Séance du 28 janvier 1999






PRISE EN CHARGE DES PERSONNES
ATTEINTES DE LA MALADIE D'ALZHEIMER

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 155, 1998-1999) de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi (n° 210 1997-1998) de MM. Alain Vasselle, Michel Alloncle, Louis Althapé, Jean Bernard, Roger Besse, Paul Blanc, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Gérard César, Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Jean-Paul Delevoye, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Daniel Eckenspieller, Yann Gaillard, Patrice Gélard, Alain Gérard, Charles Ginésy, Daniel Goulet, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, Alain Joyandet, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Edmond Lauret, Dominique Leclerc, Jacques Legendre, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Philippe Marini, Pierre Martin, Jacques de Menou, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Roger Rigaudière, Jean-Jacques Robert, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck et René Trégouët, relative à l'amélioration de la prise en charge des personnes atteintes de démence sénile et, en particulier, de la maladie d'Alzheimer.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, première cause de démence et de perte d'autonomie sévère du sujet âgé, la maladie d'Alzheimer est une démence dégénérative et irréversible dont l'origine est encore inconnue.
Le diagnostic en est particulièrement difficile - seule l'autopsie mettant en évidence les lésions cérébrales spécifiques permet de diagnostiquer avec certitude la maladie - et il n'existe actuellement aucun médicament permettant de la guérir.
On estime généralement que la maladie d'Alzheimer touche environ 350 000 personnes dans notre pays, tandis que 60 000 à 70 000 nouveaux cas se manifestent chaque année. Elle concernerait deux millions de personnes aux Etats-Unis, un million au Japon et trois millions en Europe.
Affection frappant essentiellement les personnes âgées, la maladie d'Alzheimer voit sa fréquence augmenter avec l'âge : elle atteint ainsi 3 % des personnes âgées de 70 à 75 ans, 7 % des 75-80 ans, 17 % des 80-85 ans et 29 % des 85 ans et plus. Elle frappe parfois, en outre, des personnes plus jeunes.
Le vieillissement prévisible de la population des pays industrialisés s'accompagnera naturellement, dans les prochaines années, d'une augmentation des pathologies liées à l'âge, au premier rang desquelles figure la maladie d'Alzheimer.
Problème majeur de santé publique, la maladie d'Alzheimer constitue également un véritable fléau social.
Cette affection place en effet les personnes qu'elle frappe en situation de grande dépendance, impose une prise en charge lourde et rend difficile, sinon impossible, le maintien à domicile à moyen terme ; 70 % des personnes âgées entrent ainsi en institution pour des troubles démentiels mettant en cause gravement leur sécurité dans leur propre logement.
La prise en charge, en institution ou à domicile, d'une personne âgée démente soulève des problèmes tout à fait particuliers.
La détérioration mentale s'accompagne en effet de troubles du comportement - fugue, violence à l'égard des proches, dangerosité, etc. - qui peuvent prendre des proportions importantes, surtout lorsque les capacités physiques sont conservées.
Au sein des démences, la maladie d'Alzheimer présente, en outre, des caractéristiques particulières de désorientation, d'errance et d'agressivité. Elle nécessite, à un stade avancé, une surveillance constante du malade.
Dramatique pour le malade, cette maladie affecte également tout l'environnement familial, le plongeant dans la détresse morale et une solitude extrême.
La prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés se traduit par un coût financier très important, largement supérieur à celui qu'engendrent les autres formes de dépendance que nous connaissons.
En établissement, le coût de cette prise en charge est généralement compris entre 10 000 et 20 000 francs mensuels. A domicile, la nécessité d'assurer une surveillance constante de la personne malade engendre également des coûts très élevés.
Ce coût financier repose bien souvent sur les seules familles. Un certain nombre de dispositifs légaux permettent certes d'alléger cette charge ; ils n'apparaissent cependant pas suffisants pour faire face aux dépenses qu'entraîne la prise en charge des personnes atteintes de ces pathologies.
Le maintien à domicile des malades trouve vite ses limites : la charge, croissante et permanente, qui pèse sur les familles conduit souvent à l'épuisement.
En établissement, la prise en charge n'apparaît pas toujours adaptée : la cohabitation avec les autres personnes âgées se révèle impossible, l'architecture des structures intègre rarement les contraintes propres à l'hébergement de ces malades.
Je partage la conviction que vous avez exprimée, monsieur le secrétaire d'Etat, en réponse à une question orale que j'avais posée devant notre Haute Assemblée : « Notre pays ne fait pas face à cette affection, qui engendre bien des malheurs dans les familles et suscite un désarroi très profond. » J'ai donc été amené à déposer la proposition de loi n° 210 relative à l'amélioration de la prise en charge des personnes atteintes de démence sénile et, en particulier, de la maladie d'Alzheimer.
Au moment où commence l'année 1999, année internationale des personnes âgées, il m'a semblé que les pouvoirs publics ne pouvaient se désintéresser des problèmes soulevés par la prise en charge de ces personnes.
Cette proposition de loi a pour objet d'élaborer un dispositif d'ensemble cohérent, bien que modeste, afin d'apporter une première réponse aux besoins croissants qu'engendre le nombre, toujours plus important, des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.
Les travaux que j'ai effectués sur ce sujet en tant que rapporteur de cette proposition de loi m'ont conduit à formuler un certain nombre de propositions qui dépassent le cadre de ce texte et qui pourraient constituer les axes d'une véritable politique publique.
J'évoquerai tout d'abord les propositions de la commission des affaires sociales pour une politique publique de prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et des troubles apparentés avant d'analyser le contenu du texte qui a été adopté par la commission des affaires sociales.
Pour ces recommandations, je me suis inspiré notamment des suggestions formulées lors des auditions et du remarquable travail accompli sur le sujet par Mme Janine Cayet dans son récent rapport au Conseil économique et social, relatif à « la prise en charge des personnes vieillissantes handicapées mentales ou souffrant de troubles mentaux ».
La première proposition porte sur la reconnaissance de l'enjeu épidémiologique et social de ces maladies.
Il apparaît tout d'abord nécessaire de faire figurer la maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés dans la liste des trente maladies « comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse » répertoriées par l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale.
A ce jour, la maladie d'Alzheimer ne figure pas dans cette liste alors qu'une affection comme la maladie de Parkinson en fait partie. La maladie d'Alzheimer est cependant implicitement comprise dans les cas de « psychose, trouble grave de la personnalité, arriération mentale », ce qui permet au patient de bénéficier de l'exonération du ticket modérateur et de la prise en charge à 100 % des dépenses d'hospitalisation liées à sa maladie, sous réserve du paiement du forfait journalier hospitalier.
Toutefois, dans un souci de reconnaissance officielle de cette affection et afin de permettre un meilleur suivi du nombre des personnes affectées, la commission des affaires sociales formule le souhait - car c'est une disposition d'ordre non pas législatif, mais réglementaire - que cette maladie soit inscrite, par voie réglementaire, dans l'article D. 322-1 que je viens de citer.
Outre que la reconnaissance de la maladie d'Alzheimer comme trente et unième maladie présenterait un intérêt épidémiologique évident, elle constituerait un signal fort pour la prise de conscience des conséquences douloureuses de cette maladie. Une telle mesure serait d'ailleurs sans coût pour la collectivité.
Il me semble en outre qu'il est indispensable que le Gouvernement établisse, dans les deux ans, un rapport au Parlement relatif aux modalités de la prise en charge.
Il convient aussi, et c'est la deuxième proposition, d'améliorer la formation des intervenants et l'information de l'opinion publique.
Afin de favoriser un dépistage précoce de la maladie d'Alzheimer et des troubles apparentés, il apparaît nécessaire de mieux sensibiliser les différents intervenants auprès des malades : les médecins, les infirmières et les aides à domicile.
Le médecin généraliste - en l'occurrence le médecin de famille - paraît le mieux placé pour déceler les premiers signes de la maladie. Or, la formation initiale et continue des médecins sur ces affections est sans doute très nettement insuffisante.
La maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés doivent donc constituer un thème de la formation initiale et continue des médecins.
Un effort similaire de formation est nécessaire pour les infirmières et les intervenants qui assurent le maintien à domicile du patient - aides à domicile et auxiliaires de vie.
Enfin, il serait sans doute utile de mieux sensibiliser l'opinion publique aux spécificités de ces maladies et à l'enjeu qu'elles représentent pour la collectivité.
La troisième proposition tend à favoriser le dépistage précoce de la maladie.
Afin de lutter le plus efficacement contre la maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés, il importe de repérer et de reconnaître suffisamment tôt ces affections et de les prendre en charge quand leur stabilisation est encore susceptible d'intervenir.
Il convient par conséquent de développer dans les hôpitaux des unités de consultation à visée diagnostique permettant aux médecins généralistes, dès les premiers signes laissant suspecter l'apparition de la maladie, d'envoyer leurs malades pour une « consultation de la mémoire » ou une consultation spécialisée.
Je profite de l'occasion pour dire, rejoignant ainsi des préoccupations dont m'a fait part M. Caldaguès, qu'il est important, au moment du diagnostic, que le médecin prenne les mêmes précautions que celles qu'il est conseillé de prendre pour annoncer à un patient qu'il est atteint du sida.
Annoncer à un malade qu'il est atteint de la maladie d'Alzheimer, vous imaginez le choc psychologique que cela peut provoquer. Il importe donc bien évidemment que les praticiens prennent toutes les précautions nécessaires au moment où ils informent le patient et sa famille.
La quatrième proposition vise à apporter un soutien psychologique aux familles.
La plupart des familles souhaitent que le malade reste à leur domicile. Mais cela suppose un encadrement permanent du malade, qui conduit souvent à l'épuisement physique et psychique des familles.
La garde d'un malade atteint de ces affections est une expérience très douloureuse, qui nécessite à l'évidence accompagnement psychologique et soutien.
Le développement de programmes d'aide aux aidants, au premier rang desquels figurent naturellement les familles, est par conséquent indispensable.
Je participais hier soir, de dix-neuf heures à vingt heures, à une émission organisée par RTL, au cours de laquelle, avec Mme D'Aramon, présidente de l'association France-Alzheimer, nous étions en contact avec des auditeurs.
Nous avons alors entendu le témoignage de trois personnes dont un proche était atteint de la maladie d'Alzheimer. Toutes ont confirmé leur désarroi et l'épreuve physique et psychique à laquelle elles étaient confrontées, que le malade soit à domicile ou en établissement.
C'est un déchirement profond pour une fille de devoir se séparer de son père parce que son logement ou ses conditions de vie ne lui permettent pas de le garder à domicile. Or le placement en établissement n'est pas toujours la réponse que les familles attendent.
Ces témoignages ont montré combien il est important d'apporter les réponses appropriées à la fois aux familles et aux patients.
La cinquième proposition consiste d'ailleurs à favoriser le maintien à domicile des personnes malades par le développement des centres d'accueil de jour et d'accueil temporaire.
La majorité des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés continuent à vivre à leur domicile grâce à l'aide importante de leur entourage.
Il est important de proposer à la famille et à l'entourage de la personne malade une gamme diversifiée de services permettant d'alléger leur charge et favorisant, en fin de compte, le maintien à domicile. Le développement de centres d'accueil de jour et d'accueil temporaire pour les malades apparaît, à cet égard, un moyen efficace de prolonger le maintien à domicile.
Cela permet à la famille de « souffler » et, en fin de compte, de garder plus longtemps, tant qu'elle le peut, le malade chez elle.
La sixième proposition consiste à adapter les structures d'hébergement aux spécificités de la maladie d'Alzheimer et des troubles apparentés.
Lorsque le maintien à domicile devient impossible, le patient, malheureusement, doit trouver en institution une prise en charge adéquate. Cela nécessite la création de structures spécialisées dans la prise en charge des personnes atteintes de ces maladies.
Compte tenu du caractère souvent très perturbateur des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés, il est en effet difficile de faire cohabiter ces malades avec d'autres personnes âgées au sein d'une même structure.
Un malade... passe, mais plusieurs, cela perturbe l'ensemble du service et les autres personnes accueillies dans l'établissement.
Les spécificités du comportement des personnes malades, notamment leur tendance à déambuler, imposent également une adaptation architecturale des établissements qui les accueillent.
Mes chers collègues, je n'entends naturellement pas définir quelle forme doit revêtir la structure d'accueil idéale de ces personnes. Les témoignages que j'ai pu recueillir semblent toutefois indiquer que les petites structures adaptées de proximité, du type « cantou », pourraient constituer la forme d'établissement la plus adaptée à la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés.
Ainsi, Mme Dieulangard nous a indiqué en commission des affaires sociales que les petites structures d'accueil qui existent dans son département de Loire-Atlantique étaient très appréciées par les familles, répondaient à leurs attentes et aux besoins des malades.
La septième proposition vise à améliorer la prise en charge financière.
La prestation spécifique dépendance, la PSD, instituée par la loi du 24 janvier 1997 a naturellement vocation à bénéficier aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés. Il arrive cependant que certains malades atteints de ces pathologies, mais physiquement en forme, soient classées en GIR 4 et se voient par conséquent refuser le bénéfice de la PSD.
Il est donc nécessaire, d'une part, de déterminer si la grille AGGIR est effectivement adaptée à l'évaluation de ces situations et, d'autre part, de mieux sensibiliser les équipes médicosociales aux particularités de la maladie d'Alzheimer et des troubles apparentés.
Il est en outre indispensable d'assurer une meilleure prise en charge de ces pathologies. La proposition de loi comporte par conséquent un certain nombre de mesures financières et fiscales permettant de mieux répondre aux besoins des personnes malades et de leurs familles.
Naturellement, seules certaines des propositions qui viennent d'être formulées revêtent un caractère explicitement législatif et sont reprises dans la présente proposition de loi.
Soucieuse de couvrir l'ensemble des maladies neuro-dégénératives, la commission des affaires sociales a choisi d'élargir le champ d'application de la proposition de loi aux troubles apparentés à la maladie d'Alzheimer. Je pense notamment aux dégénérescences fronto-temporales et à la démence à corps de Lewy.
La présente proposition de loi ne vise nullement à morceler la politique en faveur des personnes âgées ou à introduire un traitement privilégié de certaines pathologies et de certains malades, traitement privilégié que certains ont cru pouvoir dénoncer, mais simplement à mieux répondre aux difficultés particulières que soulèvent la maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés.
La proposition de loi s'articule autour de trois axes qui constituent les trois titres du texte que je vous propose d'adopter : évaluer l'enjeu de santé publique et de politique sociale que représentent la maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés - c'est le titre premier ; améliorer la formation des personnes intervenant auprès des malades - c'est le titre II ; enfin, adapter certaines dispositions financières et fiscales à la situation particulière des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer - c'est le titre III.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit que le Gouvernement présentera au Parlement, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, un rapport relatif aux modalités de prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés.
L'article 2 prévoit que la maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés constitueront un des thèmes nationaux prioritaires de la formation médicale continue.
L'article 3 précise que la formation des salariés rémunérés pour assurer un service d'aide à domicile auprès d'une personne allocataire de la prestation spécifique dépendance comprend, si la nature des tâches effectuées par le salarié le requiert, une partie consacrée à la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés.
L'article 4 double, pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés, le plafond de prise en charge des dépenses autres que de personnel par la prestation spécifique dépendance afin de mieux répondre aux besoins spécifiques de ces personnes : adaptation du logement, suppression du gaz, incontinence, etc.
Il s'agit là du plafond des 10 % que nous avions prévu dans la PSD. Nous proposons de doubler ce plafond pour le cas présent, mais - je le dis en tant que rapporteur de ce texte également - les retours que nous avons eus de l'application de la PSD montrent qu'il serait bon d'envisager ce doublement aussi pour les personnes qui sont en GIR 1 ou en GIR 2. Cela me paraît justifié, et cela pourra sans doute se faire à l'occasion de l'examen d'une amélioration de la loi sur le sujet.
L'article 5 prévoit de faire bénéficier les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés, quel que soit leur âge, de la réduction d'impôt égale à 25 % des dépenses d'hébergement dans un établissement de long séjour ou une section de cure médicale, réduction qui est limitée aujourd'hui aux personnes de plus de soixante-dix ans. Certains malades peuvent en effet avoir moins de cinquante ans.
L'article 6 rétablit, pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés, à 90 000 francs le niveau du plafond des dépenses ouvrant droit à une réduction d'impôt de 50 % pour l'emploi d'une personne à domicile. Je vous rappelle, mes chers collègues, que cette disposition s'applique aux invalides, aux familles ayant chez elles un enfant titulaire de l'allocation d'éducation spéciale. Il me paraît donc tout à fait naturel que, par analogie, cette disposition s'applique aux familles qui hébergent un malade atteint de la maladie d'Alzheimer.
Telles sont les conclusions de la commission des affaires sociales.
Je note que, sur ce sujet, un très large consensus a réuni les différentes sensibilités politiques qui composent la commission des affaires sociales. La discussion générale va sans doute le confirmer. Il s'agit, en effet, d'un problème de santé publique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère que vous serez attentif à notre préoccupation, et je compte beaucoup sur vous pour que cette proposition de loi soit examinée par l'Assemblée nationale. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai eu l'occasion d'exprimer, notamment devant vous - M. Vasselle a eu l'amabilité de le rappeler - ma très profonde préoccupation face à ce défi majeur de santé publique que constituent la maladie d'Alzheimer et les pathologies apparentées et, surtout, face au désarroi profond des familles et des malades eux-mêmes, lorsqu'ils sont encore en mesure de se rendre compte de leur état.
Cette proposition de loi nous offre l'opportunité d'approfondir le débat et de rappeler combien sont particulièrement lourdes et difficiles à assumer au quotidien les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes atteintes et leurs familles. Il faut avoir connu ces situations pour le mesurer véritablement. C'est en les gardant présentes à l'esprit que nous devrons débattre de cette proposition de loi.
Au-delà de la dimension émotionnelle, il nous revient de prendre l'exacte mesure de la réalité dont nous allons traiter, des progrès thérapeutiques qui peuvent être raisonnablement escomptés et de l'ampleur du soutien que la collectivité doit apporter à ceux de nos concitoyens qui sont touchés par cette maladie.
Examinons, d'abord, l'ampleur du phénomène au vu des chiffres dont nous disposons actuellement.
Je ne reviendrai pas sur le détail des données statistiques qui sont fort bien exposées dans le rapport de M. Vasselle. Je rappellerai seulement ce chiffre : 500 000 personnes en France, tous degrés de gravité confondus, souffrent de troubles de la mémoire graves, associés à d'autres manifestations de détérioration intellectuelle. Cette évaluation frappe les esprits, mais je crois qu'il « faut raison garder », comme aime à le rappeler le professeur Françoise Forette, sans bien entendu sous-estimer pour autant l'importance du problème.
En effet, rappelons-le, la maladie d'Alzheimer, qui a inspiré votre proposition de loi, touche fort heureusement une proportion relativement peu importante de personnes âgées, même si les risques s'accroissent avec l'âge : elle frappe de 3 % à 5 % des personnes de plus de soixante-cinq et moins de 20 % des personnes de plus de quatre-vingts ans. En d'autres termes, la maladie d'Alzheimer n'est pas, comme j'ai pu entendre récemment un intervenant le soutenir aux états généraux de la santé, à Albi, la maladie inéluctable du vieillissement. Il faut insister : elle ne constitue pas la façon la plus commune de vieillir.
La majorité des chercheurs soutiennent aujourd'hui que cette maladie ressort non pas d'un vieillissement prématuré, mais bien d'un processus pathologique autonome atteignant certaines personnes et pas d'autres. L'âge ne constitue qu'un facteur aggravant, ainsi d'ailleurs que l'hérédité. Ces données expliquent le caractère très hétérogène de la maladie et la difficulté du diagnostic, comme vous l'avez souligné, monsieur Vasselle.
Ces difficultés et la crainte de nos concitoyens devant l'ampleur de ce que vous avez qualifié de fléau, même remises en une juste perspective, doivent guider notre réflexion et notre action, j'en conviens.
Mais nous devons tout d'abord évoquer les raisons d'espérer que nous donnent les progrès de la médecine, car, en ce domaine, les espoirs ne me semblent pas chimériques et peuvent, j'en suis persuadé, changer bien des données du problème, je l'espère à court terme, en tout cas à moyen terme.
C'est vrai : aujourd'hui, la maladie d'Alzheimer est inaccessible à toute thérapeutique.
Certes, la première molécule mise sur le marché en France en 1994, la tacrine, peut, chez certains patients, apporter une amélioration des fonctions intellectuelles et des activités de la vie quotidienne, et prolonger - c'est déjà beaucoup - le maintien à domicile lorsqu'il est possible.
Ce traitement, qui est seulement symptomatique, nous le savons, ne constitue qu'un premier pas. Toutefois, d'autres suivront, un peu d'ailleurs à l'instar de ce qui s'est passé non seulement pour le sida, mais pour toutes les pathologies. Les progrès accélérés réalisés ces dernières années dans la connaissance des mécanismes de nombreuses pathologies sont tels qu'ils nous permettent d'espérer, à échéance de dix à quinze ans, soit un traitement, soit, mieux encore, des solutions préventives.
Vigilance et espoir doivent donc également conduire notre action.
En effet, dans l'attente d'avancées décisives de la recherche et des traitements, il nous faut répondre au mieux aux besoins spécifiques des personnes atteintes de maladies neurodégénératrices de type Alzheimer et de leur famille.
C'est dans ce contexte que vous avez souhaité déposer cette proposition de loi, qui peut être considérée, ainsi que vous l'avez exposé, monsieur le rapporteur, comme une première démarche que vous avez voulu modeste, mais cohérente.
Nous aurons à débattre du détail de ces propositions lors de l'examen des articles de ce texte.
Mais je voudrais vous faire part, avec le même souci de cohérence que celui qui vous a animé, d'interrogations de principe qui ne sont pas des plus faciles à trancher.
Je veux parler de la justification qu'il y a à instaurer des mesures spécifiques pour telle ou telle pathologie. J'observe que votre commission s'est d'ailleurs également posée la question puisqu'elle a étendu les dispositions prévues initialement pour les seules personnes atteintes par la maladie d'Alzheimer aux personnes atteintes de troubles apparentés.
Pour ma part, il me paraît préférable de s'orienter vers un plan d'action globale en faveur des personnes souffrant de détérioration intellectuelle, sans distinguer telle ou telle pathologie, mais en prenant en compte, malgré tout, la spécificité que présentent ces maladies, pour les personnes atteintes et leur famille, au regard de la dépendance.
Ce plan d'action, je voudrais, puisque vous m'en donnez l'occasion, vous en présenter aujourd'hui les grandes lignes, qui d'ailleurs pourront être précisées en fonction des conclusions des quatre groupes de travail constitués sur l'initiative de Martine Aubry et de moi-même à l'occasion de l'année internationale des personnes âgées.
Je rappelle à ce propos que ces groupes devront faire rapport de leurs travaux lors d'une conférence de clôture qui se tiendra à Paris, en octobre prochain, sur quatre thèmes prioritaires : la place des retraités dans une France solidaire, la santé des personnes âgées, les personnes âgées et leurs familles, l'habitat des personnes âgées.
Ce sont ainsi plusieurs dizaines de spécialistes qui travaillent depuis l'automne dernier à l'élaboration de réflexions prospectives. Je ne doute pas que les résultats de ces travaux éclaireront nos stratégies et notre action en la matière.
Pour être pleinement efficace, ce plan d'action que j'évoquais à l'instant doit permettre l'amélioration de la qualité et de la quantité des prises en charge, d'une part, des aides financières afférentes, d'autre part, mais il doit aussi favoriser la formation et, bien évidemment, la recherche. Je vous rapelle que Claude Allègre et moi-même avons déterminé que la recherche médicale était le premier budget dans notre pays.
L'amélioration des prises en charge, c'est d'abord mieux coordonner, mais aussi renforcer les aides et les soins pour faciliter le maintien à domicile, sans oublier l'aide aux aidants. Ce point est capital, car je rappelle que 80 % des patients vivent à domicile, dans leur famille, et sont soutenus par leurs proches. C'est la période la plus favorable pour l'instauration des traitements symptomatiques - je souhaiterais dire préventifs, mais j'aurais tort ; il n'empêche que je souhaite que cet adjectif puisse être bientôt employé.
Dans cette perspective, je souhaite donc que les services d'aide ménagère, de garde à domicile ou d'auxiliaire de vie s'ouvrent à tous les adultes dans le cadre d'un service polyvalent d'aide et de soins à domicile. Nous travaillons en ce sens en concertation avec plusieurs grandes associations représentant les personnes handicapées et les personnes malades avec l'objectif d'aboutir avant l'été.
Je compte également sur les résultats de la mission confiée par le Premier ministre à Mme GuinchardKunstler, députée du Doubs, pour nous aider à affiner nos réponses. Cette mission est déjà installée au ministère de la santé. Elle devra faire des propositions concrètes avant le 30 juin de cette année tant sur l'évolution des formations et des métiers qui contribuent à la prise en charge des personnes perdant leur autonomie que sur les améliorations qui pourraient être apportées à la conduite des politiques gérontologiques locales.
En toute hypothèse, nous devrons augmenter le nombre de places de services de soins infirmiers à domicile, mieux les répartir sur l'ensemble de notre territoire et étendre leur intervention sans condition d'âge.
Améliorer les prises en charge, c'est aussi développer la pertinence des réponses offertes par les établissements d'accueil, dont, je le rappelle, la tarification va faire l'objet d'une réforme, en application de la loi du 24 janvier 1997 et de décrets en cours d'examen par le Conseil d'Etat.
Une telle politique est d'ailleurs, par certains aspects, indissociable du soutien à domicile. Je pense, en l'occurrence, aux centres d'accueil de jour ou de nuit - vous y avez fait allusion, monsieur le rapporteur - et aux structures d'hébergement temporaire.
Ce sont des formules qu'il faudra développer, car elles sont indispensables si l'on veut soulager les aidants et les familles, leur permettre de « souffler » et prolonger ainsi dans de bonnes conditions le maintien à domicile.
Cependant, vous le savez, le maintien à domicile est malheureusement difficilement envisageable à certains stades de la maladie. C'est pourquoi il est important d'améliorer la qualité de vie au sein des institutions, de relever le niveau des prises en charge gériatriques et d'adapter ces structures à la spécificité des personnes souffrant de détérioration intellectuelle.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur : les structures de petite taille doivent être favorisées, qu'il s'agisse de structures autonomes de type Cantou ou d'unités spécialisées au sein d'établissements de taille plus importante.
Ce besoin particulier devra être pris en compte dans le cadre des nombreuses restructurations d'établissements que nécessitent leur humanisation et, dans certains cas, le respect de la réglementation relative aux normes de sécurité.
Très souvent, je visite de tels établissements et je me dis que l'on ne peut pas continuer à placer dans certaines de ces structures des personnes dépendantes. Il nous faut faire un effort particulier. Nous avons commencé, mais il est financièrement très coûteux.
Enfin, est-il besoin de souligner la nécessité d'améliorer la collaboration entre le secteur psychiatrique et les équipes hospitalières et médico-sociales ? C'est une condition indispensable pour une meilleure prise en compte des besoins des personnes malades et pour aider les personnels qui s'occupent d'elles quotidiennement.
Tous ces dispositifs de prise en charge à domicile ou en établissement ont un coût. Celui-ci est, dans quelques cas, assumé en totalité par la collectivité. Le plus souvent, il est à la charge de l'intéressé et de sa famille, qui peuvent bénéficier d'aides plus ou moins importantes sous forme de prestations sociales, d'exonérations de charges sociales ou d'avantages fiscaux. Il s'agit là d'un ensemble très compliqué - trop compliqué ! - de dispositions que vous connaissez et dont je ne vous imposerai pas l'énumération.
A ce propos, vous avez demandé, monsieur le rapporteur, la raison pour laquelle la maladie d'Alzheimer ne figurait pas dans la liste des affections de longue durée. Il est tout à fait exact qu'elle n'est pas reconnue comme telle et c'est pourquoi, en pratique, cette maladie est actuellement prise en charge par l'assurance maladie au titre des arriérations mentales ou des psychoses. Cette situation n'est pas satisfaisante.
Le Haut comité médical a été saisi afin de réviser la liste des affections de longue durée. A la suite de l'avis qu'il émettra au plus tôt, un décret pourra être pris pour réviser cette liste.
Je rappelle également que le Gouvernement a, très récemment, proposé au Parlement, qui l'a adoptée, une mesure très favorable aux personnes reconnues handicapées ou dépendantes, puisque celles-ci se trouvent exonérées des cotisations patronales si elles rémunèrent une aide à domicile employée par une association. Jusqu'à présent, cette exonération ne s'appliquait qu'aux embauches de gré à gré par la personne bénéficiaire.
Cette mesure apportera des garanties à ces personnes en termes de qualité et de professionnalisation de l'aide, de continuité du service rendu et leur épargnera de devoir assumer le rôle, pas toujours facile, d'employeur.
Pourquoi ne pas aller plus loin ?
Dans l'article 4 de votre proposition de loi, vous souhaitez doubler, pour les personnes visées par ce texte, le pourcentage de la PSD actuellement fixé par décret à 10 % - soit 500 francs environ - qui peut être consacré à des dépenses autres que de personnel.
Une telle mesure, monsieur le rapporteur, présente un intérêt évident pour les personnes qui doivent avoir recours à des aides techniques ou matérielles importantes. Toutefois, je crois que cette amélioration de la loi du 24 janvier 1997, dont vous étiez le rapporteur, devrait concerner l'ensemble des bénéficiaires de la PSD pour n'écarter personne, quel que soit le type de pathologie. Cela nécessite de modifier l'article 11 du décret du 28 avril 1997, afin de porter le plafond à 20 % au lieu de 10 % du montant maximum de la PSD.
Le Gouvernement est favorable à une telle modification. Celle-ci pourrait intervenir dans un délai bref. Elle doit cependant faire l'objet d'une consultation préalable des représentants des conseils généraux.
Par ailleurs, il me semble qu'il serait également utile d'envisager une plus grande souplesse dans l'utilisation possible des sommes allouées au titre de la PSD. Elles pourraient ainsi être utilisées non seulement pour la rémunération des salariés ou à l'occasion d'un hébergement en établissement, mais également pour des accueils de jour, de nuit, ou des accueils temporaires, qui me semblent particulièrement adaptés pour aider les aidants familiaux et ainsi faciliter le maintien à domicile, auprès des proches. C'est une piste de travail que le Gouvernement examine avant d'en saisir, le cas échéant, les représentants des conseils généraux.
Dans l'article 5 du texte aujourd'hui en discussion, vous proposez d'étendre aux personnes dépendantes du fait de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés la réduction d'impôt pour les dépenses engagées pour l'hébergement des personnes âgées de plus de soixante-dix ans.
Je ne peux nier l'intérêt d'une telle disposition. Toutefois, je crois que, compte tenu de son caractère fiscal, elle aurait plus sa place dans le projet de loi de finances pour 2000.
Enfin, je veux évoquer une mesure annoncée lors de la dernière conférence de la famille. Je veux parler de la création d'un congé « parent dépendant », permettant de prendre en charge un parent dont l'état de santé nécessite la présence d'une tierce personne. Cette mesure, à la mise en oeuvre de laquelle je travaille avec le délégué interministériel à la famille, rendra, j'en suis sûr, de grands services aux personnes concernées. Je rappelle que nous avons également demandé au Conseil économique et social de réfléchir à ce congé pour permettre aux familles d'accompagner, lorsque c'est malheureusement nécessaire, un proche en fin de vie.
Le dernier - non le moindre - volet de ce plan d'action concerne la recherche et la formation.
Je travaille, avec M. Claude Allègre, à renforcer les moyens de favoriser la recherche fondamentale et appliquée - la recherche médicale représente maintenant le premier budget de recherche de notre pays - concernant les démences, dont la maladie d'Alzheimer, notamment en développant les complémentarités sur le plan international. J'ai dit tout à l'heure l'immense enjeu qu'elle représente pour ces pathologies. Il y va de l'amélioration de la vie des familles.
Vous savez que la France est fortement impliquée dans la recherche clinique et biologique autour du vieillissement et que la gériatrie constitue une thématique majeure du programme hospitalier de recherche clinique. Ce programme bénéficie d'ailleurs de 80 millions de francs renouvelables sur trois ans, et les recherches sur la maladie d'Alzheimer et les démences apparentées sont particulièrement soutenues dans ce cadre.
Plusieurs unités de l'INSERM sont également très actives sur le diagnostic préclinique comme sur l'étude des phases débutantes et tardives de ces maladies.
S'agissant de la formation des professionnels - là aussi les conclusions de la mission Guinchard-Kunstler pourront nous aider - j'entends renforcer ce thème dans les programmes pour l'ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, qu'il s'agisse des formations initiales ou des formations continues.
La prise en charge des personnes souffrant de détérioration intellectuelle, à domicile comme en établissement, nécessite en effet l'intervention de personnels formés et, ainsi, motivés.
A cet égard, nous continuons d'ailleurs de nous poser la question de la nécessité d'une forme de spécialisation gérontologique.
Une étude d'envergure, financée par la Commission européeenne, est actuellement en cours. Nous suivons ces travaux afin de mieux définir le profil souhaité des intervenants, tant à domicile qu'en établissement.
Telles sont les grandes lignes de ce plan global que votre proposition m'a donné l'occasion de vous exposer brièvement. Je vous donne rendez-vous dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 afin de faire le point sur sa mise en oeuvre, qui doit être à la mesure de l'attente des personnes atteintes et de leurs familles, envers lesquelles nous avons un véritable devoir de solidarité.
Cette solidarité est tout particulièrement justifiée quand la maladie vient frapper un parent dans la force de l'âge, ayant encore des enfants qui poursuivent leurs études.
Elle est tout autant justifiée quand la maladie interrompt précocement les projets d'un couple de retraités récents pour confronter l'un des conjoints à la dégénérescence rapide de l'autre, qui perd ses moyens, change de comportement et de caractère jusqu'à devenir un jour « un mort sans cadavre » : l'expression fait mal, mais elle est le témoignage d'une personne qui a connu cette situation.
Nous devrons, mesdames, messieurs les sénateurs, garder tout cela à l'esprit au cours de ces débats, mais aussi au-delà, car il restera, après votre vote, beaucoup à faire pour répondre à l'ampleur des détresses vécues par ceux qui sont touchés par ces maladies et par leurs familles. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en déposant devant la Haute Assemblée une proposition de loi relative à l'amélioration de la prise en charge des personnes atteintes de démence sénile et en particulier de la maladie d'Alzheimer, notre collègue Alain Vasselle pointe un problème important, tant sur le plan médical que sur le plan social, et aux conséquences trop souvent dramatiques pour les familles. La description qu'il en a faite était édifiante.
En effet, la prise en charge de la déchéance physique et intellectuelle d'un parent proche est toujours pour les familles une douleur morale immense, à laquelle il faut ajouter des difficultés matérielles souvent aiguës.
Le développement prévisible, au cours des prochaines années, de la démence sénile et des affections qui y sont associées, du fait du vieillissement de la population, doit nous conduire à légiférer de manière humaine et adaptée à cet enjeu majeur de société et de santé publique.
Face à la détresse des familles, face au malheur de celles et ceux qui sont atteints par la maladie et se trouvent en situation de dépendance, il est de notre responsabilité d'apporter des réponses adéquates, dans une société qui consacre comme des droits inaliénables de l'individu le droit à la santé et le droit à la protection sociale.
Ainsi devons-nous répondre non seulement aux problèmes liés à la démence sénile et à la maladie d'Alzheimer mais aussi, plus largement, à l'ensemble des situatins génératrices de dépendance. Je pense à certaines maladies génétiques, aux myopathies, aux très grands handicaps : les affections de ce type sont, hélas ! très nombreuses.
A cet égard, nous partageons les objectifs visés par les auteurs de la proposition de loi.
En particulier, le développement des connaissances médicales et épidémiologiques des maladies cause de la sénescence - notamment de la maladie d'Alzheimer - est un préalable incontournable.
La formation du corps médical ainsi que celle des intervenants chargés de l'accompagnement des malades s'imposent également.
Pour ce qui est de l'accompagnement financier et social nul ne contestera que nous avons encore des progrès à réaliser.
J'évoquais les droits inaliénables à la santé et à la protection sociale : c'est là, au fond, l'essentiel.
Quotidiennement, le monde associatif, le corps médical, les familles nous interpellent sur les manquements de notre pays en matière de traitement de la dépendance.
Comment ne pas rappeler - et c'est peut-être le point sur lequel nous divergeons - l'inadaptation de l'actuelle prestation spécifique dépendance ? La proposition de loi que nous examinons n'est-elle pas l'aveu même de l'inadéquation de ce dispositif ?
Au moment de l'examen de la loi du 24 janvier 1997, les membres de notre groupe s'étaient opposés résolument à la mise en place, à l'échelon départemental, de ce dispositif rémunérant en nature un service d'assistance à la personne dépendante. Nous considérions alors - et nous avions, hélas ! raison - que les critères d'attribution, bien trop restrictifs, de la PSD rendaient ce dispositif moins efficace que l'allocation compensatrice pour tierce personne, qui l'avait précédé.
C'est ainsi que, dans le département du Rhône, nous avons dû, depuis l'adoption de la loi sur la PSD, délibérer par deux fois pour en compléter et en aménager le dispositif, afin de l'améliorer.
Deux années d'application de la PSD n'ont pas infirmé l'appréciation que nous portions sur ce dispositif, bien au contraire. Nous attendons donc, monsieur le secrétaire d'Etat, le bilan que votre administration s'est engagé à présenter pour que nous puissions juger en toute connaissance de cause des résultats.
De nombreux départements sont amenés aujourd'hui à modifier l'application d'un texte qui se révèle - M. Vasselle l'a d'ailleurs souligné - dramatiquement inefficace dans les réponses qu'il apporte aux familles en matière de grande dépendance - je pense, notamment, aux aveugles, aux mal-voyants - et nous constatons que la grille AGGIR se révèle inefficace.
Différences de prise en charge d'un département à l'autre, politique des plus bas coûts, recours à des critères ne correspondant en rien à la réalité des situations de celles et ceux qui sont confrontés à la dépendance : tel est le sombre réquisitoire que l'on peut dresser. Nous sommes loin, en l'espèce, de la reconnaissance d'un droit nouveau : au mieux, il s'agit de mesures d'assistance. Vous en avez témoigné en citant l'exemple de ces familles qui vous interpellaient, hier, via la radio, sur la réalité des situations.
Notre pays, qui compte aujourd'hui 11 millions de personnes âgées de plus de soixante ans, dont 2,3 millions de personnes âgées de plus de quatre-vingts ans, se doit de répondre, à l'échelon national, à la constitution de ce nouveau droit social qu'est la reconnaissance de la dépendance comme un cinquième risque de sécurité sociale ; pour l'instant, malheureusement, cet avis n'est pas du tout partagé.
La personne dépendante et ses proches doivent être placés au centre du dispositif. Cela implique le respect de la personne, le respect de son intimité, son libre choix, ou le libre choix des siens, quant à la prestation et aux réponses à apporter en matière d'accompagnement social et médical.
Il manque au texte que nous examinons, cette dimension sociale que nous appelons de tous nos voeux et qui constitue le moins qu'une société puisse faire pour les plus anciens ou les plus fragiles de ses membres.
La non-réalisation de ce droit, pourtant essentiel, est cause de bien des retards pris par notre pays : insuffisance, voire manque de structures adaptées, retards en matière de formation des personnels, de qualification, faiblesse des salaires des personnels d'accompagnement ; la liste est longue ! Il faudrait aussi évoquer, comme le fait très justement le rapport de notre collègue, l'accompagnement psychologique des familles confrontées à la déchéance physique et/ou psychologique d'un proche.
Il est urgent de légiférer à nouveau sur les questions de dépendance. Nous sommes, pour notre part, favorables à une remise à plat de ces questions et nous souhaitons que le Gouvernement s'attelle au plus vite à cette tâche.
Le 19 septembre dernier, notamment, j'attirais l'attention de Mme Martine Aubry sur nos attentes en matière de projet de réforme de la tarification des établissements accueillant des personnes âgées.
Loin de vouloir polémiquer sur un sujet aussi grave, aussi dramatique que celui qui nous occupe aujourd'hui, je veux rappeler qu'une politique humaine en matière de santé publique, d'accompagnement de la dépendance et de prise en charge des problèmes liés à la vieillesse, une politique fondée sur l'existence de droits sociaux inaliénables, appelle d'autres choix que ceux qui sont malheureusement défendus par la majorité sénatoriale en matière de santé publique, notamment. Rappellez-vous les débats que nous avons eus lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale ou de la loi de finances pour 1999 !
Raisonner sur la souffrance, légiférer sur la dépendance est assez peu conforme aux impératifs strictement comptables défendus ici même et qui ont conduit à la mise en place de la prestation spécifique dépendance ou à la suppression de certains crédits budgétaires consacrés à la solidarité.
En outre, lors du débat relatif au financement de la sécurité sociale, nombre de nos collègues de la majorité sénatoriale, dont vous étiez, monsieur le rapporteur, n'étaient pas les moins ardents défenseurs de coupes claires dans les budgets des caisses de sécurité sociale.
Peut-être avez-vous, depuis, pris la mesure des besoins sociaux dans notre pays.
Plus que sur le bien-fondé des propositions qui nous sont faites, nos réserves, vous l'avez compris, portent sur la cohérence d'ensemble d'un système de protection qui se révèle particulièrement inadapté.
Nous souhaitons que, dans un délai très bref, le Gouvernement, aidé en cela par le Parlement - et nous prendrons, pour ce qui nous concerne, nos responsabilités - mette en place un dispositif de prise en charge de la dépendance par la création d'un risque spécifique, suivant le principe de solidarité qui prévaut pour notre système de protection sociale.
Nous avons bien évidemment été attentifs aux propositions que vous avez formulées, monsieur le secrétaire d'Etat, et nous écouterons avec beaucoup d'intérêt les réponses que vous voudrez bien nous apporter, notamment en termes de calendrier.
Cela étant, si nous approuvons la démarche et les objectifs retenus par M. Vasselle, nous ne pensons pas que, en l'état, le texte qui nous est proposé permette de répondre à l'ensemble des besoins concrets des familles confrontées à ces problèmes de dépendance.
Certes, on ne peut pas s'opposer à une telle proposition de loi, mais nous nous abstiendrons...
M. Michel Caldaguès. Cela s'appelle « botter en touche » !
M. Guy Fischer. Non, monsieur Caldaguès ! Dans un débat d'une telle importance, on ne peut pas « botter en touche » quand il s'agit de créer des établissements, de leur donner les moyens de fonctionner. Nous avons sans doute tous vécu des expériences très douloureuses - c'est mon cas - et nous savons quelles difficultés, pour ne pas dire quel drame, affrontent les familles à la recherche d'un établissement qui accueillera un parent malade en phase terminale.
Ce débat est essentiel, mais il est plus que jamais nécessaire de mettre en oeuvre des mesures nouvelles pour assurer la prise en charge de la dépendance. Pour cette raison, nous nous abstiendrons sur les propositions de M. le rapporteur, quels que soient leurs mérites, car, sur le fond, nous ne pensons pas qu'une amélioration très partielle du dispositif de la prestation spécifique dépendance puisse constituer une réponse qui soit à la hauteur des besoins exprimés. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en examinant ce soir la proposition de loi de notre collègue Alain Vasselle, nous répondons à une attente très forte des familles des personnes atteintes de démence sénile, en particulier de la maladie d'Alzheimer.
Je voudrais dire tout d'abord que la dénomination « démence sénile » ne me paraît pas être la plus appropriée. Il me semble en effet qu'il serait plus juste de parler de « démences » au pluriel, ...
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. C'est exact !
M. Dominique Leclerc. ... celui-ci permettant d'englober les formes jeunes de démence, ainsi que les affections neurologiques ou non neurologiques qui compliquant de démence.
Je parlais à l'instant de l'attente des familles, mais il existe aussi une attente des professionnels qui doivent faire face à cette pathologie en fort développement.
En effet, nous ne pouvons ignorer que les chiffres actuels - 350 000 personnes atteintes de démence en France, dont 280 000 cas diagnostiqués de maladie d'Alzheimer - ne cesseront de croître dans les années à venir, en raison du vieillissement de la population.
C'est la raison pour laquelle nous nous devons d'agir face à cette « épidémie silencieuse » d'une maladie dont les conséquences humaines, sociales et économiques sont désastreuses.
Or, si l'on peut considérer que cette maladie est entrée, d'une certaine manière, dans une ère thérapeutique, force est de constater que ni les structures médico-sociales ni le milieu hospitalier ne sont adaptés à la prise en charge de cette terrible situation.
La maladie d'Alzheimer semble, il est vrai, d'un point de vue thérapeutique, sortie du « ghetto », grâce à une recherche très active qui, après un néant total, a permis de dégager certaines pistes.
Ainsi, malgré leur efficacité aujourd'hui limitée sur les symptômes de la maladie et leur influence incertaine sur sa progression, certains médicaments représentent un premier progrès dans le traitement de cette redoutable affection. Bien que leur usage soit réservé pour le moment aux patients atteints de la maladie d'Alzheimer à un degré de gravité minime à modérée, cela est encourageant pour l'avenir.
En revanche, la prise en charge sociale ou, plus exactement, humaine de ces personnes reste bien en deçà des besoins. Or - faut-il le rappeler ? - pour ceux qui souffrent de tels troubles, la vie quotidienne devient menaçante, voire effrayante.
En effet, à mesure que la maladie progresse, l'échec devient une habitude quotidienne, le patient réussit de moins en moins ce qu'il entreprend, jusqu'à ce qu'il devienne, finalement, dépendant. Cette perte d'autonomie et les troubles du comportement qui l'accompagnent et s'aggravent avec le temps et se traduisent par une charge de plus en plus lourde, difficilement supportable pour les seules familles.
Malheureusement, les établissements de long séjour existants ne sont pas adaptés à l'accueil de ces patients, dont le comportement parfois difficile peut perturber l'ensemble des personnes qui y sont accueillies.
Face à ce constat, la proposition de loi de notre collègue Alain Vasselle tend à offrir des réponses plus adéquates aux difficultés rencontrées par les patients et leurs familles. Elle vise à présenter un ensemble cohérent de dispositions, afin d'améliorer la prise en charge de ces malades et de leur entourage. Ainsi, nous le savons, plus la maladie est détectée de façon précoce, plus il est facile de lutter contre les premiers effets et plus il est possible de ralentir la détérioration de l'état des malades.
Pour cette raison, en prévoyant d'améliorer la formation des médecins et des autres intervenants, la proposition de loi de M. Vasselle tend à favoriser cette détection précoce et à faciliter, par la suite, les traitements.
De même, l'inscription dans le rapport d'une incitation à développer des unités de consultation à visée diagnostique et des centres d'expertise au sein des hôpitaux me paraît aller dans le bon sens.
S'agissant de l'accueil des malades, de gros efforts doivent être consentis par la collectivité afin que soient construits des centres adaptés. Ceux-ci sont encore beaucoup trop rares aujourd'hui. En proposant l'instauration d'un avantage fiscal important pour favoriser l'hébergement des patients, M. le rapporteur veut contribuer à solvabiliser ces centres et, ainsi, à permettre leur développement.
En ce qui concerne le maintien à domicile des malades, il est bénéfique lorsqu'il est possible, c'est-à-dire lorsque l'état du malade le permet. De très nombreux témoignages de proches le démontrent.
Cependant, cette affection, très invalidante, réclame beaucoup de soins, d'attention, mais aussi de surveillance. Une aide à domicile est, pour toutes ces raisons, indispensable. Par conséquent, j'approuve totalement l'idée de notre collègue Alain Vasselle de porter, pour les personnes atteintes, à 90 000 francs le plafond des dépenses, engagées pour l'emploi d'un salarié à domicile ouvrant droit à une réduction d'impôt.
En effet, cette affection touchant de plus en plus tôt les personnes âgées, les assistantes de vie ont un rôle social essentiel à jouer, en matière de soutien des familles, qui sont très souvent éprouvées, mais aussi de réduction des dépenses de santé.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de cette mesure devrait permettre la création d'emplois de proximité, ce qui n'est pas négligeable !
Pour conclure, je tiens à remercier notre collègue Alain Vasselle pour le travail qu'il a effectué. Je sais qu'il a procédé à de nombreuses auditions et qu'il a beaucoup oeuvré pour élaborer le texte que nous examinons aujourd'hui. J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous réserverez le meilleur accueil à celui-ci. En effet, je suis convaincu que les propositions de notre collègue Alain Vasselle permettront d'améliorer de façon significative la situation des malades et de leur famille.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RPR du Sénat votera ce texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Lagorsse.
M. Roger Lagorsse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'interviens pour la première fois à cette tribune depuis que j'ai été élu pour succéder à Georges Mazars. Cette intervention revêt à mes yeux un caractère symbolique.
M. le président. La présidence salue votre première intervention, monsieur Lagorsse, et vous souhaite un plein succès dans l'accomplissement de votre mandat. A cet instant, nous avons tous une pensée pour notre ancien collègue.
M. Roger Lagorsse. Je vous remercie, monsieur le président.
Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de M. Vasselle, qui a souhaité que nous abordions la question délicate de la maladie d'Alzheimer et des troubles apparentés.
Ce texte présente un intérêt incontestable, car il met l'accent sur le problème essentiel de la dépendance et de sa prise en charge. Il relève notamment les difficultés particulièrement douloureuses que rencontrent toutes les personnes atteintes de détériorations intellectuelles, ainsi que leur entourage.
La simple évocation de certaines données statistiques permettra sur ce point d'illustrer mes propos. Ainsi, selon l'enquête « Paquid » menée par l'INSERM en Gironde et en Dordogne, la proportion des personnes agées de soixante-cinq ans et plus qui sont atteintes de démence est évaluée entre 3 % et 5 %, ce qui représente environ 350 000 personnes pour l'ensemble de la France. Précisons que si l'on ajoute à ce chiffre celui des malades plus jeunes, ce sont au total 500 000 personnes qui sont touchées, et relevons enfin que notre pays enregistre chaque année de 60 000 à 70 000 nouveaux cas déclarés.
C'est pour cette raison que l'un des défis majeurs auxquels sont confrontées les sociétés occidentales est de répondre aux besoins de ces personnes. Cela sera encore plus vrai demain.
Nous devons donc trouver des solutions adaptées. En effet, nous savons bien que l'allongement de l'espérance de vie, dont nous ne pouvons que nous réjouir, a néanmoins son corollaire : le vieillissement de la population.
Certes, il est exact que, au cours de ces dix dernières années, l'espérance de vie sans incapacité a progressé considérablement, mais il n'en est pas moins vrai que, à partir de 2005, nous devrons faire face à une augmentation notable du nombre des personnes très âgées, et l'on comptera, parmi elles, de nombreuses personnes dépendantes psychiquement.
Même si elle nous affecte, nous ne pouvons nier cette vérité, et notre devoir est de nous préparer à l'affronter. Gouverner, c'est prévoir !
Améliorer la qualité de vie de toute cette partie de la population doit donc être notre objectif. A cet égard, j'ai regardé l'autre jour avec beaucoup d'émotion, sur une chaîne de télévision, le film intitulé « Alzheimer, mon amour. »
Cette amélioration passe certes, comme cela a été indiqué, par une meilleure connaissance de ces personnes, et l'on a raison de souhaiter la présentation d'un rapport gouvernemental sur ce sujet.
Cependant, je ne peux que m'interroger sur l'opportunité et l'efficacité des mesures financières ou relatives à la formation qui nous sont proposées.
Etes-vous bien certain, monsieur le rapporteur, de leur adéquation avec les réels besoins de l'ensemble des personnes atteintes de détérioration intellectuelle ? Ne vous paraît-il pas quelque peu paradoxal et contradictoire de vouloir fixer par la loi des modalités de prise en charge, alors que - et vous l'admettez vous-même - nos connaissances sont encore incomplètes ? Ne pensez-vous pas enfin que le risque est grand d'apporter ainsi des réponses insuffisantes, limitées, et, par voie de conséquence, inadaptées ?
En effet, comment peut-on prétendre vouloir assurer, ou du moins tenter d'améliorer, la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés avant même qu'un rapport gouvernemental ait été établi ? Il s'agit-là, à mon avis, d'un non-sens éloquent !
Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui affirment qu'il vaut mieux faire quelque chose que ne rien faire du tout. Trop souvent, cette attitude dissimule un désir de faire pour faire, ou pire, peut-être, une volonté de produire un effet d'annonce. Finalement, cela n'aboutit qu'à de mauvaises solutions, et les personnes concernées sont alors encore plus démunies face à une situation dramatique.
Parce que cette façon d'agir ne permettrait, selon moi, ni de relever les véritables enjeux, ni de répondre avec efficacité aux véritables besoins des personnes concernées, j'estime qu'il serait préférable de réfléchir ensemble à toute l'étendue du problème.
Pour cela, mieux vaut réunir les meilleurs atouts, en vue de mettre en place un plan d'action global, ce que vous avez proposé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ce plan d'action devrait intégrer aussi bien l'augmentation des aides financières dont les personnes concernées et leur entourage pourraient bénéficier que le soutien aux aidants.
Ce plan d'action devrait également chercher à développer les services de vie à domicile et l'amélioration des conditions de prise en charge en institution, tout en assurant leur complémentarité. Ce plan d'action devrait, enfin et bien entendu, poursuivre et adapter la recherche et la formation des intervenants.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je sais que le Gouvernement a l'intention d'aller dans ce sens, et je m'en réjouis. Je sais également que, pour mener à bien un tel plan, le député Mme Paulette Guinchard-Kunstler a été chargée par le Premier ministre d'une mission sur les aides aux aidants, en vue d'améliorer les conditions de vie des personnes atteintes, mais aussi de leurs proches.
Pour ma part, je crois donc plus judicieux d'obtenir les conclusions de ce rapport plutôt que de légiférer, non pas sur l'inconnu, mais sur l'incertain.
Je voudrais maintenant en revenir, cher collègue Vasselle, à votre proposition de loi pour en montrer les limites et les insuffisances.
S'agissant des limites, tout d'abord, ne vous paraît-il pas inapproprié, monsieur le rapporteur, de limiter à une pathologie ce qui devrait répondre aux besoins de toute une catégorie de la population ?
Distinguer telle ou telle pathologie ne revient-il pas à risquer d'instaurer une inégalité flagrante entre des personnes également souffrantes ? Je veux parler de toutes les personnes atteintes de détérioration intellectuelle et touchées par la dépendance. Je veux parler aussi de toutes ces familles qui se dévouent et doivent affronter ce mal moderne avec leurs propres moyens.
J'en viens, ensuite, aux insuffisances.
Cette proposition de loi ne me semble pas offrir un cadre idéal à notre objectif.
Les dispositions qui nous sont présentées semblent en effet insuffisantes et prématurées, j'ai même envie de dire insuffisantes parce que prématurées. L'article 4, notamment, met implicitement en exergue les carences du dispositif de la prestation spécifique dépendance, la PSD, adoptée en 1997 par le Parlement.
Déjà, à l'époque, le groupe socialiste du Sénat avait dénoncé le sous-dimensionnement de l'aide prévue par rapport à l'ampleur du problème, bien plus vaste, de la dépendance.
Aujourd'hui, s'agissant de cette nouvelle proposition, l'aide prévue paraît encore plus inadéquate au regard de la réponse qui doit être apportée à certaines pathologies à dépendance lourde, la maladie d'Alzheimer comme bien d'autres maladies, d'ailleurs.
Cette disposition, monsieur le rapporteur, semble donc n'être que la vaine tentative de colmater les brèches d'une PSD qui n'est pas adaptée à l'ampleur du problème général de la dépendance dans notre société.
Par ailleurs, même si les autres dispositions financières, par les nouvelles réductions fiscales envisagées, semblent offrir une meilleure réponse à l'attente des malades et de leur famille, elles n'en demeurent pas moins nettement modestes. Il en est ainsi, par exemple, de l'hébergement en institution, la déduction fiscale en la matière paraissant en effet dérisoire par rapport à celle qui est accordée pour une aide à domicile.
En tout cas, il paraît bien évident que des mesures allant dans le sens d'une meilleure prise en charge ne peuvent être décidées qu'après un bilan général et une réflexion plus en amont. C'est ce que le Gouvernement a proposé de mettre en oeuvre, et nous en sommes satisfaits.
Monsieur le rapporteur, je reconnais donc, comme je l'ai précédemment évoqué, le bien-fondé de votre initiative à travers cette proposition de loi. Cependant, je ne peux que regretter son caractère à la fois prématuré - peut-être devrais-je dire hâtif - et, en tout état de cause, insuffisant, et son manque d'ambition. C'est pourquoi le groupe socialiste s'abstiendra lors du vote sur l'ensemble.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vais user du privilège des présidents de commission de pouvoir intervenir dans des débats qui concernent celle-ci.
En l'occurrence, je souhaiterais préciser deux ou trois points.
Cette proposition de loi, la commission a souhaité s'en saisir et qu'elle fasse l'objet d'un rapport. Je veux dire dans quel esprit elle l'a fait.
Je ne crois pas en effet, monsieur Lagorsse, que ce soit dans le but de se positionner par rapport à d'autres initiatives et de revendiquer la première place sur le plan législatif !
C'est tout simplement parce que le rôle de notre commission, lorsque des problèmes touchent aux problèmes de société, est d'y réfléchir et de faire des propositions.
C'est l'initiative de notre collègue Alain Vasselle - mais cela aurait pu être celle d'un autre - qui nous a amenés à user, dans le cadre des dispositions de la réforme constitutionnelle de 1996, de notre pouvoir de proposition, et c'est bien le rôle du Parlement, de ses membres et de ses commissions que de proposer.
Je reviens un peu en arrière, car le problème est sous-jacent dans cette proposition de loi, en évoquant la PSD. Le texte relatif à cette prestation, qui résulte d'une initiative sénatoriale, est venu après des effets d'annonce n'émanant pas du Parlement. Je me souviens, en effet, de ce que nous avait annoncé ou promis M. Teulade, ou encore,...
MM. Guy Fischer et Roger Lagorsse. M. Chirac !
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. ... pour ne citer qu'elle, Mme Veil. Celle-ci nous avait dit, ici même, en mai ou en juin 1993, qu'un texte serait déposé au mois d'octobre de la même année. Or rien n'est venu.
C'est pourquoi le Sénat, par l'initiative de sa commission des affaires sociales, alors présidée par M. Jean-Pierre Fourcade, a fait adopter un texte sur la PSD. Certes, ce texte est incomplet - le conseil général que je préside l'a mis en oeuvre - et sa portée limitée. Toutefois, peu à peu, grâce d'ailleurs aux initiatives du gouvernement actuel, une amélioration s'est produite. Cependant, nous attendons encore un certain nombre de textes, notamment sur la tarification des établissements, pour aller plus loin et plus vite.
La présente proposition de loi, même si elle est modeste, pose un certain nombre de problèmes et trace des pistes de solution. Tout à l'heure, M. Fischer a dit : ce texte n'est pas global, il ne va pas assez loin. C'est vrai. Mais je rappellerai que toute initiative parlementaire, s'agissant notamment des moyens, est forcément limitée.
Je voudrais remercier M. le secrétaire d'Etat de nous avoir d'ores et déjà apporté des réponses proches des demandes formulées dans cette proposition de loi. En effet, si j'ai bien compris, certaines mesures pourraient entrer en vigueur d'ici à quelques mois.
Nous travaillons ensemble dans un domaine qui n'est pas politicien et qui concerne un problème de fond.
La commission des affaires sociales et moi-même, nous souhaitons nous saisir d'un certain nombre de problèmes. Ainsi, sur l'initiative de M. Lucien Neuwirth, nous examinons le problème des soins « palliatifs », même si ce n'est pas le terme qui convient. Nous essayons d'avancer dans ce domaine, et un rapport sera présenté dans les prochains jours.
Nous essayons de progresser, ne serait-ce que modestement. Mais il ne s'agit pas, pour nous, d'un effet d'annonce vis-à-vis des familles dont l'un des membres est touché par la maladie d'Alzheimer ou par des troubles apparentés, qui sont extrêmement difficiles à supporter et qui demandent un grand dévouement de leur part. Tel est, à chaque fois, notre état d'esprit.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je veux remercier à la fois M. le secrétaire d'Etat et mes collègues, qui ont fait connaître leur sentiment sur les dispositions de la proposition de loi que j'ai déposée et qui a recueilli l'assentiment des membres de la commission des affaires sociales.
Je veux tout particulièrement vous remercier, monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir prêté une attention toute particulière à cette proposition de loi, au rapport que j'ai rédigé et à la position de la commission des affaires sociales.
J'ai relevé dans votre intervention, mais également dans celles de mes collègues MM. Lagorsse et Fischer, deux points importants. Vous vous êtes interrogé sur l'opportunité de prendre aujourd'hui des mesures spécifiques en faveur des patients atteints de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés. La commission des affaires sociales et moi-même n'avons en effet pas voulu nous limiter aux seuls patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Le diagnostic de cette maladie est d'ailleurs difficile, même si en l'état actuel de la science, il est possible à un certain stade de la détecter. Certains tests de mémoire permettent de présumer fortement la nature de la maladie dont peut être atteint le patient.
A cet égard, j'ai noté que M. Leclerc, dans son intervention, a fait observer, à juste titre, qu'il vaudrait mieux parler non pas de démence sénile, mais de démence tout court. La commission a considéré qu'il aurait été erroné de limiter le champ d'application de ce texte aux personnes âgées, en ne visant que les démences séniles. C'est pourquoi l'intitulé précise que la proposition de loi tend à améliorer la prise en charge des « personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de troubles apparentés ».
Selon les différents orateurs, il convient de mettre en oeuvre non pas une mesure spécifique, mais une mesure globale, afin d'apporter une réponse à toutes les personnes dépendantes, et notamment à celles qui sont en situation de dépendance lourde. Sur ce point, j'apporterai deux éléments de réponse.
Tout d'abord, cette proposition de loi ne vise pas uniquement les personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer, elle concerne bien tous les malades atteints de cette maladie ou de troubles apparentés, c'est-à-dire également des jeunes et des personnes de moins de soixante ans. Si nous avions repris les dispositions de la prestation spécifique dépendance, aux termes desquelles la prise en charge concerne les personnes âgées de soixante ans au moins, nous aurions privé les autres personnes du bénéfice du dispositif. Telle n'était pas la volonté du législateur.
Le souci de ce dernier, notamment des sénateurs au moment où ils avaient déposé la proposition de loi relative à la prestation spécifique dépendance - celle-ci reprenait d'ailleurs simplement des propositions qui, en leur temps, avaient été évoquées par M. Teulade - était bien d'apporter un élément de réponse aux personnes âgées et de répondre aux difficultés rencontrées par les conseils généraux avec la dérive de l'ACTP, dont le premier objectif était, conformément à la loi de 1975, de venir en aide aux personnes handicapées, et non aux personnes âgées. Mais, compte tenu du vieillissement de la population, un nombre de plus en plus important de personnes âgées se sont trouvées en situation de dépendance et, inévitablement, les conseils généraux ont été confrontés à des demandes au titre de l'ACTP pour des personnes devenues dépendantes et handicapées.
C'est un fait que nous avons constaté, et il n'y a pas derrière cela d'arrière-pensées à caractère politique. C'est bien un état de fait, la constatation d'une situation qu'il fallait traiter à un moment donné et que le gouvernement de l'époque a tenté de prendre en compte. J'ai entendu MM. Fischer et Lagorsse ainsi que M. le ministre reprocher au gouvernement précédent, voire au Sénat, qui a été à l'origine de la proposition de loi, de ne pas avoir su apporter la vraie réponse en matière de prestation spécifique dépendance. Je ne referai pas l'histoire de cette loi, mais rappellerai simplement que, lorsque M. Teulade était ministre des affaires sociales et de l'intégration, ce dossier avait juste connu un début d'examen par l'Assemblée nationale. Puis, Mme Codaccioni, ministre de la solidarité entre les générations sous le gouvernement de M. Juppé, avait déposé un projet de loi sur la prestation autonomie - j'en avais été le rapporteur - projet qui avait fait l'objet d'une discussion générale ; mais, compte tenu de réactions à l'Assemblée nationale, les choses en étaient restées là.
La Haute Assemblée, considérant que les personnes âgées, les conseils généraux et les familles avaient attendu trop longtemps, a pris alors une initiative, en déposant une proposition de loi. La conjoncture économique et sociale de l'époque ne permettait pas d'aller aussi loin que nous l'aurions souhaité nous-mêmes, mais nous avions voulu apporter déjà un premier début de réponse à l'intention des personnes les plus lourdement dépendantes - celles qui se trouvent aux niveaux 1, 2 et 3 de la grille AGGIR, autonomie-gérontologie, groupes iso-ressources ainsi que des personnes les plus démunies en termes de revenus.
Ce sont exclusivement ces considérations qui ont guidé l'initiative de M. Fourcade, alors président de la commission des affaires sociales, de moi-même, deuxième cosignataire de cette proposition de loi ainsi que de nombreux collègues sénateurs. Ce n'était qu'un premier élément de réponse à la question de la prestation dépendance, modeste certes, et nous avions tous conscience - le rapporteur que j'étais l'avait dit à l'époque - que, le moment venu, lorsque les moyens de la nation le permettraient, il nous faudrait aller beaucoup plus loin et que cela devrait aboutir, à une date qu'il appartient encore au Gouvernement de fixer puisque c'est à lui que revient l'initiative, à une complète prestation autonomie.
Monsieur le ministre, je me réjouis de constater que le Gouvernement a pris de très nombreuses initiatives : vous avez notamment confié à Mme Guinchard-Kunstler une mission sur le sujet, et vous nous dites que de nombreux experts et spécialistes travaillent actuellement sur la place et la santé des retraités, sur les familles et sur l'habitat des personnes âgées. Voilà qui permettra d'apporter une réponse partielle à la situation des personnes âgées, mais pas à celles des personnes de moins de soixante ans atteintes de la maladie d'Alzheimer ou souffrant de troubles apparentés.
Vous nous dites également, monsieur le ministre, qu'une réflexion a été menée dans le cadre du rapport Hespel-Thierry. Vous voulez donc une réponse globale et vous attendez que cette dernière soit apportée avant d'accepter quelque initiative que ce soit, qu'elle soit d'origine parlementaire ou gouvernementale.
J'ai considéré, avec la plupart de nos collègues, qu'il était impossible de renvoyer à plus tard la prise de conscience nécessaire de la situation dans laquelle nous nous trouvions.
Nous sommes actuellement dans le même état d'esprit qu'au moment où nous avons déposé la proposition de loi sur la prestation spécifique dépendance. Cette proposition de loi n'a en effet pas la prétention d'apporter une réponse globale aux problèmes et de les traiter en totalité. Elle vise simplement à fournir un premier élément de réponse, de manière à donner quelque espoir aux familles, qui sont dans une situation que vous avez tous reconnue comme étant difficile, dramatique et éprouvante à la fois sur le plan psychique et psychologique, en apportant quelques aménagements à l'arsenal législatif existant.
Bien entendu, le moment venu, soit à la fin de l'année, après l'été ou au début de l'automne, il appartiendra effectivement au Gouvernement d'aller beaucoup plus loin, d'apporter une réponse globale aux personnes dépendantes en intégrant des mesures spécifiques - M. le ministre a bien voulu le souligner - en faveur des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.
S'agissant de l'inadéquation de la réponse par rapport aux besoins, j'ai déjà répondu sur ce point : ce n'est bien évidemment qu'un début de réponse, et ce n'est que plus tard qu'il sera possible d'aller beaucoup plus loin sur le sujet.
Tels sont, mes chers collègues, les quelques éléments de réponse que je tenais à apporter à l'ensemble des intervenants sur la réflexion menée. (Applaudissements.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je crois que les choses sont claires. Je comprends l'état d'esprit qui anime les auteurs de cette proposition de loi, et je trouve tout à fait souhaitable que nous allions dans ce sens.
J'ai le sentiment - mais tout cela n'est pas un obstacle - que ce que nous avons mis en route, plus particulièrement le rapport qui nous sera remis en juin par Mme Guinchard-Kunstler, présente un aspect plus global car, comme vous l'avez souligné vous-même, monsieur le rapporteur, le financement de tout cela est très faible.
La critique que je répéterai avec le plus de force porte sur ce que recouvrent les affections apparentées. La maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique, les dépendances multiples sont-elles prises en compte ? Je crois que, si vous allez dans le bon sens, il faut le faire en allant l'amble, en étant véritablement conscients que le service de soins à domicile et d'aide aux aidants, la façon dont les auxiliaires de vie peuvent être multipliés, le problème de leur formation doivent être pris en compte.
Je suis tout à fait conscient de l'avancée que représente ce texte et de ses limites, que je soulignerai au moment de la discussion des articles.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DE L'AMÉLIORATION DE LA CONNAISSANCE
DU NOMBRE, DES BESOINS ET DES MODALITÉS
DE PRISE EN CHARGE DES PERSONNES
ATTEINTES DE LA MALADIE D'ALZHEIMER
ET DE TROUBLES APPARENTÉS

Article 1er