Séance du 26 janvier 1999
ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES
ET LES HOMMES
Adoption d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n°
130, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre
les femmes et les hommes. [Rapport n° 156 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, l'Assemblée nationale a adopté, le 15
décembre dernier, à l'unanimité des suffrages exprimés, tous groupes politiques
confondus, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité des femmes et
des hommes qui est soumis à votre discussion aujourd'hui.
Ce texte a pour objet d'introduire dans notre Constitution l'objectif de la
parité entre les femmes et les hommes dans les mandats électoraux et les
fonctions électives. Il concrétise ainsi la volonté du Premier ministre,
approuvé en cela par le Président de la République, de moderniser notre
démocratie en donnant toute leur place aux femmes dans la vie publique.
Je souhaiterais d'abord vous rappeler que, pour donner un contenu concret à
l'égalité des femmes et des hommes dans l'accès aux mandats et fonctions
politiques, une révision constitutionnelle est nécessaire pour des raisons que
je vais expliciter.
Après avoir précisé le contenu et la portée de cette modification
constitutionnelle, je voudrais vous indiquer pourquoi le Gouvernement ne peut
accepter l'amendement de votre commission des lois.
La nécessité de réviser la Constitution résulte d'abord du constat que l'on
peut faire sur la place des femmes dans la vie politique.
Personne ne conteste aujourd'hui l'idée que les femmes devraient être plus
présentes dans les assemblées élues et qu'elles devraient être plus nombreuses
à exercer des fonctions électives.
Depuis la Révolution française, nombre de femmes, parfois au prix de leur vie,
se sont battues pour que soient reconnus leurs droits de femmes et de
citoyennes.
Depuis une cinquantaine d'années, les femmes se sont efforcées pied à pied de
conquérir leur indépendance.
Simone de Beauvoir - on célèbre cette année le cinquantième anniversaire de la
parution du
Deuxième sexe
- y a contribué considérablement.
Les femmes ont pu accéder, depuis la fin du siècle dernier, à l'éducation, à
la culture. Plus récemment, elles se sont libérées du carcan juridique que leur
avait imposé le code civil napoléonien. Désormais, elles peuvent disposer
légalement du fruit de leur travail et décider librement de leur vie. A cet
égard, l'évolution législative des années soixante-dix a été décisive.
Elles peuvent aussi recourir à l'interruption volontaire de grossesse grâce au
courage et à l'obstination de Simone Veil, à qui je veux rendre hommage, et qui
a fait voter, en 1975, la loi à laquelle nous sommes toutes et tous
attachés.
Certes, bien du chemin reste à parcourir pour que l'égalité sociale et
professionnelle soit complète entre les femmes et les hommes. Je pense en
particulier à la question des salaires, mais aussi à la représentation
insuffisante de celles-ci dans les emplois de direction, et ce dans le secteur
privé comme dans le secteur public. Néanmoins, des progrès réels ont pu être
accomplis partout.
Il est pourtant un domaine où les choses ne se sont pas améliorées avec le
temps - et cela, bien que, à la Libération, le général de Gaulle et le Comité
de libération nationale aient donné le droit de vote aux femmes - c'est celui
de la place des femmes dans la vie politique.
Je tiens à le rappeler de nouveau, car nombreux sont nos concitoyens qui
l'ignorent encore, surtout les jeunes, sans doute parce qu'ils ne peuvent même
pas l'imaginer : la France est, avec la Grèce, la lanterne rouge des pays
européens en ce qui concerne la représentation des femmes au Parlement.
Alors que les pays scandinaves comptent 40 % de femmes parmi leurs députés,
les Pays-Bas 36 %, l'Autriche, l'Allemagne et l'Espagne 25 %, nous n'avons que
10,9 % de femmes à l'Assemblée nationale et - puis-je y insister ? - 5 % au
Sénat, soit 19 femmes sur 321 sénateurs.
Malheureusement, un constat de même nature doit être fait pour les assemblées
des collectivités locales et leur exécutif. Une seule femme est présidente d'un
conseil général et deux seulement président un conseil régional.
Cet écart entre la part des femmes dans la population et leur représentation
dans les assemblées politiques est à mes yeux choquant. Cette mise à l'écart
des femmes me semble un archaïsme que nous ne devons plus supporter.
Elle me paraît constituer un grave danger pour l'équilibre de notre
démocratie. Elle isole le monde politique du reste de la société. Elle engendre
un décalage, source d'incompréhensions. Ainsi que le soulignait le rapport
remis au Premier ministre en janvier 1997 par l'Observatoire de la parité, elle
conduit à une « démocratie inachevée ».
Néanmoins, force est bien de constater que, sur le plan juridique, les femmes
disposent en principe des mêmes droits que les hommes.
Depuis l'ordonnance du 21 avril 1944 - je le rappelais voilà un instant -
elles ont le droit de vote et sont éligibles dans les mêmes conditions que les
hommes.
Je rappelle également que le préambule de la constitution de 1946 - qui est
aussi celui de notre Constitution - proclame que « la loi garantit à la femme,
dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes ».
Personne ne contestera pourtant que, malgré ce principe constitutionnel,
l'égalité est restée en réalité lettre morte en politique.
Dans ce domaine, des résistances sociales, culturelles, psychologiques,
linguistiques font obstacle à ce que les femmes occupent toute leur place.
Bien sûr, je ne méconnais pas le travail qui a été fait, et que j'approuve,
dans le sens de l'égalité des hommes et des femmes. Ce travail a emprunté un
chemin fondamental qui consiste à ignorer la différence des sexes pour répartir
les places et les fonctions. Sans distinction de sexe, on doit pouvoir, dans
notre pays, et on peut en effet, devenir avocat, médecin, pilote d'avion,
informaticien, conducteur ou conductrice de bus...
La question qui est posée aujourd'hui est la suivante, et elle me paraît d'une
autre portée : cette stratégie qui a consisté à ignorer la différence des sexes
est-elle aujourd'hui la meilleure pour réaliser l'égalité des sexes au regard
des mandats et des fonctions politiques ?
A cette question, je réponds sans hésiter comme le fait la philosophe Sylviane
Agacinski : l'absence de prise en considération de la différence sexuelle en
politique a conduit à l'exclusion des femmes. L'universalisme abstrait qui ne
veut connaître que le citoyen, et non les hommes et les femmes, couvre un
sexisme de droit, comme en 1789, ou un sexisme de fait, comme aujourd'hui. Il
nous faut donc prendre en considération la différence sexuelle pour mettre fin
à l'exclusion des femmes de la vie politique.
C'est pourquoi je suis convaincue qu'il nous faut dépasser le cadre de
l'universalisme abstrait, qui ne veut connaître que le citoyen, et non les
hommes et les femmes. Je l'ai dit devant l'Assemblée nationale, je le redis
devant vous : la souveraineté doit s'incarner dans les deux moitiés de
l'humanité que sont les hommes et les femmes.
Je ne crois pas que ce soit renier l'universalisme. Je ne crois pas que ce
soit risquer de dévier vers le communautarisme car, à la vérité, on trouve des
femmes dans toutes les catégories. L'humanité étant composée pour moitié
d'hommes et de femmes, je crois que c'est une autre conception de
l'universalisme que nous proposons avec ce texte.
Or, pour adopter les mesures concrètes permettant de lever les barrières qui
empêchent aujourd'hui les femmes d'exercer pleinement leurs droits et leurs
responsabilités politiques, il est nécessaire, sur le plan juridique, de
réviser notre Constitution.
En effet, si l'on veut tendre vers l'objectif de parité dont a parlé le
Premier ministre, et si on estime, comme je le fais, que cet objectif est
souhaitable pour moderniser notre vie politique et renforcer la légitimité de
la politique, il apparaît que les mesures incitatives sont insuffisantes et que
les mesures législatives sont interdites.
Les mesures incitatives sont insuffisantes, on l'a vu, puisque la proportion
des femmes dans les assemblées politiques est restée à peu près la même que
celle qui existait en 1946.
Les mesures législatives sont interdites puisque, en 1982, le Conseil
constitutionnel a censuré une disposition de la loi portant réforme des
élections municipales qui limitait à 75 % les personnes du même sexe qui
pouvaient figurer sur une liste.
Se référant à l'article 3 de la Constitution et à l'article VI de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Conseil
constitutionnel a fondé son invalidation sur le principe général selon lequel
il n'existe en droit français que des citoyens dont l'accès au droit de vote et
à l'éligibilité n'a de limites que l'âge, la nationalité et la capacité. Il a
donc jugé que l'instauration de quotas était inconstitutionnelle.
Il a confirmé cette jurisprudence, le 14 janvier dernier, à propos de la loi
relative au mode d'élection des conseillers régionaux, des conseillers de
l'assemblée de Corse et au fonctionnement de ces mêmes conseils. Seize ans
après, le Conseil constitutionnel a repris mot pour mot ce qu'il avait dit en
1982 : il maintient qu'aucune distinction ne peut être faite entre les
électeurs ou les éligibles en raison de leur sexe et il applique sa
jurisprudence relative aux quotas sans prendre en compte le fait que la
disposition censurée instituait non des quotas, mais la parité.
Bien entendu, je ne commenterai pas plus avant cette décision, mais elle donne
incontestablement raison à ceux qui, comme moi, pensent que cette jurisprudence
ne peut être surmontée que par une révision de la Constitution.
Il y a d'ailleurs au moins un point sur lequel je suis d'accord avec le
professeur Vedel, pour lequel j'ai le plus grand respect et que la commission
des lois du Sénat a entendu le 16 décembre dernier : comme il l'écrivait en
1992, « si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, le
Souverain, à condition de paraître en majesté comme Constituant, peut, dans une
sorte de lit de justice, briser leurs arrêts ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes, avec les députés, les
représentants du souverain. Vous pouvez donc, si vous le souhaitez, modifier la
Constitution. Il n'y a pas de gouvernement des juges dans notre pays, et, par
conséquent, vous pouvez dire, comme vos collègues de l'Assemblée nationale,
qu'il appartiendra désormais à la loi de déterminer les conditions dans
lesquelles est organisé l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et
fonctions publiques.
A partir du moment où l'on estime, ainsi que j'en suis profondément
convaincue, que la parité est souhaitable, il est nécessaire de changer la
Constitution, conformément au principe fondamental du gouvernement républicain
qui reconnaît au peuple le droit de changer la Constitution lorsqu'il la croit
contraire à son bonheur.
Je voudrais maintenant évoquer le bien-fondé de la révision constitutionnelle,
ainsi que le contenu et la portée du projet de loi constitutionnelle qui a été
adopté par l'Assemblée nationale.
S'agissant du contenu de celui-ci, l'objectif visé par le Gouvernement est
d'introduire la parité entre les femmes et les hommes dans la vie politique. Ce
concept, adopté d'abord par les militants écologistes et féministes, a été
repris par le Conseil de l'Europe au début des années quatre-vingt-dix. Il
implique que la répartition des hommes et des femmes dans les instances
politiques reflète leur répartition dans la population. J'insiste sur le fait
qu'il doit bien sûr être entendu non pas comme un principe arithmétique rigide,
mais comme un instrument que le législateur peut se donner pour faire en sorte
que l'égalité de droit entre les femmes et les hommes ait un contenu
concret.
Le Conseil des ministres avait choisi d'insérer à l'article 3 de la
Constitution, qui porte sur la souveraineté nationale, la disposition selon
laquelle « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et
fonctions ». L'objet de cette révision constitutionnelle est en effet
d'autoriser le législateur à fixer les conditions dans lesquelles l'égal accès
des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions pouvait être organisé.
Celui-ci doit pouvoir choisir les mesures qu'il estime appropriées, qu'il
s'agisse d'obligations ou d'incitations - j'insiste sur le fait que les deux
possibilités sont ouvertes - pour rendre effective l'égalité des femmes et des
hommes dans la vie politique.
La commission des lois de l'Assemblée nationale, tout en partageant totalement
les intentions du Gouvernement, a cependant retenu une autre rédaction. Elle a
souhaité substituer au verbe « favoriser », choisi par le Gouvernement, le
verbe « déterminer ». Le Gouvernement est convaincu de la pertinence de ce
choix, car le terme « favorise » pouvait apparaître comme péjoratif pour les
femmes. Il risquait de donner à croire que leur accession aux responsabilités
politiques résultait d'une faveur qui leur aurait été accordée par les hommes.
Ce n'est pas, bien sûr, l'intention du Gouvernement. Il est clair que la
révision doit conduire non pas à une préférence automatique donnée aux femmes,
mais évidemment à une reconnaissance de leurs qualités.
En outre, la commission des lois de l'Assemblée nationale pouvait estimer que,
en utilisant le terme « favoriser », le constituant entendait limiter la
liberté d'appréciation du Parlement. Certains parlementaires craignaient que la
formulation adoptée par le Gouvernement ne conduisît le Conseil consitutionnel
à contrôler, pour chaque loi, si le législateur avait bien favorisé l'égal
accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives. Il est clair, dans l'esprit du Gouvernement, que le législateur doit
disposer de la liberté d'appréciation nécessaire pour retenir les mesures qu'il
juge adaptées tout en respectant, bien évidemment, les autres normes
constitutionnelles qui s'imposent à lui.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'est montré favorable à la
solution choisie par l'Assemblée nationale, qui permet de donner au législateur
la compétence pour intervenir, sans emporter d'obligation d'agir dans un sens
ou dans un autre ou d'employer une méthode plutôt qu'une autre.
Enfin, l'Assemblée nationale a souhaité préciser le champ d'application du
principe de l'égal accès des femmes et des hommes, en disant qu'étaient
concernés les mandats électoraux et les fonctions électives. Cela signifie
clairement que sont visées les élections à caractère politique, telles qu'elles
sont, par exemple, énumérées à l'article L.O. 141 du code électoral, qui ne
fait d'ailleurs pas de véritable distinction entre les expressions « mandats
électoraux » et « fonctions électives ».
Par ailleurs, le champ d'application de la disposition inclut aussi l'élection
des juges de prud'hommes, en vertu d'une décision du Conseil constitutionnel en
date du 17 janvier 1979, mais non l'élection des représentants des assurés
sociaux, en vertu d'une autre décision en date du 14 décembre 1982.
J'en viens maintenant à la portée de la révision constitutionnelle.
Je souhaiterais d'abord rassurer ceux qui craignent qu'elle ne conduise à une
dérive communautariste ouvrant à toute minorité, ethnique, géographique,
linguistique ou religieuse, le droit de réclamer des mesures de discrimination
positive en sa faveur. Il doit être bien clair que la révision qui vous est
proposée ne remet pas en cause le principe d'égalité entre citoyens conçu de
façon abstraite, sans considération de race, de religion, d'opinion ou de
catégorie.
En effet, les femmes ne sont ni une communauté ni une minorité. Elles sont
tout simplement la moitié de l'humanité. Le sexe est un état de la personne, il
ne saurait se réduire à une catégorie, car il transcende tous les groupes.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Par conséquent, l'instauration de la parité entre les
femmes et les hommes n'est pas de nature à justifier l'émission de
revendications paritaires par certaines catégories.
La révision constitutionnelle vise non à remettre en cause les principes de
1789 sur lesquels notre système politique est fondé, mais au contraire à leur
donner un contenu concret dans le domaine particulier de l'exercice des
responsabilités politiques par les femmes et les hommes. Faut-il d'ailleurs
rappeler que la Déclaration de 1789 n'a pas suffi à elle seule à abolir
l'esclavage, ni à faire reconnaître le droit de vote des femmes, et qu'il a
bien fallu, ensuite, élaborer des lois pour que ces principes fondamentaux
puissent être appliqués ?
(Applaudissements sur les travées socialistes et
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Absolument !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
S'agissant de la position de la commission des lois du
Sénat, celle-ci propose, en premier lieu, d'inscrire la révision
constitutionnelle non pas à l'article 3 de notre Constitution, mais à son
article 4, et, en second lieu, de modifier profondément la rédaction du texte
adoptée par l'Assemblée nationale.
Je voudrais vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi le
Gouvernement ne saurait être favorable à cette approche qui, à ses yeux, est
beaucoup trop réductrice.
S'agissant de l'insertion dans la Constitution de la modification proposée, je
rappellerai d'abord que le projet de révision constitutionnelle vise à
introduire dans notre ordre juridique l'idée fondamentale selon laquelle la
souveraineté s'incarne dans les hommes et les femmes, et non dans un citoyen
dénué de sexe. L'expérience a d'ailleurs prouvé que celui-ci est en réalité un
homme !
C'est pourquoi le Gouvernement considère, en accord avec le Président de la
République, qu'il est important d'inscrire l'objectif de parité à l'article 3
de notre Constitution, lequel traite des conditions d'exercice de la
souveraineté. Son insertion à l'article 4 le priverait de toute sa
signification philosophique.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
C'est d'ailleurs sans doute aussi pour cela que cette
modification est proposée.
Je rappellerai ensuite que la révision constitutionnelle qui vous est soumise
aujourd'hui s'inscrit dans un contexte juridique particulier. En effet, elle
est une réponse à la jurisprudence du Conseil constitutionnel que j'ai rappelée
tout à l'heure et qui, au nom d'une conception universelle du citoyen, a
interdit au législateur de tenir compte du sexe des candidats pour promouvoir
l'accès des femmes aux responsabilités politiques. Des deux décisions du
Conseil constitutionnel de 1982 et de 1999, il résulte à l'évidence qu'une loi
imposant des quotas ou des candidatures paritaires contredirait le principe
d'universalité du suffrage que la haute juridiction fait dériver clairement de
l'article 3 de la Constitution. Cette conception de l'universalité est celle du
Conseil constitutionnel, mais l'on peut en adopter une autre, car il n'existe
pas une définition unique de l'universalisme.
Le juge constitutionnel a fondé son raisonnement principalement sur l'article
3 de la Constitution et, accessoirement, sur l'article 6 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il a en effet estimé que ces textes
s'opposaient à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles
pour tout suffrage politique. Si l'on souhaite moderniser notre vie politique
en assurant la participation effective des femmes, il est donc nécessaire de
modifier l'article 3 de la Constitution. L'inscription de la réforme à
l'article 3 n'a pas seulement une dimension philosophique, elle a aussi une
dimension juridique.
Je précise enfin que, en faisant porter la révision constitutionnelle sur le
seul article 3, le projet de loi qui est soumis au Sénat n'exclut en rien
l'adoption, que certains semblent souhaiter, de mesures concernant les partis
politiques, s'agissant notamment de leur financement public.
En effet, l'article 3 de la Constitution régit la souveraineté et le droit de
suffrage. Dans la mesure où les partis, aux termes mêmes de l'article 4, «
concourent à l'expression du suffrage », l'objectif de parité inscrit à
l'article 3 les concernera aussi. Il doit être bien clair que la modification
envisagée de l'article 3 de la Constitution autorise le Parlement à adopter,
s'il le souhaite, les mesures financières qu'il estimera appropriées pour
inciter les partis à ouvrir leurs candidatures aux femmes.
Le fait que la modification de l'article 3 autorise le législateur à adopter
des mesures d'incitation financière permet en outre de faire l'économie d'une
constitutionnalisation du financement public des partis. Est-il vraiment
souhaitable de constitutionnaliser ce financement public ? Je ne le crois
pas.
J'en viens maintenant au contenu de la nouvelle règle constitutionnelle.
Si je pense qu'il est contestable de vouloir inscrire celle-ci à l'article 4
de la Constitution, je crois qu'il est encore plus difficile d'accepter la
rédaction du texte retenue par la commission des lois du Sénat. Dire avec elle
que « les partis favorisent l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et aux fonctions électives », c'est reporter sur les seuls partis
politiques une vague obligation morale, en faisant totalement abstraction de la
compétence du législateur.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le constituant ne saurait prier les partis politiques
d'agir.
Mme Hélène Luc.
Bien sûr !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il ne peut qu'inviter le législateur à prendre ses
responsabilités.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Ainsi, non seulement l'amendement de la commission des lois insère la
révision constitutionnelle à l'article 4 de la Constitution réduisant le champ
d'extension de la réforme aux seuls partis politiques, mais, de plus, il leur
transfère la responsabilité de donner aux femmes la place qui leur revient dans
l'action politique.
Le législateur demeure dès lors dépourvu de moyen d'action, si ce n'est par
l'intermédiaire du financement public des partis.
Vous l'avez compris, je ne suis pas favorable à un tel système, qui conduit en
réalité à priver le législateur des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de
la parité. Or, il est essentiel que la responsabilité de cette mise en oeuvre
pèse sur lui et non sur les partis. Comme l'a déclaré Mme Roselyne Bachelot,
dont je partage le sentiment,...
M. Hilaire Flandre.
Sur ce point !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Sur ce point comme sur d'autres, notamment le pacte
civil de solidarité, monsieur le sénateur !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Même combat
!
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Comme l'a déclaré Mme Roselyne Bachelot, disais-je, «
il faut bien établir que c'est la loi qui assure l'égal accès et que renvoyer à
l'organisation des partis relève d'une mauvaise appréciation des mécanismes qui
ont conduit à l'exclusion des femmes de la vie politique ».
M. Henri Weber.
Très juste !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Jusqu'à présent, lesdits partis, hormis sous
l'influence de certains responsables politiques, loin d'encourager les femmes
souhaitant s'engager, ont, au contraire, tout fait pour les empêcher d'exercer
des responsabilités.
Dois-je rappeler ce que disait le sénateur Bérard en 1919 pour justifier, si
l'on peut dire, que le droit de vote ne soit pas octroyé aux femmes ? Il
affirmait : « L'immense majorité des femmes de France, si vaillantes et si
pleines de bons sens
(Sourires sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen),
repousse le présent qu'on veut lui faire ;
l'immense majorité des femmes de France ne veut pas du bulletin de vote
(Nouveaux sourires sur les mêmes travées)
: elle estime qu'elle n'a pas à
quitter le foyer pour aller au forum, elle estime que la maison familiale, avec
les enfants à élever, suffit largement à sa tâche et que, en ce domaine, la
mission est assez haute, assez noble, assez grande ; elle estime que là se
borne sa tâche pour la patrie. »
Mme Hélène Luc.
Dans cette assemblée, il y a encore des hommes qui pensent ainsi !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la parité n'est pas
un présent qu'on offre aux femmes ! Je ne peux pas croire que le Sénat, en
vidant de son contenu la réforme proposée par le Gouvernement et le Président
de la République, veuille être un obstacle, comme voilà quatre-vingts ans
maintenant, à une disposition que notre pays réclame.
Le constituant ne peut pas s'en remettre à la seule bienveillance des partis
politiques pour réaliser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et
fonctions. Le législateur doit prendre ses responsabilités comme il l'a fait,
par exemple, en imposant aux partis, par le biais de lois simples, des règles
afférentes au financement public.
Par conséquent, si les partis politiques doivent contribuer essentiellement à
l'égal accès des femmes et des hommes à la vie publique, ce ne peut être que
dans des conditions que la loi détermine.
On pourrait objecter qu'imposer une telle règle aux partis ce serait limiter
la liberté de choix des électeurs. Mais dois-je rappeler qu'au scrutin
proportionnel où les listes sont bloquées il n'y a pas plus de choix donné aux
électeurs de voter pour un tel ou une telle ?
M. Hilaire Flandre.
C'est bien vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Cela n'a jamis soulevé de problème consitutionnel.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Scrutin majoritaire !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Malgré le travail remarquable accompli par votre
commission et par son rapporteur, auquel je veux rendre hommage, la proposition
qu'elle présente ne me semble pas correspondre à la grande réforme voulue par
le Gouvernement et attendue avec impatience par l'ensemble du peuple français
qui ne comprend pas pourquoi les femmes ne peuvent avoir la place qui leur
revient dans la vie politique.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
C'est pourquoi je vous demanderai d'adopter le texte
retenu par l'Assemblée nationale, qui me semble de nature à contribuer à la
modernisation de notre vie politique.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
(Mme Monique Cerisier-ben Guiga
applaudit.)
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, mon
propos s'inscrit en toute complémentarité de l'intervention que vient de faire,
avec talent et conviction, Mme Elisabeth Guigou.
La dimension historique de ce que l'on peut appeler « la marche des femmes »
permet de mieux comprendre le débat de ce jour sur l'égal accès des femmes et
des hommes aux mandats et fonctions, aux décisions politiques et, disons-le, au
partage du pouvoir.
Cette longue marche est jalonnée de noms de femmes et d'hommes célèbres pour
leur action. Le temps manquerait pour évoquer chaque mémoire. Je pourrais
choisir Olympe de Gouges et la célèbre phrase qu'elle a prononcée en 1791 : «
La femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit aussi avoir le droit de
monter à la tribune. »
Je pourrais également évoquer la mémoire de François Poulain de la Barre qui,
voilà trois cents ans, déclarait : « Toutes les lois semblent n'avoir été
faites que pour maintenir les hommes dans la position où ils sont. » Je
pourrais encore citer Condorcet qui, en 1787, parlant de l'exclusion des
femmes, affirmait : « Songez qu'il s'agit des droits de la moitié du genre
humain. »
Déjà en 1919, comme en 1938, le débat sur le droit de vote des femmes dans
cette assembée avait donné lieu à de vifs échanges pour se terminer en 1944,
comme l'a rappelé Mme Elisabeth Guigou, par une décision prise par ordonnance
!
Vous me permettrez de reprendre d'un mot l'argumentation juridique et
l'interrogation philosophique qu'un tel sujet sur l'égal accès des hommes et
des femmes aux responsabilités politiques mérite, argumentation et
interrogation qui sont très présentes depuis plusieurs semaines dans les
milieux concernés et dans la presse.
Une conception historique des droits universels, le débat sur la dialectique «
nature-culture » qui façonne la femme et qui a traversé la réflexion de mes
vingt ans, voire de mes trente ans, et la vôtre, j'en suis persuadée,
aboutissent aujourd'hui à un constat : rien n'a changé dans la représentation
du peuple, ou si peu.
Depuis des décennies, notre démocratie moderne débat sur le sujet. Chacun
s'exprime et, pendant ce temps, les femmes continuent à être aussi peu
nombreuses dans les assemblées parlementaires. Les chiffres ont été rappelés :
elles représentent 5 % des sénateurs et 11 % des députés.
Les Françaises seraient-elles moins prêtes que les autres femmes européennes à
prendre leurs responsabilités et à siéger dans les lieux de décision ?
Aucun démocrate ne peut le penser et se satisfaire de la situation actuelle
d'une République dans laquelle la loi est votée par un Parlement composé à plus
de 90 % par des hommes.
Pourquoi voulez-vous contraindre les femmes à entrer dans la vie politique si
elles ne le souhaitent pas ? ont demandé certains d'entre vous dans le dialogue
qui s'est instauré à la commission des lois. Cette question mérite réflexion.
Dans l'organisation actuelle de la vie sociale, familiale et professionnelle,
il est plus difficile à une femme qu'à un homme d'exercer de telles
responsabilités, et nous le savons tous. Femme et savoir, femme et pouvoir, ce
sujet a donné lieu à travers le temps et l'espace à une multitude de jugements
et de sentences, de décrets et d'anathèmes, de malédictions, voire de
fulminations.
Fort heureusement, nous n'en sommes plus là, mais le débat se poursuit.
Une amie philosophe parle de la mixité universelle de l'humanité et affirme
que « le genre humain n'existe pas hors de cette double forme ».
L'un des enjeux de cette réforme constitutionnelle, c'est bien de reconnaître
que le peuple est souverain dans sa double identité ; les femmes ne sont ni une
communauté ni une minorité.
Comment, concrètement, avancer pour parvenir à une mixité de nos assemblées et
répondre aux attentes des citoyennes et des citoyens dont nous sommes les
représentants ?
La mise en oeuvre de la parité politique paraît plus aisément réalisable dans
le cadre des élections aux scrutins de liste, à la proportionnelle : élections
régionales, européennes et municipales.
S'agissant des élections au scrutin uninominal, comme l'a rappelé le Premier
ministre le 9 décembre 1998, la parité n'est en aucune façon un prétexte pour
modifier les modes de scrutin. « Une pensée, un objectif, pas d'arrière-pensée
», a-t-il déclaré.
Je rappellerai que, si l'inscription de la parité a la préférence du
Gouvernement, le législateur pourrait souhaiter la mise en place d'autres
solutions, par exemple des seuils évolutifs. Il s'agirait alors d'aller vers la
parité par étapes successives, en fonction du calendrier électoral.
Des dispositions pourraient être prises pour moduler une partie du financement
des partis politiques en fonction de la place faite aux femmes.
Pour avancer des propositions, je m'appuierai sur les travaux de
l'Observatoire de la parité, qui vient d'être renouvelé et qui sera présidé par
une parlementaire, Mme Dominique Gillot. Elle succédera à Mme Roselyne
Bachelot, dont chacun a salué le travail, ainsi que celui qui a été accompli
par la commission politique animée par Mme Gisèle Halimi.
Les membres de l'Observatoire sont choisis parmi des élus, des spécialistes de
l'emploi, de la formation professionnelle, des sociologues, des politologues,
des journalistes, des historiens, des représentants du monde associatif ; il
réunira ceux qui, aujourd'hui, travaillent individuellement ou collectivement
sur l'ensemble des questions d'égalité.
Martine Aubry et moi-même souhaitons que leurs premières conclusions nous
parviennent avant la fin du premier semestre 1999.
Je souhaiterais maintenant introduire une deuxième dimension à ce débat.
La parité n'est pas un but en soi. On entend, ici ou là, que cette aspiration
ne concerne que quelques femmes privilégiées. La juste place des femmes dans
les lieux de décision, c'est à l'évidence un levier pour accélérer la mise en
mouvement de notre société sur des sujets qui ne sont pas suffisamment visibles
à ce jour : inégalités que vivent trop de femmes dans le monde du travail et
dans l'accès à la formation, violences subies dans leur vie personnelle...
La place des femmes dans le monde du travail ne cesse de croître. A présent,
dans la tranche d'âge de vingt-cinq à cinquante ans, huit femmes sur dix
travaillent. Mais leur activité se concentre fortement dans un faible nombre de
secteurs et dans l'emploi précaire. Elles subissent beaucoup plus que les
hommes le temps partiel contraint puisque, aujourd'hui, 84 % des travailleurs à
temps partiel sont des femmes.
La même fragilité est constatée si l'on s'intéresse à la formation et à la
qualification professionnelle des femmes : près de 80 % des employés et des
ouvriers sont des femmes, et ces dernières accèdent deux fois moins que les
hommes à la formation tout au long de la vie.
Aucune femme n'est aujourd'hui à la tête d'une des deux cents premières
entreprises françaises. Le fameux plafond de verre ! Et pourtant, les jeunes
femmes accèdent à présent plus que les hommes à l'enseignement supérieur : cent
vingt filles pour cent garçons.
La situation est identique dans la fonction publique. Certains secteurs ont
été très largement féminisés : il en est ainsi de la magistrature, des cadres
administratifs, des personnels de l'enseignement supérieur, dont les femmes
représentent plus de 52 % des effectifs. Toutefois, la place des femmes dans
les grands corps de l'Etat, comme le Conseil d'Etat, la Cour des comptes ou
l'Inspection générale des finances, est encore très réduite : les femmes ne
représentent que 19,9 % des effectifs.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
En ce qui concerne les salaires, les écarts sont
encore très importants. La moyenne des salaires des hommes est supérieure de 25
% à la moyenne des salaires des femmes. Et, à travail égal, l'écart des
salaires s'élève encore à 12 %.
Dans le domaine de l'emploi et de la formation professionnelle, la persistance
des inégalités nous a conduites, Martine Aubry et moi-même, à demander au
Premier ministre de charger Mme Génisson, députée, d'une mission d'analyse et
de réflexion sur ce sujet.
De la précarité à l'exclusion, il n'y a qu'un pas : 41 % des familles exclues
ou en grande précarité sont des familles dites monoparentales. Ne nous cachons
pas derrière les mots : 90 % de ces familles sont composées de femmes seules
avec des enfants.
Des femmes beaucoup plus nombreuses dans nos assemblées se seraient mobilisées
davantage sur ces sujets de société
(Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit),
qui sont restés en dehors des
débats publics. J'évoquerai à cet égard les violences, celles de toute nature
que subissent les enfants et un nombre encore trop important de femmes dans
leur vie quotidienne.
Si le droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse ont
été largement débattus dès le début des années soixante-dix, les problèmes de
violences - violences conjugales, harcèlement sexuel - n'ont été entendus qu'au
début des années quatre-vingt-dix, quand les femmes se sont senties
suffisamment libres pour aborder cet aspect très personnel mais déterminant de
leur vie.
Nous allons nous engager dans une dynamique, celle que la construction
européenne a su impulser à l'égalité des chances entre les femmes et les
hommes, aux droits et devoirs de chaque citoyenne et de chaque citoyen.
La logique des mesures que nos voisins européens ont prises pour avancer et
que nous traduisons par « discrimination positive » existe dans le droit social
français, qui a su s'adapter pour prendre en compte la situation des plus
démunis.
Rompre l'égalité de droit pour remédier aux inégalités de fait, c'est ce que
la République fait au quotidien pour préserver la cohésion sociale, ciment de
notre démocratie.
Permettez-moi d'insister en concluant, mesdames, messieurs : notre
responsabilité de représentants des citoyennes et des citoyens est engagée dans
ce débat et dans les décisions qui en découlent.
Nous ne pourrons plus nous satisfaire de l'immobilisme actuel dans le partage
du pouvoir. Saisissons cette occasion pour moderniser notre vie publique en
adoptant, dans l'article 3 de la Constitution, le principe de l'égal accès des
hommes et des femmes aux mandats et fonctions. Nous avancerons ainsi dans
l'objectif historique de la parité qui est soutenu, je vous le rappelle, par 75
% de nos concitoyens et par les plus hautes autorités de l'Etat.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Cabanel,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, j'ai souhaité être le rapporteur de ce projet de loi
constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. Et j'ai
mené ma mission dans un esprit de progrès, de transformation d'une condition
qui, en effet, est regrettable.
Je n'ai pu atteindre tous les objectifs que je souhaitais voir se réaliser.
Mme Hélène Luc.
Mais cela ne tient qu'à vous !
M. Guy Cabanel,
rapporteur.
Ce n'est pas si facile que cela, madame !
C'est en tout cas en toute sincérité que je voudrais rapporter les décisions
et les appréciations de la commission des lois.
L'examen par la commission des lois du projet de loi constitutionnelle, adopté
par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes a
été précédé de nombreuses auditions, dont le compte rendu est annexé à mon
rapport.
Ces auditions ont démontré la complexité du problème et la difficulté de
trouver une solution acceptable pour tous.
La complexité de ce problème a été illustrée par des débats entre
constitutionnalistes sur le choix de l'article de la Constitution à réviser
afin de mieux équilibrer la présence des femmes et des hommes dans la vie
publique.
Je ne reviendrai pas en détail sur l'objet du texte qui nous est soumis, car
chacun le connaît.
Je rappellerai simplement que, selon l'exposé des motifs du projet de loi
constitutionnelle, ce texte vise à remédier à une présence très insuffisante
des femmes au sein des institutions publiques en complétant l'article 3 de la
Constitution, qui affirme le caractère indivisible et universel de la
souveraineté nationale, afin d'assurer la conciliation de ces principes avec
l'objectif d'un égal accès des femmes et des hommes aux mandats et
fonctions.
La loi favoriserait, selon la rédaction initiale du présent projet de loi, ou
déterminerait les conditions dans lesquelles serait organisé, selon le texte
adopté par l'Assemblée nationale, l'égal accès des femmes et des hommes aux
mandats électoraux et fonctions électives.
Le débat en commission a permis de dégager sans difficulté un accord sur le
constat de la situation et sur la nécessité d'y porter remède.
La solution à trouver, unique objet de notre débat, doit concilier les
principes fondamentaux sur lesquels repose notre démocratie avec l'objectif
d'une participation plus équilibrée des femmes et des hommes à la vie
publique.
Le rapporteur que je suis s'efforcera d'exposer les données principales du
problème puis les orientations retenues par la commission des lois.
Les statistiques sont connues et l'insuffisance du nombre de femmes élues en
France est patent, comme Mme la garde des sceaux et Mme la secrétaire d'Etat
l'ont d'ailleurs souligné.
Les élections législatives de 1997 ne doivent pas donner une fausse illusion.
Elles ont certes permis d'enregistrer une progression sensible du nombre des
femmes députés, puisque celles-ci constituent 10,9 % de l'effectif de
l'Assemblée nationale, avec 63 députés sur 577, au lieu de 6 % sous la
précédente législature. Mais si l'on ajoute à ces chiffres ceux du Sénat, on
constate que le Parlement de la République ne compte même pas 10 % de femmes à
son effectif !
Ce résultat, comparé aux statistiques des quatorze autres pays de l'Union
européenne, est critiquable : la France se situe en effet à l'avant-dernière
place, juste avant la Grèce, qui, elle, se caractérise par des résultats encore
plus regrettables.
M. Claude Estier.
Pas pour le Sénat ! Le Sénat, lui, est bien à la dernière place !
M. Guy Cabanel,
rapporteur.
J'ai parlé du Parlement dans son ensemble.
Il y a quand même dans ce tableau des éléments qu'il faut souligner.
Près de 30 % des élus français au Parlement européen sont des femmes, contre
20 % en 1984. La progression a été constante.
Mme Hélène Luc.
C'est un scrutin à la représentation proportionnelle !
M. Guy Cabanel,
rapporteur.
C'est exact !
Les 110 986 conseillères municipales de France constituent 21,7 % des élus
communaux contre 17,7 % en 1989, et 7,6 % des maires sont de sexe féminin
contre 5,4 % en 1989.
Enfin, le quart des conseillers régionaux élus en mars 1998, selon un scrutin
à la représentation proportionnelle, sont des femmes, alors que la proportion
de ces dernières dans les conseils généraux n'est que de 7,4 %, les élections
se déroulant, dans ce dernier cas, au scrutin majoritaire. C'est dire que, s'il
y a certes une évolution, cette dernière n'est qu'à peine dessinée.
Cette évolution, insuffisante certes mais tout de même significative, a été
obtenue sans modification de la législation électorale et, dans la plupart des
cas, grâce au scrutin à la proportionnelle et parce que les partis politiques
ont, depuis plusieurs années, commencé à prendre des mesures volontaristes pour
présenter des candidatures féminines, même dans les scrutins uninominaux.
Toute comparaison avec les pays étrangers doit être effectuée avec prudence et
en tenant compte des traditions, des régimes institutionnels et des modes de
scrutin différents.
Je dois dire que la mission présidée par notre collègue Mme Nelly Olin sur la
place des femmes dans la vie publique, mission à laquelle j'ai eu l'honneur
d'appartenir, a mis en lumière des éléments édifiants.
Certes, la France enregistre un retard important. Mais il est intéressant de
noter que les pays ayant la plus grande proportion de femmes dans les
assemblées - je pense ici aux pays de l'Europe du Nord, au premier rang
desquels la Suède - n'ont adopté aucune législation contraignante, aucune loi
d'obligation de quotas ou de parité. Les résultats enregistrés dans ces pays
proviennent de l'action déterminée des associations féministes et de la volonté
des partis ; peut-être cet élément a-t-il compté lors des débats au sein de la
commission des lois.
Au demeurant, cinq pays dans le monde, dont un seul en Europe, la Belgique,
ont fixé des quotas de femmes pour les candidatures aux élections ; et encore,
en Belgique, ces quotas n'ont été appliqués que pour les élections locales,
avec des résultats assez surprenants, puisque aucune progression forte de la
présence féminine dans ces assemblées locales n'a été enregistrée.
Aucun pays n'a jusqu'à présent inscrit dans sa constitution de disposition
autorisant le législateur à imposer des candidatures paritaires aux élections
politiques.
Ce constat, que nul ne conteste, n'implique cependant pas un accord sur la
meilleure solution possible, car, si nous sommes d'accord sur la maladie, nous
ne le sommes pas sur la thérapeutique.
En effet, faut-il prendre des mesures contraignantes, à travers les lois
électorales d'obligation, ou n'est-il pas préférable, au moins dans un premier
temps, d'adopter des mesures incitatives ?
La réponse à cette question dépend d'une appréciation politique d'opportunité
mais aussi d'une analyse attentive des conséquences de l'une ou de l'autre
orientation sur les principes de base de notre démocratie.
L'égale éligibilité des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux
fonctions électives a déjà été établie en droit par le général de Gaulle avec
l'ordonnance du 21 avril 1944. Elle a été inscrite à l'article 4 de la
Constitution de 1946, puis à l'article 3 de la Constitution de 1958.
Il s'agit donc non pas de savoir si l'égalité doit ou non être affirmée, mais
de déterminer comment traduire cette égalité en droit dans les faits et donc
comment assurer une égalité réelle des chances.
Notre droit comporte déjà certaines mesures de discrimination positive
destinées à créer une différence de traitement pour compenser une inégalité de
fait maintenue en dépit de l'égalité en droit. On trouve ainsi de telles
dispositions en droit social, en droit fiscal ou en droit de l'aménagement du
territoire.
En revanche, aucune mesure de discrimination positive n'a jamais été appliquée
dans le domaine électoral, puisque l'article 3 de la Constitution accorde des
droits civiques strictement égaux à tous les nationaux français majeurs des
deux sexes.
Dans ses décisions du 18 novembre 1982 et du 14 janvier 1999, le Conseil
constitutionnel, s'appuyant sur l'article 3 de la Constitution et sur l'article
VI de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, a estimé que « la qualité
de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions
identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge,
d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la
liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ».
La fixation de quotas dans la législation électorale est donc subordonnée à
une révision de la Constitution, et c'est ce que prévoit le projet de loi
soumis au Sénat.
Dès lors que l'article 3 ne serait pas modifié, une législation imposant des
candidatures paritaires ne pourrait intervenir, comme vient de le confirmer le
Conseil constitutionnel.
L'égalité entre les sexes étant juridiquement établie en droit, sinon en fait,
le projet de loi qui nous est soumis ne la remettrait-elle pas en cause ?
On peut en effet considérer qu'un texte conditionnant la recevabilité de
candidatures à la présence d'une proportion déterminée de femmes et d'hommes
créerait une discrimination entre les sexes, alors que la démocratie ne reçoit
les êtres humains qu'en tant que tels.
Il est également possible de soutenir qu'une telle conception de l'égalité est
abstraite et donc plus formelle que réelle. Le projet de loi constitutionnelle
aurait alors pour objet de réduire l'écart entre les droits proclamés et la
réalité des droits exercés.
Le texte soulève aussi, pour les membres de la commission des lois du Sénat,
la question de l'universalisme républicain, qui constitue un fondement de notre
démocratie.
Selon l'article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient
au peuple » et « aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en
attribuer l'exercice ». Cela signifie que le Parlement tout entier représente
la nation tout entière, et que chaque parlementaire pris isolément ne
représente rien que lui-même, puisque la qualité de représentant est attribuée
à l'organe et non à ses membres pris isolément.
Les élus ne représentent pas les électeurs de leur circonscription, mais la
nation tout entière, bien qu'ils pensent souvent le contraire.
L'obligation de candidatures paritaires qui serait faite ne provoquerait-elle
pas une division du corps électoral ? Telle est la principale question soulevée
par le projet de loi. Il y a des arguments pour, et des arguments contre.
Mme Francine Demichel, constitutionnaliste, a contesté que les femmes
appartiennent à une catégorie, relevant que le sexe apparaissait comme le seul
élément indissociable de la notion même de personne.
Tous les attributs qu'une personne peut posséder sont soit contingents - nom,
profession, situation matrimoniale, appartenance à une classe ou à un groupe
social - soit mouvants - âge - soit encore irrecevables dans un droit
démocratique - race, couleur de peau - et le sexe, estime Mme Francine
Demichel, seul élément qui contribue à définir l'identité même de l'individu,
doit pour cela même être pris en compte pour la théorie de la
représentation.
Ainsi, la moitié du genre humain ne pouvant être assimilée à aucune catégorie
ou minorité, l'instauration de la parité entre les femmes et les hommes dans le
domaine électoral ne pourrait pas, selon Mme Demichel, fonder ensuite des
revendications de quotas en faveur de telle ou telle partie de la société.
Ce point de vue est cependant très contesté.
Ainsi Mme Elisabeth Badinter considère-t-elle que, dès lors que l'éligibilité
est établie en droit de la même manière pour tous, le citoyen, donc le
candidat, donc l'éventuel élu, ne peut être distingué selon des
caractéristiques particulières tenant à la race, à la religion, à la culture ou
au sexe.
Toute différenciation, pour Mme Badinter, briserait l'unité du corps
électoral, pourrait susciter des revendications de quotas de la part de telle
ou telle catégorie de la société et conduire au communautarisme, par essence
contraire à l'intégration républicaine.
Un tel risque doit être évalué à sa juste mesure.
L'appréciation que votre rapporteur en a fait l'a conduit, dans un premier
temps, à estimer que l'établissement de la parité entre les femmes et les
hommes ne serait pas de nature à justifier des revendications comparables de la
part de catégories minoritaires, les femmes ne pouvant être assimilées ni à une
catégorie ni à une minorité.
La commission des lois, à l'issue d'un long débat, a considéré que le risque
de communautarisme - quand bien même il serait peut-être moins important que
certains le craignent - comportait trop de conséquences graves pour être
encouru.
Elle s'est donc prononcée contre une rédaction du texte qui permettrait à la
loi d'imposer des quotas, y compris aux alentours de 50 %, c'est-à-dire de la
parité, car cela porterait atteinte au principe de l'universalité du
suffrage.
Un texte autorisant des quotas pour les femmes serait susceptible d'encourager
le développement du communautarisme. Pareil mouvement irait à l'encontre de
toute politique d'intégration, particulièrement nécessaire à notre société
actuellement.
Aussi votre commission n'a-t-elle pas retenu la proposition de compléter
l'article 3 de la Constitution soit dans la rédaction retenue par l'Assemblée
nationale, soit, comme je l'ai proposé, dans celle du texte initial du projet
de loi constitutionnelle.
Elle a estimé qu'un meilleur équilibre dans la participation des femmes et des
hommes à la vie publique relevait principalement de la responsabilité des
partis, puisque ce sont eux qui désignent les candidats, pour l'essentiel.
Le rôle des partis politiques est d'ailleurs prévu par l'article 4 de la
Constitution, selon lequel ils « concourent à l'expression du suffrage ». Les
partis politiques peuvent donc prendre eux-mêmes librement les dispositions
adéquates.
Les efforts engagés par les partis politiques depuis quelques années
traduisent déjà une certaine prise de conscience, on l'a constaté. Ils ont
commencé à produire quelques effets et laissent espérer de nouveaux progrès.
Le souhait émis par un certain nombre de partis politiques de voir leurs
efforts encadrés et facilités par des dispositions juridiques conduit aussi
votre commission à proposer de compléter l'article 4 de la Constitution,
puisqu'il concerne le statut constitutionnel des formations politiques.
En premier lieu, il convient d'inscrire à l'article 4 de la Constitution, sans
ambiguïté aucune, le principe selon lequel il relève de la responsabilité des
partis politiques de favoriser la mise en oeuvre du principe constitutionnel de
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives.
Dès lors, le champ d'application de la révision constitutionnelle serait mieux
assuré, les mandats et les fonctions susceptibles d'être concernés ne pouvant
être que ceux pour lesquels les partis présentent des candidats, à l'exclusion,
par exemple, des fonctions de juge élu. Naturellement, cette solution devrait
respecter la totale liberté des candidatures individuelles.
L'affirmation de la responsabilité des partis politiques en la matière, non
contestée dans les faits, ne remettrait en cause aucun principe constitutionnel
fondant notre démocratie.
En second lieu, il paraît opportun de pouvoir, si nécessaire, encourager les
partis politiques dans les efforts amorcés pour permettre une répartition plus
équilibrée des femmes et des hommes assumant des responsabilités politiques.
A cet effet, la commission vous propose que l'article 4 de la Constitution
prévoie aussi que les règles relatives au financement public des partis
politiques puissent, si le législateur le décidait, contribuer à la mise en
oeuvre des principes constitutionnels énoncés à l'article 4 de la Constitution
: égal accès, respect par les partis des principes de souveraineté et de
démocratie.
Cette législation, de caractère incitatif, placerait les partis politiques
dans une situation égale au regard du risque électoral éventuel qu'ils
craindraient d'assumer face à l'égalité des femmes et des hommes.
Il appartiendrait au législateur de définir les modalités de cette modulation
du financement public, qui pourrait être établie sans majoration de la masse
globale des subventions accordées aux partis.
Cette incitation devrait rester suffisamment modérée pour ne pas «
compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idée et d'opinion
», selon la jurisprudence établie par la décision du Conseil constitutionnel du
11 janvier 1990 sur la loi relative à la limitation des dépenses
électorales.
A mon sens, cette législation incitative pourrait être applicable pour une
durée limitée. Une fois les résultats obtenus, on pourrait éventuellement
revenir à des dispositions de droit commun.
Telles sont les propositions de la commission des lois que son rapporteur vous
demande loyalement d'approuver.
Elles doivent être considérées comme la traduction de la recherche d'un
compromis ne présentant aucun risque au regard des principes fondamentaux de la
démocratie, mais permettant d'atteindre progressivement, donc sans rupture
brutale, les résultats souhaités.
Ces solutions pourraient, certes, être refusées, aussi bien par ceux qui les
jugeraient excessives que par ceux qui les estimeraient insuffisantes.
Dès lors que chacun entendrait se limiter à ses positions de principe
initiales - certes légitimes - aucun accord ne pourrait être dégagé et la
situation resterait donc, hélas ! en l'état.
Je ne peux pas croire que tel soit le sentiment d'un seul d'entre nous.
La recherche d'un accord en matière constitutionnelle requiert un vote
identique des deux assemblées, puis celui du Congrès à la majorité des trois
cinquièmes.
En conclusion, je vous dis donc du fond du coeur que chacun doit faire un
effort, le Sénat, mais aussi l'Assemblée nationale et le Gouvernement.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, permettez-moi tout d'abord d'émettre un souhait : évitons d'aborder
ce débat bardés d'arrière-pensées ou de préjugés
(Rires sur les travées
socialistes),...
Mme Hélène Luc.
On ne peut pas parler de préjugés !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois,
... voire, madame le garde des
sceaux, d'une certaine malice. Vous avez cité tout à l'heure le sénateur
Bérard. Mais peut-être était-ce, après tout, la vérité du moment !
(Murmures
sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy.
Oh !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Toutefois, c'était en 1919 ! Puis-je
vous faire remarquer que, depuis, certaines choses ont évolué, parfois
d'ailleurs sous l'inspiration du Sénat, ...
M. Jean-Louis Carrère.
Le droit de vote des femmes, par exemple ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... et que, circonstance atténuante,
l'énorme majorité d'entre nous n'étaient pas nés à cette date ?
(Sourires.)
Je salue au passage la mémoire de celui qui fut l'un de nos grands ancêtres et
qui fut un grand sénateur : admettez que nous puissions évoluer et ne plus dire
aujourd'hui, peut-être, les mêmes choses dans les mêmes termes !
(MM.
Chérioux et de La Malène applaudissent.)
Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner une révision constitutionnelle et
non une loi ordinaire, et nous entendons que le texte que nous allons adopter
ne remette en cause ni l'esprit ni la lettre de la Constitution.
Je regrette que certains aient tenté de stigmatiser par avance les
parlementaires de toutes tendances qui envisageraient d'exercer à l'égard du
présent projet de loi leur pouvoir souverain de constituant.
On a pu notamment laisser entendre que ne pas se rallier à la rédaction
proposée - mais laquelle, d'ailleurs, celle du Gouvernement qui a peut-être
recueilli l'accord du Président de la République, ou celle de l'Assemblée
nationale, qui comportent entre elles, vous l'avez noté, quelques divergences
appréciables ? - caractériserait une conception conservatrice,
antiféministe,...
M. Pierre Mauroy.
C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... que l'on voudrait considérer
commodément comme typique de la droite sénatoriale.
M. Bernard Piras.
C'est un peu vrai !
M. Guy Fischer.
Vous le reconnaissez vous-même !
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je voudrais répondre à ces préjugés
un peu rapides, mais encore partagés, par deux remarques.
Tout d'abord, à l'origine des lois ordinaires sur la contraception et
l'interruption volontaire de grossesse, l'IVG, on trouve des propositions ou
des projets de loi déposés par la droite ; puis ces lois ont été adoptées...
M. Jean-Louis Carrère.
Par la gauche !
M. Bernard Piras.
Oui, par la gauche !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... de manière très
consensuelle...
Mme Nicole Borvo.
Ce n'est pas vrai !
Mme Hélène Luc.
Sans la gauche, le projet de loi sur l'IVG ne passait pas, bien que ce soit
Mme Simone Veil qui l'ait proposé !
M. Bernard Piras.
Relisez les débats !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
J'ai relu les débats ! S'il n'y
avait pas eu une conjonction des voix de droite et de gauche...
Mme Nicole Borvo.
Justement ! Aujourd'hui, c'est la même chose !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... - car vous étiez heureusement
minoritaires à l'époque ! -, ces lois n'auraient pas été votées.
Mme Hélène Luc.
Sans la gauche, ces lois n'auraient pas été votées !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Or elles l'ont été, et elles l'ont
été...
M. Bernard Piras.
Par des hommes !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... par des assemblées qui, je le
constate sans m'en réjouir, étaient composées à 90% d'hommes.
Mme Hélène Luc.
Mme Veil l'a dit elle-même !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
L'argument un peu rapide que vous
avez avancé tout à l'heure sur l'attitude systématiquement hostile à l'égard
des femmes, qui serait celle d'assemblées où les hommes sont majoritaires, ne
me paraît donc pas sérieux.
M. Christian de La Malène.
Il ne l'est pas !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
J'en viens à ma deuxième
remarque.
Ce débat s'engage dans des conditions difficiles en raison du délai qui nous a
été imparti compte tenu de l'ordre du jour prioritaire fixé par le
Gouvernement. Au sein de la commission, certains, toutes tendances confondues,
ont d'ailleurs semblé regretter qu'un temps suffisant ne nous ait pas été
laissé, mais c'est un fait.
Mme Hélène Luc.
Mais non ! Nous avons eu tout le temps de réfléchir à cette question depuis
longtemps ! Voyons, voyons, monsieur le président !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Voyons, voyons, madame Luc !
(Sourires.)
Puis-je vous dire qu'il ne suffit pas d'évoquer les questions
mais qu'il faut aussi les étudier sérieusement et en évaluer les
conséquences.
A cet égard, je vous informe tout de suite, parce que certaines allusions y
ont été faites tout à l'heure, que nous aborderons exactement dans le même état
d'esprit le débat sur le PACS.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Vives
exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Mme Nicole Borvo.
Nous nous en doutons !
Mme Hélène Luc.
C'est tout à fait significatif !
M. Bernard Piras.
Vous anticipez !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous aurons la même volonté d'aller
au fond des choses, et nous montrerons que le PACS est un monstre juridique
!
Mme Nicole Borvo.
Et la présence des femmes, c'est un monstre juridique ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je vous invite d'ailleurs, pour
constater le sérieux de notre étude sur cet autre texte, à venir assister
demain à la série d'auditions publiques que nous organisons : partisans et
adversaires auront largement le temps de se faire entendre.
Mme Nicole Borvo.
Tant mieux !
M. Christian de La Malène.
Nous irons au fond des choses !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Sur le projet relatif à la parité,
malgré le peu de temps qui nous a été laissé, nous avons cependant entendu
procéder à des auditions, et nous avons eu à coeur d'entendre les opinions de
manière égale, notamment plusieurs femmes connues pour leurs engagements
antérieurs en faveur des droits des femmes.
Je dois à la vérité de dire que la qualité de l'apport à la fois philosophique
et intellectuel de toutes celles qui ont comparu devant la commission a ébranlé
les certitudes de plus d'un d'entre nous.
Mais, d'ailleurs, quelles sont ces certitudes ? On nous parle d'exigence de
l'opinion publique, voire de sa partie féminine, à laquelle, dans les
circonstances actuelles, vous imaginez bien que nous prêtons une attention
particulière !
Nous savons ce qu'il faut penser des sondages ; ce n'est pas la loi, et nous
ne gouvernons point ni ne légiférons sous leur pression. Il n'empêche, voilà à
peine six mois, l'opinion publique, par le biais des sondages, a été interrogée
sur le problème de la parité hommes-femmes.
La première question était la suivante : estimez-vous que la parité entre les
hommes et les femmes dans les assemblées doit être une obligation inscrite dans
la Constitution ? Les Français dans leur ensemble ont répondu oui à 20 %, les
hommes à 22 % - pas de préjugés !
(Sourires)
- et les femmes à 18 %.
M. Jean Chérioux.
Les femmes sont intelligentes !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Deuxième question : faut-il obliger
les partis politiques à présenter autant de femmes que d'hommes aux élections ?
Y étaient favorables 29 % des Français dans leur ensemble, 31 % des femmes -
là, elles gagnent ! - et 27 % des hommes.
Enfin, faut-il trouver d'autres moyens - cela fait appel à notre imagination,
mais vous savez que nous n'en manquons point ! - pour améliorer la place des
femmes en politique ? Y étaient favorables 46 % de l'ensemble des Français, 44
% des hommes et 47 % des femmes.
M. Pierre Mauroy.
La cause est entendue !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous devons donc progresser dans
notre réflexion.
Nous entendons toutefois le faire de manière raisonnée,...
Mme Nicole Borvo.
En cent ans !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... en prenant notre temps, afin
d'aboutir à des mesures qui ne soient ni une régression pour les femmes, comme
certaines, parmi les plus éminentes, ont tenu à nous le dire, ni un danger pour
la démocratie universelle.
(Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
C'est incroyable !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Vous pouvez rire, mesdames ! Nous,
cela ne nous a pas fait rire quand elles nous l'ont dit ; cela nous a
simplement permis de comprendre que le sujet méritait une réflexion
approfondie, étant entendu que, lorsque le Sénat se livre à une telle
réflexion, il accomplit le travail qui lui est imparti par la Constitution.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc.
Que vous ayez pu laisser entendre que cela porterait atteinte à la démocratie,
c'est vraiment incroyable !
M. Jean Chérioux.
La démocratie, vous êtes bien mal placée pour en parler !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Ces femmes que nous avons entendues,
qu'ont-elles voulu nous dire ? J'aborde là le fond du débat.
Historiquement, grâce à sa conception intégratrice de l'égalité, grâce aussi à
sa vision universaliste de la démocratie, la France a connu une évolution qui a
fait d'elle une référence en matière de droits des femmes, au sens le plus
large, pour ce qui concerne l'éducation, la vie professionnelle - à cet égard,
ce que vous avez dit du Conseil d'Etat prouve que vous n'y connaissez pas
grand-chose, madame le secrétaire d'Etat -...
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Mesurez vos propos, monsieur le président !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... pour ce qui concerne la vie
familiale, la vie associative, l'accès à la fonction publique. Toutes les
femmes qui voyagent à l'étranger le savent.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Citez vos chiffres, nous pourrons les confronter !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je ne voudrais pas que nos débats
d'aujourd'hui effacent l'importance de ce bilan, quels que soient les efforts
que nous avons encore à consentir.
Grâce à cette action que nous avons menée, nous avons évité une certaine
conception aseptisée, rigidifiée des rapports hommes-femmes qui prévaut dans
certains Etats. Je m'en réjouis et je souhaite que notre débat d'aujourd'hui
soit donc mené sans caricature.
Les comparaisons géographiques ont souvent servi à justifier la réforme
proposée. Pour m'en tenir aux démocraties - dans le système soviétique, on
avait trouvé un moyen : on mettait des contingents de femmes - je dirai
seulement que chaque pays a mené ou laissé aller son évolution, au regard du
sujet qui nous occupe, à son rythme, parfois beaucoup plus rapidement que la
France, mais parfois aussi au détriment d'autres aspects.
Dans les pays où l'on trouve le plus de femmes parlementaires, comme en Suède,
on trouve beaucoup moins de cadres supérieurs ou bien encore - nous, élus
locaux, qui avons le mérite d'être « cumulards », savons bien que les efforts
en ce domaine sont relativement insuffisants ! - moins de crèches permettant
aux mères de jeunes enfants de travailler, comme en Allemagne ou aux
Etats-Unis.
En tout état de cause, aucun des pays souvent cités en exemple n'a eu recours
à des quotas obligatoires identiques à ceux qui résulteraient nécessairement de
la rédaction qui nous est proposée.
A fortiori,
les Etats-Unis - où les résultats ne sont d'ailleurs pas si
extraordinaires - n'ont jamais étendu au domaine électoral leurs expériences en
matière de discrimination positive, expériences aujourd'hui si critiquées
qu'ils sont obligés d'y renoncer progressivement.
Mme Nicole Borvo.
Ce n'est pas le même problème !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Placée à cet endroit de la
Constitution, la modification proposée - c'est là le point essentiel -
induirait nécessairement des quotas en matière électorale. Nous y sommes
opposés pour trois raisons.
Premièrement, ce serait l'échec de notre évolution historique et l'aveu de
l'incapacité dans laquelle nous serions d'aboutir à un résultat souhaité par
tous par des moyens plus conformes aux exigences démocratiques.
Mme Hélène Luc.
Et d'avoir 5,6 % de femmes sénateurs, ce n'est pas un échec ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Il y a entre ceux qui soutiennent la
proposition qui nous est faite et ceux qui s'y opposent une divergence
fondamentale que l'on rencontre d'ailleurs dans tous les domaines.
Mme Odette Terrade.
Les femmes, ce n'est pas une catégorie, c'est la moitié de l'humanité !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Face à ce problème réel, vous avez
recours à la contrainte.
(Protestations sur les travées socialistes ainsi
que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Nous, nous
voulons prendre le problème à bras-le-corps et le résoudre en utilisant des
moyens conformes aux exigences de la démocratie.
Mme Odette Terrade.
Et dans cinquante ans, cela n'aura pas changé !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Vous ne serez plus là !
(Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Ce n'est vraiment pas une raison !
M. Pierre Mauroy.
Ni une réponse !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Deuxième raison de notre opposition
: la mesure qui nous est proposée serait la négation de l'unité du corps
électoral et du principe du mandat représentatif, qui fait de chaque élu,
quelles que soient ses caractéristiques propres, le représentant de la
nation.
Mme Danièle Pourtaud.
Mais tel est bien le cas des femmes élues !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Le deuxième alinéa de l'article 3 de
la Constitution pose un principe intangible et fondateur en disposant qu'aucune
section du peuple ni aucun individu ne peut s'attribuer l'exercice de la
souveraineté nationale.
M. Michel Charasse.
Voilà !
Mme Odette Terrade.
Très juste !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Pour vous faire mesurer le risque
auquel nous sommes confrontés, mes chers collègues, je veux vous livrer une
information. Elle vaut ce qu'elle vaut, puisqu'elle est tirée du
Nouvel
Observateur
(Rires sur les travées socialistes),...
M. Claude Estier.
Ce n'est sans doute pas votre lecture favorite !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... qui peut tout de même être
considéré comme une source importante d'information ! D'ailleurs, pour être
honnête, le sondage était, lui aussi, tiré du
Nouvel Observateur
!
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Voyez, on peut tout en faire
!
Eh bien, dans
le Nouvel Observateur
du 20 janvier 1999, on annonce - je
dis cela avec toutes les précautions d'usage - la création d'un collectif «
Egalité », qui s'est donné pour mission de « défendre le droit des
Afro-Français à une représentation médiatique ». Un temps d'antenne à la
télévision pour les Afros-Français, pourquoi pas ? Mais je reprends la
citation, « Un jour, viendra le tour de la représentation politique. S'il faut
des quotas, on les constituera ».
M. Claude Estier.
Cela, vous ne l'avez pas lu dans
le Nouvel Observateur
!
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Ah si ! J'ai mes sources !
Mme Nicole Borvo.
Ce n'est pas le sujet !
M. Guy Penne.
S'il y avait une association d'affreux, vous pourriez en être !
(Rires sur
les travées socialistes.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur Penne, votre propos est
stupide. De notre temps, les affreux étaient ceux que nous combattions avec le
sentiment de défendre l'honneur de la France. Alors, vous pouvez ravaler votre
propos !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Aucun parlement démocratique ne pourra être un représentant statistique de la
société ; ce n'est pas son rôle. Cela l'est d'autant moins que la collectivité
que forment l'ensemble des élus doit définir l'intérêt général, c'est-à-dire
faire abstraction des particularismes pour forger l'unité et ne pas exacerber
les différences.
J'en viens au troisième et dernier motif d'opposition à la rédaction
proposée.
On nous a dit que le principe de parité était facile à mettre en place lorsque
le mode de scrutin était la proportionnelle.
Mme Hélène Luc.
Eh bien voilà !
Mme Odette Terrade.
Voilà pourquoi il faut la proportionnelle !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Au sein de la commission, je faisais
remarquer à l'un de nos collègues qui y travaille très activement que, si le
groupe communiste est, au sein du Sénat, celui qui compte proportionnellement
le plus de femmes,...
Mmes Hélène Luc et Nicole Borvo.
Absolument !
M. Jacques Larché
président de la commission des lois.
... dont nous reconnaissons qualité,
c'est à la représentation proportionnelle qu'il le doit.
Un sénateur du RPR.
Bien sûr !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
C'est d'une logique absolue. La
proportionnelle favorise ce que l'on veut faire aujourd'hui, mais il y a un
obstacle, et personne n'a été capable de me dire comment on pourrait le
franchir : la conciliation entre le principe de la parité et le scrutin
majoritaire.
M. Jean-Louis Carrère.
Ce n'est pas un bon argument ! On peut y arriver avec le scrutin majoritaire
!
Mme Hélène Luc.
Il faut étendre la proportionnelle, c'est clair !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
J'en suis tout à fait d'accord. Mais
notre opposition est fondamentale : vous êtes favorable à la
proportionnelle,...
Mme Hélène Luc.
Oui !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... moi pas ! Je ne veux donc pas
d'un système qui vise à l'étendre ou à la rendre pratiquement obligatoire.
On nous a proposé des « trucs » qu'un éminent professeur de droit, favorable à
la parité, a qualifiés de « relativement farfelus ». Je lui laisse la
responsabilité de son propos.
Certains ont proposé en commission de doubler le nombre de députés dans chaque
circonscription, d'élire en quelque sorte un duo homme-femme. Certains ont
proposé que des circonscriptions soient réservées aux hommes et d'autres aux
femmes.
M. Hilaire Flandre.
Et les transsexuels ?
M. Jean-Louis Carrère.
Des multi-PACS ?
(Sourires.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
En vertu de quels critères ? Je ne
vois pas très bien comment on procéderait dans les Landes !
(Nouveaux
sourires.)
M. Pierre Mauroy.
Le scrutin municipal est une solution !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Le scrutin municipal est
proportionnel. Comme vous le savez, il existe deux scrutins majoritaires : le
scrutin majoritaire cantonal et le scrutin majoritaire législatif auquel vous
avez toutes raisons de demeurer attachés depuis quelque temps...
M. Jean Chérioux.
Il y a aussi l'élection du Président de la République !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Pourquoi y aurait-il une seule voie
de conciliation ! Si vous me le prouviez, j'accueillerai cette suggestion avec
le plus grand intérêt.
Dès lors, nous en sommes venus à rechercher de véritables solutions. Nous
partageons le constat et l'objectif qui sont les vôtres. Nous avons identifié
le blocage institutionnel qui a trait au choix des candidats par les partis
politiques.
J'espère que nous parviendrons à trouver des mesures incitatives qui, selon
vous, madame le garde des sceaux, font partie de celles qui devraient être
envisagées.
Telles sont les conclusions auxquelles nous sommes parvenus à la suite des
travaux approfondis que nous avons accomplis. Nous souhaitons et nous faisons
tous des efforts pour que plus de femmes soient présentées et élues. Au fond,
c'est notre objectif commun, mais, selon nous, il ne doit pas être atteint par
des moyens qui emporteraient avec eux des principes fondateurs de notre
démocratie, ceux-là même qui nous ont permis d'être tous ensemble dans cet
hémicycle aujourd'hui pour débattre de cette question fondamentale.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président de la commission, sans du tout
vouloir entrer dans une polémique, je voudrais dire qu'une femme, pas plus
qu'un homme, n'aime entendre qu'elle ne domine pas son sujet quand elle avance
un certain nombre de chiffres ! Mais peut-être n'avons-nous pas les mêmes
sources et je vais me permettre de citer les miennes.
S'agissant de la place des femmes dans la fonction publique, je réaffirme que,
dans les grands corps de l'Etat, Conseil d'Etat, Cour des comptes, inspection
générale des finances, la place des femmes à ce jour est de 15,9 %.
Je tiens à votre disposition un ensemble de tableaux concernant les cadres et
professions intellectuelles supérieures, l'emploi dans les grands corps de
l'Etat, les emplois laissés à la décision du Gouvernement. Ces chiffres sont
issus de la direction générale de l'administration et de la fonction publique,
la DGAFP, du bureau des statistiques, en date du 1er juin 1997.
M. Jean-Louis Carrère.
Très bien !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
S'agissant des mesures prises dans certains pays
européens, j'en citerai trois qui contredisent vos propos.
En Allemagne, la deuxième loi sur l'égalité des droits entre les femmes et les
hommes, et qui a été adoptée en septembre 1994, a permis la mise en place de
mesures positives en ce qui concerne l'administration, qui doit présenter tous
les trois ans un plan d'action avec obligation de résultats.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Je citerai le Royaume-Uni : un premier palier ayant
été franchi en 1995 avec plus de 30 % de femmes, le Gouvernement s'est fixé un
objectif de parité aux postes de décision dans la fonction publique.
Enfin, en ce qui concerne les Pays-Bas, une banque de données a été instituée
depuis 1995, regroupant les coordonnées des femmes disposant des diplômes et
des compétences pour occuper des postes de direction.
C'est pour limiter mon intervention à une douzaine de minutes que je ne suis
pas entrée tout à l'heure dans le détail de mes affirmations ; mais j'ai
ressenti le besoin d'ajouter ces explications.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Charles de Cuttoli.
Et la proportion dans la magistrature ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je souhaite simplement vous faire
remarquer, madame le secrétaire d'Etat, que j'ai parlé uniquement du Conseil
d'Etat. Vous, vous avez généralisé.
Pour ma part, compte tenu de mon ancienneté, je suis entré au Conseil d'Etat
l'année où les deux premières femmes y entraient.
Au Conseil d'Etat, la règle - que l'on devrait supprimer d'ailleurs - veut que
l'avancement se fait au « tour de bête ». Vous pouvez tuer père et mère, mais
vous débuterez au tableau comme auditeur !
Pouvez-vous me citer un seul cas de révocation d'un conseiller d'Etat pour
insuffisance professionnelle ?... D'ailleurs, aucun conseiller d'Etat n'a
jamais fait preuve dans sa vie d'insuffisance professionnelle ! C'est tellement
évident qu'on n'a jamais eu besoin d'en révoquer.
(Sourires.)
Cela étant, les membres du Conseil d'Etat avancent au « tour de bête ». Pour
ma part, je suis entré juste après mon ami Chandernagor
(Murmures sur les
travées socialistes)...
Mme Danièle Pourtaud.
Et alors ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... et, tout au long de notre vie
professionnelle, nous nous sommes suivis.
Pour les femmes, c'est pareil. Elles sont entrées au Conseil d'Etat et elles y
entrent de plus en plus. Alors qu'il n'y avait que deux femmes dans ma
promotion de l'ENA, elles sont 35 % dans la promotion actuelle. Elles ont donc
toutes les chances d'accéder un jour au « tour de bête » à la présidence du
Conseil d'Etat.
Mme Odette Terrade.
Ce qu'on veut, c'est que cela aille plus vite !
M. Claude Estier.
L'expression « tour de bête » est pour le moins malvenue !
M. Charles de Cuttoli.
Il y a 74 % de femmes à l'Ecole nationale de la magistrature !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 60 minutes ;
Groupe socialiste : 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, Victor Hugo déclarait en 1872 : « Il y a des citoyens, il n'y
a pas de citoyennes. C'est là un état violent, il faut qu'il cesse. »
A sa manière, il dénonçait ce qui se cache derrière le neutre du terme
citoyen. Il en distinguait les deux genres - le masculin, le féminin. Cette
mise en opposition - il y a des citoyens, il n'y a pas de citoyennes - cette
évidente séparation des genres, la mise en lumière de deux conditions
différentes, soudain, jetaient à bas le mythe universaliste.
Oui, la République, la démocratie, la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen n'avaient de féminin que le déterminant et d'universel que le mythe.
Olympe de Gouges ne l'avait-elle pas aussi dénoncé à sa manière en rédigeant
une déclaration des droits de la femme ?
Cet ordre universel neutre, abstrait, mais ne se déclinant qu'au masculin, a
perduré pendant 150 ans. Notre Marianne fut longtemps, trop longtemps, la seule
femme présente dans les hémicycles et les salles de conseil.
Redire, cinquante ans après que le droit de vote et d'éligibilité a été
accordé aux femmes, que l'égal accès des hommes et des femmmes aux mandats
électoraux et aux fonctions électives est organisé par la loi, ce n'est pas
aller contre le principe d'universalité. C'est au contraire l'expliciter, le
réaffirmer. C'est faire, en somme, comme Victor Hugo : poser les termes de
l'égalité, nommer et les hommes et les femmes, convoquer, dans la Constitution,
les deux composantes de l'humain, les deux composantes du peuple.
Parce que cette évidence n'en est apparemment pas une pour tous, rappelons
qu'il est une vérité, et que cette vérité est universelle, à travers les âges
et sous tous les cieux : l'humanité est sexuée. Ce n'est donc pas aller contre
l'universel que de refuser le neutre, ce n'est donc pas bafouer l'universel que
de dire qu'il s'y loge 50 % de féminin, ou de dire qu'il s'y loge 50 % de
masculin.
Je connais par avance la réplique, et je ne pense pas qu'elle soit imparable :
quiconque approche l'universel d'une manière qui n'est pas neutre est accusé de
« différentialisme ». On lui reproche en outre de catégoriser, de distinguer
qui des origines, qui des races, qui des religions.
Bref, nous serions coupables de vouloir favoriser le premier pas vers le
communautarisme, premier pas qui, inéluctablement, en entraînerait d'autres. Or
notre République est fondée sur le refus de la division du peuple en
catégories.
Cette règle fondamentale est inscrite à l'article 3 de la Constitution. Nous y
souscrivons pleinement, et le présent projet de loi ne le remet nullement en
cause. Les femmes, en effet, ne constituent en rien une catégorie, ni une
section du peuple. Elles ne sont pas une minorité : elles sont la moitié de
notre peuple, elles sont la moitié de tous les peuples.
Cette vérité se trouve d'ailleurs inscrite en filigrane dans les thèses même
de ceux qui refusent ici le projet de révision tel qu'il a été adopté à la
quasi-unanimité de l'Assemblée nationale puisqu'ils préconisent également
l'inscription de la différence sexuée ; simplement, il serait possible
d'inscrire cette différence à l'article 4 sans conséquence et elle serait
inacceptable à l'article 3.
Il y a là, on le voit bien, une véritable contradiction qui montre qu'il
s'agit davantage pour la majorité sénatoriale de calculs politiques et
d'arrière-pensées politiciennes.
On me répondra que, parmi ceux qui défendent la thèse de l'universalisme
neutre ou abstrait, lequel serait le principe fondateur de notre démocratie et
de notre République, figurent des hommes et des femmes de gauche.
Je répondrai que je ne mets pas sur le même plan ceux qui se sont illustrés
tout au long de leur vie par leur combat pour la défense des droits des femmes
et les autres qui se sont souvent battus contre ces droits, qu'il s'agisse du
droit des femmes à disposer de leur corps, ou de leur émancipation civile et
économique.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Ces derniers se servent de l'universalisme comme paravent pour masquer
leur conservatisme. Ils croient prendre les défenseurs de la parité à leur
propre piège. Ils leur disent : Vous posez une différence pour revendiquer
l'égalité, mais alors, ne craignez-vous pas que cette différence s'exprime dans
la représentation ? Ainsi, les femmes vont faire de la politique pour les
femmes, et comme des femmes !
Je vous réponds, mesdames et messieurs de la majorité sénatoriale, que c'est
bien mal considérer les femmes que de leur prêter de telles pensées. Les femmes
ne sont pas uniquement déterminées par leur sexe ! C'est parce qu'elles sont
femmes qu'on les empêche de faire de la politique, mais ce n'est pas parce
qu'elles sont femmes qu'elles vont la faire autrement ! Victimes d'une
discrimination par le sexe, nous n'allons quand même pas la rétablir dans
l'hémicycle !
Les sénatrices n'ont pas, me semble-t-il, donné l'impression de ne représenter
que des femmes ; elles représentent leur département, leur pays, et
s'attachent, comme vous messieurs, à résoudre les préoccupations les plus
criantes de leurs concitoyens. Comme vous, elles siègent dans toutes les
commissions de la Haute Assemblée et même, depuis peu, à la commission des
lois. Après tout, nos collègues masculins n'ont jamais été accusés de ne
représenter que leurs congénères mâles !
Soyons clairs, je ne crois pas que les femmes feront de la politique
différemment des hommes, et inversement !
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Juger
a priori
que, contrairement aux hommes, les femmes auraient une
approche différente de la représentation nationale revient à considérer
qu'elles constituent une spécificité, une exception par rapport à une norme
générale, la norme étant l'être humain de sexe masculin. Rien ne justifie cette
vision réductrice. Comme les hommes, les femmes politiques adhèrent à un idéal,
portent des projets et défendent le programme de leur parti.
Rappelons qu'il n'est question ni de fonder un corps électoral distinct ni de
limiter les femmes à la seule représentation des femmes. Ce n'est pas la
République sexuée, c'est le partage équilibré des responsabilités au sein de la
République.
Il y a certainement, dans ce soupçon, un reste de conservatisme mal digéré. Ce
conservatisme a pour origine l'époque où il a été décidé de cantonner la femme
au foyer tandis que l'homme faisait de la politique. Cela a été dit aussi bien
par Mme Guigou que par Mme Péry. De cette lointaine séparation subsistent de
nombreuses marques, par exemple les champs de compétence traditionnellement
dévolus aux femmes dans les assemblées.
Il demeure toujours l'idée que, si une femme a tenu à faire de la politique,
eh bien, elle n'a qu'à s'occuper de choses qui l'intéressent ! Et qu'est-ce
qui, naturellement, l'intéresse ? La famille ! Ainsi s'est dessinée, et de
façon très insidieuse, l'idée d'une spécificité féminine en politique.
Les femmes avaient réussi à abattre les frontières ; elles s'étaient
introduites, un peu par effraction, dans la sphère publique, mais on s'est
chargé de leur rappeler de ne pas oublier au passage ce à quoi on les avait
assignées.
Une réminiscence de ces anciennes attitudes est l'accusation d'incompétence
qui, bizarrement, ne s'accorde qu'au féminin en politique. En 1919 - nous avons
tous relu le compte rendu des débats - le rapporteur de la commission des lois
disait ici même, pour s'opposer au vote des femmes, que « les femmes n'ont pas
une éducation politique suffisante et que de toute façon la femme votera pour
Untel, non parce qu'il a des idées justes et intéressantes, mais parce que sa
tête lui plaît ».
(Sourires.)
Ces propos font sourire, mais les préjugés demeurent quelque peu. C'est ainsi
que M. Juppé déclarait en 1997 à l'Assemblée nationale qu'« il convient d'abord
de favoriser l'accès des femmes aux conseils municipaux, afin qu'elles y
fassent leur apprentissage », c'est-à-dire leur « éducation politique », comme
on le disait en 1919.
Ce n'est pas, à mon sens, un hasard si l'on voit cette accusation
réapparaître, de manière plus fine certes, lors de ces débats. On craint en
effet que des femmes incompétentes ne soient investies par les partis
politiques et qu'elles ne deviennent ainsi des élus de second rang. Leur
situation serait alors humiliante.
En réalité, les femmes se sentent aujourd'hui humiliées, non par la
proposition qui nous est faite de partager le gouvernement du pays, mais par
leur exclusion, de fait, de l'exercice plein et entier de leurs responsabilités
de citoyennes.
Car l'échec est patent. Les quelques femmes élues, que d'aucuns croient «
spécifiques » et que l'on voudrait à part sont en effet une exception. Une
exception quantitative, d'abord, puisqu'elles siègent parmi 90 % d'hommes ; une
exception mondiale ensuite, puisque la France s'est difficilement hissée au
cinquantième rang mondial en 1997, grâce aux efforts des partis de la gauche
plurielle et, en particulier, du parti socialiste.
Mais il est presque inutile de rappeler les chiffres tant le constat est
unanime : cette situation doit cesser et l'égalité doit être rétablie dans les
faits.
On a voulu donner du temps au temps, faire confiance aux nouvelles
générations. Les militantes sont, il est vrai, de plus en plus nombreuses ;
elles partagent davantage les tâches du foyer avec leur compagnon ; elles
s'investissent de plus en plus en politique. Avec le temps, il est probable que
les choses s'équilibreront. Mais combien de temps ?
Combien de temps faudra-t-il pour que les résistances, résistances
particulièrement fortes dans les partis politiques, disparaissent ? On veut
croire que le machisme n'a plus droit de cité. Mais s'il ne se dit pas, s'il
n'ose plus se dire, il reste pourtant bien présent.
Il nous faut des mesures non seulement incitatives, mais aussi coercitives
pour déjouer ce courant très puissant et très pernicieux.
Nous ne comptons plus les propositions de loi déposées en vain au cours de la
dernière décennie par des élus de gauche, voire d'autres tels que Gilles de
Robien et Nicole Ameline. Des dispositions visant l'introduction de la mixité
ont été votées en 1982 et 1998 sur l'initiative de la gauche. Je rappelle
d'ailleurs qu'en 1982 le Sénat a adopté majoritairement l'obligation de mixité
pour les listes présentées aux élections municipales. Le Sénat l'a refusée en
1998 pour les élections régionales. Le Sénat était-il donc plus progressiste en
1982 qu'aujourd'hui ? La question est posée.
Certes, le problème est constitutionnel. Le verrou qui a été installé voilà
dix-sept ans et auquel on vient de redonner un tour de clé très récemment doit
définitivement sauter. Cela n'est possible que par une modification de la
Constitution.
C'est l'objectif du présent projet de loi, qui, d'une part, réaffirme à
l'article 3, précisément visé par la décision du Conseil constitutionnel,
l'égalité d'accès aux mandats électoraux et fonctions électives et qui, d'autre
part, donne les moyens au législateur de déterminer les conditions dans
lesquelles est organisé cet accès.
L'objectif de la parité faisait partie du programme du candidat Chirac aux
élections présidentielles en avril 1995. Alain Juppé a déclaré devant les
députés en mars 1997 que la seule voie possible était la révision de la
Constitution. Enfin, Lionel Jospin, dans son programme pour moderniser notre
vie publique, a proposé d'avancer volontairement vers la parité.
L'opinion publique, dans sa presque totalité, aspire à une présence en nombre
à peu près égal de femmes et d'hommes au Parlement, dans les conseils
régionaux, généraux et municipaux. La société, quant à elle, vit désormais dans
une mixité réalisée dans presque tous les domaines, même si elle reste à
parfaire. La politique est véritablement, force est d'en convenir, le dernier
univers composé à 90 % de costumes-cravates !
(Sourires.)
Il faut prendre garde à cette évidence et ne pas déconnecter encore un
peu plus le monde politique de la réalité. Il perdrait définitivement sa
crédibilité aux yeux de la population !
J'en reviens à votre proposition, monsieur le rapporteur. Vous souhaitez
amender l'article 4 plutôt que l'article 3. Outre que nous touchons ainsi à la
symbolique, et cela n'est pas indifférent, je remarque que l'article 4 ne
concerne que les partis politiques. Les élections prud'homales, qui, selon le
Conseil constitutionnel, découlent de la souveraineté nationale, seront donc
écartées de la modification constitutionnelle. Cette conséquence n'est pas sans
gravité. J'observe qu'elle a été passée sous silence.
Le second changement, et il est grave, transfère aux partis la compétence
d'organiser cet égal accès aux mandats et fonctions. Il dépouille en quelque
sorte le législateur de son pouvoir de fixer le cadre de l'égal accès.
L'Assemblée nationale avait modifié le projet présenté par le Gouvernement, en
accord avec le Président de la République, par crainte de conférer ce pouvoir
au seul Conseil constitutionnel. Vous auriez dû être sensibles à cet argument,
argument que le Gouvernement a entendu. Pourtant, vous préférez démissionner de
votre responsabilité de législateur en la transférant aux partis politiques.
La modification constitutionnelle que vous proposez n'étant pas contraignante,
elle sera inefficace, et vous le savez. En effet, si les partis sont décidés à
favoriser l'égal accès, ils peuvent déjà le faire.
S'ils ne le souhaitent pas, rien ne sera véritablement changé.
Il est évident que vous ne voulez pas de nouvelles interventions du
législateur en ce domaine, et ce pour deux raisons que vous avez d'ailleurs
reconnues, dont l'une tient à l'absence de pouvoir de blocage du Sénat pour les
lois ordinaires et l'autre à la crainte de l'extension du mode de scrutin
proportionnel à toutes les élections, et cela en dépit des engagements très
fermes pris par le M. Premier ministre.
M. Hilaire Flandre.
On sait ce que cela vaut !
Mme Dinah Derycke.
En réalité, vous ne voulez pas de la révision. Vous la videz de sa substance
parce que vous n'osez pas vous y opposer, ce qui serait beaucoup plus honorable
!
En conclusion, je rappelerai que, depuis deux siècles, la France est la patrie
des droits de l'homme, de tous les hommes, quel que soit leur sexe. Pourtant,
les femmes sont, de fait, exclues de la vie politique. Notre démocratie reste
ainsi inachevée.
Ne croyez-vous pas, comme l'ONU l'a dénoncé dans une convention ratifiée par
la France en 1983, que les discriminations à l'encontre des femmes empêchent
ces dernières de servir l'humanité tout entière ?
Ne croyez-vous pas qu'il est temps, pour la France, d'ouvrir un nouveau
chapitre, en mettant en oeuvre concrètement le principe de l'égalité des droits
des hommes et des femmes, en consacrant officiellement et symboliquement le
partage des responsabilités politiques entre les hommes et les femmes ?
Ainsi, ensemble, dans la diversité individuelle de nos potentialités, de nos
talents et de nos vertus, nous ferions honneur à notre histoire, nous ferions
honneur à la France.
C'est ce à quoi vous nous invitez avec le texte que vous nous proposez, madame
la garde des sceaux, et, pour cette raison, nous le voterons !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, pendant deux décennies, enseignant au collège,
j'ai pu constater combien l'objectif d'égalité des chances pour nos jeunes est
difficile à atteindre, voire utopique.
Les maîtres et professeurs ont beau expérimenter, innover, s'engager avec
détermination pour réduire les handicaps, un constat amer s'impose : les
jeunes, à leur arrivée dans l'institution scolaire, sont déjà à un tel point
marqués, imprégnés par leur vécu, leur expérience, leur apprentissage de la
société que l'école est incapable de répondre à cet objectif de justice sociale
que sous-tend la notion d'égalité des chances.
Certes, des exceptions existent et chacun pourra citer un jeune issu d'une
famille modeste ou d'un quartier difficile qui a fait des études brillantes et
qui occupe dans la société une place éminente. Mais les statistiques nous le
rappellent en permanence : suivant leur lieu de naissance, le milieu familial
où ils passent leur jeunesse, les fréquentations qu'ils ont, les écoles où ils
sont scolarisés..., nos enfants ont plus ou moins de chance de pouvoir suivre
des études à l'université, fréquenter de grandes écoles, réussir leur insertion
dans la société.
Le fait d'être obligé d'admettre que « le hasard des naissances » et la vie
conditionnent à ce point les chances offertes à nos jeunes a, pour moi,
toujours été particulièrement choquant ; et c'est profondément injuste.
Il y a quelques années encore, je n'étais pas conscient que la situation des
filles - des femmes - relève de la même analyse et de la même logique. Et
pourtant, là aussi, il faut bien le reconnaître, quand on naît fille, la
famille, l'école, la société ne vous réservent pas
a priori
le même
parcours qui si on naît garçon.
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Philippe Richert.
C'est tout aussi choquant et injuste.
En septembre 1996, M. Alain Juppé, alors Premier ministre, avait souhaité une
réflexion approfondie sur la représentation des hommes et des femmes dans les
livres scolaires, outils pédagogiques par excellence, mission à laquelle je
m'étais alors attelée avec ma collègue député de l'Assemblée nationale Mme
Simone Rignault.
Nous nous étions rendu compte, après examen minutieux de bon nombre de
manuels, à quel point les livres scolaires étaient encore remplis de
stéréotypes désuets sur la représentation des deux sexes, sans compter que
certaines femmes, ayant pourtant marqué par leur action tel ou tel domaine
éminent, étaient même totalement occultées.
Or, les manuels et ouvrages scolaires livrés à nos enfants pour leur
apprentissage et leur préparation à la citoyenneté ne doivent-ils pas,
justement, être le reflet de l'evolution de la société, favoriser l'égalité des
chances et la diffusion des valeurs de notre société ?
Sans conteste, un rapprochement peut être opéré entre cette mission et le
texte de loi qui nous est soumis aujourd'hui. Nous devons veiller de façon
vigilante dans toutes les sphères de notre société à l'image et la
représentation de la femme qui est véhiculée, que ce soit dans le système
éducatif, dans la publicité ou en politique. C'est un préalable indispensable à
toute volonté de légiférer.
Dès lors, peut-on se satisfaire de la situation des femmes en France à
l'entrée du xxie siècle ? Bien sûr, il est indéniable que des progrès décisifs
ont été accomplis dans les dernières décennies et que les principales
aberrations ont disparu de notre droit positif : les femmes sont devenues
électrices ; la notion de « mari-chef de famille » est sortie du code civil ;
l'interruption volontaire de grossesse à été légalisée ; l'égalité
professionnelle a progressé depuis quelques années, même si un écart de près de
25 % subsiste dans les salaires.
Cependant, dans la sphère dite « publique », les femmes restent encore très
largement sous-représentées, eu égard à leur importance quantitative : elles
n'ont pas encore suffisamment accès aux fonctions électives et aux mandats
politiques.
Comment y remédier ?
Le présent projet de loi constitutionnelle propose une solution qui, même si
elle est critiquée et critiquable sur certains points, a le mérite de tenter de
faire avancer la problématique. Je me félicite de ce débat car il est
indispensable de faire évoluer la situation même si le texte que le Sénat va
adopter risque de différer de celui qui a été voté par l'Assemblée
nationale.
Mais, avant d'entamer ces questions de fond, revenons un peu en arrière.
Depuis le xvie siècle, la citoyenneté ne se définit plus comme l'aptitude à la
magistrature. En mettant fin à cette conception antique élaborée par Aristote,
le droit républicain moderne a divisé la citoyenneté en deux étages, nettement
distincts, dont le premier comprend les droits civils et le droit de vote
tandis que le second - l'accès direct à la décision politique - est désormais
réservé dans nos démocraties aux élus et représentants du peuple.
Or force est de constater qu'aujourd'hui, malgré de notables progrès, trop peu
de femmes ont accès à ce deuxième étage de la citoyenneté.
Ainsi, en dépit de la percée observée en juin 1997 lors des élections
législatives, les femmes ne représentent que 10 % des députés, et la France
demeure en net retrait par rapport à ses partenaires de l'Union européenne.
Elle se place dorénavant à l'avant-dernier rang de la représentation
parlementaire féminine, juste avant la Grèce, qui ne compte que 6 % de députés
femmes.
Pourtant, le troisième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, inséré
dans notre actuelle Constitution, déclare : « La loi garantit à la femme, dans
tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. » Le débat que nous
avons aujourd'hui trouve donc son origine non dans un déficit législatif, mais
dans le constat d'un écart manifeste entre le droit et le fait.
Certains observateurs estiment que le verrou principal qui a grippé, voire
bloqué, la progression de l'accès des femmes à la candidature a été posé par la
décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982, qui a déclaré non
conforme un amendement au projet de loi sur le mode d'élection des conseillers
municipaux visant à limiter à 75 % la proportion des candidats d'un même sexe
pouvant figurer sur une liste.
Cette jurisprudence a d'ailleurs été très récemment confirmée à propos d'un
amendement, déposé et adopté lors de l'examen du projet de loi relatif au mode
d'élection des conseillers régionaux et au fonctionnement desdits conseils,
visant à imposer la parité entre candidats de sexes opposés sur chaque
liste.
Le corollaire indispensable à l'introduction de la notion de quotas est une
révision préalable de la Constitution.
A ce sujet, je souhaite rappeler au Sénat que le principal motif invoqué alors
par le Conseil constitutionnel pour s'opposer à ce texte fut le non-respect du
principe d'égalité.
L'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen établit
avec force le principe d'égalité entre les citoyens et interdit clairement
toute division par catégorie des électeurs. le principe d'égalité s'oppose donc
à la parité lorsque celle-ci est conçue comme un principe arithmétique. Ainsi,
inscrire en droit la parité suppose non seulement une révision de la
Constitution, mais une remise en cause radicale de son préambule.
L'obstacle majeur à l'institution de la parité semble être le principe
d'indivisibilité du corps électoral. Comme pour les électeurs, on ne peut pas
diviser les personnes éligibles en catégories sans porter gravement atteinte au
dogme de l'unité et de l'homogénéité du corps des citoyens. C'est un fondement
de notre droit constitutionnel.
Ainsi, l'instauration de quotas ou de la parité présente un risque important :
celui de changer la conception individualiste de notre droit, dans la mesure où
c'est l'appartenance au groupe qui définirait les droits et non plus la qualité
de l'individu. Attention à la dérive communautariste, que Mme la ministre a
d'ailleurs évoquée dans son exposé liminaire, même si, pour elle, le risque
n'existant pas, cette crainte est sans fondement.
Oui, la citoyenneté est un concept universel et égalitaire, et c'est
précisément cela qui a assuré sa pérennité dans l'histoire des démocraties.
Bref, la parité n'est pas l'égalité. D'ailleurs, celle-ci est déjà inscrite
dans la Constitution sous la forme de la non-discrimination.
L'intention implicite du Gouvernement semble bien être l'instauration de la
parité par quotas pour toutes les élections en faisant croire que sa promotion
sous la contrainte permettra l'égalité.
Il faut que les choses soient clairement dites. Si, effectivement, la parité
ne sera pas inscrite dans le texte de la Constitution, il reste qu'elle sera un
objectif général pour toutes les élections, et le législateur aura la charge
d'en définir et en assurer la mise en oeuvre.
Comment le fera-t-il ? Avec des quotas généralisés ? C'est possible. Pour
vous, madame la ministre, la répartition des hommes et des femmes dans toutes
les instances politiques doit être égale, la parité étant, je vous cite, une «
égalité concrète de situation ».
S'agissant des règles électorales, si la parité s'inscrit facilement dans le
cadre du scrutin de liste, comment le législateur pourra-t-il l'assurer aux
scrutins uninominaux ? Quant à la mise en oeuvre de l'égal accès aux fonctions
électives, comment sera-t-elle réalisée en généralisant les scrutins
proportionnels ?
Pourquoi modifier l'article 3 de la Constitution ? Cet article assure
l'égalité des droits civiques à tous les nationaux français majeurs des deux
sexes. Est-il vraiment nécessaire de modifier la Constitution, et plus
particulièrement son article 3, pour établir une égale éligibilité alors que
celle-ci découle déjà du texte fondamental et qu'aucune disposition du code
électoral ne limite en quoi que ce soit l'éligibilité des femmes ou des hommes
?
L'instauration de la parité, c'est-à-dire la mise en place d'une
discrimination positive, représente un pas qui n'a été franchi nulle part
ailleurs, notamment au niveau de la Constitution.
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, les Etats-Unis n'ont rien fait de
tel. Pour les pays scandinaves, souvent cités en exemple, il en est de même :
les Suédois et les Norvégiens ont des textes qui s'appliquent uniquement dans
la sphère administrative et, s'il est exact que le pourcentage de femmes au
sein de leurs assemblées politiques est l'un des plus élevés, soit près de 40
%, vous l'avez redit, madame la ministre, les choses n'ont évolué que sous
l'effet d'une politique volontariste des partis, sans qu'aucune mesure
législative contraignante ait été prise. Ceux-ci ont en effet imposé, en leur
sein, des quotas de 40 % ; voilà un bel exemple de pragmatisme.
En Europe, seule l'Italie avait mis en place une législation au début des
années quatre-vingt, mais une décision de la Cour constitutionnelle de 1995 a
invalidé cette disposition prévoyant une inscription privilégiée des femmes sur
les listes de candidatures aux élections municipales. Quant à la solution
belge, elle est très en deçà de celle qui est actuellement envisagée en
France.
Au total, en droit comparé, la formule de la parité est écartée et seules les
mesures incitatives à l'intérieur des partis politiques portent leurs fruits,
même si la maturation des esprits est parfois très longue.
Cela rejoint d'ailleurs l'un des enseignements des travaux de la mission
commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique,
constituée au Sénat, en octobre 1996, sur l'initiative de son président, M.
René Monory, mission présidée par Mme Nelly Olin et dont j'ai eu l'honneur de
rapporter les travaux.
Cet enseignement pourrait être résumé en ces termes : la sous-représentation
des femmes dans les instances et les lieux de décision publics n'est pas due au
premier chef à des barrières juridiques. En effet, elle tient avant tout à des
résistances sociologiques et psychologiques, à la pratique politique, notamment
à celle des partis. Ainsi, une action volontariste des partis politiques
permettrait de faire évoluer considérablement la situation, pour peu qu'ils le
souhaitent vraiment ou qu'on les y oblige.
M. Claude Estier.
Voilà !
M. Philippe Richert.
D'ailleurs, en dehors de tout changement majeur dans la législation, les
élections législatives de 1977 n'ont-elles pas révélé une véritable percée des
femmes dont l'ampleur se résume à un seul taux : plus 80 % par rapport à la
précédente législature ?
Mme Dinah Derycke.
A gauche !
M. Philippe Richert.
En mars 1998, le nombre de femmes élues aux élections régionales a été
multiplié par deux, la progression a été également sensible aux dernières
élections cantonales, tout cela quels que soient les partis politiques
concernés.
Ainsi, au-delà des chiffres et des statistiques, il paraît évident que le
changement des mentalités et des pratiques des partis est la clé du succès.
Mais il ne se décrète pas, pas plus qu'il ne se déclenche à la simple lecture
d'un principe solennellement inscrit dans notre loi fondamentale.
C'est pour cela qu'il semble plus logique de modifier l'article 4 de la
Constitution consacré aux partis et aux groupements politiques, afin d'y
introduire un alinéa précisant que ces derniers favorisent l'égal accès des
femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.
Il s'agit de susciter une prise de conscience que l'équilibre entre les hommes
et les femmes dans la vie publique doit être un objectif prioritaire, tant dans
les instances élues qu'au sein des structures des partis politiques
eux-mêmes.
De plus, sans que cela transparaisse clairement, ne peut-on voir, sous couvert
du texte qui nous est proposé par le Gouvernement et qui a été revu par
l'Assemblée nationale, une volonté affichée de voir la parité présente dans
toutes les élections, donc de nous imposer d'une façon ou d'une autre une
modification du mode d'élection des membres du Parlement, par exemple ?
M. Claude Estier.
Il n'y a pas besoin de modifier la Constitution pour modifier un mode de
scrutin !
M. Philippe Richert.
Si nous poussions le raisonnement bien plus loin, l'interprétation de ce texte
constitutionnel, qui incite à la parité pour toutes les élections, ne nous
obligerait-il pas à choisir systématiquement le scrutin de liste,
constitutionnellement correct puisque la parité pourrait y être appliquée
stricto sensu
?
Le groupe de l'Union centriste, au nom duquel je m'exprime, soutiendra la
démarche de la commission des lois, y compris en ce qui concerne la
modification de la Constitution, mais je souhaiterais attirer votre attention,
en dernier lieu et en mon nom personnel, mes chers collègues, sur certaines
limites à l'inscription constitutionnelle de ce principe.
Tout d'abord, l'adoption par le Sénat de ce projet de loi, et donc son
approbation de cette modification constitutionnelle, ne provoquera pas
immédiatement et automatiquement une arrivée massive des femmes sur le devant
de la scène politique, parce que permettre « l'égal accès aux mandats
électoraux et aux fonctions électives » ne veut pas dire que, à compter de
l'entrée en vigueur du texte, les femmes seront élues et que leur présence sera
« numériquement significative ». Nous devons accompagner la mise en oeuvre de
ce projet de loi, et je m'adresse plus particulièrement ici à mes collègues de
sexe masculin.
J'ai fait pour ma part ma révolution culturelle
(Sourires),
et je crois
que nous devons nous unir pour poursuivre dans cette voie, par une mutation de
nos mentalités et de nos comportements. A chacun de nous de l'accomplir !
Veillons ensuite à ce que ce texte ne devienne pas un leurre, mais qu'il soit
bel et bien suivi d'effet. Je reste persuadé que c'est par étapes progressives
- que nous parcourerons, je l'espère, à grandes enjambées - que nous aboutirons
à un résultat satisfaisant et positif.
Enfin, l'incitation à la mise en place d'une politique volontariste de la part
des partis sera-t-elle suffisante ? Tout le monde s'accorde à penser que les
partis politiques se doivent de montrer l'exemple, mais pour qu'une société
soit équilibrée, ne convient-il pas que l'évolution touche le domaine privé,
qui est celui de l'entreprise, et l'administration ?
La mission d'information sénatoriale relevait dans ses conclusions que « le
taux significatif de femmes dans les assemblées politiques en Suède n'empêchait
pas les femmes de ce pays de n'occuper que 10 % des postes d'encadrement dans
les entreprises privées et 30 % dans l'administration, ces taux s'établissant,
en France, respectivement à 22 % et 40 % ». On ne peut décidément pas être bon
partout ! Nous accusons donc, en France, un retard dans nos assemblées
parlementaires, mais nous sommes plus avancés dans d'autres sphères d'activité,
et il faut s'en féliciter.
La modification de la Constitution que nous adopterons, je l'espère,
aujourd'hui donnera au législateur les moyens d'obliger les partis politiques à
favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.
Ce sera une nouvelle étape vers plus de justice et vers un renforcement du rôle
et de la place des femmes. Ce sera aussi pour les assemblées, j'en suis
persuadé, un enrichissement, car la présence de femmes élues plus nombreuses
influencera la qualité et la teneur des débats, grâce aux sensibilités et aux
approches souvent complémentaires des deux sexes.
Mais la décision de modifier la Constitution pour y inscrire solennellement
l'égal accès aux responsabilités politiques des femmes et des hommes constitue
aussi, bien entendu, un signe fort en direction de la société, pour que, dans
tous les domaines, les femmes voient leur place revalorisée, comme leurs
mérites le justifient amplement.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Henri Weber
applaudit également.)
M. le président.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize
heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures
cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)