuis des décennies, notre démocratie moderne débat sur le sujet. Chacun s'exprime et, pendant ce temps, les femmes continuent à être aussi peu nombreuses dans les assemblées parlementaires. Les chiffres ont été rappelés : elles représentent 5 % des sénateurs et 11 % des députés.
Les Françaises seraient-elles moins prêtes que les autres femmes européennes à prendre leurs responsabilités et à siéger dans les lieux de décision ?
Aucun démocrate ne peut le penser et se satisfaire de la situation actuelle d'une République dans laquelle la loi est votée par un Parlement composé à plus de 90 % par des hommes.
Pourquoi voulez-vous contraindre les femmes à entrer dans la vie politique si elles ne le souhaitent pas ? ont demandé certains d'entre vous dans le dialogue qui s'est instauré à la commission des lois. Cette question mérite réflexion. Dans l'organisation actuelle de la vie sociale, familiale et professionnelle, il est plus difficile à une femme qu'à un homme d'exercer de telles responsabilités, et nous le savons tous. Femme et savoir, femme et pouvoir, ce sujet a donné lieu à travers le temps et l'espace à une multitude de jugements et de sentences, de décrets et d'anathèmes, de malédictions, voire de fulminations.
Fort heureusement, nous n'en sommes plus là, mais le débat se poursuit.
Une amie philosophe parle de la mixité universelle de l'humanité et affirme que « le genre humain n'existe pas hors de cette double forme ».
L'un des enjeux de cette réforme constitutionnelle, c'est bien de reconnaître que le peuple est souverain dans sa double identité ; les femmes ne sont ni une communauté ni une minorité.
Comment, concrètement, avancer pour parvenir à une mixité de nos assemblées et répondre aux attentes des citoyennes et des citoyens dont nous sommes les représentants ?
La mise en oeuvre de la parité politique paraît plus aisément réalisable dans le cadre des élections aux scrutins de liste, à la proportionnelle : élections régionales, européennes et municipales.
S'agissant des élections au scrutin uninominal, comme l'a rappelé le Premier ministre le 9 décembre 1998, la parité n'est en aucune façon un prétexte pour modifier les modes de scrutin. « Une pensée, un objectif, pas d'arrière-pensée », a-t-il déclaré.
Je rappellerai que, si l'inscription de la parité a la préférence du Gouvernement, le législateur pourrait souhaiter la mise en place d'autres solutions, par exemple des seuils évolutifs. Il s'agirait alors d'aller vers la parité par étapes successives, en fonction du calendrier électoral.
Des dispositions pourraient être prises pour moduler une partie du financement des partis politiques en fonction de la place faite aux femmes.
Pour avancer des propositions, je m'appuierai sur les travaux de l'Observatoire de la parité, qui vient d'être renouvelé et qui sera présidé par une parlementaire, Mme Dominique Gillot. Elle succédera à Mme Roselyne Bachelot, dont chacun a salué le travail, ainsi que celui qui a été accompli par la commission politique animée par Mme Gisèle Halimi.
Les membres de l'Observatoire sont choisis parmi des élus, des spécialistes de l'emploi, de la formation professionnelle, des sociologues, des politologues, des journalistes, des historiens, des représentants du monde associatif ; il réunira ceux qui, aujourd'hui, travaillent individuellement ou collectivement sur l'ensemble des questions d'égalité.
Martine Aubry et moi-même souhaitons que leurs premières conclusions nous parviennent avant la fin du premier semestre 1999.
Je souhaiterais maintenant introduire une deuxième dimension à ce débat.
La parité n'est pas un but en soi. On entend, ici ou là, que cette aspiration ne concerne que quelques femmes privilégiées. La juste place des femmes dans les lieux de décision, c'est à l'évidence un levier pour accélérer la mise en mouvement de notre société sur des sujets qui ne sont pas suffisamment visibles à ce jour : inégalités que vivent trop de femmes dans le monde du travail et dans l'accès à la formation, violences subies dans leur vie personnelle...
La place des femmes dans le monde du travail ne cesse de croître. A présent, dans la tranche d'âge de vingt-cinq à cinquante ans, huit femmes sur dix travaillent. Mais leur activité se concentre fortement dans un faible nombre de secteurs et dans l'emploi précaire. Elles subissent beaucoup plus que les hommes le temps partiel contraint puisque, aujourd'hui, 84 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes.
La même fragilité est constatée si l'on s'intéresse à la formation et à la qualification professionnelle des femmes : près de 80 % des employés et des ouvriers sont des femmes, et ces dernières accèdent deux fois moins que les hommes à la formation tout au long de la vie.
Aucune femme n'est aujourd'hui à la tête d'une des deux cents premières entreprises françaises. Le fameux plafond de verre ! Et pourtant, les jeunes femmes accèdent à présent plus que les hommes à l'enseignement supérieur : cent vingt filles pour cent garçons.
La situation est identique dans la fonction publique. Certains secteurs ont été très largement féminisés : il en est ainsi de la magistrature, des cadres administratifs, des personnels de l'enseignement supérieur, dont les femmes représentent plus de 52 % des effectifs. Toutefois, la place des femmes dans les grands corps de l'Etat, comme le Conseil d'Etat, la Cour des comptes ou l'Inspection générale des finances, est encore très réduite : les femmes ne représentent que 19,9 % des effectifs.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. En ce qui concerne les salaires, les écarts sont encore très importants. La moyenne des salaires des hommes est supérieure de 25 % à la moyenne des salaires des femmes. Et, à travail égal, l'écart des salaires s'élève encore à 12 %.
Dans le domaine de l'emploi et de la formation professionnelle, la persistance des inégalités nous a conduites, Martine Aubry et moi-même, à demander au Premier ministre de charger Mme Génisson, députée, d'une mission d'analyse et de réflexion sur ce sujet.
De la précarité à l'exclusion, il n'y a qu'un pas : 41 % des familles exclues ou en grande précarité sont des familles dites monoparentales. Ne nous cachons pas derrière les mots : 90 % de ces familles sont composées de femmes seules avec des enfants.
Des femmes beaucoup plus nombreuses dans nos assemblées se seraient mobilisées davantage sur ces sujets de société (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit), qui sont restés en dehors des débats publics. J'évoquerai à cet égard les violences, celles de toute nature que subissent les enfants et un nombre encore trop important de femmes dans leur vie quotidienne.
Si le droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse ont été largement débattus dès le début des années soixante-dix, les problèmes de violences - violences conjugales, harcèlement sexuel - n'ont été entendus qu'au début des années quatre-vingt-dix, quand les femmes se sont senties suffisamment libres pour aborder cet aspect très personnel mais déterminant de leur vie.
Nous allons nous engager dans une dynamique, celle que la construction européenne a su impulser à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, aux droits et devoirs de chaque citoyenne et de chaque citoyen.
La logique des mesures que nos voisins européens ont prises pour avancer et que nous traduisons par « discrimination positive » existe dans le droit social français, qui a su s'adapter pour prendre en compte la situation des plus démunis.
Rompre l'égalité de droit pour remédier aux inégalités de fait, c'est ce que la République fait au quotidien pour préserver la cohésion sociale, ciment de notre démocratie.
Permettez-moi d'insister en concluant, mesdames, messieurs : notre responsabilité de représentants des citoyennes et des citoyens est engagée dans ce débat et dans les décisions qui en découlent.
Nous ne pourrons plus nous satisfaire de l'immobilisme actuel dans le partage du pouvoir. Saisissons cette occasion pour moderniser notre vie publique en adoptant, dans l'article 3 de la Constitution, le principe de l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions. Nous avancerons ainsi dans l'objectif historique de la parité qui est soutenu, je vous le rappelle, par 75 % de nos concitoyens et par les plus hautes autorités de l'Etat. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Cabanel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai souhaité être le rapporteur de ce projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. Et j'ai mené ma mission dans un esprit de progrès, de transformation d'une condition qui, en effet, est regrettable.
Je n'ai pu atteindre tous les objectifs que je souhaitais voir se réaliser.
Mme Hélène Luc. Mais cela ne tient qu'à vous !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Ce n'est pas si facile que cela, madame !
C'est en tout cas en toute sincérité que je voudrais rapporter les décisions et les appréciations de la commission des lois.
L'examen par la commission des lois du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes a été précédé de nombreuses auditions, dont le compte rendu est annexé à mon rapport.
Ces auditions ont démontré la complexité du problème et la difficulté de trouver une solution acceptable pour tous.
La complexité de ce problème a été illustrée par des débats entre constitutionnalistes sur le choix de l'article de la Constitution à réviser afin de mieux équilibrer la présence des femmes et des hommes dans la vie publique.
Je ne reviendrai pas en détail sur l'objet du texte qui nous est soumis, car chacun le connaît.
Je rappellerai simplement que, selon l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, ce texte vise à remédier à une présence très insuffisante des femmes au sein des institutions publiques en complétant l'article 3 de la Constitution, qui affirme le caractère indivisible et universel de la souveraineté nationale, afin d'assurer la conciliation de ces principes avec l'objectif d'un égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions.
La loi favoriserait, selon la rédaction initiale du présent projet de loi, ou déterminerait les conditions dans lesquelles serait organisé, selon le texte adopté par l'Assemblée nationale, l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Le débat en commission a permis de dégager sans difficulté un accord sur le constat de la situation et sur la nécessité d'y porter remède.
La solution à trouver, unique objet de notre débat, doit concilier les principes fondamentaux sur lesquels repose notre démocratie avec l'objectif d'une participation plus équilibrée des femmes et des hommes à la vie publique.
Le rapporteur que je suis s'efforcera d'exposer les données principales du problème puis les orientations retenues par la commission des lois.
Les statistiques sont connues et l'insuffisance du nombre de femmes élues en France est patent, comme Mme la garde des sceaux et Mme la secrétaire d'Etat l'ont d'ailleurs souligné.
Les élections législatives de 1997 ne doivent pas donner une fausse illusion. Elles ont certes permis d'enregistrer une progression sensible du nombre des femmes députés, puisque celles-ci constituent 10,9 % de l'effectif de l'Assemblée nationale, avec 63 députés sur 577, au lieu de 6 % sous la précédente législature. Mais si l'on ajoute à ces chiffres ceux du Sénat, on constate que le Parlement de la République ne compte même pas 10 % de femmes à son effectif !
Ce résultat, comparé aux statistiques des quatorze autres pays de l'Union européenne, est critiquable : la France se situe en effet à l'avant-dernière place, juste avant la Grèce, qui, elle, se caractérise par des résultats encore plus regrettables.
M. Claude Estier. Pas pour le Sénat ! Le Sénat, lui, est bien à la dernière place !
M. Guy Cabanel, rapporteur. J'ai parlé du Parlement dans son ensemble.
Il y a quand même dans ce tableau des éléments qu'il faut souligner.
Près de 30 % des élus français au Parlement européen sont des femmes, contre 20 % en 1984. La progression a été constante.
Mme Hélène Luc. C'est un scrutin à la représentation proportionnelle !
M. Guy Cabanel, rapporteur. C'est exact !
Les 110 986 conseillères municipales de France constituent 21,7 % des élus communaux contre 17,7 % en 1989, et 7,6 % des maires sont de sexe féminin contre 5,4 % en 1989.
Enfin, le quart des conseillers régionaux élus en mars 1998, selon un scrutin à la représentation proportionnelle, sont des femmes, alors que la proportion de ces dernières dans les conseils généraux n'est que de 7,4 %, les élections se déroulant, dans ce dernier cas, au scrutin majoritaire. C'est dire que, s'il y a certes une évolution, cette dernière n'est qu'à peine dessinée.
Cette évolution, insuffisante certes mais tout de même significative, a été obtenue sans modification de la législation électorale et, dans la plupart des cas, grâce au scrutin à la proportionnelle et parce que les partis politiques ont, depuis plusieurs années, commencé à prendre des mesures volontaristes pour présenter des candidatures féminines, même dans les scrutins uninominaux.
Toute comparaison avec les pays étrangers doit être effectuée avec prudence et en tenant compte des traditions, des régimes institutionnels et des modes de scrutin différents.
Je dois dire que la mission présidée par notre collègue Mme Nelly Olin sur la place des femmes dans la vie publique, mission à laquelle j'ai eu l'honneur d'appartenir, a mis en lumière des éléments édifiants.
Certes, la France enregistre un retard important. Mais il est intéressant de noter que les pays ayant la plus grande proportion de femmes dans les assemblées - je pense ici aux pays de l'Europe du Nord, au premier rang desquels la Suède - n'ont adopté aucune législation contraignante, aucune loi d'obligation de quotas ou de parité. Les résultats enregistrés dans ces pays proviennent de l'action déterminée des associations féministes et de la volonté des partis ; peut-être cet élément a-t-il compté lors des débats au sein de la commission des lois.
Au demeurant, cinq pays dans le monde, dont un seul en Europe, la Belgique, ont fixé des quotas de femmes pour les candidatures aux élections ; et encore, en Belgique, ces quotas n'ont été appliqués que pour les élections locales, avec des résultats assez surprenants, puisque aucune progression forte de la présence féminine dans ces assemblées locales n'a été enregistrée.
Aucun pays n'a jusqu'à présent inscrit dans sa constitution de disposition autorisant le législateur à imposer des candidatures paritaires aux élections politiques.
Ce constat, que nul ne conteste, n'implique cependant pas un accord sur la meilleure solution possible, car, si nous sommes d'accord sur la maladie, nous ne le sommes pas sur la thérapeutique.
En effet, faut-il prendre des mesures contraignantes, à travers les lois électorales d'obligation, ou n'est-il pas préférable, au moins dans un premier temps, d'adopter des mesures incitatives ?
La réponse à cette question dépend d'une appréciation politique d'opportunité mais aussi d'une analyse attentive des conséquences de l'une ou de l'autre orientation sur les principes de base de notre démocratie.
L'égale éligibilité des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives a déjà été établie en droit par le général de Gaulle avec l'ordonnance du 21 avril 1944. Elle a été inscrite à l'article 4 de la Constitution de 1946, puis à l'article 3 de la Constitution de 1958.
Il s'agit donc non pas de savoir si l'égalité doit ou non être affirmée, mais de déterminer comment traduire cette égalité en droit dans les faits et donc comment assurer une égalité réelle des chances.
Notre droit comporte déjà certaines mesures de discrimination positive destinées à créer une différence de traitement pour compenser une inégalité de fait maintenue en dépit de l'égalité en droit. On trouve ainsi de telles dispositions en droit social, en droit fiscal ou en droit de l'aménagement du territoire.
En revanche, aucune mesure de discrimination positive n'a jamais été appliquée dans le domaine électoral, puisque l'article 3 de la Constitution accorde des droits civiques strictement égaux à tous les nationaux français majeurs des deux sexes.
Dans ses décisions du 18 novembre 1982 et du 14 janvier 1999, le Conseil constitutionnel, s'appuyant sur l'article 3 de la Constitution et sur l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, a estimé que « la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ».
La fixation de quotas dans la législation électorale est donc subordonnée à une révision de la Constitution, et c'est ce que prévoit le projet de loi soumis au Sénat.
Dès lors que l'article 3 ne serait pas modifié, une législation imposant des candidatures paritaires ne pourrait intervenir, comme vient de le confirmer le Conseil constitutionnel.
L'égalité entre les sexes étant juridiquement établie en droit, sinon en fait, le projet de loi qui nous est soumis ne la remettrait-elle pas en cause ?
On peut en effet considérer qu'un texte conditionnant la recevabilité de candidatures à la présence d'une proportion déterminée de femmes et d'hommes créerait une discrimination entre les sexes, alors que la démocratie ne reçoit les êtres humains qu'en tant que tels.
Il est également possible de soutenir qu'une telle conception de l'égalité est abstraite et donc plus formelle que réelle. Le projet de loi constitutionnelle aurait alors pour objet de réduire l'écart entre les droits proclamés et la réalité des droits exercés.
Le texte soulève aussi, pour les membres de la commission des lois du Sénat, la question de l'universalisme républicain, qui constitue un fondement de notre démocratie.
Selon l'article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple » et « aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ». Cela signifie que le Parlement tout entier représente la nation tout entière, et que chaque parlementaire pris isolément ne représente rien que lui-même, puisque la qualité de représentant est attribuée à l'organe et non à ses membres pris isolément.
Les élus ne représentent pas les électeurs de leur circonscription, mais la nation tout entière, bien qu'ils pensent souvent le contraire.
L'obligation de candidatures paritaires qui serait faite ne provoquerait-elle pas une division du corps électoral ? Telle est la principale question soulevée par le projet de loi. Il y a des arguments pour, et des arguments contre.
Mme Francine Demichel, constitutionnaliste, a contesté que les femmes appartiennent à une catégorie, relevant que le sexe apparaissait comme le seul élément indissociable de la notion même de personne.
Tous les attributs qu'une personne peut posséder sont soit contingents - nom, profession, situation matrimoniale, appartenance à une classe ou à un groupe social - soit mouvants - âge - soit encore irrecevables dans un droit démocratique - race, couleur de peau - et le sexe, estime Mme Francine Demichel, seul élément qui contribue à définir l'identité même de l'individu, doit pour cela même être pris en compte pour la théorie de la représentation.
Ainsi, la moitié du genre humain ne pouvant être assimilée à aucune catégorie ou minorité, l'instauration de la parité entre les femmes et les hommes dans le domaine électoral ne pourrait pas, selon Mme Demichel, fonder ensuite des revendications de quotas en faveur de telle ou telle partie de la société.
Ce point de vue est cependant très contesté.
Ainsi Mme Elisabeth Badinter considère-t-elle que, dès lors que l'éligibilité est établie en droit de la même manière pour tous, le citoyen, donc le candidat, donc l'éventuel élu, ne peut être distingué selon des caractéristiques particulières tenant à la race, à la religion, à la culture ou au sexe.
Toute différenciation, pour Mme Badinter, briserait l'unité du corps électoral, pourrait susciter des revendications de quotas de la part de telle ou telle catégorie de la société et conduire au communautarisme, par essence contraire à l'intégration républicaine.
Un tel risque doit être évalué à sa juste mesure.
L'appréciation que votre rapporteur en a fait l'a conduit, dans un premier temps, à estimer que l'établissement de la parité entre les femmes et les hommes ne serait pas de nature à justifier des revendications comparables de la part de catégories minoritaires, les femmes ne pouvant être assimilées ni à une catégorie ni à une minorité.
La commission des lois, à l'issue d'un long débat, a considéré que le risque de communautarisme - quand bien même il serait peut-être moins important que certains le craignent - comportait trop de conséquences graves pour être encouru.
Elle s'est donc prononcée contre une rédaction du texte qui permettrait à la loi d'imposer des quotas, y compris aux alentours de 50 %, c'est-à-dire de la parité, car cela porterait atteinte au principe de l'universalité du suffrage.
Un texte autorisant des quotas pour les femmes serait susceptible d'encourager le développement du communautarisme. Pareil mouvement irait à l'encontre de toute politique d'intégration, particulièrement nécessaire à notre société actuellement.
Aussi votre commission n'a-t-elle pas retenu la proposition de compléter l'article 3 de la Constitution soit dans la rédaction retenue par l'Assemblée nationale, soit, comme je l'ai proposé, dans celle du texte initial du projet de loi constitutionnelle.
Elle a estimé qu'un meilleur équilibre dans la participation des femmes et des hommes à la vie publique relevait principalement de la responsabilité des partis, puisque ce sont eux qui désignent les candidats, pour l'essentiel.
Le rôle des partis politiques est d'ailleurs prévu par l'article 4 de la Constitution, selon lequel ils « concourent à l'expression du suffrage ». Les partis politiques peuvent donc prendre eux-mêmes librement les dispositions adéquates.
Les efforts engagés par les partis politiques depuis quelques années traduisent déjà une certaine prise de conscience, on l'a constaté. Ils ont commencé à produire quelques effets et laissent espérer de nouveaux progrès.
Le souhait émis par un certain nombre de partis politiques de voir leurs efforts encadrés et facilités par des dispositions juridiques conduit aussi votre commission à proposer de compléter l'article 4 de la Constitution, puisqu'il concerne le statut constitutionnel des formations politiques.
En premier lieu, il convient d'inscrire à l'article 4 de la Constitution, sans ambiguïté aucune, le principe selon lequel il relève de la responsabilité des partis politiques de favoriser la mise en oeuvre du principe constitutionnel de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
Dès lors, le champ d'application de la révision constitutionnelle serait mieux assuré, les mandats et les fonctions susceptibles d'être concernés ne pouvant être que ceux pour lesquels les partis présentent des candidats, à l'exclusion, par exemple, des fonctions de juge élu. Naturellement, cette solution devrait respecter la totale liberté des candidatures individuelles.
L'affirmation de la responsabilité des partis politiques en la matière, non contestée dans les faits, ne remettrait en cause aucun principe constitutionnel fondant notre démocratie.
En second lieu, il paraît opportun de pouvoir, si nécessaire, encourager les partis politiques dans les efforts amorcés pour permettre une répartition plus équilibrée des femmes et des hommes assumant des responsabilités politiques.
A cet effet, la commission vous propose que l'article 4 de la Constitution prévoie aussi que les règles relatives au financement public des partis politiques puissent, si le législateur le décidait, contribuer à la mise en oeuvre des principes constitutionnels énoncés à l'article 4 de la Constitution : égal accès, respect par les partis des principes de souveraineté et de démocratie.
Cette législation, de caractère incitatif, placerait les partis politiques dans une situation égale au regard du risque électoral éventuel qu'ils craindraient d'assumer face à l'égalité des femmes et des hommes.
Il appartiendrait au législateur de définir les modalités de cette modulation du financement public, qui pourrait être établie sans majoration de la masse globale des subventions accordées aux partis.
Cette incitation devrait rester suffisamment modérée pour ne pas « compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idée et d'opinion », selon la jurisprudence établie par la décision du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1990 sur la loi relative à la limitation des dépenses électorales.
A mon sens, cette législation incitative pourrait être applicable pour une durée limitée. Une fois les résultats obtenus, on pourrait éventuellement revenir à des dispositions de droit commun.
Telles sont les propositions de la commission des lois que son rapporteur vous demande loyalement d'approuver.
Elles doivent être considérées comme la traduction de la recherche d'un compromis ne présentant aucun risque au regard des principes fondamentaux de la démocratie, mais permettant d'atteindre progressivement, donc sans rupture brutale, les résultats souhaités.
Ces solutions pourraient, certes, être refusées, aussi bien par ceux qui les jugeraient excessives que par ceux qui les estimeraient insuffisantes.
Dès lors que chacun entendrait se limiter à ses positions de principe initiales - certes légitimes - aucun accord ne pourrait être dégagé et la situation resterait donc, hélas ! en l'état.
Je ne peux pas croire que tel soit le sentiment d'un seul d'entre nous.
La recherche d'un accord en matière constitutionnelle requiert un vote identique des deux assemblées, puis celui du Congrès à la majorité des trois cinquièmes.
En conclusion, je vous dis donc du fond du coeur que chacun doit faire un effort, le Sénat, mais aussi l'Assemblée nationale et le Gouvernement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'émettre un souhait : évitons d'aborder ce débat bardés d'arrière-pensées ou de préjugés (Rires sur les travées socialistes),...
Mme Hélène Luc. On ne peut pas parler de préjugés !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois, ... voire, madame le garde des sceaux, d'une certaine malice. Vous avez cité tout à l'heure le sénateur Bérard. Mais peut-être était-ce, après tout, la vérité du moment ! (Murmures sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy. Oh !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Toutefois, c'était en 1919 ! Puis-je vous faire remarquer que, depuis, certaines choses ont évolué, parfois d'ailleurs sous l'inspiration du Sénat, ...
M. Jean-Louis Carrère. Le droit de vote des femmes, par exemple ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... et que, circonstance atténuante, l'énorme majorité d'entre nous n'étaient pas nés à cette date ? (Sourires.)
Je salue au passage la mémoire de celui qui fut l'un de nos grands ancêtres et qui fut un grand sénateur : admettez que nous puissions évoluer et ne plus dire aujourd'hui, peut-être, les mêmes choses dans les mêmes termes ! (MM. Chérioux et de La Malène applaudissent.)
Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner une révision constitutionnelle et non une loi ordinaire, et nous entendons que le texte que nous allons adopter ne remette en cause ni l'esprit ni la lettre de la Constitution.
Je regrette que certains aient tenté de stigmatiser par avance les parlementaires de toutes tendances qui envisageraient d'exercer à l'égard du présent projet de loi leur pouvoir souverain de constituant.
On a pu notamment laisser entendre que ne pas se rallier à la rédaction proposée - mais laquelle, d'ailleurs, celle du Gouvernement qui a peut-être recueilli l'accord du Président de la République, ou celle de l'Assemblée nationale, qui comportent entre elles, vous l'avez noté, quelques divergences appréciables ? - caractériserait une conception conservatrice, antiféministe,...
M. Pierre Mauroy. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... que l'on voudrait considérer commodément comme typique de la droite sénatoriale.
M. Bernard Piras. C'est un peu vrai !
M. Guy Fischer. Vous le reconnaissez vous-même !
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je voudrais répondre à ces préjugés un peu rapides, mais encore partagés, par deux remarques.
Tout d'abord, à l'origine des lois ordinaires sur la contraception et l'interruption volontaire de grossesse, l'IVG, on trouve des propositions ou des projets de loi déposés par la droite ; puis ces lois ont été adoptées...
M. Jean-Louis Carrère. Par la gauche !
M. Bernard Piras. Oui, par la gauche !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... de manière très consensuelle...
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas vrai !
Mme Hélène Luc. Sans la gauche, le projet de loi sur l'IVG ne passait pas, bien que ce soit Mme Simone Veil qui l'ait proposé !
M. Bernard Piras. Relisez les débats !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. J'ai relu les débats ! S'il n'y avait pas eu une conjonction des voix de droite et de gauche...
Mme Nicole Borvo. Justement ! Aujourd'hui, c'est la même chose !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... - car vous étiez heureusement minoritaires à l'époque ! -, ces lois n'auraient pas été votées.
Mme Hélène Luc. Sans la gauche, ces lois n'auraient pas été votées !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Or elles l'ont été, et elles l'ont été...
M. Bernard Piras. Par des hommes !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... par des assemblées qui, je le constate sans m'en réjouir, étaient composées à 90% d'hommes.
Mme Hélène Luc. Mme Veil l'a dit elle-même !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. L'argument un peu rapide que vous avez avancé tout à l'heure sur l'attitude systématiquement hostile à l'égard des femmes, qui serait celle d'assemblées où les hommes sont majoritaires, ne me paraît donc pas sérieux.
M. Christian de La Malène. Il ne l'est pas !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. J'en viens à ma deuxième remarque.
Ce débat s'engage dans des conditions difficiles en raison du délai qui nous a été imparti compte tenu de l'ordre du jour prioritaire fixé par le Gouvernement. Au sein de la commission, certains, toutes tendances confondues, ont d'ailleurs semblé regretter qu'un temps suffisant ne nous ait pas été laissé, mais c'est un fait.
Mme Hélène Luc. Mais non ! Nous avons eu tout le temps de réfléchir à cette question depuis longtemps ! Voyons, voyons, monsieur le président !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Voyons, voyons, madame Luc ! (Sourires.) Puis-je vous dire qu'il ne suffit pas d'évoquer les questions mais qu'il faut aussi les étudier sérieusement et en évaluer les conséquences.
A cet égard, je vous informe tout de suite, parce que certaines allusions y ont été faites tout à l'heure, que nous aborderons exactement dans le même état d'esprit le débat sur le PACS. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Vives exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Nicole Borvo. Nous nous en doutons !
Mme Hélène Luc. C'est tout à fait significatif !
M. Bernard Piras. Vous anticipez !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous aurons la même volonté d'aller au fond des choses, et nous montrerons que le PACS est un monstre juridique !
Mme Nicole Borvo. Et la présence des femmes, c'est un monstre juridique ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je vous invite d'ailleurs, pour constater le sérieux de notre étude sur cet autre texte, à venir assister demain à la série d'auditions publiques que nous organisons : partisans et adversaires auront largement le temps de se faire entendre.
Mme Nicole Borvo. Tant mieux !
M. Christian de La Malène. Nous irons au fond des choses !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Sur le projet relatif à la parité, malgré le peu de temps qui nous a été laissé, nous avons cependant entendu procéder à des auditions, et nous avons eu à coeur d'entendre les opinions de manière égale, notamment plusieurs femmes connues pour leurs engagements antérieurs en faveur des droits des femmes.
Je dois à la vérité de dire que la qualité de l'apport à la fois philosophique et intellectuel de toutes celles qui ont comparu devant la commission a ébranlé les certitudes de plus d'un d'entre nous.
Mais, d'ailleurs, quelles sont ces certitudes ? On nous parle d'exigence de l'opinion publique, voire de sa partie féminine, à laquelle, dans les circonstances actuelles, vous imaginez bien que nous prêtons une attention particulière !
Nous savons ce qu'il faut penser des sondages ; ce n'est pas la loi, et nous ne gouvernons point ni ne légiférons sous leur pression. Il n'empêche, voilà à peine six mois, l'opinion publique, par le biais des sondages, a été interrogée sur le problème de la parité hommes-femmes.
La première question était la suivante : estimez-vous que la parité entre les hommes et les femmes dans les assemblées doit être une obligation inscrite dans la Constitution ? Les Français dans leur ensemble ont répondu oui à 20 %, les hommes à 22 % - pas de préjugés ! (Sourires) - et les femmes à 18 %.
M. Jean Chérioux. Les femmes sont intelligentes !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Deuxième question : faut-il obliger les partis politiques à présenter autant de femmes que d'hommes aux élections ? Y étaient favorables 29 % des Français dans leur ensemble, 31 % des femmes - là, elles gagnent ! - et 27 % des hommes.
Enfin, faut-il trouver d'autres moyens - cela fait appel à notre imagination, mais vous savez que nous n'en manquons point ! - pour améliorer la place des femmes en politique ? Y étaient favorables 46 % de l'ensemble des Français, 44 % des hommes et 47 % des femmes.
M. Pierre Mauroy. La cause est entendue !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous devons donc progresser dans notre réflexion.
Nous entendons toutefois le faire de manière raisonnée,...
Mme Nicole Borvo. En cent ans !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... en prenant notre temps, afin d'aboutir à des mesures qui ne soient ni une régression pour les femmes, comme certaines, parmi les plus éminentes, ont tenu à nous le dire, ni un danger pour la démocratie universelle. (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. C'est incroyable !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Vous pouvez rire, mesdames ! Nous, cela ne nous a pas fait rire quand elles nous l'ont dit ; cela nous a simplement permis de comprendre que le sujet méritait une réflexion approfondie, étant entendu que, lorsque le Sénat se livre à une telle réflexion, il accomplit le travail qui lui est imparti par la Constitution. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Que vous ayez pu laisser entendre que cela porterait atteinte à la démocratie, c'est vraiment incroyable !
M. Jean Chérioux. La démocratie, vous êtes bien mal placée pour en parler !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ces femmes que nous avons entendues, qu'ont-elles voulu nous dire ? J'aborde là le fond du débat.
Historiquement, grâce à sa conception intégratrice de l'égalité, grâce aussi à sa vision universaliste de la démocratie, la France a connu une évolution qui a fait d'elle une référence en matière de droits des femmes, au sens le plus large, pour ce qui concerne l'éducation, la vie professionnelle - à cet égard, ce que vous avez dit du Conseil d'Etat prouve que vous n'y connaissez pas grand-chose, madame le secrétaire d'Etat -...
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Mesurez vos propos, monsieur le président !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... pour ce qui concerne la vie familiale, la vie associative, l'accès à la fonction publique. Toutes les femmes qui voyagent à l'étranger le savent.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Citez vos chiffres, nous pourrons les confronter !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je ne voudrais pas que nos débats d'aujourd'hui effacent l'importance de ce bilan, quels que soient les efforts que nous avons encore à consentir.
Grâce à cette action que nous avons menée, nous avons évité une certaine conception aseptisée, rigidifiée des rapports hommes-femmes qui prévaut dans certains Etats. Je m'en réjouis et je souhaite que notre débat d'aujourd'hui soit donc mené sans caricature.
Les comparaisons géographiques ont souvent servi à justifier la réforme proposée. Pour m'en tenir aux démocraties - dans le système soviétique, on avait trouvé un moyen : on mettait des contingents de femmes - je dirai seulement que chaque pays a mené ou laissé aller son évolution, au regard du sujet qui nous occupe, à son rythme, parfois beaucoup plus rapidement que la France, mais parfois aussi au détriment d'autres aspects.
Dans les pays où l'on trouve le plus de femmes parlementaires, comme en Suède, on trouve beaucoup moins de cadres supérieurs ou bien encore - nous, élus locaux, qui avons le mérite d'être « cumulards », savons bien que les efforts en ce domaine sont relativement insuffisants ! - moins de crèches permettant aux mères de jeunes enfants de travailler, comme en Allemagne ou aux Etats-Unis.
En tout état de cause, aucun des pays souvent cités en exemple n'a eu recours à des quotas obligatoires identiques à ceux qui résulteraient nécessairement de la rédaction qui nous est proposée.
A fortiori, les Etats-Unis - où les résultats ne sont d'ailleurs pas si extraordinaires - n'ont jamais étendu au domaine électoral leurs expériences en matière de discrimination positive, expériences aujourd'hui si critiquées qu'ils sont obligés d'y renoncer progressivement.
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas le même problème !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Placée à cet endroit de la Constitution, la modification proposée - c'est là le point essentiel - induirait nécessairement des quotas en matière électorale. Nous y sommes opposés pour trois raisons.
Premièrement, ce serait l'échec de notre évolution historique et l'aveu de l'incapacité dans laquelle nous serions d'aboutir à un résultat souhaité par tous par des moyens plus conformes aux exigences démocratiques.
Mme Hélène Luc. Et d'avoir 5,6 % de femmes sénateurs, ce n'est pas un échec ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Il y a entre ceux qui soutiennent la proposition qui nous est faite et ceux qui s'y opposent une divergence fondamentale que l'on rencontre d'ailleurs dans tous les domaines.
Mme Odette Terrade. Les femmes, ce n'est pas une catégorie, c'est la moitié de l'humanité !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Face à ce problème réel, vous avez recours à la contrainte. (Protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) Nous, nous voulons prendre le problème à bras-le-corps et le résoudre en utilisant des moyens conformes aux exigences de la démocratie.
Mme Odette Terrade. Et dans cinquante ans, cela n'aura pas changé !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Vous ne serez plus là ! (Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Ce n'est vraiment pas une raison !
M. Pierre Mauroy. Ni une réponse !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Deuxième raison de notre opposition : la mesure qui nous est proposée serait la négation de l'unité du corps électoral et du principe du mandat représentatif, qui fait de chaque élu, quelles que soient ses caractéristiques propres, le représentant de la nation.
Mme Danièle Pourtaud. Mais tel est bien le cas des femmes élues !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Le deuxième alinéa de l'article 3 de la Constitution pose un principe intangible et fondateur en disposant qu'aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale.
M. Michel Charasse. Voilà !
Mme Odette Terrade. Très juste !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Pour vous faire mesurer le risque auquel nous sommes confrontés, mes chers collègues, je veux vous livrer une information. Elle vaut ce qu'elle vaut, puisqu'elle est tirée du Nouvel Observateur (Rires sur les travées socialistes),...
M. Claude Estier. Ce n'est sans doute pas votre lecture favorite !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... qui peut tout de même être considéré comme une source importante d'information ! D'ailleurs, pour être honnête, le sondage était, lui aussi, tiré du Nouvel Observateur ! (Exclamations sur les travées socialistes.) Voyez, on peut tout en faire !
Eh bien, dans le Nouvel Observateur du 20 janvier 1999, on annonce - je dis cela avec toutes les précautions d'usage - la création d'un collectif « Egalité », qui s'est donné pour mission de « défendre le droit des Afro-Français à une représentation médiatique ». Un temps d'antenne à la télévision pour les Afros-Français, pourquoi pas ? Mais je reprends la citation, « Un jour, viendra le tour de la représentation politique. S'il faut des quotas, on les constituera ».
M. Claude Estier. Cela, vous ne l'avez pas lu dans le Nouvel Observateur !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ah si ! J'ai mes sources !
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas le sujet !
M. Guy Penne. S'il y avait une association d'affreux, vous pourriez en être ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Monsieur Penne, votre propos est stupide. De notre temps, les affreux étaient ceux que nous combattions avec le sentiment de défendre l'honneur de la France. Alors, vous pouvez ravaler votre propos ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Aucun parlement démocratique ne pourra être un représentant statistique de la société ; ce n'est pas son rôle. Cela l'est d'autant moins que la collectivité que forment l'ensemble des élus doit définir l'intérêt général, c'est-à-dire faire abstraction des particularismes pour forger l'unité et ne pas exacerber les différences.
J'en viens au troisième et dernier motif d'opposition à la rédaction proposée.
On nous a dit que le principe de parité était facile à mettre en place lorsque le mode de scrutin était la proportionnelle.
Mme Hélène Luc. Eh bien voilà !
Mme Odette Terrade. Voilà pourquoi il faut la proportionnelle !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Au sein de la commission, je faisais remarquer à l'un de nos collègues qui y travaille très activement que, si le groupe communiste est, au sein du Sénat, celui qui compte proportionnellement le plus de femmes,...
Mmes Hélène Luc et Nicole Borvo. Absolument !
M. Jacques Larché président de la commission des lois. ... dont nous reconnaissons qualité, c'est à la représentation proportionnelle qu'il le doit.
Un sénateur du RPR. Bien sûr !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. C'est d'une logique absolue. La proportionnelle favorise ce que l'on veut faire aujourd'hui, mais il y a un obstacle, et personne n'a été capable de me dire comment on pourrait le franchir : la conciliation entre le principe de la parité et le scrutin majoritaire.
M. Jean-Louis Carrère. Ce n'est pas un bon argument ! On peut y arriver avec le scrutin majoritaire !
Mme Hélène Luc. Il faut étendre la proportionnelle, c'est clair !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. J'en suis tout à fait d'accord. Mais notre opposition est fondamentale : vous êtes favorable à la proportionnelle,...
Mme Hélène Luc. Oui !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... moi pas ! Je ne veux donc pas d'un système qui vise à l'étendre ou à la rendre pratiquement obligatoire.
On nous a proposé des « trucs » qu'un éminent professeur de droit, favorable à la parité, a qualifiés de « relativement farfelus ». Je lui laisse la responsabilité de son propos.
Certains ont proposé en commission de doubler le nombre de députés dans chaque circonscription, d'élire en quelque sorte un duo homme-femme. Certains ont proposé que des circonscriptions soient réservées aux hommes et d'autres aux femmes.
M. Hilaire Flandre. Et les transsexuels ?
M. Jean-Louis Carrère. Des multi-PACS ? (Sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. En vertu de quels critères ? Je ne vois pas très bien comment on procéderait dans les Landes ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre Mauroy. Le scrutin municipal est une solution !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Le scrutin municipal est proportionnel. Comme vous le savez, il existe deux scrutins majoritaires : le scrutin majoritaire cantonal et le scrutin majoritaire législatif auquel vous avez toutes raisons de demeurer attachés depuis quelque temps...
M. Jean Chérioux. Il y a aussi l'élection du Président de la République !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Pourquoi y aurait-il une seule voie de conciliation ! Si vous me le prouviez, j'accueillerai cette suggestion avec le plus grand intérêt.
Dès lors, nous en sommes venus à rechercher de véritables solutions. Nous partageons le constat et l'objectif qui sont les vôtres. Nous avons identifié le blocage institutionnel qui a trait au choix des candidats par les partis politiques.
J'espère que nous parviendrons à trouver des mesures incitatives qui, selon vous, madame le garde des sceaux, font partie de celles qui devraient être envisagées.
Telles sont les conclusions auxquelles nous sommes parvenus à la suite des travaux approfondis que nous avons accomplis. Nous souhaitons et nous faisons tous des efforts pour que plus de femmes soient présentées et élues. Au fond, c'est notre objectif commun, mais, selon nous, il ne doit pas être atteint par des moyens qui emporteraient avec eux des principes fondateurs de notre démocratie, ceux-là même qui nous ont permis d'être tous ensemble dans cet hémicycle aujourd'hui pour débattre de cette question fondamentale. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Monsieur le président de la commission, sans du tout vouloir entrer dans une polémique, je voudrais dire qu'une femme, pas plus qu'un homme, n'aime entendre qu'elle ne domine pas son sujet quand elle avance un certain nombre de chiffres ! Mais peut-être n'avons-nous pas les mêmes sources et je vais me permettre de citer les miennes.
S'agissant de la place des femmes dans la fonction publique, je réaffirme que, dans les grands corps de l'Etat, Conseil d'Etat, Cour des comptes, inspection générale des finances, la place des femmes à ce jour est de 15,9 %.
Je tiens à votre disposition un ensemble de tableaux concernant les cadres et professions intellectuelles supérieures, l'emploi dans les grands corps de l'Etat, les emplois laissés à la décision du Gouvernement. Ces chiffres sont issus de la direction générale de l'administration et de la fonction publique, la DGAFP, du bureau des statistiques, en date du 1er juin 1997.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. S'agissant des mesures prises dans certains pays européens, j'en citerai trois qui contredisent vos propos.
En Allemagne, la deuxième loi sur l'égalité des droits entre les femmes et les hommes, et qui a été adoptée en septembre 1994, a permis la mise en place de mesures positives en ce qui concerne l'administration, qui doit présenter tous les trois ans un plan d'action avec obligation de résultats.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Je citerai le Royaume-Uni : un premier palier ayant été franchi en 1995 avec plus de 30 % de femmes, le Gouvernement s'est fixé un objectif de parité aux postes de décision dans la fonction publique.
Enfin, en ce qui concerne les Pays-Bas, une banque de données a été instituée depuis 1995, regroupant les coordonnées des femmes disposant des diplômes et des compétences pour occuper des postes de direction.
C'est pour limiter mon intervention à une douzaine de minutes que je ne suis pas entrée tout à l'heure dans le détail de mes affirmations ; mais j'ai ressenti le besoin d'ajouter ces explications. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Charles de Cuttoli. Et la proportion dans la magistrature ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je souhaite simplement vous faire remarquer, madame le secrétaire d'Etat, que j'ai parlé uniquement du Conseil d'Etat. Vous, vous avez généralisé.
Pour ma part, compte tenu de mon ancienneté, je suis entré au Conseil d'Etat l'année où les deux premières femmes y entraient.
Au Conseil d'Etat, la règle - que l'on devrait supprimer d'ailleurs - veut que l'avancement se fait au « tour de bête ». Vous pouvez tuer père et mère, mais vous débuterez au tableau comme auditeur !
Pouvez-vous me citer un seul cas de révocation d'un conseiller d'Etat pour insuffisance professionnelle ?... D'ailleurs, aucun conseiller d'Etat n'a jamais fait preuve dans sa vie d'insuffisance professionnelle ! C'est tellement évident qu'on n'a jamais eu besoin d'en révoquer. (Sourires.)
Cela étant, les membres du Conseil d'Etat avancent au « tour de bête ». Pour ma part, je suis entré juste après mon ami Chandernagor (Murmures sur les travées socialistes)...
Mme Danièle Pourtaud. Et alors ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... et, tout au long de notre vie professionnelle, nous nous sommes suivis.
Pour les femmes, c'est pareil. Elles sont entrées au Conseil d'Etat et elles y entrent de plus en plus. Alors qu'il n'y avait que deux femmes dans ma promotion de l'ENA, elles sont 35 % dans la promotion actuelle. Elles ont donc toutes les chances d'accéder un jour au « tour de bête » à la présidence du Conseil d'Etat.
Mme Odette Terrade. Ce qu'on veut, c'est que cela aille plus vite !
M. Claude Estier. L'expression « tour de bête » est pour le moins malvenue !
M. Charles de Cuttoli. Il y a 74 % de femmes à l'Ecole nationale de la magistrature !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 60 minutes ;
Groupe socialiste : 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, Victor Hugo déclarait en 1872 : « Il y a des citoyens, il n'y a pas de citoyennes. C'est là un état violent, il faut qu'il cesse. »
A sa manière, il dénonçait ce qui se cache derrière le neutre du terme citoyen. Il en distinguait les deux genres - le masculin, le féminin. Cette mise en opposition - il y a des citoyens, il n'y a pas de citoyennes - cette évidente séparation des genres, la mise en lumière de deux conditions différentes, soudain, jetaient à bas le mythe universaliste.
Oui, la République, la démocratie, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'avaient de féminin que le déterminant et d'universel que le mythe.
Olympe de Gouges ne l'avait-elle pas aussi dénoncé à sa manière en rédigeant une déclaration des droits de la femme ?
Cet ordre universel neutre, abstrait, mais ne se déclinant qu'au masculin, a perduré pendant 150 ans. Notre Marianne fut longtemps, trop longtemps, la seule femme présente dans les hémicycles et les salles de conseil.
Redire, cinquante ans après que le droit de vote et d'éligibilité a été accordé aux femmes, que l'égal accès des hommes et des femmmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives est organisé par la loi, ce n'est pas aller contre le principe d'universalité. C'est au contraire l'expliciter, le réaffirmer. C'est faire, en somme, comme Victor Hugo : poser les termes de l'égalité, nommer et les hommes et les femmes, convoquer, dans la Constitution, les deux composantes de l'humain, les deux composantes du peuple.
Parce que cette évidence n'en est apparemment pas une pour tous, rappelons qu'il est une vérité, et que cette vérité est universelle, à travers les âges et sous tous les cieux : l'humanité est sexuée. Ce n'est donc pas aller contre l'universel que de refuser le neutre, ce n'est donc pas bafouer l'universel que de dire qu'il s'y loge 50 % de féminin, ou de dire qu'il s'y loge 50 % de masculin.
Je connais par avance la réplique, et je ne pense pas qu'elle soit imparable : quiconque approche l'universel d'une manière qui n'est pas neutre est accusé de « différentialisme ». On lui reproche en outre de catégoriser, de distinguer qui des origines, qui des races, qui des religions.
Bref, nous serions coupables de vouloir favoriser le premier pas vers le communautarisme, premier pas qui, inéluctablement, en entraînerait d'autres. Or notre République est fondée sur le refus de la division du peuple en catégories.
Cette règle fondamentale est inscrite à l'article 3 de la Constitution. Nous y souscrivons pleinement, et le présent projet de loi ne le remet nullement en cause. Les femmes, en effet, ne constituent en rien une catégorie, ni une section du peuple. Elles ne sont pas une minorité : elles sont la moitié de notre peuple, elles sont la moitié de tous les peuples.
Cette vérité se trouve d'ailleurs inscrite en filigrane dans les thèses même de ceux qui refusent ici le projet de révision tel qu'il a été adopté à la quasi-unanimité de l'Assemblée nationale puisqu'ils préconisent également l'inscription de la différence sexuée ; simplement, il serait possible d'inscrire cette différence à l'article 4 sans conséquence et elle serait inacceptable à l'article 3.
Il y a là, on le voit bien, une véritable contradiction qui montre qu'il s'agit davantage pour la majorité sénatoriale de calculs politiques et d'arrière-pensées politiciennes.
On me répondra que, parmi ceux qui défendent la thèse de l'universalisme neutre ou abstrait, lequel serait le principe fondateur de notre démocratie et de notre République, figurent des hommes et des femmes de gauche.
Je répondrai que je ne mets pas sur le même plan ceux qui se sont illustrés tout au long de leur vie par leur combat pour la défense des droits des femmes et les autres qui se sont souvent battus contre ces droits, qu'il s'agisse du droit des femmes à disposer de leur corps, ou de leur émancipation civile et économique. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ces derniers se servent de l'universalisme comme paravent pour masquer leur conservatisme. Ils croient prendre les défenseurs de la parité à leur propre piège. Ils leur disent : Vous posez une différence pour revendiquer l'égalité, mais alors, ne craignez-vous pas que cette différence s'exprime dans la représentation ? Ainsi, les femmes vont faire de la politique pour les femmes, et comme des femmes !
Je vous réponds, mesdames et messieurs de la majorité sénatoriale, que c'est bien mal considérer les femmes que de leur prêter de telles pensées. Les femmes ne sont pas uniquement déterminées par leur sexe ! C'est parce qu'elles sont femmes qu'on les empêche de faire de la politique, mais ce n'est pas parce qu'elles sont femmes qu'elles vont la faire autrement ! Victimes d'une discrimination par le sexe, nous n'allons quand même pas la rétablir dans l'hémicycle !
Les sénatrices n'ont pas, me semble-t-il, donné l'impression de ne représenter que des femmes ; elles représentent leur département, leur pays, et s'attachent, comme vous messieurs, à résoudre les préoccupations les plus criantes de leurs concitoyens. Comme vous, elles siègent dans toutes les commissions de la Haute Assemblée et même, depuis peu, à la commission des lois. Après tout, nos collègues masculins n'ont jamais été accusés de ne représenter que leurs congénères mâles !
Soyons clairs, je ne crois pas que les femmes feront de la politique différemment des hommes, et inversement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Juger a priori que, contrairement aux hommes, les femmes auraient une approche différente de la représentation nationale revient à considérer qu'elles constituent une spécificité, une exception par rapport à une norme générale, la norme étant l'être humain de sexe masculin. Rien ne justifie cette vision réductrice. Comme les hommes, les femmes politiques adhèrent à un idéal, portent des projets et défendent le programme de leur parti.
Rappelons qu'il n'est question ni de fonder un corps électoral distinct ni de limiter les femmes à la seule représentation des femmes. Ce n'est pas la République sexuée, c'est le partage équilibré des responsabilités au sein de la République.
Il y a certainement, dans ce soupçon, un reste de conservatisme mal digéré. Ce conservatisme a pour origine l'époque où il a été décidé de cantonner la femme au foyer tandis que l'homme faisait de la politique. Cela a été dit aussi bien par Mme Guigou que par Mme Péry. De cette lointaine séparation subsistent de nombreuses marques, par exemple les champs de compétence traditionnellement dévolus aux femmes dans les assemblées.
Il demeure toujours l'idée que, si une femme a tenu à faire de la politique, eh bien, elle n'a qu'à s'occuper de choses qui l'intéressent ! Et qu'est-ce qui, naturellement, l'intéresse ? La famille ! Ainsi s'est dessinée, et de façon très insidieuse, l'idée d'une spécificité féminine en politique.
Les femmes avaient réussi à abattre les frontières ; elles s'étaient introduites, un peu par effraction, dans la sphère publique, mais on s'est chargé de leur rappeler de ne pas oublier au passage ce à quoi on les avait assignées.
Une réminiscence de ces anciennes attitudes est l'accusation d'incompétence qui, bizarrement, ne s'accorde qu'au féminin en politique. En 1919 - nous avons tous relu le compte rendu des débats - le rapporteur de la commission des lois disait ici même, pour s'opposer au vote des femmes, que « les femmes n'ont pas une éducation politique suffisante et que de toute façon la femme votera pour Untel, non parce qu'il a des idées justes et intéressantes, mais parce que sa tête lui plaît ». (Sourires.)
Ces propos font sourire, mais les préjugés demeurent quelque peu. C'est ainsi que M. Juppé déclarait en 1997 à l'Assemblée nationale qu'« il convient d'abord de favoriser l'accès des femmes aux conseils municipaux, afin qu'elles y fassent leur apprentissage », c'est-à-dire leur « éducation politique », comme on le disait en 1919.
Ce n'est pas, à mon sens, un hasard si l'on voit cette accusation réapparaître, de manière plus fine certes, lors de ces débats. On craint en effet que des femmes incompétentes ne soient investies par les partis politiques et qu'elles ne deviennent ainsi des élus de second rang. Leur situation serait alors humiliante.
En réalité, les femmes se sentent aujourd'hui humiliées, non par la proposition qui nous est faite de partager le gouvernement du pays, mais par leur exclusion, de fait, de l'exercice plein et entier de leurs responsabilités de citoyennes.
Car l'échec est patent. Les quelques femmes élues, que d'aucuns croient « spécifiques » et que l'on voudrait à part sont en effet une exception. Une exception quantitative, d'abord, puisqu'elles siègent parmi 90 % d'hommes ; une exception mondiale ensuite, puisque la France s'est difficilement hissée au cinquantième rang mondial en 1997, grâce aux efforts des partis de la gauche plurielle et, en particulier, du parti socialiste.
Mais il est presque inutile de rappeler les chiffres tant le constat est unanime : cette situation doit cesser et l'égalité doit être rétablie dans les faits.
On a voulu donner du temps au temps, faire confiance aux nouvelles générations. Les militantes sont, il est vrai, de plus en plus nombreuses ; elles partagent davantage les tâches du foyer avec leur compagnon ; elles s'investissent de plus en plus en politique. Avec le temps, il est probable que les choses s'équilibreront. Mais combien de temps ?
Combien de temps faudra-t-il pour que les résistances, résistances particulièrement fortes dans les partis politiques, disparaissent ? On veut croire que le machisme n'a plus droit de cité. Mais s'il ne se dit pas, s'il n'ose plus se dire, il reste pourtant bien présent.
Il nous faut des mesures non seulement incitatives, mais aussi coercitives pour déjouer ce courant très puissant et très pernicieux.
Nous ne comptons plus les propositions de loi déposées en vain au cours de la dernière décennie par des élus de gauche, voire d'autres tels que Gilles de Robien et Nicole Ameline. Des dispositions visant l'introduction de la mixité ont été votées en 1982 et 1998 sur l'initiative de la gauche. Je rappelle d'ailleurs qu'en 1982 le Sénat a adopté majoritairement l'obligation de mixité pour les listes présentées aux élections municipales. Le Sénat l'a refusée en 1998 pour les élections régionales. Le Sénat était-il donc plus progressiste en 1982 qu'aujourd'hui ? La question est posée.
Certes, le problème est constitutionnel. Le verrou qui a été installé voilà dix-sept ans et auquel on vient de redonner un tour de clé très récemment doit définitivement sauter. Cela n'est possible que par une modification de la Constitution.
C'est l'objectif du présent projet de loi, qui, d'une part, réaffirme à l'article 3, précisément visé par la décision du Conseil constitutionnel, l'égalité d'accès aux mandats électoraux et fonctions électives et qui, d'autre part, donne les moyens au législateur de déterminer les conditions dans lesquelles est organisé cet accès.
L'objectif de la parité faisait partie du programme du candidat Chirac aux élections présidentielles en avril 1995. Alain Juppé a déclaré devant les députés en mars 1997 que la seule voie possible était la révision de la Constitution. Enfin, Lionel Jospin, dans son programme pour moderniser notre vie publique, a proposé d'avancer volontairement vers la parité.
L'opinion publique, dans sa presque totalité, aspire à une présence en nombre à peu près égal de femmes et d'hommes au Parlement, dans les conseils régionaux, généraux et municipaux. La société, quant à elle, vit désormais dans une mixité réalisée dans presque tous les domaines, même si elle reste à parfaire. La politique est véritablement, force est d'en convenir, le dernier univers composé à 90 % de costumes-cravates ! (Sourires.)
Il faut prendre garde à cette évidence et ne pas déconnecter encore un peu plus le monde politique de la réalité. Il perdrait définitivement sa crédibilité aux yeux de la population !
J'en reviens à votre proposition, monsieur le rapporteur. Vous souhaitez amender l'article 4 plutôt que l'article 3. Outre que nous touchons ainsi à la symbolique, et cela n'est pas indifférent, je remarque que l'article 4 ne concerne que les partis politiques. Les élections prud'homales, qui, selon le Conseil constitutionnel, découlent de la souveraineté nationale, seront donc écartées de la modification constitutionnelle. Cette conséquence n'est pas sans gravité. J'observe qu'elle a été passée sous silence.
Le second changement, et il est grave, transfère aux partis la compétence d'organiser cet égal accès aux mandats et fonctions. Il dépouille en quelque sorte le législateur de son pouvoir de fixer le cadre de l'égal accès.
L'Assemblée nationale avait modifié le projet présenté par le Gouvernement, en accord avec le Président de la République, par crainte de conférer ce pouvoir au seul Conseil constitutionnel. Vous auriez dû être sensibles à cet argument, argument que le Gouvernement a entendu. Pourtant, vous préférez démissionner de votre responsabilité de législateur en la transférant aux partis politiques.
La modification constitutionnelle que vous proposez n'étant pas contraignante, elle sera inefficace, et vous le savez. En effet, si les partis sont décidés à favoriser l'égal accès, ils peuvent déjà le faire.
S'ils ne le souhaitent pas, rien ne sera véritablement changé.
Il est évident que vous ne voulez pas de nouvelles interventions du législateur en ce domaine, et ce pour deux raisons que vous avez d'ailleurs reconnues, dont l'une tient à l'absence de pouvoir de blocage du Sénat pour les lois ordinaires et l'autre à la crainte de l'extension du mode de scrutin proportionnel à toutes les élections, et cela en dépit des engagements très fermes pris par le M. Premier ministre.
M. Hilaire Flandre. On sait ce que cela vaut !
Mme Dinah Derycke. En réalité, vous ne voulez pas de la révision. Vous la videz de sa substance parce que vous n'osez pas vous y opposer, ce qui serait beaucoup plus honorable !
En conclusion, je rappelerai que, depuis deux siècles, la France est la patrie des droits de l'homme, de tous les hommes, quel que soit leur sexe. Pourtant, les femmes sont, de fait, exclues de la vie politique. Notre démocratie reste ainsi inachevée.
Ne croyez-vous pas, comme l'ONU l'a dénoncé dans une convention ratifiée par la France en 1983, que les discriminations à l'encontre des femmes empêchent ces dernières de servir l'humanité tout entière ?
Ne croyez-vous pas qu'il est temps, pour la France, d'ouvrir un nouveau chapitre, en mettant en oeuvre concrètement le principe de l'égalité des droits des hommes et des femmes, en consacrant officiellement et symboliquement le partage des responsabilités politiques entre les hommes et les femmes ?
Ainsi, ensemble, dans la diversité individuelle de nos potentialités, de nos talents et de nos vertus, nous ferions honneur à notre histoire, nous ferions honneur à la France.
C'est ce à quoi vous nous invitez avec le texte que vous nous proposez, madame la garde des sceaux, et, pour cette raison, nous le voterons ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pendant deux décennies, enseignant au collège, j'ai pu constater combien l'objectif d'égalité des chances pour nos jeunes est difficile à atteindre, voire utopique.
Les maîtres et professeurs ont beau expérimenter, innover, s'engager avec détermination pour réduire les handicaps, un constat amer s'impose : les jeunes, à leur arrivée dans l'institution scolaire, sont déjà à un tel point marqués, imprégnés par leur vécu, leur expérience, leur apprentissage de la société que l'école est incapable de répondre à cet objectif de justice sociale que sous-tend la notion d'égalité des chances.
Certes, des exceptions existent et chacun pourra citer un jeune issu d'une famille modeste ou d'un quartier difficile qui a fait des études brillantes et qui occupe dans la société une place éminente. Mais les statistiques nous le rappellent en permanence : suivant leur lieu de naissance, le milieu familial où ils passent leur jeunesse, les fréquentations qu'ils ont, les écoles où ils sont scolarisés..., nos enfants ont plus ou moins de chance de pouvoir suivre des études à l'université, fréquenter de grandes écoles, réussir leur insertion dans la société.
Le fait d'être obligé d'admettre que « le hasard des naissances » et la vie conditionnent à ce point les chances offertes à nos jeunes a, pour moi, toujours été particulièrement choquant ; et c'est profondément injuste.
Il y a quelques années encore, je n'étais pas conscient que la situation des filles - des femmes - relève de la même analyse et de la même logique. Et pourtant, là aussi, il faut bien le reconnaître, quand on naît fille, la famille, l'école, la société ne vous réservent pas a priori le même parcours qui si on naît garçon.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Philippe Richert. C'est tout aussi choquant et injuste.
En septembre 1996, M. Alain Juppé, alors Premier ministre, avait souhaité une réflexion approfondie sur la représentation des hommes et des femmes dans les livres scolaires, outils pédagogiques par excellence, mission à laquelle je m'étais alors attelée avec ma collègue député de l'Assemblée nationale Mme Simone Rignault.
Nous nous étions rendu compte, après examen minutieux de bon nombre de manuels, à quel point les livres scolaires étaient encore remplis de stéréotypes désuets sur la représentation des deux sexes, sans compter que certaines femmes, ayant pourtant marqué par leur action tel ou tel domaine éminent, étaient même totalement occultées.
Or, les manuels et ouvrages scolaires livrés à nos enfants pour leur apprentissage et leur préparation à la citoyenneté ne doivent-ils pas, justement, être le reflet de l'evolution de la société, favoriser l'égalité des chances et la diffusion des valeurs de notre société ?
Sans conteste, un rapprochement peut être opéré entre cette mission et le texte de loi qui nous est soumis aujourd'hui. Nous devons veiller de façon vigilante dans toutes les sphères de notre société à l'image et la représentation de la femme qui est véhiculée, que ce soit dans le système éducatif, dans la publicité ou en politique. C'est un préalable indispensable à toute volonté de légiférer.
Dès lors, peut-on se satisfaire de la situation des femmes en France à l'entrée du xxie siècle ? Bien sûr, il est indéniable que des progrès décisifs ont été accomplis dans les dernières décennies et que les principales aberrations ont disparu de notre droit positif : les femmes sont devenues électrices ; la notion de « mari-chef de famille » est sortie du code civil ; l'interruption volontaire de grossesse à été légalisée ; l'égalité professionnelle a progressé depuis quelques années, même si un écart de près de 25 % subsiste dans les salaires.
Cependant, dans la sphère dite « publique », les femmes restent encore très largement sous-représentées, eu égard à leur importance quantitative : elles n'ont pas encore suffisamment accès aux fonctions électives et aux mandats politiques.
Comment y remédier ?
Le présent projet de loi constitutionnelle propose une solution qui, même si elle est critiquée et critiquable sur certains points, a le mérite de tenter de faire avancer la problématique. Je me félicite de ce débat car il est indispensable de faire évoluer la situation même si le texte que le Sénat va adopter risque de différer de celui qui a été voté par l'Assemblée nationale.
Mais, avant d'entamer ces questions de fond, revenons un peu en arrière.
Depuis le xvie siècle, la citoyenneté ne se définit plus comme l'aptitude à la magistrature. En mettant fin à cette conception antique élaborée par Aristote, le droit républicain moderne a divisé la citoyenneté en deux étages, nettement distincts, dont le premier comprend les droits civils et le droit de vote tandis que le second - l'accès direct à la décision politique - est désormais réservé dans nos démocraties aux élus et représentants du peuple.
Or force est de constater qu'aujourd'hui, malgré de notables progrès, trop peu de femmes ont accès à ce deuxième étage de la citoyenneté.
Ainsi, en dépit de la percée observée en juin 1997 lors des élections législatives, les femmes ne représentent que 10 % des députés, et la France demeure en net retrait par rapport à ses partenaires de l'Union européenne. Elle se place dorénavant à l'avant-dernier rang de la représentation parlementaire féminine, juste avant la Grèce, qui ne compte que 6 % de députés femmes.
Pourtant, le troisième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, inséré dans notre actuelle Constitution, déclare : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. » Le débat que nous avons aujourd'hui trouve donc son origine non dans un déficit législatif, mais dans le constat d'un écart manifeste entre le droit et le fait.
Certains observateurs estiment que le verrou principal qui a grippé, voire bloqué, la progression de l'accès des femmes à la candidature a été posé par la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982, qui a déclaré non conforme un amendement au projet de loi sur le mode d'élection des conseillers municipaux visant à limiter à 75 % la proportion des candidats d'un même sexe pouvant figurer sur une liste.
Cette jurisprudence a d'ailleurs été très récemment confirmée à propos d'un amendement, déposé et adopté lors de l'examen du projet de loi relatif au mode d'élection des conseillers régionaux et au fonctionnement desdits conseils, visant à imposer la parité entre candidats de sexes opposés sur chaque liste.
Le corollaire indispensable à l'introduction de la notion de quotas est une révision préalable de la Constitution.
A ce sujet, je souhaite rappeler au Sénat que le principal motif invoqué alors par le Conseil constitutionnel pour s'opposer à ce texte fut le non-respect du principe d'égalité.
L'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen établit avec force le principe d'égalité entre les citoyens et interdit clairement toute division par catégorie des électeurs. le principe d'égalité s'oppose donc à la parité lorsque celle-ci est conçue comme un principe arithmétique. Ainsi, inscrire en droit la parité suppose non seulement une révision de la Constitution, mais une remise en cause radicale de son préambule.
L'obstacle majeur à l'institution de la parité semble être le principe d'indivisibilité du corps électoral. Comme pour les électeurs, on ne peut pas diviser les personnes éligibles en catégories sans porter gravement atteinte au dogme de l'unité et de l'homogénéité du corps des citoyens. C'est un fondement de notre droit constitutionnel.
Ainsi, l'instauration de quotas ou de la parité présente un risque important : celui de changer la conception individualiste de notre droit, dans la mesure où c'est l'appartenance au groupe qui définirait les droits et non plus la qualité de l'individu. Attention à la dérive communautariste, que Mme la ministre a d'ailleurs évoquée dans son exposé liminaire, même si, pour elle, le risque n'existant pas, cette crainte est sans fondement.
Oui, la citoyenneté est un concept universel et égalitaire, et c'est précisément cela qui a assuré sa pérennité dans l'histoire des démocraties.
Bref, la parité n'est pas l'égalité. D'ailleurs, celle-ci est déjà inscrite dans la Constitution sous la forme de la non-discrimination.
L'intention implicite du Gouvernement semble bien être l'instauration de la parité par quotas pour toutes les élections en faisant croire que sa promotion sous la contrainte permettra l'égalité.
Il faut que les choses soient clairement dites. Si, effectivement, la parité ne sera pas inscrite dans le texte de la Constitution, il reste qu'elle sera un objectif général pour toutes les élections, et le législateur aura la charge d'en définir et en assurer la mise en oeuvre.
Comment le fera-t-il ? Avec des quotas généralisés ? C'est possible. Pour vous, madame la ministre, la répartition des hommes et des femmes dans toutes les instances politiques doit être égale, la parité étant, je vous cite, une « égalité concrète de situation ».
S'agissant des règles électorales, si la parité s'inscrit facilement dans le cadre du scrutin de liste, comment le législateur pourra-t-il l'assurer aux scrutins uninominaux ? Quant à la mise en oeuvre de l'égal accès aux fonctions électives, comment sera-t-elle réalisée en généralisant les scrutins proportionnels ?
Pourquoi modifier l'article 3 de la Constitution ? Cet article assure l'égalité des droits civiques à tous les nationaux français majeurs des deux sexes. Est-il vraiment nécessaire de modifier la Constitution, et plus particulièrement son article 3, pour établir une égale éligibilité alors que celle-ci découle déjà du texte fondamental et qu'aucune disposition du code électoral ne limite en quoi que ce soit l'éligibilité des femmes ou des hommes ?
L'instauration de la parité, c'est-à-dire la mise en place d'une discrimination positive, représente un pas qui n'a été franchi nulle part ailleurs, notamment au niveau de la Constitution.
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, les Etats-Unis n'ont rien fait de tel. Pour les pays scandinaves, souvent cités en exemple, il en est de même : les Suédois et les Norvégiens ont des textes qui s'appliquent uniquement dans la sphère administrative et, s'il est exact que le pourcentage de femmes au sein de leurs assemblées politiques est l'un des plus élevés, soit près de 40 %, vous l'avez redit, madame la ministre, les choses n'ont évolué que sous l'effet d'une politique volontariste des partis, sans qu'aucune mesure législative contraignante ait été prise. Ceux-ci ont en effet imposé, en leur sein, des quotas de 40 % ; voilà un bel exemple de pragmatisme.
En Europe, seule l'Italie avait mis en place une législation au début des années quatre-vingt, mais une décision de la Cour constitutionnelle de 1995 a invalidé cette disposition prévoyant une inscription privilégiée des femmes sur les listes de candidatures aux élections municipales. Quant à la solution belge, elle est très en deçà de celle qui est actuellement envisagée en France.
Au total, en droit comparé, la formule de la parité est écartée et seules les mesures incitatives à l'intérieur des partis politiques portent leurs fruits, même si la maturation des esprits est parfois très longue.
Cela rejoint d'ailleurs l'un des enseignements des travaux de la mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique, constituée au Sénat, en octobre 1996, sur l'initiative de son président, M. René Monory, mission présidée par Mme Nelly Olin et dont j'ai eu l'honneur de rapporter les travaux.
Cet enseignement pourrait être résumé en ces termes : la sous-représentation des femmes dans les instances et les lieux de décision publics n'est pas due au premier chef à des barrières juridiques. En effet, elle tient avant tout à des résistances sociologiques et psychologiques, à la pratique politique, notamment à celle des partis. Ainsi, une action volontariste des partis politiques permettrait de faire évoluer considérablement la situation, pour peu qu'ils le souhaitent vraiment ou qu'on les y oblige.
M. Claude Estier. Voilà !
M. Philippe Richert. D'ailleurs, en dehors de tout changement majeur dans la législation, les élections législatives de 1977 n'ont-elles pas révélé une véritable percée des femmes dont l'ampleur se résume à un seul taux : plus 80 % par rapport à la précédente législature ?
Mme Dinah Derycke. A gauche !
M. Philippe Richert. En mars 1998, le nombre de femmes élues aux élections régionales a été multiplié par deux, la progression a été également sensible aux dernières élections cantonales, tout cela quels que soient les partis politiques concernés.
Ainsi, au-delà des chiffres et des statistiques, il paraît évident que le changement des mentalités et des pratiques des partis est la clé du succès. Mais il ne se décrète pas, pas plus qu'il ne se déclenche à la simple lecture d'un principe solennellement inscrit dans notre loi fondamentale.
C'est pour cela qu'il semble plus logique de modifier l'article 4 de la Constitution consacré aux partis et aux groupements politiques, afin d'y introduire un alinéa précisant que ces derniers favorisent l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.
Il s'agit de susciter une prise de conscience que l'équilibre entre les hommes et les femmes dans la vie publique doit être un objectif prioritaire, tant dans les instances élues qu'au sein des structures des partis politiques eux-mêmes.
De plus, sans que cela transparaisse clairement, ne peut-on voir, sous couvert du texte qui nous est proposé par le Gouvernement et qui a été revu par l'Assemblée nationale, une volonté affichée de voir la parité présente dans toutes les élections, donc de nous imposer d'une façon ou d'une autre une modification du mode d'élection des membres du Parlement, par exemple ?
M. Claude Estier. Il n'y a pas besoin de modifier la Constitution pour modifier un mode de scrutin !
M. Philippe Richert. Si nous poussions le raisonnement bien plus loin, l'interprétation de ce texte constitutionnel, qui incite à la parité pour toutes les élections, ne nous obligerait-il pas à choisir systématiquement le scrutin de liste, constitutionnellement correct puisque la parité pourrait y être appliquée stricto sensu ?
Le groupe de l'Union centriste, au nom duquel je m'exprime, soutiendra la démarche de la commission des lois, y compris en ce qui concerne la modification de la Constitution, mais je souhaiterais attirer votre attention, en dernier lieu et en mon nom personnel, mes chers collègues, sur certaines limites à l'inscription constitutionnelle de ce principe.
Tout d'abord, l'adoption par le Sénat de ce projet de loi, et donc son approbation de cette modification constitutionnelle, ne provoquera pas immédiatement et automatiquement une arrivée massive des femmes sur le devant de la scène politique, parce que permettre « l'égal accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives » ne veut pas dire que, à compter de l'entrée en vigueur du texte, les femmes seront élues et que leur présence sera « numériquement significative ». Nous devons accompagner la mise en oeuvre de ce projet de loi, et je m'adresse plus particulièrement ici à mes collègues de sexe masculin.
J'ai fait pour ma part ma révolution culturelle (Sourires), et je crois que nous devons nous unir pour poursuivre dans cette voie, par une mutation de nos mentalités et de nos comportements. A chacun de nous de l'accomplir !
Veillons ensuite à ce que ce texte ne devienne pas un leurre, mais qu'il soit bel et bien suivi d'effet. Je reste persuadé que c'est par étapes progressives - que nous parcourerons, je l'espère, à grandes enjambées - que nous aboutirons à un résultat satisfaisant et positif.
Enfin, l'incitation à la mise en place d'une politique volontariste de la part des partis sera-t-elle suffisante ? Tout le monde s'accorde à penser que les partis politiques se doivent de montrer l'exemple, mais pour qu'une société soit équilibrée, ne convient-il pas que l'évolution touche le domaine privé, qui est celui de l'entreprise, et l'administration ?
La mission d'information sénatoriale relevait dans ses conclusions que « le taux significatif de femmes dans les assemblées politiques en Suède n'empêchait pas les femmes de ce pays de n'occuper que 10 % des postes d'encadrement dans les entreprises privées et 30 % dans l'administration, ces taux s'établissant, en France, respectivement à 22 % et 40 % ». On ne peut décidément pas être bon partout ! Nous accusons donc, en France, un retard dans nos assemblées parlementaires, mais nous sommes plus avancés dans d'autres sphères d'activité, et il faut s'en féliciter.
La modification de la Constitution que nous adopterons, je l'espère, aujourd'hui donnera au législateur les moyens d'obliger les partis politiques à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions. Ce sera une nouvelle étape vers plus de justice et vers un renforcement du rôle et de la place des femmes. Ce sera aussi pour les assemblées, j'en suis persuadé, un enrichissement, car la présence de femmes élues plus nombreuses influencera la qualité et la teneur des débats, grâce aux sensibilités et aux approches souvent complémentaires des deux sexes.
Mais la décision de modifier la Constitution pour y inscrire solennellement l'égal accès aux responsabilités politiques des femmes et des hommes constitue aussi, bien entendu, un signe fort en direction de la société, pour que, dans tous les domaines, les femmes voient leur place revalorisée, comme leurs mérites le justifient amplement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Henri Weber applaudit également.)
M. le président. Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)